Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale

Réunion du 30 janvier 2013 : 1ère réunion

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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La réunion

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Enfin, la commission a entendu une communication de Mlle Sophie Joissains, relative à ses travaux sur la création d'un Parquet européen.

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Joissains

La proposition de résolution européenne sur la création d'un Parquet européen a été adoptée à l'unanimité par la commission des affaires européennes, sur ma proposition, en décembre dernier, et est devenue résolution du Sénat le 15 janvier dernier.

L'idée d'un Parquet européen a été avancée dès la fin des années 1990 par un groupe d'experts réuni sous la direction de Mme Mireille Delmas-Marty, puis dans un Livre vert de la Commission européenne de 2001. Notre Assemblée, à plusieurs reprises, s'est exprimée en faveur d'une telle institution, sujet cher à nos anciens collègues MM. Pierre Fauchon, Robert Badinter et Hubert Haenel. Le Conseil d'État lui a consacré un rapport très riche en 2011, et l'Assemblée nationale a adopté en août 2011 une résolution en ce sens.

Ce sujet est d'autant plus d'actualité que, depuis l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne, les traités communautaires autorisent la création d'un Parquet européen. La Commission européenne prévoit de présenter une proposition en 2013, après avoir publié une étude d'impact et lancé une consultation. M. Robert Badinter a été chargé d'une mission pour évaluer la position des États membres.

D'abord, le contexte. La protection des intérêts financiers de l'Union européenne est un des objectifs des institutions communautaires, clairement apparu en 1970, avec la création de ressources propres aux Communautés européennes. Des instruments juridiques spécifiques ont progressivement été mis en place, comme l'Office de lutte anti-fraude (OLAF) en 1999.

Les atteintes aux intérêts financiers de l'Union européenne auraient atteint 600 millions d'euros en 2010, mais ce montant est probablement sous-évalué. Or, le dispositif actuel de protection des intérêts financiers de l'Union présente des insuffisances. Les autorités judiciaires nationales n'ouvrent pas systématiquement une enquête pénale à la suite d'une recommandation de l'OLAF (seulement 7% des dossiers de l'OLAF), alors qu'elles sont pourtant les seules à pouvoir agir. De grandes différences subsistent également entre les États membres dans la définition des infractions pénales concernées, telles que le détournement de fonds ou l'abus de pouvoir. Le taux de condamnation varie de 14% à 80% selon les États. Pour y remédier, la Commission européenne a présenté, le 11 juillet dernier, une proposition de directive qui définit des infractions communes à tous les États membres et les sanctions applicables, conformément aux recommandations déjà formulées par Mme Mireille Delmas-Marty.

Le projet de création d'un Parquet européen s'inscrit en outre dans le cadre d'un renforcement de la coopération judiciaire en matière pénale au sein de l'Union européenne. Depuis le Conseil européen de Tampere en 1999, le principe de reconnaissance mutuelle - qui implique la confiance mutuelle - constitue la pierre angulaire de la coopération judiciaire européenne. La principale réalisation demeure le mandat d'arrêt européen, créé en 2002, grâce auquel 11 630 suspects ont été remis entre États membres, selon des formalités simplifiées et des délais réduits.

Cependant, la disparité des normes d'incrimination et de sanction, tout comme de procédure pénale, demeurent de réels obstacles à l'approfondissement de cette coopération. C'est tout l'enjeu de la « feuille de route », annexée au Programme de Stockholm en décembre 2010, visant à rapprocher les droits procéduraux entre les systèmes judiciaires des différents États membres.

La coopération judiciaire s'est aussi développée à travers les magistrats de liaison et le réseau judiciaire européen. Un système européen d'information sur les casiers judiciaires a été créé en 2009. Le rôle d'Eurojust pour développer la coopération judiciaire pénale s'est affirmé. Europol apporte une aide précieuse à la coopération policière entre États membres, notamment en termes de renseignements sur les phénomènes criminels. Enfin, les équipes communes d'enquête ont montré tout leur intérêt.

L'instauration d'un Parquet européen aurait ainsi vocation à prendre appui sur l'ensemble de ces outils progressivement mis en place au cours des dix dernières années.

Quelles sont les perspectives ouvertes par le traité de Lisbonne ? Fruit d'un compromis, la rédaction de l'article 86 du TFUE, relatif au Parquet européen, laisse la voie ouverte à de nombreuses interprétations.

En premier lieu, la création du Parquet européen reste, en l'état, une option, qu'il appartiendrait au Conseil de mettre en oeuvre à l'unanimité, après approbation du Parlement européen. Une telle unanimité paraît très difficile à obtenir : le Royaume-Uni y est opposé, illustration du conflit entre le droit napoléonien et le droit anglo-saxon ; nous avons par ailleurs pu constater, lors du déplacement de notre commission des lois à Bruxelles l'année dernière, les réticences exprimées à l'époque par la Représentation permanente allemande.

En l'absence d'unanimité, le traité autorise toutefois la mise en oeuvre d'une coopération renforcée, réunissant au moins neuf États membres volontaires. Il stipule également que le Parquet européen devra être créé « à partir d'Eurojust ». Il sera compétent pour rechercher, poursuivre et renvoyer en jugement les auteurs et complices d'infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l'Union. Il exercera devant les juridictions compétentes des États membres l'action publique relative à ces infractions - infractions qui ne sont cependant pas définies et devront l'être par règlements. Toutefois, le Conseil européen pourra décider, simultanément ou ultérieurement, d'étendre les attributions du Parquet européen à la lutte contre la criminalité grave ayant une dimension transfrontalière.

Quels sont les contours que pourrait prendre ce Parquet européen ?

En premier lieu, notre résolution soutient une démarche ambitieuse : nous souhaiterions que, dès sa création, le Parquet européen soit compétent à la fois en matière de protection des intérêts financiers de l'UE et de lutte contre la criminalité transfrontalière, comme la traite des êtres humains ou les trafics de drogue par exemple. La résolution adoptée par l'Assemblée nationale soutenait également une telle solution. La lutte contre la grande criminalité pourra donner au projet de Parquet européen une dimension susceptible de concrétiser une Europe des projets répondant aux attentes des citoyens. En outre, la distinction entre protection des intérêts financiers de l'Union et lutte contre la criminalité transfrontalière peut parfois paraître artificielle.

Il faut néanmoins être réaliste et pragmatique : face aux réticences de certains États membres, commençons par limiter le champ de compétences du Parquet européen à la protection des intérêts financiers de l'Union. Cette première étape, sorte de période expérimentale, fournira la preuve concrète de la plus-value qu'apporterait la création d'un Parquet européen à la coopération judiciaire en matière pénale.

A défaut d'unanimité, la voie de la coopération renforcée devrait être examinée sérieusement, ainsi que le permettent d'ailleurs expressément les traités. La Belgique, le Luxembourg, les Pays-Bas, l'Espagne, la Grèce, l'Italie, le Portugal et la Slovénie pourraient s'engager dans une telle démarche. A l'inverse, l'Allemagne se montre prudente, notamment en raison des réserves émises par la Cour de Karlsruhe sur de nouveaux transferts de compétences au niveau européen. Il sera toutefois difficile d'avancer sans l'accord de l'Allemagne, principal contributeur au budget européen. Des garanties solides, notamment sur l'articulation entre Parquet européen et parquets nationaux, devront lui être données. A cet égard, la déclaration du Conseil des ministres franco-allemand qui s'est tenu la semaine dernière à l'occasion du 60ème anniversaire du traité de l'Élysée indique que « [la France et l'Allemagne] oeuvreront également à la mise en place d'un parquet européen dans le cadre d'un groupe de travail ouvert aux autres États-membres et développeront des actions de formation conjointe de magistrats français et allemands ». Cela me paraît être un signe encourageant.

Quelle forme revêtirait ce Parquet européen ? Le traité prévoit qu'il soit créé « à partir d'Eurojust ». Sans doute, Eurojust ne constituera pas le Parquet européen. Il s'agit d'une unité de coopération, qui joue actuellement un simple rôle de coordination et de mise en réseau. Mais Eurojust a accès aux bases de données des États membres, notamment au casier judiciaire, et il a acquis une expertise qui sera précieuse au Parquet européen. Parallèlement, une évolution d'Eurojust est souhaitable, notamment pour mieux répondre aux défis posés par la criminalité transfrontière. Sa présidente nous a indiqué, lors de son audition, que les coopérations bilatérales d'État à État avaient beaucoup progressé dans ce domaine.

Le Parquet européen devrait avoir une forme collégiale, c'est-à-dire être composé d'un représentant par État membre. Les traités font mention d'un « parquet » européen, non d'un « procureur ». La solution d'un parquet collégial qui élirait en son sein son président, le cas échéant avec une rotation par pays, paraît la plus susceptible de recueillir l'accord des États membres. Toutefois, dans le discours qu'il a prononcé lors de l'audience solennelle de rentrée de la Cour de cassation, M. Jean-Claude Marin préconise la désignation d'« un » procureur, incarnation du Parquet européen.

L'hypothèse d'un Parquet centralisé suscite de fortes réserves dans les États membres. En outre, une telle structure serait extrêmement lourde sur le plan financier ; seule une structure légère permettrait à chaque État d'y participer. Enfin, une structure centralisée rendrait sans doute plus difficile le lien avec les services d'enquête nationaux.

Une structure décentralisée, option privilégiée par la Commission européenne soucieuse d'éviter de créer une « usine à gaz », semble plus adaptée. Elle serait fondée sur un Procureur européen, d'une part, et sur des Procureurs européens délégués ayant une « double casquette » dans les États membres, d'autre part. Outre l'aspect linguistique, une telle solution permettrait une représentation plus aisée du Parquet européen auprès des juridictions nationales. Plusieurs délégués nationaux seraient susceptibles d'être nommés sur une même affaire. En France, le parquet financier de Paris pourrait, par exemple, être désigné comme délégué national du Parquet européen, tant qu'il ne traitera que des aspects financiers.

Il importe que le Parquet européen bénéficie de garanties d'indépendance afin que son pouvoir d'instruction sur les délégués nationaux soit, dans son domaine de compétence, exclusif de toute autre instruction que ces délégués pourraient recevoir des autorités nationales. Il mènerait ses investigations en s'appuyant essentiellement sur les services d'enquête nationaux et, subsidiairement, en recevant l'aide d'un service d'enquête européen, éventuellement constitué à partir de l'OLAF et d'Europol. Les juridictions nationales des États membres resteraient compétentes pour se prononcer sur le fond, ce qui implique la fixation de critères précis pour désigner la juridiction de renvoi.

Toutefois, les actes du Parquet européen devraient pouvoir faire l'objet d'un contrôle juridictionnel, soit en cours de procédure, soit devant la juridiction de jugement. S'agissant des actes adoptés durant l'enquête - perquisitions, interceptions téléphoniques, etc. -, le contrôle juridictionnel pourrait être exercé par une juridiction spécialisée de l'Union européenne, ou éventuellement une chambre spécialisée de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), le traité autorisant la création d'une telle juridiction.

De plus, il est fondamental de mettre en place, corrélativement, un socle minimal de règles harmonisées au niveau européen, concernant en particulier la définition des infractions et l'admissibilité des preuves. De grandes disparités subsistent entre États membres. Au-delà, le principe de reconnaissance mutuelle entre les États membres devra pleinement jouer.

Enfin, une évaluation parlementaire des activités du Parquet européen est nécessaire.

Debut de section - PermalienPhoto de Patrice Gélard

Quelle serait l'articulation avec les procureurs de la Cour de Justice de l'Union européenne ?

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Joissains

Aucun lien n'est prévu, chaque État membre devant proposer un procureur.

Debut de section - PermalienPhoto de Patrice Gélard

Ce n'est pas simple car l'initiative des poursuites appartiendra à la CJUE, donc au Procureur auprès de la CJUE.

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Joissains

Il n'y a pas de lien. Si l'OLAF découvre une infraction, il saisira le Parquet européen, qui pourra faire appel aux délégués nationaux des États concernés.

Debut de section - PermalienPhoto de Patrice Gélard

Je comprends les réticences de certains Etats membres !

Debut de section - PermalienPhoto de Simon Sutour

La création d'un Parquet européen s'inscrit dans la logique du mandat d'arrêt européen. L'exigence de l'unanimité pose la question d'un nouveau traité car elle constitue un obstacle sur la voie de nouvelles avancées. La Commission européenne devrait présenter des propositions.

Je souligne l'excellente collaboration entre la commission des lois et la commission des affaires européennes. Ce n'est pas un hasard si Mlle Sophie Joissains, qui appartient aux deux commissions, a été chargée du dossier !

Je me félicite enfin de la procédure retenue : la résolution ayant été adoptée à l'unanimité par la commission des affaires européennes, il n'était sans doute pas utile que la commission des lois désigne à son tour un rapporteur et procède à nouveau à une série d'auditions.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Richard

Je salue le travail de Mlle Joissains. La règle de l'unanimité peut-elle être contournée? Je n'en suis pas sûr...Il s'agit en effet de transférer à l'Union européenne des compétences régaliennes qui appartiennent aux États et non à l'Union européenne. Leur consentement semble requis. De plus, le rôle du Parquet européen étant de requérir devant les juridictions nationales, le dossier n'a pas avancé car de nombreux États s'interrogent sur la cohérence de ce système avec leur propre système de poursuites. Ainsi le Parquet européen ne pourra que s'insérer avec modestie dans le dispositif des Etats membres. La seule solution consisterait à lui donner comme base un traité qui ne rassemblerait pas tous les États. En matière de droit pénal, où l'enclenchement des poursuites obéit à des considérations d'opportunité, les implications seront très différentes selon les États. Un accord limité me paraît nécessaire pour que cette idée ait un avenir.

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Joissains

Une coopération pénale renforcée est possible à partir de neuf Etats membres volontaires.

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Joissains

Non, en revanche l'unanimité est requise pour la création du Parquet européen dans le cadre du Traité.

Anziani est nommé rapporteur sur la proposition de loi n° 753 (2011-2012), présentée par M. Jean-Pierre Sueur et plusieurs de ses collègues, tendant à modifier l'article 689-11 du code de procédure pénale relatif à la compétence territoriale du juge français concernant les infractions visées par le statut de la Cour pénale internationale.

Debut de section - PermalienPhoto de Patrice Gélard

J'ai été rapporteur du texte initial. Je me tiens à la disposition du rapporteur.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Nous connaissons votre obligeance et votre disponibilité.

M. François Zocchetto est nommé rapporteur sur la proposition de loi n° 156 (2012-2013), adoptée par l'Assemblée nationale, visant à reconnaître le vote blanc aux élections.

Mme Eliane Assassi est nommée rapporteure sur la proposition de loi n° 169 (2012 -2013) présentée par Mme Annie David, portant amnistie des faits commis à l'occasion de mouvements sociaux et d'activités syndicales et revendicatives.

Le rapporteur sur le projet de loi organique et le projet de loi relatifs à l'application de l'article 11 de la Constitution sera nommé la semaine prochaine. Un délai de réflexion est nécessaire.

La commission examine le rapport et le texte qu'elle propose pour la proposition de loi n° 122 (2011-2012), adoptée par l'Assemblée nationale, relative à la suppression de la discrimination dans les délais de prescription prévus par la loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881.

EXAMEN DU RAPPORT

Debut de section - PermalienPhoto de Esther Benbassa

Les dispositions modifiées par cette proposition de loi relèvent de la loi de 1881 sur la liberté de la presse, mais les infractions visées ne la concernent que de manière marginale. Il s'agit essentiellement de propos tenus en public ou d'écrits rédigés par des particuliers sans lien avec la presse. Notre législation traite différemment les propos discriminatoires selon qu'ils ont un caractère racial, ethnique ou religieux, ou qu'ils portent sur le sexe, l'orientation ou l'identité sexuelle, ou le handicap. Le rapporteur de l'Assemblée nationale l'a qualifiée de « discriminatoire ». L'harmonisation des délais de prescription mettrait fin à cette différence de traitement entre victimes. Elle fait l'objet d'un consensus parmi les personnes auditionnées. Ainsi, le Défenseur des Droits avait suggéré cette unification dès 2011 dans sa proposition de réforme n° 11-R009. De même, le droit européen n'établit pas de distinction entre les discriminations. L'article 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales interdit les discriminations fondées sur le sexe, sur l'appartenance à une minorité nationale ou « sur toute autre situation ». Quant à l'article 13 du Traité instituant la Communauté européenne, il dispose que le Conseil « peut prendre les mesures nécessaires en vue de combattre toute discrimination fondée sur le sexe, la race ou l'origine ethnique, la religion ou les convictions, un handicap, l'âge ou l'orientation sexuelle ». Le droit français devrait donc s'en inspirer.

La loi du 9 mars 2004 dite loi « Perben II » a introduit une exception en portant à un an le délai de prescription de certaines infractions telles que les provocations à la discrimination, les incitations à la violence, les diffamations ou les injures, lorsqu'elles sont liées à l'appartenance d'une personne à une communauté ethnique, raciale ou religieuse. Le législateur a souhaité adapter le droit à l'évolution de la criminalité sur Internet qui rend plus difficile et la détection et la répression de tels actes.

La présente proposition de loi, déposée par M. Jean-Marc Ayrault et Mme Catherine Quéré, votée à l'Assemblée nationale à une très large majorité le 22 novembre 2011, propose de porter de trois mois à un an, le délai de prescription pour les faits de provocation à la haine, à la violence et aux discriminations, de diffamations ou d'injures relatives au sexe, à l'identité ou à l'orientation sexuelle, ou à un handicap. L'examen de ce texte intervient dans le contexte particulier du débat sur le mariage de personnes de même sexe qui donne lieu à un climat homophobe et à des propos intolérables.

La présente proposition de loi remédie à une anomalie juridique : un délit présentant des caractéristiques très proches sera désormais poursuivi dans les mêmes conditions. La prescription des délits commis par voie de presse repose sur un régime dérogatoire afin de protéger la liberté de la presse. Les délais sont de trois mois, contre trois ans pour les délits et un an pour les contraventions de droit commun. Notre objectif n'est pas de porter atteinte à la liberté de la presse. Ayant été éduquée aux Etats-Unis, j'avoue avoir, à titre personnel, un faible pour le 1er article du Bill of Rights. Ce 1er amendement de la Constitution américaine, qui ne pose pas de limite à la liberté d'expression, est entré dans les moeurs par le jeu de l'éducation et d'une tradition séculaire. La pédagogie qui l'a accompagné a permis d'encadrer une liberté en principe totale. En France néanmoins, où la menace de la sanction est brandie dès les premières années de l'enfance, il semble difficile de s'en remettre à une telle mesure. La différence de délais de prescription en matière de délits de presse fragilise les actions menées en matière de répression des discriminations. Tout comme en 2004, le texte ne concerne que marginalement les délits commis par voie de presse : sa portée est plus large, visant tous les propos publics, écrits ou oraux. L'extension du délai de prescription constituerait une avancée pour la protection des droits des personnes autant qu'une simplification d'un régime peu lisible. Confrontées à une multiplication des propos discriminatoires sur Internet, les victimes bénéficieraient de la même protection. L'essor des réseaux sociaux facilitant la diffusion de ces propos, il est nécessaire d'harmoniser les régimes de la provocation à la discrimination, de la diffamation ou de l'injure publique. Le rapport à un écran est déshumanisant. Ainsi, l'Association des Paralysés de France souligne la multiplication des propos blessants à l'égard des handicapés. Internet relève de l'instantané, et les infractions sont prescrites immédiatement. Mais faute de « cimetière des propos mis en ligne », ceux-ci demeurent perpétuellement. Internet bénéficie du régime favorable de la loi de 1881 sans pour autant s'accompagner d'une déontologie comparable. Cette situation avait déjà été soulignée par MM. Hyest, Portelli et Yung dans leur rapport d'information paru en 2007 sur le régime des prescriptions civiles et pénales. La brièveté des délais se justifiait par le caractère éphémère de l'infraction. Avec Internet, cette argumentation n'est plus recevable car l'infraction ne disparaît plus : paradoxalement, le temps bref, qui était celui de la presse imprimée, s'est allongé.

Je vous propose d'adopter cette proposition de loi avec trois modifications. Mon premier amendement est un amendement de coordination avec la loi n° 2012-1432 du 21 décembre 2012 relative à la sécurité et à la lutte contre le terrorisme qui a modifié l'article 65-3 de la loi de 1881 après l'adoption par l'Assemblée nationale du présent texte. Un deuxième amendement a pour objet de permettre l'application de la proposition de loi à Wallis-et-Futuna, en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie, faute de quoi le droit antérieur perdurerait. Enfin je propose de modifier le titre de la loi pour mieux en expliciter l'objet.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Merci pour votre rapport qui est aussi un plaidoyer convaincu.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Hyest

Vous avez évoqué les libertés d'opinion et d'expression américaines. Mais cette liberté peut être la meilleure comme la pire des choses : voyez les effets de la législation sur les armes ! N'oublions pas également que les délais de prescription ont été mis en place en 1881 pour protéger les journaux de poursuites permanentes et donc pour préserver la liberté de la presse. Avec Internet, certains journaux ont disparu dans leur version imprimée ; il faut donc être très prudent. Aligner les délais de prescription, comme ce fut le cas pour le terrorisme dernièrement, est une bonne chose. Lors des travaux de la mission d'information, qui a abouti à la réforme des prescriptions en matière civile, nous avions avancé avec prudence en ce qui concerne la loi sur la presse. Les différences de prescription peuvent sembler choquantes. Mais prenons garde qu'une augmentation trop importante des délais ne nuise à la liberté de la presse.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Tasca

Je salue le travail de notre rapporteure et son engagement. Le sujet le mérite. L'harmonisation des délais est justifiée : la presse de 2013 n'a plus rien à voir avec celle de 1881. A l'ère du multimédia, toute rumeur, toute agression, toute diffamation se voit propagée aussitôt dans le monde entier. Les dommages sont sans comparaison. Néanmoins, cette matière est sensible pour le fonctionnement de notre démocratie. Je ne crois pas que cette proposition de loi porte atteinte à la liberté de la presse, mais nous devons rester vigilants. Quelle est la position des représentants de la presse - éditeurs, journalistes - que vous avez auditionnés ? Internet ouvre des horizons pour la liberté d'expression et accueille dans le même temps des tombereaux de vilénies. Il est urgent de donner aux citoyens les armes pour se défendre.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Michel

La presse a longtemps été muselée. La loi de 1881 est une des lois de liberté votées par la IIIe République. Aujourd'hui la presse a changé avec Internet, les réseaux sociaux, la numérisation et la disparition des versions imprimées de certains titres : Médiapart, par exemple, est un pure player.... Dans ces conditions, des délais de prescription très courts constituent une entrave à l'action des victimes. Enfin, le premier amendement proposé par Mme Benbassa est certes utile, mais un vote conforme ne serait-il pas préférable pour permettre une mise en oeuvre dans les meilleurs délais ?

Debut de section - PermalienPhoto de Cécile Cukierman

Le rapport est excellent. Depuis 1881, non seulement les titres et les supports ont évolué, mais le rapport aux médias a changé, associant lecture immédiate et possibilité de lecture différée grâce aux progrès de l'archivage. Il nous faut donc maintenir l'équilibre entre protection des personnes et liberté du journaliste, tout en harmonisant le traitement des discriminations. Nous soutiendrons ce texte.

Debut de section - PermalienPhoto de Hélène Lipietz

Ne faudra-t-il pas refondre la loi de 1881 pour tenir compte des délits favorisés par Internet ? Il ne s'agit pas seulement de la mondialisation ni des perspectives d'un archivage indéterminé, il s'agit surtout d'un archivable impérissable, accessible à tous à tout moment. Le droit à l'oubli a disparu. Grâce aux moteurs de recherche, toute information peut être retrouvée aisément. La loi sur la presse concerne aussi bien la presse papier et la presse numérique que les feuilles de choux locales ! Ce sont là pourtant trois domaines très différents.

Pour Internet, une fois les délais allongés à un an, ne pourrions-nous prévoir qu'une fois la prescription acquise, un second délai recommence à courir si, dans les années suivant la prescription, une demande de retrait de termes diffamatoires intervient ? La prescription recommencerait à courir, une dernière fois, pour un an. Il y a en effet, sur Internet, des articles que personne n'a consultés depuis cinq ans : pourtant, en dépit des atteintes à l'honneur ou à la dignité qu'ils causent, ils demeurent. Si le délai de prescription d'un an est dépassé, il est impossible d'en effacer le contenu.

Inventera-t-on un jour un délai de prescription spécifique à internet ?

Debut de section - PermalienPhoto de François Pillet

Nous soutiendrons ce texte. Puisqu'il est fait référence aux pratiques américaines, un code de déontologie comportant des sanctions, à l'image de ceux que se sont donnés certaines professions, ne permettrait-il pas de résoudre un grand nombre de problèmes ?

Debut de section - PermalienPhoto de Esther Benbassa

Une fois n'est pas coutume, je partage l'analyse de M. Hyest.

Madame Tasca, cette loi ne concerne pas les journalistes, qui ont leur déontologie, y compris sur les sites Internet, dont les contenus sont passés au tamis et immédiatement retirés en cas de problème. Elle vise avant tout des particuliers qui tiennent des propos inacceptables, notamment sur Internet. De plus, nous n'avons eu qu'une journée à consacrer à nos auditions.

Madame Lipietz, même aux Etats-Unis, il n'a pas été possible d'instituer une déontologie propre à Internet. Internet est incontrôlable, parce que les sites sont très difficiles à localiser. Les plaintes en justice s'égarent, même celles qui visent Facebook : vous êtes d'abord envoyé en Irlande, puis aux Etats-Unis, où votre demande de suppression est finalement rejetée. Des règles de déontologie s'imposent ; sinon, comment combattrions-nous un réseau qui s'étend de façon non maîtrisable ? Peut-être devrions-nous légiférer sur Internet, ce qui suppose de trouver des modalités applicables et rationnelles.

Madame Tasca, nous avons auditionné le vice-président de la 17ème chambre du TGI, spécialisé dans les affaires impliquant la presse : il nous a encouragés.

Je ne suis pas contre un vote conforme, Monsieur Michel, mais si nous n'adoptons pas l'amendement n° 1, nous perdons le bénéfice des modifications apportées par la loi sur le terrorisme de décembre 2012 ; De même, sans l'amendement n° 2, Wallis-et-Futuna et la Nouvelle Calédonie ne bénéficieraient pas de cette harmonisation. Enfin, l'amendement n° 3, qui clarifie le titre, a des vertus pédagogiques. Cela dit, je m'en remets à la sagesse de la commission.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Richard

La réalité nous contraint à la modestie : sur Internet, aucune nation n'est en mesure d'imposer son système juridique. Le dispositif américain qui s'oppose à toute restriction de la liberté d'expression et le système français, avec son empilement de mesures protectrices par secteur, vont se livrer concurrence sous nos yeux : nous verrons qui l'emportera. Un système qui réagit aux propos discriminatoires ou diffamatoires par la confrontation citoyenne des idées plutôt que par la justice pénale n'est pas forcément moins efficace pour faire progresser la pensée humaniste.

Debut de section - PermalienPhoto de Esther Benbassa

Je souscris à ces propos, mais que faire ? Bien sûr, le constat invite à la modestie, d'autant qu'il met en évidence nos limites. La loi n'est pas toute puissante !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Il fut un temps où certains partis appelaient à une gouvernance de la planète ; la question de la régulation est de plus en plus d'actualité.

Nous en arrivons à l'examen des amendements de la rapporteure.

Article 2

Debut de section - PermalienPhoto de Esther Benbassa

J'ai déjà présenté l'amendement n° 1 de coordination avec la loi du 21 décembre 2012.

L'amendement n° 1 est adopté.

Article additionnel après l'article 2

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

L'amendement n° 2 applique la proposition de loi à Wallis-et-Futuna, en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Michel

Les assemblées territoriales ont-elles été consultées ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

En la matière, la loi s'applique sans consultation des assemblées territoriales.

L'amendement n° 2 est adopté.

Intitulé de la proposition de loi

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

L'amendement n° 3 a été défendu par la rapporteure lors de son exposé liminaire.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Yves Leconte

Je comprends la volonté de la rapporteure d'indiquer le sens de la discrimination dans le titre ; je doute cependant que le nouveau titre soit plus clair que le précédent qui se contentait de se référer à la discrimination.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Hyest

Parler de « suppression de la discrimination » ne veut rien dire. La formule « suppression de discriminations » serait préférable.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Yves Leconte

La formulation, selon moi, devrait indiquer que sont visées les infractions commises « en raison du sexe, de l'orientation ou de l'identité sexuelle ou du handicap », mais elle serait beaucoup plus longue : il faudrait l'alléger.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Michel

Ce débat n'a aucun intérêt : le titre disparaîtra une fois la loi promulguée et insérée dans le code. Qui s'en soucie ?

Debut de section - Permalien
René Garrec et

M. Jean-Jacques Hyest. - Nous préférons une virgule.

Debut de section - PermalienPhoto de Esther Benbassa

e. - Nous pouvons insérer une virgule après « handicap » : l'essentiel, c'est que le titre soit clair.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

La formulation la plus simple n'est-elle pas : « proposition de loi visant à harmoniser les délais de prescription des infractions prévues par la loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881, commises en raison du sexe, de l'orientation ou de l'identité sexuelle ou du handicap » ?

Debut de section - PermalienPhoto de Esther Benbassa

e. - Très bien !

L'amendement n° 3 rectifié est adopté.

La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :

La commission examine le rapport de Mme Catherine Troendle sur la proposition de résolution européenne n° 267 (2012-2013) présentée par Mme Catherine Troendle, au nom de la commission des lois, sur la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative à un meilleur équilibre hommes-femmes parmi les administrateurs non exécutifs des sociétés cotées en bourse et à des mesures connexes (E 7881).

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Troendle

Mon rapport a été présenté en commission il y a quinze jours. Aucun amendement n'a été déposé. Je propose donc l'adoption de la proposition de résolution, sous réserve d'une remarque : le texte de cette directive est a minima par rapport au droit français. Mais compte tenu des réticences de certains pays, il est sans doute préférable de procéder ainsi pour fédérer petit à petit les pays autour de cette question.

Debut de section - PermalienPhoto de Simon Sutour

Considérant que cette directive était un bon texte, la commission des affaires européennes n'a pas souhaité l'examiner. J'étais moi-même absent il y a quinze jours : maintenant, il est trop tard pour déposer un amendement ! Je voterai la proposition, mais je crains que son point 13 n'affaiblisse la proposition de résolution : [le Sénat] « désapprouve les mesures figurant à l'article 4, destinées à encadrer le processus de recrutement des administrateurs, inadaptées à la réalité, fortement intrusives dans l'organisation des sociétés privées et sans doute contraires au principe constitutionnel de la liberté d'entreprendre ».

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Hyest

Réjouissons-nous de ce que la législation française ait servi de modèle à cette proposition de directive.

La Commission européenne a une réelle difficulté à appréhender le droit des sociétés. Chaque pays a ses spécificités en la matière, et le risque de trop encadrer n'est pas négligeable. Quid, par exemple, de la notion de siège statutaire ? Quid des administrateurs salariés ? Quant aux sociétés à directoire ou conseil de surveillance, il est difficile de les mettre dans le même sac. Quid encore de la notion de valeur, des actions et obligations ? Sur tous ces points, la directive laisse à désirer... L'objectif de fond, c'est qu'il n'y ait pas plus de 60 % d'administrateurs d'un même sexe dans les conseils d'administration : il s'agit de favoriser la parité et l'émergence des responsabilités quel que soit le sexe : c'est une très bonne chose. De toute façon, si la directive est approuvée, nous sommes en règle : félicitons-nous en.

Cela dit, je demeure méfiant sur l'harmonisation du droit des sociétés. Avec des systèmes aussi différents, l'entreprise est très délicate. La désignation des administrateurs ne se passe pas de la même façon dans tous les pays.

Je pense qu'il faut laisser dans la résolution tout ce qui s'y trouve.

Debut de section - PermalienPhoto de Hélène Lipietz

Nous avons pris comme objectif la parité, soit un homme pour une femme. Parler de « meilleur équilibre entre les hommes et les femmes » aurait constitué un meilleur objectif. Nous avons une vision extrêmement égalitariste de la parité, la vision de l'Europe est plus pragmatique et nous fait passer pour des passionarias ! Ce que nous voulons, c'est une amélioration de la situation. Mais nous y reviendrons...

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre-Yves Collombat

Pour une fois que la commission est en retrait sur une question de libéralisme, je soutiendrai la position de M. Sutour : nous n'avons aucune raison de nous élever contre des mesures « fortement intrusives dans l'organisation des sociétés privées ». Ce point 13 mériterait en effet d'être supprimé.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Cette discussion est fort intéressante. J'observe cependant qu'aucun amendement n'a été déposé, et que le délai limite est dépassé.

Debut de section - PermalienPhoto de François Zocchetto

La proposition de directive est moins stricte que le texte français. A l'époque, nous avions eu une discussion sur les seuils. La proposition de directive ne retient que les sociétés cotées de plus de 250 salariés réalisant plus de 50 millions d'euros de chiffre d'affaires ou dont le bilan total atteint 43 millions d'euros. Considérant que de très nombreuses sociétés cotées ont moins de 250 salariés, compte tenu de leur structure en holding, nous avions retenu toutes les sociétés cotées.

Toutes les holdings seront-elles exclues de la proposition de directive ? J'ai l'impression que beaucoup de sociétés vont passer à travers les mailles du filet...

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Troendle

Je me suis longuement expliquée il y a quinze jours. Je comprends les arguments de MM. Sutour et Collombat, mais il n'existe rien de tel dans le droit français. Ce qui me semblait difficile à appliquer, c'est le partage des candidats ayant exactement le même niveau de qualification. Il fallait établir des critères clairs, univoques, et si ce n'était pas possible, choisir au bénéfice du sexe sous-représenté. La personne qui n'aurait pas été retenue aurait eu la possibilité de demander au conseil d'administration de justifier son choix. Cela allait très loin, et c'est pourquoi je vous ai proposé une réserve.

La proposition de résolution est adoptée sans modification.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

En application de l'article 73 quinquies du règlement, cette résolution deviendra résolution du Sénat dans un délai de trois jours francs, sauf s'il est demandé qu'elle soit soumise à l'assemblée plénière.