Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées

Réunion du 20 octobre 2010 : 1ère réunion

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • GFT
  • clan
  • djibouti
  • islam
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  • somalie

La réunion

Source

Au cours d'une première réunion tenue dans la matinée, la commission auditionne M. Cyril Robinet, chargé de mission Afrique de l'Est à la Délégation aux affaires stratégiques (DAS), sur la situation en Somalie.

Debut de section - PermalienPhoto de Josselin de Rohan

Mes chers collègues, nous accueillons M. Cyril Robinet, chargé de mission Afrique de l'Est à la Délégation aux affaires stratégiques sur la situation en Somalie.

Occupant un territoire stratégique à la corne de l'Afrique et contrôlant, avec le Yémen, le golfe d'Aden par lequel transite une partie considérable du trafic pétrolier, la Somalie est un Etat d'une extrême fragilité au coeur de l'arc de crise défini par le Livre blanc sur la défense et la sécurité. C'est un pays d'une très grande pauvreté, en guerre civile depuis 19 ans. C'est un pays divisé puisque le Somaliland, au nord-ouest du pays, a déclaré unilatéralement son indépendance en mai 1991. La province voisine du Puntland a déclaré son autonomie en 1998. C'est un pays sans Etat puisque le gouvernement fédéral de transition (GFT) ne tient que par la présence des forces de l'Union africaine qui sécurise une partie de sa capitale et l'aéroport. Sans cette protection, le GFT serait emporté rapidement par les milices des Shebab.

J'observe la mise en garde très ferme du Conseil de paix et de sécurité de l'Union africaine qui exprime sa très grande préoccupation devant l'incapacité du gouvernement à gouverner, à faire preuve de responsabilité, de désintéressement et de détermination. La nomination d'un nouveau premier ministre parait malvenue aux plus proches amis de la Somalie, à l'Union africaine et en particulier en Ethiopie. La cohésion entre le GFT, le Puntland et Ahl es Sunna, qui semble une condition préalable pour consolider la situation -mais vous nous le confirmerez- serait menacée par cette nomination de M. Mohammed Abdullahi.

C'est un pays sur le sort duquel se penche la communauté internationale mais sans vouloir y mettre les moyens nécessaires à sa stabilisation et à son développement. Le seul pays qui pourrait intervenir, et qui du reste l'a déjà fait, l'Ethiopie, ne souhaite sans doute pas y retourner et se laisser enliser dans ce conflit. Le débat mais non la solution se trouve-t-elle au Conseil de sécurité qui pourrait accéder à la demande de renforcement de l'AMISOM jusqu'à 20 000 hommes ? Pourtant toutes nos analyses et tous nos intérêts nous incitent à souhaiter une stabilisation de cette zone dangereuse qui comprend le Yémen, le Soudan et la Somalie. Le développement spectaculaire de la piraterie, né de la misère, nous a conduit à intervenir avec l'opération Atalanta et celle de l'OTAN, avec succès mais en reconnaissant que la résolution du problème est à terre et non sur mer. Nous formons les forces de sécurité du GFT mais nous sommes incapables d'en estimer les résultats.

Ne sommes-nous pas, faute de volonté politique mais aussi faute de moyens militaires disponibles et dans l'incapacité de financer une opération lourde, en train de laisser s'installer ici comme au Yémen des mouvances islamistes radicales qui deviendront des bases du terrorisme régional et international actives capables d'intervenir sur les ressources pétrolières ou sur les voies d'approvisionnement stratégiques maritimes ou par voie de pipelines ? Vous allez peut être nous donner quelque espoir de sortie de crise. Dans une interview que vous avez donnée au ministère de la défense vous semblez penser qu'une timide solution consisterait en la mise en place d'une forme de confédération basée sur les clans et les territoires. Je vous passe la parole.

Debut de section - Permalien
Cyril Robinet

Merci Monsieur le Président. Monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs, vous avez souhaité m'auditionner sur la situation en Somalie, et je vous en remercie. Permettez-moi cependant de ne pas limiter cette présentation à une description de la situation. Un certain recul semble en effet nécessaire pour éviter de se perdre dans l'actualité très dense de la Somalie et en dégager les perspectives. La Somalie s'est rappelée récemment au souvenir de la communauté internationale, par le biais des menaces qui en émanent : la piraterie et le djihadisme. Ces menaces, et les causes qui les sous-tendent, auront bien entendu toute leur place dans cette présentation. Pour autant, il apparaît également nécessaire d'aborder les racines de la faillite de l'Etat somalien, qui a permis l'émergence de ces menaces. Il sera alors possible de considérer les options politiques offertes à la communauté internationale.

Tout d'abord, permettez-moi de revenir sur les intérêts qu'a la France à traiter du problème somalien. Le premier d'entre eux est le danger de la piraterie, puisqu'elle menace une route maritime qui est de toute première importance, la route qui relie l'Europe au pétrole de la péninsule arabique et aux marchandises du sud-est asiatique. 30 % des approvisionnements énergétiques de l'Union européenne transitent par le golfe d'Aden. Le second est le danger du terrorisme, danger patent dans cette région.

Pour commencer cette intervention, il est nécessaire de dresser un panorama de la situation en Somalie. Dans la nuit du 26 au 27 janvier 1991, le président somalien Mohamed Siad Barre est chassé de Mogadiscio par une coalition hétéroclite de mouvements rebelles. Sa fuite marque la disparition finale de l'Etat somalien. Vingt ans plus tard, on attend toujours sa réapparition. En l'absence de toute autorité centrale, les 637 000 km² sur lesquels s'étend la Somalie, où vivraient environ 9 millions d'habitants, sont marqués par une très grande diversité de situations politiques et sécuritaires.

On trouve de nombreuses entités politiques en Somalie. Au nord-ouest, la région du Somaliland a proclamé unilatéralement son indépendance en 1991, dans les frontières de l'ancien protectorat colonial du British Somaliland. Le Somaliland constitue aujourd'hui le seul véritable havre de paix du pays.

Bien que n'étant juridiquement reconnu par aucun Etat dans le monde, le Somaliland dispose néanmoins de tous les attributs d'un Etat souverain : Constitution, emblème, drapeau, hymne, monnaie. Plus encore, le Somaliland est une démocratie qui a fait, cette année, la preuve de sa vigueur et de sa maturité. Le 26 juin dernier s'y est tenue, dans le plus grand calme, une élection présidentielle, qui a vu la défaite du sortant, M. Riyaleh Kahin, battu par son opposant historique Ahmed Mohamed Mohamud, dit « Silanyo ». M. Kahin a reconnu sa défaite et félicité le vainqueur, tout comme l'avait fait Silanyo lors de l'élection précédente. Au plan économique, le petit Somaliland commence à tirer les fruits de sa stabilité politique. Dépourvu de ressources naturelles prouvées, il s'est construit avec le commerce, devenant notamment une plaque régionale du commerce du bétail. Ses efforts pourraient être bientôt récompensés par un investissement massif du groupe Bolloré dans le port de Berbera. Avec le développement de ses infrastructures portuaires, le Somaliland pourrait devenir, comme Djibouti, un accès maritime pour le géant éthiopien en plein développement. Au plan sécuritaire, le Somaliland n'est pas exempt de menaces, mais peut compter sur des forces de sécurité efficaces. Des tensions subsistent dans sa partie orientale, peuplée par deux clans qui ne se reconnaissent toujours pas comme somalilandais. Surtout, la démocratie et la laïcité du Somaliland heurtent les convictions des islamistes somaliens, qui ont fait de l'entité une cible déclarée.

A l'Est du Somaliland se trouve une autre entité politique autoproclamée, l'Etat du Puntland, qui s'est constitué en 1998 en région autonome, dans l'attente de la restauration d'un Etat somalien fédéral. Le Puntland est bien moins stable que le Somaliland, mais n'en demeure pas moins une zone de paix relative. L'entité puntlandaise s'est, elle aussi, dotée des attributs qui en font un Etat indépendant de facto, elle souffre toutefois d'une forte corruption de ses élites et d'une dangereuse proximité géographique avec le Sud somalien en proie au chaos. Le Puntland, avec le port de Bossaso, constitue un point névralgique des trafics qui relient historiquement la Corne de l'Afrique et la péninsule arabique. Sur ce plan, rien n'a changé depuis Henri de Monfreid. Les flux financiers ainsi générés, pour partie criminels, représentent un attrait auquel a cédé une grande partie de la classe politique puntlandaise. La satisfaction des intérêts personnels des dirigeants prime, au Puntland, sur l'intérêt général, ce qui place l'Etat dans une faiblesse récurrente. Mal traitées, les forces de sécurité puntlandaises peinent ainsi à contenir la menace islamiste, et la région fait régulièrement l'objet d'attaques terroristes. Surtout, elles ne sont pas capables de contrôler efficacement le territoire. Des zones de non-droit se sont ainsi constituées et sont le terreau de l'émergence de la piraterie, conséquence de la misère et de la raréfaction des ressources halieutiques pour les pêcheurs locaux, qu'ils attribuent à la pollution et au pillage des ressources par les flottes de pêche étrangères. Depuis le 1er janvier 2010, les pirates somaliens ont mené 107 attaques, dont 30 réussies. Ils détiennent actuellement 17 bateaux et 369 otages. Le total des rançons générées est difficile à estimer mais se compte vraisemblablement en dizaines de millions de dollars. Les pirates menacent une route maritime de première importance, qui relie l'Europe au Moyen-Orient et à l'Asie du Sud-Est. La jonction de la piraterie et du terrorisme constitue une crainte récurrente. Les flux financiers entre les deux nébuleuses existent probablement, mais aucune collaboration opérationnelle n'a encore été observée. La communauté internationale a envoyé d'importants moyens maritimes dans la région pour combattre ce fléau. L'Union européenne traite le fléau par le biais de l'opération Eunavfor Atalanta, impulsée par la France, et devrait parvenir à faire agréer aussi des actions de reconstruction des capacités maritimes régionales. Néanmoins, si les forces navales étrangères peuvent juguler le problème de la piraterie, il est probable que celle-ci persistera tant qu'une autorité étatique ne sera pas restaurée sur les littoraux somaliens, que des alternatives économiques n'auront pas été offertes aux populations et que l'intégrité de leurs eaux territoriales ne leur sera pas garantie. Le principal défi réside ici dans la collusion avérée d'une partie des élites avec les responsables de la piraterie.

Bien que difficile, la situation du Puntland ne peut pourtant pas être comparée à celle qui prévaut dans la moitié méridionale de la Somalie. Le Sud de la Somalie est en effet en proie à un conflit continu depuis vingt ans. Ce conflit met aux prises plusieurs belligérants. Le premier de ces protagonistes représente, officiellement, l'embryon de l'Etat somalien en reconstruction. Il s'agit du Gouvernement fédéral de transition (GFT). Le GFT, dans sa forme actuelle, est issu des deux dernières des quatorze conférences de réconciliation qui ont tenté, ces vingt dernières années, de ramener la paix en Somalie. C'est au Kenya, en 2004, que les principaux chefs politiques et seigneurs de guerre somaliens se sont mis d'accord sur un mécanisme institutionnel représentatif de toutes les tendances. Au cours des années qui suivirent, la situation sécuritaire ne s'est pourtant pas améliorée, empêchant le GFT de s'installer en Somalie. Il a pu finalement rentrer à Mogadiscio en 2007, dans les fourgons de l'armée éthiopienne qui était intervenue contre les islamistes. Depuis lors, le GFT n'a jamais réussi à monter en puissance pour se déployer sur le territoire somalien. L'armée éthiopienne s'est retirée début 2009, remplacée par une force de paix de l'Union africaine, l'AMISOM. L'AMISOM reste aujourd'hui le seul garant de la sécurité et de l'existence du GFT. Une évolution fondamentale du GFT avait pourtant suscité de grands espoirs fin 2008. Au terme d'un processus de paix mené à Djibouti, la branche majoritaire du principal mouvement armé islamiste d'alors, l'Armée de relibération de la Somalie (ARS), avait accepté de déposer les armes et d'intégrer les institutions du GFT. Début 2009, le chef de ce mouvement, Sheikh Sharif Sheikh Ahmed, était élu président de la Somalie par le parlement fédéral de transition. Les observateurs ont cru alors que ce président, islamiste modéré, pourrait poursuivre avec succès le processus de paix et l'étendre aux autres acteurs de l'insurrection pour stabiliser le Sud de la Somalie. Mais politiquement, le GFT a été incapable de poursuivre le dialogue avec les plus modérés des insurgés. Il n'a pas non plus été capable de mettre en pratique son alliance avec l'Etat du Puntland, ni avec une milice musulmane modérée. Conséquence de cet immobilisme politique, le GFT n'a pas été en mesure d'étendre son emprise militaire et reste cantonné dans quelques quartiers de Mogadiscio sous la protection de l'AMISOM, subissant quotidiennement le harcèlement des islamistes qui contrôlent tout le Nord de la ville. Cet immobilisme peut être mis sur le compte des divisions internes qui affaiblissent le GFT. Le GFT est en effet un agrégat de mouvances et de personnalités qui ont souvent peu de choses en commun : il y a des seigneurs de guerre, des politiciens de l'ancienne Somalie, des technocrates issus de la diaspora et des islamistes, bien que qualifiés de « modérés ». Des oppositions claniques se superposent à ces divisions politico-idéologiques.

Le GFT doit faire face à une insurrection islamiste de plus en plus radicale. La principale mouvance de l'insurrection, Harakat Al Shabaab Al Mujahidin, Mouvement de la jeunesse combattante, est plus connue sous le nom d'Al Shabaab, la jeunesse. Ce mouvement a connu ces dernières années une montée en puissance progressive mais irrésistible. A l'origine, les shebabs étaient les milices armées qui faisaient appliquer l'ordre des Tribunaux islamiques. Ces tribunaux religieux s'étaient constitués localement à partir des années 2000 pour pallier, avec la charia, l'absence d'autorité étatique. C'est leur union et l'extension de leur contrôle militaire à tout le Sud de la Somalie qui avait provoqué l'intervention éthiopienne. L'Union des tribunaux islamiques s'était alors muée en force de résistance sous l'appellation d'Armée de relibération de la Somalie (ARS). Si les shebabs constituent alors toujours le mouvement de jeunesse de l'ARS, ils ont pris leur autonomie en combattant, seuls sur le terrain, l'armée éthiopienne, alors que les dirigeants de l'ARS étaient en exil à l'étranger. Après l'accord de paix de Djibouti, ils s'émancipent totalement : ils refusent de suivre Sheikh Sharif Sheikh Ahmed, qualifié d'apostat, dans le GFT, mais refusent également de se soumettre à Sheikh Hassan Dahir Aweys, le leader de la fraction de l'ARS hostile à l'accord de Djibouti, lorsque ce dernier rentre en Somalie pour y combattre Sheikh Sharif. L'insurrection islamiste se compose donc de deux mouvances. En rentrant en Somalie, Sheikh Hassan Dahir Aweys a fusionné l'ARS avec d'autres petits mouvements pour donner naissance au Hizbul Islam, le parti de l'Islam. L'objectif du Hizbul Islam est d'instaurer un Emirat islamique sur l'ensemble des territoires occupés par le peuple somali. Ce territoire, appelé la Grande Somalie, s'étend sur la Somalie, mais également sur Djibouti, l'Ethiopie et le Kenya. L'idéologie du Hizbul Islam diffère donc de celle d'Al Shabaab. Le chef d'Al Shabaab, Mohamed Abu Zubeir, dit « Godane », a prêté allégeance à Al Qaeda en 2009. Si son objectif à moyen terme est également l'instauration d'un Emirat islamique sur la Grande Somalie, son but à long terme est la « libération » de Jérusalem et l'imposition de la Charia au monde entier. Bien que les spécialistes soient divisés sur la question de la validité de l'allégeance d'Al Shabaab à Al Qaeda, le résultat est que l'organisation islamiste bénéficie d'un afflux de combattants étrangers venus en Somalie pour le djihad. Avec ces djihadistes et leurs méthodes perfectionnées en Irak et en Afghanistan, Al Shabaab a pris militairement le dessus sur Hizbul Islam. Avec 3 à 5 000 combattants, il constitue aujourd'hui le gros des forces de l'insurrection, Hizbul Islam n'étant cantonné qu'à quelques territoires. La question se pose aujourd'hui de savoir si Hizbul Islam va être absorbé par Al Shabaab ou s'il va se rallier au GFT. Al Shabaab a lancé une importante offensive au cours du dernier ramadan, qui s'est heurtée sans succès à la résistance de l'AMISOM. Cet échec a réveillé des tensions internes qui pourraient se traduire par des divisions claniques.

Au plan militaire, la situation semble figée. Face aux combattants d'Al Shabaab et du Hizbul Islam, les quelques milliers d'hommes du GFT sont bloqués par les divisions de leur commandement. Avec 7 200 hommes et un mandat défensif, l'AMISOM garantit la stabilité de la situation. En juillet dernier, les islamistes d'Afrique de l'Est ont perpétré un double-attentat en Ouganda, pour punir le pays de son engagement dans l'AMISOM (il en est le premier contributeur de troupes). Le président ougandais Yoweri Museveni a réagi avec vigueur en demandant un relèvement du seuil de troupes de l'AMISOM jusqu'à 20 000 hommes, avec un mandat offensif. S'il se concrétisait, ce renforcement pourrait rompre l'équilibre des forces et raviver le conflit. Le Conseil de paix et de sécurité de l'Union africaine, dans un communiqué du 15 octobre dernier, a appelé le Conseil de sécurité des Nations Unies à entériner un tel renforcement.

Un autre acteur pourrait également contribuer au déblocage de la situation. Il s'agit de la milice soufie Ahlu Sunna wal Jamaa (ceux qui croient ensemble). Ahlu Sunna est, à l'origine, un mouvement religieux défendant l'islam traditionnel somalien, tolérant et ouvert, contre l'islam rigoriste importé d'Arabie saoudite à partir des années 60. Fin 2008, ce mouvement s'est vu contraint de prendre les armes pour résister aux exactions commises par Al Shabaab. Dépourvu d'ambitions politiques, Ahlu Sunna a cédé aux pressions de son protecteur éthiopien pour s'allier avec le GFT. Cette alliance peine toutefois à se concrétiser. En attendant, Ahlu Sunna représente une vraie force de résistance somalienne contre Al Shabaab. La milice occupe une région du Centre de la Somalie, limitrophe du Puntland. Supra-clanique, elle pourrait unifier tous les Somaliens contre les islamistes.

Après ce rapide état des lieux, je voudrais revenir à la question de la faillite de l'Etat somalien et à la question des clans, dimension fondamentale du conflit somalien. Lorsqu'elle obtient son indépendance en 1960, la Somalie est considérée comme l'un des Etats africains les plus prometteurs. Alors que la plupart des nouveaux Etats du continent doivent construire des nations à partir de plusieurs dizaines, voire centaines d'ethnies différentes, la Somalie part avec l'avantage de n'être peuplée que par une seule ethnie : les Somali. Les Somali ont un même ancêtre commun, parlent la même langue et sont tous musulmans. On peut dès lors se demander pourquoi, avec cet avantage initial considérable, la Somalie constitue aujourd'hui le seul Etat réellement failli du continent. L'explication est à chercher dans l'organisation clanique de la société somali. Si tous les Somali partent d'un ancêtre commun, la généalogie de cet ancêtre a donné naissance à des confédérations claniques, elles-mêmes divisées en clans, sous-clans et lignages. L'action politique se détermine au niveau du clan, voire du sous-clan. Même au sein de ces structures, l'autorité du groupe sur l'individu ne va pas de soi. Le Somali est d'abord un nomade, fondamentalement individualiste et réfractaire à toute forme de coercition. Comme le dit Christian Bader, bientôt consul de France au Sud-Soudan, mais d'abord spécialiste des clans somali, « le Somali agit d'abord en fonction de son intérêt immédiat et ensuite seulement des obligations que lui impose l'autorité à laquelle il se considère comme soumis ». Dans ce contexte, on comprend à quel point la notion d'Etat est inconciliable avec la culture somali. Si le Somali n'accepte d'obéir que ponctuellement aux injonctions de son groupe de référence, il ne peut reconnaître aucune légitimité à une structure comme l'Etat, qui lui apparaît comme fondamentalement étrangère. Jusqu'à la colonisation, les Somali ont ainsi vécu sans autre forme d'organisation politique que l'anarchie nomade. Au Puntland et au Sud de la Somalie, la colonisation italienne a brisé les structures claniques par la violence. Celles-ci se sont réveillées et exprimées dans le parlementarisme des premières années de l'indépendance, provoquant l'enlisement du régime. Ainsi, lorsqu'il installe sa dictature en 1969, Siad Barre sait qu'il lui faudra lutter contre les clans, il exalte alors le nationalisme pansomali pour faire contrepoids aux divisions claniques, et réclame la réunion de tous les Somali dans un même Etat. Cette politique le conduit en 1978 à entrer en guerre contre l'Ethiopie, à qui il tente d'arracher la province orientale de l'Ogaden, peuplée de Somali. Sa défaite sonne le glas du pansomalisme et, en absence de tout autre projet pour cimenter son peuple, le pouvoir doit affronter la résurgence des clans qui le renversent en 1991. Avant la montée en puissance de l'islamisme dans les années 2000, les clans ont continué à occuper le devant de la scène somalienne en s'affrontant tout au long des années 1990. Aucune résolution du conflit ne peut faire abstraction de leur existence.

Au-delà de la représentation des clans au sein des institutions étatiques somaliennes, c'est donc la question même d'un Etat central somalien qui mérite d'être posée. L'autorité étatique semble ne pouvoir naître, en Somalie, que d'un consensus local, au niveau du clan. C'est cette formule qui a fait le succès du Somaliland. La colonisation britannique, basée sur le système du « gouvernement indirect », n'y a pas détruit les structures claniques. Après l'effondrement de l'Etat somalien et la déclaration d'indépendance du Somaliland, ces structures ont été réactivées, notamment leur fonction de gestion traditionnelle des conflits. Plus que la déclaration d'indépendance, c'est ainsi le « shir » de Borama, en 1993, qui pose les bases du Somaliland. Le shir désigne l'assemblée traditionnelle des clans issak, qui peuplent le Somaliland, au sein de laquelle sont traités les conflits. Le shir de Borama a permis aux représentants de tous les sous-clans issaks et des clans non-issak de définir un système de gouvernement consensuel. Ce système allie les modes de gestion traditionnels claniques aux institutions étatiques modernes. Aujourd'hui, le Somaliland est doté d'une chambre haute, garante des institutions et qui, là-bas, représente les clans.

Les clans représentent donc autant une partie du problème que de la solution. Ils ne s'opposent pas à l'Etat mais à un certain Etat, de nature étrangère, que les Somali considèrent comme aliénant. Par ailleurs, les structures claniques constituent aussi un rempart contre l'islamisme. L'aversion naturelle des Somali contre toute autorité, particulièrement quand elle ne ressort pas du clan, leur fait rejeter autant l'Etat laïc que le pouvoir religieux. Les islamistes, eux, rejettent les identités claniques. Pour eux, « l'Oumma (la communauté des croyants) est le seul clan ». Cela explique que la majeure partie des combattants d'Al Shabaab provienne de clans mineurs et déconsidérés, qui n'ont aucun intérêt dans le système clanique. La transcendance du clan prônée par Al Shabaab a semblé fonctionner pendant un certain temps, faisant naître le risque d'une adhésion des Somaliens à l'idéologie du mouvement. Ils semblent néanmoins peu à peu rejeter l'extrémisme d'Al Shabaab qui s'attaque à tous les symboles de l'islam traditionnel somali. Par ailleurs, les Somali ont développé un fort penchant xénophobe qui s'exerce notamment contre les étrangers venus propager le djihad. Comme le dit Christian Bader, « le Somali se considère (...) comme un bon musulman, respectueux des lois fondamentales de l'islam sunnite de rite soufi, et estime qu'il n'a aucune leçon à recevoir en la matière des Arabes, dont il raille volontiers la bigoterie. » Des divisions de nature clanique se dessinent actuellement au sein d'Al Shabaab, qui suscitent les espoirs des observateurs étrangers. Il semblerait qu'après l'offensive du ramadan, les troupes combattantes, issues des clans défavorisés, ont commencé à reprocher à leurs chefs, issus des clans nobles du Nord, d'avoir peu économisé leur sang.

Dans ce contexte, quelles sont les options de la communauté internationale en Somalie ? La famine qui a suivi la chute de Siad Barre a suscité une mobilisation sans précédent de la communauté internationale. Les seigneurs de la guerre empêchant la résolution du conflit et l'accès des humanitaires aux populations, la communauté internationale, emmenée par les Etats-Unis, a décidé d'intervenir militairement pour les neutraliser. Le 3 octobre 1993, 18 GI étaient tués au cours d'un épisode qui restera connu comme « la chute du faucon noir ». En mars 1995, les dernières troupes des Nations Unies quittaient la Somalie sans qu'aucun problème n'ait été résolu. Cet échec va dissuader la communauté internationale de s'investir dans la résolution du conflit somalien autrement que par la diplomatie et l'aide humanitaire. Le pays revient néanmoins sur l'agenda international au cours des années 2000, quand les attentats du 11 septembre déclenchent la guerre contre le terrorisme. Plus tard, c'est l'explosion du phénomène de la piraterie qui oblige la communauté internationale à revenir au chevet de la Somalie.

Le raisonnement de la communauté internationale est que terrorisme et piraterie tirent leurs racines dans la faillite de l'Etat somalien. L'expérience tirée d'autres conflits africains engage la communauté internationale à appuyer la restauration d'un Etat somalien sur l'ensemble du territoire national. Jugé représentatif de la diversité clanique somalienne, le GFT est reconnu par la communauté internationale comme l'instrument de la restauration de l'Etat. Le mouvement international de soutien au GFT prend particulièrement son essor après le processus de paix de Djibouti et l'intégration au GFT des islamistes modérés. Ce soutien a pris plusieurs formes. Au plan politique, les Nations Unies sont engagées aux côtés du GFT pour améliorer sa capacité à fournir des services aux populations de Mogadiscio. Un Groupe international de contact, où siègent tous les partenaires engagés en faveur du GFT, mobilise et canalise l'aide internationale, notamment financière, et encourage le gouvernement somalien à poursuivre le processus de paix. Au plan militaire, les Nations Unies, les Etats-Unis et d'autres partenaires soutiennent financièrement et matériellement l'AMISOM, mission de l'Union africaine qui protège le gouvernement somalien à Mogadiscio. Plusieurs initiatives ont été lancées pour aider le GFT à se doter de forces de sécurité efficaces. La France a offert une formation militaire de 3 mois à un bataillon de ces forces de sécurité, en 2009 à Djibouti. Notre pays a ensuite engagé ses partenaires européens à rééditer l'expérience dans le cadre d'une mission PSDC. L'opération EUTM Somalia, qui se déroule actuellement en Ouganda, a donc été lancée en mai 2010 pour former 2 000 soldats du GFT, en coopération avec l'Ouganda et les Etats-Unis. Enfin, au plan économique, de multiples bailleurs de fonds et institutions de développement travaillent pour la Somalie, à destination du GFT, du Puntland et du Somaliland, mais le plus souvent par des projets directement adressés aux populations.

Malgré ces engagements, les succès du GFT sont limités. La déception de la communauté internationale se conjugue à l'hypothèse de la chute du GFT pour relancer la discussion sur l'avenir de la Somalie. Aux Etats-Unis, une « approche alternative » est étudiée depuis un peu plus d'un an par des think tanks américains. L'idée générale de cette approche serait de privilégier l'émergence d'une stabilité à la reconstruction d'un Etat. L'Etat somalien tel que proposé actuellement ne serait pas adapté aux réalités somaliennes, et l'activité internationale pour l'imposer ne feraient qu'aggraver la conflictualité. Certains suggèrent ainsi de laisser les dynamiques internes somaliennes s'exprimer pour que leurs interactions aboutissent à une stabilité politique basée sur un consensus général. Le Puntland et le Somaliland, qui ont su faire émerger un tel consensus, constitueraient alors des exemples à soutenir. La restauration d'un ordre social en Somalie affaiblirait les islamistes qui offrent leur propre ordre politique. Le départ des étrangers de Somalie les priverait également d'une partie de leur discours xénophobe et djihadiste. L'installation de pouvoirs stables sur les régions côtières permettrait de lutter contre la piraterie. En attendant que cet ordre émerge, la communauté internationale devrait se protéger du terrorisme. Il s'agirait de contenir les islamistes à l'intérieur de la Somalie, en fournissant à ses voisins les moyens de protéger leurs frontières. Des moyens contre-terroristes pourraient également être mis en place pour frapper ponctuellement les leaders islamistes.

Ces réflexions académiques n'ont pour l'instant fait l'objet d'aucune appropriation par aucun gouvernement. L'idée qu'elles pourraient être assimilées à un abandon pur et simple de la Somalie et de ses habitants est très prégnante. Pour autant, les Etats-Unis ont récemment annoncé leur intention de soumettre à leurs principaux partenaires une approche intermédiaire, dite « dual track », qui consisterait à poursuivre le soutien au GFT et à l'AMISOM tout en soutenant les pôles de stabilité existant (Puntland, Somaliland) et en en favorisant l'émergence de nouveaux (Galmudug, Jubbaland).

Debut de section - PermalienPhoto de Josselin de Rohan

Merci beaucoup pour cette présentation très complète. Nous trouvions hier que la situation au Soudan était compliquée, mais celle de la Somalie l'est encore plus !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean François-Poncet

Vous n'avez pas abordé la question de Djibouti. Lorsque Siad Barre était au pouvoir à Mogadiscio, il voulait annexer Djibouti, nous avons alors eu avec lui des relations conflictuelles. Où en est-on aujourd'hui ? A Djibouti, aujourd'hui, il y a des forces françaises, ainsi qu'une implantation américaine.

Debut de section - Permalien
Cyril Robinet

Djibouti a effectivement été l'objet des convoitises de Siad Barre au moment du projet de la Grande Somalie, projet qui lui-même avait eu peu d'échos au sein de la population somali, majoritaire, de Djibouti.

Aujourd'hui, la politique de Djibouti est de capitaliser sur son emplacement stratégique à l'embouchure du golfe d'Aden, avec la protection du parapluie sécuritaire français. La présence de forces militaires américaines en territoire djiboutien est liée à la présence militaire française. Les Américains ont établi une base qui leur permet de faire de la coopération sécuritaire et de lutter contre le terrorisme dans la région.

Djibouti tire bénéfice de son statut de bon élève de la communauté internationale dans la lutte contre la piraterie (toutes les forces navales de la région font escale à Djibouti), et dans la lutte contre le terrorisme, en étant un facilitateur de toutes les négociations internationales visant à la restauration d'un Etat en Somalie.

Djibouti ne craint pas la restauration d'un Etat en Somalie, d'autant plus que les membres du GFT ont abandonné toute idée de pansomalisme. Les craintes de Djibouti tiennent plus à une extension de l'islamisme sur son territoire et aux potentielles frappes terroristes. Djibouti pourrait payer le prix sécuritaire de son rôle dans la région. C'est en effet un acteur très positif, et Al Shabaab en a fait une de ses cibles prioritaires en tant qu'ennemi de l'islam et apostat.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Boulaud

Vous avez évoqué la théorie de la présence étrangère comme terreau de la présence d'Al Qaeda, et suggéré que la fin des ingérences étrangères pourrait être un moyen d'empêcher Al Qaeda de proliférer. Cette observation de la communauté internationale pourrait nous inspirer sur l'Afghanistan.

Debut de section - Permalien
Cyril Robinet

Je ne suis pas spécialiste de l'Afghanistan. Néanmoins s'il s'agit d'un élément à prendre en compte, il ne s'agit surtout pas d'en faire la base de cette politique alternative.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Faure

Vous avez évoqué l'absence de volonté hégémonique de la Somalie, de prosélytisme, de velléités territoriales. Quel est le réel danger d'une Somalie dans laquelle les occidentaux n'iraient pas ? Pourquoi ne nous contentons-nous pas d'avoir une bonne base à Djibouti, qui serait à la fois une base d'intervention si nos intérêts sont compromis et une base pour la circulation maritime dans le golfe d'Aden ?

Debut de section - Permalien
Cyril Robinet

Ce discours est celui des partisans, dans les centres de recherche, de l'approche alternative, « doing less helps more ». Il y a deux aspects pour cette question : quel est le problème en Somalie et quelle est la solution, qui pourraient laisser supposer que moins d'engagement international permettrait aux Somali de reprendre le pas sur les islamistes. Ces réflexions académiques, centrées sur la question somalienne, ignorent le contexte international qui l'entoure : penser pouvoir se dégager du terrain somalien constitue un pari très risqué à l'heure où nous cherchons à lutter contre le terrorisme et à juguler la constitution d'un arc de crise islamiste. L'ambition demeure donc la restauration d'un Etat somalien. Celui-ci serait sans doute différent de celui de Siad Barre, et devrait avoir une dimension confédérale pour représenter une hypothèse acceptable pour les destinataires.

Debut de section - PermalienPhoto de André Dulait

Vous avez évoqué le développement du port de Berbera. Ce port intéresse-t-il toujours autant l'Ethiopie ? Il avait été évoqué comme débouché pour les matières premières éthiopiennes et également pour pallier le cas échéant le retard de la liaison ferroviaire qui rejoint Djibouti.

Debut de section - Permalien
Cyril Robinet

Le port de Berbera est un projet de toute première importance pour le Somaliland et pour l'Ethiopie. L'Ethiopie est un pays de 80 millions d'habitants, avec un potentiel de croissance économique énorme. Djibouti est saturé, et même si les infrastructures routières sont améliorées, cela ne sera pas suffisant, il faut trouver un autre moyen d'entrée et de sortie des marchandises en Ethiopie, et pour cela le port de Berbera est très important pour le développement éthiopien.

Un autre problème aussi pour l'Ethiopie est celui de l'Erythrée. Les deux pays n'ont pas vocation à rester ennemis, et lorsque les relations seront apaisées entre eux, il y aura alors trois ports pour les marchandises éthiopiennes. En attendant, à l'heure actuelle, le port de Berbera est nécessaire pour désengorger Djibouti.

Concernant les Djiboutiens, s'ils se réjouissent de l'existence du Somaliland, qui constitue ainsi une zone tampon les protégeant du conflit somalien, ils peuvent s'inquiéter de l'émergence d'un concurrent. On peut imaginer que les Américains et les Britanniques qui travaillent aujourd'hui à partir de Djibouti préfèreraient s'installer au Somaliland si cet Etat était reconnu. La France aussi est un partenaire très important du Somaliland, le groupe Bolloré a un projet pour le port de Berbera, qui devrait positionner la France comme le premier investisseur au Somaliland. En termes de relations diplomatiques, l'ambassadeur de France à Djibouti a été le premier ambassadeur à se rendre au Somaliland pour féliciter le nouveau président élu en juillet 2010. Il y a également une tradition francophone dans l'ouest du Somaliland. La France est très présente au Somaliland, et Djibouti pourrait s'en inquiéter, il convient donc de rassurer notre partenaire djiboutien en faisant passer le message que la France ne soutiendra pas l'un ou l'autre pays, mais bien les deux. La croissance éthiopienne pourrait être bloquée si ces deux débouchés maritimes ne s'offraient pas à elle : à long terme, Djibouti a donc tout à gagner du développement du port de Berbera, qui dynamisera encore plus l'économie éthiopienne.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Berthou

La situation me parait très compliquée, notamment du fait de la présence de nombreux clans. Pourriez-vous nous en dire un peu plus à ce propos, combien y en a-t-il, quelle est leur importance les uns vis-à-vis des autres ? Certains clans sont transfrontaliers, dans quelle mesure cela complique-t-il la situation ? On voit bien que le GFT ne pourra exister que dans la mesure où tous les clans y sont représentés.

Debut de section - Permalien
Cyril Robinet

La question des clans est très complexe. Pour schématiser, il existe cinq confédérations claniques, qui réunissent des clans eux-mêmes divisés en sous-clans.

La première confédération est celle des Darood, qui représentent 20 % de la population. Elle est divisée en deux branches, tout d'abord la branche Harti/Majerteen, qui occupe toute la zone du Puntland. Cette homogénéité clanique a donc contribué à l'émergence d'un régime autonome au Puntland. Cette branche est importante également puisque c'est le clan dont sont issus les descendants du fondateur du peuple somali. La deuxième branche est celle des Ogaden.

Les Darood sont confrontés à l'autre grande confédération clanique, les Hawiye. Nombre d'affrontements, ayant eu lieu dans les années 1990, opposaient ces deux clans. Ils occupent la partie entre Mogadiscio et le Puntland. Ils sont l'archétype des nomades indépendants qui vivent sur des terres désolées, avec leur bétail.

Une troisième confédération est celle des Dir, majoritaire à Djibouti (Dir/Issa) et dans les provinces frontalières. Ils ont su se préserver du conflit somalien.

Une quatrième confédération est celle des Issak. Ils constituent le clan majoritaire du Somaliland, situés au nord, donc excentrés du jeu somalien et de la bataille du sud, d'autant plus qu'ils ont créé leur entité indépendante.

Enfin, la dernière confédération est celle des Sab. C'est une confédération particulière, qui s'est créée à partir des « parias » des divers clans, regroupés entre les deux fleuves situés près de Mogadiscio. Ils se livrent à l'agriculture et détiennent les richesses, de ce fait sont l'objet d'attaques des autres confédérations claniques. C'est dans cette région, appelée Mésopotamie somalienne, que se concentrent les conflits.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Piras

Vous dites que la diplomatie française comme internationale ne peut se désintéresser d'un foyer d'islamisme radical qui peut déboucher sur le terrorisme. Quand on examine dans le monde les foyers réels ou potentiels d'islamisme radical, comme l'Afghanistan, le Yémen, la Somalie, le Sahel, ... on peut se demander quelle est notre capacité à pouvoir lutter.

Debut de section - Permalien
Cyril Robinet

Les foyers potentiels ne sont pas si nombreux. Je connais mal le dossier afghan, donc je ne m'exprimerai pas dessus. Le Yémen peut poser problème, comme la Somalie, puisqu'il s'agit d'une société clanique, donc il sera nécessaire de faire attention aux approches à employer. L'Union africaine est engagée en Somalie, mais le Yémen se trouve sur la péninsule arabique. On peut donc espérer que les pays voisins prennent en compte la menace que pourrait représenter un Etat failli au Yémen, et agissent avec le soutien de la communauté internationale.

La situation au Sahel est peu comparable, car il n'y a pas de velléités d'indépendance, le problème est principalement que le territoire est immense et difficile à sécuriser totalement par les Etats. La France a encouragé la mise en place d'un Plan Sahel, qui vise à renforcer les capacités sécuritaires de ces Etats, à les aider à reprendre le contrôle de leurs frontières et de leur espace. Il s'agit d'une approche interministérielle incluant des volets économiques, d'aide au développement et sécuritaires, notamment militaires. Dans cette région, la question des clans, ou des ethnies, n'est pas aussi aiguë que dans la corne de l'Afrique.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Boulaud

Concernant le Yémen, vous avez raison de souligner qu'il n'est pas souhaitable que les occidentaux interviennent en premier au Yémen, et cela confirme les propos de Jean-Pierre Filiu, que nous avions auditionné il y a quelques mois, et qui disait que la pire erreur que pourraient faire les occidentaux au Yémen serait d'intervenir, car c'est ce qu'attend Al Qaeda.

Debut de section - PermalienPhoto de Josselin de Rohan

Je suis perplexe. Intervenir dans les affaires intérieures de la Somalie est désastreux, néanmoins rester à attendre est impossible, puisque la Somalie est située sur une zone de trafic maritime, tout comme le Yémen. Si on laisse se développer des zones de non-droit ou des zones islamistes dans ce secteur, je ne vois pas comment les pays qui tiennent à la sécurité de leurs approvisionnements pourraient rester sans agir.

Par ailleurs, on ne peut pas lutter contre la piraterie sans savoir ce qu'il faut faire des pirates. C'est un problème auquel nous sommes confrontés. Où les juger ? Où les incarcérer ? Si on les relâche, ils recommencent. Ils prennent des navires et des personnes en otages, vous avez rappelé les chiffres, 17 navires et 369 otages. On ne peut pas ne pas intervenir en Somalie. En encourageant le maintien d'une unité qui n'existe pas, avons-nous raison ? Ne serait-il pas plus optimal d'encourager les entités qui se créent, comme le Puntland et le Somaliland, dans la mesure où ils veulent devenir des Etats indépendants, souverains et stables ?

Debut de section - PermalienPhoto de Joëlle Garriaud-Maylam

Que pensez-vous de la demande de l'Australie à l'ONU de mettre en place un blocus de la Somalie ?

Debut de section - Permalien
Cyril Robinet

Les demandes de blocus de la Somalie sont récurrentes. Cela pourrait prendre plusieurs formes. La première serait d'empêcher les pirates de sortir en restant près des côtes. La deuxième serait un blocus du port de Kismaayo, à l'extrême sud de la Somalie, contrôlé par Al Shabaab et soupçonné d'être le point d'entrée des armes en Somalie. Une troisième forme de blocus consisterait à mettre en application la résolution 1910 des Nations-Unies du 23 décembre 2009, et qui condamne l'Erythrée pour le soutien qu'elle apporte aux islamistes somaliens. Cette résolution pourrait déboucher sur la demande d'un blocus réel, aérien, terrestre et maritime de l'Erythrée.

Quoi qu'il en soit, on n'est pas sûr du succès que pourraient remporter de tels blocus. A noter aussi que ces options ne seraient pas sans conséquence sur la France du fait de sa présence militaire dans la région.

Certains pays reprochent à la communauté internationale son inaction en Somalie, et nombreux sont ceux qui demandent un blocus, une intervention militaire ... les demandes sont nombreuses mais peuvent parfois manquer de réalisme.

Debut de section - PermalienPhoto de Josselin de Rohan

La communauté internationale ne reste pas passive, mais la situation est complexe. Agir est contreproductif, ne pas agir aussi !

Avec l'opération Atalante, outre le fait que nous défendons nos intérêts, nous affirmons aussi notre présence militaire dans la région.

Debut de section - Permalien
Cyril Robinet

La piraterie fait peser deux types de menaces. La menace actuelle et immédiate est une menace financière qui pèse essentiellement sur les compagnies d'assurance et les armateurs. C'est un problème qui a fait augmenter les coûts du commerce maritime mondial. En réponse, l'opération Atalante a été montée, et est une réussite de la politique de sécurité et de défense commune. Mais la plus grande des menaces est, à moyen terme, la jonction potentielle entre les pirates et les islamistes. Si la réalité de cette jonction n'a encore été confirmée par aucune administration, on a néanmoins entendu parler d'une forme de collusion entre certains groupes de pirates et certains islamistes. Aucune coopération opérationnelle n'est avérée, mais dans le doute, les opérations navales de lutte contre la piraterie sont en effet un moyen d'assurer une présence internationale dans la région.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Boulaud

A vous entendre, heureusement qu'il y a l'opération Atalante pour entretenir l'illusion d'une politique européenne de sécurité et de défense.

Debut de section - PermalienPhoto de Josselin de Rohan

Quand on est armateur, on a intérêt à passer par le canal de Suez plutôt que par le cap de Bonne-Espérance, car la route la plus courte est la moins chère, sauf si des pirates attaquent et confisquent le bateau. C'est pour ça que les pays concernés ne peuvent laisser cette zone se développer comme une zone de non-droit et une route impraticable. Elle est stratégique et à ce titre, sera militairement parlant un problème.

La commission entend une communication de M. Josselin de Rohan, président, sur le contrôle de l'application des lois pour la session parlementaire 2009-2010.

Debut de section - PermalienPhoto de Josselin de Rohan

Mes chers collègues, l'essentiel de l'activité législative de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées consiste en l'examen de projets de loi autorisant la ratification ou l'approbation de traités ou accords internationaux. Au cours de l'année parlementaire 2009-2010, le Sénat a adopté en séance publique 37 accords internationaux relevant de la compétence de la commission. Certains de ces accords n'ont pas encore été examinés par l'Assemblée nationale et les lois n'ont donc pas toutes été promulguées. Dans tous les cas, ces conventions et accords ne sont pas pris en compte dans le contrôle de l'application des lois.

A côté des conventions et accords, la commission a examiné, en tant que commission saisie au fond, trois projets de loi intéressant des questions de défense. Il s'agit de :

- la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français ;

- la loi n° 2010-819 du 20 juillet 2010 tendant à l'élimination des armes à sous-munitions ;

- la loi n° 2010-873 du 27 juillet 2010 relative à l'action extérieure de l'Etat.

Sur le premier texte, un peu plus de 6 mois après sa promulgation, toutes les mesures d'application prévues ont été prises, soit un taux de mise en application de 100 %. La commission se félicite de ce résultat.

Pour les deux autres textes, au 30 septembre 2010, aucun des décrets d'application qu'appellent ces deux lois n'avait été pris. Cependant, ayant été promulguées il y a 2 mois, il est encore trop tôt pour en tirer un bilan positif ou négatif.

Concernant les lois antérieures, je vous rappelle que, lors de la session parlementaire précédente, notre commission avait été saisie au fond sur deux projets de loi. Un peu plus d'un an après leur promulgation, la loi n° 2009-971 du 3 août 2009 relative à la gendarmerie nationale et la loi n° 2009-928 du 29 juillet 2009 relative à la programmation militaire pour les années 2009 à 2014 et portant diverses dispositions concernant la défense sont applicables respectivement à 80 % et 67 %. La commission se félicite de ce résultat, tout en encourageant le gouvernement à prendre les mesures manquantes.

Après ces appréciations positives, je voudrais soulever ici un point qui me paraît problématique. En effet, bien que les projets de loi autorisant la ratification de conventions ou traités ne donnent pas lieu à des mesures d'application, la commission relève que des améliorations significatives pourraient être apportées tant sur le dépôt des projets de loi, qui portent souvent sur des accords anciens de plusieurs années, que sur leur date de publication au Journal officiel.

J'en veux pour preuve le projet de loi autorisant la ratification de la convention entre la République française et le Royaume des Pays-Bas, relative à l'assistance mutuelle et à la coopération entre leurs administrations douanières, en vue d'appliquer correctement la législation douanière, de prévenir, de rechercher, de constater et de réprimer les infractions douanières dans la région des Caraïbes, et notamment sur l'île de Saint-Martin. Cet accord a été signé le 11 janvier 2002 mais n'a été déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale que le 7 juillet 2010. D'après les informations recueillies auprès du ministère des affaires étrangères, le nouveau dispositif juridique devait prendre effet le 10 octobre 2010 au plus tard. Le gouvernement a inscrit l'examen de ce projet de loi en session extraordinaire. Après l'Assemblée nationale, le Sénat a adopté ce projet de loi le 30 septembre 2010 alors que, grâce aux compétences de notre collègue Marcel-Pierre Cléach, il avait été rapporté devant notre commission la veille. Or, au 10 octobre, ce texte n'avait pas encore été officiellement publié, rendant ainsi l'entrée en vigueur problématique à cette date. La loi en question a finalement été promulguée le 12 octobre 2010, et publiée au Journal officiel du 13 octobre 2010.

La commission souhaite donc une meilleure vigilance du gouvernement sur ce point. Il n'est pas normal que des conventions signées par le gouvernement restent dans les tiroirs pendant des années, dans l'attente que ces retards se transforment en urgence absolue et qu'on demande au Parlement de traiter la question dans la plus grande précipitation.

Je compte saisir le ministre des affaires étrangères et européennes de cette situation que nous pouvons sans doute améliorer.

chers collègues, je vous invite à vous référer à la note qui vous a été distribuée pour plus de renseignements sur ce contrôle de l'application des lois. Si nous ne pouvons que nous féliciter de la prise de ces mesures d'application, la commission restera tout de même très attentive et veillera à ce que les mesures prévues soient effectivement prises.

Debut de section - PermalienPhoto de André Vantomme

Concernant la loi relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français, le taux de mise en application est certes de 100 %, mais il y a tout de même eu des problèmes entre la volonté politique exprimée dans cette commission et la déclinaison qui en a été faite au niveau des décrets d'application, notamment dans l'établissement de la liste des maladies reconnues et ouvrant droit à indemnisation.

Debut de section - PermalienPhoto de Josselin de Rohan

Effectivement, pour certaines maladies, comme le lymphome, nous avions demandé qu'elles soient inscrites sur la liste, mais il y a eu une interprétation plus restrictive. J'ai saisi le ministère à ce propos, il m'a été répondu qu'à ce stade des analyses complémentaires devaient être effectuées afin de vérifier le lien entre ces maladies et les essais nucléaires français.

Debut de section - PermalienPhoto de Joëlle Garriaud-Maylam

Une conférence sur l'élimination des armes à sous-munitions est prévue prochainement à Vientiane, au Laos. Il serait gênant que toutes les mesures de mise en application de la loi relative à l'interdiction des armes à sous-munitions ne soient pas publiées d'ici là. Serait-il possible d'attirer l'attention du gouvernement sur ce point ?

La commission désigne ses rapporteurs pour avis sur le projet de loi de finances pour 2011 :

pour la mission « Action extérieure de l'Etat » :

Debut de section - PermalienPhoto de André Trillard

. moyens de l'action internationale : M. André Trillard ;

Debut de section - PermalienPhoto de Monique Cerisier-ben Guiga

. action culturelle et scientifique extérieure : Mme Monique Cerisier-ben Guiga ;

- pour la mission « Médias » :

Debut de section - PermalienPhoto de Joseph Kergueris

. audiovisuel extérieur : M. Joseph Kergueris ;

- pour la mission « Aide publique au développement » :

Debut de section - PermalienPhoto de André Vantomme

. aide publique au développement : MM. Christian Cambon et André Vantomme ;

- pour la mission « Immigration, asile et intégration » :

Debut de section - PermalienPhoto de André Trillard

. immigration et asile : M. André Trillard ;

- pour la mission « Défense » :

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Louis Carrère

. préparation et emploi des forces : MM. André Dulait et Jean-Louis Carrère ;

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Boulaud

. environnement et soutien de la politique de défense : M. Didier Boulaud ;

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Reiner

. équipement des forces : MM. Xavier Pintat et Daniel Reiner ;

- pour la mission « Sécurité » :

La commission nomme M. Jean-Etienne Antoinette rapporteur sur le projet de loi n° 2845 (AN - 13è législature), en cours d'examen à l'Assemblée nationale, autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République fédérative du Brésil dans le domaine de la lutte contre l'exploitation aurifère illégale dans les zones protégées ou d'intérêt patrimonial.

Debut de section - PermalienPhoto de André Vantomme

J'ai eu l'honneur de participer avec Mme Idrac à un déplacement en Mongolie pour finaliser un accord sur la fourniture d'uranium. Je pense qu'il pourrait être intéressant de travailler sur ce pays, qui est un petit pays de 3 millions d'habitants, mais qui dispose de ressources en minerais, notamment charbon, cuivre, uranium ... avec des perspectives importantes, nos entreprises d'ailleurs sont déjà implantées là-bas. Je pense que si nous pouvions profiter à l'occasion d'une visite à Paris de l'ambassadeur de France à Oulan-Bator pour qu'il vienne devant notre commission, il pourrait être très intéressant de l'entendre.

Debut de section - PermalienPhoto de Josselin de Rohan

Nous prenons acte de votre proposition. Concernant le programme de travail, M. Jean François-Poncet a demandé en réunion de bureau que nous nous intéressions au cas de la Belgique. Un constitutionnaliste belge réputé devrait donc intervenir prochainement devant notre commission afin de nous faire un exposé sur la situation en Belgique.

Debut de section - PermalienPhoto de Joëlle Garriaud-Maylam

Il pourrait être également intéressant de faire le point sur la situation en Birmanie, à l'occasion des élections qui se profilent.

Debut de section - PermalienPhoto de Josselin de Rohan

Ce n'est pas un sujet inintéressant, mais il ne sera pas évident de trouver un créneau.