Nous accueillons M. Jean-Bernard Auby, professeur à Sciences-Po, directeur de la chaire mutations de l'action publique et du droit public (MADP), ainsi que Mme Estelle Bomberger-Rivot, maître de conférences, chercheur à cette même chaire, qui pilotent un projet de recherche intitulé La nouvelle donne territoriale : comment les niveaux de collectivités s'articulent ils pour une meilleure efficacité ?, auquel sont notamment associées plusieurs associations d'élus locaux. Notre délégation pourrait s'associer d'une façon ou d'une autre à cette démarche, et en tirer profit dans ses propres travaux, par des échanges d'informations et de points de vue, dont l'audition d'aujourd'hui peut constituer une première étape, mais aussi par une présentation des résultats de la recherche dans un colloque organisé au Sénat.
Le thème de votre recherche, Monsieur le professeur, est en effet central pour les années à venir. La loi NOTRe a opéré des déplacements d'équilibre qui touchent les relations entre les communes et leurs groupements, ainsi que le poids relatif des régions et des départements. Cela a suscité des interpellations, des états d'âmes, chez ceux d'entre nous qui sont encore - pas pour très longtemps ! - présidents d'exécutifs locaux. Ces évolutions sont, au surplus, compliquées par la montée en puissance du fait métropolitain, qui s'est définitivement imposé. Une nouvelle architecture territoriale, encore floue, résultera de ces glissements ; c'est pourquoi un regard universitaire nous est très utile. Le fonctionnement concret des outils créés par la loi devra être inventé, je pense en particulier au schéma régional de développement économique, d'innovation et d'internationalisation (SRDEII) et au schéma régional d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (Sraddet).
C'est un grand plaisir et un grand honneur que vous nous faites en vous intéressant à nos travaux. La chaire que je dirige est une petite unité, créée il y a un peu plus de dix ans pour réfléchir aux mutations du droit public et de l'action publique. L'un de ses champs de recherche est l'évolution du système territorial. Nous avons passé un contrat avec Electrosteel pour une étude sur les smart cities, les villes intelligentes, et tous les ans nous organisons un colloque, le Rendez-vous du local à Sciences-po - le prochain aura lieu le 29 juin -, qui est l'occasion de faire un point avec des élus ou des fonctionnaires territoriaux sur l'état de la réforme territoriale.
L'étude que je vous présente aujourd'hui s'est greffée à tout cela. Soutenue par un aréopage impressionnant d'associations d'élus, elle a démarré en automne dernier par une phase de recueil d'informations. Cette rencontre avec vous est précieuse : elle nous permettra de tester sur vous certaines hypothèses.
Les récentes réformes - loi MAPTAM et loi NOTRe - ont transformé les données plus qu'on ne pouvait le croire, créant pour l'action publique locale un contexte nouveau, assez complexe. Elles procurent en effet des marges de jeu assez impressionnantes. Le paysage peut être configuré très différemment - pour le meilleur ou pour le pire - d'une collectivité, d'un texte local à un autre. Vous vous êtes probablement dit qu'il fallait permettre aux acteurs locaux de s'adapter de la manière la plus souple possible. Nous nous proposons d'étudier les arrangements, les aménagements, les liens institutionnels ou juridiques nouveaux qui se créent. Il y a toujours eu une marge, mais ces interactions sont plus denses, plus multilatérales que jamais.
Nous nous intéressons aux mécanismes de contractualisation, de mutualisation, de services, de biens ou de personnels, aux mécanismes plutôt inédits de délégations de compétences, à l'organisation des chefs de file, aux transferts de compétences, qui ont été amplifiés, à la concertation, notamment à travers les conférence territoriale de l'action publique (CTAP).
Nous n'ignorons aucun niveau de collectivité, car des choses se jouent entre tous les niveaux. Tout le système est engagé dans ce développement nouveau de mécanismes inter-collectivités. Notre démarche n'est pas théorique : certes, nous partons de ce que dit la loi, mais nous allons chercher les documents, les conventions, les délégations de compétences, les délibérations, que nous faisons remonter grâce aux associations qui nous soutiennent. Cela nous permettra à terme de présenter des statistiques.
Nous avons trois interrogations. La première concerne la distribution des compétences aux différents échelons. Des zones qui auraient pu être qualifiées de zones d'activité économique ne l'ont pas été, car les communes préféraient garder la main dessus. Ces arrangements se sont faits en commission élargie, loin du regard de la presse, du public, ou du préfet ; l'arrangement a pu ainsi l'emporter sur l'esprit de la loi. Le contenu des délibérations ne reflète pas forcément ce qui a été dit dans les commissions élargies, ou lors de rencontres encore plus officieuses ; nous n'avons donc pas accès à tout. Le regard de la préfecture peut compliquer tout cela.
Autre point : le transfert de la compétence transport scolaire, qui avait suscité beaucoup de débats...
L'exercice de cette compétence est très éclaté dans la réalité, entre tous les niveaux de collectivités.
Deuxième question : les articulations juridiques trouvées en matière sociale. Le leadership du département a été préservé, mais comment s'organise-t-il pour exercer son chef-de-filat ?
Troisième question : en matière économique, la région semble dominer, mais qu'en est-il vraiment au vu des délégations et surtout de l'émergence des métropoles ?
Et quelles sont les modalités de l'exercice de sa compétence ? Je pense aux agences issues des anciennes régions et aux nouvelles agences.
Vous auriez pu lier compétence économique et accès à l'emploi, car cette articulation aussi a suscité de nombreux débats.
Nous nous sommes fixé plusieurs domaines de réflexion, dont la notion de « chef de filat ». Absente de la Constitution, née en 2004, elle a été précisée par le Conseil constitutionnel, qui l'a différenciée de la tutelle, pouvoir d'autorisation et de contrôle d'une collectivité sur une autre. Le chef de filat serait donc un pouvoir d'organisation, d'incitation et de dissuasion, dans le sens où une collectivité peut orienter l'action d'une autre collectivité par une modulation de ses aides. Les schémas prescriptifs sont l'autre jambe sur lequel repose le chef de filat de la région ; les départements, qui n'en disposent pas, seraient donc boiteux. Nous présentons donc l'hypothèse de deux chefs de filat différents : celui du département et celui de la région.
Deuxième domaine de réflexion : le choix entre délégation et transfert de compétence des départements vers les métropoles. Sur les 14 métropoles en dehors du Grand Paris...
En effet, mais nous n'avons pris en compte que les 14 métropoles d'origine. Celles-ci se sont toutes vu transférer la compétence jeunesse, 12 d'entre elles ont reçu la compétence logement, les autres choix étant plus dispersés.
Quant à la délégation, elle a été choisie pour permettre un exercice partiel d'une compétence jugée complexe, que la métropole n'était pas prête à exercer totalement, ou pour faciliter un transfert complet décalé dans le temps, dans le souci de préserver les agents.
Troisième domaine : la compétence transport scolaire, qui a été très discutée par les parlementaires. Son transfert a été programmé à une date différente de celle prévue pour le transfert d'une compétence proche, le transport interurbain. Pour qu'ils aient lieu au même moment, les régions ont utilisé la délégation de compétence soit dans un sens, soit dans l'autre : le Grand Est a pris plus tôt le transport scolaire, tandis que la Nouvelle Aquitaine a reporté sa prise en charge du transport interurbain.
Cette recherche a un objectif de fond : savoir sur quoi déboucheront les transformations en cours, comment le système territorial s'adapte aux nouvelles donnes, avec les cartes que le législateur lui donne. Est-on parvenu à une harmonie nouvelle ou plutôt à un désordre moins lisible, car le citoyen ne sait plus qui fait quoi ? Les juristes que nous sommes se demandent si cela doit être réglementé davantage. Cette situation pourrait susciter des contentieux entre collectivités ou entre citoyens et collectivités.
Le professeur nous a invités à participer à son colloque du 29 juin prochain. Je m'y rendrai volontiers, mais certains d'entre vous pourraient venir aussi.
Nous en serions très flattés et nous vous remercions de votre soutien. Nous serons ravis de vous tenir au courant de notre travail et de tenir au Sénat le colloque de fin de recherche en 2018.
Vous avez parlé de marges de manoeuvre nouvelles. La contractualisation était utilisée avant même la loi NOTRe par les départements avec les communes, les communautés de communes. La mutualisation aussi, mais la délégation reste très peu utilisée. Pourquoi ? Doit-on se plaindre de ne pas être parvenus à l'âge adulte de la décentralisation ? Peut-on espérer que cela se fera avec le temps ?
Selon vous, des arrangements permettent de combler des lacunes législatives - mais il faut aussi tenir compte du regard du préfet. Avec Éric Doligé, nous avions plaidé pour confier à ce dernier un pouvoir d'adaptation de la loi. Qu'en pensez-vous ?
On ne peut qu'approuver votre démarche, Monsieur le professeur, surtout si elle est appuyée par les associations de collectivités. Hasard du calendrier, j'ai commencé à lire hier soir la thèse d'Arnaud Duranthon sur le principe de subsidiarité et les collectivités, qui a obtenu le prix de thèse du Sénat. Sa démarche rejoint la vôtre autour du principe de différenciation territoriale, qui domine les dernières réformes. Je vous recommande d'assister au débat de cet après-midi en séance publique sur la gestion de l'eau, qui illustre bien qu'en cas de transfert de compétences, la commune se sent dépossédée. Nous avons raté le coche lors de la révision de la Constitution en 2003, qui dispose que « les collectivités territoriales ont vocation à prendre les décisions pour l'ensemble des compétences qui peuvent le mieux être mises en oeuvre à leur échelon. » C'est trop vague ! S'il y avait une clause autorisant les délégations de compétences à l'échelon communal, nous n'aurions pas à examiner des propositions de loi sans études d'impact...
Vous devriez regardez le bazar que représente la compétence accès à l'emploi. Neuf fois sur dix, les titulaires de la compétence action économique ne font rien ou presque sur cette problématique. C'est assez imparfait. Amusez-vous à faire des papiers calques sur le territoire : rien ne se recoupe entre les plans d'insertion, ce que fait la région, ce que fait l'agence départementale...
Celui qui s'en va est toujours plus sage... C'est mon cas ! Arrêtons avec la disparition des départements. La vraie question, c'est le rapprochement des départements et des caisses d'allocations familiales.
Merci de votre étude sur l'efficacité de ces dispositifs, sur la pertinence de ces bouleversements. À ce titre, la mission de la commission des lois est aussi très utile.
Vous avez employé le terme d'arrangement, dont la connotation me perturbe : on pense tout de suite aux petits arrangements entre amis. Ce pays se caractérise par des territoires différenciés. Sous la contrainte de la géographie ou de partenariats, les collectivités ont dû construire des solutions adaptées ; si c'est ce que vous appelez des arrangements, cela me va bien. Après tout, arranger est synonyme d'améliorer ! Mais sinon, non.
Nous sommes victimes de la pauvreté, de la tristesse, du simplisme d'une pensée qui veut tout régler de façon uniforme. Je crois que la complexité du monde nécessite plutôt de l'agilité.
Je voudrais insister sur les mouvements contradictoires du droit auxquels on assiste. Jusqu'à présent, les réformes étaient progressives. Depuis une trentaine d'années, une succession de réformes a tout bouleversé. Alors que les règles de droit semblaient aller toutes dans le même sens, alors que la doctrine s'accordait sur ces règles de droit, pour la première fois - notamment en matière de compétences - on se heurte à des mouvements contradictoires. D'où les problèmes avec le contrôle de légalité et ces petits arrangements dont il a été question.
On assiste à une sorte de dérégulation. Certes, on peut toujours envisager des expérimentations, mais cela risque de heurter les juristes. Voici un exemple très concret : la mise en place d'intercommunalités de taille XXL bouleverse la répartition des compétences, qui, jusqu'à présent, étaient exercées de manière uniforme sur un territoire. Ainsi, nous avons été obligés de rédiger une proposition de loi visant à créer des pôles territoriaux. Certes, elle a été retirée pour des raisons internes, mais elle ressurgira certainement.
Je pensais que la Direction générale des collectivités locales serait effarouchée par cette proposition visant, au sein d'une intercommunalité, à constituer des pôles dans lesquels il serait possible d'exercer des compétences de manière distincte. Eh bien non ! Cela déstabilisera sans doute le contrôle de légalité et l'évolution du droit. Comment va-t-on pouvoir résoudre ce type de problèmes ?
On observe déjà sur un certain nombre de territoires - métropoles, communautés d'agglomération de taille XXL - une territorialisation de facto, sans qu'il soit besoin d'un texte pour cela. Toute la question est de savoir jusqu'où l'on peut aller sans tomber dans les travers que tu viens d'évoquer.
Au fond, si l'on essaye de retracer cette séquence, il faut se placer non pas au moment des lois de décentralisation, mais dans la période de réflexion antérieure, notamment lors de la préparation d'un projet de loi de délégation présenté par Christian Bonnet, alors ministre de l'Intérieur de Valéry Giscard d'Estaing, qui avait déjà beaucoup anticipé. C'est à ce moment-là qu'est entré dans le champ de l'administration locale le concept de compétence, qui en était absent. Ce concept fait appel à une notion de droit juridictionnel : la compétence. Dans son étymologie latine, c'est l'aire d'autorité d'une juridiction ou d'une instance.
La loi de 1983 a essayé de définir le droit d'exercer une action locale par le terme de « compétence ». Ce processus est toujours en cours et il n'est pas sûr qu'il soit très rectiligne. Que faut-il entendre par « compétence » dans le champ de l'action locale ? C'est au fond la dévolution de prérogatives propres, c'est-à-dire exclusives, à une collectivité ou à une catégorie d'institutions. Or on s'est habitués, du fait de la propension à trouver des arrangements, qui a gagné en importance dans nos assemblées parlementaires et au Gouvernement, à qualifier de « compétences » bien des choses ne répondant pas à cette définition.
L'article L. 1111-9 du Code général des collectivités territoriales mentionne une liste de « compétences relatives à » la mobilité durable, au soutien à l'enseignement supérieur et à la recherche - c'est-à-dire ouvrir un carnet de chèques -, à la politique de la jeunesse. Je serais curieux qu'on m'explique ce que recouvrent ces compétences. Il faudrait à cet égard mener un travail conceptuel - qui aurait aussi des effets pratiques - pour approfondir cette notion aujourd'hui très approximative.
Nous venons de parler de la compétence assainissement à la suite d'un arrêt un peu inattendu du Conseil d'État, selon lequel cette compétence englobe automatiquement la gestion des eaux pluviales. Nous sommes maintenant en train d'essayer de nous débarrasser de cet oursin.
En revanche, il existe des domaines où la notion de compétence est explicite : par exemple la délivrance des autorisations d'urbanisme.
S'agissant de la notion de chef de file telle que je la comprends en droit, elle sous-tend que le législateur postule une action commune de plusieurs niveaux ou de plusieurs types d'institutions. Or, pour moi, l'action commune est toujours facultative. Si un département veut mener une action en matière de politique de la jeunesse et qu'il ne souhaite pas qu'elle soit coordonnée avec celle de la région, en droit, je ne vois pas ce qui peut l'en empêcher. Nulle part il n'est écrit que, si vous voulez mener une action dans l'un des domaines énumérés par la loi, vous devez le faire de manière commune. Au contraire, si vous avez choisi de mener une action commune, alors vous vous placez sous la position de chef de file. L'entrée dans une relation de chef de file à sous-chef ou à subordonné de file est toujours une faculté. Or, ce sujet recelant énormément de considérations protocolaires ou narcissiques, beaucoup de gens se trompent profondément et, par conséquent, se disputent sur ce sujet. S'il y a un domaine où vous pouvez être des sauveurs, ce pourrait être celui-ci.
Vous avez oublié « serre-file », et la notion de voiture-balai va prendre de l'importance dans ce fatras.
Vous avez dressé la liste des compétences. Sur un point, je voudrais exprimer une nuance, mais qui ne fait que conforter votre propos. La compétence mobilité durable - que vous avez citée - recoupe également la compétence transports, qui est une vraie compétence. Cela montre bien qu'on mélange les torchons et les serviettes.
Il faudrait cesser de confondre le but et les moyens. Pendant toutes ces années, on a cherché à trouver le niveau pertinent et efficace pour exercer un pouvoir ou assurer une gestion. En réalité, on a inventé ce système des compétences pour le border. Peut-être devrait-on lâcher un peu de lest sur la question des compétences, qui ne sont que des moyens.
S'agissant de la faible utilisation de la délégation de compétence - qui présente pourtant l'avantage d'être provisoire - je soupçonne que les conséquences de cette délégation ne sont pas clairement identifiées en termes de responsabilités, de moyens, d'où cette inquiétude.
S'agissant de la flexibilité dont font preuve les préfets vis-à-vis des arrangements, on gagnerait à reconnaître aux collectivités une capacité d'auto-organisation plus importante, avec des garde-fous autour de certains principes, sous le contrôle des juges et des citoyens.
Les chambres régionales des comptes s'arrogent des prérogatives en matière d'examen de l'opportunité des décisions.
Les tribunaux administratifs rappellent le droit. On s'évertue un peu trop à prévoir toutes les hypothèses, les contre-hypothèses, etc. C'est la raison pour laquelle on aboutit au mouvement contradictoire que vous avez évoqué.
Cette réponse vous semblera peut-être un peu facile, et vous pouvez trouver un peu inquiétant qu'on se lance dans l'auto-organisation. Toujours est-il que dans les pays voisins du nôtre, par exemple l'Italie et l'Espagne, les collectivités disposent de facultés d'auto-organisation et d'auto-structuration beaucoup plus importantes que chez nous.
S'agissant du principe de différenciation territoriale, j'aurais grand plaisir à voir consacrée cette idée, qui a mis du temps à s'imposer. Le sentiment de dépossession que peuvent éprouver les collectivités, par exemple en matière de gestion de l'eau, est réel. Autre exemple : celui du tourisme, avec la perte de l'office de tourisme, de la taxe de séjour. S'il faut rechercher un remède, je n'en vois qu'un : généraliser davantage les délégations. Dans certains domaines, il est permis de déléguer ce qu'on a transféré ; pourquoi ne pas le permettre en posant à cet effet un principe général d'auto-organisation ? Ce n'est pas possible dans le domaine de l'eau et de l'assainissement, sauf à ce que soit adoptée la proposition de loi que vous examinez cet après-midi.
Que le mot « arrangement » puisse être perturbant, j'en conviens, mais il n'y avait aucune connotation péjorative dans mon esprit. Sans doute faudrait-il plutôt employer les mots « adaptation » ou « agilité ».
En effet, on peut parler de mouvements contradictoires du droit. Mais n'est-ce pas dû au fait qu'on ne progresse qu'à petits pas ? Au risque de vous choquer, je dois dire que ce sont des confettis de l'action locale qu'on traite les uns après les autres : l'eau, le tourisme, etc. Ne vaudrait-il pas mieux définir des mécanismes et des concepts généraux qui permettraient ces allers et retours sans que le législateur doive chaque fois donner son aval ?
J'ignore si nous allons rencontrer sur notre chemin les intercommunalités de taille XXL qui se dessinent, mais il faudrait jeter un oeil sur les arrangements. Je suis particulièrement le cas de la communauté d'agglomération du Pays basque, qui compte 158 communes, et dans laquelle typiquement se pose le problème que vous évoquez, à savoir la création d'une structure interne informelle. À défaut, cela ne pourra pas fonctionner politiquement. Cela consiste à doubler ou à compléter les organes officiels par des organes informels, de manière à permettre, par exemple, une représentation de tous les maires, de compenser le fait que les règles - y compris constitutionnelles - ne permettent pas de donner aux grandes communes la place qui devrait normalement leur revenir dans une telle structure. Faut-il que la loi formalise ces possibilités ? Je ne sais pas. Je préférerais, par une série de clauses générales, donner une plus grande capacité d'auto-organisation aux collectivités et aux intercommunalités.
C'est le principe de libre administration des collectivités territoriales !
Il faut convaincre davantage les juges et les préfets !
Monsieur Richard, avec la question des compétences, vous soulevez un problème difficile et important. Je vous livre quelques idées. Je ne sais pas si nous aurons le temps, l'énergie, les moyens de réfléchir davantage sur cette notion de compétences. L'historique que vous avez dressé était fort pertinent, et je me permettrai de le compléter.
Comme vous l'avez dit, avant les lois de décentralisation, la notion de compétence n'avait pas de sens puisque l'État chapeautait tout. À partir du moment où l'on s'est engagé dans cette voie, la décentralisation, on a mis en avant la notion de compétences avant de se préoccuper de leur répartition. On découvre un peu plus tard que le territoire est unique, que les problèmes d'ordre public sont liés, et que chaque fois qu'on essaie de les diviser en tranches verticales, on a le plus grand mal à parvenir à un résultat satisfaisant. D'où l'obligation de s'accommoder avec les actions communes - menées volontairement ou non -les arrangements, la contractualisation. Cela me paraît inéluctable.
Là où je vous rejoins totalement, c'est quand vous parlez d'une mésutilisation de la notion de compétence. J'irai même plus loin que vous : il me semble qu'on l'utilise au moins dans trois acceptions différentes pour désigner des objectifs, des buts - la mobilité durable, par exemple -, des domaines d'activité - la jeunesse et les sports, l'action sociale - et des instruments, des moyens d'action. Pour les juristes, c'est d'ailleurs cette dernière acception qui est la plus exacte - quels actes dans quels domaines ?
Ces trois acceptions se retrouvent alternativement dans la loi, c'est la raison pour laquelle cette notion est parfois difficile à manier. Que faire ? Je ne sais pas du tout.
L'une des difficultés que rencontre notre système territorial, c'est l'absence de hiérarchisation. Depuis qu'il a été structuré comme il l'est aujourd'hui, on a eu tendance, pour protéger la liberté des uns et des autres, à superposer les niveaux sans jamais accepter de les hiérarchiser. Il en va très différemment en Espagne, en Italie, en Allemagne, en Belgique, où le niveau intermédiaire - région, communauté autonome, Land, etc. - dispose de pouvoirs très importants sur l'échelon inférieur. Je ne plaide pas en faveur d'une hiérarchisation militaire, mais nous conservons une organisation qui consiste à superposer des niveaux sans les hiérarchiser. C'est un choix d'ordre politique, qui oblige ensuite à trouver des ajustements pas toujours très satisfaisants et qui parfois sont très compliqués à mettre en oeuvre.
S'il est fait peu recours à la délégation de compétence, c'est peut-être parce qu'il est compliqué d'imaginer les raisons qui pourraient pousser une collectivité à se dessaisir de l'exercice d'une compétence et d'un pouvoir de décision. C'est peut-être la notion-même de délégation de compétence qu'il faut interroger. N'est-ce pas finalement qu'un moment de transition vers un transfert plus réel ?
Concernant les arrangements locaux, ou plutôt les adaptations locales, finalement, les préfets offrent une certaine marge de manoeuvre aux collectivités territoriales à partir du moment où elles s'organisent entre elles. En définitive, il n'est pas forcément nécessaire de faire bouger les lignes puisque les préfets, lorsque tout se passe bien, laissent les élus s'organiser, ce qui est positif.
Concernant la différenciation territoriale et le principe de subsidiarité, le droit à l'expérimentation locale est-il aujourd'hui satisfaisant ? Ne faudrait-il pas modifier ce principe ainsi que celui de l'extension de l'expérimentation réussie ?
Concernant le mot « compétence », on pourrait plutôt parler de « mission », au sens de la loi organique relative aux lois de finances. Ce terme serait peut-être plus adapté.
Merci à vous, Monsieur Aubry et Madame Bomberger-Rivot. Cet échange fructueux augure du travail en commun que nous pourrons engager prochainement.
chers collègues, je vous rappelle que nous nous réunissons le 29 mars prochain pour la présentation du rapport que Luc Carvounas et moi-même avons rédigé sur le rôle des collectivités territoriales en matière de prévention de la radicalisation, travail complémentaire à celui rendu hier par nos collègues Esther Benbassa et Catherine Troendlé, et qui a rencontré un certain écho.
Vous savez par ailleurs que nous avons envisagé à la fin de 2016 de lancer un nouveau travail de fond dans le cadre de notre mission de simplification normative.
Nous avons évoqué plusieurs pistes en délégation le 3 octobre dernier, sans faire un choix définitif. Rémy Pointereau et moi avons eu entre-temps des échanges à ce sujet avec le président Larcher.
Le thème de la revitalisation des centres-bourgs et des centres-villes est apparu, à lui et à nous, très emblématique de ce que le Sénat peut faire concrètement en direction des élus et des territoires.
À ce sujet, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées auditionnait hier des chercheurs spécialistes de la Russie. L'un d'entre eux évoquait la concentration de la richesse dans les dix villes du pays comptant plus de 1 million d'habitants, avant d'aborder la situation des villes moyennes de 500 000 habitants. En effet, tout est relatif...
Nous ne souhaitons pas, cependant, nous engager dans ce travail sans vérifier ce que seraient les parts respectives de la simplification normative, qui entre dans notre mission, et des préconisations d'aménagement du territoire, qui ne peuvent pas être ignorées sur un tel sujet, mais qui s'écartent de la simplification à proprement parler. Nous allons donc faire une étude de faisabilité. Rémy Pointereau, en sa qualité de premier vice-président de la délégation aux collectivités territoriales, délégué à la simplification, prendra cette étude en charge.
Il se trouve que la politique des centres-villes et centres-bourgs a fait l'objet de travaux récents, soit de la part d'inspections générales, soit au sein du commissariat général à l'égalité des territoires. L'étude préparatoire pourra s'appuyer sur l'audition des auteurs de ces rapports et des responsables de ces expérimentations.
Par ailleurs, le volet simplification de la thématique des centres-villes et des centres-bourgs intéresse tout autant les entreprises que les collectivités territoriales. C'est pourquoi nous sommes convenus avec Élisabeth Lamure, présidente de la délégation aux entreprises, de la lancer ensemble, à commencer par l'évaluation préalable de sa faisabilité. La délégation aux entreprises va donc désigner l'un de ses membres pour accompagner Rémy Pointereau dans cette investigation préalable au lancement de l'opération de simplification, sur laquelle notre délégation se prononcera au vu du rapport de faisabilité qui lui sera présenté.
Je tenais à consulter la délégation sur ce processus.
Si la faisabilité de la revitalisation est confirmée d'ici à cet été, les travaux de fond pourront être lancés après le renouvellement du Sénat, dans des conditions inspirées des méthodes adoptées par le groupe de travail sur le droit de l'urbanisme, et après consultation avec les commissions permanentes concernées.
Le président du Sénat souhaite effectivement que nous nous saisissions de ce sujet des centres-villes et des centres-bourgs qui sont confrontés à un véritable problème de dévitalisation, voire de désertification. Il faut trouver les moyens d'en renforcer l'animation commerciale. Je propose que nous procédions à quelques auditions au cours des deux prochains mois, en lien avec Élisabeth Lamure.
Cette démarche présente déjà l'avantage de mettre les choses au net. Les fameuses intercommunalités exercent-elles la compétence commerce ? Le discours ambiant consiste à dire que c'est un sujet trop local. Sauf lorsqu'il s'agit d'autoriser l'implantation de commerces ! Je suis actuellement de près la situation d'une commune du Pas-de-Calais, où les commerces ferment les uns après les autres, mais en périphérie de laquelle on a laissé s'installer Aldi, Lidl, etc.
C'est le vrai sujet. J'ai longtemps été président d'une communauté d'agglomération, et je puis vous dire qu'on était constamment déchiré entre l'envie - partagée par tous - de mettre de l'ordre, et la pression des maires, qui ont en ligne de mire leurs recettes fiscales propres. C'est un débat permanent.
Nous pourrions envisager une mission en relation avec cette thématique dans un pays voisin.
Alain Lambert m'a transmis une lettre par laquelle il saisit la délégation d'une question récemment examinée par le Conseil national d'évaluation des normes (CNEN) et qui pourrait donner lieu à l'élaboration d'une proposition de loi.
En substance, deux obligations de relevé des consommations d'eau incombent actuellement aux agences de l'eau : l'une à l'occasion de la déclaration des relevés avant le 31 mars de l'année, l'autre à l'occasion de la publication d'un rapport public annuel sur le service public de l'eau, avant le 30 septembre. Des coûts supplémentaires à la charge des collectivités territoriales résultent de la nécessité de réitérer les relevés.
Alain Lambert indique que ces deux obligations sont d'origine législative - René Vandierendonck, quant à lui, n'en est pas convaincu. Il s'agirait de les fondre en une seule.
Je vous propose de missionner deux membres de la délégation pour rédiger un rapport à ce sujet et, éventuellement, rédiger une proposition de loi.
Je propose de désigner Bernard Delcros et René Vandierendonck.