La commission nomme tout d'abord M. Jean Germain, rapporteur sur le projet de loi n° 481 (2013-2014) relatif à la sécurisation des contrats de prêts structurés souscrits par les personnes morales de droit public.
La commission procède ensuite à l'audition conjointe pour suite à donner au référé de la Cour des comptes concernant le contrôle des comptes et la gestion de l'École nationale supérieure des beaux-arts (ENSBA) portant sur les exercices 2001 à 2011 : MM. Nicolas Bourriaud, directeur de l'ENSBA, Patrick Lefas, président de la troisième chambre de la Cour des comptes, et Michel Orier, directeur général de la création artistique au ministère de la culture et de la communication.
Nous allons procéder ce matin à une audition pour suite à donner à un référé de la Cour des comptes. Je rappelle que cette procédure de contrôle a été initiée en 2007, en étroite concertation avec le Premier président Philippe Séguin, à la suite de sa participation au séminaire que notre commission avait organisé au Mans sous la présidence de Jean Arthuis.
Notre réunion concerne aujourd'hui l'École nationale supérieure des beaux-arts (ENSBA), à la suite du référé transmis par la Cour des comptes à notre commission le 16 janvier dernier, portant sur les exercices 2001 à 2011. La période étudiée est donc à la fois longue (dix ans) mais également relativement éloignée (de trois ans). Les conclusions du référé de la Cour des comptes arrivent aujourd'hui dans une situation qui n'est pas simple pour l'ENSBA.
Cet établissement public à caractère administratif placé sous la tutelle du ministère de la culture et de la communication constitue la plus ancienne et la plus prestigieuse école d'enseignement des arts plastiques en France. Cette institution est née au lendemain de la Révolution française. Si dans la cour de l'École nationale des Beaux-Arts sont regroupées des oeuvres, c'est que leur présence vise à servir de base d'inspiration pour la création artistique. Cette institution a également été créée en vue du rayonnement de Paris. Ainsi, comme vous le savez, elle présente la particularité d'accueillir un musée, en raison des collections constituées à des fins pédagogiques.
Dans son référé, la Cour des comptes émet une série de propositions et de recommandations pour améliorer la situation de l'École. Ces propositions portent en particulier sur les pouvoirs d'orientation, d'impulsion et de tutelle de l'établissement. Elles concernent donc non seulement l'établissement lui-même mais aussi le ministère de la culture qui exerce sa tutelle.
Notre audition vise à faire le point sur les actions mises en oeuvre et envisagées par l'école, comme par le ministère de la culture, pour répondre aux recommandations de la Cour des comptes.
Nous accueillons Patrick Lefas, président de la troisième chambre de la Cour des comptes, ainsi que Louis Gautier, conseiller maître.
Après leur intervention, nos autres intervenants réagiront aux observations de la Cour des comptes. J'accueille et je remercie donc de leur présence : Nicolas Bourriaud, directeur de l'École nationale supérieure des beaux-arts et Michel Orier, directeur général de la création artistique au ministère de la culture et de la communication.
Comme à l'habitude lors de nos auditions conjointes, je vous propose de laisser la parole à chacun de nos intervenants pour un bref propos liminaire. Puis j'ouvrirai le débat avec les questions du rapporteur général et du rapporteur spécial Yann Gaillard, suivies de celles de l'ensemble des commissaires qui souhaiteront s'exprimer.
Le contrôle dont je vous rappelle les conclusions ce matin n'est pas allé au-delà, pour la partie juridictionnelle, de l'exercice 2011. Pour ce qui est de la gestion, il a toutefois porté jusqu'à la période 2012-2013. Je précise en outre que la procédure de suivi appliquée aux référés de la Cour des comptes a été étendue par le Premier président Migaud aux rapports particuliers. Dans le cas de la troisième chambre, elle pourra par exemple concerner les établissements de l'audiovisuel public sur lesquels nous travaillons (France Télévisions, Radio France).
L'ENSBA est héritière des académies royales de peinture et de sculpture. Elle est issue d'une fusion opérée sous le premier Empire et son statut date de la Restauration. Cet historique pèse sur l'école encore aujourd'hui. Mais il convient aussi de replacer les enjeux dans le contexte plus général de l'évolution de l'enseignement supérieur et de la recherche. Depuis l'origine, l'école a pour mission de former les artistes à la création. Vous l'avez rappelé, l'une de ses spécificités réside dans le fait qu'elle abrite sous le même toit une école et un musée.
À l'échelle du ministère de la culture, il s'agit d'un petit budget. Celui-ci est de l'ordre de 11 millions d'euros, dont 7,5 millions d'euros de subvention du ministère de la culture et de la communication. Les effectifs de l'école, relativement peu nombreux, s'établissent à 218 équivalents temps plein (ETP), tandis que le coût par étudiant se situe dans une fourchette haute de 19 000 euros.
Le cycle d'études dure cinq ans. Dans le cadre du processus de Bologne, l'école s'est adaptée à la règle « licence-master-doctorat » (LMD). Le diplôme national supérieur d'arts plastiques a désormais rang de master. Quelques étudiants suivent, ensuite, une formation doctorale dénommée « SACRe » (sciences, arts, création, recherche). Enfin, l'école a rejoint le pôle de recherche et d'enseignement supérieur.
Le référé de la Cour des comptes émet quatre séries de critiques.
Tout d'abord, il s'attache à la place et au rayonnement de l'ENSBA en France et à l'étranger. À cet égard, nous parlons d'un « îlot détaché dans un vaste archipel ». L'école ne partage aucune fonction support avec des établissements comparables, qu'ils soient parisiens ou nationaux. Un déficit de réflexion et de stratégie quant au devenir de l'école apparaît donc ; il incombe aussi bien au ministère de la culture qu'à celui de l'enseignement supérieur et de la recherche. Par ailleurs, l'ENSBA souffre d'un manque d'ouverture à l'international : elle peine à attirer aussi bien des étudiants que des enseignants étrangers. Cette situation la met en difficulté pour tenir son rang dans la compétition internationale.
Les conditions de conservation des oeuvres représentent le deuxième angle de critiques. Pour mémoire, l'ENSBA abrite 2 000 peintures et 3 700 sculptures. Ces oeuvres sont bien évidemment un élément de richesse mais leur conservation constitue également la source de multiples difficultés. En ce qui concerne les préoccupations liées à la surveillance, au contrôle et à la préservation des oeuvres - située rue Bonaparte, l'école est en zone inondable -, les retards se sont accumulés. C'est pourquoi un adossement à un autre établissement (la Bibliothèque nationale de France, le musée du Louvre, le musée d'Orsay ou le Centre Pompidou, par exemple) est souhaitable sur ces sujets.
Le troisième sujet de préoccupation de la Cour des comptes porte sur l'organisation de la politique éditoriale et des expositions de l'ENSBA. Ces dernières demeurent en effet relativement confidentielles avec 30 000 à 35 000 visiteurs par an. En outre, l'école n'a mis en oeuvre aucune mutualisation dans le cadre de ses éditions.
Enfin, le dernier sujet d'inquiétude concerne la gestion administrative de l'établissement. La Cour des comptes pointe des déficiences liées à l'absence de contrat de performance, au défaut de comptabilité analytique ainsi qu'à la faiblesse des procédures de contrôle interne et de suivi. Il résulte de ces lacunes une difficulté à mieux rationaliser les moyens de l'école. S'agissant de la gestion des ressources humaines, celle-ci est devenue prévisionnelle. Toutefois, il n'existe aucun outil de contrôle sur le temps de travail ni sur les conséquences des titularisations impliquées par la mise en oeuvre de la loi Sauvadet.
En conclusion, la Cour des comptes relève un défaut d'orientation stratégique dans le pilotage de l'ENSBA. Un contrat de performance sur une période triennale s'impose avec une réflexion d'ensemble sur les filières de l'enseignement artistique. Un plan général de conservation des oeuvres paraît également nécessaire avec l'adossement à un autre établissement. Certes, le budget de l'école est limité mais des économies peuvent néanmoins être réalisées.
La parole est maintenant à Nicolas Bourriaud, directeur de l'École nationale supérieure des beaux-arts. Vous avez pris vos fonctions en 2011, et vous avez donc pu proposer des remèdes aux insuffisances qui ont été rappelées.
Certaines des carences pointées par le référé ont été prises en compte, dans un contexte budgétaire difficile puisque les subventions versées par le ministère de la culture se sont élevées à environ 7 millions d'euros...
Ce contexte budgétaire n'est pas une originalité propre au ministère de la culture, et la situation devrait s'aggraver...
Les remarques de la Cour des comptes au sujet de la place de l'ENSBA dans le paysage de l'enseignement supérieur ne posent pas de problème particulier : elles soulignent que l'excellence de ses enseignements correspond parfaitement aux critères d'éligibilité du master. La place de l'ENSBA au sein de la filière des écoles supérieures d'art est en revanche plus problématique. À cet égard, je tiens à rappeler que les spécificités de l'ENSBA ne sont pas absurdes : l'école vise essentiellement à former des artistes et des créateurs, et une fusion avec d'autres établissements d'enseignement davantage portés sur le design ou l'architecture, par exemple, poserait certains problèmes. Il ne faut pas confondre les genres.
En revanche, les mutualisations de fonctions support sont tout à fait à l'étude aujourd'hui. Nous allons notamment proposer à l'école d'architecture de Paris-Malaquais de mutualiser certaines fonctions, notamment le laboratoire photographique et certains ateliers techniques qui partagent des enjeux communs, au-delà des apprentissages propres à chacune de ces écoles. Les problèmes de gestion commune des bâtiments du site pourraient aussi être abordés avec davantage de convivialité par les deux écoles.
Concernant l'internationalisation du corps enseignant et des étudiants, il me semble que l'école est toujours aussi attractive. Les deux professeurs chefs d'atelier recrutés depuis mon arrivée sont des professeurs étrangers : Pascale-Marthine Tayou, d'origine camerounaise et qui vit en Europe, et Ann Veronica Janssens, belge, sont tous deux des artistes internationalement reconnus. C'est une préoccupation constante de notre établissement, mais nous ne pouvons pas non plus proposer une discrimination à l'embauche, ce qui serait tout à fait impensable.
Le nombre d'étudiants étrangers est effectivement en chute : ils étaient entre 23 % et 30 % dans les années 1990, contre 13 % en 2011. Ce chiffre augmente très lentement depuis : la proportion est d'environ 15 % aujourd'hui. J'y vois plutôt un bon symptôme et un encouragement, car cette proportion correspond à celle de l'ensemble du système éducatif français. L'attractivité internationale de l'école dépend aussi de la communication, or le budget communication a baissé de moitié en 2014 en raison des restrictions budgétaires. Cette année, le site Internet sera traduit entièrement en langue anglaise pour la première fois : c'est bien entendu un levier extrêmement important. Il faudra également imaginer des enseignements en langue anglaise, qui sont pour l'instant uniquement le fait de certains chefs d'atelier mais ne sont pas étendus aux cours théoriques.
Concernant le budget des éditions, il faut bien comprendre que son déficit s'explique par la coexistence d'objets réalisés totalement à fonds perdus - notamment les plaquettes, le livret de l'étudiant et les cartons d'invitation - et des activités « commerciales » que sont les publications scientifiques et artistiques de l'ENSBA. Prises séparément, ces dernières sont tout à fait à l'équilibre, ce qu'une comptabilité analytique permettrait de constater, comme vous le soulignez. Les éditions de l'ENSBA ont par ailleurs vocation à faire partie du réseau plus étendu des écoles d'art françaises, voire à en devenir la tête de pont. Nous y travaillons avec la direction générale de la création artistique.
Concernant la gestion administrative, j'ai évoqué la nécessité d'une comptabilité analytique. Cela nécessitera le recrutement d'un agent supplémentaire : c'est la seule difficulté que nous éprouvons pour le moment. En général, la politique de recrutement de l'école est une politique de requalification de l'emploi. Par exemple, le départ à la retraite du photographe attitré de l'école nous permettra de créer un deuxième poste au service informatique qui, pour l'instant, n'en comporte qu'un seul. Cet ingénieur système pourra s'atteler aux problèmes récurrents d'un système informatique vétuste, constitué entre 1998 et 2000 et jamais remplacé, aboutissant le 19 septembre 2013 à une panne généralisée. Cela nous a amenés à investir et puiser encore sur le fonds de roulement de l'école pour stabiliser le système. Je pointerai, enfin, un changement spectaculaire : tous les agents concernés par la loi Sauvadet de mars 2012 ont été titularisés en 2013.
Je voudrais enfin insister sur le fait que le coût de 19 000 euros par étudiant est calculé par rapport au budget global de l'ENSBA, lequel couvre la totalité de ses missions statutaires et non pas uniquement l'enseignement. La diversité de ces missions statutaires constitue l'identité de l'école, dont le modèle unique au monde ne doit pas être banalisé ni standardisé. Son attractivité internationale repose sur ce modèle tout à fait original qui est appelé à faire florès.
La parole est maintenant à Michel Orier, représentant de la tutelle en tant que directeur général de la création artistique au ministère de la culture et de la communication. Voilà un titre finalement assez étrange et paradoxal : nous imaginons que la création ne se dirige pas, ou en tout cas que ce n'est pas le rôle de l'État de la diriger... Cela ferait presque totalitaire, mais nous savons bien que ce n'est pas l'état d'esprit de quelqu'un qui a dirigé de grandes structures culturelles - Grenoble, Amiens - et qui est soucieux de l'indépendance des créateurs et des organisateurs.
Je voudrais tout d'abord rappeler que la ministre a fait de l'enseignement, de la transmission et de la jeunesse une priorité. L'administration de la culture a été réorganisée en 2010 avec la fusion de la délégation aux arts plastiques (DAP) d'une part, et de la direction de la musique, de la danse, du théâtre et des spectacles (DMDTS) d'autre part ; mais la responsabilité des enseignements restait éclatée entre les différentes entités. Nous sommes aujourd'hui en train de revoir cette organisation dans le cadre du projet de service afin d'avoir une vision stratégique et une meilleure action d'ensemble sur la gestion des enseignements. Dans ce cadre, une cartographie nationale est en train de s'établir. Les problèmes relevés par la Cour des comptes font à cet égard l'objet de toute notre attention et de toute notre vigilance. Comme Patrick Lefas l'a rappelé, de nombreuses écoles nationales d'art ont relativement peu de liens entre elles : cette situation ne peut pas durer dans un contexte international. Les exemples du Royal College of Arts ou de la Central St. Martins School of Arts en témoignent. Avec l'ENSBA, nous avons la responsabilité de l'un des joyaux de l'enseignement artistique de niveau mondial, dont nous devons assurer l'avenir.
Dans ce cadre, nous étudions plusieurs scénarios afin de rapprocher les différents établissements, du moins l'ENSBA et l'École nationale supérieure des arts décoratifs (ENSAD). Le cas de l'École nationale supérieure de création industrielle (ENSCI) est un peu plus complexe dans la mesure où il s'agit d'une école de design, par ailleurs placée sous la tutelle de deux ministères différents. Nous travaillons également depuis l'automne dernier sur les possibilités de mutualisation avec l'École nationale supérieure d'art de Paris-Cergy (ENSAPC), qui est un établissement de très grande valeur.
Le recrutement de professeurs étrangers, qui était auparavant difficile, a été facilité par la loi de juillet 2013 relative à l'enseignement supérieur et à la recherche. La présence d'enseignants étrangers dans nos écoles nationales supérieures permet ensuite le recrutement d'élèves étrangers et assure un meilleur rayonnement.
Concernant l'inscription dans le processus de Bologne, il faut souligner le travail accompli par l'ENSBA et par les écoles nationales supérieures en général : la réforme est aujourd'hui acquise, elle est en marche et bien intégrée. Le doctorat « SACRe », très important, est partiellement pris en charge par le pôle de recherche et d'enseignement supérieur (PRES) Paris Sciences et Lettres (PSL), qui va se transformer en communauté d'universités et d'établissements (COMUE). Nous sommes très attentifs à la consolidation de ce COMUE dont l'enjeu est de relever le défi de la compétition internationale, notamment par un rapprochement avec les PhD anglo-saxons.
La question des collections est évidemment un problème aigu, puisqu'il tient à la spécificité même de l'ENSBA qui est à la fois un musée et une école. Les 400 000 oeuvres connaissent des problèmes de tous ordres - conservation, récolement, etc. - dans un contexte très difficile du fait de l'état global du bâtiment. À la suite du référé, nous avons engagé une procédure de classement au titre des Musées de France qui devrait permettre dans les mois qui viennent la mise à disposition de conservateurs pour accélérer les travaux de récolement et de conservation. Les risques sont très lourds, notamment celui d'une crue de la Seine, menace complexe à gérer et qui mobilisera beaucoup de crédits.
La présence du quai Malaquais au bord de la Seine n'est pas un fait nouveau ...
Le budget des éditions, en déficit de près de 100 000 euros au moment du référé, est revenu à un quasi-équilibre, à 10 000 euros près : il convient de souligner les efforts accomplis par l'institution dans sa politique éditoriale.
L'amélioration de la gestion de l'ensemble de l'école requiert une gestion de site commune entre l'école d'architecture de Paris-Malaquais et l'ENSBA : les deux institutions n'ont presque aucun lien entre elles alors qu'elles sont sur le même site, ce qui pose un certain nombre de problèmes, notamment pour finaliser le schéma directeur des travaux engagés sur l'ensemble du site. L'opérateur du patrimoine et des projets immobiliers de la culture (OPPIC) a confié la réalisation de ce schéma directeur à un bureau d'études. Quatre scénarios de rénovation sont envisagés. Évidemment, il faut engager de façon assez urgente, à la fois des travaux de sûreté, de structure interne et de mise aux normes énergétiques sur lesquels on ne peut pas faire l'impasse, et des travaux relatifs au clos et au couvert. Le total est pour l'instant chiffré à 47 millions d'euros TTC, ce qui demandera de mobiliser des crédits importants dans les années à venir afin de pouvoir continuer à accueillir le public et les étudiants dans des conditions admissibles par la commission de sécurité.
D'une manière générale, les questions de contraintes budgétaires sont importantes, mais l'ENSBA fait partie de nos priorités. Nous sommes très vigilants et ferons en sorte que l'école puisse continuer à assumer son statut d'établissement d'excellence de rang international dans l'enseignement artistique.
Je vous remercie. Monsieur le rapporteur général, vous avez étudié la situation et regardé les documents qui nous ont été transmis : quelles remarques et interrogations cela vous inspire-t-il ?
Mes questions ne porteront pas sur l'angle culturel de l'école, je laisserai le soin d'aborder ce thème à Yann Gaillard, rapporteur spécial de la mission « Culture ». En tant que rapporteur général, mon intervention se concentrera sur les aspects financiers et budgétaires de ce référé de la Cour des comptes.
Même si l'ENSBA constitue un « joyau », les appréciations portées par la Cour des comptes sur sa gestion entre 2001 et 2011 sont particulièrement critiques et ont, à ma connaissance, rarement été aussi dures dans le cadre d'autres référés.
Ainsi, s'agissant de la gestion administrative, la Cour des comptes déplore l'absence d'un contrat de performance et d'un schéma directeur des travaux, qui s'inscrit dans un effort de programmation qu'il convient de développer. Pire encore, le défaut de comptabilité analytique est également pointé du doigt. Ceci peut paraître d'autant plus surprenant que la comptabilité analytique constitue, comme cela est enseigné depuis cinquante ans, un élément de base de la gestion.
Le référé note encore, je cite, « des procédures de contrôle interne embryonnaires ainsi que la faiblesse des instruments de programmation et de suivi des activités de l'ENSBA », autant d'éléments qui révèlent les « carences des tutelles et les difficultés de rationalisation et d'optimisation des choix de gestion auxquelles se heurte la direction de l'établissement ».
Incontestablement, le référé met en évidence une gestion catastrophique de l'école. Suite à ce constat, il est évidemment nécessaire de redresser la situation, en s'appuyant notamment sur les pouvoirs d'orientation, d'impulsion et de tutelle de l'établissement.
Monsieur Orier, comment expliquer le fait que l'ENSBA ne dispose toujours pas de contrat de performances, document pourtant stratégique ? Où en est-on de son élaboration, alors que le projet annuel de performances de la mission « Culture » annexé au projet de loi de finances pour 2014, indique qu'il est en cours d'élaboration pour la période 2013-2015 ? Quelles en seront les principales orientations ?
Monsieur Bourriaud, le projet annuel de performances précité indique également que « le budget primitif confirme la volonté de la direction de dynamiser la recherche de mécénat et de partenariats face à la baisse de la subvention de l'État ». Conformément aux interrogations que nous formulons fréquemment concernant les agences ou les institutions qui bénéficient de subventions qui, comme le Président vient de l'indiquer également, risquent de se réduire au cours des prochaines années, comment comptez-vous renforcer les ressources propres de l'école, notamment en termes de recherche de mécénat ou de location d'espaces ?
Enfin, les collections de l'école qui sont encore conservées sur le site Malaquais sont exposées à trois risques majeurs : le manque de surveillance, l'incendie et l'inondation. Malgré cette situation insatisfaisante, aucun plan de sauvegarde n'a été engagé pour le moment. Comment expliquer cette absence de réactivité ? Que comptent faire l'école et la tutelle pour régler cette situation ? À cet égard, que pensez-vous des propositions de la Cour des comptes, à savoir notamment l'élaboration d'un plan général de conservation des collections et l'adossement de l'école à d'autres grandes institutions pour la gestion des collections ? Vous avez déjà fait mention de l'élaboration en cours d'un réseau permettant de mieux mettre en valeur ces collections et j'ai été frappé par le fait qu'en disposant de 400 000 oeuvres, vos expositions n'enregistrent que 30 000 visiteurs par an, ce qui n'est pas très éloigné de ce que peuvent connaître les musées de petites communes. Ces chiffres m'étonnent. Ces collections ne pourraient-elles être davantage mises en valeur ?
Comme le rapporteur général, je m'interroge sur les raisons pour lesquelles les expositions de l'école, qui dispose pourtant de véritables « trésors », attirent aussi peu de monde. Sont-elles mal conçues ? Ne pourrait-on imaginer des expositions groupées avec de grands établissements publics tels que le centre Pompidou dont je suis membre du conseil d'administration ?
Les beaux-arts sont la gloire de la France : la bonne gestion de l'école devrait intéresser tout le monde. Les difficultés rencontrées s'expliquent-elles par des problèmes au niveau de la direction de l'école ou de rivalités internes ? Il manque certainement l'expression d'une volonté politique pour obliger les grands établissements publics culturels à coopérer et à travailler ensemble.
Pour ma part, ayant visité un grand nombre d'expositions, je n'en ai jamais vu de l'ENSBA, ce qui constitue, soit une grande ignorance de ma part, soit une certaine maladresse dans la publicité des événements organisés.
Ceux qui se disent ignorants sont en général les plus savants et ceux qui se prétendent savants sont en général ceux qui ne savent rien.
Je souhaitais à mon tour vous interroger sur deux points.
Premièrement, compte tenu de la contrainte budgétaire qui ne peut qu'inévitablement s'accroître, vos ressources propres doivent se développer, notamment par le biais du mécénat, de ressources issues de la taxe d'apprentissage ou encore de recettes issues de l'organisation d'expositions. Il m'a été dit que le taux de ressources propres de l'école avait plutôt eu tendance à baisser ces dernières années. Pouvez-vous nous indiquer ce qu'il en est car, si tel était le cas, ce serait un indicateur négatif pour l'avenir de l'école.
Sans « vendre son âme », une institution culturelle doit aujourd'hui renforcer son indépendance et se libérer un peu de la contrainte budgétaire imposée par la tutelle, en recourant davantage aux ressources propres. Quelles sont les relations de l'école avec les entreprises et les potentiels mécènes, et donc aussi avec son conseil d'administration ?
Mon deuxième point portera justement sur le conseil d'administration qui, ce qui est étonnant, n'a pas été mentionné jusqu'à présent dans les différentes interventions. Son président a d'ailleurs décliné mon invitation à participer à la présente audition, en me faisant toutefois parvenir des remarques.
Le conseil d'administration d'une telle école doit, en étant notamment composé de personnalités extérieures, se prononcer sur ses orientations stratégiques, intervenir dans le cadre de l'élaboration et la mise en oeuvre du projet d'établissement et assurer le contrôle de sa gestion. Il doit pour cela compter des « Persans de Paris » comme notre collègue Yann Gaillard, qui disposent à la fois de la distance et de la connaissance nécessaire du fonctionnement de l'établissement pour poser les questions pertinentes. Qu'en est-il du conseil d'administration de l'ENSBA ? Son action est-elle insuffisante ? Ne faudrait-il pas le renforcer si l'école devait garder son statut actuel ?
S'agissant des ressources propres de l'école, le mécénat a principalement permis la réfection de la cour de l'école. Plus généralement, il est à noter que le mécénat culturel marque aujourd'hui le pas, tous les grands établissements culturels rencontrant des difficultés pour mobiliser ces ressources.
Des recettes sont également obtenues par les locations d'espaces et, bien que le nombre de visiteurs soit réduit, de la billetterie des expositions. Mais c'est surtout la taxe d'apprentissage qui pourrait constituer une perspective intéressante à exploiter pour l'avenir.
Les droits de scolarité, enfin, sont très faibles puisqu'ils s'établissent à 360 euros annuels par élève.
Tout à fait. L'école ayant retenu l'organisation LMD, il me semblerait intéressant de différencier les frais de scolarité, notamment au niveau du doctorat. Les ressources issues des frais de scolarité ne représentent aujourd'hui que 200 000 euros.
Avec l'élaboration du contrat de performances, un des objectifs retenu sera nécessairement l'augmentation des ressources propres, afin de compenser la réduction de la subvention pour charges de service public.
Concernant le conseil d'administration de l'école, le principal enjeu réside dans le fait qu'il puisse jouer véritablement son rôle d'organe délibérant, à l'occasion de l'approbation du budget, de l'arrêté des comptes et du contrôle interne.
Et aujourd'hui ces missions ne sont pas remplies par le conseil d'administration ?
Il ne joue pas pleinement son rôle d'organe délibérant qui poserait les problématiques et qui obligerait ainsi la tutelle à se positionner également.
Monsieur Bourriaud, doit-on attendre la signature d'un contrat, d'un « pacte d'avenir », pour s'efforcer d'accroître les ressources propres de l'école ?
Je souhaite, tout d'abord, préciser notre stratégie de développement de ressources propres depuis deux ans qui tend vers moins de locations d'espaces et davantage de partenariats durables. Ainsi, les montants de recettes se sont inversés entre ces deux types de ressources en trois ans, avec :
- en 2010, 608 000 euros pour la location d'espaces et 210 000 euros pour le mécénat ;
- en 2013, 485 000 euros pour la location d'espaces et 810 000 euros pour le mécénat.
Ce qui aboutit à un montant global pour ces deux types de ressources de 818 000 euros en 2010 et près d'1,3 million d'euros en 2013.
Exactement. L'année 2012 avait été encore plus florissante, avec 1,2 million d'euros pour le mécénat et 661 000 euros pour la location d'espaces.
La collecte de la taxe d'apprentissage a également été doublée depuis 2011, par l'effet principalement du recrutement en septembre 2012 d'un agent spécifiquement dédié au partenariat avec les entreprises.
Tout à fait. S'agissant de la fréquentation des expositions de l'école, nous avons enregistré davantage de visiteurs en 2013, avec une nouvelle formule d'expositions, en passant à 50 000 visiteurs, à comparer au chiffre de 30 000 visiteurs qui correspond à 2011.
En réponse à Yann Gaillard, nous sommes justement en phase de finalisation d'une convention avec le centre Pompidou, pour différents types de collaborations, notamment dans le domaine pédagogique et du prêt d'oeuvres.
Autre progrès significatif, le récolement des collections est totalement achevé. Celles-ci se situent principalement dans un entrepôt situé à Saint-Denis.
De mémoire, le déménagement s'est effectué en 2010.
Il répond effectivement aux normes de sécurité et de conservation des collections.
Combien coûte-t-il ? Appartient-il à l'État ou s'agit-il d'une location ?
Il me semble que l'entrepôt est de la propriété de la commune. Nous en disposons à titre gratuit.
Seule la collection de photographies est encore conservée sur le site de l'école, quai Malaquais, et pose donc des difficultés de conservation.
Est-il si compliqué de conserver des photographies ? Dans notre assemblée, nous sommes un certain nombre à occuper par ailleurs des fonctions de maire, et nous nous efforçons de garder les pieds sur terre.
Il existe des normes de conservation que nous devons respecter. Une solution devra donc être trouvée, nous réfléchissons actuellement à une possibilité sur notre site de Saint-Ouen, avec un volet tourné vers le public.
Il s'est tenu hier et s'est très bien déroulé. À mon sens, il joue pleinement son rôle dans la vie de l'école et dans ses rapports avec les autres instances, en particulier le conseil pédagogique. Je ne perçois pas de problème majeur dans son fonctionnement.
Le schéma directeur, pièce très importante du dispositif, est en cours. De même, le contrat de performances sera présenté au prochain conseil d'administration. S'agissant de la conservation des collections, je rappelle que nous avons été contraints d'abandonner le projet de rassemblement des collections des grands établissements culturels en bord de Seine, à savoir Orsay, le centre Pompidou, le Louvre, et, bien sûr l'école des beaux-arts. Il était ainsi prévu de construire un grand entrepôt pour accueillir l'ensemble des collections en question, mais ce projet a été abandonné pour des raisons budgétaires. C'est un problème récurrent, sujet de préoccupation pour le ministère de la culture et de la communication qui reste vigilant.
Sur la question des collections et des expositions, la ministre a souhaité mettre sur pied des propositions issues d'une commission, visant à mutualiser l'ensemble des oeuvres et à faire en sorte qu'elles voyagent ou qu'elles soient diffusées de façon beaucoup plus large, bref, qu'elles soient mises davantage à la disposition des publics, en faisant l'objet d'expositions dans des musées de région et dans d'autres villes que Paris. L'idée est de rappeler que notre patrimoine s'adresse à l'ensemble des Français et qu'il n'est pas l'apanage d'une minorité d'entités.
Nous avons de nombreux fonds régionaux d'art contemporain (FRAC) ...
Il y a aussi beaucoup de musées dans les villes françaises ; beaucoup de conservateurs de talents organisent des expositions un peu partout sur le territoire. Grâce à ces relais, il me paraît logique que les collections, plutôt que de rester dans des réserves, puissent être mises à disposition du public.
Oui, cela étant, même en période de contrainte budgétaire, on constate que l'activité culturelle reste importante ; elle est indéniablement prisée des Français et bénéficie de très bons professionnels sur le terrain. Cette démarche fait partie de l'optimisation des crédits qui nous sont alloués.
M'étant déjà exprimé sur les observations du référé, je souhaite simplement émettre une suggestion : il me semble que le terme de « beaux-arts » est une notion un peu vieillie, dépassée. Peut-être conviendrait-il de trouver une dénomination plus actuelle, en se référant par exemple à la notion de « création française » ?
Vous mettez le doigt sur une problématique qui touche à l'identité de l'institution. Il est vrai que, traditionnellement, en France et à l'étranger, la référence aux « beaux-arts » est connue, il s'agit presque d'une marque. On sait de quoi on parle, ce qui n'est pas le cas quand on cite l'« ENSBA ». Cela pose une vraie question : faut-il abandonner cette identité ou, au contraire, en trouver une autre, mais laquelle ?
J'ai écouté avec intérêt les développements liés à la chute assez vertigineuse du nombre des étudiants étrangers au sein de l'école, dans des délais relativement courts. Selon vous, cette évolution, qui traduit l'incapacité de l'école à être reconnue sur le plan international, s'explique-t-elle par un problème d'image, de visas, de concurrence, ou encore, de lisibilité ? Où vont ces étudiants potentiels qui auraient pu venir en France ?
Ma seconde remarque devrait plaire à notre collègue Yann Gaillard : j'ai entendu les chiffres relatifs aux subventions de l'État dans le domaine culturel des beaux-arts ; en tant que président d'une assemblée délibérante d'une collectivité territoriale, je préfèrerais pour ma part, plutôt que de consacrer six millions d'euros à une fouille sur une petite zone d'activité, en allouer un peu aux beaux-arts ; je pense que cela serait beaucoup plus efficace que de trouver des marques de tronc sur un terrain sans intérêt... Si vous voulez de l'argent, essayez de convaincre le ministère de la culture pour qu'il arrête de nous enquiquiner avec des fouilles de cette nature !
Tout cela, c'est la loi qui l'a imposé. C'est le Parlement qui légifère, donc nous sommes responsables...
Je ne partage pas totalement l'observation de notre collègue Eric Doligé, mais c'est un débat ancien et extrêmement important.
J'aurai trois observations à formuler. Tout d'abord, Monsieur Bourriaud, je comprends bien qu'une fusion des écoles soit difficile à réaliser ; nous connaissons tous ici la difficulté de fusionner des communes, donc vous êtes exonéré ! Toutefois, je pense que la démarche liée au projet éducatif que l'on doit retrouver à l'université ou ailleurs est quelque chose de très important ; vous avez cité les écoles internationales. Je partage totalement votre vue, mais n'oublions pas aussi les écoles régionales !
Deuxièmement, j'ai entendu ce qui a été dit concernant la gestion. À cet égard, je ne suis pas sûr que ce soit en diminuant la durée de vie des directeurs d'administration centrale ou d'institutions nationales que l'on puisse atteindre les objectifs qui sont les nôtres. Je pense que nous sommes en train de nous américaniser, avec une sorte de spoil system que, personnellement, y compris en tant que maire, j'ai toujours dénoncé : on ne peut pas demander à un directeur d'administration centrale ou d'école - Monsieur Bourriaud, je ne sais pas quelle est votre espérance de permanence à la tête de l'école - de mener une politique de gestion efficace en restant en moyenne deux ans en place. Ce que je dis est aussi valable pour les préfets !
J'émettrai donc une suggestion à l'attention de notre Président : lorsque nous auditionnons, pour donner notre avis, certaines personnes appelées à diriger de grandes institutions, il serait important que notre commission réfléchisse précisément sur la durée de ces mandats.
En tant que rapporteur spécial, je me suis penché sur la gestion immobilière publique de la ville de Paris, non pas en tant que collectivité territoriale, mais en tant que capitale. Je vous garantis, Monsieur le Président, maire de Compiègne, que nous, modestes élus locaux que nous sommes, pourrions aussi émettre quelques avis sur ces sujets !
Troisièmement, Jean Vilar disait « ce n'est pas le public qui m'intéresse mais le non public » - certes, l'expression est mauvaise. Nous sommes prisonniers d'une politique de l'offre. Il faut que nous ayons le courage de mener une politique de la demande. Monsieur Orier, vous parlez de circulation des expositions. Mais vous ne pourrez pas la mettre en oeuvre si vous n'avez pas élaboré un calendrier à dix ans. En effet, chaque musée élabore sa propre programmation. Et si vous me le permettez, ce n'est certainement pas en passant par l'intermédiaire des directions régionales des affaires culturelles (DRAC) que vous pourrez y arriver, mais en dialoguant directement avec les élus impliqués.
C'est une expérience partagée par beaucoup d'entre nous et il est vrai que si le Sénat a une utilité, c'est peut-être parce que ses horizons de temps sont différents de ceux d'autres institutions.
Pour ma part, je voudrais juste m'interroger, voire m'inquiéter sur la situation générale. En effet, je pense que ce qui se passe à l'école des beaux-arts pourrait se retrouver dans d'autres grandes écoles artistiques ou établissements culturels. Notre pays jouit d'un patrimoine artistique, historique, culturel considérable. Le problème est que la France d'aujourd'hui n'est plus celle d'il y a trente ans au niveau économique et financier. Entre un État désargenté et des collectivités qui ne sont pas en situation de pouvoir les aider autant qu'elles le souhaiteraient, on demande aux établissements culturels de trouver des partenaires privés pour leur octroyer des moyens. Mais il y a de moins en moins de partenaires prêts à payer, et je peux témoigner de la difficulté de l'exercice, car j'ai eu l'occasion à la région Île-de-France de chercher des partenaires pour deux établissements culturels parisiens. Il est particulièrement dur de trouver des partenariats réguliers sur plusieurs années. Le discours officiel affirme que l'on ne peut en aucun cas regrouper, abandonner ou ne pas soutenir tous les secteurs ; sauf que dans les faits, on ne peut plus se le permettre ! Et la suppression de la clause de compétence générale rendra les choses encore plus difficiles. Le président de la commission des finances de la région Île-de-France que je suis en est ravi, car on empruntera enfin peut-être moins. Mais la vérité, c'est que d'un seul coup, il y aura des millions d'euros en moins au profit de l'activité culturelle, artistique, patrimoniale. Peut-on encore se permettre de conserver cette vision généreuse du soutien public au domaine culturel ? Ne devrait-on pas aller à l'essentiel ?
La ministre de la culture et de la communication vient d'inaugurer la réouverture du théâtre du Château de Fontainebleau. Celui-ci a pu être restauré grâce à l'une des contreparties de l'accord, fortement critiqué, relatif au Louvre Abu Dhabi. Le patrimoine français est une vraie valeur dans les partenariats internationaux comme dans les relations avec les grandes entreprises, qu'elles soient françaises ou étrangères. Certes, les collectivités sont dans la situation qu'a décrite très justement Roger Karoutchi ; la question de la clause de compétence générale ne peut être traitée comme un sujet simple, car elle emporte de nombreuses conséquences ; vous voyez qu'à partir de la situation d'une école, certes relativement modeste à l'échelle de nos finances publiques, ou même du budget du ministère de la culture et de la communication, nous abordons des problématiques beaucoup plus vastes.
Je ne vais pas m'acharner sur le passé, mais s'agissant de la gouvernance, la Cour des comptes dresse un constat sévère et inquiétant pour les années 2001 à 2011. Je suis un peu rassuré par les propos de nos interlocuteurs, qui montrent que ces points ont été pris en compte et qu'un processus de rétablissement est engagé ; cependant, je m'interroge : les conditions d'une meilleure gouvernance sont-elles créées ? Le conseil d'administration a la charge de voter le budget et de vérifier l'exécution des comptes. Je suis étonné que personne, ni du côté du conseil d'administration, ni de celui de la tutelle, n'ait tiré le signal d'alarme sur la décennie passée.
Ensuite, on ne cesse de nous répéter qu'il va falloir vivre avec les moyens que l'on a. Mais je lis dans le référé de la Cour des comptes, que l'on ne peut suspecter d'être un apôtre de la dépense publique débridée, « qu'avec des moyens humains et budgétaires limités, le département du développement scientifique et culturel de l'école est confronté à une tâche considérable ». La Cour des comptes estime par ailleurs, je cite, que « l'école n'a pas les moyens d'exercer sa mission patrimoniale ». Donc la question des moyens, qu'on le veuille ou non, se pose aussi en matière de culture, et il ne faut pas l'oublier.
Il revient à nos interlocuteurs de bien vouloir conclure cet échange, qui nous a permis de mieux prendre conscience des missions, de l'originalité et des enjeux d'avenir de l'ENSBA.
J'ajouterai une dernière question : quelles sont les relations avec l'enseignement de l'architecture ? En effet, c'était bien l'origine de l'institution des beaux-arts. Elle est née des rapports entre les oeuvres elles-mêmes et les démarches conceptuelles des créateurs et des architectes. Le plan stratégique de l'école prévoit-il de tisser à nouveau des liens avec une profession qui, par l'évolution des choses, est devenue une profession aussi bien technique qu'artistique ? J'ajoute que nous avons certainement besoin d'ingénieurs architectes et pas seulement de purs esprits.
Vous posez la question stratégique par excellence. Le débat montre bien que cette école a d'abord un problème de taille critique. Cela se mesure aux concurrents internationaux. Si l'on procède à des comparaisons, d'après les chiffres de 2011, l'ENSBA comptait 545 étudiants, contre 1 145 au Royal College of Arts, 4 500 à l'école Central St. Martins, 1 445 à la Californian Institution of Arts, et 630 à la Kunstakademie de Düsseldorf. On se rapproche d'une école de province à l'échelle mondiale.
La France à l'échelle mondiale, c'est quoi ? C'est une petite Suisse ? On peut tenir ce raisonnement sur tous les sujets. À ce moment-là, on se dilue dans un « machin » de Cleveland !
M. Patrick Lefas. - Mon propos était de dire qu'avec un effectif de 545 étudiants, on a problème de taille critique, et que l'une des clés du raisonnement tient à l'attractivité internationale ; la chute du nombre d'étudiants étrangers est de ce point de vue très inquiétante, malgré un léger redressement récent. On comptait, en 2011, 76 étudiants étrangers, qui payent 360 euros de droits de scolarité. Ne serait-il pas logique de leur faire payer 3 000 euros ? Sciences-po ne s'est pas posé beaucoup de questions à cet égard. L'attractivité est notamment liée à cela. Cela implique forcément de s'internationaliser dans son corps professoral, d'avoir des relations de partenariat permettant des échanges. Dans l'enseignement supérieur, on est de plus en plus dans un système d'échanges ; les universités françaises l'ont très bien compris.
L'une des clés est donc de trouver des ressources propres à travers les droits d'inscription. C'est un sujet tabou. Même si l'on peut raisonner en excluant la quote-part afférente aux charges qui ne sont pas strictement liées à l'enseignement, quoique tout soit plus ou moins lié - par exemple, la médiathèque sert aux chercheurs, aux étudiants et joue aussi un rôle dans la problématique de la consultation des oeuvres par le grand public, pour autant que cela soit numérisé -, le coût de 19 000 euros par étudiant apparaît supérieur au coût moyen d'un étudiant. Certes, on n'atteint pas encore les 44 000 euros par étudiant du conservatoire national supérieur d'art dramatique...
Les catégories socio-professionnelles représentées par les étudiants de l'école des beaux-arts ne comptent pas parmi les plus défavorisées, mais dès lors que l'on tend vers cette logique, cela implique de se poser la question des bourses pour ceux qui ne pourraient pas payer le prix d'entrée.
Sur la question du mandat, je précise que le précédent directeur est resté en poste pendant cinq ans, et que la directrice adjointe est là depuis dix ans. Il me semble que c'est davantage la logique pluriannuelle inhérente au contrat de performances qui importe pour améliorer la gestion ; cette trajectoire pluriannuelle est tout à fait cohérente avec ce que vous avez voté hier sur le programme de stabilité...
Nous ne l'avons pas voté, on ne nous demande pas de voter... Nous ne sommes pas dignes de voter, voilà !
La loi de programmation des finances publiques s'inscrit dans une logique pluriannuelle ; le contrat de performances permet de donner des objectifs et de fixer des indicateurs pour les atteindre. La lettre de mission du directeur est également un outil pour améliorer la gestion. Dès lors que l'on raisonne dans un cadre pluriannuel, on peut entrer dans une logique qui permet de mesurer les progrès réalisés.
Sur les ressources extérieures, vous avez cité le cas du théâtre du château de Fontainebleau. Nous sommes en train de travailler sur France-Museums, qui est un sujet très sensible, et nous pourrons, si vous le souhaitez, vous livrer les principaux enseignements de ce travail lorsqu'il sera terminé. Nous touchons là à un univers extra-budgétaire...
Différentes options sont possibles, et certains font mieux que d'autres. Le Louvre s'est, à cet égard, sans doute mieux débrouillé que le centre Pompidou.
Plus généralement, il me semble que la question des moyens passe par un adossement rapide à d'autres institutions pour la partie patrimoniale. Il s'agira ensuite de bâtir un cadre pour réaliser des économies d'échelle. Ces recommandations ne s'adressent pas seulement à l'école des beaux-arts : ainsi, les référés de la Cour des comptes relatifs aux trois conservatoires nationaux supérieurs d'art dramatique, de musique et de danse, et aux écoles françaises à l'étranger émettent le même type de remarques. Nous travaillons, parallèlement, sur les problématiques muséales : nous terminons deux contrôles sur le centre Pompidou et sur la Cité de l'architecture et du patrimoine (CAPA). Le résultat de ces travaux démontre à la fois les inquiétudes liées aux menaces financières qui pèsent sur ces établissements, notamment le centre Pompidou : comment préserver son intégrité et sa sécurité, comment assurer le renouvellement de ce grand projet culturel ? Il y a là un problème de ressources, ce qui implique nécessairement de se poser des questions d'arbitrage.
Sur la taille critique, je crois qu'il est extrêmement important de comparer ce qui est comparable. Vous citez le Royal College of Arts ou Central St. Martins qui sont deux écoles très différentes. La seconde compte plus d'un millier d'élèves, mais qui sont répartis en différentes sections : design, stylisme, art. Par ailleurs, le nombre d'étudiants en art à St. Martins est à peu près équivalent au nombre d'étudiants de l'ENSBA. Il en est de même pour Goldsmith, qui compte environ 500 étudiants en art, dans un ensemble qui est aussi beaucoup plus vaste. La seule école d'art comparable est celle de Düsseldorf, qui compte 630 étudiants, soit l'étiage moyen de l'ENSBA.
Sur l'internationalisation, je rappellerai que sur nos 29 chefs d'atelier artistes professeurs, on compte 11 étrangers en provenance des cinq continents. De même, nous avons 81 écoles partenaires aux quatre coins du monde. Il y a donc une véritable empreinte internationale de l'école. J'ajoute que son développement extérieur se fera essentiellement par la communication et par une attractivité générale de la ville de Paris. De ce point de vue, il me paraît important de préciser que c'est la taille des villes qui oriente le choix des étudiants, et non un pays. C'est pour cela que nous précisons « École des beaux-arts de Paris », même si c'est une école nationale, car il y a un ancrage dans une histoire, dans une ville.
On parlait tout à l'heure des beaux-arts de Paris comme d'une marque ; c'est tout à fait cela, et il me paraît particulièrement important à cet égard de ne pas céder sur ce qui constitue notre ADN. C'est de cette histoire qu'il faut s'inspirer pour faire entrer l'école dans le 21ème siècle, et ne surtout pas abdiquer notre spécificité, fondée sur cette approche si particulière de la transmission à travers des oeuvres d'art et le contact avec les artistes. Si l'on arrive à revendiquer ce modèle au lieu de penser qu'il est dépassé, je pense que nous aurons tous les atouts pour faire de l'école un établissement pilote pour le 21ème siècle, mais il faut oser le revendiquer, et ne pas en avoir peur.
Je crois que nous avons bien compris les enjeux et les difficultés liés à la volonté de préserver la compétitivité de notre pays dans le domaine culturel, tout en étant en mesure d'ajuster nos charges à nos moyens, de mutualiser, et de bien répartir l'argent public. Cela demande beaucoup d'imagination. Il revient à Michel Orier de conclure.
Le débat a été effectivement riche et permet de mettre en évidence l'ensemble des enjeux qui sont devant nous.
S'agissant de la question centrale de l'attractivité, il convient de maintenir l'identité très forte de chacun de nos établissements tout en mutualisant par ailleurs les coûts qui peuvent l'être pour conserver notre compétitivité. Comme l'a indiqué Nicolas Bourriaud, l'ENSBA dispose, pour son coeur de métier, d'une taille comparable aux écoles des autres pays.
Par ailleurs, l'amélioration de l'attractivité dépasse largement le cadre de l'ENSBA puisqu'elle repose aussi sur des éléments tels que le développement de campus ou encore le coût de la vie pour les étudiants.
Il convient également de ne pas aboutir à une injonction paradoxale. Ainsi, les frais de scolarité à la prestigieuse Julliard School, où je me suis rendu récemment, coûtent 38 000 euros par an, avec un système de bourse qui, bénéficiant à environ 50 % des élèves, ne permet pas de couvrir plus de 20 % de la dépense. Les étudiants doivent également assumer le coût de la vie à New York. Le directeur de cette école regrette aujourd'hui un manque de diversité dans son recrutement.
Nous sommes tous admiratifs des résultats de l'école Central St. Martins, dont les frais de scolarité s'élèvent à 15 000 livres annuelles, et qui a pour particularité d'être adossée au Commonwealth.
Tous ces éléments doivent être pris en compte dans la recherche de l'attractivité de nos écoles.
En réponse à Edmond Hervé, je souhaite indiquer, tout en partageant ses réflexions, que la difficulté pour la circulation des oeuvres ne me semble pas venir des DRAC mais plutôt de la nécessité d'un changement global de culture, où l'échange primerait plutôt que la propriété des oeuvres.
Afin de favoriser l'accès des oeuvres au public, la ministre a notamment souhaité le lancement, à l'automne prochain, d'une manifestation en partenariat avec les entreprises.
Enfin, je précise que l'ENSBA n'a connu que seize directeurs depuis 1863, ce qui traduit une relative stabilité.
C'est différent. Je ne fournissais cette indication que pour l'ENSBA.
Je remercie l'ensemble des intervenants et invite Nicolas Bourriaud à fournir à Yann Gaillard la programmation des futures expositions de l'ENSBA.
La réunion est levée à 11h18.