La commission soumet au Sénat la nomination de M. François-Noël Buffet, Mme Jacqueline Eustache-Brinio, M. Stéphane Piednoir, Mme Dominique Vérien, Mme Marie-Pierre de La Gontrie, Mme Sylvie Robert, M. Thani Mohamed Soilihi, comme membres titulaires, et de M. Albéric de Montgolfier, Mme Jacky Deromedi, M. Max Brisson, M. Laurent Lafon, M. Jean-Pierre Sueur, Mme Maryse Carrère et Mme Éliane Assassi comme membres suppléants de l'éventuelle commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi confortant le respect des principes de la République et de lutte contre le séparatisme.
La commission désigne M. Philippe Bas rapporteur sur le projet de loi n° 4105 (A.N., XVe lég.) relatif à la gestion de la sortie de crise sanitaire, sous réserve de sa transmission.
La commission désigne Mme Catherine Di Folco rapporteur sur la proposition de loi n° 68 (2020-2021) tendant à abroger des lois obsolètes pour une meilleure lisibilité du droit, présentée par M. Vincent Delahaye, Mme Valérie Létard et plusieurs de leurs collègues.
Je vous propose de désigner, d'une part, Mme Jacky Deromedi rapporteur sur la proposition de loi n° 311 pour un meilleur accès des jeunes dans la fonction publique et les entreprises, présentée par Mme Hélène Conway-Mouret et plusieurs de ses collègues, et, d'autre part, Mme Nathalie Goulet rapporteur sur la proposition de loi n° 232 tendant à revoir les conditions d'application de l'article L. 122-1 du code pénal sur la responsabilité pénale des auteurs des crimes et délits, présentée par Mme Nathalie Goulet et plusieurs de ses collègues, et la proposition de loi n° 486 relative aux causes de l'irresponsabilité pénale et aux conditions de réalisation de l'expertise en matière pénale, présentée par MM. Jean Sol, Jean Yves Roux, Mme Catherine Deroche, MM. François-Noël Buffet, Philippe Bas, Bruno Retailleau, Mme Nathalie Delattre et plusieurs de leurs collègues. Je vous informe que la commission des affaires sociales se saisira pour avis de ces deux derniers textes.
N'aviez-vous pas indiqué que, en vertu de la jurisprudence de la commission, ne peut pas être désigné rapporteur un membre du groupe auquel appartient l'auteur de la proposition de loi ? Qui plus est, l'auteur du texte ? Cet argument nous avait été opposé sur un texte précédent. La jurisprudence serait-elle mouvante ?
Par nature, la jurisprudence peut évoluer, mais tel n'est pas le cas ici. Ma position, qui s'appuie sur la pratique de la commission de longue date, est que dès lors qu'une proposition de loi n'a pas de chance d'aboutir, un membre du groupe auteur du texte ne peut être désigné rapporteur. Il s'agit d'éviter un conflit de principe entre la position du rapporteur et celle de la commission
En la circonstance, deux textes sur l'irresponsabilité pénale sont présentés. Sans porter de jugement de valeur, la rédaction issue du travail commun entre la commission des lois et la commission des affaires sociales aboutira sans doute à intégrer l'article unique de la proposition de loi de Mme Goulet dans celle qui est présentée par M. Jean Sol. Par conséquent, Mme Goulet sera donc rapporteur, dans les faits, de ce dernier texte. Il n'y a là aucun contournement de nos principes.
Alors que mon groupe souhaitait que je sois rapporteur du texte présenté par Mme Conway-Mouret, vous avez argué que cela n'était pas conforme à la jurisprudence. Sans mettre en cause quiconque, pourquoi cette même règle n'est-elle pas appliquée en l'espèce ?
Par ailleurs, vous préjugez du rejet d'un texte. Certes, le groupe majoritaire auquel vous appartenez ne sera pas favorable à ce texte, mais le débat n'a pas encore eu lieu, pas plus que nous n'avons examiné les amendements que le rapporteur pourrait présenter... On ne saurait préjuger du vote de la commission !
Permettez-moi de rappeler qu'une proposition de loi présentée par votre groupe, et dont Mme de La Gontrie avait été désignée rapporteure, a été adoptée par la commission et a pu prospérer. Je suis, cependant, attaché au fait qu'un rapporteur ne soit pas mis en situation d'être battu lors de la réunion de commission.
Je ne suis pas d'accord avec cette théorie. En démocratie - et nous sommes dans une instance particulièrement démocratique -, le rapporteur rapporte loyalement le point de vue de la commission. À plusieurs reprises, sur d'autres textes, nous avons entendu le rapporteur préciser que la commission n'avait pas suivi son avis.
- Présidence de Mme Catherine Di Folco, vice-présidente -
La discussion sur ce projet de loi constitutionnelle a pris une tournure quelque peu inhabituelle.
D'ordinaire, notre démarche de législateur consiste d'abord à nous fixer des objectifs ; ensuite, à déterminer les effets juridiques propres à atteindre ces objectifs ; et, enfin seulement, à trouver la rédaction la plus appropriée pour produire ces effets juridiques.
En l'espèce, le Gouvernement nous propose de suivre la démarche inverse. Ayant fortement élagué les propositions de la Convention citoyenne pour le climat qui relevaient de la loi ordinaire ou du règlement, il veut ici se montrer fidèle à la promesse de les transmettre « sans filtre » en vue de leur adoption. C'est pourquoi il nous soumet un projet de révision constitutionnelle dont la rédaction est presque identique à l'une des recommandations de la Convention. Après la troisième phrase du premier alinéa de l'article 1er de la Constitution, serait insérée une phrase ainsi rédigée : « Elle [La France] garantit la préservation de l'environnement et de la diversité biologique et lutte contre le dérèglement climatique. »
Les effets juridiques de cette rédaction sont très incertains, comme l'ont abondamment confirmé nos auditions.
Par voie de conséquence, la discussion s'est focalisée sur le sens des mots choisis par le Gouvernement et l'interprétation que pourraient en donner les juridictions. Au lieu d'être politique, notre débat est sémantique...
Ce débat est, en outre, passablement embrouillé, le Gouvernement lui-même entretenant la confusion sur la portée juridique du texte qu'il propose par des déclarations soit manifestement erronées, soit contradictoires, soit obscures.
Nous sommes tous attachés à la protection de l'environnement, mais nous ne pouvons pas voter un texte à l'aveugle.
Contrairement à ce que prétend le Gouvernement, le projet de révision ne créerait pas de toutes pièces une obligation d'agir pour la protection de l'environnement incombant aux pouvoirs publics. Le droit constitutionnel en vigueur leur assigne déjà de fortes obligations en la matière. Ainsi, le législateur a l'obligation d'assortir de garanties suffisantes le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé, consacré à l'article 1er de la Charte de l'environnement. Par ailleurs, les personnes publiques ont, comme toute autre personne, le devoir de prendre part à la préservation et à l'amélioration de l'environnement, prévu à l'article 2 de la Charte. Enfin, les pouvoirs publics ont l'obligation de mettre en oeuvre l'objectif de valeur constitutionnelle de protection de l'environnement en tant que patrimoine commun des êtres humains, dégagé par le Conseil constitutionnel du préambule de la Charte.
À ce propos, je me dois d'indiquer que le Gouvernement a tort d'affirmer qu'un objectif de valeur constitutionnelle n'emporte aucune obligation.
Comme cela a été fermement établi par la doctrine, à la lumière de la jurisprudence constitutionnelle et administrative, les objectifs de valeur constitutionnelle ont pleine valeur normative : ils ont à la fois une fonction d'obligation, d'interdiction et de permission. Les pouvoirs publics ont notamment l'obligation de « mettre en oeuvre », de « réaliser » ou de « contribuer à la réalisation » de ces objectifs, selon les termes du Conseil constitutionnel.
Il me semble également important d'insister sur le fait que la portée juridique d'une obligation dépend non seulement de son contenu, mais aussi de sa justiciabilité.
La Constitution, je l'ai dit, assigne déjà de fortes obligations aux pouvoirs publics en matière de protection de l'environnement. Toutefois, le législateur n'est pas placé à cet égard dans la même position que les autorités administratives nationales ou locales.
Le contrôle juridictionnel du respect, par le législateur, de ses obligations constitutionnelles est limité. Le Conseil constitutionnel n'exerce son contrôle que lorsqu'il est saisi d'une loi, et la seule sanction qu'il est habilité à prononcer - la déclaration d'inconstitutionnalité - consiste à empêcher une loi d'entrer en vigueur ou à imposer sa sortie de vigueur. En revanche, il ne dispose d'aucun pouvoir d'injonction qui lui permettrait de sanctionner une carence du législateur, et il n'est pas non plus habilité à condamner l'État à réparer les dommages causés par son action ou son inaction.
Ce constat doit néanmoins être relativisé. En effet, d'une part, le Conseil constitutionnel parvient à sanctionner indirectement les carences du législateur en contrôlant que celui-ci a épuisé sa compétence et qu'en modifiant l'état du droit il n'a pas privé de garanties légales des exigences constitutionnelles. D'autre part, l'application d'une loi déclarée inconstitutionnelle par le Conseil engage désormais la responsabilité de l'État devant la juridiction administrative.
Par ailleurs, le juge administratif est pleinement en mesure d'assurer le respect des principes constitutionnels par les autorités administratives.
Ces mises au point étant faites, il nous reste à examiner si, oui ou non, l'obligation assignée aux pouvoirs publics par les nouvelles dispositions proposées va au-delà des obligations qui leur incombent d'ores et déjà.
Le Gouvernement prétend d'abord que son texte faciliterait l'engagement de la responsabilité des personnes publiques, notamment l'État et les collectivités territoriales, en mettant à leur charge une « quasi-obligation de résultat ». Cela résulterait en particulier de l'usage du verbe « garantir ».
Le Gouvernement s'abrite ici derrière l'avis du Conseil d'État. Mais si le Conseil d'État a lui-même employé cette expression, ce n'est pas pour fixer l'interprétation des dispositions proposées, mais, au contraire, pour en souligner le caractère incertain. La notion de « quasi-obligation de résultat » n'a jamais été définie en droit.
En droit civil comme en droit administratif, le mot « garantie » est employé pour désigner des dispositifs juridiques très divers, mais qui visent tous à prémunir contre un risque : ces dispositifs visent à assurer à une ou plusieurs personnes, pour le cas où un événement préjudiciable surviendrait, la réparation du préjudice qui en résulterait, en palliant les insuffisances des règles de responsabilité contractuelle ou extracontractuelle de droit commun.
Par exemple, en droit des contrats, « l'obligation de garantie » va au-delà de « l'obligation de résultat », puisque le débiteur ne peut même pas s'exonérer en cas de force majeure.
Du point de vue de la responsabilité des personnes publiques, les dispositions proposées par le Gouvernement se prêtent ainsi à trois interprétations principales.
Selon une première interprétation, l'État et les autres personnes publiques s'obligeraient à réparer tout dommage causé à l'environnement ou à la diversité biologique, quelle qu'en soit la cause. L'institution d'une telle garantie, au sens propre du terme, serait aberrante, les personnes publiques françaises n'ayant tout simplement pas les moyens de l'assumer.
Selon une deuxième interprétation, l'État et les autres personnes publiques s'obligeraient à réparer tout dommage de leur fait ou qu'ils auraient pu empêcher. Cet objectif n'est que partiellement satisfait par le droit en vigueur, puisque les obligations issues de la Charte de l'environnement doivent aujourd'hui être conciliées - j'insiste sur cette notion de conciliation - dans l'action des pouvoirs publics avec les autres exigences constitutionnelles ou d'intérêt général.
Selon une troisième interprétation, l'État et les autres personnes publiques s'obligeraient à réparer tout dommage causé par un manquement à l'obligation de ne rien faire qui porte atteinte à l'environnement et de faire tout ce qui est en leur pouvoir pour empêcher qu'il lui soit porté atteinte, sous réserve des autres exigences constitutionnelles et d'intérêt général. Un tel objectif est, cette fois, pleinement satisfait par le droit en vigueur, sous la seule réserve des limites fixées au contrôle juridictionnel d'éventuelles carences du législateur.
La même incertitude peut être observée en ce qui concerne les effets de la rédaction proposée sur la validité des actes des pouvoirs publics, c'est-à-dire sur le contrôle de constitutionnalité des lois et le contrôle de légalité des actes administratifs.
Les principes constitutionnels relatifs à la protection de l'environnement sont susceptibles d'entrer en conflit avec d'autres exigences constitutionnelles ou d'intérêt général, auquel cas il appartient au législateur et, dans leur domaine de compétence, aux autorités administratives de les concilier, sous le contrôle du juge. L'article 6 de la Charte de l'environnement pose, en outre, un principe spécial de conciliation entre la protection et la mise en valeur de l'environnement, le développement économique et le progrès social, conformément à une définition englobante du développement durable.
Quelle serait, à cet égard, l'incidence du projet de loi constitutionnelle ?
Le Gouvernement déclare que l'un des objectifs du texte est de « rehausser la place de la préservation de l'environnement dans notre Constitution », mais il précise par ailleurs que « rehaussement ne signifie pas hiérarchie ». « Le Gouvernement n'entend pas introduire une échelle de valeurs entre les principes constitutionnels qui, demain comme hier, seront tous de valeur égale. » Il ne nous aide pas à y voir clair...
En réalité, il convient de distinguer deux formes de hiérarchie matérielle entre des normes : la priorité d'une norme sur l'autre, au sens où la seconde ne peut recevoir un commencement d'application qu'à condition que la première soit intégralement satisfaite ; la prépondérance d'une norme sur l'autre, au sens où il est donné plus de poids à la première qu'à la seconde dans leur conciliation.
En l'état du droit, il n'existe effectivement aucun ordre de priorité entre les principes de fond posés par la Constitution. En revanche, il serait aventureux d'affirmer qu'aucun de ces principes n'a plus de poids que les autres. La doctrine s'est souvent essayée à dégager une liste de droits, libertés ou autres principes de premier rang, bénéficiant d'une protection renforcée du juge constitutionnel. L'intensité du contrôle de proportionnalité opéré par le Conseil constitutionnel varie, par exemple, selon le principe auquel il est porté atteinte.
Si l'on en croit les déclarations entendues, le projet de révision aurait seulement pour objectif de « donner plus de poids » au principe de préservation de l'environnement par rapport aux autres normes constitutionnelles. Cela résulterait de son inscription à l'article 1er de la Constitution, de l'emploi de « verbes d'action forts » et de l'adoption éventuelle de cette révision constitutionnelle par référendum. Ces différentes considérations sont tout à fait hasardeuses.
En revanche, l'usage du verbe « garantir » peut laisser à penser que les pouvoirs publics se verraient imposer non pas seulement une obligation constitutionnelle plus forte, mais une obligation prioritaire. Lors de son audition, le professeur Bertrand Mathieu s'est plus particulièrement interrogé sur l'articulation des nouvelles dispositions avec l'article 6 de la Charte de l'environnement. Selon lui, le fait que la « conciliation des objectifs environnementaux, sociaux et économiques » ne soit pas mentionnée pourrait éventuellement « conduire le juge constitutionnel à glisser d'une conciliation à une hiérarchisation ».
Nous ne pouvons pas accepter de voter un texte dont les effets juridiques sont aussi incertains. Cela reviendrait, pour le Parlement agissant en tant que Constituant, à se défausser entièrement sur le juge du soin de déterminer la portée des nouvelles dispositions.
C'est pourquoi je propose de retenir la rédaction suggérée par le Conseil d'État, qui supprime toute référence à la notion de garantie, dont le sens est ici beaucoup trop flou, et qui remplace le verbe « lutter » par le verbe « agir ». Cela ne change rien au fond, mais c'est plus sobre d'un point de vue rhétorique. La préservation des équilibres climatiques mérite mieux que des effets de manche.
Il faudrait également préciser que le principe ainsi énoncé à l'article 1er de la Constitution s'applique dans les conditions prévues par la Charte de l'environnement, afin d'éviter tout problème d'articulation entre les deux textes.
Mon amendement vise donc à rédiger ainsi l'article unique : « Elle préserve l'environnement ainsi que la diversité biologique et agit contre le dérèglement climatique, dans les conditions prévues par la Charte de l'environnement de 2004. »
La commission de l'aménagement du territoire et du développement durable a adopté le même amendement hier. L'introduction dans la Constitution des références à la diversité biologique et au dérèglement climatique a une valeur symbolique et politique forte. Mais nous partageons l'analyse de votre rapporteur quant aux risques juridiques. La Charte de l'environnement, fondée sur la conciliation et non la hiérarchisation, est équilibrée.
Je souscris totalement aux analyses, aux conclusions et à la proposition du rapporteur, qui n'a rien laissé dans l'ombre.
Que reste-t-il de ce projet de révision constitutionnelle une fois que l'on en a retiré le venin ? On peut se le demander... Néanmoins, cet amendement est un témoignage de bonne volonté. Il répond aussi à une exigence politique : marquer la préoccupation que doit exprimer le Sénat pour la protection de la planète. Et puisque le marqueur politique ultime, aujourd'hui, consiste à ajouter une nouvelle disposition aux principes fondamentaux de la Constitution, pourquoi pas.
Toutefois, je retiendrai de cet épisode une nouvelle manifestation du cynisme en politique. Tout s'est effectué au mépris du fonctionnement normal des institutions démocratiques. L'affirmation selon laquelle les membres de la prétendue Convention citoyenne, sorte de « comité de salut public 3.0 », auraient été tirés au sort est mensongère. Ils ont été sélectionnés conformément aux méthodes en vigueur dans les organismes de sondages : des catégories plus ou moins représentatives de la population ont été déterminées, et c'est seulement au sein de chacune d'elles que le hasard est intervenu. D'ailleurs, la plupart des personnes sollicitées se sont récusées. Du point de vue de la représentativité, cette instance relève d'une véritable imposture. L'autoproclamation de légitimité de ses membres est un scandale démocratique.
Le Président de la République, à l'origine de ce processus toxique pour le fonctionnement de la démocratie, avait dit que les propositions de la Convention seraient reprises sans filtre. C'est en effet le cas. Pour un chef d'État, reprendre sans filtre les propositions d'une instance illégitime et les introduire dans le texte constitutionnel est une véritable abdication. Ne pas défendre les principes fondamentaux du fonctionnement des institutions républicaines illustre une totale abolition de l'esprit critique.
Notre réunion d'aujourd'hui marque le retour au fonctionnement normal des institutions. En prévoyant que notre texte fondamental ne pourrait pas être révisé sans un vote préalable des deux assemblées, le Constituant de 1958 a fait preuve de discernement. En outre, le Sénat est une assemblée libre, indépendante, non alignée. Notre responsabilité est essentielle. Nous devons brandir haut et fort notre drapeau, celui de la défense des principes de la République.
Quelle politique écologique voulons-nous ? Une écologie dogmatique, de la décroissance, qui fait prévaloir la préservation de l'environnement sur toute autre considération, dont le développement économique et le progrès social ? Ou une politique de développement durable, défini à l'article 6 de la Charte de l'environnement comme la conciliation entre la protection de l'environnement, le développement économique et le progrès social ? Si nous voulons rompre avec cette recherche d'équilibre, prenons le texte du Gouvernement et acceptons le saut dans l'inconnu consistant à remettre les clés du pouvoir législatif en matière d'environnement au Conseil constitutionnel. C'est l'écologie radicale, l'écologie de la décroissance, qui triomphera.
Au-delà du débat juridique, alors que la question du réchauffement climatique est devenue prégnante, c'est à ce niveau-là qu'il faut situer l'enjeu.
La jurisprudence du Conseil constitutionnel est constante depuis 1971. Les principes constitutionnels ne sont pas hiérarchisés mais doivent être conciliés.
La Constitution de 1958 repose sur un équilibre subtil : le texte est rigide dans sa révision, mais souple dans son interprétation. Il a su intégrer un certain nombre de réformes structurelles : décentralisation, construction européenne, etc. Cet équilibre subtil ne doit pas être remis en cause, même si - nous en sommes tous convaincus ici - la protection de l'environnement est un enjeu fondamental. Je me félicite de la solution retenue par le rapporteur.
On a laissé entendre que la Charte de l'environnement ne pouvait pas servir de base à des questions prioritaires de constitutionnalité (QPC). Est-ce bien le cas ?
La protection de l'environnement fait déjà partie du bloc de constitutionnalité. Nombre de constitutionnalistes s'interrogent sur l'apport que pourrait représenter la révision proposée. Elle ne serait opérationnelle qu'en cas de changement de hiérarchie des normes juridiques, mettant en cause le principe de conciliation visé à l'article 6 de la Charte de l'environnement. Ce serait extrêmement périlleux.
La rédaction proposée par le rapporteur, qui s'inscrit dans une logique de conciliation même si le mot n'est pas employé, présente plusieurs avantages.
D'abord, la société occidentale s'est construite selon une logique de progrès scientifique, social et économique. La croissance doit être durable. N'instituons pas une hiérarchie des règles juridiques qui pourrait nous conduire à un modèle de décroissance.
Ensuite, la proposition du rapporteur permet d'en rester aux droits de la personne humaine. La conception occidentale donne une définition strictement individuelle à nos droits, là où d'autres pensent que la notion de droit doit être interprétée de manière collective : il existerait des droits « subjectifs » et des droits « objectifs ». La conception française est à l'évidence une conception de droits subjectifs. Si des droits objectifs, ceux de l'environnement, devenaient supérieurs aux droits subjectifs, notamment les droits de l'homme, ce serait une modification complète de notre conception, voire un danger pour la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.
J'ai trouvé l'intervention de Philippe Bas consternante. Si certaines questions sur la représentativité de la Convention citoyenne sont légitimes, considérer que les citoyens, une fois correctement informés, ne seraient pas suffisamment intelligents pour élaborer collectivement des orientations me semble relever d'une conception pour le moins curieuse de la démocratie.
En revanche, je rejoins certaines des remarques de forme. La tactique politique du Gouvernement nous éloigne beaucoup du fond. Lors de nos auditions, je songeais à la formule de Jean Giraudoux selon laquelle le droit est « la plus puissante des écoles de l'imagination ».
Nous nous sommes focalisés sur un débat de pharisiens, en nous interrogeant sur les termes, et non sur le fond. Monsieur le rapporteur, vous avez omis de mentionner Dominique Rousseau qui, lors de son audition, avait insisté sur l'autonomie des significations entre les différents versants du droit. La portée du verbe « garantir » n'est pas la même en droit constitutionnel, en droit civil ou en droit pénal.
D'autres personnes auditionnées ont souligné l'intérêt qu'il y aurait à voter cette révision essentiellement symbolique pour placer la France parmi les pays du Nord qui affichent une nouvelle volonté en matière de lutte contre le dérèglement climatique.
En fait, ce n'est pas nous qui sommes directement concernés par ce texte. La question est simple : voulons-nous ou non laisser les Français s'exprimer ? Les priver de cette parole putative est un choix politique.
Vous avez indiqué vouloir corriger des difficultés qui viendraient du texte du Gouvernement. Mais comme vous avez repris les termes « préserver » et « agir », nous allons retomber dans les mêmes débats sémantiques.
La Charte de l'environnement est-elle suffisante ? Regardons autour de nous, écoutons les personnes que nous avons auditionnées et observons la disparition de la biodiversité. Manifestement, au-delà des protections qui existent, les textes ne sont pas assez forts. Perdre de vue la finalité serait une erreur.
Notre groupe regrette que la notion de « biens communs » ne soit pas prise en compte dans le cadre du projet de révision constitutionnelle. Cette notion correspond à une vision universaliste du développement en France et dans le monde.
J'ai également été un peu choquée par les propos de Philippe Bas. La Convention citoyenne, quoi que l'on en pense, a tout de même produit des idées pertinentes. Ce que l'on peut regretter, c'est l'utilisation politicienne qui en a été faite par le Président de la République, suscitant d'ailleurs la colère de nombreux membres.
Selon le Gouvernement, la modification de l'article 1er de la Constitution instaure un principe d'action positif. En réalité, ce texte n'apportera rien à l'existant. Aucune obligation de résultat ne pèsera sur les pouvoirs publics. Il s'agit donc d'une mention inutile, la Charte de l'environnement ayant déjà - cela a été rappelé - une valeur constitutionnelle. Je pourrais également évoquer la jurisprudence du Conseil constitutionnel ou les engagements internationaux de la France, sur lesquels se fonde, par exemple, le recours administratif contre l'État pour carence fautive dans ce que l'on a appelé « l'affaire du siècle ».
L'opposition entre les verbes « garantir » et « favoriser » est un faux débat. D'autres évolutions constitutionnelles ou législatives auraient pu avoir un effet réel et direct pour la protection de l'environnement et la lutte contre le changement climatique. La Charte de l'environnement pourrait être complétée par les principes de « solidarité écologique », d'« utilisation durable des ressources » et, surtout, de « non-régression ».
L'amendement du rapporteur ne me convient donc pas plus que le texte original. Face à l'urgence climatique et à la défense du climat, nous sommes loin du compte.
Si je partage les réticences du rapporteur quant au projet de révision constitutionnelle, je ne peux que constater que le texte qu'il nous propose est une aporie. Il y est indiqué qu'il faut préserver l'environnement, conformément à la Charte de l'environnement. Or celle-ci a déjà valeur constitutionnelle. Quel est l'intérêt d'inscrire dans la Constitution qu'une disposition à valeur constitutionnelle s'applique ? Je suis sceptique sur cette rédaction.
Nous sommes, je le crois, tous d'accord sur un point : notre planète est en danger, et il faut la préserver. Si les dispositions actuelles étaient suffisantes, cela se saurait. Il faut donc aller plus loin et tenter une action forte. C'est l'objectif du présent projet de révision constitutionnelle.
Ce texte reprend une proposition de la Convention citoyenne pour le climat approuvée par une large majorité de ses membres. Le Président de la République s'était engagé à donner suite aux travaux de celle-ci, qui ont constitué la première étape. Nous sommes en train de travailler sur la deuxième. La troisième serait, le cas échéant, le référendum. Beaucoup de nos concitoyens manifestent pour avoir la parole. Il est important de la leur donner. Le processus n'est peut-être pas parfait, mais c'est une manière supplémentaire d'engager les citoyens dans une démarche démocratique.
La préservation de l'environnement deviendrait un principe constitutionnel, et non plus seulement un objectif à valeur constitutionnelle. Un principe d'action positif des pouvoirs publics en faveur de l'environnement serait instauré, et le dérèglement climatique explicitement mentionné dans la Constitution.
Si l'emploi du verbe « garantir » ne fait pas consensus, le Gouvernement a retenu une position médiane. Comme cela a été rappelé durant nos auditions, le terme figure déjà à l'article 11 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, en vertu duquel la Nation « garantit à tous, notamment à l'enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs ».
Le projet de révision constitutionnelle est à nos yeux équilibré. Nous n'irons pas dans le sens suggéré par le rapporteur, malgré le brio de son analyse.
Mon sentiment est mitigé. Tout le monde prétend avoir conscience que la planète est en danger et qu'il faut la sauver, ce qui est une nouveauté. Mais quels moyens mettons-nous en oeuvre pour sauver la planète ? Nous refusons d'admettre qu'il y a des priorités et de prendre les mesures nécessaires.
Nous devrions laisser les citoyens débattre et se prononcer par référendum. Or nous allons les en empêcher, au nom d'arguments sémantiques.
Philippe Bas a raison de parler de cynisme politique. Mais le cynisme est partagé : le Président de la République a voulu faire un instrument politique de ce texte, et d'autres font de même aujourd'hui.
Il y aurait plusieurs écologies. Pour ma part, je n'en connais qu'une : celle qui permet à la fois le développement économique, le progrès social et la sauvegarde de la planète. Certains invoquent l'épouvantail de la décroissance sans préciser de quelle croissance il s'agit. Nous sommes tous pour la décroissance des émissions de gaz à effet de serre ou de l'utilisation d'énergies fossiles.
En fait, il y a une sorte de peur du changement.
Nous ne voterons pas l'amendement du rapporteur. La modification de l'article 1er de la Constitution est une nécessité à la fois juridique et symbolique.
Lors de son audition, Bertrand Mathieu a indiqué que l'emploi du verbe « garantir » ne changeait pas la nature des protections constitutionnelles. Éric Kerrouche a rappelé les propos de Dominique Rousseau sur l'utilisation de ce verbe en droit. Et, comme l'a souligné Thani Mohamed Soilihi, le terme figure déjà dans le Préambule de 1946. Faisons confiance au juge pour arbitrer entre plusieurs principes constitutionnels.
Malgré le cynisme, malgré l'épouvantail de la décroissance, malgré la peur du changement, il est nécessaire de proposer aux citoyens français de passer à une étape supérieure. Ajouter dans la Constitution une garantie de préserver la planète et de lutter contre le dérèglement climatique y contribuera.
Il est indispensable de respecter l'exercice démocratique, dont l'acte de référendum. Il ne faut pas instrumentaliser les citoyens sous prétexte de leur demander leur avis. On ne peut pas se satisfaire que le Gouvernement retienne aujourd'hui certaines propositions de la Convention, organise un référendum sur l'une d'elles et balaye les autres d'un revers de main.
Il existe une urgence climatique, environnementale, comme il existe une urgence en matière d'égalité sociale. Il ne suffit pas d'écrire une chose dans la Constitution pour qu'elle devienne réalité.
L'ajout d'une phrase à l'article 1er de la Constitution répond à une aspiration un peu populiste. Elle permet de contenter certains, et ceux qui dirigeront demain le pays pourraient s'en satisfaire pour ne pas agir plus contre le dérèglement climatique. Or il existe déjà des moyens d'agir, dont la Charte de l'environnement.
L'article 11 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 dispose que la Nation garantit aussi les « loisirs ». Peut-on se gargariser de garantir constitutionnellement les loisirs quand nombre de familles ont du mal à nourrir leurs enfants dès le 10 du mois ?
La manoeuvre du Président de la République et du Gouvernement, qui consiste à utiliser le référendum à des fins peu respectueuses du pacte démocratique, ne changera rien en matière d'environnement et de climat si la volonté politique n'est pas au rendez-vous.
Nous pourrions parler longuement de la différence entre droits réels et droits formels, selon la formule de Karl Marx...
Il faut ici distinguer le texte et le contexte.
Le texte, c'est un projet de révision constitutionnelle voté par l'Assemblée nationale avec beaucoup d'abstentions dans tous les groupes, signe que les interrogations de fond et de forme étaient nombreuses. Ce texte est imparfait, mais nous ne sommes pas certains que la rédaction proposée par le rapporteur soit meilleure. Nous ne participerons donc pas au vote de ce matin. Le 10 décembre dernier, notre groupe défendait une proposition de révision constitutionnelle relative à la préservation des biens communs. Seuls quatre-vingt-douze sénatrices et sénateurs, tous de la gauche de l'hémicycle, ont voté ce texte. Cela montre aussi les limites de l'engagement des uns et des autres.
Le contexte est celui d'un piège tendu par le Président de la République, qui a annoncé vouloir interroger les Français sur cette révision constitutionnelle, suggérant que, s'il n'y avait pas de référendum, ce serait à cause de l'obstruction du Sénat. Je trouve regrettable de faire de la tactique électorale sur de tels sujets.
Nous devons nous interroger sur le vote que nous émettrons en séance. Un enjeu aussi grave mérite bien mieux qu'une certaine forme de tambouille politique.
Nous sommes saisis d'un texte dont nous n'avons pas pris l'initiative. Nous avons le devoir de nous positionner.
Les auditions que nous avons menées ont mis en lumière les divergences d'opinion quant à la rédaction proposée. Elles ont surtout montré à quel point l'interprétation à donner du verbe « garantir » est douteuse. La décision que nous devons prendre dans ce contexte est d'autant plus importante qu'il s'agit de modifier la Constitution. Je me refuse, pour ma part, à constitutionnaliser le doute, en cherchant à concilier le symbole et le droit ! Il faut se départir de la mode consistant à utiliser la Constitution comme un outil de communication.
Le verbe « garantir », je l'ai dit, est porteur d'insécurité juridique. Il risque notamment d'introduire une forme de hiérarchisation entre différents principes constitutionnels. Nous devons trouver une rédaction permettant de réaffirmer notre volonté de préserver l'environnement, objectif auquel nous souscrivons sous réserve du respect du principe de conciliation figurant à l'article 6 de la Charte de l'environnement.
Madame Canayer, l'article 1er de la Charte de l'environnement, qui consacre le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé, est invocable en QPC. Il en va de même de plusieurs autres dispositions de la Charte, qui constituent le corollaire de ce droit.
J'ai essayé de faire en sorte de ne pas nous engager dans une aventure juridique contraire à l'objectif d'équilibre entre préservation de l'environnement, développement économique et progrès social. L'introduction d'une référence au climat dans la Constitution est une véritable avancée.
EXAMEN DE L'ARTICLE UNIQUE
Je rappelle que, dans le cadre de l'examen d'un projet de loi constitutionnelle, la commission saisie au fond n'établit pas le texte. C'est donc le texte du Gouvernement qui sera examiné en séance, même si nous adoptons l'amendement.
Le groupe socialiste, écologiste et républicain ne prendra pas part au vote.
L'amendement LOIS.1 est adopté.
- Présidence de M. François-Noël Buffet, président -
Dans quelques jours, les présidents des sept commissions permanentes de notre assemblée procéderont à l'audition de la Secrétaire générale du Gouvernement dans le cadre du bilan annuel de l'application des lois. Comme il est d'usage, je souhaite auparavant évoquer avec vous les principales caractéristiques de l'application des lois que nous avons été amenés à examiner au fond cette année. Cet exercice traditionnel vise à opérer une vérification approfondie de l'adéquation entre les mesures législatives que nous votons et les mesures d'application que le Gouvernement a l'obligation de prendre.
Ainsi, 23 lois promulguées au cours de l'année parlementaire 2019-2020 ont été examinées au fond par la commission des lois, ce qui représente 55 % de l'ensemble des lois promulguées, hors traités et conventions internationales, soit le niveau le plus élevé, cette année encore, de l'ensemble des commissions permanentes et une proportion équivalente aux années parlementaires précédentes.
Il faudrait ajouter à ce total, pour bien prendre la mesure de notre charge de travail, les textes examinés qui n'ont pas été promulgués au cours de la période, c'est-à-dire un projet de loi qui a donné lieu à une loi promulguée après le 30 septembre 2020, une proposition de loi qui a été rejetée en séance publique et 8 propositions de loi en instance d'examen à l'Assemblée nationale soit, au total, 33 textes législatifs au cours de l'année parlementaire 2019-2020.
Au-delà des statistiques, le bilan de l'application des lois est l'occasion de nous pencher, au moins une fois par an, sur les conditions d'examen des textes qui, n'étant pas toujours dictées par une situation d'urgence avérée, impliquent une grande réactivité du Parlement. Dans ces conditions, le moins que l'on puisse attendre est donc que le Gouvernement mette la même urgence à prendre les mesures d'application réglementaires qui s'imposent. C'est particulièrement vrai pour la période 2019-2020 : 7 des 23 textes que nous avons examinés étaient des projets de loi directement ou indirectement liés à l'état d'urgence sanitaire, et ils ont été examinés dans des délais restreints et des conditions particulièrement dégradées.
De ces 23 lois, 17 ont été adoptées après engagement de la procédure accélérée. La navette parlementaire des 12 projets de loi examinés au fond par la commission des lois en 2019-2020 s'est achevée en moyenne en 56 jours. Les 7 projets de loi consécutifs à la situation sanitaire examinés en 2019-2020 l'ont été en 18 jours en moyenne, et il s'agit bien de la totalité de la navette, qui a laissé parfois au Sénat des délais beaucoup plus contraints encore.
Ce raccourcissement des délais de la procédure parlementaire ne saurait se généraliser, la qualité de la loi nécessitant un délai d'examen suffisant pour mener à bien les travaux préparatoires destinés, autant que faire se peut, à mieux nous éclairer sur les effets induits par les réformes engagées.
Cette donnée doit être croisée avec la tendance de plus en plus forte des gouvernements successifs à recourir aux ordonnances plutôt qu'à une navette législative ordinaire : le recul partiel du Gouvernement dans la détermination de l'ordre du jour législatif des assemblées du fait de la réforme constitutionnelle de 2008 ne doit pas masquer l'augmentation du nombre de mesures adoptées par voie d'ordonnances, et ne traduit donc pas nécessairement un renforcement global des pouvoirs législatifs du Parlement. De 2012 à 2018, si l'on fait exception des lois mentionnées à l'article 53 de la Constitution qui visent à la ratification d'un traité, ont été adoptées davantage d'ordonnances que de lois par la procédure ordinaire. Marc Fesneau, ministre des relations avec le Parlement, l'avait d'ailleurs confirmé, en juin 2019, lors du débat annuel sur l'application des lois au Sénat : « De 2012 à 2018, pour 346 lois votées, 350 ordonnances ont été publiées ».
Le processus législatif ordinaire n'est donc paradoxalement plus le principal mécanisme d'adoption des textes, et la période d'urgence sanitaire a malheureusement accentué cette tendance : sur l'année parlementaire 2019-2020, parmi les 23 lois promulguées examinées au fond par notre commission, 3 habilitaient le Gouvernement à légiférer par voie d'ordonnance, conférant au Gouvernement un total de 66 habilitations, dont 59 ont été utilisées, donnant lieu à la publication de 74 ordonnances.
À cet égard, la commission des lois s'est toujours efforcée, soit de substituer aux habilitations demandées par le Gouvernement des modifications directes des dispositions législatives, soit à tout le moins de les encadrer strictement, afin que la faculté accordée au pouvoir réglementaire d'intervenir dans le domaine de la loi ne constitue pas un blanc-seing. Notre position n'a malheureusement pas toujours été suivie par l'Assemblée nationale, lorsque celle-ci adoptait les textes après lecture définitive.
Au 31 mars 2021, sur ces 23 lois, 17 étaient entièrement applicables : 11 d'application directe et 6 devenues pleinement applicables. Six d'entre elles appellent donc encore des mesures d'application. Certains constats se renouvellent d'année en année.
En premier lieu, le niveau d'activité de notre commission ne faiblit pas. Notre commission a examiné au fond, au total, 33 textes législatifs au cours de l'année parlementaire 2019-2020. Ajouter à cette activité législative l'ensemble de nos travaux de contrôle, qui portent sur des sujets particulièrement variés, donne la mesure de notre charge de travail...
Au 31 mars 2021, 25 des 97 mesures d'application prévues par les 23 lois promulguées entre le 1er octobre 2019 et le 30 septembre 2020 et envoyées au fond à la commission des lois n'avaient pas été prises, soit un quart.
Le taux de mise en application des textes sur la période de référence, c'est-à-dire le ratio entre le nombre de mesures d'application attendues et le nombre de mesures prises, s'établit donc cette année à 74 %. Incontestablement, il est supérieur au taux particulièrement insatisfaisant de 49 % constaté l'an dernier, même si son appréciation doit être fortement nuancée : d'une part, il ne traduit pas l'aspect qualitatif des mesures prises ; de l'autre, a contrario, une loi peut être applicable pour l'essentiel même si des mesures d'application secondaires n'ont pas été prises. C'est particulièrement vrai cette année, où 31 mesures prévues par des lois promulguées en 2019-2020 examinées au fond par notre commission n'ont pas été directement comptabilisées dans les mesures attendues - soit en raison de leur caractère éventuel, soit parce que leur parution n'était pas jugée nécessaire pour permettre l'application de la disposition législative afférente.
Enfin, l'inflation législative, mal bien connu que nous dénonçons régulièrement, est restée forte. Le coefficient multiplicateur des textes, c'est-à-dire le rapport entre le nombre d'articles en fin et en début de navette, est particulièrement révélateur de cette tendance : en 2019-2020, les 23 lois promulguées comportaient au total 369 articles contre 134 en début de navette, soit une multiplication par 2,75. La loi Engagement et proximité du 27 décembre 2019 compte par exemple 118 articles dans sa version définitive, contre 28 dans le projet de loi initial.
Au-delà des données chiffrées, je souhaite attirer votre attention sur deux textes, parmi les 23 qui relevaient de la compétence de notre commission, demeurés entièrement inapplicables au 31 mars : la loi du 3 juillet 2020 visant à créer le statut de citoyen sauveteur, lutter contre l'arrêt cardiaque et sensibiliser aux gestes qui sauvent et la loi du 24 juillet 2020 visant à encadrer le démarchage téléphonique et à lutter contre les appels frauduleux. Après plus de huit mois, aucun des décrets prévus dans ces deux textes, pourtant issus de propositions de loi déposées par des députés membres de groupes soutenant le Gouvernement, n'avait été pris à l'issue des délais impartis.
Je regrette également que la loi du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales ne soit toujours pas pleinement applicable. C'est très ennuyeux, compte tenu de l'importance du sujet.
Peut-être certains des rapporteurs des lois concernés - qui sont aussi rapporteurs de leur application - ont-ils des précisions à apporter ?
Le projet de loi relatif à l'engagement dans la vie locale et la proximité de l'action publique, que Françoise Gatel et moi-même avons rapporté en 2019, a été considérablement enrichi par le Sénat, qui a partiellement pallié son manque de souffle initial.
Néanmoins, en écho aux propos du président, nous regrettons que certains de nos ajouts se trouvent dépourvus de portée réelle, les mesures réglementaires prévues pour leur application n'ayant toujours pas été prises. Certes, la crise sanitaire n'y est pas étrangère.
Je pense au décret du 14 juillet 2021, pris pour l'application de l'article 11 de la loi, relatif à la tenue par téléconférence des réunions du conseil communautaire dans les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre. Son application effective a été entravée par la coexistence d'un régime ad hoc concurrent de tenue par téléconférence des réunions des organes délibérants de l'ensemble des collectivités territoriales. Instauré par une ordonnance prise dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, ce régime transitoire a vu son application prorogée par la loi du 14 novembre 2020 jusqu'à la sortie de l'état d'urgence sanitaire. Par conséquent, la disposition législative que nous avons votée dans la loi Engagement et proximité se trouve dans la situation paradoxale d'être applicable... mais effectivement inappliquée !
Sept autres dispositions du texte demeurent, pour leur part, dépourvues de toute mesure réglementaire prise pour leur application. J'attire votre attention sur trois d'entre elles. L'un des points majeurs du texte, la création de commissions municipales des débits de boissons, prévue à l'article 45 de la loi, n'est pas pleinement applicable faute d'un décret en Conseil d'État. C'est également le cas des dispositions relatives à la mutualisation intercommunale des gardes champêtres, prévues à l'article 63, sur lesquelles nous avions beaucoup insisté, qui ne sont pas applicables pour la même raison.
Enfin, l'article 118, qui prévoit la création d'un droit de préemption pour la préservation des ressources en eau destinées à la consommation humaine, reste inappliqué. Nous comprenons de nos échanges avec le Secrétariat général du Gouvernement que le Conseil d'État, jugeant la constitutionnalité de ces dispositions problématique, a invité le Gouvernement à repousser la prise du décret prévu pour son application et à élaborer, dans l'attente, un projet de loi garantissant leur constitutionnalité. De telles manoeuvres sont inacceptables ! En l'absence de contrôle de constitutionnalité, ces dispositions adoptées par le législateur restent en vigueur et doivent être rendues applicables sans délai.
Je ferai enfin usage de la liberté de ton à laquelle le président nous invite pour évoquer le principe de subdélégation de la compétence eau et assainissement. Nous avions alerté le Gouvernement sur la complexité de sa mise en oeuvre pour les petites communes ; la suite nous a donné raison.
Le président a évoqué le caractère ingrat de ce travail, qui n'en est pas moins important. Nous avons parfois l'impression que notre activité de législateur se perd dans les méandres et recoins ; il nous appartient toutefois de rappeler l'importance du suivi de l'application des lois... L'inflation du projet de loi Engagement et proximité évoqué par le Président dans son propos introductif s'explique principalement par l'indigence du texte initial.
Je souhaite évoquer les habilitations à légiférer par ordonnances consenties dans ce projet de loi et que, traditionnellement, le Sénat n'aime pas beaucoup puisqu'elles nous privent de notre rôle ; d'où l'intérêt de les suivre de près par la suite. L'usage qu'en a fait le Gouvernement dans la loi Engagement et proximité est un échantillonnage de pratiques qui ne peuvent que s'améliorer...
En premier lieu, nous déplorons que le Gouvernement n'ait pas utilisé une habilitation à légiférer par ordonnance que nous lui avions consentie sur un sujet très important pour les collectivités : les conditions d'exercice de l'activité et d'exploitation des débits de boissons. Aucune ordonnance n'a été prise alors que des mesures étaient attendues, que ce soit sur les horaires de fermeture, la santé publique ou l'accès à ces établissements par les mineurs. On nous a répondu que ces établissements étaient fermés pour le moment en raison de la crise sanitaire. Certes, mais ils vont ouvrir et il faut des réponses rapides sur ces points très sensibles.
En second lieu, le Gouvernement a parfois pris des ordonnances dont le contenu a excédé le champ de l'habilitation consentie par le Parlement comme en matière de formation des élus. Rapporteur du projet de loi ratifiant les ordonnances des 20 et 27 janvier 2021 relatives à ce sujet, j'ai déjà eu l'occasion de vous faire part de mes observations : le Gouvernement a confié à la Caisse des dépôts et consignations (CDC) des compétences élargies et modifié les modalités de financement du fonds pour le droit individuel à la formation des élus locaux (DIFE) ce qui semble excéder le champ de l'habilitation. Nous les avons ratifiées eu égard à l'urgence de régler cette situation, mais une grande vigilance s'impose.
Le Gouvernement nous a pourtant montré qu'il était capable, lorsqu'il s'en donne la peine, de respecter la volonté du législateur... Ainsi, l'ordonnance d'octobre 2020 qui adapte et étend les mesures de la loi Engagement et proximité à la Polynésie française et la Nouvelle-Calédonie a été prise dans les délais et respecte parfaitement le champ de son habilitation. Nous ne pouvons qu'encourager le Gouvernement à s'astreindre à la même discipline sur l'ensemble des ordonnances prévues par ce texte !
Enfin, nous veillerons à ce que l'ordonnance relative au régime juridique des actes des collectivités territoriales, qui disposera en particulier des modalités de leur publicité et de leur entrée en vigueur, dans l'optique de leur dématérialisation, soit prise prochainement par le Gouvernement. Le champ de l'habilitation devra être respecté, et l'ordonnance prise dans les délais.
Je vous remercie, monsieur le président, de ce suivi qu'Alain Lambert qualifiait de travail de moine-soldat !
J'ai eu l'honneur de travailler en 2019 et en 2020 sur deux propositions de loi relatives aux violences conjugales et intrafamiliales.
La première est la loi du 28 décembre 2019 visant à agir contre les violences au sein de la famille, dite loi Pradié. Ce texte comportait deux mesures phares, sur la délivrance des ordonnances de protection et le bracelet anti-rapprochement. Douze de ses 19 articles étaient d'application directe, et trois étaient des demandes de rapport. Les quatre articles restants nécessitaient des mesures d'application.
Les décrets du 27 mai 2020 et du 3 juillet 2020 relatifs à l'ordonnance de protection ont précisé les modalités de saisine du juge aux affaires familiales, de convocation des parties, de déroulement de l'audience et d'exécution de l'ordonnance. Ils ont suscité un véritable tremblement de terre au sein des associations, car ils ne donnaient que 24 heures à la femme victime, au lieu de six jours, pour faire connaître au conjoint violent la date de l'audience. Le Gouvernement a revu sa copie en portant le délai à 48 heures et en imposant ce délai au greffe et non plus à la victime. Cela montre que le contrôle que nous effectuons sur l'application des lois peut amener le Gouvernement à faire évoluer une première version insatisfaisante.
Le décret sur le bracelet anti-rapprochement a été pris le 23 septembre 2020. Le dispositif a d'abord été diffusé à Aix-en-Provence, Angoulême, Bobigny, Douai et Pontoise, avant d'être généralisé à l'ensemble du territoire à la fin de l'année 2020.
Le deuxième texte, la loi du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales, comportait 29 articles. Il portait sur l'aide juridictionnelle et les modalités de remise d'un certificat médical aux victimes de violences, mais l'événement phare avait été l'amendement à l'article 23 qui autorise le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) à saisir le tribunal pour faire bloquer l'accès aux sites internet diffusant de la pornographie gratuite accessible aux mineurs. L'Observatoire de la parentalité et de l'éducation au numérique a fait établir par constat d'huissier plus de 500 captures d'écran montrant que les mesures de filtrage n'avaient pas été mises en place.
Un projet de décret a été notifié à la Commission européenne le 2 avril dernier, mais, sans attendre sa publication, le CSA a mis en demeure au mois de mars six sites diffusant des vidéos pornographiques en streaming gratuit, leur enjoignant de mettre en place une solution technique de vérification de l'âge, sous peine de saisine du tribunal de Paris. L'un de ces sites, Jacquie et Michel, travaille sur la solution My18Pass, qui permet un véritable contrôle de l'âge des utilisateurs.
Le Canada s'est lui aussi saisi de cette problématique, et j'ai également reçu un courriel du Royaume-Uni qui cherche à renforcer le contrôle. C'est un travail difficile, mais qui avance.
Le président a souligné à juste titre que la loi du 24 juillet 2020 visant à encadrer le démarchage téléphonique et à lutter contre les appels frauduleux restait inappliquée, et inapplicable. Cette proposition de loi venue de l'Assemblée nationale vise à renforcer l'efficacité de l'interdiction faite aux professionnels de contacter un consommateur inscrit sur la liste d'opposition au démarchage téléphonique dite Bloctel.
Trois mesures introduisant des obligations déontologiques pour les professionnels sont encore inapplicables faute de parution des décrets requis, notamment l'encadrement des jours et horaires et de la fréquence des appels, introduit à l'initiative du Sénat.
Ces décrets seraient en cours de finalisation, tout comme le code de bonnes pratiques qui devait être élaboré par les professionnels du secteur. Un arrêté du ministre de l'économie était aussi prévu pour encadrer les conditions du signalement par un consommateur du caractère frauduleux d'un numéro surtaxé. Il n'a, lui non plus, pas encore été pris. Il conviendrait donc d'appeler le Gouvernement à publier au plus vite ces textes nécessaires à la sérénité du quotidien des Français. Ils ont peut-être d'autres préoccupations en ce moment, mais faut de mesures d'encadrement, le démarchage continue de plus belle.
L'interdiction du démarchage téléphonique dans le domaine de la rénovation énergétique ou de la production d'énergies renouvelables a connu une première application assez spectaculaire, avec une amende de 375 000 euros prononcée le 15 mars dernier sur ce fondement par la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF). Je maintiens mes réserves quant à la constitutionnalité de cette mesure, dont le Conseil constitutionnel n'a toujours pas été saisi : pourquoi interdire le démarchage téléphonique dans ces seuls domaines ?
Enfin, le mécanisme d'authentification de tous les appels internationaux, qui vise à empêcher l'usurpation de numéros français déjà attribués, demande encore un travail important des opérateurs de communications électroniques sous l'égide de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des Postes (Arcep), pour un résultat incertain, et qui comportera des limites : l'état de la technologie ne permet pas d'authentifier tous les appels et échanges par SMS ou MMS frauduleux. L'usurpation de numéros français se poursuit.
Nous ne pourrons juger cette loi qu'à l'épreuve des faits. Ce texte était l'une de nos dernières chances de conserver la possibilité d'un démarchage téléphonique sur la base de l'opt out - c'est-à-dire qu'il reste autorisé sauf pour les personnes qui ont manifesté leur refus par l'inscription sur la liste Bloctel. Si rien n'est fait, nous basculerons dans la logique inverse : le démarchage ne sera possible qu'auprès des personnes qui auront fait savoir, par l'inscription sur une liste, qu'elles souhaitaient en bénéficier. Ce serait la mort du démarchage téléphonique et des emplois qui y sont associés.
Votre demande sera relayée la semaine prochaine lors de l'audition de la Secrétaire générale du Gouvernement.
Une loi peut compter trois ou trois cents articles ; or les dénombrements qui alimentent l'évaluation de l'application des lois reprennent comme unité l'article, ce qui n'est pas pertinent. Le site Légifrance présente une statistique des normes, lois, ordonnances et décrets prenant l'article pour unité, une autre retenant le nombre de pages, et enfin une dernière retenant le nombre de mots, car, au gré des pratiques ministérielles, certains articles peuvent compter dix mots, d'autres cinq cents... J'ai pu consulter sans difficulté ces données sur le site.
Lorsque nous nous livrons à cet exercice d'appréciation des conditions d'application des lois, et en particulier sur les habilitations à légiférer par ordonnance, il serait beaucoup plus pertinent de décrire ainsi le contenu des textes. Le tableau de Légifrance pour 2020 contient ainsi un grand nombre d'ordonnances ; mais en tenant compte de leur contenu, elles ne représentent en réalité qu'un alourdissement limité de la législation déléguée.
Cet outil ayant été créé dans le but de mieux maîtriser l'évolution normative, il serait cohérent que nous l'utilisions.
La réunion est close à 11 h 35.