La séance, suspendue à dix-neuf heures trente-cinq, est reprise à vingt et une heures trente-cinq.
La séance est reprise.
M. le président du Conseil constitutionnel a informé le Sénat, le 27 septembre 2010, qu’en application de l’article 61-1 de la Constitution le Conseil d’État a adressé au Conseil constitutionnel une décision de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité (2010-71 QPC).
Le texte de cette décision de renvoi est disponible au bureau de la distribution.
Acte est donné de cette communication.
(Texte de la commission)
Nous reprenons la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, portant nouvelle organisation du marché de l’électricité.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Jean-Claude Merceron.
Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la France a fait un choix politique audacieux et un choix de société en décidant de bâtir sa politique énergétique autour de l’électricité nucléaire à partir des années soixante-dix.
Ce choix visionnaire permet à la France de disposer aujourd’hui d’un parc nucléaire qui nous est envié par de nombreuses puissances, car il couvre près de 80 % de notre production d’électricité sans émission de dioxyde de carbone, l’énergie hydraulique couvrant en outre 12, 5 % supplémentaires.
La France a vu émerger des champions de l’industrie énergétique et dispose aujourd’hui d’une capacité installée supérieure à sa consommation, sauf en période de pointe.
Certes, le traitement des déchets nucléaires reste le talon d’Achille de cette politique, mais – il faut le reconnaître – nous profitons aujourd’hui largement des avantages que procure l’existence du parc nucléaire historique.
En effet, au-delà des avantages écologiques en termes d’émissions de dioxyde de carbone, l’électricité nucléaire assure, une fois l’investissement réalisé, une électricité bon marché.
Ce faible coût est répercuté sur les tarifs réglementés de l’électricité française, 30 % moins chère que nos voisins européens, voire 35 % moins chère qu’en Allemagne, première puissance industrielle européenne.
En outre, à l’heure où l’approvisionnement en matières fossiles commence à susciter de vraies luttes géopolitiques et où les cours des marchés sont volatiles, notre indépendance énergétique est une force.
Bien sûr, cet héritage, qu’on appelle le « nucléaire historique », n’est pas sans limites. C’est pour cela qu’il faut se garder de raisonner en termes d’« avantages acquis ».
Première limite, l’électricité bon marché et en quantité aujourd’hui suffisante n’incite que peu au développement de nouvelles capacités de production et au renforcement de l’efficacité énergétique, alors même que cela paraît nécessaire pour atténuer les effets de la hausse structurelle de la demande. Je pense notamment à l’équipement des ménages et à la densification des réseaux de transports électrifiés.
Deuxième limite, la situation française n’est pas régulière au regard du droit communautaire. Les tarifs réglementés, qui ont diminué de 35 % à 40 % en vingt-cinq ans, sont assimilés à des aides d’État et provoquent l’ire de la Commission, car ils ne permettraient pas de couvrir le coût « réel » de l’électricité achetée par les opérateurs concurrents.
C’est justement cette considération tarifaire ainsi que le quasi-monopole d’EDF sur les moyens de production et la commercialisation de l’électricité qui ont déclenché l’injonction de Bruxelles de réorganiser le marché français de l’électricité.
C’est donc une réorganisation « forcée » à laquelle nous procédons aujourd’hui, résultant d’un compromis a minima âprement négocié entre le Gouvernement et la Commission européenne.
Sa portée se limite à des mesures « transitoires », qui ont vocation à conformer le marché français de l’électricité jusqu’en 2025, selon les recommandations de la commission Champsaur, dont je salue le travail.
Mais si le projet de loi est une réponse politique a priori suffisante au regard de la Commission, il n’est pas évident que le subtil équilibre de ce texte contente, en cas de recours, la Cour de justice de l’Union européenne, plus dogmatique dans la défense des principes de concurrence et l’interdiction des mesures assimilables à des aides d’État.
En effet, il faut le reconnaître, le projet de loi portant nouvelle organisation du marché de l’électricité, ou NOME, reste timoré au regard du droit de la concurrence.
D’une part, le projet de loi limite les avancées concurrentielles aux seuls aspects commerciaux de la vente d’électricité, qui représentent seulement 7 % du prix de l’électricité.
D’autre part, dans sa rédaction actuelle, le projet de loi ne favorise pas la concurrence dans la production d’électricité.
Par exemple, en fixant un prix de l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique, l’ARENH, « en cohérence » avec le tarif réglementé transitoire d’ajustement du marché, le TARTAM, on permet, au mieux, à partir de 2015, d’instituer une concurrence sur le marché des industriels, mais évidemment pas sur le marché des particuliers.
Or ceux-ci représentent 86 % des sites et un tiers de la consommation d’électricité. En outre, ce sont eux qui sont les principaux destinataires de la politique engagée afin d’améliorer l’efficacité énergétique domestique, comme les comportements de maîtrise de la consommation énergétique, et qui stimuleront en conséquence la diversité et la qualité des offres commerciales en fourniture énergétique. On peut notamment penser au développement industriel d’un réseau dit « communicant », en expérimentation à Tours et à Lyon.
Bien entendu, théoriquement, l’ouverture à la concurrence sur ces sites résidentiels existe depuis 2007. Mais le ciseau tarifaire entre les prix de marché et les tarifs réglementés en a fortement limité la portée. En effet, seuls 5 % d’entre eux ont souscrit une offre auprès d’opérateurs alternatifs, contre 50 % en Grande-Bretagne, depuis la libéralisation de leur marché.
En ce sens, le projet de loi vise à atteindre un objectif que nous soutenons, mais il le fait de manière trop imparfaite, en évinçant de la concurrence l’activité de production et le segment de marché des particuliers.
Voilà pourquoi nous proposons un amendement visant à réduire le ciseau tarifaire entre l’ARENH et les tarifs réglementés, et à favoriser l’investissement dans les moyens de production, afin que le projet de loi constitue un cadre pour une concurrence saine et durable.
Il faut, d’ailleurs, tordre le cou à une idée reçue selon laquelle la concurrence affaiblirait notre champion EDF : le marché de l’énergie n’est pas un gâteau dont la multiplication des parts réduirait d’autant leur taille.
Le marché de l’énergie s’envisage au-delà de nos frontières nationales dans un cadre communautaire et l’activité peut se diversifier autour d’offres annexes, qui font grossir d’autant la taille du gâteau. C’est pour cette raison, d’ailleurs, que nous proposerons un amendement visant à prévoir que l’obligation de capacité des producteurs d’électricité doit tenir compte des interconnexions avec le marché européen.
Si le mécanisme de l’ARENH semble répondre a minima aux attentes de Bruxelles, il s’avère insuffisant pour inciter les opérateurs alternatifs à effectuer des investissements pourtant porteurs d’avenir dans les moyens de production de base.
Il faudrait, au contraire, appliquer la citation de Confucius : quand un homme a faim, mieux vaut lui apprendre à pêcher que de lui donner un poisson.
Or, le mécanisme de l’ARENH est un poisson donné aux opérateurs alternatifs : sa pérennité n’est pas assurée et sa portée en termes de concurrence durable dans la production d’électricité n’est pas optimale.
Pour agir de manière durable en faveur d’un marché concurrentiel de l’énergie en France, il ne faudrait pas se contenter de céder aux opérateurs alternatifs à prix coûtant un certain volume d’électricité nucléaire ; il conviendrait aussi de leur apprendre à pêcher, c’est-à-dire les inciter à investir dans des moyens de production propres.
Cette vision est partagée par plusieurs de mes collègues du groupe de l’Union centriste. Nous ferons, par conséquent, des propositions constructives pour assurer un fonctionnement optimal du marché de l’électricité.
Tout d’abord, nous proposons de fixer le prix de l’ARENH en cohérence non pas avec le seul TARTAM, mais également avec le coût de production de l’énergie électrique tel qu’il est comptabilisé dans la formation des tarifs réglementés de l’électricité. L’idée est la suivante : quel que soit le prix de l’ARENH, les prix de revente aux consommateurs finaux devront permettre à l’acteur historique et aux acteurs alternatifs de dégager une marge suffisante pour procéder aux investissements qui assureront l’avenir de notre politique énergétique après 2025.
En conséquence, il faut faire de l’approche transitoire proposée par le projet de loi un levier pour le développement de nouvelles capacités de puissance françaises de pointe, mais aussi de base. Car si les capacités sont suffisantes jusqu’en 2025, ce ne sera plus le cas après cette date.
Le rapport de la commission Champsaur expose en effet qu’« il serait nécessaire de mettre en service […] de 700 à 1 000 gigawatts de nouvelles centrales sur l’ensemble de l’Europe pour remplacer les centrales vétustes et faire face à l’accroissement – au demeurant relativement modeste – de la demande d’électricité ».
Or le « temps de mise en œuvre » de ces nouveaux moyens de production étant excessivement long, entre la décision d’investissement, la construction et la mise en service, il est nécessaire d’anticiper l’après-ARENH dans le présent projet de loi.
Outre ces considérations concurrentielles, le groupe de l’Union centriste proposera également un amendement visant à atténuer la tendance structurellement à la hausse des tarifs réglementés, qui devraient, à terme, converger vers les tarifs de marché. J’en profite pour rappeler que ce mécanisme est structurel et indépendant du projet de loi. Il faut bien financer le coût de l’allongement puis du renouvellement du parc nucléaire français. Dans cette perspective, mon groupe a déposé deux amendements visant à rendre automatique le bénéfice de tarifs particuliers pour les plus démunis.
Il est en effet possible d’avoir une approche libérale de l’économie tout en étant soucieux d’en corriger les effets pervers auprès des populations les plus fragiles. C’est du moins dans cet esprit que les membres de l’Union centriste aborderont le débat.
Enfin, le groupe de l’Union centriste sera attentif à ce que la Commission de régulation de l’énergie soit un régulateur fort et indépendant, capable de fixer les prix sur la base de considérations économiques et non politiques, de surveiller les pratiques concurrentielles et d’anticiper les besoins d’investissement dans les capacités de production.
Pour clore cette intervention, je souhaite simplement formuler un souhait afin de corriger une faiblesse du projet de loi. La réussite de la nouvelle organisation du marché de l’électricité tiendra à la visibilité que les opérateurs industriels pourront avoir sur l’après-ARENH. Or le projet de loi ne prévoit pas de sortie progressive du mécanisme de l’ARENH, ce qui est regrettable.
De même, la détermination d’une stratégie claire en termes de politique énergétique pour les quarante prochaines années serait souhaitable, afin que la politique nucléaire ne subisse pas la même insécurité juridique que celle que connaît aujourd’hui la filière photovoltaïque.
Applaudissements sur les travées de l ’ Union centriste et de l ’ UMP.
La parole est à M. Roland Courteau. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, monsieur le rapporteur pour avis, mes chers collègues, « la loi NOME : dernier avatar d’un processus délétère », ai-je pu lire quelque part.
Désormais, vu l’enchaînement des épisodes précédents, la question est posée : à quand le coup de grâce pour le système français de l’électricité ?
Il s’agit, pourtant, d’un système que la France avait construit avec succès en 1946, après avoir tiré les leçons d’un passé confié aux compagnies privées de l’eau et de l’éclairage.
Ainsi, alors que dans le même temps on assiste à la montée en puissance d’énormes intérêts privés, nombreux sont ceux qui parlent de revanche sur 1946.
Il est un peu trop facile d’évoquer les exigences européennes alors que les plus libéraux d’entre vous prennent appui sur ces mêmes exigences pour mieux détricoter notre système énergétique. Je rappellerai à la majorité que très souvent elle est allée bien plus loin que ce qu’exigeait l’Union européenne. Je reviendrai sur ce point ultérieurement.
Cela dit, dans quelle nouvelle galère nous pousse encore le rouleau compresseur libéral alors que partout dans le monde l’ouverture à la concurrence et la libéralisation connaissent un retentissant échec ?
En effet, pour tous ceux qui ont cru aux comptes fantastiques de la fée libérale, le retour sur terre est amer. Dans quel imbroglio kafkaïen nous a-t-on fourrés depuis 2002 et quel monument de complexité nous proposez-vous là ? Et dire qu’un slogan publicitaire claironne : « nous vous devons plus que la lumière » !
Sourires sur les travées du groupe socialiste.
Vous proposez ainsi de contraindre EDF à céder 25 % de sa production à la concurrence. C’est le fameux accès régulé à l’électricité nucléaire historique, l’ARENH. Mais à quel prix ! EDF ne demande pas moins de 42 euros par mégawattheure, soit le prix du TARTAM. GDF-Suez, par exemple, ne revendique pas plus de 34 euros ou de 35 euros le mégawattheure. Je vous fais observer, chers collègues, que la différence entre 34 euros et 42 euros représente 800 millions d’euros.
Un écart d’un seul euro, en plus ou en moins, de l’ARENH se traduit par 100 millions d’euros, en plus ou moins, pour EDF ou pour les fournisseurs privés. Et comme le prix de l’ARENH est renvoyé à des mesures réglementaires, ce qui, paraît-il, donne déjà bien du plaisir aux fonctionnaires du ministère, nous allons assister, au fil des ans, à une bataille sans fin pour empocher cette rente nucléaire.
Rien n’y changera, car le projet de loi NOME est par nature instable. Mais, surtout, et quoi que l’on nous dise, ce texte est un texte d’augmentation des prix.
Je m’explique. À quel niveau sera fixé le prix de l’ARENH ? Peut-être à 42 euros le mégawattheure. Peut-être par la suite à un niveau plus bas. Or 1 euro ou 2 euros, c’est tout de même 100 millions ou 200 millions d’euros de moins pour EDF. Mais dans ce cas, il faudra bien accorder une compensation à EDF, en autorisant, par exemple, une augmentation des tarifs pour les ménages et les petits consommateurs.
M. Roland Courteau. D’ailleurs, la mécanique infernale a déjà été enclenchée, par anticipation, en plein 15 août, jour de « l’assomption électrique »
Rires et applaudissements sur les travées du groupe socialiste.
… avec une augmentation de 3 % à 5, 5 %.
La Commission de régulation de l’énergie, la CRE, a d’ailleurs annoncé que les tarifs bleus pourraient augmenter d’environ 11 % pour 2011 et ensuite de 3, 5 % par an. Au final, les cadeaux en faveur des fournisseurs alternatifs seront payés par les consommateurs.
Certes, les tarifs réglementés seront maintenus pour les ménages, mais, à terme, d’augmentation en augmentation, nous irons vers un rapprochement des tarifs réglementés avec les prix du marché, donc vers la disparition des tarifs réglementés. N’est-ce pas en fait l’objectif visé ? C’est alors que, pour faire passer la pilule, de belles explications nous seront fournies.
J’imagine qu’on nous dira, sur tous les tons, que l’énergie est rare, donc chère, et qu’il faut investir dans de nouveaux moyens de production, donc payer l’électricité plus chère.
Peut-être nous dira-t-on même qu’à quelque chose malheur est bon et que l’augmentation des prix obligera les consommateurs à économiser l’électricité, ce qui sera très positif pour l’environnement. Je parie que l’on osera nous dire que cette augmentation est vertueuse.
Sourires sur les travées du groupe socialiste.
Il n’est pas sûr, cependant, que l’on évoquera la baisse du pouvoir d’achat des ménages, l’aggravation de la précarité énergétique ou l’atteinte grave à la compétitivité de nos entreprises.
Sur ce point, je ferai une remarque : à partir de 2015, votre projet supprime les tarifs verts et jaunes, tandis que l’extinction du TARTAM est programmée.
L’étude d’impact semble montrer que les entreprises ne rencontreront pas de problèmes. Elles bénéficieront grâce à l’ARENH d’une électricité à un prix d’équilibre inférieur à celui du marché. Or rien n’est moins sûr.
Par exemple, aujourd’hui, dans de nombreux cas, le TARTAM couvre toute la consommation du client. Demain, l’ARENH devra être majoré, d’abord de la marge du fournisseur, mais aussi de la part complémentaire d’électricité que le consommateur devra acheter au prix du marché. Par conséquent, déjà, le coût sera plus élevé.
Par ailleurs, certains économistes font remarquer qu’après la disparition des tarifs jaunes et verts et du TARTAM, l’ARENH – 100 térawattheures – ne couvrira pas la totalité des besoins des industriels estimés à plus de 232 térawattheures. D’où un phénomène de rareté, et donc un alignement des prix sur la bourse de gros de l’électricité. D’où des prix en forte augmentation. Déjà, la SNCF annonce qu’elle sera obligée d’augmenter ses tarifs.
M. Roland Courteau. Quelles seront les conséquences de ce texte pour nos territoires quand on sait que le prix de l’électricité est un facteur important de localisation industrielle ou de délocalisation ?
Très juste ! sur plusieurs travées du groupe socialiste.
Mais tout le monde ne perdra pas à ce jeu.
Les gagnants seront les fournisseurs privés, qui empocheront une partie de la rente. Les perdants seront les consommateurs, qui, eux, ne la percevront plus.
Bref, au nom du dogme de la concurrence, on saborde l’un de nos principaux avantages compétitifs. Les industriels apprécieront !
Pour l’heure, ce n’est donc pas un concert de louanges qui accompagne ce projet de loi. J’entends parler de « spoliation d’un bien commun », de « patrimoine bradé », de « mise en concurrence forcenée », de « texte juridiquement fragile ».
D’autres, comme vous, monsieur le rapporteur, font cependant remarquer que « Si le nouveau système donne des parts de marché aux concurrents sans contrepartie en investissements, nous aurons tout raté. »
Vous avez même fait connaître la crainte qui était la vôtre que cette loi ne fonctionne que partiellement. Vous avez indiqué que, dans ce cas, vous pourriez faire d’autres propositions, mais elles ne nous conviennent pas davantage. Nous nous en expliquerons lors de la discussion des articles.
Monsieur le rapporteur, il est erroné de dire, comme vous l’avez fait tout à l’heure, qu’il y a eu ouverture du capital pour les centrales nucléaires de Fessenheim, de Cattenom, de Bugey. Non, il n’y a pas de prise de participation capitalistique. En revanche, il existe des contrats en participation, ce qui n’est pas du tout la même chose – nous reviendrons sur ce point au cours de la discussion des articles. Dans ces cas-là, il n’y a aucun droit de gouvernance ni de participation aux décisions financières ou industrielles.
Voilà donc où nous en sommes, chers collègues. Et tout cela, depuis huit ans, sur fond de maelström législatif européen et français.
Et tout cela, d’ailleurs, sur fond de promesses non tenues. Souvenez-vous : « Il n’y aura pas de privatisation d’EDF et de GDF, c’est clair, c’est simple et c’est net », avait déclaré le ministre des finances Nicolas Sarkozy à Chinon. Il ajoutait : « Je veux décliner ces deux valeurs que sont la confiance dans la parole donnée et le respect… »
Sourires sur les travées du groupe socialiste.
, avant de conclure : « Je n’ai pas envie de mentir aux Français, je pense que cela fait trop longtemps que le débat politique souffre d’un manque d’authenticité, d’honnêteté. »
Applaudissements sur les mêmes travées.
Deux ans après, GDF était privatisé ! Une fois de plus, mesdames, messieurs de la majorité, vous êtes allés plus loin que ce qu’exigeait l’Europe.
Et le rouleau compresseur libéral a continué d’avancer, alors que, partout dans le monde, l’augmentation des prix, la panne de l’investissement sont au rendez-vous de la libéralisation et de l’ouverture à la concurrence. Partout, les prix ont flambé : 49 % d’augmentation en Allemagne, 81 % au Royaume Uni, 92 % au Danemark… Pour la France, dès l’ouverture du marché aux gros consommateurs, même musique ! À tel point qu’il a fallu inventer – et je sais que vous y êtes pour quelque chose, monsieur le rapporteur – le tarif réglementé transitoire d’ajustement du marché, le fameux TARTAM. Ailleurs dans le monde, on a fait marche arrière ; en Europe et en France on persiste !
La recherche de la concurrence – le fameux dogme de la concurrence – est toujours une fin en soi, à tel point que, faute de pouvoir la faire émerger, y compris aux forceps, dans un secteur comme celui de l’énergie, incompatible avec les mécanismes concurrentiels, il vous faut aujourd’hui la créer artificiellement, quitte à casser ce qui a fonctionné parfaitement bien pendant plus de cinquante ans.
Toujours, ce trouble obsessionnel de la concurrence, le fameux TOC qu’aime à citer mon collègue Daniel Raoul, éminent spécialiste.
Sourires sur les travées du groupe socialiste.
Il semblerait même que la doctrine soit la suivante : le libéralisme ne marche pas, parce la libéralisation n’est pas poussée assez loin ! Donc, on s’enfonce plus encore. Mais quand on arrive au fond du trou, chers collègues de la majorité, il faut impérativement arrêter de creuser ! Observez ce qui se passe dans le monde : les pionniers de la libéralisation tous azimuts semblent avoir enfin compris qu’il est temps de faire marche arrière.
Alors, que reproche-t-on à la France ? D’avoir des prix trop bas ! En clair, on nous reproche d’avoir réussi à bâtir un modèle à part, cité en exemple dans le monde entier. Bref, un vrai crime de lèse-concurrence !
Pour nous récompenser d’avoir pris des risques financiers et industriels, on nous demande aujourd’hui, au nom de la sacro-sainte concurrence, de brader nos productions et notre patrimoine commun. On nous demande d’amputer EDF d’une partie de sa production, cédée à prix coûtant aux opérateurs privés. Bel exemple de concurrence artificielle ! Étrange exemple de concurrence non faussée !
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.
M. Roland Courteau. En fait, on demande d’une certaine manière au secteur public, jugé peut-être trop performant, de subventionner la concurrence qui, elle, ne l’est pas assez…
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.
« On marche sur la tête », disait Marcel Boiteux. « Quand les bornes sont franchies, il n’y a plus de limites… ». Je voudrais bien que l’on m’explique où se trouve, dans tout cela, l’intérêt général du pays.
Je rappellerai aussi que la finalité de la création du marché européen était l’intérêt des consommateurs.
M. Jacques Blanc s’exclame.
Par ailleurs, n’oublions jamais que l’acceptation du nucléaire par les Français passe par une politique tarifaire juste et par le maintien dans un pôle public de notre appareil de production. Gardons-nous d’oublier que l’électricité est un bien indispensable, non stockable, de première nécessité et non une simple marchandise.
Gardons-nous d’oublier que la précarité énergétique est un mal qui est en train de toujours plus progresser. Gardons-nous d’oublier qu’après avoir été un vecteur de correction des inégalités sociales et territoriales, le secteur de l’énergie ne doit pas contribuer au creusement des inégalités ! Se chauffer représente aujourd’hui 15 % du budget d’un ménage modeste, contre 6 % pour les catégories aisées... Et demain, monsieur Jacques Blanc ? Arrêtons les frais !
Aujourd’hui, le problème n’est plus de faire baisser les prix, mais d’accepter ou non de les laisser monter pour s’aligner progressivement sur ceux du marché. Beau résultat que voilà ! Où est l’intérêt du consommateur ? On nous avait dit qu’il fallait ouvrir l’électricité à la concurrence pour faire baisser les prix, et voilà qu’aujourd’hui il faut les augmenter pour permettre la concurrence. Oui, on marche sur la tête !
Pourtant, les fondements d’une alternative existent.
Prenons l’article 90 du traité de Rome, devenu article 106, paragraphe 2, de la nouvelle version du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Il stipule, notamment, que « les entreprises chargées de la gestion des services d’intérêt économique général ou présentant le caractère d’un monopole fiscal sont soumises aux règles des traités, notamment aux règles de concurrence, dans les limites où l’application de ces règles ne fait pas échec à l’accomplissement, en droit ou en fait, de la mission particulière qui leur a été impartie.» Qui peut affirmer ici que le service de l’électricité ne relève pas de cette mission particulière ?
Voilà une voie que l’on aurait dû emprunter, afin d’exonérer du respect des règles strictes de la concurrence certains services publics d’intérêt général, comme celui de l’énergie. Je rappelle que, lors du Conseil informel « Énergie » de septembre 2010, plusieurs ministres représentant plusieurs États membres ont reconnu que la concurrence ne faisait pas baisser les prix : les choses bougent, elles commencent à évoluer.
De plus, pourquoi n’avoir jamais soutenu, comme les groupes socialistes
M. Jacques Blanc s’exclame.
Dois-je une fois de plus rappeler, quitte à me répéter, que Lionel Jospin avait obtenu, lors du sommet de Barcelone de mars 2002 – avec M. Chirac ! –, que soit inscrit dans les conclusions le principe d’une directive-cadre sur les services d’intérêt économique général.
M. Jacques Blanc s’exclame de nouveau.
En effet, c’est bien le gouvernement Juppé qui a signé, en 1996, la première directive ouvrant aux industriels le marché de l’énergie. Et c’est bien le gouvernement de M. Raffarin qui, le 25 novembre 2002, a accepté l’ouverture totale du marché, faisant sauter ainsi le verrou posé par le gouvernement Jospin à Barcelone.
En fait, plusieurs lois ont transposé les directives européennes, en 2000, en 2003, en 2004 et en 2006. Oh ! je sais que l’on va me dire qu’un gouvernement de gauche était aux commandes en 2000. Effectivement ! Mais je vous rappelle que la directive a été transposée a minima, en mettant tout en œuvre pour préserver le service public de l’électricité.
J’entends encore les cris d’indignation de sénateurs ou de députés de droite de l’époque. Par exemple, notre ex-collègue Revol, rapporteur de ce projet de loi, n’a pas cessé de dénoncer le choix du gouvernement Jospin d’effectuer « une transposition tardive et insuffisamment libérale ». Il regrettait que la France choisisse de limiter au minimum le degré d’ouverture du marché aux professionnels. Par exemple, à l’Assemblée nationale, M. Borotra, ancien ministre, s’exclama fièrement : « Le projet de loi que vous nous présentez est la transcription, à votre façon, d’une directive que j’ai eu l’honneur de négocier au nom du Gouvernement. » Et il ajouta que ce projet de loi était « un parcours d’obstacles pour limiter l’exercice de la concurrence et vider de l’essentiel de son contenu la libéralisation du marché ».
Voilà qui est clair !
Combien de parlementaires de droite s’étaient réjouis, en novembre 2002, lorsque la ministre Nicole Fontaine accepta l’ouverture totale du marché à la concurrence. Je me souviens que l’on se congratulait alors à droite : on se félicitait même de ce compromis qui n’était en fait rien d’autre qu’une capitulation. La suite, on la connaît, et il a bien fallu déchanter !
Depuis, d’ailleurs, on n’arrête pas de légiférer, de rapiécer et d’administrer des soins palliatifs. Combien de textes depuis 2000 ? Huit ? Neuf ? Dix ? Et combien d’autres après le présent projet de loi ?
Et pour nous convaincre qu’avec le projet de loi portant nouvelle organisation du marché de l’électricité, ou NOME, nous allons entrer dans un monde merveilleux, l’étude d’impact du Gouvernement, aveuglément optimiste, tente de nous faire croire que tout le monde sera gagnant. Un monde merveilleux, vous dis-je, avec plus de visibilité, plus d’incitation à investir, plus de garanties pour les consommateurs, uniques bénéficiaires de bas coûts de l’électricité et, bien évidemment, aucun effet d’aubaine ! La réalité, hélas ! ne sera pas si idyllique.
Concernant, par exemple, la visibilité annoncée par l’étude d’impact, à y regarder de plus près, nous serions plutôt dans le brouillard des incertitudes, mais nous y reviendrons ultérieurement. En fait, l’expérience nous montre que plus un dispositif est complexe, plus il conduit à un grand nombre de changements, donc à une moindre visibilité, toutes choses nuisibles à l’économie !
Quel sera ensuite l’effet NOME sur les investissements ? Négatif, affirment certains économistes. L’étude d’impact se contente d’affirmer, sans le démontrer, que la NOME induira des incitations appropriées… Nous sommes peut-être éblouis, mais pas éclairés pour autant !
De plus, de façon surprenante, la NOME, qui se présente comme un dispositif transitoire, ne prévoit aucun mécanisme crédible de sortie de la régulation, comme une décroissance progressive et échelonnée des volumes de l’ARENH, cédés aux fournisseurs alternatifs. À l’exception d’un éventuel rapport qui, en 2015, pourrait se pencher sur ce problème, vous ne prévoyez même pas leur sevrage. Ils voudront donc conserver le biberon le plus longtemps possible. Mais alors, quel intérêt auront-ils à investir ?
EDF sera-t-elle incitée à investir, si supportant 100 % des risques, elle doit céder une partie de ses bénéfices à ses concurrents ? Dès lors, notre système électrique ne va-t-il pas connaître des défaillances ?
Avant de conclure, je souhaiterais soulever un dernier problème : ce projet de loi pourrait bien constituer aussi une source d’insécurité juridique au niveau européen.
Il s’agit de la question de la portée de la clause de destination qui figure à l’article 1er, même si d’aucuns ne veulent pas le reconnaître.
Cette disposition résistera-t-elle aux foudres de Bruxelles ? Je ne le crois pas. L’accord Fillon-Kroes ne sera pas suffisant si une plainte est déposée par un client résidant dans un autre État membre, pour restrictions incompatibles avec les règles du marché intérieur. Notez qu’il y a le précédent des poursuites contre GDF et E.ON. Mais je reviendrai sur ce point lors de la discussion des articles.
Pour conclure, ce projet de loi s’avère d’une grande complexité, qui nécessitera de nombreux réajustements, au point que je me demande si, en raison de nombreuses incertitudes, vous n’allez pas nous présenter, sous peu, monsieur le secrétaire d’État, un nouveau projet de loi, destiné à corriger celui-ci et puis un autre encore, qui corrigera le précédent... et ainsi de suite !
Nous avons déposé un certain nombre d’amendements de suppression. D’autres amendements tendront également à ouvrir d’autres voies que celle de la libéralisation totale du marché de l’énergie. En effet, quel intérêt doit primer ? Celui des consommateurs français, ou celui des opérateurs privés, au nom de la sacro-sainte concurrence ?
Bref, nous essaierons, mes chers collègues, de vous convaincre, tout au long de ces débats, du bien-fondé de nos positions. Mais, comme l’affirmait un parlementaire, « une panne d’électricité laisse l’aveugle indifférent », et j’ai bien peur qu’il en soit de même pour le Gouvernement. Mais, si vous deviez adopter ce texte tel quel, chers collègues, ne l’appelez plus jamais NOME, baptisez-le DOME, comme « désorganisation du marché de l’électricité ».
Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG. – M. Yvon Collin applaudit également.
Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, ce projet de loi portant nouvelle organisation du marché de l’électricité vise un objectif clair : assurer à chaque consommateur des prix de l’électricité compétitifs, représentatifs des coûts de production du parc français, quel que soit le choix du fournisseur, chaque fournisseur alternatif pouvant approvisionner ses clients en France à partir d’électricité acquise auprès d’EDF au coût complet du parc nucléaire historique.
L’équilibre entre droits et devoirs des fournisseurs est ainsi trouvé : les fournisseurs alternatifs ont un droit à acquérir de l’électricité auprès d’EDF, ce dernier a un devoir de vendre de l’électricité aux fournisseurs alternatifs à un prix couvrant les coûts complets. Les fournisseurs alternatifs ont un devoir de contribuer à la sécurité d’approvisionnement, ce qui entraîne une mutualisation de cette charge aujourd’hui assumée uniquement par EDF.
Ce texte est à la fois important et indispensable. Important, car il conserve les avantages du système actuellement en vigueur, tout en corrigeant ses imperfections : il place ainsi notre pays sur la voie d’une organisation pérenne, novatrice et conforme aux enjeux d’avenir. Indispensable, parce que l’organisation actuelle du marché de l’électricité en France n’est pas satisfaisante et qu’il fallait, au risque d’un conflit ouvert avec les autorités européennes, trouver un nouvel équilibre en refondant la régulation du secteur.
Il s’agit de protéger les consommateurs qui continueront à bénéficier de prix de vente de l’électricité fondés sur les coûts du nucléaire, mais il s’agit aussi, et peut-être surtout, d’offrir un cadre stable et propice à l’investissement.
En effet, le cœur du débat qui nous réunit aujourd’hui, c’est le financement des investissements nécessaires pour la production d’électricité : le nucléaire, bien entendu, mais également la pointe, qui est l’un des sujets majeurs auxquels nous sommes aujourd’hui confrontés.
À ce sujet, je tiens à insister sur le remarquable rapport élaboré par le groupe de travail sur la maîtrise de la pointe électrique coprésidé par nos collègues Bruno Sido et Serge Poignant.
Le contexte européen est aussi une des raisons d’un changement nécessaire. Actuellement, la concurrence en Europe n’est pas très développée. Pire, notre pays est menacé par un contentieux avec la Commission de Bruxelles, au sujet du fameux dispositif TARTAM, et des tarifs réglementés pour les moyennes et grandes entreprises, avec un risque non négligeable pour nos entreprises de devoir rembourser des milliards d’euros.
La suspicion d’aide d’État en faveur des consommateurs existe bel et bien. Nous ne pouvons pas être les mauvais élèves de l’Europe…
… et il est important de réagir.
À ce contentieux pour aide d’État s’ajoute un deuxième contentieux avec Bruxelles pour non-transposition de la directive de 2003, avec une sévère critique de l’existence des tarifs réglementés. Cela nous expose à une condamnation par la Cour de justice de l’Union européenne à des astreintes et à l’extinction des tarifs réglementés. L’enjeu n’est pas mince !
Je le sais, monsieur le secrétaire d’État, le Gouvernement récuse les griefs de la Commission, mais le risque est réel et il ne vaut pas la peine d’être couru.
Aujourd’hui, nul ne peut le contester, une réforme du marché est absolument nécessaire. Nous savons que la Commission renoncera aux contentieux si la nouvelle organisation du marché de l’électricité est mise en place dans les plus brefs délais.
Je vous rappelle, mes chers collègues, que la Commission européenne a ses propres solutions : le démantèlement pur et simple d’EDF et la suppression de toute forme de régulation.
La solution du Gouvernement est la seule voie de passage équilibrée qui s’inscrit dans le marché européen de l’électricité.
Pour assurer sa pérennité, le projet de loi relatif à la nouvelle organisation du marché de l’électricité, dit NOME, doit donc être compatible avec l’ouverture des marchés en Europe, et ainsi donner à tous les acteurs la possibilité de faire des propositions innovantes de services, d’économie d’énergie. Aujourd’hui, seule EDF peut y parvenir, les autres acteurs étant étranglés par leurs coûts d’approvisionnement. Il fallait donc assurer aux concurrents d’EDF le moyen de servir leurs clients dans des conditions de prix comparables à celles d’EDF.
Comme je le disais au début de mon propos, en dehors des critiques de Bruxelles, l’organisation actuelle du marché de l’électricité n’est pas satisfaisante. Elle est très complexe et peu lisible. Les consommateurs se trouvent cloisonnés dans des catégories hermétiques et quelquefois incohérentes.
Elle est instable et n’a pas abouti, car elle est fondée sur des dispositifs transitoires.
Ainsi, l’organisation actuelle du marché de l’électricité ne permet pas d’assurer la prévisibilité absolument majeure en matière d’investissement.
Le rapport Champsaur est, à ce sujet, très clair et je ne reviendrai pas sur son contenu. Je salue le remarquable travail effectué par la commission Champsaur, où siégeaient plusieurs parlementaires, dont notre rapporteur Ladislas Poniatowski. Il a abouti à une proposition très claire pour sortir de l’impasse dans laquelle nous nous trouvions.
M. Roland Courteau s’exclame.
Dans son projet de loi, le Gouvernement a choisi de suivre les recommandations, assez consensuelles au niveau national, de la commission Champsaur. La solution consiste à obliger EDF, l’opérateur historique, à céder aux fournisseurs alternatifs une partie de sa production d’origine nucléaire, à hauteur de 100 térawattheures, soit environ 25 % de cette production, et ce au prix coûtant, afin de développer la concurrence mais aussi de préserver l’avantage que les Français peuvent et doivent tirer de l’existence du nucléaire, qui est un élément important de la compétitivité de nos entreprises.
Le dispositif proposé réalise trois objectifs majeurs : assurer la compétitivité des entreprises françaises, sécuriser les approvisionnements et permettre à la concurrence d’exister. Pour cela, différents mécanismes ont été prévus. Je n’y reviendrai pas, notre rapporteur ayant parfaitement expliqué le système mis en place.
Je note simplement que le prix de cet accès régulé à l’électricité nucléaire historique ne sera pas un prix bradé, comme on peut l’entendre ici ou là, mais un prix complet, couvrant toutes les charges réelles du parc nucléaire historique d’EDF. Il n’y a donc aucun hold-up ni aucune spoliation d’EDF !
Il faut simplement que ce prix ne soit pas instable, qu’il ne fluctue pas et qu’il assure à EDF une situation financière saine.
Par ailleurs, le projet de loi inscrit la nécessité d’investir dans le parc électrique, par la mise en place d’une obligation de capacité de production pour les fournisseurs. Cela est avantageux pour EDF, qui ne sera plus seule à assurer la sécurité d’approvisionnement. L’incitation à l’investissement est donc au centre de ce texte ; c’est la situation actuelle qui est peu favorable à l’investissement.
Un autre point important est le maintien au profit des particuliers du tarif régulé, sans date. Ainsi, s’ils le souhaitent, les consommateurs peuvent bénéficier d’un accès à l’électricité selon un tarif fixé par les pouvoirs publics – en fait par le pouvoir politique –, sur proposition du régulateur, la Commission de régulation de l’énergie, ou CRE.
En outre, le système de tarifs pour les entreprises disparaîtra progressivement jusqu’en 2015. À cette date, il ne pourra plus y avoir de tarifs pour les entreprises. Seuls les particuliers conserveront le bénéfice des tarifs régulés, qui sont par conséquent confortés et pérennisés.
On ne peut pas dire que la régulation est supprimée ! Le texte prévoit davantage de régulation là où il y en avait si peu. La loi du 10 février 2000, proposée par le Gouvernement socialiste de l’époque, a ouvert le marché de l’électricité aux grandes entreprises sans précautions ni sans garde-fous.
Notre majorité a commencé dès 2002 à corriger les effets néfastes de cette ouverture débridée pour aboutir aujourd’hui à ce texte qui régule les prix de gros, les prix à la sortie de production.
Ce projet de loi a fait le choix d’une régulation différente mais toujours forte du marché de l’électricité. C’est l’essentiel à nos yeux.
On entend dire ici ou là qu’il pourrait y avoir des augmentations de tarifs : ce n’est évidemment pas le cas, cela n’a aucun rapport !
M. le secrétaire d’État opine. – Protestations sur les travées du groupe socialiste.
M. Benoît Huré. … il organise les rapports entre fournisseurs d’électricité. Le prix de notre énergie est en moyenne de 30 % inférieur à la moyenne européenne.
M. Roland Courteau s’exclame.
Par ailleurs, la concurrence sera favorisée au profit du consommateur, notamment en matière d’innovation.
Avant de conclure, monsieur le secrétaire d’État, je souhaite, au nom du groupe UMP, vous dire notre conviction en matière d’énergie nucléaire. Elle n’est pas sans rapport avec le projet de loi que nous examinons.
Nous sommes convaincus qu’il faut assurer l’avenir de la filière nucléaire française. Celle-ci est un élément stratégique de la politique énergétique et industrielle de la France. Le rapport Roussely a fait des propositions très importantes ; la balle est dans le camp du Gouvernement. Des décisions ont déjà été prises mais il faut aller plus loin pour conforter et pérenniser l’industrie nucléaire dans notre pays. C’est un enjeu national de première ampleur que seul l’État peut poursuivre avec succès.
Mes chers collègues, nous devons prendre nos responsabilités. Avec ce texte, nous avons relevé un premier défi : parvenir à un équilibre entre, d’une part, la protection du consommateur français qui continuera à bénéficier des avantages que lui apporte l’électricité nucléaire et, d’autre part, l’ouverture au marché, réclamée par Bruxelles et nécessaire pour assurer une saine concurrence. Ce cadre législatif lisible et cohérent doit assurer le financement des lourds investissements qui nous attendent.
D’autres défis se profilent, notamment l’avenir du nucléaire civil.
Tel est l’enjeu de ce texte auquel le groupe UMP apportera tout son soutien.
Applaudissements sur les travées de l ’ UMP et au banc des commissions.
Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, l’énergie est probablement l’un des défis majeurs auquel sera confronté l’ensemble des pays lors de la prochaine décennie.
Pourtant, la politique énergétique européenne est encore à construire. Aujourd’hui, elle repose avant tout, comme en beaucoup de matières, sur le recours à la concurrence, afin d’éviter la constitution ou le maintien de monopoles.
En cassant les chaînes intégrées du producteur au consommateur final, cette politique européenne en gestation cherche à construire artificiellement des marchés où les prix pourraient se former librement, sur le modèle du pétrole.
Malheureusement, cela fonctionne rarement. C’est ainsi que plusieurs États fédérés américains ont entrepris un retour sur la libéralisation de leur secteur énergétique, en s’appuyant pour cela sur le modèle français.
Plus proche de nous, en Grande-Bretagne, l’autorité régulatrice a fait, elle aussi, part de son inquiétude quant aux conséquences de la libéralisation sur les investissements de long terme, la sécurité des approvisionnements et l’efficacité énergétique.
En effet, deux ruptures sont venues modifier le cadre de référence de la politique de libéralisation : d’une part, la lutte contre le réchauffement climatique, qui s’est progressivement affirmée comme une priorité politique ; d’autre part, la sécurité des approvisionnements énergétiques européens.
La nécessité d’intégrer ces nouveaux éléments conduit à poser frontalement la question de la cohérence de la politique énergétique européenne, qui fait face à des enjeux mais aussi à des attentes de nature plutôt hétérogène.
Nous savons tous ici que, grâce au développement progressif des secteurs de l’hydroélectrique et de l’industrie électronucléaire, la France dispose de l’électricité la moins chère d’Europe.
L’enjeu du texte sur lequel nous devrons nous prononcer est de savoir si la nouvelle organisation permettra à notre pays de maintenir une électricité bon marché, dans un contexte de concurrence effrénée et d’impératifs écologiques. Cela vous semble possible, monsieur le secrétaire d’État. Nous verrons.
Est-il légitime de remettre en cause l’avantage énergétique français, unique au monde, pour permettre à des opérateurs privés, incapables d’offrir un meilleur prix, d’exister sur le marché français de l’électricité ?
Cette manière d’ouvrir le marché est pour le moins bizarre, puisqu’elle consiste à créer une distorsion de concurrence au détriment de l’entreprise mieux-disante, EDF, et, par conséquent, à notre détriment.
On peut aisément imaginer les conséquences du projet de loi dans sa mouture actuelle : alignement progressif des tarifs réglementés sur les standards européens, 30 à 50 % plus chers, maintenance des réseaux fragilisée, difficulté de financement du parc électronucléaire, etc.
Bref, avec l’abandon d’une certaine idée du service public, nos concitoyens, monsieur le secrétaire d’État, ne risquent-ils pas d’être sacrifiés sur l’autel de l’appât du gain de sociétés bien plus préoccupées par la course aux bénéfices que par l’intérêt général ?
Non !
Quoi qu’il en soit, les Français seront seuls juges devant leurs factures d’électricité dans les prochaines années.
En choisissant la libéralisation complète des prix, ainsi que la mise en place d’un accès régulé à l’électricité de base avec la disparition progressive des tarifs réglementés pour les industriels, le Gouvernement n’ouvre-t-il pas la voie à l’augmentation du coût de l’électricité pour tous, sans pour autant régler les vrais enjeux auxquels doit faire face le secteur de l’énergie en France ?
Or le premier enjeu est bien la valorisation de notre expertise nucléaire dans le monde par un meilleur ordonnancement des acteurs du secteur, un investissement indispensable dans la maintenance de nos centrales nucléaires, mais aussi la formation des hommes et des femmes pour en assurer une meilleure disponibilité et une sécurité optimale, ce qui est capital.
Qui aurait cru que, même aux États-Unis, le très fervent gouverneur libéral de Californie ramènerait progressivement dans le secteur public la gestion du parc nucléaire californien ?
Effectivement ! sur plusieurs travées du groupe socialiste.
Le second enjeu est la diversification indispensable de notre bouquet énergétique, associée à la recherche, à l’innovation et à la construction de filières industrielles et de filières de services créatrices d’emplois. Ce sont les grandes absentes de ce projet de loi, qui ne comporte notamment aucune mesure significative sur le parc hydraulique et sur les investissements à consentir pour en accroître la productivité.
En réalité, ce texte repose avant tout sur un dogme qui nous semble dépassé dans le contexte actuel : le dogme libéral de l’ouverture à la concurrence à tout prix, quelles qu’en soient les conséquences sur l’emploi, l’environnement, la sécurité liée aux procédés industriels. Aussi ce projet de loi affecte-t-il en premier lieu la filière énergétique elle-même, et ce en dépit d’une expertise qui est le fruit de dizaines d’années d’investissement public dans la formation, la recherche et l’industrie.
M. Yvon Collin. Monsieur le secrétaire d’État, les membres de mon groupe, dans sa diversité bien connue, seront attentifs aux travaux de la Haute Assemblée en séance publique, mais, en l’état, et pour la grande majorité d’entre nous, il ne nous est pas possible d’apporter notre soutien à ce texte.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.
Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le processus d’adaptation de notre système électrique s’avère décidément bien complexe. Après avoir légiféré en 2000, 2003, 2004, 2005 et 2006 pour respecter le choix d’une ouverture progressive et maîtrisée du marché énergétique français – ouverture achevée depuis le 1er juillet 2007 –, nous sommes une fois encore conduits à débattre de cette question.
Le problème de fond auquel ce texte s’efforce de répondre est celui de la difficulté que nous rencontrons à ouvrir effectivement à la concurrence la fourniture d’électricité, alors que nos engagements européens nous en font l’obligation.
Il est toutefois fondamental de veiller à ce que cette évolution ne contrevienne pas aux intérêts des consommateurs d’énergie.
Tel est bien, monsieur le secrétaire d’État, le challenge que le Gouvernement a choisi de relever avec ce projet de loi, dont l’un des objectifs majeurs est de continuer à faire bénéficier ces consommateurs de la compétitivité du parc de production électrique en France, notamment du parc nucléaire.
La réussite de cette démarche repose en grande partie sur la loyauté attendue des fournisseurs d’électricité bénéficiaires du nouveau dispositif d’accès régulé à l’électricité nucléaire historique, l’ARENH.
Nous nous apprêtons en effet, par ce texte, à supprimer à compter du 1er janvier 2016 le bénéfice des tarifs réglementés de vente pour tous les sites ayant souscrit une puissance supérieure à 36 kVA.
C’est une concession d’importance pour nos compatriotes, attachés, comme vous le savez, à ces tarifs, qui ont fait la preuve de leur efficacité économique et sociale depuis plus d’un demi-siècle.
Tel qu’il est actuellement rédigé, le projet de loi peut même apparaître comme plus restrictif, du point de vue du périmètre des tarifs réglementés, que la directive européenne du 13 juillet 2009. Celle-ci prévoit effectivement le droit au service universel pour les consommateurs domestiques, mais aussi pour les PME jusqu’à 50 salariés et 10 millions d’euros de chiffre d’affaires, alors même que ces entreprises auraient souscrit des puissances importantes.
L’amendement que je vous avais proposé sur ce point, monsieur le président, monsieur le rapporteur, n’a pas été retenu par la commission.
Certes, l’articulation entre l’approche en termes de puissance souscrite, qui caractérise nos barèmes tarifaires, et une approche en termes de taille de l’entreprise serait techniquement délicate. Je reste néanmoins convaincu que l’avantage compétitif qu’offrent ces tarifs est devenu vital pour nos PME et PMI. Ils favorisent la localisation de nos entreprises sur notre territoire.
Si cette difficulté technique ne pouvait être levée, il me paraîtrait en contrepartie impératif de veiller à ce que la garantie de marge commerciale octroyée aux fournisseurs bénéficiaires de l’ARENH ait comme condition une stricte interdiction de tout abus de ce droit d’accès régulé.
Il est également essentiel que les fournisseurs concernés concourent effectivement à la sécurité d’approvisionnement en électricité sous la forme des capacités d’effacement de consommation et de production d’énergie que le projet de loi prévoit de leur imposer.
Bien sûr, il ne faut pas perdre de vue que les travaux de notre commission, ajoutés à ceux de nos collègues de l’Assemblée nationale, ont d’ores et déjà permis d’améliorer significativement le texte, dans le sens de nos préoccupations.
Je souhaite vivement en remercier nos collègues de la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire, présidée par Jean-Paul Emorine, et en premier lieu – bien sûr !– notre rapporteur, Ladislas Poniatowski, réputé pour son sens de l’écoute et la qualité de son expertise dans le domaine de l’énergie.
Il me semble néanmoins que des améliorations sont encore possibles, s’agissant notamment de la situation particulière des entreprises locales de distribution et des consommateurs domestiques.
Je rappelle que, durant un demi-siècle, les principaux éléments de diversité au sein du système électrique français ont été les distributeurs non nationalisés en 1946, c’est-à-dire les régies, les sociétés d’économie mixte locales ou encore certains distributeurs de statut coopératif, qui, comme cela a été rappelé, représentent à l’heure actuelle environ 5 % de la distribution d’électricité.
Ces opérateurs, le plus souvent de petite taille, accomplissent depuis des décennies leurs missions dans un cadre de service public qui donne pleinement satisfaction. Dans l’immense majorité des cas, leurs territoires auront bénéficié d’une qualité d’énergie et de service irréprochable.
De manière paradoxale, la rédaction actuelle du projet de loi, qui promeut la pluralité des opérateurs électriques, remet simultanément en cause certains éléments importants de l’équilibre économique de ces opérateurs historiques. Par exemple, il est prévu de supprimer, à compter du 1er janvier 2014, le bénéfice du tarif de cession pour les achats d’électricité correspondant aux pertes.
Je crois qu’il faut y être attentif et, peut-être, revoir certains arbitrages dans ce domaine.
S’agissant des consommateurs domestiques, il est observé que le nombre de bénéficiaires effectifs des tarifs sociaux de l’énergie – le tarif de première nécessité pour l’électricité et le tarif spécial de solidarité pour le gaz – est faible par rapport au nombre de personnes qui pourraient y prétendre, à savoir toutes celles et ceux qui entrent dans le dispositif de la couverture maladie universelle, la CMU.
Il semble que cet écart provienne largement de l’obligation, pour les personnes concernées, de formuler expressément leur demande d’attribution du tarif social, ce qui n’est pas toujours aisé compte tenu des populations visées et des difficultés auxquelles elles sont confrontées.
Certains de ces dysfonctionnements ont d’ailleurs été identifiés par le médiateur national de l’énergie et évoqués récemment dans l’actualité.
De nombreux acteurs du secteur de l’énergie considèrent qu’il est dans ces conditions préférable de prévoir une attribution automatique du bénéfice des tarifs sociaux aux bénéficiaires de la CMU. Cela économiserait des coûts administratifs et permettrait à ce dispositif, me semble-t-il, de fonctionner de manière plus satisfaisante.
Pour terminer mon propos, je dirai un mot sur l’initiative prise de procéder, enfin, à la transposition, dans le domaine de la taxe sur l’électricité, de la directive européenne du 27 octobre 2003 sur la fiscalité de l’énergie.
Sur ce sujet aussi, monsieur le secrétaire d’État, je voudrais vous exprimer mes plus vifs remerciements pour l’esprit de coopération dans lequel, sur ce dossier, les services ministériels ont mené la concertation avec les collectivités locales et, en particulier, avec les autorités organisatrices de la distribution d’électricité.
La rédaction adoptée par la commission, sur proposition de notre rapporteur, me paraît pour l’essentiel bien répondre aux importants enjeux liés à ce dispositif, qui concerne, je le rappelle, le financement d’une grande partie des travaux d’électrification en milieu rural.
C’est pourquoi il convient de rester attentif pour que le niveau de cette ressource fiscale soit maintenu malgré les objectifs, par ailleurs très légitimes, de diminution de la consommation d’énergie.
J’ai proposé un amendement en ce sens.
Enfin, bien que l’objet principal de ce projet de loi soit la production et la commercialisation de l’énergie électrique, certaines questions afférentes à la distribution d’électricité ont également été insérées dans le texte, en particulier en matière de financement des raccordements des producteurs d’électricité.
Il me semblerait opportun de profiter de cette circonstance pour apporter une précision sur le rôle des autorités organisatrices des services publics d’électricité dans ce domaine particulier, ainsi que, plus généralement, sur les informations que les gestionnaires de réseaux doivent leur fournir dans le cadre de leur mission de contrôle.
Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la décennie qui vient de s’écouler nous a appris, je crois, à faire preuve d’humilité et de pragmatisme dans la façon de légiférer sur les questions énergétiques. Il nous a fallu, et il nous faudra sans doute encore, remettre plusieurs fois l’ouvrage sur le métier.
M. Xavier Pintat. Faisons en sorte que cette nouvelle étape soit un pas qui nous rapproche de la construction d’un système électrique offrant une énergie sûre, compétitive, respectueuse de l’environnement et mise au service de l’ensemble de nos concitoyens.
Très bien ! et applaudissements sur les travées de l ’ UMP.
Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la présente discussion générale nous a permis de constater qu’il était possible de disserter presque sans fin sur ce qui s’est passé à Barcelone en 2002, mais notre collègue Roland Courteau a éloquemment apporté, sur ce point, les précisions qui s’imposaient.
La Commission européenne fronce le sourcil et la ligne de partage entre l’opposition et la majorité devient très claire : ceux qui entendent répondre avec zèle et célérité aux injonctions européennes y voient l’occasion, au passage, de faire subir à EDF, au nom de l’ouverture à la concurrence, le même sort que celui qu’ont connu précédemment La Poste, la SNCF et GDF, mettant ainsi à mal un service public à la française.
Or, d’une part, la concurrence paraît, à l’évidence, dangereuse dès lors qu’elle porte, comme c’est ici le cas, sur un bien de première nécessité, non stockable et indispensable à notre économie ; d’autre part, miser sur la concurrence au détriment de tout mécanisme régulateur revient à casser l’ensemble des acquis d’un système énergétique qui date de 1945 et que nous devons au Conseil national de la Résistance, système dont la spécificité n’est plus à démontrer.
De plus, la libéralisation du marché de l’énergie, telle qu’elle est envisagée dans ce texte, risque d’avoir de lourdes conséquences pour notre pays, par exemple s’agissant de l’aménagement du territoire et de l’outil industriel.
L’idéologie, mes chers collègues, peut coûter très cher, …
… car ce projet de loi, qui impose la concurrence, pourrait – ce n’est pas le moindre des paradoxes ! – faire bientôt flamber la facture d’électricité des ménages.
Même si, par ailleurs, un maintien des tarifs réglementés est prévu pour les particuliers, ces tarifs, au fur et à mesure de la discussion, ressemblent de plus en plus à un leurre.
À ce jour, le tarif réglementé reste très inférieur à la moyenne des prix européens de l’électricité. C’est la contrepartie du financement, par des fonds publics, du programme nucléaire : les usagers contribuables ont participé au financement des installations, bénéficiant en échange de la rente nucléaire, autrement dit d’une énergie moins coûteuse à produire et représentant 83 % de l’électricité produite dans l’Hexagone.
Le scandale de ce projet de loi NOME réside donc dans le fait qu’il va transférer l’avantage de la rente nucléaire dont bénéficient les consommateurs aux fournisseurs d’énergie. Certains ont même parlé de hold-up !
En effet, d’après le texte, EDF va devoir céder, pendant quinze ans, jusqu’à 25 % de sa production à ses concurrents, à travers le dispositif dénommé « accès régulé à l’électricité nucléaire historique ».
Or, tout en maintenant les tarifs réglementés, le texte modifie leur mode de fixation en l’indexant sur le prix auquel les fournisseurs concurrents achèteront l’électricité à EDF. Concrètement, si ce prix est élevé, les tarifs réglementés seront élevés eux aussi. Pour que les tarifs réglementés n’augmentent pas, il faudrait qu’EDF cède sa production à ses concurrents à un tarif bien inférieur à celui qui a été évoqué, soit 42 euros par mégawattheure. Mais, dans ce cas, l’opérateur historique aurait bien du mal à trouver les marges de manœuvre nécessaires pour investir dans de nouveaux moyens de production.
Je serais donc tenté de dire qu’à ce moment-là le piège se sera refermé, sur EDF comme sur ses abonnés !
Si l’on fait une projection en se fondant sur la base des 42 euros évoqués précédemment, les tarifs réglementés proposés aux consommateurs domestiques et aux petits professionnels pourraient augmenter de 11, 5 % dès le vote de la loi, puis de 3, 5 % par an entre 2011 et 2025. Pour les entreprises, l’augmentation serait encore supérieure… Est-il nécessaire de rappeler, au passage, que les tarifs ont déjà augmenté de 3 % cet été ?
Ce projet de loi, dans la continuité, entraînerait donc, de façon mécanique, une explosion des tarifs.
On a évoqué tout à l’heure le risque de l’extinction des tarifs réglementés et, à terme, la perspective de la mise en place d’un tarif social destiné à protéger les plus démunis. Mais, dans le contexte économique actuel, il serait irresponsable et, d’une certaine manière, indécent de faire l’impasse sur ce constat au moment où, par le biais du bouclier fiscal, certains foyers fiscaux reçoivent des sommes de deux à trois cent mille euros.
Je souhaiterais également évoquer la situation des installations hydroélectriques, qui sont très nombreuses dans le département que je représente. Ces dernières, qui bénéficiaient, jusqu’à présent, d’un contrat d’achat garanti de leur production avec EDF, sont désormais dans un vide réglementaire qui risque de leur nuire. L’avenir de nombreuses petites entreprises et de leurs sous-traitants est menacé.
Nous attendons donc avec impatience les propositions du Gouvernement et déposerons, en ce qui nous concerne, un amendement à ce sujet.
Je ne saurais terminer mon propos sans évoquer, à l’appui de ma démonstration, un amendement « éclair » d’un élu UMP qui entendait privatiser la Compagnie nationale du Rhône. Apparu comme une provocation, ledit amendement a finalement été retiré. Mais cet aller et retour met au jour, plus que les pensées, les arrière-pensées qui animent sans doute certains membres de la majorité. Et c’est bien ce qui nous inquiète…
Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’électricité est un bien de première nécessité et ce principe ne doit en aucun cas être remis en cause au nom de la sacro-sainte loi de la concurrence !
L’accès de tous à l’électricité doit être garanti. De notre point de vue, cela passe, bien évidemment, par une maîtrise des prix incompatible avec la dérégulation officialisée par un texte qui, au passage, démantèle le service public.
Au cours de ce débat, le groupe socialiste ne bradera pas ses responsabilités. Il présentera de nombreux amendements afin de tenter d’améliorer un texte qu’il considère dangereux pour l’avenir du patrimoine énergétique français.
M. Jean-Jacques Mirassou. En l’état, et parce qu’il tourne le dos à la conception de l’intérêt général qui est la nôtre, ce texte nous paraît inacceptable !
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.
Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, dix ans après l’ouverture du marché de l’électricité, le Parlement se trouve saisi d’un texte qui vient fonder le cadre du marché de l’électricité de notre pays.
Il s’agit d’un enjeu important puisque, en dix ans, le Parlement aura été saisi neuf fois et aura examiné sept lois.
Cet enjeu interpelle nos concitoyens, conscients que notre pays a su faire les investissements courageux et les bons choix pour se doter d’un outil de production de qualité, répondant à la demande et offrant un service d’un coût parmi les plus bas.
Nous savons que l’un des objets de la loi est de satisfaire aux règles de libre concurrence au regard des exigences communautaires.
Nous avons bien compris cette nécessité, monsieur le secrétaire d’État, et, au moment où le Parlement a été saisi de la loi NOME, vous avez lancé le calendrier du renouvellement des concessions hydrauliques.
Considérant qu’il aurait pu être utile que l’ensemble des investissements soit pris en compte pour déterminer la valeur de l’outil de production, j’ai eu la curiosité d’une étude comparée des régimes appliqués par les autres pays européens en matière hydraulique.
Force est de constater que, si la France est le pays qui a la capacité de production la plus importante, il est aussi celui dont la production sera la plus ouverte à la concurrence.
Pour ne pas toujours tout reprocher à Bruxelles, je précise que l’une des contraintes importantes résultera d’ailleurs de la loi Sapin. Voté en 1993, ce texte soumet à l’obligation de concurrence les concessions des installations hydrauliques d’une puissance supérieure à 4 500 kilowatts.
Le respect de la libre concurrence n’est pas incompatible avec la défense de ses intérêts nationaux. Nos voisins européens semblent d’ailleurs avoir moins de complexes que nous pour vivre cette double exigence.
Je ne parlerai pas des exemples célèbres d’industries françaises auxquelles l’Europe aura, au nom de la libre concurrence, porté un coup sérieux, sinon fatal.
Si je me permets d’insister sur ce premier point, monsieur le secrétaire d’État, c’est que la France a la chance d’avoir des entreprises leaders de tout premier plan en matière d’énergie.
Or l’Union française de l’électricité, l’UFE, et l’Agence internationale de l’énergie, l’AIE, considèrent que ce ne sont pas moins de 30 000 milliards de dollars d’investissements – je dis bien « 30 000 milliards de dollars » ! – qui devront être réalisés dans le monde d’ici à 2030 pour satisfaire la demande d’électricité.
Il importe donc que les nouvelles règles du marché ne viennent pas affaiblir nos entreprises nationales qui, vous le savez, sont attendues par bien des pays dans le monde. Je vous remercie d’avance, monsieur le secrétaire d’État, de votre vigilance sur ce point.
Compte tenu de la grande qualité des travaux conduits par notre rapporteur, Ladislas Poniatowski, que j’entends saluer, et des différentes contributions, dont les conclusions du rapport Poignant-Sido, je m’en remettrai largement aux propositions de la commission.
Parmi les points que je souhaiterais développer, il en est un au cœur des enjeux de la future loi NOME qui conjugue à la fois les défis du développement durable et les préoccupations économiques et industrielles : il s’agit de l’effacement.
Je n’évoquerai pas les questions de « l’interruptabilité » de l’article 2 ter, qui relève davantage de la sécurité du réseau, préférant insister sur l’effacement de la période de pointe dite « des 500 heures ».
Il s’agit d’une question majeure en termes de production, puisque l’augmentation annuelle des besoins des dix prochaines années est évaluée, selon les estimations, de 0, 7 à plus de un gigawatt par an, soit l’équivalent d’au moins une nouvelle centrale thermique de forte capacité chaque année.
Cette production n’étant satisfaite que par une énergie fossile, avec un taux d’émission élevé de CO2 au coût d’au moins 300 euros par mégawatt selon l’étude d’impact de l’Assemblée nationale, elle équivaut à au moins 10 millions de tonnes de CO2 par an…
Cette situation a d’ailleurs conduit l’Europe à formuler des exigences très fortes à l’égard de la France, en demandant une réduction des capacités de production des centrales thermiques et une amélioration des traitements.
Or cette situation n’est pas irréversible. Il y a plus de dix ans, EDF procédait à deux fois plus d’effacement qu’aujourd’hui, situation que le président de l’UFE soulignait, lors de son audition, en insistant sur le fait que, en France, le prix reflète de plus en plus mal le coût de la puissance.
Les États de l’est des États-Unis de taille comparable à la France ont un volume d’effacement sept fois supérieur au nôtre, après avoir justement mis en place les bons outils et la bonne rémunération.
À terme, le secteur résidentiel constituera, c’est vrai, un gisement considérable. Mais il s’agit d’un parc de particuliers qui nécessite un équipement individuel, lequel ne pourra être installé que dans la durée.
En revanche, les gros consommateurs, notamment les électro-intensifs, disposent de capacités qui pourraient être immédiatement mobilisées.
Les expériences et interrogations de RTE ne font d’ailleurs que justifier la nécessité d’organiser cette mobilisation de capacité, en attendant la mise en place d’un marché capacitaire.
Mais cette mobilisation nécessite aussi une juste rémunération pour impliquer les gros consommateurs, comme l’étude d’impact de l’Assemblée nationale l’a souligné avec pertinence.
C’est pourquoi, dans le prolongement du principe des capacités d’effacement posé par le projet de loi NOME, j’ai déposé, avec mon collègue Bruno Sido, un amendement précisant les règles d’un dispositif provisoire. Je vous remercie, monsieur le secrétaire d’État, de vos propos et de votre écoute à cet égard.
Je tenais également à souligner, monsieur le secrétaire d’État, le formidable travail de vos collaborateurs, aux côtés de la commission des affaires économiques du Sénat, pour appréhender au mieux ce dispositif, qui constituera un vrai outil et même une novation au regard des enjeux du Grenelle.
Je le dis avec assurance, monsieur le secrétaire d’État, les capacités d’effacement des gros consommateurs peuvent répondre aux besoins d’effacement des dix prochaines années.
En fait, ce marché de l’effacement ne demande qu’à disposer de bons outils. J’évoquerai l’importance de la fluidité, qui doit relever des responsables d’équilibre, avec la possibilité d’achat ou de vente par bloc si l’on ne veut empêcher les gros consommateurs de devenir producteurs.
La contrepartie, vous l’avez compris, c’est la juste rémunération, qui constituera un juste prix compatible avec les exigences communautaires à l’égard de gros consommateurs industriels qui, soumis à une forte concurrence, se trouvent dans la situation de perdre progressivement les bénéfices de leurs situations respectives, qu’il s’agisse de l’article 8 de la loi de 1946, des contrats dits spéciaux, des tarifs réglementés intégrés ou des tarifs verts, pour ne pas parler de ceux qui relèvent du TARTAM.
Dans le prolongement de ce nécessaire soutien à l’industrie, il convient que soit conforté le dispositif mis en place avec Exeltium en l’ouvrant plus largement aux gros consommateurs à l’occasion du prolongement de vie des centrales nucléaires.
Monsieur le secrétaire d’État, je vous remercie, là aussi, de l’ouverture dont vous avez fait état.
Je regrette de ne pouvoir soutenir, monsieur le rapporteur, le dispositif qui aurait permis de revoir le prix du transport de l’électricité pour les gros consommateurs, en particulier les électro-intensifs qui se trouvent au bas des centrales de production, notamment sur la part variable. J’ai bien compris que ce point n’avait aucune chance de séduire la commission.
Je comprends également, monsieur le rapporteur, votre souci de voir les producteurs participer à l’intégralité des coûts de branchement et d’extension des réseaux. Je me permets simplement, monsieur le secrétaire d’État, d’interpeller le Gouvernement sur deux considérations.
D’abord, on ne peut pas, après avoir incité, par un dispositif généreux, aux énergies renouvelables, se mettre brutalement à diminuer en aval les avantages qui avaient été octroyés et, en amont, les faire contribuer à des coûts d’extension de réseaux.
Ensuite, pour n’évoquer que la position généralement admise par les spécialistes des énergies renouvelables, ce dont la France a besoin, c’est d’aboutir à un dispositif équilibré et stable. Nous ne pouvons pas développer de façon satisfaisante les énergies renouvelables si nous nous trouvons confrontés à des dispositifs qui évoluent en permanence.
Telles sont les raisons pour lesquelles la loi qui va être adoptée constituera une étape importante de l’organisation du marché de l’électricité dans notre pays. Le cadre est désormais fixé, les outils mis en place.
La mise en œuvre du texte et l’engagement des producteurs d’électricité dépendront pour beaucoup de l’exigence politique qui en impulsera les orientations.
C’est donc pour réussir cette nouvelle étape que je soutiendrai le projet de loi que vous nous proposez, monsieur le secrétaire d'État.
Applaudissements sur les travées de l ’ UMP.
Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, chers collègues, si le projet de loi NOME dont nous abordons la discussion aujourd’hui pose plusieurs questions de fond – elles ont suscité d’ailleurs quelques états d’âme au sein de la majorité, lors des travaux en commission -, il passe clairement à côté des enjeux essentiels.
Premièrement, après les lois de 2000, 2003, 2004, 2005 et 2006, ce projet de loi est une nouvelle étape dans la destruction de l’outil construit au sortir de la Seconde Guerre mondiale, à l’époque où un certain général de Gaulle avait lui-même compris que l’énergie n’est pas un bien comme les autres et que sa production, son transport et sa distribution relèvent du service public et non du marché livré à lui-même.
Ce projet de loi NOME constitue un nouvel avatar du paradigme néolibéral qui gangrène depuis trois décennies nombre de cerveaux, une idéologie dont les effets désastreux sur les plans financier, économique, social et environnemental défraient chaque jour la chronique
N’en déplaise à ses promoteurs zélés, l’intérêt général n’est pas la somme des égoïsmes particuliers !
Adam Smith lui-même, le père du libéralisme économique, estimait qu’il est des domaines où l’État doit se substituer à la « main invisible » du marché. Il en est évidemment ainsi de l’énergie, bien stratégique qui ne peut en aucun cas être appréhendé avec les approches spéculatives et de court terme qui sont celles des opérateurs privés, obnubilés par la recherche du profit immédiat !
Deuxièmement, pour nos concitoyens, la disposition qui obligera EDF à céder contractuellement à ses concurrents 25 % de sa production nucléaire, avec pour conséquence la hausse programmée du prix de l’électricité – tous les acteurs industriels l’ont déjà provisionnée – apparaît à juste titre comme une véritable usine à gaz.
Cette usine à gaz, la NOME, est le reflet de la fracture grandissante qui traverse la majorité – du reste fort peu nombreuse aujourd’hui -, divisée entre des gaullistes attachés à un secteur nucléaire étatisé et des libéraux tout aussi adeptes de la production nucléaire, mais qui continuent de ne jurer envers et contre tout que par la sacro-sainte loi du marché. Bonjour le grand écart !
Troisièmement, la disposition selon laquelle la cession de courant nucléaire aux opérateurs privés se fera à prix coûtant, c’est-à-dire au prix de revient, laisse pour le moins perplexe. Je crois qu’il faut en finir avec le mythe selon lequel le courant nucléaire serait le plus rentable. C’est devenu un secret de polichinelle : le prix du courant nucléaire affiché aujourd’hui a beau être inférieur à celui de la plupart de nos voisins européens, moins nucléarisés, il n’internalise pas un certain nombre de coûts qui seront, pour l’essentiel, reportés sur les générations futures.
Il s’agit principalement du coût de traitement des déchets nucléaires, dont les filières s’évaporent à l’étranger, notamment en Russie, et de celui du démantèlement des centrales en fin de vie. À cet égard, force est de constater que, dans le monde entier, aucun site de centrale nucléaire définitivement arrêtée n’a été traité. Three Mile Island et Tchernobyl ont implosé ; quant aux autres, ils sont devenus des sites dangereux, interdits d’accès et fortement surveillés. Mais nulle part la technologie du démantèlement et du traitement n’a été développée.
Il en résulte que les provisions affichées à cet effet ne reposent sur rien de tangible. EDF préfère pratiquer l’acharnement thérapeutique, notamment sur des centrales manifestement obsolètes, comme celle de Fessenheim, en Alsace, le premier prototype PWR de France, qui se distingue par un nombre de pannes quatre fois supérieur à la moyenne des pannes constatées sur l’ensemble du parc nucléaire français !
Il s’agit donc d’éviter d’ouvrir la boîte de Pandore, de peur d’être confronté à la vérité des prix... Voilà une posture que l’on peut évidemment mettre en parallèle avec les difficultés que rencontre actuellement le programme EPR, alors que le Gouvernement fait de la relance du nucléaire sa priorité en termes de politique énergétique !
Enfin, quatrièmement, ce projet de loi se distingue par une omission tout à fait emblématique du désormais célèbre adage présidentiel : « L’environnement, ça commence à bien faire ! ». Dans le cadre d’une loi NOME, on ne pouvait pas éluder la question centrale de la tarification, actuellement fortement dégressive, donc antisociale et anti-écologique : plus on consomme, moins on paie !...
Un tel dispositif, qui pénalise les ménages les plus modestes vivant dans des appartements mal isolés et chauffés à l’électricité, ne peut que contribuer à la précarité énergétique. De surcroît, il encourage la voracité et le gaspillage énergétiques, qui se voient aujourd’hui institutionnalisés. Une loi NOME effective aurait dû introduire une tarification nouvelle qui récompense la vertu écologique et sociale...
Or telle n’est manifestement pas la priorité de la majorité présidentielle. Seule compte la libéralisation du marché de l’électricité au profit des grands groupes industriels et financiers du secteur privé !
M. Jacques Muller. Cela dit, nous avons déposé quatre amendements destinés à stimuler les économies d’énergie et le développement des énergies renouvelables. Nous espérons, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, qu’ils seront intégrés dans la loi. Ce serait bien le minimum minimorum pour un texte dont l’ambition affichée est la réorganisation du marché de l’électricité !
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.
Madame la présidente, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, nous aurons bien évidemment l’occasion, au cours de la discussion, de revenir précisément sur l’ensemble des questions que vous avez posées. Cependant, je souhaiterais vous apporter sans attendre quelques précisions.
La première question essentielle est celle que vous avez soulevée, monsieur le rapporteur, au sujet de la prolongation des contrats d’obligation d’achat pour les petites installations hydroélectriques.
À la suite de la convention pour le développement d’une hydroélectricité durable, nous avons d’ores et déjà engagé des travaux avec les professionnels afin de définir les conditions de prolongation de ces contrats dans le cas où les exploitants feraient de nouveaux investissements afin de moderniser leurs installations.
En ce qui concerne le deuxième point, plus central, que vous avez évoqué dans votre conclusion – la possibilité offerte aux fournisseurs alternatifs de participer, aux côtés d’EDF, aux investissements nécessaires à la prolongation de la durée de vie des centrales existantes –, …
… je souhaiterais rappeler que la loi encourage, au-delà de l’ARENH, les fournisseurs et EDF à conclure, de gré à gré, des partenariats allant dans cette direction.
Le principe de la loi consiste à donner, avec l’ARENH, un cadre a minima de régulation du marché entre le fournisseur historique et les nouveaux entrants. Cela dit, nous encourageons les uns et les autres à conclure des contrats de gré à gré sur plusieurs années, avec un prix spécifique qui prévoira certaines obligations d’investir dans l’outil de production du côté de l’alternatif. Dans ce cadre-là, naturellement, rien n’interdit d’aller dans le sens que vous évoquiez.
Au sujet du prix de l’ARENH, évoqué par Philippe Marini, Jean-Claude Danglot et Roland Courteau, je souhaiterais revenir sur les interprétations qui ont été faites de la notion de « prix cohérent avec le TARTAM ». Ce prix est celui qui permet à un fournisseur de faire une offre à un client à un prix comparable à celui du TARTAM. Concrètement, ce n’est pas égal au TARTAM, mais bien « cohérent » avec celui-ci, ce qui n’est pas la même chose. Il y a une nuance non négligeable !
M. Benoist Apparu, secrétaire d'État. Pour le dire autrement, et contrairement à ce que vous indiquiez, monsieur Courteau, le TARTAM est aujourd’hui un prix. Demain, le prix de l’ARENH ne correspondra pas au TARTAM actuel majoré d’un complément de fourniture et une marge ; il s’agira bien de fixer un prix de l’ARENH qui, ces deux éléments complémentaires inclus, corresponde peu ou prou au TARTAM et soit donc cohérent par rapport à lui.
M. Roland Courteau s’exclame.
De la sorte, les bénéficiaires du TARTAM profiteront d’une transparence totale entre le TARTAM actuel et l’ARENH.
Je voudrais également revenir sur la question non moins centrale de l’ouverture à la concurrence et des directives européennes, abordée ce soir par Jacques Mézard, Jean-Claude Danglot, Jean-Claude Merceron, Roland Courteau, Benoît Huré et, à l’instant, Jacques Muller.
Comme vous l’a très bien expliqué votre collègue Philippe Marini, dont je reprendrai les termes, le projet de loi prévoit la régulation la plus forte qui soit dans un contexte juridique donné, réaffirmé par la Commission européenne, contexte qu’il ne m’appartient pas aujourd’hui de juger.
Nous devons tenir compte de ce contexte juridique de l’Union européenne, et adapter notre législation en conséquence.
Certes, nous pourrions débattre pendant des heures des bienfaits et des méfaits du libéralisme. J’ai entendu certains d’entre vous lui intenter un procès général assez classique : ainsi, le libéralisme, depuis trente ans, n’aurait produit que des horreurs !
M. Benoist Apparu, secrétaire d'État. Vous avez peut-être raison, chacun peut porter un jugement en la matière ! Mais j’aurais souhaité que d’autres idéologies, aujourd’hui totalement disparues, fassent, elles aussi, l’objet de procès similaires et répondent, en leur temps, des méfaits bien plus puissants qu’elles ont infligés à l’ensemble de nos économies – sans parler des quelques millions de morts dont elles ont malheureusement été la cause…
Vives exclamations sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.
M. Benoist Apparu, secrétaire d'État. Alors, de grâce, évitons ces procès qui me semblent dépasser largement votre propre pensée !
Nouvelles exclamations sur les mêmes travées.
M. Benoist Apparu, secrétaire d'État. Puisque vous m’y invitez, je préciserai encore que c’est la gauche qui, en 2000, a voté la loi d’ouverture du marché de l’électricité.
Protestations sur les travées du groupe socialiste.
M. Benoist Apparu, secrétaire d'État. Et je rappelle au passage que c’est la droite, et plus précisément cette majorité, qui a mis en place tous les garde-fous actuels !
Rires et exclamations ironiquessur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.
Les tarifs sociaux, qui c’est ? C’est la droite ! Le TARTAM, qui c’est ? C’est cette majorité.
Vives exclamations sur les travées du groupe socialiste.
Rires sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.
C’est nous qui avons mis en place toutes les régulations ; c’est vous qui, en 2000, avez mis en œuvre la première loi de libéralisation du marché !
M. Benoist Apparu, secrétaire d'État. Mais, pour tenter de dépasser les caricatures éculées, des uns et des autres, d’ailleurs
Nouveaux rires sur les mêmes travées.
M. Benoist Apparu, secrétaire d'État. Mais non ! J’essaie simplement de répondre à la hauteur de votre propre provocation !
Sourires
Quoi qu’il en soit, ce projet de loi NOME est avant tout un texte qui nous permet de créer une nouvelle régulation des marchés de l’électricité dans notre pays, en fonction d’un cadre juridique donné, défini par l’Union européenne.
Je voudrais également revenir sur la question du « ciseau tarifaire » soulevée par Jean-Claude Merceron. Nous aurons, là aussi, l’occasion d’y revenir au cours des débats. Cependant, je voudrais immédiatement préciser qu’il faut non pas considérer uniquement le prix de l’ARENH, mais tenir compte aussi de l’ensemble des conditions d’approvisionnement, notamment le volume et le profil de livraison, pour s’adapter aux différentes catégories de clients, comme le prévoit d’ailleurs explicitement la loi.
En ce qui concerne la sortie du dispositif de l’ARENH, évoquée par Jean-Claude Merceron et Yvon Collin, je souhaiterais indiquer que notre priorité est d’investir dans le parc nucléaire existant afin d’en restaurer les performances et d’en prolonger la durée de vie.
Je précise que la programmation pluriannuelle des investissements, qui constitue en quelque sorte notre feuille de route énergétique, démontre qu’avec le développement actuel des ENR et les économies d’énergie, il ne sera pas nécessaire, avant 2020, de construire de nouvelles tranches nucléaires au-delà des deux projets déjà lancés. Nous avons donc, me semble-t-il, tout le temps de mener ce débat-là ; il me paraîtrait prématuré de l’engager à l’occasion de l’examen de ce texte.
À propos des ELD, je voudrais répondre à Xavier Pintat que le projet de loi NOME les préserve, d’une part, grâce au maintien du tarif de cession pendant un certain nombre d’années, d’autre part, par les mesures dérogatoires que nous avons mises en place, qui leur permettront de se regrouper pour accéder à l’ARENH et satisfaire à l’obligation de capacités qui sera désormais la leur.
Concernant les électro-intensifs, évoqués notamment par M. Jean-Pierre Vial, le projet de loi NOME leur garantit, comme aux autres consommateurs, un prix de l’électricité fondé sur les coûts. De plus, comme vous le savez, l’Assemblée nationale a ajouté, avec l’accord du Gouvernement, un dispositif de rémunération de « l’interruptibilité » qui bénéficiera aux plus gros sites industriels de production.
Par ailleurs, l’obligation de capacités leur permettra de valoriser leur capacité d’effacement. Dans l’attente de la mise en place de ce mécanisme, nous appuierons l’amendement que vous soutenez demandant à RTE de faire des appels d’offres pour l’effacement des grands sites industriels.
Enfin, monsieur Muller, vous avez fait une erreur sur un point : les charges de long terme du nucléaire sont provisionnées et payées dès aujourd’hui. Elles sont d’ailleurs incluses de façon totalement explicite dans le prix de l’ARENH.
La politique nucléaire que mène la France est évidemment responsable et aucune charge ne sera reportée sur les générations futures.
Mesdames, messieurs les sénateurs, pour l’ARENH comme pour les retraites, nous ne souhaitons pas reporter sur les générations futures des décisions que nous devons prendre et assumer aujourd’hui, et c’est ce que nous faisons dans l’un et l’autre cas !
Applaudissements sur les travées de l ’ UMP.- Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Je suis saisie, par M. Danglot, Mme Didier, M. Le Cam, Mmes Schurch, Terrade et les membres du groupe communiste, républicain, citoyen et des sénateurs du Parti de Gauche, d’une motion n° 22.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l'article 44, alinéa 2, du règlement, le Sénat déclare irrecevable le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, portant nouvelle organisation du marché de l'électricité (n° 644, 2009-2010).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à Mme Mireille Schurch, auteur de la motion.
Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, les membres du groupe communiste, républicain et citoyen et des sénateurs du Parti de Gauche ont souhaité, en effet, déposer une motion d’irrecevabilité sur le présent texte.
Force est de constater que le projet de loi portant nouvelle organisation du marché de l’électricité présente des dispositions manifestement contraires au droit national comme au droit communautaire. Pour autant, et je vous le dis d’emblée, l’inconstitutionnalité de ce projet de loi n’est pas le pire de ses défauts.
Si nous avons fait le choix de ce moyen de procédure, c’est pour mettre en lumière les contradictions de ce gouvernement au regard des directives européennes, voire ses errements en matière de politique énergétique, et la mise en cause des principes de justice et de solidarité régissant notre République.
En effet, depuis plusieurs décennies, l’Europe et ses institutions se sont fixé pour but ultime la construction d’un espace totalement libéralisé, au sein duquel la concurrence libre et non faussée est le prisme de toute politique publique, et ce dans tous les domaines d’activités humaines, qu’ils relèvent de l’intérêt général ou du simple commerce.
Il en est ainsi du secteur de l’énergie : les directives successives de 1996, 2003 et 2009 ont permis d’instaurer un marché de l’énergie européen, cassant les monopoles publics et le caractère intégré de l’offre, et favorisant l’apparition de nouveaux acteurs privés, appelés à profiter des bénéfices que pouvait engendrer ce marché.
Cette organisation qui, dans le mirage capitaliste, était censée apporter une amélioration de l’offre pour les consommateurs, s’est révélée particulièrement inopérante, puisque ceux qui ont fait le choix d’entrer dans ce marché libre ont vu les tarifs exploser sans que la qualité de l’offre soit améliorée.
Pourtant, ce projet de loi permet d’aller encore plus loin pour stimuler le marché énergétique, quitte à fausser la concurrence pour faire émerger artificiellement de nouveaux opérateurs. Vous avez la mémoire bien courte ! Avez-vous oublié le désastre californien, ou encore le scandale d’Enron ?
Alors que la pertinence d’un marché libéralisé par la multiplication des acteurs est, chaque jour, réfutée par les faits, vous nous demandez aujourd’hui de soutenir une aide d’État aux opérateurs privés du secteur énergétique. Une nouvelle fois, vous mettez l’argent public au service d’intérêts privés.
Je vous rappelle que toute aide d’État est prohibée par les traités, et notamment par l’article 107, paragraphe 1, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Une aide d’État désigne, en effet, l’intervention d’une autorité publique par le biais de ressources publiques, pour soutenir certaines entreprises ou productions. Il me semble que nous nous situons exactement dans ce cas de figure.
Pour illustrer mon propos, je vous propose d’établir un parallèle intéressant.
Comme vous le savez, la Commission européenne a engagé un recours en manquement contre la France en 2006, au motif que le TARTAM mis en place par la loi de privatisation de GDF constituerait une aide d’État pour les consommateurs en bénéficiant. Or le présent projet de loi tend à mettre en place l’ARENH, dont la tarification devrait se rapprocher de celle du TARTAM, puisqu’il est clairement stipulé que « le prix de l’ARENH est fixé initialement en cohérence avec le tarif visé à l’article 30-1 de la loi du 9 août 2004 ».
Certes, les bénéficiaires ne sont pas les mêmes : d’un côté, le TARTAM bénéficiait essentiellement aux professionnels afin de préserver la compétitivité économique des entreprises françaises, tandis que l’ARENH bénéficiera aux opérateurs alternatifs d’électricité. Cependant, les mécanismes sont les mêmes, ce qui laisse craindre que l’ARENH ne soit également qualifiée d’aide d’État, et ce sans la justification d’intérêt général que portait le TARTAM.
Disons-le tout net : vous souhaitez contraindre EDF, société anonyme détenue à majorité par des capitaux publics, à céder à ses concurrents, quasiment à prix coûtant, l’électricité d’origine nucléaire qu’elle produit. Nous n’avons jamais vu, dans l’histoire, de procédé aussi contraignant à l’égard d’une entreprise, qu’elle soit publique ou privée. Vous maltraitez ainsi le principe de la liberté d’entreprendre qui, vous le savez, n’est pas l’une de nos références préférées.
Il s’agit du choix délibéré de mettre la société EDF en difficulté afin de faire partager ses bénéfices, alors même que les entreprises qui achèteront de l’énergie nucléaire ne seront soumises à aucune contrainte réelle en termes d’obligations de service public, qu’elles concernent les tarifs ou la sécurité d’approvisionnement, malgré le dispositif mis en place à l’article 2 de ce projet de loi.
De plus, si la concurrence libre et non faussée repose sur une multiplication des offres, ce projet de loi ne permet que de renforcer les intermédiaires, la production nucléaire restant, pour sa part – et c’est heureux ! –, monopole d’EDF, notamment au regard des enjeux de sécurité, celle des installations comme celle des personnels.
Aujourd’hui, vous organisez une concurrence faussée en spoliant EDF au profit de ses concurrents. Notons que cela revient à spolier les Français, puisque ce sont eux qui ont permis, en acquittant leur facture énergétique, la réalisation d’investissements lourds, nécessaires à cette activité particulière qu’est la production d’énergie nucléaire.
De plus, ce projet de loi est contraire à notre pacte républicain. Le préambule de la Constitution de 1946, composante du « bloc de constitutionnalité » qui rassemble l’ensemble des valeurs constitutionnelles de notre République, dispose, comme l’a rappelé Jacques Mézard, que « tout bien, toute entreprise, dont l’exploitation a ou acquiert les caractères d’un service public national ou d’un monopole de fait, doit devenir la propriété de la collectivité ».
Cette qualification est notamment permise pour EDF, grâce au monopole d’exploitation de l’énergie nucléaire dont elle dispose. Or cette propriété publique d’EDF, justifiée par l’exercice d’un service public national, ne peut être utilisée par l’État pour nourrir les autres opérateurs au détriment de son outil public. Nous trouvons cette utilisation d’un service public national doté d’une mission de service public particulièrement troublante, puisque sa finalité serait de répondre non pas à l’intérêt général, mais aux intérêts privés de Suez, POWEO et autres Direct Energie.
Fondamentalement, les Français perçoivent EDF non pas comme une entreprise autonome opérant avec sa propre ambition sur un marché mondial, mais comme un service public dont la mission unique est de pourvoir à leurs besoins au moindre coût. Ainsi, 96 % des Français sont restés fidèles aux tarifs réglementés de leur opérateur historique, EDF.
Venons-en au deuxième point, qui me semble particulièrement contestable du point de vue de la constitutionnalité. Il s’agit de la fameuse clause de destination, évoquée par Roland Courteau, et prévue à l’article 1er du texte.
J’ai bien compris que, s’agissant de cette clause, les analyses divergeaient.
Voici ce que le député Jean-Claude Lenoir note dans son rapport : « Si la clause de destination n’est pas explicitement édictée dans le projet de loi, plusieurs dispositions techniques du projet de loi indiquent qu’est garanti le fait que l’ARENH bénéficiera in fine aux seuls consommateurs situés sur le territoire national ». Cette affirmation entre absolument en contradiction avec le courrier, daté du 15 septembre 2009, adressé par François Fillon, Premier ministre du Gouvernement français, à la commissaire européenne à la concurrence : « Le dispositif ne limiterait en aucune manière le potentiel d’exportation d’électricité puisque les fournisseurs qui auront acquis des volumes d’électricité de base à prix régulés resteront libres de les revendre à des clients finals en France, comme sur d’autres marchés ».
Que devons-nous penser de ces contradictions ?
Comme le note très justement le député Lenoir, cette « clause de destination peut apparaître comme une restriction injustifiée des exportations, incompatible avec le droit communautaire ». D’ailleurs, la Commission a condamné GDF-Suez et E.ON, le 8 juillet 2009, au motif qu’ils avaient conclu un accord similaire avec Gazprom.
Au final, ce projet de loi, censé répondre aux injonctions de la Commission et mettre le droit français en conformité avec le droit communautaire, aura pour conséquence de nous mettre une nouvelle fois en infraction avec celui-ci. Si d’aventure un recours était formé auprès de la Cour de justice des Communautés européennes, il y a fort à parier que cette clause serait déclarée incompatible avec le principe de libre circulation des biens et des marchandises, et avec la prohibition de tout obstacle aux frontières.
Pourtant, la suppression de cette clause entraînerait sûrement le marché de l’électricité nucléaire, aujourd’hui préservé, sur la pente redoutable de la spéculation financière. Nous sommes alors en droit de nous interroger : monsieur le secrétaire d’État, le Gouvernement a-t-il pris la mesure de la crise économique et sociale que nous traversons ?
Je souhaite également revenir sur la question des tarifs, essentielle pour les sénateurs de mon groupe, car elle concerne l’accès de tous à ce bien de première nécessité.
La première justification de ce projet de loi, selon le Gouvernement, est d’apporter des réponses aux actions engagées par la Commission européenne, qui poursuit la France, depuis le 15 décembre 2006, pour non-transposition de directive européenne. Ainsi a-t-elle engagé contre notre pays deux procédures d’infraction, l’une pour défaut de transposition de la directive de 2003 et visant les tarifs réglementés, l’autre plus récente, ouverte le 13 juin 2007 au motif que le TARTAM constituerait une aide d’État.
Or, sur ces questions, rien n’est encore réglé de manière définitive.
Certes, le TARTAM a vocation à disparaître : il sera éteint dès le 31 décembre de cette année et les tarifs réglementés dits « vert » et « jaune » seront supprimés en 2015. Cependant, le choix, que nous approuvons, de maintenir provisoirement les tarifs réglementés liés aux particuliers correspond, de fait, à une infraction au droit communautaire.
Par ailleurs, le Conseil constitutionnel a été très clair dans sa décision du 30 novembre 2006 : « Le maintien sans limite de temps des tarifs réglementés impose aux opérateurs historiques du secteur de l’énergie, et à eux seuls, des obligations tarifaires permanentes, générales et étrangères à la poursuite d’objectifs de service public ». Il considère que cette disposition méconnaît, par là même, le principe d’ouverture des marchés concurrentiels de l’électricité et du gaz naturel fixé par les directives.
Le Conseil constitutionnel met ainsi en cause, notamment, le caractère général de cette tarification, qui aurait dû être limitée aux seuls contrats en cours au moment de la libéralisation, c’est-à-dire ceux qui ont été passés avec des consommateurs n’ayant pas déménagé ou changé de situation personnelle.
Or les mécanismes créés par cette loi méconnaissent une nouvelle fois ces principes, ce qui expose le texte à une censure du Conseil constitutionnel.
Force est donc de constater que, en voulant satisfaire avec zèle à vos obligations, non seulement vous soulevez de nombreux problèmes juridiques nouveaux, comme je vous l’ai montré, mais encore vous ne répondez pas à l’injonction européenne !
Ce projet de loi ressemble donc à un arrangement entre amis, un arrangement juridiquement précaire mais qui a tout de même pour vous l’avantage de faire sauter le tabou de l’exploitation monopoliste de l’énergie nucléaire par EDF.
Or, depuis toujours, l’acceptabilité du nucléaire a reposé sur sa maîtrise publique et sur la transparence qui entourait la production de cette énergie !
Nous estimons que cette maîtrise publique est aujourd’hui remise en cause et que ce projet de loi constitue un premier pas vers la multiplication des opérateurs nucléaires sur le sol national, seul véritable espoir pour les Européens libéraux convaincus que vous êtes de se mettre en conformité avec le droit communautaire. Les appétits sont aiguisés et les opérateurs déjà dans les starting-blocks !
Lorsque l’on sait que des opérateurs participent d'ores et déjà à des centrales et que GDF Suez témoigne d’un grand appétit pour exploiter des centrales en France, nous ne pouvons que nous interroger sur le maintien, à terme, du monopole d’exploitation et craindre que l’actuel projet de loi ne soit qu’une étape vers le démantèlement total d’EDF en tant qu’entreprise intégrée.
Ne soyons pas dupes : ce projet de loi, avec les incertitudes qu’il comporte, appelle de nouveaux textes, qui iront encore plus loin dans le démantèlement du service public.
À ce titre, notons que vous avez vendu la mèche, monsieur le rapporteur, en exprimant tout à l'heure très clairement votre regret que « le Gouvernement n’ait pas exploré la piste de l’ouverture du capital des centrales nucléaires ».
Pourtant, à notre avis, les garanties de sécurité des installations et des personnels ne peuvent être données que par des opérateurs publics, non par des opérateurs privés.
Je parle bien des opérateurs privés, monsieur le rapporteur ! Or l’objectif premier de ces derniers restera toujours la rationalisation des coûts.
Actuellement, la dénaturation de l’entreprise EDF a déjà abouti à un recours accru à la sous-traitance, avec les conséquences que nous connaissons.
Pour conclure, force est de constater que les auteurs de ce projet de loi, tout en voulant satisfaire de la manière la plus zélée au droit communautaire, continuent de se placer en infraction avec ce dernier et n’apportent aucune réponse au triple défi énergétique, écologique et social d’un grand service public de l’énergie.
À notre sens, tout le problème réside dans cette contradiction : les directives européennes imposent l’instauration d’un marché énergétique libre, alors même que ce modèle libéral est contre-productif dans un secteur si particulier.
Nous souhaiterions donc que le Gouvernement, au lieu de faire du bricolage juridique, s’engage dans la voie d’une remise à plat des objectifs nationaux, voire européens, dans le secteur de l’énergie.
Nous avions un modèle qui fonctionnait avec des tarifs abordables. Pourquoi renier tout cela ?
Comment imaginer pouvoir se passer de ce caractère public, alors même que les investissements à réaliser dans le secteur sont aujourd’hui colossaux, notamment au regard du nécessaire renouvellement du parc nucléaire ?
Nous proposons depuis de très nombreuses années une remise à plat des règles européennes et une réorientation de la construction de l’espace communautaire, en mettant au cœur de la réflexion les questions des services publics et du développement durable, alliant efficacité économique, efficacité sociale et efficacité environnementale.
C'est pourquoi nous demandons sans relâche l’abandon des traités européens, notamment celui de Lisbonne, …
… qui grave dans le marbre des principes de concurrence libre et non faussée incompatibles avec l’existence d’un service public de l’énergie digne de ce nom.
Pour toutes ces raisons, mes chers collègues, nous vous demandons d’adopter cette motion.
Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur de la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire. Chers collègues du groupe CRC-SPG, j’apprécie votre humour ! Il est assez surprenant, je l’avoue, de vous entendre nous prendre à contre-pied et, surtout, à rebours de vos propres propositions, vous faire les défenseurs du libéralisme !
Souriressur les travées de l’UMP.– Protestations sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.
En tout cas, j’apprécie !
J’ai retrouvé ensuite, dans vos différents arguments, une position beaucoup plus classique, qui rapprochait d'ailleurs votre intervention de celle de votre collègue Jean-Claude Danglot. Celui-ci, tout à l'heure, a exprimé très clairement votre opposition au projet de loi portant nouvelle organisation du marché de l’électricité.
Je voudrais simplement apporter deux précisions, en me fondant non pas sur votre intervention, madame Schurch, mais sur l’objet de la motion que vous avez présentée.
Premièrement – pardonnez-moi de me répéter, et de redire ici ce que M. le secrétaire d'État a déjà évoqué tout à l'heure, tout comme Philippe Marini dans son intervention –, chers collègues de l’opposition, que cela vous plaise ou non, nous sommes sous la menace de deux procédures !
La première a été lancée en avril 2006 pour défaut de mise en œuvre de la directive de 2003. La Commission de Bruxelles a estimé que les tarifs réglementés constituaient un obstacle à l’ouverture du marché.
La seconde, qui a été lancée en juin 2007, est relative aux aides d’État. Le ministre d’État Jean-Louis Borloo a rappelé tout à l'heure que plusieurs dizaines de milliards d'euros étaient en jeu. Cette menace pèse sur l’État français, sur EDF et sur les entreprises françaises qui ont bénéficié de ces tarifs, notamment du TARTAM. Le présent projet de loi vise à répondre à ces deux procédures, …
… qu’il faut tout de même prendre au sérieux. Vous ne pouvez les balayer d’un revers de main !
Au passage, chers collègues de l’opposition, le groupe socialiste pourrait, demain, avec les sénateurs du groupe CRC-SPG comme partenaires, être au pouvoir…
Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.
Comme cela a été le cas dans le passé, vous assumeriez alors vos responsabilités, …
… c'est-à-dire que, face à des menaces comme celles-ci, vous n’auriez pas le même comportement que celui que vous adoptez à présent. C’est probablement vous qui nous obligeriez à prendre position sur des mesures que vous nous proposeriez. Il faut donc être responsable, me semble-t-il. Un parlementaire peut être un jour dans la majorité, un autre, dans l’opposition !
Monsieur Courteau, pour ma part, j’ai été tour à tour dans la majorité et dans l’opposition, je me plais à le dire et à le répéter !
Deuxièmement, vous faites état également du risque de censure des autorités de Bruxelles qui pèse sur nous, et vous avez raison. Toutefois, je voudrais vous rappeler que les grandes lignes de cette réforme ont été présentées par le Premier ministre, dans une lettre datée de septembre 2009, et que les commissaires européens chargés respectivement de l’énergie et de la concurrence ont répondu tous deux que l’adoption de ce projet de loi pourrait conduire à l’abandon des procédures.
Il n'y a donc aucune raison pour que ce texte soit remis en cause. Au contraire, s’il est adopté, les autorités de Bruxelles en tireront des conséquences qui seront forcément positives.
En conséquence, la commission émet un avis défavorable sur la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix la motion n° 22, tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.
Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi portant nouvelle organisation du marché de l’électricité.
Je suis saisie d'une demande de scrutin public émanant de la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire.
Je rappelle que la commission et le Gouvernement ont émis un avis défavorable.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
Le scrutin a lieu.
Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
Il est procédé au dépouillement du scrutin.
Par lettre en date de ce jour, M. le ministre chargé des relations avec le Parlement a modifié l’ordre du jour de la séance du jeudi 30 septembre pour prévoir la suite éventuelle de l’examen du projet de loi portant nouvelle organisation du marché de l’électricité.
En conséquence, l’ordre du jour de la séance du jeudi 30 septembre s’établit comme suit :
À neuf heures trente, l’après-midi, après les questions d’actualité au Gouvernement, et le soir :
- Suite éventuelle du projet de loi portant nouvelle organisation du marché de l’électricité, NOME.
- Projet de loi autorisant l’approbation de l’avenant à la convention entre la France et la Suisse en vue d’éviter les doubles impositions en matière d’impôt sur le revenu et sur la fortune.
- Cinq conventions fiscales, dont la commission des finances a demandé l’examen sous forme simplifiée.
- Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, de régulation bancaire et financière.
Acte est donné de cette communication.
Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mardi 28 septembre 2010 :
À neuf heures trente :
1. Questions orales.
Le texte des questions figure en annexe
À quatorze heures trente, le soir et la nuit :
2. Suite du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, portant nouvelle organisation du marché de l’électricité (n° 556, 2009-2010).
Rapport de M. Ladislas Poniatowski, fait au nom de la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire (n° 643, 2009 2010).
Texte de la commission (n° 644, 2009-2010).
Avis de M. Philippe Marini, fait au nom de commission des finances (n° 617, 2009-2010).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
La séance est levée à vingt-trois heures quarante-cinq.