Tout juste renouvelée, notre commission s'attèle déjà à sa tâche. L'actualité parlementaire est en effet particulièrement dense dans son champ de compétences. Dès la semaine prochaine, elle examinera le projet de loi de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030, qui devrait être débattu en séance publique à partir du mercredi 28 octobre. Aussi, nous accueillons cet après-midi Mme Frédérique Vidal, ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation, afin qu'elle puisse nous présenter son projet de loi et échanger avec nous sur son contenu. Je vous rappelle que l'audition est filmée et diffusée en direct sur le site du Sénat.
Madame la ministre, au nom de mes collègues, je vous souhaite la bienvenue au sein de notre commission renouvelée. Sachez qu'elle aura à coeur de suivre attentivement les secteurs dont vous avez la charge. Le texte que vous portez était très attendu par la communauté scientifique et universitaire. La recherche joue un rôle fondamental dans le progrès de nos connaissances, dans la croissance de notre économie, dans le développement de notre industrie et de l'emploi, dans la préservation de notre environnement et de notre santé - la crise sanitaire nous l'a brutalement rappelé. Or elle fait face à des défis qui tardent à être relevés : niveau de financement trop faible, chercheurs insuffisamment rémunérés et valorisés, organisation administrative trop complexe, parole scientifique de plus en plus contestée...
Madame la ministre, comment comptez-vous répondre à ces défis ? Après votre exposé liminaire, je donnerai la parole à notre rapporteur Laure Darcos qui, depuis plusieurs semaines, et avec plusieurs de nos collègues, mène un important travail d'auditions et d'analyse, ainsi qu'à nos collègues Jean-François Rapin et Jean-Pierre Moga, respectivement rapporteurs pour avis de la commission des finances et de la commission des affaires économiques pour ce projet de loi.
J'inviterai ensuite un représentant de chaque groupe à prendre la parole avant de terminer cette audition en laissant l'ensemble des collègues qui le souhaiteraient s'exprimer sur ce texte. Compte tenu des contraintes horaires, j'invite chacun des orateurs à faire preuve de concision.
J'adresse tout d'abord mes félicitations républicaines à ceux qui parmi vous ont été élus lors du scrutin du mois de septembre dernier. Je vous adresse en particulier mes plus chaleureuses félicitations, monsieur le président, pour votre élection à la tête de la commission de la culture. Je tiens également à rendre hommage au travail réalisé depuis 2014 par votre prédécesseur, Mme Morin-Desailly.
La période est exceptionnelle et je tiens à vous assurer de ma pleine et entière coopération pour répondre aux grands défis qui nous attendent. Qu'il s'agisse de l'avenir de l'enseignement supérieur, de l'accompagnement des étudiants, des perspectives de notre recherche, la crise que nous traversons appelle une mobilisation de tous, un dialogue nourri et régulier entre le Gouvernement et le Parlement, et des actions concertées. Je serai toujours au rendez-vous de ces impératifs et je sais pouvoir trouver en vous des interlocuteurs ouverts et de puissants relais, particulièrement s'agissant de notre recherche.
En vous présentant le projet de loi de programmation de la recherche, je partagerai avec vous deux constats : il n'y a pas de grande nation sans une recherche d'excellence à la hauteur des défis globaux de notre temps, dont la pandémie de covid-19 a révélé l'immense complexité ; il n'y a pas de pays prospère sans une recherche de pointe, capable d'aller sur le front des connaissances chercher les innovations de rupture qui feront le lit de la croissance de nos entreprises ; il n'y a pas de pays libre sans une maîtrise des technologies stratégiques qui façonneront l'avenir comme l'intelligence artificielle, la physique quantique, la biologie moléculaire. Cela suppose une attention spécifique au domaine des humanités, qui participe de plus en plus à ces avancées, et un éclairage des usages que nous en ferons.
Nous avons parfois perdu de vue le caractère vital de la science. Bien sûr, la France est fière de sa recherche, fière d'avoir abrité des générations de prix Nobel, d'avoir fait éclore de grandes théories, de grandes découvertes. À cet égard, je tiens à rendre hommage au professeur Emmanuelle Charpentier, récompensée ce matin même du prix Nobel de chimie.
La science est une part de notre identité, mais nous avons fini par oublier que cet héritage est aussi une réserve d'espoir et de solutions pour l'avenir. Deux événements majeurs sont récemment venus nous le rappeler. Lorsque les flammes ont attaqué la cathédrale Notre-Dame, l'an dernier, nous étions profondément émus, mais pas désarmés parce que nous avions accumulé suffisamment de connaissances en histoire, en histoire de l'art, en archéologie, en physique, en chimie des matériaux pour lancer dès le lendemain un immense chantier de restauration. Un passionnant rapport de l'Opecst (Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques) paru en juin 2019 soulignait l'immense complexité de la restauration, mais aussi la richesse des connaissances, des compétences, des moyens techniques dont nous disposions pour y faire face. De la même manière, lorsque la crise sanitaire a éclaté, si nous avons pu très rapidement disposer d'un test diagnostic, séquencer le virus du premier patient français, modéliser la dynamique de l'épidémie et lancer des essais cliniques, c'est parce que la recherche se tenait prête ; c'est parce qu'il y a sept ans le consortium REACTing a été créé pour organiser notre réponse à l'émergence de nouveaux pathogènes ; c'est parce que depuis plusieurs années des équipes inventorient les virus existants, des scientifiques se passionnent pour le monde de l'infiniment petit... Cette réactivité, cette clairvoyance, nous les devons à des siècles de sciences et d'esprit critique.
Laisser le socle de nos connaissances se déliter, priver la recherche des moyens de construire aujourd'hui les connaissances dont nous aurons besoin demain, c'est nous condamner à être impuissants face aux défis que nous identifions et tétanisés par ceux que nous n'imaginons pas encore. C'est le destin que nous nous préparons si nous ne réinvestissons pas massivement dans notre recherche. De la baisse du nombre d'inscriptions en doctorat à la stagnation des rémunérations des personnels, en passant par l'âge moyen d'entrée dans les carrières, tous les voyants sont au rouge et conduisent à un même constat : la recherche française décroche. Cet affaiblissement découle d'un sous-investissement chronique, à rebours de l'ambition affichée dans la stratégie de Lisbonne. Nous courons après une décennie perdue. Le programme 172, celui des opérateurs de recherche, a stagné entre 2007 et 2017. Le défaut d'investissement dans notre recherche a rogné la marge de manoeuvre des organismes. Le même constat pourrait être dressé s'agissant des universités et des écoles. Loin des 3 % que nous nous étions engagés à atteindre en 2010, nous consacrons aujourd'hui 2,2 % de notre PIB à la recherche, quand l'Allemagne ou le Japon ont dépassé les 3 %, voire 4 % pour la Corée du Sud.
Derrière cette cible manquée, il y a non seulement un risque de déclassement international, mais également un quotidien qui n'a cessé de se dégrader dans nos laboratoires. Être chercheur en 2020, c'est courir après les financements, se faire rattraper par les tâches administratives envahissantes, composer avec le manque de personnel d'appui, affronter de nouveaux concurrents internationaux parfois bien mieux armés. C'est aussi, malgré tout, faire preuve d'un engagement sans faille, dont la lutte contre la covid-19 a permis de mesurer l'ampleur, ainsi que l'ont montré les conclusions du groupe de travail consacré à la « Recherche » créé au sein de votre commission au printemps dernier, dont je tiens à saluer l'engagement des membres, Mme Darcos, M. Ouzoulias, M. Piednoir et Mme de La Provôté. Ce rapport produit en juin dernier a été particulièrement précieux pour alimenter les réflexions de mon ministère sur les impératifs à la fois de court et de long terme.
Ces derniers mois, notre recherche a prouvé combien nous pouvions compter sur elle, et il est grand temps que la Nation lui rende la pareille. C'est tout l'objet du projet de loi que j'ai l'honneur de vous présenter aujourd'hui. Sa première ambition est de servir la communauté scientifique, de lui rendre, selon le cap fixé par le Premier ministre en février 2019, le temps, la visibilité et les moyens dont elle a besoin pour accomplir sa mission. C'est pourquoi ce texte a été écrit au plus près des femmes et des hommes qui font vivre la science au quotidien. Il est le fruit de la vaste concertation que j'ai conduite pendant plus de 18 mois, des centaines de visites que j'ai effectuées dans les laboratoires depuis trois ans, de trois groupes de travail et d'une consultation par internet. Nous avons ainsi pu mesurer la passion des communautés de recherche pour leur métier, mais aussi la frustration voire la colère générées par des décennies de promesses sans lendemain, de stratégies sans effet sur un quotidien de plus en plus difficile.
Nous devons à la recherche française une loi de programmation ambitieuse et réaliste qui restaure la confiance entre la Nation et ses chercheurs. C'est dans cet esprit que nous avons travaillé à l'Assemblée nationale en première lecture pour enrichir le texte de garanties et de précisions concernant notamment les mesures relatives aux ressources humaines, et je suis convaincue que des enrichissements complémentaires seront débattus et votés au Sénat.
Ce pacte de confiance repose sur une trajectoire d'investissements de 25 milliards d'euros sur les dix prochaines années, qui construira palier par palier une augmentation de 20 % des moyens de la recherche et sanctuarisera son budget à hauteur de 20 milliards d'euros en 2030. Ce budget cible est un socle de base qui ne dit pas tout des moyens dont disposera la recherche durant les prochaines années. Ainsi, le plan de relance investit 6,5 milliards d'euros dans l'enseignement supérieur, la recherche et l'innovation sur les trois prochaines années, en plus de la loi de programmation. Si France Relance et la programmation s'inscrivent dans des temporalités différentes et portent des philosophies complémentaires, voire synergiques, toutes deux témoignent du même engagement de l'État envers la recherche, d'une même volonté de la réarmer en profondeur pour aborder l'avenir avec sérénité et audace. Il en va de même pour la prochaine génération des contrats de plan État-régions, pour les investissements d'avenir, ainsi que pour la progression des crédits annuels du ministère. Le Plan Étudiants, le soutien à la vie étudiante et les éléments constituant le budget du ministère viendront s'ajouter à la programmation pour la recherche.
Pour tenir ses objectifs, la programmation dont nous allons débattre s'appuie sur quatre axes. Le premier, c'est un réinvestissement massif et inédit dans tous les domaines de la connaissance, soit 25 milliards d'euros supplémentaires investis au cours des dix prochaines années, selon une trajectoire construite avec des marches progressives pour porter la recherche dans le temps long. Les députés ont introduit une clause de revoyure tous les trois ans.
Cette programmation est volontairement construite sans a priori disciplinaire. Elle n'est pas sectorielle. Les défis qui se posent à nous aujourd'hui n'ont que faire des frontières disciplinaires ; ils surgissent au carrefour des connaissances. C'est le cas des maladies émergentes, qui relient les santés humaine, animale aux questions environnementales. C'est le cas du réchauffement climatique, qui convie à la même table la physique de l'atmosphère, le droit international, la sociologie des comportements, les sciences économiques et tant d'autres. Le Gouvernement a donc fait le choix d'une programmation libre et transversale qui garantisse à tous les territoires de la recherche d'être correctement irrigués. L'un des piliers de cette stratégie sera l'Agence nationale de la recherche (ANR), dont le budget sera rehaussé à hauteur d'un milliard d'euros à l'issue de la programmation. Notre objectif est de lui permettre de renouer avec sa vocation universelle que le faible taux de succès à ses appels à projets avait fini par occulter. En relevant le taux de succès à 30 %, les financements de l'Agence s'adresseront à tous les projets, à ceux qui s'emparent des priorités définies par l'État, comme à ceux qui sont mus par une démarche exploratoire, à toutes les équipes et à toutes les disciplines, des sciences exactes comme des sciences humaines et sociales, à tous les territoires, ceux qui comptent de grandes universités pluridisciplinaires comme ceux qui portent des universités thématiques. Nous ferons également en sorte que l'ANR s'adapte aux particularités de chacune des disciplines. L'objectif de ce projet de loi, c'est naturellement de porter l'ANR au rang des meilleures agences de financement de la recherche dans le monde. Notre recherche ne souffre pas d'un excès d'appels à projets, mais d'un défaut de financement généralisé. Il faut faire les deux, et c'est bien l'objet de ce projet de loi.
Le choix d'investir massivement dans l'ANR n'est pas toujours compris de tous ; certains y voient une rupture de l'équilibre entre les financements récurrents et sur projets, ainsi qu'une exaltation de la concurrence au détriment de la collaboration. Ceux-là oublient tout d'abord que, parallèlement, la programmation prévoit d'augmenter le budget récurrent des laboratoires de 10 % dès l'an prochain, pour atteindre plus 25 % en 2023. Surtout, le renforcement des moyens de l'Agence répond aux besoins de crédits de base, tout comme il reconnaît l'importance du collectif, mais en empruntant un chemin moins classique, celui du préciput. Le préciput, c'est une enveloppe supplémentaire qui vient s'ajouter aux moyens identifiés pour porter un projet, laquelle revient aux laboratoires et aux établissements de l'équipe lauréate. En atteignant 40 % des financements alloués, ce mécanisme permettra d'irriguer l'ensemble des territoires et des disciplines par 450 millions d'euros de crédits de base supplémentaires par an. Chaque fois qu'une équipe remportera un appel à projets, son succès contribuera à financer les travaux de ses collègues. Ce n'est pas l'image que je me fais de la lutte de tous contre tous, mais bien celle de davantage de solidarité.
J'ai missionné avant l'été un groupe de travail sur la répartition du préciput impliquant organismes et universités de toutes tailles et couvrant toutes les disciplines. Celui-ci a abouti à une solution consensuelle pour la répartition de ces 40 % : 25 % reviendront aux établissements contractants et hébergeurs à un horizon proche de 2023 ; 5 % reviendront directement aux laboratoires à l'horizon 2027 et 10 % aux sites dans le cas où un accord de site a préalablement été établi.
Pour renforcer l'ancrage territorial de la programmation, j'ai installé avant l'été un groupe de travail coprésidé par Renaud Muselier, qui doit permettre de coordonner et de renforcer les actions entre mon ministère et les territoires. Je sais que vous êtes nombreux ici à vous intéresser à ce dialogue et à encourager son développement. C'était d'ailleurs l'objet de l'excellent rapport d'information : Les régions, acteurs d'avenir de la recherche en France du sénateur Jean-François Rapin en 2019. J'ai moi aussi entamé un tour de France des territoires de savoir, au cours duquel j'ai pu observer la formidable émulation des acteurs locaux et la montée en puissance des régions et des collectivités dans le déploiement de la politique de recherche sur le territoire. Le groupe de travail mis en place avec le président Muselier nous permettra de répondre à votre proposition visant au renforcement de la concertation entre les instances de pilotage régionales et nationales pour favoriser les synergies en termes de financement.
Car la force du collectif est au coeur du deuxième axe de ce projet de loi. Réarmer notre recherche, c'est d'abord et avant tout cultiver sa plus grande richesse, à savoir ses talents. Il nous faut à la fois mieux reconnaître tous les personnels au travers d'un protocole d'accord qui garantira que tous les métiers, toutes les catégories, tous les grades en bénéficieront. C'est ainsi 92 millions d'euros supplémentaires par an qui seront consacrés pendant sept ans à la convergence des systèmes indemnitaires pour tirer l'ensemble des rémunérations vers le haut, grâce aux 644 millions d'euros supplémentaires qui y seront consacrés en 2027. C'est une première étape prévue jusqu'en 2027 afin de construire cette convergence des régimes indemnitaires au sein des corps du ministère. L'enjeu est d'avoir un ensemble cohérent recrutant au niveau du doctorat, allant des maîtres de conférence aux chargés de recherche en passant par les ingénieurs de recherche, soit 70 % des fonctionnaires assimilés A+. C'est ce qui nous permettra ensuite de réaliser entre 2028 et 2030 la convergence, à fonction publique comparable.
Si nous voulons garantir l'avenir de ce collectif, il nous faut aussi redonner aux jeunes générations le goût des carrières scientifiques. Pour cela, nous proposons de les rendre plus attractives, plus sûres, et ce dès le doctorat. La programmation prévoit ainsi d'augmenter de 20 % le nombre de contrats doctoraux, de systématiser et de rehausser leurs financements, de créer un contrat post-doctoral public et privé pour sécuriser la transition vers un poste pérenne. Les contrats doctoraux seront revalorisés de 30 % d'ici à 2023. C'est la première fois qu'un Gouvernement s'engage à ce point pour nos doctorants.
L'autre étape clé, c'est bien entendu l'entrée dans la carrière des chercheurs et des enseignants-chercheurs à laquelle la loi donnera un nouvel élan. Dès l'an prochain, les maîtres de conférences et les chargés de recherche ne seront plus rémunérés en dessous de deux SMIC. Ils bénéficieront d'un accompagnement de 10 000 euros en moyenne pour démarrer leurs travaux. Il n'y aura aucun enjambement, aucune inversion de carrière, car des revalorisations spécifiques sont prévues pour les chercheurs et enseignants-chercheurs récemment recrutés dans leur corps.
Parallèlement, de nouvelles voies de recrutement pourront être proposées. Les chaires de professeurs juniors permettront aux établissements qui souhaiteront s'en saisir de jouer à armes égales avec les autres nations scientifiques. Il s'agit de renforcer l'autonomie des universités, en leur donnant un véritable levier de recrutement, selon les meilleurs standards internationaux, de faire vivre des approches originales, interdisciplinaires notamment, qui peinent à exister dans les cadres et les procédures actuelles. Les postes dont il s'agit seront environnés par un abondement spécifique de 200 000 euros de l'ANR, ce qui leur permettra de recruter par exemple des doctorants et de construire ainsi progressivement leur équipe. Ces chaires sont en effet un atout essentiel pour attirer dans notre pays des scientifiques au profil atypique et prometteur, dont le parcours ne rentre pas dans les cases du cursus académique classique. Celui-ci conserve pour autant toute sa pertinence ; il ne sera ni menacé ni concurrencé par la création de ces nouvelles modalités de recrutement, qui viendront en plus. En gage de ce principe, chaque recrutement sur une chaire de professeur junior sera couplé à une promotion de maître de conférences dans le corps des professeurs d'université, comme je m'y suis engagée au mois de juin dernier.
L'emploi statutaire sera conforté par la création de 5 200 postes supplémentaires sur la durée de la programmation, dont 700 cette année. L'effort portera notamment sur les emplois d'ingénieurs et de techniciens, dont l'érosion se fait cruellement sentir dans les laboratoires. Leur savoir-faire est une part essentielle de l'excellence de notre recherche et nous devons le préserver davantage en consolidant l'emploi titulaire, mais aussi en améliorant la condition des contractuels financés sur ressources propres grâce à la création du CDI de mission scientifique. Ce nouvel outil permettra de mettre fin aux situations ubuesques de personnels recrutés spécifiquement pour accompagner un projet de recherche sur la base d'un contrat qui ne leur permet pas de rester jusqu'au terme dudit projet. Le CDI de mission scientifique remet les pendules à l'heure en alignant la durée du contrat sur la durée du projet et, ce faisant, il offre au personnel toutes les garanties du CDI et les droits qui y sont associés, ce qui représente un indéniable progrès social.
En évitant aux équipes de courir sans cesse après les personnels techniques, la création de cet outil participe également du troisième pilier de ce texte : simplifier la vie des laboratoires. Ce projet de loi donne le coup d'envoi à un vaste chantier de simplification : rendre les chercheurs à la recherche. C'est une ambition essentielle dans un quotidien aujourd'hui envahi de formulaires et de dossiers d'évaluation qui grignotent inexorablement le temps dévolu à la science. Les tâches administratives doivent retrouver leur juste place, et c'est tout l'objet, par exemple, de la rationalisation du monde foisonnant des appels à projets, qui seront référencés sous un portail unique de l'ANR et dont les calendriers et les procédures seront harmonisés.
Rendre les chercheurs à la recherche, c'est aussi rééquilibrer les deux missions des enseignants-chercheurs au cours de leur carrière, en leur permettant de se consacrer exclusivement à leurs travaux pendant des périodes dédiées, grâce à l'augmentation des congés pour conversions thématiques, et à l'augmentation des capacités d'accueil de l'Institut universitaire de France et des délégations au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), notamment en sciences humaines et sociales. Rendre les chercheurs à la recherche, c'est également reconnaître toutes les dimensions de celle-ci, notamment l'engagement pour une meilleure articulation de la science et de la société.
Le quatrième pilier de cette programmation est en réalité sa clé de voûte, celle qui donne tout son sens à l'investissement massif demandé à notre Nation pour sa recherche. Si la recherche exige cet effort collectif de 25 milliards d'euros sur dix ans, c'est pour mieux contribuer à la vie économique et culturelle de la cité. La période troublée que nous vivons illustre bien l'importance de cet enjeu. En mettant la recherche en train de se faire en pleine lumière, la crise sanitaire a donné à voir toute l'ambiguïté des relations entre la science et la société. Nos concitoyens attendent à la fois trop et trop peu de la science ; trop de certitudes, alors que la recherche avance à tâtons, cultive le doute méthodique et vit de controverses ; pas assez de repères quand la recherche distingue des faits établis et des vérités scientifiques dans la mêlée des opinions, des préjugés et des fausses informations.
Pour dissiper ce malentendu, il faut que le dialogue entre la science et la société gagne en familiarité et en réciprocité. Plus de familiarité, c'est une recherche qui va au-devant des citoyens dans des lieux innovants pour permettre des échanges entre scientifiques et journalistes, qui se fait plus accessible grâce à l'engagement des chercheurs en faveur de la médiation scientifique. Plus de réciprocité, ce sont des citoyens davantage associés aux orientations et au travail de recherche grâce au développement des sciences participatives. Toutes ces orientations sont inscrites dans la programmation.
Ce projet de loi vise aussi un changement d'échelle dans les relations entre la recherche et le monde socio-économique. Dans la crise économique que nous traversons, il est essentiel d'actionner les bons leviers pour favoriser l'éclosion de start-up, stimuler la compétitivité de nos PME, réindustrialiser notre pays. Or la recherche fait partie de ces atouts qui peuvent faire toute la différence, créer la surprise, l'innovation et bouleverser un marché, à condition d'avoir su créer le chemin entre le monde académique et celui de l'entreprise. Force est de constater qu'aujourd'hui ce chemin est trop peu emprunté, dans un sens comme dans l'autre, parce que trop de barrières culturelles et administratives séparent ces deux mondes. Si nous voulons abattre ces barrières pour créer une relation de confiance solide et pérenne, il faut que les hommes et les idées circulent davantage entre le laboratoire et l'entreprise. C'est pourquoi la programmation prévoit de faciliter les mobilités public-privé en autorisant les chercheurs à consacrer plus de temps à la création de leur start-up ou à la vie d'une entreprise, en ouvrant davantage de perspectives aux doctorants désireux d'effectuer leur thèse dans le privé grâce à l'augmentation du nombre de bourses Cifre (Convention industrielle de formation par la recherche) et à la définition d'un contrat doctoral de droit privé. Par ailleurs, le projet de loi stimule la recherche partenariale en doublant les financements de l'ANR consacrés aux chaires industrielles, aux laboratoires communs, aux instituts Carnot, et en labellisant les sites universitaires qui auront su rendre leur offre de transfert plus simple et plus rapide.
Le projet de loi que j'ai l'honneur de vous présenter est à la fois ambitieux et pragmatique. Il vise à redonner à la science la place centrale qu'elle mérite dans notre société, non à force d'incantations et de voeux pieux, mais grâce à des mesures concrètes, construites à hauteur de paillasse. Je ne doute pas que cet esprit de vérité et de réalisme conduira nos débats, et je vous remercie par avance pour toutes les propositions et réflexions que vous inspirera ce texte majeur pour l'avenir de notre recherche et de notre pays.
Je félicite à mon tour notre prix Nobel de chimie, la Française Emmanuelle Charpentier. Je sais que vous avez à coeur, comme moi, d'accroître la présence de femmes dans le milieu scientifique et ce prix Nobel, je l'espère, va susciter des vocations.
Pendant cette période un peu compliquée de renouvellement du Sénat, nous avons constitué un groupe de travail restreint, composé de Pierre Ouzoulias, Laurent Lafon, Stéphane Piednoir et Sylvie Robert, dont je veux saluer la complémentarité et l'osmose. Nous avons ainsi d'ores et déjà organisé plus d'une vingtaine d'auditions.
Nous ne doutons pas de votre volonté de présenter une loi historique, madame la ministre. Néanmoins, de nombreuses interrogations subsistent en matière budgétaire. La programmation budgétaire est d'une durée jugée « inhabituellement longue » par le Conseil d'État, soit dix ans, alors que la durée habituelle est plutôt comprise entre quatre et sept ans. Par ailleurs, même au bout de dix ans, toutes les projections montrent que nous ne parviendrons vraisemblablement pas à l'objectif de 1 % des dépenses des administrations consacrées à la recherche.
Pourriez-vous notamment préciser le fléchage entre les différents programmes ? Comme j'ai eu l'occasion de vous le dire, le fait d'englober le plan de relance dans le projet de loi de finances est source d'incompréhensions.
Une programmation sur dix ans nous permet de nous aligner sur les objectifs de développement durable des Nations unies, à l'horizon 2030. Nous aurions également pu choisir le futur programme européen Horizon Europe. Il s'agit de garantir le plus longtemps possible des financements massifs, la recherche s'inscrivant dans le temps long.
Dans cette période particulière, nous avions besoin d'un investissement massif au plus tôt. Ainsi, les crédits du plan de relance viendront s'ajouter à ceux de la loi de programmation de la recherche. Dans le budget du ministère figurera la première marche de la loi de programmation et dans celui de France Relance apparaîtront les 6,5 milliards d'euros spécifiquement dédiés aux programmes recherche et enseignement supérieur. Figureront également les 4 milliards d'euros dédiés à la rénovation énergétique des bâtiments de l'État, dont le parc dévolu à l'enseignement supérieur et à la recherche représente 40 %.
La cible des 3 % et de 1 % de la dépense intérieure de recherche et développement des administrations (Dirda) se calcule sur l'ensemble des financements : loi de programmation, programme d'investissements d'avenir (PIA), fonds européens, collectivités, plan de relance. Malgré l'incertitude de l'évolution du PIB, nous sommes sur une trajectoire qui nous permet d'envisager d'approcher 1 % de Dirda. Il faudra atteindre 2 % de dépense intérieure de recherche et développement des entreprises (Dirde) pour parvenir in fine aux 3 % du PIB. Cette répartition public-privé dans le financement de la recherche se retrouve dans tous les grands pays. C'est pourquoi le plan de relance comme la loi de programmation visent à inciter nos entreprises à investir plus dans la R et D.
La création de chaires de professeur junior, prévue à l'article 3 du projet de loi, pose de nombreuses questions. Le public visé n'est pas très clair, de même que ses modalités de financement, dont on peine à comprendre si elles sont incluses ou non dans la programmation budgétaire. De plus, la question de l'accès des femmes fait l'objet d'une divergence d'interprétation entre vous et les chercheuses.
Pourriez-vous mieux préciser la philosophie du dispositif ?
Ces outils ne sont évidemment imposés à personne, mais plusieurs établissements et organismes ont insisté sur leur nécessité. Pour soutenir une discipline rare, par exemple, il faut s'adresser à un vivier international en lui proposant des outils connus, relativement souples. Autre exemple, nous abritons la plus grande école de mathématiques du monde : les jeunes y sont recrutés avant même d'avoir terminé leur doctorat. Si nous voulons les garder dans le monde académique, il faut disposer d'outils spécifiques. Les chaires de professeur junior ont vocation, lorsqu'un établissement l'estime nécessaire, à recruter ces profils particuliers. Je pense également aux cas d'interdisciplinarité.
Enfin, ces chaires de professeur devraient avoir un impact très important sur la carrière des femmes, qui sont confrontées à la question de l'horloge biologique si elles désirent avoir des enfants, après un doctorat, plusieurs postdocs, un premier concours... Se réengager pour passer un deuxième concours nécessite une organisation sans faille. Les femmes maîtres de conférences ou chargées de recherche sont ainsi bien moins nombreuses à présenter le deuxième concours. Le recrutement sur une chaire est une façon pour les femmes d'accéder directement, avec un seul concours, aux postes de professeur des universités ou de directeur de recherche.
Le Gouvernement use une nouvelle fois de la pratique des ordonnances, dénoncée jeudi dernier encore par notre président Gérard Larcher. Deux d'entre elles attirent particulièrement l'attention : la réforme de l'enseignement supérieur privé et la refonte de la politique spatiale, autant de sujets qui devraient logiquement être discutés en séance publique de manière approfondie. Pouvez-vous justifier cette pratique, particulièrement dans ces deux cas ?
Il existe actuellement trois formes de reconnaissance : la reconnaissance de l'enseignement libre, celle de l'enseignement privé technique et celle de l'enseignement à distance. Ce ne sont ni les mêmes règles qui s'appliquent, ni les mêmes outils utilisés pour l'évaluation des diplômes. À la limite, n'importe quel local pouvant accueillir du public peut revendiquer le qualificatif d'établissement d'enseignement supérieur. Il nous paraît nécessaire d'unifier les règles. Nous y travaillons avec la Conférence des grandes écoles (CGE) et la Conférence des directeurs des écoles françaises d'ingénieurs (Cdefi). Il s'agit de définir des critères simples et clairs permettant un contrôle normal sur des établissements délivrant des diplômes. Il y va aussi de l'information des jeunes et de leurs familles, qui se perdent parfois entre les diplômes visés par l'État, les diplômes conférant un grade, les diplômes nationaux et les diplômes d'établissement.
L'ordonnance sur l'espace a été rendue nécessaire par le rôle prépondérant que le ministère des armées va jouer dans ce domaine. Comment mieux nous protéger d'attaques provenant de l'espace ? Ce sera l'objet de cette ordonnance.
Jean-François Rapin, que vous avez cité tout à l'heure, madame la ministre, a dû s'absenter pour participer à une autre réunion, non sans me charger de vous poser une question : les programmes de recherche devraient bénéficier, dans le cadre du PIA 4 et du plan France Relance, de 4,6 milliards d'euros supplémentaires à l'horizon 2023. Quel sera le montant total des crédits nouveaux en 2021 ? Et quels programmes en bénéficieront ?
Jean-François Rapin s'interroge en outre sur l'articulation entre le plan de relance national et le plan européen. Les données qui nous sont transmises à ce sujet demeurant parcellaires, il souhaiterait notamment savoir quelle proportion des crédits du plan de relance destinés à la recherche proviendra de fonds européens. Les montants annoncés sont-ils susceptibles de varier ?
Vous remercierez le sénateur Rapin pour ces questions, et je vous remercie de vous en être fait le relais.
Le plan de relance devra être exécuté, en autorisations d'engagement et, idéalement, en crédits de paiement, le plus rapidement possible, c'est-à-dire sur les trois prochaines années. Tout ce qui peut être qualifié d'investissement, hors PIA, sera pris sur la part européenne du plan de relance, puisque l'Europe considère que la recherche est de l'investissement, ce qui est plutôt une bonne nouvelle ; l'autre part de ce financement relèvera de la dépense budgétaire, par exemple l'accompagnement des filières paramédicales ou le ticket-restaurant universitaire à un euro.
Le Sénat aime les solutions de bon sens. L'ambition de ce projet de loi est de redonner des moyens à la recherche ; je la partage - en la matière, il y a urgence. Je ne doute pas de votre volonté d'aider la recherche française à retrouver ses lettres de noblesse.
Mais comment expliquer que les organismes de recherche français disposent de réserves de trésorerie importantes qu'ils ne peuvent dépenser ? On parle de plusieurs dizaines de millions d'euros par opérateur : c'est colossal ! Une norme comptable les oblige à conserver une trésorerie telle qu'elle leur permette de pourvoir au cas où tous les collaborateurs liquideraient leur compte épargne-temps (CET) et leurs congés payés au même moment ... Ces fonds sont autant d'argent qu'on ne dépense pas à faire de la recherche. Pouvons-nous faire sauter ce verrou prudentiel disproportionné pesant sur les trésoreries des opérateurs ?
Par ailleurs, nous avons du mal à comprendre pourquoi vous voulez procéder par ordonnance pour modifier une loi relative aux opérations spatiales datant de 2008. Je pense, comme de nombreux collègues, qu'une telle modification mériterait que l'on y consacre du temps, au lieu d'en passer par une disposition quelque peu cavalière. Personne dans cette salle n'est favorable aux ordonnances, du moins sur ce sujet.
Concernant la première question que vous évoquez, je suis tellement d'accord avec vous que, dans ma précédente vie de présidente d'université, il s'agissait de la seule réserve que je refusais de lever devant les commissaires aux comptes. Je ne vois pas comment on peut envisager que la totalité des fonctionnaires travaillant dans un établissement démissionnent soudain et exigent en même temps le paiement de leurs congés payés.
« Ce sont les règles de la comptabilité publique », m'a-t-on toujours répondu, et il existe déjà beaucoup d'exceptions liées à la recherche. Les normes de la comptabilité publique - je pense également à celles qui concernent les fonds de roulement - s'appliquent à tous les opérateurs publics ; elles sont parfois - c'est vrai - assez difficiles à justifier dans un contexte de recherche qui exige agilité et souplesse.
J'ai demandé à la direction des affaires juridiques d'expertiser cette question ; j'espère que cette expertise ira en faveur de la souplesse.
Devant un texte assez technique comme celui-là, il est toujours difficile de faire la part des choses.
Je m'étonne de la durée retenue par votre projet de loi : dix ans. Je ne suis pas convaincue par votre réponse, madame la ministre : là où il s'agit d'atteindre l'objectif fixé, une durée de cinq ou de sept ans aurait été beaucoup plus efficace.
Un regret, aussi : l'absence de continuum avec l'enseignement supérieur, dont il n'est fait aucune mention. Je le déplore : l'enseignement se nourrit de la recherche, et réciproquement.
L'augmentation des crédits dévolus à la recherche sur projet est très clairement détaillée dans le texte ; en revanche, je n'y ai pas trouvé d'engagement global et chiffré concernant le financement des laboratoires. Pouvez-vous repréciser ces chiffres ?
Une loi de programmation pluriannuelle est en principe adossée à une vision stratégique, dynamique et prospective. Vous avez mentionné certains enjeux contemporains, et des priorités sont évoquées dans le rapport annexé, mais ce dernier n'a aucune valeur normative. Quels sont, selon vous, les axes véritablement stratégiques ? Quel lien faites-vous entre ces axes et ceux qui sont fixés par l'Union européenne ?
Notre collègue Mme Charpentier vient de se voir décerner le prix Nobel pour ses recherches sur les ciseaux moléculaires ; le Gouvernement mériterait un tel prix, me semble-t-il, pour ses efforts en matière de ciseaux budgétaires ! Il est question de 25 milliards d'euros ; quand on fait le calcul, on s'aperçoit que l'argent réellement donné à l'enseignement supérieur et à la recherche est sans doute dix fois moindre.
Ma collègue Laure Darcos l'a dit très justement : ce texte acte que la France renonce à l'objectif des 1 %, c'est-à-dire à combler le retard sur ses voisins européens ; ce renoncement m'attriste.
Pour ce qui est des emplois, les nombreux universitaires que nous avons auditionnés nous ont dit qu'ils n'avaient aujourd'hui aucune difficulté à embaucher qui ils voulaient, quelle que soit la durée proposée. Le code de l'éducation contient énormément de dispositions qui permettent d'embaucher hors contrat ; c'est pourquoi, d'ailleurs, l'enseignement supérieur et la recherche est le domaine de la fonction publique où les précaires sont les plus nombreux, soit 50 % des effectifs environ. Pourquoi ajouter de nouveaux outils en ce sens ? Par ailleurs, la science française est extrêmement attractive ; les candidats aux concours du CNRS sont ainsi beaucoup plus nombreux que les postes à pourvoir.
À l'inverse, certains points que nous eussions aimé trouver dans ce texte brillent par leur absence.
Vous l'avez dit, madame la ministre : la science a passé un très mauvais été. Ce discrédit de la parole scientifique pose un problème politique majeur. Nous devons donc restaurer le statut de la science, et il faut absolument, dans ce texte, des dispositions sur l'intégrité scientifique et sur les libertés académiques, ces deux sujets étant intimement liés. L'université en tant qu'institution et en tant que campus - je reprends la formule de Jean Zay - doit être l'asile inviolable de la liberté d'expression, de l'esprit critique et de la raison. Il y va de notre capacité à réparer le lien distendu entre la République et les savants.
Stéphane Piednoir parviendra-t-il à utiliser un plus-que-parfait du subjonctif comme vient de le faire Pierre Ouzoulias ?
Sur l'effort qui doit être fait en faveur de la recherche, nous sommes unanimes. C'est sur les modalités de cet effort qu'il faut que nous discutions.
Vous avez parlé de replacer la science au centre du débat ; je partage ce constat, mais ledit débat ne saurait avoir lieu systématiquement sur les plateaux de télévision. Dans « conseil scientifique », il y a « scientifique », mais il y a aussi « conseil » : ce terme impose, me semble-t-il, une forme de réserve qui n'a pas toujours été de mise pendant la crise que nous traversons.
En matière de féminisation de la science, on s'intéresse beaucoup au recrutement. C'est trop tard : la féminisation doit avoir lieu en amont, au moment où il faut convaincre les jeunes étudiantes de s'orienter vers des formations scientifiques. Dans une discipline comme la mienne, les mathématiques, on trouve seulement 17 % de femmes à l'université ; exiger la parité dans les instances n'aurait aucun sens.
Un mot sur la trajectoire budgétaire. À l'instar de mes collègues, je ne suis pas convaincu par l'argument que vous avez utilisé pour défendre les dix ans ; une période de sept ans aurait été appréciée. J'observe d'ailleurs que, concernant le protocole de revalorisation du régime indemnitaire que vous avez évoqué, 92 millions d'euros pendant sept ans, c'est cette échelle de temps qui semble la plus pertinente. Il serait peut-être opportun d'adopter ce même timing pour la programmation de la recherche, d'autant que ce texte ne crée pas véritablement d'effort les premières années - l'effort est au contraire particulièrement important pour la période de 2027 à 2029. Or il n'aura échappé à personne que ces années n'appartiennent pas au prochain quinquennat...
Le volet relatif à l'enseignement supérieur est en effet le parent pauvre de ce texte. Je suis de ceux qui pensent qu'il y aurait eu matière à revaloriser les doctorats. On superpose certes de nouveaux contrats aux anciens, à rebours de la volonté proclamée de simplification. Peut-on envisager une réelle remise à plat des contrats doctoraux ?
Je reprends mes explications sur l'importance de la durée. Une première marche à 500 millions d'euros, la première année, permet de faire émerger de nouveaux projets dans les laboratoires ; ces projets, évidemment, se poursuivront au-delà de cette première année. L'année suivante, en réinjectant 500 millions d'euros, on permet le lancement de nouveaux projets de recherche, qui auront de nouveau devant eux tout le temps nécessaire pour se déployer..., et ainsi de suite. Autrement dit, en matière de recherche, plus une loi de programmation est longue, plus elle garantit que chaque année de nouveaux crédits permettront de soutenir de nouvelles idées et l'émergence de nouvelles thématiques de recherche. Dix ans, de ce point de vue, c'est préférable à sept ans.
La clause de revoyure garantit d'ailleurs que le chiffrage proposé n'est qu'un socle, et que l'on peut aller au-delà. Comme je ne trouve personne, ni à l'Assemblée nationale ni au Sénat, pour dire que c'est une mauvaise idée d'investir dans la recherche, nous aurions même pu programmer un tel financement pour les cinquante prochaines années ! Il n'est pas difficile de trouver une majorité pour reconnaître l'investissement dans la recherche comme une nécessité au long cours.
Vous regrettez, madame Robert, monsieur Piednoir, ce que vous considérez comme un défaut de continuum avec l'enseignement supérieur. En réalité, c'est la première fois qu'un texte de loi reconnaît les universités comme des opérateurs de recherche. Et il est bien naturel de dire que la connaissance produite permet d'enseigner.
Lorsque nous avons élaboré le plan Étudiants et investi un milliard d'euros pour accueillir la vague d'étudiants qui s'apprêtait à arriver dans les universités, nous avons beaucoup travaillé sur le premier cycle. Le présent texte, lui - c'est sa vocation -, est consacré au troisième cycle et à la recherche, qu'elle se fasse dans une université ou dans un organisme, Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale), CNRS, IRD (Institut de recherche pour le développement), université locale - cela importe peu. Faire des universités de véritables opérateurs de recherche, c'est bien réaffirmer, plus que jamais, ce lien entre enseignement supérieur et recherche : toutes les universités sont des universités de plein exercice, c'est-à-dire - j'y insiste - exercent toutes leurs missions, enseignement, recherche, insertion professionnelle, diffusion de la culture scientifique et technologique.
S'agissant des contrats doctoraux, nous ne créons pas de nouveaux types de contrats ; nous adaptons la loi au réel. Parmi les organismes de recherche, on trouve non seulement des EPST (établissements publics à caractère scientifique et technologique), organismes de droit public, mais aussi, par exemple, le CEA (Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives) ou l'Ifremer (Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer), qui sont des opérateurs de droit privé, des EPIC (établissements privés à caractère industriel et commercial). Ces derniers n'avaient jusqu'à présent rien à leur disposition, dans le code du travail, pour recruter des doctorants contractuels : ils devaient utiliser des CDD rallongés par un volet formation. Nous les autorisons désormais à recruter en recourant à des contrats spécifiquement destinés aux doctorants, ce qui leur simplifie la vie.
En ce qui concerne les financements récurrents, l'ANR doit effectivement apprendre à moduler ses financements en fonction des besoins et des disciplines, avec des financements tantôt moins importants mais plus concentrés, tantôt plus importants mais sur une plus longue durée. Lorsqu'un chercheur veut acheter un spectromètre, il a besoin de crédits tout de suite, et non sur trois ans. A l'inverse, dans les sciences « molles », comme vous l'avez dit, ou inhumaines...
L'important est de disposer de crédits garantis pendant une période plus longue, même si les montants peuvent être ponctuellement moins élevés. Cela explique la transformation de l'ANR. Les financements récurrents augmenteront ainsi de 10 % dès l'année prochaine, et de 25 %, d'ici à 2023, pour les crédits de base qui seront distribués aux laboratoires.
Vous posiez la question de la vision stratégique. Nous souhaitons soutenir la recherche, la création de connaissances. En effet, en matière de recherche, on ne sait jamais à l'avance ce qui va être utile ou inutile. C'est pourquoi cette loi n'est pas sectorielle, mais vise à un réarmement global de la recherche fondamentale, avec pour seule ambition de créer de la connaissance. À l'inverse, avec les programmes d'investissement d'avenir (PIA), on lance des programmes prioritaires de recherche dans le cadre de stratégies nationales. Ainsi, avec le programme « Cultiver et produire autrement », on pose la question des produits phytosanitaires. Les programmes prioritaires de recherche, comme ceux sur l'antibiorésistance, le climat ou le sport de haut niveau par exemple, portent des stratégies, des priorités nationales, qui s'articulent avec les missions au niveau européen. En Europe, on retrouve la même partition dans le financement de la recherche, avec une recherche fondée sur la qualité, au travers du programme ERC (European Research Council), et une recherche organisée par missions, comme celle visant à réduire de 50 % les cancers pédiatriques. On veut articuler les programmes prioritaires financés par le PIA et les missions définies au niveau européen.
M. Ouzoulias considère que cette loi est une loi de renonciation à nos ambitions en matière de recherche. Mais voilà vingt ans que l'on renonce aux ambitions faute d'une loi de programmation ! Certes, cette loi n'est pas parfaite, mais elle a le mérite d'exister. L'idéal évidemment aurait été de procéder ainsi dès que l'on a pris l'engagement de consacrer à la recherche 3 % du PIB dans les années 2000. Mais peu a été fait pour atteindre ces objectifs depuis. Il est donc temps d'agir.
J'en viens au recrutement. J'ai rencontré trop de jeunes chercheurs, dont le poste était financé sur des ressources propres, qui, au terme des trois ans, maîtrisaient parfaitement leur outil et leur environnement de travail, et étaient parfaitement intégrés à leur équipe, mais à qui on refusait un contrat pérenne, car cela supposait de supprimer un poste de titulaire par ailleurs, dans la mesure où ce nouveau contrat devait être budgété sur la masse salariale financée par l'État ; or il n'est possible de financer par son biais que des CDI de droit public ou des postes de titulaires. On passe alors un temps fou à trouver des solutions pour chercher à enchaîner des bouts de contrats, des périodes de quatre mois de chômage, car cela permet de remettre les compteurs à zéro au regard de l'exigence des six années, etc. Bref, chacun bidouille comme il peut et les gens enchaînent les CDD. Cela sera désormais très différent pour les personnes concernées : elles auront un CDI, inscrit comme tel sur leur feuille de paie, ce qui facilitera les démarches pour obtenir un prêt, se loger, etc.
La France est un pays attractif - heureusement ! -, mais il y a des trous dans la raquette et les outils que nous créons, qui n'ont rien d'obligatoires, visent à les combler. Si les gens trouvent que les chaires de professeur junior n'ont aucun intérêt, alors personne ne les utilisera, mais vu le nombre de personnes qui se renseignent sur le dispositif, j'ai le sentiment que cela correspond à un besoin et qu'il est utile. Rien n'oblige d'ailleurs à y recourir.
Je suis totalement d'accord avec vous sur le discrédit de la parole scientifique, l'importance de la liberté académique, de l'intégrité scientifique, de l'esprit critique, avec les droits et les devoirs que cela implique.
Monsieur Piednoir, nous avons besoin de sept ans pour faire converger la politique indemnitaire interne au ministère. Lorsque cette convergence aura été réalisée, alors le ministère aura 70 % de fonctionnaires de catégorie A+, et à ce moment-là, on opérera une convergence en trois ans vers le niveau indemnitaire des catégories A+ du reste de l'État. Il s'agit donc d'un protocole de repyramidage en deux temps, avec une période de sept ans et une autre de trois ans.
Le rôle de la science est de produire de la connaissance. Celle-ci n'est ni bonne ni mauvaise en soi. Les choix relèvent du politique, non du scientifique. La science ne divise pas, ne clive pas, elle met simplement à jour la connaissance.
Un des objectifs de la loi est de diversifier le processus de recrutement des enseignants-chercheurs et des maîtres de conférences. D'où la création de chaires de professeur junior. Mais soyons francs, il s'agit d'un moyen de contourner les lourdeurs de la procédure de qualification par le Conseil national des universités (CNU), exception française corporatiste, dont le Sénat avait voté la suppression en 2013, avant qu'elle ne soit rejetée en commission mixte paritaire par la majorité de l'époque. Pour favoriser l'interdisciplinarité et donner plus d'autonomie aux universités, le temps ne serait-il pas venu de supprimer cette procédure de qualification ou de transformer l'avis conforme du CNU en avis simple ?
Je tiens d'abord à vous féliciter, monsieur le président, pour votre élection. Je suis très heureux de rejoindre cette commission.
Avec 25 milliards d'euros, qui s'ajoutent aux 6,5 milliards prévus par le plan de relance, l'effort en faveur de la recherche est important. Ce texte comporte des avancées sur le sujet que nous saluons.
Plutôt qu'être frileux quant aux chaires de professeurs juniors, ne serait-il pas possible d'aller encore plus loin dans le cadre de ce dispositif, ou bien jugez-vous l'équilibre atteint satisfaisant ?
Pourriez-vous aussi nous en dire davantage sur les séjours de recherche destinés à renforcer l'attractivité de la France dans ce domaine ?
Enfin, nous nous réjouissons du volet relatif à la revalorisation des carrières, car un des handicaps de la recherche en France est le niveau des rémunérations, le pyramidage, l'évolution des carrières.
Vous présentez la chaire de professeur junior comme une avancée majeure, mais la durée du contrat ne peut pas dépasser six ans ; or, dans certaines disciplines, la préparation d'une habilitation à diriger des recherches demande plus de temps. Le statut de professeur sera-t-il toujours délivré après la soutenance d'une habilitation à diriger des recherches ou bien cette nouvelle voie de recrutement deviendra-t-elle un chemin de traverse ?
Les six années de contrat semblent aussi bien remplies et risquent de mettre le jeune chercheur sous pression, car il devra faire la preuve de son excellence avant de pouvoir être titularisé. Aux États-Unis, ce dispositif prévoit une clause qui permet la création automatique d'un contrat d'un an pour faciliter la réorientation en cas d'arrêt de la chaire. Pourquoi ne pas envisager un tel mécanisme ?
Enfin, la création de cette chaire est très critiquée par les membres de la communauté scientifique française, car elle introduit une forme d'inégalité de traitement avec les maîtres de conférences déjà en poste. Ne risque-t-on pas de créer un système à deux vitesses et d'accentuer les inégalités de salaires et de carrières ? Comment les universités géreront-elles ces deux voies parallèles ? Les critères de titularisation sont encore flous. Quelles précisions pourriez-vous nous apporter à cet égard ?
Merci, madame la ministre, pour vos propos liminaires : ils sont intéressants, car ils définissent la philosophie qui sous-tend ce texte. Vous parlez d'un pays libre et d'humanité : c'est important, car tout n'est pas affaire de financement. Le Conseil d'État et le Conseil économique, social et environnemental ont pourtant émis un avis réservé.
Comment comptez-vous accompagner les entreprises pour qu'elles augmentent leur budget consacré à la recherche tout en restant compétitives ?
Les moyens de financement changent : on se tourne de plus en plus vers des crédits concurrentiels au détriment des crédits de base. Les établissements ont peur de ne pas être dotés d'un budget suffisant pour financer leur programme de recherches ou payer leurs dépenses structurelles. Pourriez-vous préciser votre position sur l'équilibre entre financement de base et financement sur projets ?
Vous avez dit que la recherche française décrochait, mais notre système national reste néanmoins attractif et réputé. La France doit surtout veiller à garantir les salaires des chercheurs et l'emploi scientifique.
Je partage l'avis de M. Piednoir sur la place des femmes dans les sciences et les métiers scientifiques. Lorsque l'on commence à se préoccuper de la question, il est déjà trop tard, car il faut traiter cette question dès l'école, pour inciter les jeunes filles à s'intéresser aux sciences, sinon on aura du mal à combler le manque par la suite.
Hier, le Gouvernement a défendu à l'Assemblée nationale un projet de loi visant à réintroduire les néonicotinoïdes au motif qu'aucun substitut efficace n'avait été trouvé. Voilà qui illustre la nécessité pour la recherche de produire de nouvelles connaissances. Il convient d'accroître les moyens de la recherche agricole, pour préserver notre modèle alimentaire et aider nos agriculteurs et nos agricultrices à réaliser la transition écologique. Vous ciblez, à l'article 2 du texte, trois programmes de recherche, mais pourquoi ne pas mentionner également, par exemple, le programme 190 « Recherches dans les domaines de l'énergie, du développement et de la mobilité durables », les programmes 192, l86 ou 142, par exemple. Pourquoi cet oubli ? Cela signifie-t-il que les crédits qui leur sont alloués demeureront constants durant toute la période de la planification ?
Un sujet revient de manière récurrente dans les échanges que nous avons avec les chercheurs, c'est la question des classements internationaux, essentiels pour le rayonnement de notre recherche. Ces classements incitent les établissements et les laboratoires à se regrouper pour avoir plus de visibilité. Les petites structures, qui constituent pourtant une grande partie de la recherche en France et qui ont des moyens plus réduits, ne sont pas moins source d'excellence et d'innovations. Comment comptez-vous soutenir cette forme de recherche à la française, qui fait aussi notre force, car produire de la connaissance exige aussi des parcours différents ? Le système des appels à projets est ainsi chronophage, suppose beaucoup de moyens et d'énergie, et les petites équipes ne sont pas toujours capables d'y répondre, alors que ces financements pourraient leur être utiles.
Le volet territorial semble absent de ce projet de loi. Les collectivités territoriales n'apparaissent pas en tant que telles. Vous avez confié une mission à M. Muselier. Pourriez-vous nous en dire davantage ? L'objectif des 3 % de PIB inclut les financements des collectivités territoriales. Des objectifs sont-ils fixés aux collectivités territoriales pour y parvenir ?
Le CNU comporte 52 sections disciplinaires. Nous avons de plus en plus besoin de personnes capables d'être à l'interface entre les disciplines et nous devons donc recruter des personnes avec ce profil. Or, lorsque l'on a affaire à des spécialistes monodisciplinaires, il est difficile d'identifier ceux qui sauront le faire. En effet, les défis que nous devons relever sont complexes et requièrent une approche interdisciplinaire. Ce besoin d'interface fait partie des raisons pour lesquelles les chaires de professeur junior ont été demandées. Il ne s'agit pas de faire en sorte que les recrutements s'opèrent uniquement par cette voie. Nous voulons recruter, en dix ans, environ 1 400 ou 1 500 professeurs juniors, ce qui correspond environ à 10 % du nombre de départs à la retraite. Ils s'ajouteront aux renouvellements traditionnels. Il ne s'agit donc pas d'une voie de substitution, mais d'un outil qui conférera au système plus d'agilité. Nous avions fixé initialement comme objectif 25 % des emplois ouverts, ce qui permettait de créer un emploi tous les quatre postes ouverts, mais l'Assemblée nationale a ramené ce taux à 20 %, sauf dans les cas où quatre emplois de directeurs de recherche ne seraient pas ouverts dans l'année, auquel cas la proportion resterait à 25 %.
Avec les séjours de recherche, cette loi apporte une réponse, qui était très attendue, en matière d'accueil des doctorants et des chercheurs internationaux, ce qui contribuera à renforcer l'attractivité de nos laboratoires et facilitera l'accueil de talents étrangers.
Monsieur Decool, auparavant existait le programme ATIP-Avenir. Le principe était le même : permettre à de jeunes chercheurs de mettre en place et d'animer une équipe, au sein d'une structure de recherche, avec quelques années pour faire leurs preuves. Le problème était qu'à l'issue des six ans, il n'y avait pas de création de poste leur permettant de devenir titulaires. Les personnes devaient passer les concours, puis souvent arrêter ou partir, et finalement leurs équipes risquaient de disparaître. Les chaires de professeur junior, dont le modèle de construction est très français puisqu'elles aboutissent à des emplois de titulaires, ce qui n'est pas le cas dans tous les pays, ont été conçues sur ce modèle. L'objectif est que chaque chaire se transforme en un emploi définitif. Comme pour les ATIP-Avenir, le décret prévoit ce qui se passe si l'évaluation un an avant la fin n'est pas satisfaisante.
Vous posez la question des maîtres de conférences. Il est évident qu'il y a un problème lorsque l'on constate la proportion de maîtres de conférences par rapport aux professeurs, alors que nombre d'entre eux sont hors classe, avec une habilitation à diriger des recherches : ils ne passent jamais professeurs parce qu'il n'y a pas de poste ouvert. D'où l'idée de promotions avec l'objectif de parvenir à la même proportion entre les maîtres de conférences et les professeurs qu'entre les chargés de recherche et les directeurs de recherche, dans un souci de convergence. Pour le moment, on compte 30 % de professeurs et 70 % de maîtres de conférences, et 60 % de chargés de recherche et 40 % de directeurs de recherche. Nous comptons donc porter la proportion de professeurs de 30 % à 40 %.
La situation est différente pour les chargés de recherche et les directeurs de recherche car la proportion d'entre eux en classe exceptionnelle ou hors classe n'est que de 5 %, contre 25 % à 30 % parmi les maîtres de conférences et les professeurs. On compte donc augmenter le nombre de hors classe, dans un souci d'harmonisation.
L'habilitation à diriger des recherches n'est pas nécessaire pour bénéficier d'un contrat de professeur junior. Elle est toutefois nécessaire au moment de la titularisation. Mais on ne recrutera pas les professeurs juniors juste après le doctorat, donc je ne doute pas qu'une expérience de postdoctorant ajoutée aux six années de contrat de professeur junior permette d'obtenir une habilitation à diriger des recherches en temps voulu.
La troisième partie du texte, monsieur Grosperrin, a pour objet de consolider le chemin entre la recherche académique et la R et D. Plusieurs outils ont été mis en place ; la loi Pacte a fait un pas supplémentaire. De manière un peu caricaturale, nous voulons éviter qu'une société française contracte avec une université américaine et que celle-ci s'appuie sur ses partenariats avec une université française pour lui répondre. Avec des contrats de propriété intellectuelle type, une entreprise française n'ira plus chercher une compétence aux États-Unis parce que la rédaction des contrats y est plus simple. Actuellement, si un laboratoire relève de trois tutelles, les contrats de propriété intellectuelle passent par trois services juridiques !
Le plan de relance comprend un volet spécifique d'accompagnement de la R et D dans les deux prochaines années, celle-ci étant sacrifiée en premier par les entreprises en cas de difficultés économiques. Ainsi, 300 millions d'euros sont spécifiquement prévus pour préserver les ressources humaines employées par le privé pour répondre à des contrats publics-privés, de sorte que l'État puisse prendre en charge 80 % des salaires pour passer le cap.
Madame Monier, je suis d'accord avec vous, l'éducation à la liberté de choix des enfants doit se faire le plus tôt possible. Nous avons lancé un programme prioritaire de recherche « cultiver et protéger autrement ». Les agriculteurs sont présents autour de la table. Ils participent aux expérimentations destinées à se passer de certains produits phytosanitaires. Les autres programmes présents dans la Mires (Mission interministérielle « recherche et enseignement supérieur ») ne financent pas la recherche. Le texte a été travaillé au niveau interministériel, avec pas moins de dix-huit comités consultatifs. Ne vous inquiétez pas, il concerne évidemment l'agriculture, l'écologie, la santé, le travail. La recherche est transversale.
Madame de La Provôté, penser que les petites universités ne peuvent pas abriter des pépites, être lauréates d'appels à projets, est une idée reçue. Nous avons procédé à des simulations avant de décider qu'une partie des financements provenait de l'abondement sur les préciputs. Cela permet de réalimenter toute l'université. L'équipe lauréate d'un appel à projets de l'ANR a pu compter sur son laboratoire et il est normal que le directeur ait des moyens pour porter sa politique scientifique, élaborée avec ses tutelles. L'autre part est destinée à la politique de site. Nous réintroduisons ainsi de la solidarité. Ce pot commun réalimente toute la recherche d'un site. C'est pourquoi le dispositif fonctionnera, quelle que soit la taille de l'établissement.
Monsieur le président, la place des collectivités territoriales ne peut pas s'inscrire dans un projet de loi préparant le budget de l'État. Il importe que la contractualisation principale soit entre les universités ou les organismes de recherche et l'État. Néanmoins, sur des objets particuliers comme des questions d'expertise locale, de formation continue, d'orientation et d'attractivité des territoires, un contrat tripartite entre l'établissement, l'État et les collectivités permettra de s'accorder. Les régions investissent plus ou moins dans la recherche. L'idée est d'arriver aux meilleurs standards, que toutes les régions, métropoles, villes universitaires se rendent compte qu'elles peuvent attirer des sociétés en fonction des ressources humaines, de l'expertise des laboratoires et des universités pour accompagner les innovations. C'est ce que nous sommes en train de construire. Nous ne pouvons pas imposer une participation aux collectivités. Si les choses se font de manière plus simple et structurée, si chacun connaît sa place et les interfaces, cela devrait très bien se passer.
Madame la ministre, nous vous remercions de vos réponses. Il nous reste à nous donner rendez-vous dans quelques jours pour l'examen dans l'hémicycle de ce projet de loi.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 15 h 50.