Mes chers collègues, nous nous retrouvons aujourd'hui pour poursuivre nos auditions sur la gestion du domaine de l'État outre-mer. Je vous rappelle que nous avons déjà entendu l'Office national des forêts (ONF), le Conservatoire du littoral, France Domaine et Mme Chamard-Heim, professeur de droit à l'université de Lyon III.
Nous commencerons notre matinée par une audition du service de la gestion fiscale au ministère des finances. Notre collègue rapporteur Georges Patient avait interrogé France Domaine sur les raisons de l'absence d'assujettissement à la taxe foncière des propriétés non bâties de la forêt guyanaise. France Domaine ayant décliné sa compétence et précisé que l'évaluation fiscale différait de l'évaluation domaniale, nous nous tournons vers la direction générale des finances publiques (DGFiP) pour obtenir des éclaircissements.
Nous entendrons ensuite les membres de l'Inspection générale de l'administration (IGA) et du Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) qui ont rédigé en 2013 un rapport sur les questions foncières en Martinique et en Guadeloupe, puis le directeur général de l'aménagement, du logement et de la nature au ministère de l'écologie et du développement durable.
À moins que l'un des rapporteurs souhaite formuler des observations liminaires, je cède la parole à M. Bruno Rousselet, chef du service de la gestion fiscale. Nous enchaînerons sur les questions.
Je suis venu à votre rencontre, accompagné de M. Étienne Lepage, chef du bureau du cadastre et très bon connaisseur du cadastre outre-mer.
En effet. La situation de la forêt guyanaise du point de vue cadastrale est d'ailleurs très particulière.
J'ai lu le rapport qui indiquait qu'un assujettissement à la taxe foncière de la forêt guyanaise, qui appartient au domaine privé de l'État, serait particulièrement adapté aux réalités de la fiscalité locale. Voici comment nous déclinons cette proposition à droit constant. Supposons que la forêt guyanaise soit cadastrée et qu'elle fasse l'objet d'une évaluation cadastrale. La forêt non exploitée ne produisant aucun revenu, elle bénéficie d'une exonération permanente, dont bénéficient aussi, en vertu du droit commun, toutes les parcelles du même type en France. Dès lors, le produit de l'impôt serait nul. Le travail de titan que demanderaient le cadastrage et l'évaluation cadastrale de la forêt guyanaise aboutirait donc à un résultat nul, ce qui nous fait regarder avec appréhension la perspective de devoir mener à bien cette tâche.
À la lecture du rapport, je me suis interrogé pour savoir s'il existait un authentique particularisme guyanais ou si des situations semblables se retrouvaient en métropole. Certes, grâce à l'impulsion napoléonienne, il n'existe pas de parcelles non cadastrées en France métropolitaine. En revanche, il existe des parcelles laissées à l'état de nature, ne produisant aucun revenu - remises d'ailleurs en gestion à un établissement public - et bénéficiant à ce titre d'une exonération permanente. Il en existe même beaucoup. Par exemple, les landes du Finistère remises en gestion au Conservatoire du littoral bénéficient de la même exonération permanente que la forêt guyanaise.
Notre démarche renverse en quelque sorte la perspective. Nous partons de l'hypothèse, qui n'est pas réalisée aujourd'hui, d'un cadastrage complet de la forêt guyanaise, en laissant de côté les difficultés purement techniques bien réelles qu'il faudrait surmonter pour y parvenir. Nous constatons que l'application de la législation aboutit à un résultat fiscal nul. En conséquence, nous ne considérons pas le cadastrage comme une opération qui devrait mobiliser les ressources déjà tendues de la direction générale des finances publiques. Cet exercice pourrait certes être utile en termes de géodésie du territoire. J'ai eu sur ce point une conversation avec l'Institut géographique national (IGN) pour lequel la forêt guyanaise et les limites du territoire présentent un intérêt très fort.
À droit constant, s'il y a bien un intérêt géodésique, il n'y a strictement aucun intérêt fiscal en la matière. Si l'on se place à droit non constant et si l'on décide que la forêt guyanaise, bien que bénéficiant en principe d'une exonération permanente, est relevée de cette exonération et que, en conséquence, l'État doit payer un impôt foncier, la donne est évidemment rebattue. Cependant, cela poserait des problèmes en France métropolitaine et probablement en Guyane. Quant à l'installation d'un transfert financier de l'État vers les collectivités guyanaises, après avoir décliné à mon tour ma compétence pour apprécier ce point, je ferais simplement remarquer que cela serait nettement plus simple que d'aller cadastrer la forêt.
Vous nous avez fait part de votre point de vue avec beaucoup de clarté mais je ne peux m'empêcher de remarquer que certaines parties de la forêt guyanaise sont exploitées. Notre collègue rapporteur Georges Patient ne manquera pas de revenir sur les produits générés par la forêt guyanaise. Je lui cède immédiatement la parole.
J'avoue une certaine perplexité. On ne peut pas assimiler le domaine privé de l'État simplement à la forêt primaire. La forêt guyanaise est gérée par l'ONF qui déclare dans son bilan 3 millions d'euros de recettes de ventes de bois. Il y a donc bien exploitation de la forêt et production de revenus. En outre, des parcelles du domaine privé de l'État peuvent être vendues. J'ai sous les yeux un acte de vente pour un prix de 15 000 euros. Il faut, de plus, tenir compte des diverses concessions, de l'installation de mines pour apprécier l'étendue des activités économiques réalisées dans la forêt guyanaise.
Par ailleurs, vous soutenez qu'il n'y aurait pas d'intérêt à cadastrer la forêt guyanaise. Je vous avoue ma surprise. Tous les territoires français sont cadastrés. La Guyane est un territoire français. Elle doit donc être cadastrée comme les autres.
Je ne comprends pas non plus cette exonération systématique dans la mesure où des produits sont tirés de la forêt guyanaise. Dès lors que s'y déroulent des activités économiques et que des concessions y sont accordées, la comparaison avec les landes bretonnes, qui bénéficient d'une exonération parce qu'elle ne génère aucun revenu, ne paraît plus pertinente. Les forêts domaniales de métropole qui sont le siège d'une activité économique sont taxées. L'ONF s'acquitte de la taxe foncière sur les propriétés non bâties au titre par exemple de la forêt de Fontainebleau, qui est exploitée.
Il ne fait pas de doute que certaines parties de la forêt guyanaise sont protégées au nom de la préservation de la biodiversité et ne sont pas exploitées, mais ce n'est pas le cas de la forêt tout entière. Ce serait tout l'intérêt d'un cadastre de faire précisément la part entre les surfaces exploitées et celles qui ne le sont pas.
Pour la construction du cadastre, il ne faut pas négliger le recours à la cartographie aérienne. Il n'est pas nécessaire d'envoyer un géomètre sur les 53 000 km² de forêt. Pour des raisons de sécurité, on a su photographier tout le territoire. On pourra aussi utiliser ces ressources pour cadastrer.
J'ai été imprécis dans mon propos introductif. Je reconnais qu'il y a de l'exploitation forestière, des concessions et des cessions sur le domaine privé de l'État en Guyane. Pour être vendue, la parcelle que vous mentionnez a dû être désignée au cadastre. C'est le principe : toute vente implique le cadastrage de la parcelle et l'assujettissement à la taxe foncière. S'il n'a pas été suivi, alors cela relève d'un dysfonctionnement qui devra être réglé.
Ne faut-il pas distinguer entre le bornage, nécessaire pour la cession, et le cadastrage pour la fiscalité ? Dans le cas d'espèce que je mentionnais, la parcelle vendue à un particulier se trouvait dans une zone du domaine privé de l'État qui n'était pas cadastrée. C'est un cas parmi beaucoup d'autres.
Hors dysfonctionnement, l'enregistrement à la publicité foncière se fait à partir de la référence cadastrale.
Le directeur régional des finances publiques me confirmait, alors que je l'interrogeais pour préparer cette audition, que toute activité notamment liée à une concession et à l'exploitation de la forêt entraînait cadastre, suivi cadastral, évaluation cadastrale et imposition. L'exonération permanente appuyée, d'après les textes, sur l'absence de revenus tombe. À rebours, s'il y a imposition, c'est que l'on dispose d'une valeur locative et donc que l'on a cadastré.
Pourtant, l'ONF n'acquitte aucune taxe foncière en Guyane, alors qu'il vend des parcelles de bois.
Peut-être devrions-nous nous entendre sur le sens précis du terme de parcelle.
En effet, il faut distinguer la parcelle au sens du décret de 1955 sur le cadastre et la publicité foncière, et au sens commun de lopin de terre. En réalité, dans le cas de cession d'immeuble du domaine privé de l'État qu'évoque le sénateur Patient, à la lecture de l'acte, il apparaît que le terrain n'a été cadastré qu'à l'occasion de la vente et en vue de celle-ci. C'est la logique même des instructions que nous donnons à nos services sur le fondement de la réglementation. Dès lors que l'on décide de faire quelque chose d'un terrain non exploité, on le cadastre avant de le céder ou de le concéder, on détermine sa valeur locative et, sur cette base, le terrain est soumis à l'imposition pour le futur.
Il faut apporter quelques précisions. La parcelle cédée par l'État était préalablement non cadastrée et occupée par l'acquéreur, qui ne s'acquittait d'aucune taxe locale. Pourquoi le travail cadastral n'a-t-il pas été réalisé bien avant pour permettre à la commune de récupérer la fiscalité directe qui lui revenait ?
Il s'agissait donc d'une occupation sans titre. Dans ce type de situations, deux voies peuvent être empruntées, soit celle de l'expulsion qui provoque souvent des troubles et que l'on évite, soit celle difficile à pratiquer de la prise de possession légale après octroi d'un titre de propriété. C'est ce chemin pour rentrer dans le droit qui a été emprunté dans le cas dont nous discutons. La difficulté, avant la cession, est que l'on était confronté à proprement parler à une situation de non-droit, où l'occupant n'a pas à être installé là où il se trouve. S'il avait possédé un titre, la parcelle aurait été cadastrée, dotée d'une valeur locative et imposée.
Vous omettez un aspect du problème. L'occupant sans titre est installé sur le domaine privé de l'État et ne s'acquitte d'aucune taxe locale. Pour régler la situation tout en obtenant une certaine compensation financière, l'État décide de cadastrer, puis de vendre la parcelle occupée. Toutefois, la parcelle est cédée sans avoir été viabilisée et le désormais propriétaire se retourne alors vers la commune pour demander la viabilisation de sa parcelle. La commune est donc contrainte à des dépenses sans avoir bénéficié de la fiscalité foncière à laquelle elle pouvait prétendre.
Le prix de la cession tenait compte de l'absence de viabilisation et de raccordement à l'eau et à l'électricité.
Il n'empêche que l'État finit par récupérer des fonds pour l'occupation illégale d'un terrain domanial, tandis que les communes supportent les charges d'un habitat illégal sans en percevoir les recettes fiscales !
Les communes recevront normalement les produits de la fiscalité après la régularisation, ce qui leur permettra de faire face aux charges qui leur incombent.
Il n'en reste pas moins qu'il n'est pas normal que l'État conserve en sa possession 90 % du territoire de la Guyane en prévenant toute fiscalisation.
Peut-on envisager une solution à droit constant ou moyennant des aménagements législatifs qui permettrait aux communes ou à la collectivité nouvelle de Guyane de récupérer la part de taxe qui leur revient dans des situations similaires en lisière de forêt ?
Dans la limite de mes compétences, je ne vois malheureusement pas de solution, puisque nous ne pouvons qu'envisager des solutions pour sortir d'une situation illégale. Nous ne pouvons agir ni pour le passé, ni au titre des parcelles qui sont voisines d'une parcelle régularisée mais qui ne sont pas encore cadastrées et soumises à fiscalité.
J'aimerais évoquer la situation antillaise. Dans la bande des cinquante pas géométriques, on rencontre bon nombre de maisons qui ont été construites sans permis et parfois même sur des zones à risques non constructibles. Les parcelles sur lesquelles elles ont été bâties ne sont ni bornées, ni cadastrées, et pourtant les occupants sont assujettis à la taxe d'habitation et à la taxe foncière sur le bâti. Comment expliquez-vous cet état de fait ?
Dans le cas que vous évoquez, l'administration fiscale taxe uniquement la construction sur terrain d'autrui, en l'occurrence sur le domaine de l'État mais cela pourrait être du département ou d'une autre personne. En revanche, le sol n'est pas taxé. L'absence de référence cadastrale directe sur le sol ne fait pas forcément obstacle.
Ce qui est possible en Martinique ne pourrait-il pas l'être aussi en Guyane ?
À dire vrai, ces pratiques sont historiques mais n'ont pas vocation à perdurer.
Comment l'État peut-il prendre le risque de fiscaliser des constructions soumises aux risques naturels ? L'imposition entraîne en quelque sorte une régularisation par l'État, comme si l'on reconnaissait que l'occupant avait le droit d'habiter là où il se trouve.
Non, cela ne constitue pas une régularisation.
La diversité d'approche par l'État de la même problématique entre la Guyane, les Antilles, Mayotte et La Réunion me semble incompréhensible. La France est une et l'on devrait traiter de la même façon les territoires qui se trouvent dans des situations semblables. Les différences de traitement doivent se justifier au regard d'une différence de situation.
Ce type de différence de traitement existe malheureusement aussi en métropole, ne serait-ce qu'entre la Seine-Saint-Denis et Paris !
Prenons garde à ne pas confondre ce qui relève du droit fiscal et ce qui appartient au droit de l'urbanisme. Il est tout à fait possible de taxer un habitant qui a construit sur une parcelle non cadastrée, à la taxe d'habitation et à la taxe foncière sur le bâti. Le cas guyanais que nous évoquions concerne la cession d'une parcelle de cinq hectares. Il s'agit de foncier non bâti.
En outre, les communes n'ont pas l'obligation d'amener de l'eau partout. Lorsqu'elle alimente la population en eau, celle-ci doit être potable ! Il n'y a d'ailleurs pas besoin d'aller en Guyane pour rencontrer des problèmes similaires. Il n'est pas rare que des gens du voyage achètent des terrains ou bénéficient de donations, s'y installent parfois au mépris de tous les documents d'urbanisme (PLU, SCOT, SDRIF...) et demandent ensuite le raccordement aux réseaux d'eau et d'électricité.
Pour revenir au noeud de notre problème outre-mer, il est impératif de respecter le principe qui veut que, à partir du moment où un terrain est cédé ou concédé, il doit avoir été cadastré. Je comprends parfaitement qu'il ne soit pas nécessaire de cadastrer toute la forêt guyanaise, en particulier les zones protégées, mais la situation mériterait un effort particulier de cadastrage périphérique, pour ainsi dire, en ciblant les parcelles adjacentes des parcelles qui ont fait l'objet de cession ou de concession. Dans les zones où une activité économique a vocation à s'exercer, le cadastre doit être à jour.
Autour des parcelles cédées, il n'existe pas en effet de cadastre. C'est une vraie difficulté.
Je ne peux pas passer sous silence le cas de Mayotte, où se pose le même type de problèmes avec une acuité particulière, notre fiscalité étant très récente. La situation mahoraise doit être impérativement clarifiée. De fait, de nombreux villages se trouvent dans la zone des cinquante pas géométriques. Nous ne pouvons pas rester au milieu du gué : soit on procède à des régularisations, ce qui procurera des ressources fiscales supplémentaires à la collectivité, soit l'État tranche pour dire clairement aux habitants qu'ils ne peuvent pas rester sur place. Mayotte souffre aussi du piétinement de la réforme du cadastre depuis plusieurs années. Des évolutions sont nécessaires pour garantir les ressources fiscales et assurer aux habitants la paix et la tranquillité auxquelles ils peuvent légitimement prétendre.
Pour poursuivre nos travaux sur la gestion du domaine public et privé de l'État, nous entendons à présent les auteurs du rapport remis conjointement en 2013 par l'Inspection générale de l'administration et le Conseil général de l'environnement et du développement durable sur les problématiques foncières et le rôle des différents opérateurs aux Antilles.
Nous avons remis ce rapport il y a un peu plus d'un an au moment où le Parlement adoptait la proposition de loi du sénateur Larcher qui visait à prolonger la durée de vie des agences des pas géométriques. Le cadre de notre mission était un peu plus large afin de nous permettre de resituer la problématique de la zone des cinquante pas géométriques (ZPG) dans le contexte foncier général des Antilles, à l'exclusion des autres départements et collectivités d'outre-mer. L'objectif était de dégager les voies et les moyens d'une action foncière soutenue alors que ces territoires connaissent une pression foncière très forte. Cette pression est due à la topographie du littoral, à la prise en compte des risques naturels et à la demande de logements face à un parc manifestement inadapté en qualité et en prix.
Nous avons rapidement pris le parti de nous extraire de la problématique des outils pour nous concentrer sur les grands enjeux. Nous avons constaté que la gestion spécifique de la ZPG était source de complexité, nuisait à la cohérence de l'aménagement du littoral et n'avait pas apporté la preuve de son efficacité en tant qu'instrument de protection. Une certaine confusion des responsabilités perdure. Il est particulièrement frappant, lorsqu'on se déplace en Guadeloupe et en Martinique, de voir que la limite de la ZPG présente souvent un caractère arbitraire. Elle peut passer au milieu du village et, pour une commune qui doit penser un aménagement cohérent en termes d'assainissement, de réseaux et de voirie, le fait d'être confrontée à des gestions du foncier complètement disparates des deux côtés de la limite n'est évidemment pas satisfaisant.
Nous avons voulu faire passer un double message : d'une part, une clarification des responsabilités est nécessaire, d'autre part, il faut parvenir à s'émanciper du mode de gestion actuel qui paraît hérité du passé colonial et exorbitant du droit commun. Notre travail prend la suite d'une série de rapports sur le sujet. Le rapport de la mission interministérielle Rosier qui précédait la réforme de 1996 recommandait un transfert du foncier aux collectivités. Nous ne brillons pas tant par originalité que par constance ! Devant les louvoiements du passé, nous avons considéré que notre devoir était de faire passer ce message.
Le rapport comprend deux grandes familles de recommandations. Avant de les aborder, je précise que nous nous sommes penchées sur le schéma d'aménagement régional (SAR) qui nous paraît un outil fondamental mais qui conserve une certaine ambiguïté juridique. Chacun s'accorde à vouloir faire du SAR un instrument majeur d'aménagement et de protection du littoral, mais il nous semble qu'il faudrait le renforcer pour lui donner le statut des anciennes directives littoral. Nous avons le sentiment qu'il a été un peu affaibli.
Le transfert du foncier aux collectivités constitue notre première grande recommandation générale, ce qui signifie aussi un transfert du processus de régularisation. C'est le propriétaire du foncier qui doit décider à qui il l'attribue et dans quelles conditions juridiques. Ce processus doit respecter un principe de neutralité financière. Le transfert du foncier nécessite un redécoupage du foncier. L'idée est de transférer autant que possible un foncier résiduel, apuré des demandes de régularisation. Nous recommandons une accélération des régularisations et la gratuité des cessions pour simplifier le mécanisme. La gratuité s'accompagnerait d'une captation des plus-values, si elles se réalisent, afin d'éviter que la cession entraîne, le lendemain, des reventes spéculatives. Il faut à la fois afficher la gratuité dans un souci de lisibilité pour la population tout en assurant un retour à l'État ou aux collectivités selon le cas. Il conviendrait également, avant d'organiser le transfert du foncier aux collectivités, de transférer des terrains préalablement listés aux organismes de logement social et de délimiter soigneusement les espaces naturels soumis à une protection renforcée, ainsi que les espaces exposés à des risques naturels. Il est important de transférer aux collectivités des terrains sur lesquels le risque a été, sinon totalement éliminé, du moins géré le mieux possible et sur lesquels les travaux d'aménagement ont été chiffrés.
Notre deuxième série de recommandations intervient dans la foulée de la décision de transfert aux collectivités territoriales. Elle porte sur la redéfinition du rôle des différents intervenants. Les agences de la ZPG n'ont plus en tant que tel de raison d'être, même si elles pourront être confrontées à un surcroît de travail dans une phase transitoire. Leur liquidation doit être engagée à terme après avoir affiché une feuille de route claire, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. Il faut leur prescrire de ne plus entamer de nouveaux travaux d'aménagement. Actuellement, l'aménagement précède la cession, ce qui génère un processus sans fin. En effet, l'aménagement dure plusieurs années et il suffit, huit jours avant la date de disparition programmée des agences, que l'on engage de nouveaux chantiers pour que le processus soit automatiquement reporté pour trois ans. Le rapport précédent de l'inspection le montrait bien. Les activités d'aménagement doivent être portées par des aménageurs.
À l'époque du rapport existait un obstacle juridique dans l'ordonnance de 2011 qui prévoyait que les établissements publics fonciers locaux (EPFL) ne pouvaient pas réaliser d'aménagement, contrairement à ce qui se passe en Guyane. Nous estimions qu'en Guadeloupe comme en Martinique existaient ou pouvaient exister des outils d'aménagement clairement portés par les collectivités, qui assumeraient ces missions d'aménagement comme partout ailleurs. Il n'était donc plus d'actualité de disposer d'un aménageur d'État pour gérer une série de lotissements ou de grandes opérations, sur lesquelles les collectivités étaient légitimes pour agir. Nous proposions que les EPFL soient centrés sur la gestion foncière, la collectivité propriétaire pouvant lui confier la gestion de ses terrains. On pouvait imaginer transférer l'activité des agences et leurs actifs financiers à des EPF d'État. Désormais, les collectivités ont pris la main et constitué des EPFL. La mission de ces établissements publics doit maintenant se concentrer sur le développement d'une action foncière, la saisie des opportunités, l'approvisionnement en foncier des collectivités et des opérateurs publics. Cela nous a paru suffire à leur bonheur, sans leur ajouter l'aménagement, d'autant que les aménageurs existent et ont montré leur appétit.
La question du titrement figurait également dans notre lettre de mission. Elle nous éloigne un peu de la zone des cinquante pas géométriques car il s'agit d'un problème général aux Antilles. L'absence de titres de propriété ou bien l'existence de titres qui n'ont pas donné lieu à succession pose de sérieuses difficultés. Il était de tradition de dire oralement à tel enfant ou petit-enfant que tel terrain lui revenait, plutôt que de recourir à un notaire pour assurer la réalisation des opérations permettant de disposer d'un titre et de le transmettre en bonne et due forme. La situation est devenue très complexe. Certains terrains font l'objet de titres en bonne et due forme. D'autres renvoient à des titres anciens qui n'ont absolument connu aucune dévolution successorale, souvent depuis plus d'un siècle, ce qui a pour conséquence la multiplication des indivisaires, alors même qu'une famille habite sur le terrain. Il faut aussi prendre en compte les terrains qui autrefois appartenaient à des collectivités ou à l'État et où sont installés des occupants qui en ont « hérité » oralement parfois depuis le XIXe siècle. Partout le titre de propriété prend une grande force symbolique.
Initialement, au moment où notre lettre de mission fut rédigée, il était envisagé que les agences soient reprises par les EPF d'État qui devaient être créés. Ces derniers n'ont finalement pas vu le jour parce qu'on leur a préféré la solution des EPFL. Il était aussi prévu de confier aux EPF d'État les activités d'un groupement d'intérêt public (GIP) en charge du titrement sur le modèle corse. L'idée était de tirer parti des similitudes entre les situations foncières corse et antillaise, marquée toutes les deux par l'absence de titres de propriété et de transposer la solution mise en oeuvre en Méditerranée. Les EPF aurait donc à la fois la charge de la régularisation des occupations sans titre dans la ZPG et la clarification générale des titres de propriété sur l'ensemble du territoire des îles.
La reconstitution des titres de propriété est essentielle pour soigner ce qui représente une véritable plaie économique. Sans titre, il n'existe pas de possibilité d'emprunter. L'absence de titre présente beaucoup d'incidences sociales et économiques concrètes pour les familles.
Pour préparer le rapport, nous nous sommes penchés sur le modèle du GIP de titrement et nous nous sommes même rendus en Corse pour apprécier directement sa pertinence. Nous avons dressé un état des lieux assez prudent car nous nous sommes rendu compte que, malgré son aspect séduisant, le modèle corse ne pouvait pas aisément être adapté à la Guadeloupe et à la Martinique. En effet, en Corse, existe un cadastre très performant d'origine napoléonienne qui permet d'identifier historiquement les propriétaires. Comme il était, de plus, possible de bénéficier jusqu'à récemment d'une exonération de frais de successions, le GIP fonctionne relativement bien. Aux Antilles, la situation est beaucoup plus complexe : certains titres en bonne et due forme ont plus d'un siècle mais certaines familles n'en disposent pas, tout en occupant le terrain et en s'en sentant propriétaire. Dès lors, avant même que les nouveaux EPF puissent se saisir du titrement, il fallait impérativement un état des lieux nettement plus précis, notamment pour les archives afin de s'assurer de la qualité des données. D'autres expériences, notamment au Brésil, pourraient de ce point de vue se révéler plus pertinentes, car appliquer simplement les règles de dévolution successorale en remontant jusqu'au propriétaire initial au XIXe siècle ne suffira pas à régler les problèmes fonciers aux Antilles.
Tout ceci explique que nous ayons émis des recommandations plus prudentes en demandant avant toute chose un audit précis. Il convient de nous assurer de la faisabilité du projet avant de se doter de nouveaux outils. Il nous a semblé que, sur la question du titrement, on avait eu tendance à mettre l'outil avant le bilan.
Les questions foncières outre-mer couvrent un champ d'investigation très vaste. C'est pourquoi nous avons segmenté notre étude en trois volets. Le second volet traitera à fond de la question du titrement. Dans le premier volet qui nous occupe actuellement et qui est consacré à la gestion du domaine de l'État outre-mer, nous n'aborderons la question du titrement qu'incidemment, dès lors qu'il s'agit de traiter les occupations sans titre du domaine.
Pour revenir sur le cas corse, j'aimerais rappeler que tout est venu d'un cavalier sur le titrement inséré dans la loi « littoral » en 1986. À l'époque, j'avais tenté de sous-amender pour aller au-delà de la création d'un GIP chargé du titrement en Corse mais je n'avais pas été suivi car la spécificité antillaise n'était pas bien comprise. Je comparerais la question foncière en Martinique à une bombe à fragmentation qui menace d'exploser tant la situation devient intenable à force de s'être complexifiée au fil des années. Par exemple, souvenons-nous que la Guadeloupe et la Martinique ont été des terres d'émigration vers l'hexagone. Beaucoup de familles ont laissé en partant leurs terrains. Ils se sont installés durablement en métropole et leurs enfants y sont restés. Pendant ce temps, des gens ont occupé aux Antilles les terrains laissés vides et ont bénéficié de la prescription trentenaire. De nombreux contentieux sont renvoyés devant le juge pour trancher entre deux titres, l'un issu d'une succession en bonne et due forme, l'autre fruit de la prescription acquisitive.
Un autre problème majeur réside dans l'élaboration du cadastre. Dans les années 1950, les Antilles ont été cadastrées mais l'action des géomètres-experts chargés de délimiter les parcelles a été mal interprétée, dans la mesure où elle a été assimilée à tort à la délivrance d'un titre aux personnes qui étaient réputées propriétaires. La confusion s'est installée dans les zones rurales entre un titre de propriété et une pièce cadastrale. Cette situation très complexe est un frein majeur au développement et à la construction de logements sociaux puisqu'elle bloque les mutations. L'urgence est là.
C'est le cadastre napoléonien qui fait toute la différence dans le cas corse. La superposition des problèmes de titrement, d'indivision successorale non résolue, d'imperfection du cadastre et de recours à la prescription acquisitive rend le cas antillais particulièrement épineux à résoudre.
La question du titrement ne peut pas être complètement absente de nos travaux, même si nous nous concentrons sur la gestion du domaine de l'État pour le moment. La collectivité de Saint-Martin a en effet hérité de la compétence de l'État sur la ZPG et est engagée dans une campagne de régularisation des occupants sans titre.
En ce qui concerne la suite donnée à nos travaux, il me semble qu'il vous faut interroger les diverses autorités en charge qui pourront mieux vous répondre que vous. C'est un sujet qui les a bien mobilisées et a donné de nombreuses discussions.
Dans notre rapport, nous exprimions notre préférence pour un transfert du foncier d'État aux intercommunalités et, à défaut, à la région Guadeloupe et à la collectivité unique de Martinique. Les deux solutions présentent des avantages et des inconvénients.
Nous avons tout d'abord écarté le scénario d'un transfert aux communes, bien qu'elles constituent l'échelon de proximité et travaillent étroitement avec les agences, car leur situation financière est très dégradée et leurs capacités d'investissement insuffisantes.
De constitution récente, les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) nous semblaient représenter un échelon de cohérence et de mutualisation très intéressant. Je préfère parler à l'imparfait car la carte intercommunale a dû évoluer depuis et nous n'en avons pas suivi les derniers développements, ce qui nous incite à la prudence. Il n'en reste pas moins que les ECI ont vocation aux termes du code général des collectivités territoriales (CGCT) à gérer les politiques d'aménagement, d'assainissement et d'habitat. En outre, et à ce titre elles offrent un exemple pour les autres territoires de la République, les intercommunalités aux Antilles présentent une taille relativement importante car il n'existe pas de toutes petites communes.
En revanche, il nous a paru qu'en Guadeloupe les EPCI n'avaient pas complètement pris toute leur dimension et que certaines communautés d'agglomérations ou de communes n'étaient pas encore opérationnelles à la date du rapport. En Martinique, la situation était différente : l'intercommunalité était plus ancienne et les deux communautés d'agglomération rencontrées s'étaient déjà engagées dans des diagnostics fonciers, tout en finalisant leurs schémas de cohérence territoriale (SCOT) et leurs programmes locaux de l'habitat. Cet état de fait nous conduisait à une préconisation différenciée entre la Guadeloupe et la Martinique : un transfert de propriété vers les intercommunalités en Martinique et une possibilité de transfert plutôt vers le conseil régional en Guadeloupe. Bien qu'elle ne dispose pas en tant que telle de compétences opérationnelles d'aménagement, la région Guadeloupe s'était positionnée activement sur la définition d'une politique d'aménagement territoriale dans le SAR et était en mesure de monter des dossiers de subventions avec l'expérience du transfert de gestion du Feder et du Feader. Le rapport avait donc laissé ouvert le choix entre les deux échelons de collectivités. Mais si la région se voit attribuer des parts du domaine, il faut qu'elle réunisse les compétences nécessaires à la gestion de la domanialité et insister sur la conclusion de conventions avec les communes pour garantir un traitement de proximité.
C'est un ancien maire qui vous parle. Rien n'a évolué depuis votre rapport et l'adoption de ma proposition de loi. Le délai de deux ans supplémentaires accordé aux agences n'a pas été mis à profit. Pourquoi aujourd'hui les constructions continuent-elles à s'élever sur la ZPG ? On peut dire que l'État, la direction de l'environnement, de l'aménagement et du logement en l'espèce, ne fait pas son travail alors qu'il est chargé de la police de la ZPG. On peut dire aussi que certains poussent à la construction. Il faut les nommer : ce sont les maires. Or qui rencontre-t-on dans les EPCI ? Des maires et représentants des communes qui siégent dans l'EPCI. Si l'on transfère la ZPG aux intercommunalités, on sera donc confronté aux mêmes pesanteurs. Il faut éviter cela. En tant qu'ancien président de l'association des maires de Martinique, je préconise un transfert à un échelon supérieur.
En outre, la Guadeloupe et la Martinique connaissent des difficultés analogues. Ne traitons pas différemment deux îles distantes de deux cents kilomètres qui rencontrent des problèmes semblables. N'oublions pas, par ailleurs, que le mouvement de l'histoire entraîne les départements d'outre-mer vers plus d'autonomie, en-dehors même de la question du statut. Les populations demandent un peu plus de pouvoir local et surtout une action locale plus claire, plus lisible et plus cohérente. La collectivité unique va apporter la clarification nécessaire dans l'enchevêtrement actuel entre département et région.
L'échelon régional ou de la collectivité unique paraît le plus pertinent. Il ne faut pas surcharger les EPCI de missions supplémentaires alors qu'ils connaissent de très sérieuses difficultés financières. Enfin, il faut garder une cohérence entre le niveau de collectivité propriétaire et le niveau de collectivité gestionnaire : si l'on crée des EPFL régionaux qui se substitueront aux agences, il convient de transférer la propriété de la ZPG à l'échelon régional.
Je partage tout à fait les arguments de notre collègue Serge Larcher. L'avantage de la région réside dans le fait qu'elle soit pour ainsi dire figée dans le temps, ce qui garantit l'identité pérenne du propriétaire et une politique d'aménagement à long terme. En revanche, par définition, un EPCI a vocation à se transformer. Son périmètre est mouvant, ce qui va créer des difficultés majeures pour gérer la propriété de la bande côtière. La gestion de la ZPG doit être cohérente et unifiée, sans que d'un point à un autre les politiques divergent tant en termes de stratégie que de moyens. Je pense donc qu'il faut totalement exclure le scénario du transfert aux EPCI pour garantir la cohérence et l'unicité de l'action publique dans ces espaces.
La collectivité de Saint-Martin a hérité en 2007 de la gestion de la ZPG. Des parcelles dans cette zone ont été vendues par l'État sans que les « propriétaires » aient eu connaissance de la disponibilité du foncier. Or, les familles qui ont occupé depuis plus de cent ans parfois ces parcelles se sentent complètement dépossédées de leur bien. Lorsque l'acheteur est un particulier, cas le moins compliqué, on parvient à trouver des solutions, y compris judiciaires. Mais, parfois, les acheteurs sont de grands groupes hôteliers qui ont acquis des dizaines d'hectares occupés par de l'habitat incontrôlé. Il est alors impossible de régulariser, d'autant que les « propriétaires » originels ont disparu et que leurs héritiers occupants se veulent intransigeants. En récupérant la ZPG et sa gestion, la collectivité de Saint-Martin a beaucoup de difficultés à trouver une solution convenable pour les deux parties. À cela s'ajoute l'impossibilité de réaliser des opérations d'aménagement alors que ce sont presque des villages entiers qui se sont construits.
La collectivité de Saint-Barthélemy n'est pas concernée par le régime de la ZPG pour des raisons historiques, mais cette différence entre les collectivités n'est pas toujours bien comprise par la population. Les incompréhensions du citoyen ordinaire sont renforcées par l'activité d'avocats, qui profitent de la question, en contestant la longueur des pas, la limite de la ZPG, etc. Tout ceci nourrit le refus obstiné de toute régularisation chez certains habitants qui considèrent que ni l'État, ni la collectivité ne sont réellement propriétaires.
Je me permets d'apporter une précision à caractère historique. Les 81,20 m de la ZPG ont été calculés à partir de l'étalon du pas allemand.
Pour revenir sur mon propos précédent, j'aimerais ajouter que certains départements d'outre-mer n'ont pas d'EPCI sur leur territoire. C'est le cas de Mayotte. Un transfert aux Antilles de la ZPG aux EPCI ajouterait une hétérogénéité supplémentaire entre les collectivités ultramarines.
Je partage totalement l'opinion de notre collègue Serge Larcher. Nous devons éviter de mettre les maires en difficulté en les exposant à des pressions trop fortes. Il faut remonter plus haut, à l'échelon régional, pour prendre des décisions validées collectivement. Je suis favorable à l'intervention d'un EPF régional, qui tiendra compte des politiques des EPCI, pour régler ce problème très complexe.
Nous ne pouvons pas reprocher aux auteurs du rapport d'avoir évoqué plusieurs options. C'est bien en examinant ces options que nous nous rendons compte que l'échelon régional est le plus pertinent. Parfois, il est bon d'éviter trop de proximité pour traiter certains sujets.
Le gouvernement prépare un projet de loi portant diverses dispositions relatives à l'outre-mer qui devrait traiter certains aspects de la question foncière.
Pour l'instant, il semble que le projet de loi se contente de prévoir la prolongation pour trois nouvelles années des agences des cinquante pas. Cela n'interdit pas d'aller plus loin au cours du débat parlementaire.
Permettez-moi une brève évocation du cas particulier de Saint-Barthélemy. Il n'y existe pas de ZPG. Tous les biens jusqu'à la limite des côtes ont toujours eu un propriétaire détenant un titre de propriété. Il n'y a pas de biens sans maîtres sur le territoire de la collectivité.
Pour clarifier, nous avons effectivement étudié plusieurs options. Le choix d'un transfert aux EPCI paraissait la solution la plus logique sur le plan théorique et la plus cohérente avec le mouvement de décentralisation de l'urbanisme. Nous avions néanmoins pondéré pragmatiquement cette proposition, dès lors que la région montrait une certaine appétence, très claire dans le cas de la Guadeloupe, pour gérer la ZPG. Nous avions simplement exclu d'en rester au plan strictement communal.
Il faut distinguer le propriétaire du foncier qui est l'État et les opérateurs que sont les agences. Nous préconisions le transfert de propriété du foncier, une fois purgé autant que possible des régularisations en cours. Nous faisions également des propositions pour accélérer les régularisations pendant une période transitoire. Par exemple, les compteurs de la régularisation sont arrêtés à la date de la loi de 1996, alors que la loi Letchimy organise une forme de régularisation d'habitat informel dès lors que l'occupation dure depuis 10 ans. Cela paraît un peu contradictoire. Nous proposions de ne transférer qu'un foncier expurgé d'un certain nombre de situations difficiles qu'on pouvait régler rapidement. De même, le foncier devait être purgé du problème des risques et du patrimoine naturel. Le foncier transféré à la région ou à la collectivité unique ne devrait couvrir que des terrains aménageables. Ce qui nous paraît avoir bloqué le processus de régularisation, c'est d'avoir fait de l'aménagement un préalable à la cession. Notre position est de renverser les termes : les collectivités sont responsables de l'aménagement, qu'on les rende aussi responsables de la délivrance des titres de propriété.
Les agences, ou leurs successeurs, ont un rôle d'opérateur. Nous avons constaté deux situations contrastées. En Martinique, l'aménagement a été affiché comme une priorité et a mobilisé des budgets importants du Feder. Des opérations ont été réalisées, à l'exception de certaines d'entre-elles, de très grande ampleur comme Volga, qui à l'époque du rapport n'étaient pas véritablement engagées, faute d'un accord clair entre l'aménageur et la collectivité-support. En Guadeloupe, le bilan des régularisations est comparable mais avec beaucoup moins de travaux d'aménagement ce qui avait conduit à générer une trésorerie relativement abondante.
Évaluer l'activité d'un aménageur est très difficile, car les comptes révèlent un instantané, alors que l'activité est pluriannuelle. Une appréhension juste nécessiterait de pouvoir dérouler les opérations dans le temps jusqu'à leur terme en tenant compte des aléas correspondants. Nous avons été frappé de constater que, depuis leur création en 2000, la loi datant de 1996, les agences n'ont été soumises à aucun audit extérieur de leur activité. C'est ce qui avait motivé notre recommandation de lancer un audit externe, non pas dans un souci de répression, mais tout simplement en conformité avec les bonnes pratiques de gestion administrative. Il n'est pas normal de ne pas disposer d'un regard extérieur approfondi sur un établissement public d'État, quand bien même il collecterait des sommes relativement faibles. Cet audit, programmé pour 2015, sera particulièrement utile au moment de transférer l'actif des agences.
Pour engager la transition, il est nécessaire que soit envoyé un signal clair. Il revient à l'État, et aux parlementaires, de dire maintenant que le processus de liquidation est lancé. Tant que cela n'est pas le cas, il est difficile de donner une feuille de route précise aux agences. Il faut absolument fixer un cap et s'y tenir. L'horizon a été tantôt raccourci, tantôt rallongé, puis encore prolongé. Maintenant il faut se déterminer, se tenir aux décisions prises et toujours considérer la logique globale du processus en dépassant le problème de la date de péremption des agences, si je puis dire. Une fois que le cap sera clairement défini, il sera possible de demander aux agences d'accélérer le processus de régularisation pendant la période transitoire.
Nous ne nous sommes pas prononcés sur les autres départements d'outre-mer qui étaient hors du champ de notre mission.
En dehors des zones urbanisées ou urbanisables que nous avons évoquées, nous ne devons pas ignorer que, sur les espaces naturels sensibles, existe un droit de préemption des départements. Ceux d'entre eux qui ne souhaitent pas l'exercer peuvent laisser agir le Conservatoire du littoral.
Nous devons nous entendre sur la définition du foncier qui serait transféré. Si l'on décide de transférer les terrains gérés par la DEAL, on peut entendre par cela que l'on transférera des terrains urbanisés ou semi-urbanisés. Or, la DEAL gère aussi un domaine naturel. En 1986, le découpage a été mal fait entre les zones gérées par la direction de l'équipement à l'époque et l'ONF. Le partage a en fait conduit à ce que la DEAL gère les zones urbanisées des centres-bourgs, les zones d'habitat diffus des banlieues et certains espaces naturels. Le transfert doit-il concerner en bloc tout le domaine géré par la DEAL ? Faut-il redécouper ?
Nous nous sommes prononcés pour un redécoupage, sanctionné par un décret en Conseil d'État au même titre que le SAR. Cela nous a paru de nature à graver dans le marbre le nouveau partage pour ne plus avoir à y revenir. La redélimitation demandera en particulier un travail d'extraction des zones à risques qu'il faudra gérer préalablement. Les espaces naturels ont vocation à rester naturels, ce qui n'empêchera pas dans certains cas de retrancher ou de rajouter certaines zones au domaine naturel.
Il faudrait pouvoir dans certains cas remettre dans la partie urbanisée des espaces considérés aujourd'hui comme naturels mais qui jouxtent les zones urbanisées et sont en réalité urbanisés eux-mêmes. C'est toute la découpe qui devrait être reprise.
Entre les deux îles, nous avons pu constater d'importantes différences dans la cartographie initiale.
La problématique que nous étudions est à la fois complexe et importante. Elle se situe au croisement d'une quantité de domaines, l'urbanisme, l'environnement, la fiscalité, etc. Pour gérer tous ces aspects de manière claire et précise sur la longue durée, l'échelon de la collectivité globale, quel qu'en soit le statut, me paraît le plus pertinent. Saint-Barthélemy tire un grand parti de disposer de la compétence en matière d'urbanisme, qui n'est plus une matière d'État. Je reconnais que c'est un cas particulier.
Les zones à risque sont imposées par l'État ! Leur cartographie ne relève pas des collectivités.
Certes, Saint-Barthélemy dispose de son propre code de l'urbanisme. Il n'en reste pas moins que lorsqu'une collectivité prépare ses documents d'urbanisme, beaucoup de normes supérieures s'imposent à elle. L'État intervient largement mais ce n'est pas le problème. Admettons que la zone urbanisée soit gérée par un EPFL de la collectivité. Qui gère le reste du domaine ?
De notre point de vue, la domanialité a été perçue comme un instrument de protection. Cette solution a montré ses limites : à force, la domanialité est devenue un instrument de protection aux mailles trop larges. En outre, à quoi sert le régime de la domanialité dès lorsqu'il pèse sur des terrains qui ont vocation à être régularisés, cédés à leurs occupants et urbanisés ? Il y a là une antinomie qui est source de toutes sortes de lourdeurs : vingt-deux étapes de procédures sur trois ans. La domanialité n'est pas le bon outil. En revanche, que l'État se réserve de rectifier le périmètre des terrains du domaine public au profit de l'ONF et du Conservatoire du littoral, nous n'y voyons rien que de normal.
L'État doit donc garder la main sur les espaces naturels qui n'ont pas vocation à être urbanisés. Cela me paraît clair.
Une des spécificités par rapport au droit métropolitain réside dans l'opposabilité du SAR aux SCOT. La collectivité unique dispose d'un outil d'urbanisme, négocié avec l'État, particulièrement fort.
La compétence régionale sur les zones urbanisées paraît dans ce cas encore plus logique !
Toutes les collectivités ne sont pas logées à la même enseigne. Je fais allusion au Département de Mayotte qui, coup sur coup en un temps très réduit, a dû absorber la décentralisation, la départementalisation, la RUPisation et la réforme fiscale. Ces chantiers monumentaux ont commencé il y a moins de dix ans. Notre souci majeur demeure la déficience des moyens alloués pour exercer ces compétences. Lorsqu'on parle de nouvelles charges sur les collectivités, je ne peux manquer de réagir. Aujourd'hui, l'élaboration du cadastre est au point mort. La ministre de l'outre-mer a annoncé la création d'un EPF d'État. Nous le demandions parce que la collectivité ne pouvait pas gérer le foncier sans disposer des moyens et des compétences en ingénierie idoines. Mayotte doit être soutenue à la hauteur des difficultés qu'elle rencontre et mérite des solutions adaptées. De ce point de vue, pensez-vous qu'il serait utile de s'inspirer de l'expérience antillaise de gestion de la ZPG et de transposer vos préconisations au cas mahorais.
Nous serions ravies d'étudier le problème sur place. Il serait un peu superficiel pour nous de vouloir prendre position sans une connaissance approfondie et documentée de la situation foncière de Mayotte. Néanmoins, on pourrait difficilement recommander de créer un outil spécifique pour gérer la ZPG à Mayotte sur le modèle des agences, alors que cela n'a pas été la solution aux Antilles. Le sujet du transfert de propriété de la ZPG est distinct et ne doit pas être confondu avec celui de sa gestion. Le nouvel EPF d'État devrait pouvoir porter la gestion foncière sur le territoire de Mayotte. Inventer un outil supplémentaire, qui risquerait de s'y superposer et de brouiller le partage de compétences, ne paraît pas a priori de bon aloi. Il ne s'agit que d'une réponse personnelle qui semble de bon sens mais qui n'est pas appuyée sur une étude précise.
Nous vous remercions pour vos interventions et nous ne manquerons pas de faire à nouveau appel à vous lorsque nous approfondirons la question de la reconstitution des titres de propriété.
Monsieur le directeur général, je vous remercie d'avoir répondu positivement à notre invitation.
La délégation à l'outre-mer travaille sur la problématique complexe du foncier. Cette étude se déclinera sur trois années, avec des thèmes annuels spécifiques. Cette année, le premier volet est axé sur la gestion du domaine public et privé de l'État en outre-mer, étant entendu que d'autres problématiques, comme le titrement, seront étudiées dans le volet suivant.
À mes côtés, se tiennent M. Thani Mohamed Soilihi, sénateur de Mayotte, rapporteur chargé de coordonner l'ensemble des travaux sur la période des trois ans, et les trois rapporteurs de ce volet : MM. Georges Patient, sénateur de la Guyane, Joël Guerriau, sénateur de la Loire-Atlantique, et Serge Larcher, sénateur de la Martinique, particulièrement impliqué sur ces questions depuis de nombreuses années.
Nous avons précédemment reçu l'Office national des forêts (ONF), le Conservatoire du littoral, France domaine, une professeure de droit, la direction générale des finances publiques, et nous sommes particulièrement heureux de vous accueillir.
Je vous remercie d'associer ma direction générale à vos travaux.
Sous l'autorité de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, et de la ministre du logement, de l'égalité des territoires et de la ruralité, la direction générale a en charge plusieurs familles de politiques publiques. Elle élabore, anime et évalue les politiques de l'urbanisme, du logement, de la construction, de la protection des ressources naturelles, de l'eau, de la nature et des ressources minérales non énergétiques. C'est une direction qui contribue à la conservation de la qualité des territoires. Elle est organisée autour d'une direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages, et d'une direction de l'eau et de la biodiversité.
Sur les territoires ultramarins, cette direction a une forte culture d'entreprise dans la mesure où une sous-direction est en charge des milieux marins et trois autres de la qualité des ressources naturelles, en particulier de la biodiversité. Vous avez devant vous des personnes qui ont toutes servi dans les outre-mer et connaissent l'importance de leurs milieux naturels terrestres et marins.
Si les crédits de soutien au logement sont portés par la ligne budgétaire unique gérée par la direction générale des outre-mer, nous jouons, au titre de la réglementation de la construction, un rôle important en matière de logement, d'urbanisme et de construction ultramarine.
Notre direction met les territoires ultramarins au coeur de ses politiques publiques.
En réponse aux questions que vous nous avez adressées, je souhaite vous donner quelques précisions sur les effectifs. La direction générale fait travailler, en métropole et dans les outre-mer, quinze mille agents dans les services déconcentrés, dont environ six cents dans nos directions de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DEAL) et de la mer (DM) dans les cinq départements d'outre-mer, ainsi qu'à Saint-Pierre-et-Miquelon. Nous avons la tutelle de plus de cinquante établissements publics qui représentent, sur l'ensemble du territoire national, à peu près sept mille agents.
Les départements d'outre-mer hébergent les parcs nationaux, des agences, des établissements publics. Pour ce qui concerne les territoires ultramarins, le Conservatoire du littoral, l'Office de l'eau, l'Office de la chasse, l'ONF et les agences des cinquante pas géométriques représentent environ un millier d'agents. À travers ce millier d'agents - 600 dans les services déconcentrés et 400 pour les établissements publics -, nous sommes en capacité d'être au service des territoires ultramarins.
Ces éléments quantitatifs sont de nature à éclairer vos réflexions et vos conclusions de telle sorte que l'on puisse améliorer sensiblement la manière d'intervenir de nos établissements publics sous tutelle, et contribuer, au travers du pilotage de nos services déconcentrés avec les préfets, à la parfaite mobilisation du foncier public et privé de l'État, à la fois en valorisation du patrimoine mais aussi en programmes et en politique de développement, avec une logique d'économie de l'espace.
Les établissements les plus « impactants » pour le territoire sont les trois parcs nationaux dans lesquels travaillent près de 250 personnes ; au travers des hectares de coeur de parcs ou des chartes, ils sont en relations quotidiennes avec les collectivités.
Divers dispositifs nous permettent d'exercer notre tutelle sur les établissements publics, tout en respectant leur autonomie. Nous sommes en capacité, au travers des contrats d'objectifs ou des lettres annuelles de mission, de leur demander de prendre en compte un certain nombre de sujets, dont les préoccupations foncières.
Les relations entre les établissements publics sous tutelle du ministère de l'écologie et ceux sous tutelle du ministère de l'agriculture, comme par exemple l'ONF, sont harmonieuses lorsqu'elles sont bien cadrées et qu'il n'y a pas de chevauchement dans les missions. C'est ce qu'a permis le décret de création du Parc national amazonien de Guyane. Le décret pour le parc de La Réunion a été moins bien cadré, et cela se ressent dans les relations entre agents des différents établissements.
Les établissements publics nationaux ne sont pas les seuls établissements qui sont importants pour nous. Le Conservatoire du littoral a également réussi à trouver sa place aussi bien dans les départements d'outre-mer que dans le Pacifique. À travers le contrat d'objectifs, il est en permanence en relation avec les collectivités. Il n'y a pas pour nous de gestion autonome du patrimoine public ou privé de l'État, qu'il s'agisse de l'État tout seul ou des établissements publics tout seuls. Il y a forcément une vision partenariale dans la gestion et dans la définition finalisée de l'utilisation de ces espaces. On le voit sur un certain nombre d'opérations fortes dans les parcs nationaux. Le rôle du Parc national de La Réunion, par exemple, a joué un rôle fédérateur dans l'obtention du label « patrimoine mondial de l'Unesco ». Il a montré à la collectivité internationale que, en protégeant 40 % du territoire, on avait l'assurance qu'un bien confié au territoire de La Réunion serait encore dans l'état dans lequel il lui a été confié - voire amélioré - cinquante ans plus tard. Au point que les services du patrimoine mondial de l'Unesco ont demandé aux Réunionnais et au Parc national d'être les fers de lance de la politique patrimoniale mondiale dans l'océan Indien.
Une maîtrise du foncier et des valeurs patrimoniales greffées sur ce foncier peut donner au territoire une image internationale positive. C'est ce que fait le Parc national de la Guadeloupe en Caraïbe. Je pourrais citer également, puisque nous sommes dans l'année de la Conférence internationale de Paris, ce que le Parc amazonien de Guyane réalise avec son voisin le Parc national brésilien des Tumucumaques. Leur action permettra de démontrer que, pour les cinquante prochaines années, une sorte de relique planétaire de forêt amazonienne pourrait être conservée, tout en poursuivant une logique de territoire habité, avec les composantes culturelles et identitaires qui sont installées sur ces territoires.
Notre souhait est de démontrer que, au travers du foncier, nos établissements publics peuvent apporter à l'image et à l'avenir d'un territoire. La valorisation des espaces publics et privés est pour nous une préoccupation permanente.
Il y a aussi des espaces publics et privés de l'État qui n'ont pas seulement des composantes naturelles mais également des composantes urbaines, en particulier sur le littoral. Dans ce cas, le pilotage du partage de destinations est plus compliqué. Les schémas d'aménagements régionaux (SAR) définissent des objectifs et déterminent des destinations à ces unités foncières.
Nous ne sommes pas au bout de nos peines pour ce qui concerne les cinquante pas géométriques. Si le sujet macro-zonage espace naturel / espace urbain est à peu près défini, dès lors que l'on descend à l'intérieur des espaces urbains, des difficultés apparaissent, surtout quand on essaie de faire se croiser plusieurs politiques publiques comme celle de l'accompagnement des ménages installés sur ces territoires - notamment au travers la résorption de l'insalubrité de l'habitat -, celle de l'aménagement d'équipements publics pour qu'il y ait une sorte d'équité d'accès aux services essentiels, et celle de l'analyse des risques de submersion marine sur laquelle l'État n'a pas fini de travailler. Les problèmes ne sont pas identiques sur tous les littoraux. En espace montagneux peu bâti sur le littoral, on n'a pas le même risque qu'à Mayotte !
Nous considérons que l'État et les collectivités doivent, notamment au travers de l'agence des cinquante pas géométriques, quand elle existe, réussir à faire se combiner des visions stratégiques d'aménagement, des analyses de risques et d'aléas, notamment liés au changement climatique, et des conduites de politiques publiques d'accès aux services essentiels.
Si le projet de nouvelle organisation territoriale de la République donne aux régions des compétences supplémentaires pour bâtir un schéma régional d'aménagement et de développement durable et d'égalité des territoires en en exemptant les outre-mer, c'est parce que ceux-ci ont déjà leur SAR. En logique de miroir, quand nous regardons ce que les SAR avaient déjà prévu sur cette prise en compte des risques, la résorption de l'habitat indigne, la valorisation des patrimoines naturels, les relations avec les PLU, le rôle des sociétés publiques d'aménagement ou celui des SEM d'aménagement, nous nous interrogeons sur les nouvelles dispositions qui pourraient les enrichir.
Nous considérons qu'une vision partagée doit s'imposer d'abord à l'échelle des SAR puis, ensuite, zone par zone.
Les agences des cinquante pas fonctionnent plus ou moins de la même manière. À La Réunion, en Guyane où il n'y en a pas, ce sont les DEAL qui exercent leurs prérogatives. Le titrement et le transfert de propriété se font au fil de l'eau. Dans mon raisonnement, en faisant entrer d'autres politiques publiques que celle du seul transfert de propriété, je ne cherche pas à complexifier l'équation, mais j'essaie d'anticiper sur un futur qui pourrait nuire à nos concitoyens si on les laissait sur les emplacements sur lesquels ils se sont installés.
La question de l'avenir des deux agences de Guadeloupe et de Martinique se pose. Que faudra-t-il faire au 1er janvier 2016 ? Faudra-t-il les proroger de deux ou trois ans, mais pour quoi faire et que devront-elles faire d'ici-là ? Faut-il envisager une suspension d'activité ? Mais alors, entre collectivités et État, qui reprend quelles compétences et pour quoi faire ? Au-delà de la compétence de planification, d'ores et déjà attribuée aux collectivités, au-delà de la compétence du « notaire » qui rédige les actes, comment réussit-on à structurer des logiques d'urbanisation nouvelle, comment résout-on un certain nombre de transferts ?
Sur la mobilisation du foncier privé de l'État, il y a superposition de deux dispositifs. Le premier était dédié aux outre-mer. On pouvait, sous prétexte de construction de logements, obtenir une décote de 100 % du prix du foncier privé de l'État. Le récent dispositif de la loi « Duflot » permet, sous condition d'avoir au moins 75 % de logements sociaux dans le programme d'aménagement, d'avoir une décote déterminée en fonction du nombre de logements sociaux. J'ai tendance à dire que ces deux dispositifs se complètent plus qu'ils ne s'opposent. Tous deux peuvent être utilisés, ce qui donne une souplesse supplémentaire. Il me semble que M. Thierry Repentin, qui préside la Commission nationale « aménagement, urbanisme et foncier », a indiqué qu'en Guyane le dispositif de la loi « Duflot » avait déjà été utilisé sur une ou deux opérations.
Au plan national, les vingt dossiers complexes examinés en un an d'activité par la commission nationale - qui a eu un effet déclencheur - représentent un flux de 4000 logements, dont 2000 à 2200 logements locatifs sociaux qui sont entrés en aménagement. Les terrains ne sont pas aménagés pour être construits tout de suite mais cette commission est au service du foncier ultramarin. Elle peut être fortement mobilisée. Son président ne demande que cela.
Je voudrais enfin aborder un sujet qui touche au domaine public maritime : le régime des contraventions. La contravention de grande voirie apparaît complexe, désuète, mais elle donne du pouvoir aux autorités publiques. Le fait que les jugements soient concentrés en appel dans une juridiction spécialisée, à Bordeaux, ne m'inquiète pas car les magistrats sont des spécialistes qui comprennent le dispositif. Depuis 2010, les contentieux ouverts en appel sont au nombre d'une quinzaine en Guadeloupe, d'une petite vingtaine en Martinique. Il faut mettre ces chiffres en perspective avec ceux de métropole : une trentaine dans le Var, une vingtaine dans les Alpes-Maritimes.
Nos outils de gestion des propriétés domaniales sont pertinents et montrent leur efficacité. Avec ces instruments, nous pouvons faire respecter le droit et donner une autre vision de l'avenir de ces territoires en montrant qu'ils sont placés sous l'autorité publique et non sous une forme d'abandon ou de laisser faire. Ils permettent d'afficher une certaine équité entre celui qui respecte le droit et celui qui ne le respecte pas.
Monsieur le président, vous nous aviez posé une quinzaine de questions. Je suis tout à fait disposé à vous communiquer par écrit les réponses que j'ai résumées dans mon exposé.
Monsieur le directeur général, au cours de votre exposé, vous avez en effet balayé la majeure partie des questions qui vous avaient été posées. Bien entendu, nous sommes preneurs de tout document que vous voudrez bien nous transmettre.
Avant de passer la parole à mes collègues rapporteurs, puis-je demander aux personnes qui vous accompagnent de se présenter et, si elles le souhaitent, d'apporter des compléments à votre exposé ?
Je suis directeur adjoint de l'eau et de la biodiversité. Je m'intéresse en particulier au domaine public maritime naturel.
Je suis chef du bureau du littoral et du domaine public maritime naturel, à la direction de la biodiversité. Mon bureau a, d'une part, la charge de la tutelle du Conservatoire du littoral, de la politique de protection et de gestion intégrée du trait de côte, avec notamment les problématiques de l'érosion côtière et, d'autre part, la gestion de la règlementation du domaine public naturel.
C'est une belle responsabilité ! Les évolutions du trait de côte et la position des territoires face aux changements climatiques sont des problèmes d'avenir intéressants.
je suis chargé de mission pour l'outre-mer auprès du directeur de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages (DHUP) et référent outre-mer sur les champs d'action de la direction.
Depuis une cinquantaine d'années, nous constatons un fort recul des plages martiniquaises. Autrefois, ce recul pouvait être expliqué par les prélèvements de sable à proximité des rivages pour les besoins du bâtiment. Ce n'est plus le cas depuis plus de vingt ans. À chaque cyclone, la mer rentre puis se retire en emportant une partie de plage et les cocotiers. On voit bien ce que peuvent être les conséquences pour l'industrie touristique.
Ce que j'ai observé en Martinique, je l'ai observé sur toutes les îles de la région, et même à Cuba. L'explication dominante actuelle consiste à dire que cela est dû au réchauffement climatique. Certains disent qu'il conviendrait de prélever du matériau dans les terres et de le rejeter en mer pour faire remonter le fond marin. Cela me semble être des élucubrations.
Désormais, quand il y a un cyclone, la mer couvre la route principale. Sans nous fixer d'horizon précis, des experts nous disent que les îles de la Caraïbe sont condamnées à disparaître. Beaucoup de gens sont inquiets. Nous avons un problème de foncier car désormais les gens rechignent à acheter à proximité de la mer. Autrefois, tout le monde voulait avoir les pieds dans l'eau !
Auriez-vous une explication à ce phénomène ?
Cette préoccupation est de plus en plus prégnante sur les territoires littoraux. Elle se retrouve également en métropole. Lors des dernières tempêtes hivernales, il a été également constaté de forts reculs des plages, voire des disparitions de celles-ci, en Aquitaine notamment. Pour étudier cette problématique, le comité national pour le suivi du trait de côte a été mis en place le 22 janvier dernier, en présence de la ministre. Il est coprésidé par Chantal Berthelot, députée de Guyane, et Pascale Got, députée de Gironde. Ce comité a pour mission, d'ici à la fin de l'année, de conduire quatre chantiers prioritaires. Ces travaux contribueront aux propositions de la France lors de la COP 21 sur l'élaboration de la première cartographie nationale de l'érosion côtière. Ils couvriront également les territoires ultramarins. Cette cartographie a été élaborée de façon à pouvoir être facilement reproductible sur tous les territoires à l'échelle nationale. Il s'agit de disposer d'une vision globale, à l'échelon national, des littoraux exposés à ce phénomène, sur la base d'un indicateur national qui permettra d'obtenir un taux d'évolution historique de l'érosion. On a repris les photos les plus anciennes qui ont pu être trouvées afin de pouvoir établir des comparaisons, de mesurer les disparitions d'un certain nombre de mètres de territoire et parfois, du fait de la sédimentation, la création de dépôts de sable. Les territoires pourront affiner cette cartographie nationale et, en utilisant des échelles plus précises, définir une stratégie pertinente pour régler les problèmes de court terme - type tempêtes, cyclones qui arrivent désormais quasiment tous les ans - et se situer dans des perspectives de moyen et long terme pour anticiper les conséquences du changement climatique et trouver des solutions permettant de prioriser les actions de l'État et des collectivités. Les solutions adaptées doivent être recherchées à l'échelon territorial et local. Il ne saurait y avoir de solution globale et uniforme. On ne peut comparer les situations de la Guyane et de Saint-Pierre-et-Miquelon car les situations et les enjeux sont très différents.
Les réflexions de ce groupe à l'échelon national se poursuivent. Un atelier particulier étudiera prochainement avec Mme Berthelot les problématiques de l'outre-mer. Le comité national fera des propositions sur ce sujet.
Je complète en insistant sur l'aspect local. Nous avons essayé, sur l'ensemble du territoire français au complet et en partenariat avec des collectivités, d'insérer des territoires d'expérimentation pour la relocalisation des activités et des biens. L'agence des cinquante pas de Guadeloupe et la commune de Petit-Bourg ont accepté d'être des territoires d'expérimentation sur l'évolution du trait de côte et d'imaginer un repli stratégique des installations humaines en arrière des zones qui s'effondraient. Je vous laisserai, monsieur le président, le petit document qui retrace cela. Ces mesures visent à atténuer les causes mais nous n'avons pas travaillé sur une meilleure définition de celles-ci. Les scientifiques nous disent que lorsque des territoires insulaires tropicaux perdent l'équilibre récif / mangrove, ils perdent une force de protection, à la fois dans les espaces couverts de mangrove et dans les espaces de récifs qui peuvent intervenir comme briseurs de houle. Certains scientifiques disent même que l'équilibre éco-chimique des espaces insulaires doit impliquer la ravine, la mangrove et le récif. D'où l'idée de pousser la future agence française de la biodiversité à travailler sur cet équilibre. La conférence de septembre 2013 incitait déjà le Conservatoire du littoral à devenir détenteur de 35 000 hectares de mangrove pour les protéger.
En Martinique, la mangrove est assez protégée grâce à l'intervention d'une association écologiste très active.
Je pourrais aussi évoquer les problèmes liés à l'effondrement des cimetières marins des communes du littoral.
Les cyclones se produisent en juillet/août et la saison touristique commence en décembre. Le tourisme fait vivre la population. Pour reconstituer les plages, une des solutions que nous avons trouvées consiste à pomper du sable au large pour pouvoir reconstituer la plage. Mais pour pomper ce sable, il faut des autorisations d'État, ce qui est très compliqué alors que nous sommes pris par le temps.
Pourquoi cette avancée de la mer dans la Caraïbe en général ? Que faire pour sauvegarder l'intégrité de nos territoires ?
Je voudrais poser une question sur la biodiversité. Ce qui fait aussi l'intérêt de votre direction générale, c'est qu'elle aborde beaucoup de domaines et en particulier tout ce qui touche au développement durable.
Quelles sont les conséquences sur les barrières de corail des problématiques d'assainissement, de traitement des ordures ménagères, de tout ce qui peut contribuer à la pollution marine ? Quelles sont les conséquences sur l'immersion des terres ? Par rapport à ces conséquences, quelles sont les actions qui seraient à mener ?
En Chine, on fait des îles artificielles, quel est votre point de vue sur ce sujet ?
Merci, monsieur le sénateur, d'aborder ce sujet du monde du vivant sauvage.
Je reconnais la forte capacité qu'ont les habitants à accéder à la connaissance des écosystèmes, en dépit de leur complexité. Pour avoir été jeune forestier en Guadeloupe, j'ai pu mesurer que les personnes qui nous accompagnaient, qu'elles soient fonctionnaires forestiers ou simples ouvriers, étaient de très bons connaisseurs des écosystèmes. Si j'avais travaillé sur les fonds marins, j'aurais assurément constaté que les pêcheurs travaillant sur de petites embarcations étaient aussi très bons connaisseurs de leur écosystème. Les collègues du Parc national amazonien de Guyane nous disent que les amérindiens peuvent avoir des connaissances plus fines de la manière dont une valeur patrimoniale végétale peut aider à la protection sanitaire. Quelques grands groupes pharmaceutiques ne se privent pas d'utiliser ces savoirs naturalistes populaires. Outre-mer, compte tenu de la forte richesse de la biodiversité, il faut associer les habitants à la construction des dispositifs de protection ou d'amélioration des écosystèmes.
Les territoires ultramarins ne sont pas dépourvus de savoir naturaliste. Ils ont également des capacités universitaires. Nos établissements publics peuvent participer à la conduite d'expérimentations.
On ne trouvera pas immédiatement la solution. Mais quand, par exemple, on va enfin au terme de l'interdiction de l'utilisation du chlordécone dans les bananeraies, on prépare un avenir meilleur au récif car ce produit est amené à son contact par les ravines.
Quand on reconquiert des fonds de ravines - et là il s'agit de la responsabilité de l'État parce que les ravines sèches appartiennent au domaine privé de l'État - et qu'on tend vers le zéro déchet dans ces espaces-là, on part en même temps vers une reconquête de la qualité du déversoir du bord de côte, voire du récif.
La corrélation terre-mer est une des solutions pour la reconquête de la qualité de nos espaces maritimes car la pollution d'origine tellurique est forte.
La trilogie ravine/mangrove/récif est un écosystème sur lequel les scientifiques nous disent que si nous ne traitons pas à la fois les trois aspects, nous n'avancerons pas vers la solution.
L'idée d'expérimenter des restaurations de qualité de milieu n'est pas à rejeter sans examen. Pourquoi pas un récif artificiel si on peut le combiner avec de l'éolien en mer ? C'est ce que nous avons demandé à tous ceux qui souhaitent installer des fermes éoliennes maritimes en Normandie. Nous leur disons que puisqu'ils confisquent des espaces pour la pêche, ils auraient intérêt à ce que leurs pieds de mats soient de futurs récifs ou de futures nurseries pour les mollusques ou les poissons.
Avec le savoir local, les connaissances scientifiques des universités, avec la volonté politique des collectivités et le support de nos établissements publics, on peut améliorer le dispositif en menant des expérimentations, des restaurations de milieu. On peut être bon sur la protection des tortues, la réintroduction du lamantin, et donner une image de la France très positive.
Sur ce point, il faut insister sur le rôle que pourra jouer l'Agence française pour la biodiversité (AFB). Indépendamment de son accompagnement financier, elle pourra mettre en place une force de frappe, favoriser la mutualisation entre différents organismes. La mutualisation profitera aux secteurs les plus délaissés ou orphelins que sont notamment les secteurs marins dont les crédits et les moyens humains ne sont pas à la hauteur des besoins. On dit que 80 % de la biodiversité française se trouve en outre-mer. Je ne suis pas sûr qu'en termes de moyens humains et financiers cet équilibre soit forcément respecté. La mutualisation qui accompagnera l'AFB, le simple fait que ce soit un seul outil, permettra des arbitrages, des reconfigurations, au profit des enjeux les plus importants que sont les zones littorales et terrestres ultramarines.
À travers cette agence, on crée un lien fort entre l'eau et la biodiversité et pour la protection des coraux. Que ce soit à La Réunion, à Mayotte ou ailleurs, la destruction des coraux provient en grande partie de la pollution des rivières et des ravines. L'AFB sera un outil très performant de ce point de vue-là.
Je voudrais donner mon sentiment sur cette question. Je suis de formation scientifique dans le domaine des sciences de la vie et de la terre et un grand militant au niveau du territoire dont je suis issu. Je suis également à l'origine de la protection environnementale dans ma collectivité, de la création de la réserve marine, de l'agence territoriale de l'environnement. Je suis aussi de ceux qui parfois émettent des avis qui gênent beaucoup, comme lorsque je dis que la nature ne fait pas toujours bien les choses et que l'intelligence de l'homme permet de corriger certaines erreurs de la nature.
Nos parents, nos grands-parents avaient un sens de la gestion de la pérennité de leur territoire qui peut surprendre aujourd'hui. Sur une île pauvre où il y avait peu de choses à faire, nos parents passaient leur temps à construire des murets qui empêchaient l'érosion, obligeaient l'eau à s'infiltrer, permettant ainsi aux plantes de se nourrir, de favoriser l'humidité, maintenant ainsi un climat sur une île qui avait la réputation d'être particulièrement aride.
Au-delà de cet aspect, sur la problématique du trait de côte. La première vérité est qu'il y a un grand nombre de causes différentes que l'on peut classer entre les causes locales et les causes mondiales. Il y a une réalité : le développement de nos îles, l'aménagement du territoire ont accéléré l'érosion, ont diminué le rôle des zones tampons qui arrêtaient le transport des sédiments entre la terre et la mer. Dès lors que les sédiments d'origine terrestre arrivent dans le milieu marin, ils modifient la constitution de ce milieu, transforment nos plages en herbiers, les herbiers en vasières et détruisent les coraux. Or, les coraux sont à la base de la biodiversité dans le milieu marin. C'est là que naissent la majeure partie des espèces qui sont sur le plateau continental. C'est aussi un atout majeur de l'économie touristique qui est en péril.
Aujourd'hui, dans la problématique des plages, la mangrove joue son rôle tampon pour ce qui vient de la terre. Pour ce qui vient de la mer, le corail est l'élément qui contribue à ralentir l'énergie marine et l'érosion des plages.
Aujourd'hui, on sait agir sur le corail. Même si c'est encore au stade expérimental, dans des îles au sud de l'arc antillais on plante des champs de coraux par bouturage. Ceux-ci poussent de 2,5 centimètres par mois. Toutefois, comme le corail est sensible à son environnement, il faut être attentif aux conditions de sa réintroduction.
De la même manière, sur la problématique des plages, autrefois les ingénieurs disaient qu'il fallait affronter la mer. Aujourd'hui, tous les scientifiques sont unanimes, on ne cherche plus à affronter la mer. On comprend comment elle fonctionne et on va dans son sens, en atténuant ses effets sans vouloir les empêcher.
Les États-Unis, qui ne sont pourtant pas une référence en matière d'environnement, évaluent les plages comme un bien économique. Une plage a une valeur par le tourisme qu'elle amène, joue un rôle dans l'économie, et cette valeur justifie que les collectivités ou l'État investissent des fonds annuels pour sa gestion.
L'idée consiste à dire que ce que la mer défait lors d'un cyclone, il faut le reconstruire immédiatement. Nous le faisons chez nous depuis 1995, mais ce sont des opérations qui coûtent particulièrement cher et qui sont sensibles d'un point vue biologique car il faut reconstruire une plage avec un sable identique. Bien stabilisé, le sable ne repart pas.
On sait transformer les plages, on sait installer des plantations. Sur une de nos plages détruite par un cyclone, j'ai confié ce travail à une collègue américaine. Le résultat a été spectaculaire.
Enfin, l'Union européenne a pris en considération ces réalités. Le programme des régions ultramarines périphériques (RUP) pour 2014-2020, celui des pays et territoires d'outre-mer (PTOM), vont dans le sens de ces sensibilités aux modifications climatiques, aux énergies renouvelables. Il y a un important travail de coopération régionale à mettre en place entre nous. Et si nous associons en plus les pays ACP qui disposent de moyens nettement supérieurs aux nôtres, nous pourrons faire de grandes réalisations. Je suis content que cette idée ait été reprise dans le Programme Opérationnel (PO) de la Guadeloupe, de Saint-Martin et des RUP. Je me félicite qu'à l'issue des réunions que nous venons de tenir au niveau de la coopération régionale, ce soit le thème de la biodiversité, de la lutte contre le changement climatique et des énergies renouvelables qui ait été reconnu prioritaire jusqu'en 2020. Compte tenu de l'étendue géographique, les choses sont plus complexes dans le Pacifique. Il y a une sensibilité de l'Europe et je ne doute pas que l'État mettra la main à la poche.
Monsieur le directeur général, madame et messieurs, il me reste, en mon nom et en celui de mes collègues, à vous remercier pour vos interventions.