La Délégation procède à l'audition de M. Jean-Jacques de Peretti, conseiller d'Etat, chargé d'une mission sur la mise en oeuvre de la réforme des collectivités territoriales.
La mission que m'a confiée le Président de la République est extrêmement ciblée ; elle porte essentiellement sur les futurs schémas d'organisation des compétences et de mutualisation des services et sur leur articulation avec d'autres documents tels que les contrats de projet État-région (CPER) ou la programmation des fonds structurels.
La loi demande aux régions et aux départements, après, le cas échéant, avis des métropoles, d'élaborer des schémas d'organisation portant sur un nombre minimal de compétences. Ces schémas devront être constitués pour le 1er janvier 2015. Or, c'est seulement en 2014 que les conseillers territoriaux auront été élus ; avant cela, en 2012 et 2013, les préfets auront travaillé avec les présidents de région, et parfois de départements, sur les nouveaux CPER - dont on ne sait pas encore concrètement s'ils différeront de ce qui existe actuellement - et les programmes opérationnels européens. En résumé, on va décider ce que l'on veut faire, puis on changera les élus et, enfin, on décidera « qui fait quoi ». On peut se demander s'il ne faudrait pas inverser les séquences : décider « qui fait quoi », avec quels élus et « pour faire quoi ». Le calendrier doit donc être pris en compte : s'il n'est pas modifié, les CPER et les programmes opérationnels européens rigidifieront une bonne partie de l'action locale et prédétermineront largement les schémas d'organisation.
Ceci n'est pas un sujet nouveau et ne m'inquiète pas outre-mesure. Les contrats de plan ont toujours eu leur rythme, les majorités vont et viennent : c'est ce qu'on pourrait appeler la « respiration démocratique ». Il me semble donc qu'il ne faudrait pas voir là un obstacle majeur.
Je pense que cette inversion est tout de même problématique. Je voudrais plus particulièrement évoquer l'échéance du calendrier, à savoir le 1er janvier 2015 : avec des élections qui auront eu lieu en mars 2014, les collectivités devront trouver un accord dans un délai relativement restreint (de surcroît, sur un sujet nouveau pour elles, sur lequel il n'y aura pas de précédent) ; le temps que les commissions et les exécutifs s'installent, le premier semestre se sera quasiment écoulé, ne laissant que six mois pour travailler sur les schémas. Les périodes postélectorales donnant souvent lieu à des tensions entre les départements et les régions, il sera d'autant plus difficile de trouver un consensus et l'on risque d'aboutir à des situations de blocage. Je juge ce calendrier trop serré, surtout pour une « première fois » - par la suite les habitudes de travail se mettront en place - et il pourrait se dérouler dans un climat peu propice à la concertation souhaitée.
La loi n'interdit pas de réfléchir ou même de mettre en place des schémas d'organisation sans attendre le 1er janvier 2015. C'est une première réponse envisageable à ce problème de calendrier. Une autre piste consisterait à s'abstenir de légiférer jusqu'en 2014, et même au-delà, pour laisser aux élus locaux le temps de s'entendre et de s'organiser entre eux. Je pense que la loi le permet : par ses silences, elle offre des ouvertures, avec pour seules limites les dispositions constitutionnelles ou le champ des compétences exclusives. Au final, les élus ont devant eux un large champ de liberté qui les place au premier rang pour l'application de la loi.
De plus, il ne peut évidemment y avoir de modèle unique pour l'ensemble du territoire français, d'une grande diversité, si bien qu'il est sage de s'en remettre aux élus locaux.
Sur le fond, je rejoins la première piste du rapport Lefèvre : « substituer au dispositif des compétences exclusives pures un système de compétences obligatoires partageables ». C'est un point essentiel : si l'on veut avoir une plasticité d'application de la réforme des collectivités territoriales selon les territoires, il faut, bien sûr, que certaines régions aient des compétences exclusives, mais d'autres seront forcément partagées. Au sein d'une région, certains départements pourraient même décider de s'associer à une compétence partagée et d'autres non. Je pense que ce dispositif de compétences obligatoires partageables ne nécessite pas forcément de loi supplémentaire.
Dans nos auditions, nous avons également eu beaucoup de propositions sur les compétences en elles-mêmes, notamment quant au transfert à la région du domaine de la santé. Je suis plutôt réservé sur ce point ; en revanche, d'autres compétences telles que l'éducation ou l'économie ne me posent pas de problème.
Pour citer de nouveau le rapport Lefèvre, la région apparaît comme l'outil de l'avenir et de l'aménagement de son territoire, et le département comme l'outil de proximité et de solidarité. On distingue moins le troisième pilier, pourtant réel : les intercommunalités, dont le rôle est parfois minimisé alors qu'elles partagent aussi certaines compétences avec les départements.
J'ai évoqué avec mes interlocuteurs les différentes pistes du rapport Lefèvre. Je peux dire qu'on les juge sensées et qu'elles ne pas soulèvent pas d'objections particulières. Mais il reste à régler l'aspect financier du problème : une compétence partagée dans le cadre des EPCI ne saurait fonctionner si elle n'a pas fait l'objet d'un transfert total des moyens de la part des départements vers les EPCI.
Un autre aspect soulève des questions plus difficiles : celui de la transparence, de l'association des citoyens à une répartition des compétences qui seraient décidée par les élus des régions et départements. Quand il n'y a pas de problème particulier, ce type de débats est souvent organisé, dans le cadre d'une structure telle que la commission du débat public, parce que la loi le demande, et ils sont de fait conduits par les élus. Notre recherche s'oriente beaucoup plus sur les nouvelles technologies, par exemple l'ouverture par les régions et les départements de blogs et autres systèmes tels que Twiter, Facebook, etc. de manière beaucoup plus quotidienne et active qu'ils ne le font déjà pour certains. L'objectif est que la population elle-même s'approprie le débat posé par la région, le département ou les élus qui envisagent de constituer un schéma d'organisation particulier. Il faut trouver comment intéresser concrètement les habitants aux modifications portant sur les compétences.
Enfin, pour revenir au calendrier de la mission, la lettre de mission prévoit la rédaction des premières conclusions pour le 15 mars. Ce délai sera porté au 31 mars du fait des élections, et le rapport sera rendu le 30 juin. D'une manière générale, je m'emploie pour l'heure à tirer la substantifique moelle et les formules fortes contenues dans toutes les démarches initiées, notamment à travers les rapports du Sénat.
Quand il y a un désir de réussir, on trouve toujours un accord : on arrive à se partager les tâches et, souvent, la région joue sur ce point un rôle fédérateur entre les différentes parties prenantes... à condition qu'elle le veuille.
Il peut aussi y avoir une volonté de ne pas s'entendre. Ce n'est pas un problème politique, mais une question de comportement personnel : les gens peuvent ne pas avoir envie de travailler ensemble et donc de se partager les rôles. C'est là que la loi doit intervenir : il faut un dispositif contraignant, tout simplement parce que ce type de situation existe et qu'il faut y faire face en disant qui fait quoi.
Ce que vous dites rejoint un peu le rapport Lefèvre sur le constat de carence. Par ailleurs, parmi les pistes que nous essayons de dégager dans le cadre de la mission, nous avions pensé aux crédits européens. L'un des moyens incitatifs pourrait être une délégation totale ou quasi-totale des crédits européens à la région dans la mesure où il y aurait entente sur le schéma. Aujourd'hui, il existe notre règle du financement à 50-50 entre l'Europe et les autorités françaises et, sur les 50% des crédits qui ne sont pas versés par l'Union européenne, quand le préfet de région intervient, il n'accepte de donner un euro à la collectivité que si cette dernière s'engage elle-même à verser un euro. In fine, les opérations concernées deviennent plutôt des opérations d'État, mais qui sont financées par la région. Dans notre mission, la véritable question sous-jacente, relative aux systèmes de financement issus de la loi du 16 décembre 2010 sur la réforme des collectivités territoriales, concerne le véritable rôle que l'État doit jouer désormais. Si l'État reste à sa place et se cantonne dans ses missions régaliennes, la délégation des crédits européens aux régions, sous réserve d'entente sur les projets de territoires, permettrait de leur donner une plus grande autonomie.
Pour la répartition des compétences, il me parait difficile qu'en changeant de région, il soit possible de changer d'interlocuteur. Peut-t-on imaginer, s'il s'agit par exemple d'aménager une ligne de train à grande vitesse traversant trois régions, que, dans la première, le schéma de répartition des compétences ait confié la responsabilité totale de ce dossier à la région, que, dans une autre, cette compétence revienne exclusivement aux départements et que, dans la troisième, elle soit partagée entre les départements et la région ? Il me semblerait donc nécessaire d'affirmer un certain nombre de principes et de poser des garde-fous. La réflexion actuelle ne donne-t-elle pas l'occasion de différencier concrètement le rôle de la région de celui du département, même si certaines compétences peuvent être partagées ?
N'est-ce pas également l'occasion de mettre un peu d'ordre entre les répartitions très théoriques effectuées lors des grandes lois de décentralisation ? Pour la gestion des bâtiments de l'enseignement, il avait été décidé en 1982 de confier les universités à l'État, les lycées aux régions, les collèges aux départements et l'école élémentaire aux communes. Dans les faits, ce n'est pas aussi clair : cela se passe bien pour le département et la région, mais la commune a besoin des autres collectivités et l'État ne fait plus rien s'il n'a pas l'aide du département et de la région. J'ajoute que, pour les TOS, interviennent à la fois la région et le département. Dès lors, ne pourrait-on pas proposer de mettre de l'ordre dans ce qui existe déjà ? Il conviendrait de différencier clairement le rôle de la région de celui du département. En effet, si cela n'était pas fait, je redoute qu'après avoir eu un État très centralisé, où tout se décidait à Paris, on en arrive à un véritable « patchwork » dans lequel personne ne se retrouverait et où l'aménagement du territoire n'aurait rien à gagner.
Vous avez entièrement raison. Si on prend la question des transports, il y a une quasi-unanimité pour dire que c'est à la région qu'il revient de gérer cette compétence, à l'exception du périmètre urbain des transports, où il peut exister des conventionnements. En revanche, pour le TGV, c'est l'État qui reste le maître d'ouvrage et les collectivités territoriales cofinancent. Finalement, elles ne disposent d'une marge de manoeuvre que sur le tracé de la ligne.
J'estime qu'il faut plutôt avoir une réflexion sur la notion de chef de file et déterminer dans quel domaine telle ou telle collectivité territoriale peut devenir le chef de file. Néanmoins, certaines régions sont constituées d'une telle manière que les départements qui la composent pourraient tout à fait avoir une compétence déléguées sur la gestion des lycées. J'estime que cette nouvelle décentralisation, telle qu'elle est issue de la loi du 16 décembre 2010, doit être acceptée au niveau des territoires. Le résultat dépendra des élus locaux eux-mêmes et de la majorité qu'ils dégageront sur les propositions qu'ils feront. In fine, ce sont les élus locaux qui décident. Je pense que l'État doit conserver toute ses compétences dans le domaine de la santé. En effet, je ne vois pas comment il serait possible de mettre en concurrence l'État, la région et les départements dans ce domaine. En revanche, en ce qui concerne l'éducation, notamment l'enseignement supérieur, la concurrence entre universités, selon les régions, peut être saine.
Gardons-nous des fausses opinions sur l'enseignement supérieur et notamment de la soi-disant nécessaire proximité entre telle université et tel bassin de recrutement. C'est peut-être vrai pour les formations de base, type DEUG ; cela ne l'est certainement pas dès que l'on arrive au niveau des années de recherche et les universités n'ont pas attendu le législateur pour créer des réseaux souvent mondiaux de chercheurs qui fonctionnent souvent très bien. Il m'est arrivé d'assister à des soutenances de thèses dont les membres étaient répartis dans le monde entier, par voie de visioconférence.
C'est plutôt la mobilité des étudiants eux-mêmes qui soulève des difficultés dans notre tradition : les étudiants ont le réflexe d'aller dans l'université de leur région d'origine ; ils ont beaucoup de mal à se déplacer.
Si les schémas de répartition des compétences ne sont pas encadrés a minima, il existe un risque que, à l'occasion d'un changement de majorité, on ait des bouleversements des schémas de répartition et que ces derniers deviennent totalement illisibles pour les collectivités, notamment communales, mais aussi pour les entreprises locales.
La loi fixe déjà un certain nombre de compétences exclusives. Ensuite, dès lors qu'il faut des délibérations concordantes pour adopter un schéma de répartition des compétences, il en faut aussi pour les modifier. Par conséquent, les schémas de répartition perdureront tant qu'il n'y aura pas eu de décision contraire et concordante des élus locaux.
Je suis d'accord avec Yves Détraigne : la région a un rôle de planification, d'aménagement du territoire et, avec les départements, de péréquation pour réduire les inégalités. Elle a aussi vocation à financer des infrastructures. C'est notamment le cas pour les transports ferroviaires, avec les TER. Je ne vois pas comment les départements pourraient exercer cette compétence, ni financer des équipements tels qu'une ligne à grande vitesse. A l'inverse, dans le domaine routier, les départements ont acquis un savoir-faire irremplaçable. On peut difficilement partager cette compétence avec les régions pour recréer des routes d'intérêt régional.
La région a donc bien vocation à s'occuper de planification et le département à prendre en charge les politiques de proximité. L'action sociale ne peut pas être menée au niveau régional, pas plus que l'organisation des transports scolaires. Lorsque, comme c'est le cas dans mon département, les transports scolaires prennent en charge 14 000 enfants, la complexité de l'organisation à mettre en place rend très difficile l'exercice de cette compétence par le conseil régional. A contrario, l'intérêt d'un recours à la mutualisation apparaît évident pour la gestion des personnels techniciens ouvriers et de services (TOS) affectés dans les lycées et les collèges. Dans ce domaine, les départements peuvent aisément trouver des accords avec les régions, permettant aux collectivités concernées de réaliser des économies sur les frais de fonctionnement des établissements scolaires. En conclusion, je partage l'idée exprimée par Yves Détraigne lorsqu'il a proposé d'encadrer les différentes hypothèses de partage de compétences ; cela pourrait prendre la forme de schémas-types.
La lettre de mission du Président de la République évoque la possibilité d'établir des schémas-types, mais je ne veux pas donner le sentiment d'élaborer un modèle exhaustif.
Sur l'organisation des transports, ma conviction, nourrie par mon expérience d'élu local, c'est que la marge de manoeuvre des élus est réduite et qu'il n'est possible de dégager des marges de manoeuvre que sur les dépenses de fonctionnement et dans la mutualisation avec les communes. Même si la région devient le chef de file des politiques de transports, hypothèse que nous avons évoquée avec l'ARF, la mutualisation des achats, des contrats et des appels d'offres peut dégager des marges de manoeuvre importantes sans s'opposer à ce que les régions, chef de file, délèguent la gestion de ces transports aux départements, si ces derniers le souhaitent. L'important est de dégager une cohérence d'organisation au bénéfice des usagers. Ma commune organise un tout petit réseau de transports urbains, mais il importe d'assurer la connexion de ce réseau aux transports collectifs du département et de la région ainsi que de proposer une billettique unique aux utilisateurs. L'usager ignore totalement les accords passés entre les autorités organisatrices de transports pour arriver à cette solution, mais il souhaite une organisation fonctionnelle des différents modes de transports qu'il est amené à utiliser.
Les départements ont souvent leur propre régie de transports ; ils sont à la fois organisateurs et transporteurs. Ils assurent l'équilibre de leurs comptes. Il y a des situations très différentes suivant les départements.
Chaque territoire doit définir son organisation et déterminer les moyens d'optimiser cette organisation. Il faut néanmoins mettre l'accent sur la mutualisation des services pour dégager des marges de manoeuvre supplémentaires. Des marges de progression existent : il faut reconnaître que, jusqu'à présent, ni l'État, ni les collectivités territoriales n'ont obtenu de véritables résultats en matière de mutualisation des effectifs, ni réalisé d'économies en matière de coûts de fonctionnement.
Nous souhaitons également promouvoir des propositions déjà faites par votre délégation, comme l'affirmation de la compétence des communautés de communes en matière d'urbanisme.
Vous avez évoqué le problème de la participation du public à l'élaboration et à la mise en oeuvre de schémas qui constitueront de véritables projets territoriaux élaborés au niveau régional et départemental. Ces schémas seront ensuite déclinés à une échelle locale afin que les compétences soient exercées au plus près du terrain dans le cadre d'un projet cohérent. Nos concitoyens sont demandeurs de démocratie participative, et un débat public approfondi en aval permet de limiter les contentieux en amont ; néanmoins, il faut veiller à ne pas refaire le débat électoral. Je crains que l'absence d'encadrement de ce débat public sur les projets territoriaux ne se traduise par des blocages susceptibles de retarder la mise ne oeuvre du partage des compétences. Il faut donc veiller à la définition de modalités de participation du public à ces débats afin de ne pas confondre le temps du débat électoral, qui est le temps du projet, porté par les candidats, avec le temps d'examen des schémas. Ensuite, pour la mise en oeuvre des schémas, il faut s'assurer de la bonne collaboration au sein du couple région-département, puis avec le bloc communal. La gestion expérimentale des fonds européens par les régions constitue un bon exemple des modalités de fonctionnements qui peuvent être mises en oeuvre.
Je rappelle, par ailleurs, que les collectivités territoriales ont besoin d'une certaine stabilité à moyen terme ; il ne faudrait pas que, tous les six ans, la carte des cofinancements soit intégralement redessinée, fragilisant ainsi les projets en cours. Enfin, la définition de seuil de cofinancement ne doit pas se traduire par la création d'effets de seuil qui pénaliseraient les projets qui ne correspondraient pas parfaitement à ce cahier des charges. L'importance du projet pour le territoire qui le sollicite doit être le seul critère décisionnaire pour accorder un cofinancement ; ce n'est pas une question d'ampleur des financements nécessaires : un projet peut être tout à fait structurant pour un territoire tout en se situant en deçà d'un certain seuil.
Je partage tout à fait cette dernière idée : il y a des projets qui sont identitaires pour un territoire, d'autres qui sont stratégiques, même si leur coût est peu élevé, pour un conseil général ou un conseil régional et il ne faut pas leur fermer l'accès à des cofinancements en raison de l'existence d'un seuil d'intervention.
Je voudrais dire que je suis jacobin plutôt que girondin et que je fais confiance au contrat plutôt qu'à la loi. Il faut laisser le soin aux exécutifs locaux concernés de trouver des points d'accords pour l'élaboration des schémas, de contractualiser. Je suis opposé à l'idée d'une modélisation des schémas. Il faut faire confiance aux élus locaux. En ce qui concerne la transparence du débat, il me semble que votre réflexion ne porte que sur la mise en oeuvre des schémas, ainsi que l'indique la lettre de mission du Président de la République.
Je la conçois un peu plus largement. La lettre de mission indique qu'il me faudra proposer des procédures opérationnelles de concertation et de débat public afin que puissent émerger les priorités territoriales qui structureront le futur schéma régional. Il ne s'agit pas de mettre les élus en difficulté lors de la négociation du schéma, mais surtout, ainsi qu'elles l'ont exprimé lors de la discussion du projet de loi, de pouvoir entendre les associations, par exemple sportives.
Je reprends donc à mon compte les propositions de notre collègue Pierre Jarlier sur la nécessité d'encadrer les modalités de déroulement de ce débat public. Sur la dimension régionale de l'organisation des transports, bien que la loi ne s'applique pas encore, ma communauté d'agglomération travaille déjà en collaboration étroite avec la région Aquitaine pour la mise en place d'une navette ferroviaire qui desservira Périgueux. Le cadencement est défini en collaboration avec la région, qui met à disposition le matériel roulant. Cette contractualisation permet de mettre en synergie les compétences ferroviaires de la région et le réseau de transport de l'intercommunalité afin de développer l'intermodalité train-bus et une billettique unique.
Pour résumer mon intervention, j'accorde toute ma confiance à la contractualisation entre les collectivités territoriales, en faisant le pari de l'intelligence collective plutôt que de recourir au cadre contraignant de la loi. Je conclurai en exprimant une interrogation très forte : je suis en effet très inquiet sur les moyens financiers qui seront disponibles pour mettre en oeuvre ces schémas. Les contraintes financières qui pèsent sur les collectivités territoriales sont déjà très fortes. C'est pertinent de confier la solidarité aux départements et la stratégie aux régions, mais ces collectivités auront-elles les moyens d'exercer leurs compétences et de développer leurs actions ? Sans compter que ces collectivités sont sollicitées pour financer des projets qui ne relèvent pas de leurs compétences, par exemple les lignes à grande vitesse. L'État doit continuer à exercer son rôle de stratège, mais aussi à financer des grands équipements structurants.
En ce qui concerne le transport ferroviaire, on est aujourd'hui dans une situation aberrante. Une large partie du territoire national est déjà desservie en LGV. Pour le reste, l'État s'en remet aux régions et, comme il leur a quasiment supprimé leurs ressources propres, il leur verse des dotations et, au final, c'est lui qui paiera. C'est absurde : il serait évidemment beaucoup plus simple d'admettre qu'il s'agit d'une grande infrastructure nationale et que c'est à l'État de la financer.
En ce qui concerne la solidarité territoriale, il existe une sorte de rivalité entre les départements et les régions au travers des contrats de territoire - ou de politiques plus parcellisées des départements parce qu'elles sont historiques- pour aider le territoire. La vérité des chiffres, même si elle ne se voit pas, est que les départements apportent à peu près 10 quand les régions apportent 1. Il faut éviter toute surenchère entre les différentes collectivités territoriales dans leur appui à un projet qui conduit finalement à des aides qui en dépassent le coût.
En outre, il faut à mon sens tenir compte, dans la réflexion que vous menez, de la très grande différence qui existe entre les divers acteurs intercommunaux. En effet, il y a peu de points de convergence entre une très grande intercommunalité qui agit sur des projets ambitieux et une petite intercommunalité qui agit seulement sur les services. La grande intercommunalité peut être un partenaire pour l'aménagement du territoire, ce qui n'est pas le cas de la petite intercommunalité, qui ne dispose pas de moyens d'action à ce niveau là.
Le problème qui se pose est le suivant : ce sont généralement les plus petites intercommunalités qui ont les plus grands territoires.
Vous avez un travail passionnant, mais je pense que vous êtes servi par la rédaction même de l'article 75 de la loi de 2010, qui nous dit que le schéma doit être élaboré conjointement. Il n'y a pas à détourner le sens de la loi : nous ne sommes pas dans un acte unilatéral réglementaire, nous sommes dans le domaine contractuel.
Ce principe contractuel figurant dans la loi doit être respecté, et la plasticité que vous avez évoquée est très importante. En effet, lorsque l'on parle de relations conventionnelles entre la région, le département et les agglomérations, il y a beaucoup de cas où cela existe et les schémas, parce qu'ils sont contractuels, ont la souplesse qui leur permet d'être révisés. Je ne connais pas chose plus compliquée que de monter une intermodalité car cela nécessite des négociations complexes. Le fait d'avoir un seul ticket est quelque chose de fantastique, que l'on ne retrouve pas dans toutes les régions. J'ai toujours été très hostile à la notion de bloc de compétences et de compétences exclusives. Ainsi, en matière de transport, il n'est pas possible d'organiser ce secteur avec la compétence exclusive de la région. D'où la nécessité que la mission qui vous a été confiée se penche sur les travaux de la délégation et, en particulier, sur le très intéressant rapport de M. Antoine Lefèvre consacré à la notion de compétences partagées, à laquelle je suis très attaché.
Par ailleurs, dans le domaine de la santé, il existe des inégalités de richesse et de comportement très grandes d'une région à l'autre. C'est la raison pour laquelle j'ai toujours été favorable au financement national de la santé. Les centres hospitaliers universitaires, les CHU, doivent rester de la compétence nationale. En revanche, je suis intimement convaincu que l'éducation à la santé et la prévention doivent être de la compétence régionale, avec une participation nécessaire des départements et des autres collectivités en raison de leur caractère de proximité.
Je vous rejoins notamment sur la question de l'organisation de la prévention de la santé, qui diffère aujourd'hui d'une région à l'autre, que ce soit en métropole ou outre-mer.
Je prendrais pour exemple la prévention du cancer de l'intestin, que nous avons mise en place dans le département d'Ille-et-Vilaine depuis quelques années, financée par le conseil général et les villes. Ce système fonctionne parfaitement, avec une équipe de qualité, et représente aussi une économie considérable pour la sécurité sociale à moyen et long terme. Par ailleurs, dès 1978, j'avais mis en place à Rennes une opération de prévention bucco-dentaire bénévole et libre. La ville avait acheté un camion aménagé qui fonctionnait avec le bénévolat des chirurgiens dentistes. Une carte dentaire était délivrée. Avec des équipes de qualité et convaincues, cette opération a été un vrai succès.
Une capacité de mobilisation des élus locaux peut entraîner beaucoup de monde. Par ailleurs, nous n'avons pas encore évoqué un point important, qui est celui de la compétence emploi. Depuis un certain nombre d'années, nous avons connu des politiques en zigzag sur ces questions et les maisons de l'emploi, dont je ne suis pas certain qu'elles servent à grand-chose et coûtent cher.
En la matière, on est vraiment axé sur une responsabilité régionale. Or, l'enchevêtrement des structures (mission locale, maison de l'emploi, pôle emploi) complexifie les données.
Il y a un déficit de politiques coordonnées dans ce secteur et je constate une détérioration de l'efficacité en l'absence de directives claires.
Nous sommes en outre sur des dispositifs qui, au bout de deux ou trois ans, sont arrêtés ou modifiés.
On n'a pas la culture du contrôle de l'efficacité des dispositifs mis en place.