Mes chers collègues, je vous souhaite une excellente année 2021.
Le premier point de notre ordre du jour concerne la proposition de loi visant à renforcer le droit à l'avortement, que nous examinerons en séance publique le 20 janvier à partir de 16h30. Ce texte a été adopté par l'Assemblée nationale le 8 octobre dernier.
Notre collègue Laurence Rossignol, qui a au cours des derniers mois proposé par voie d'amendements des mesures similaires, a été désignée par la commission des affaires sociales pour rapporter cette proposition de loi. Son agenda ne lui permet malheureusement pas d'être parmi nous ce matin.
Avant que nous procédions à des échanges sur ce texte, ce qui m'a paru souhaitable en amont de la séance publique, j'aimerais revenir rapidement sur les travaux de l'Assemblée nationale qui ont conduit à l'adoption de la proposition de loi transmise au Sénat.
Le 16 septembre dernier, nos collègues de la délégation aux droits des femmes de l'Assemblée nationale ont adopté un rapport d'information intitulé 45 ans après, l'IVG un droit effectif ?
Ce rapport, présenté par Marie-Noëlle Battistel et Cécile Muschotti, membres respectivement des groupes socialistes et En Marche de l'Assemblée nationale, conclut un travail mis en place par la délégation aux droits des femmes en juillet 2019. Il est donc l'aboutissement de plus d'une année de réflexion sur le sujet.
Il prend acte de difficultés bien connues d'accès à l'IVG, en lien avec, je cite, le « désintérêt à l'égard d'un acte médical peu valorisé et considéré comme peu valorisant ». Il rappelle les inégalités territoriales en matière d'accès à l'IVG et les délais d'attente qui contraignent trop de femmes souhaitant mettre fin à une grossesse non désirée à se rendre à l'étranger, plus particulièrement en Espagne et aux Pays-Bas où l'IVG est possible au-delà de seize semaines.
Parmi les 25 recommandations qui concluent ce travail, je note l'extension de l'IVG instrumentale sous anesthésie locale aux sages-femmes, la mise en place d'un parcours d'IVG simplifié et accéléré pour les femmes ayant dépassé la neuvième semaine de grossesse, et l'allongement de l'IVG chirurgicale à quatorze semaines de grossesse, ou seize semaines d'aménorrhée.
D'autres conclusions concernent le renforcement du droit à l'anonymat et à la confidentialité, l'adaptation du forfait de remboursement aux différences de coût selon les territoires, la création de postes de médecins hospitaliers dédiés, la publication d'un répertoire de professionnels pratiquant l'IVG et la nécessité d'un bilan des mesures sur le délit d'entrave et la lutte contre la désinformation en ligne prévues par la loi du 20 mars 2017, mais encore insuffisamment appliquées.
De manière classique, nos collègues appellent également à la mise en place effective des séances d'éducation à la sexualité et à l'égalité inscrites par le législateur dans le code de l'éducation, que nous demandons en vain depuis des années.
L'allongement du délai d'accès à l'IVG s'inscrit donc dans une réflexion globale sur l'inadaptation des structures médicales au droit à l'avortement, dont la question du délai légal constitue une réponse parmi d'autres axes d'amélioration. Dans la foulée de ce rapport d'information, une proposition de loi a été déposée par quelque quarante-huit députés. Elle a été adoptée par la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale le 30 septembre puis en séance publique le 8 octobre, contre l'avis du Gouvernement. Le 2 octobre, celui-ci a saisi le Comité consultatif national d'éthique (CCNE), qui a rendu ses conclusions le 8 décembre 2020.
Alors que la proposition initialement déposée le 25 août ne comprenait que deux dispositions, l'allongement du délai et la suppression de la clause de conscience spécifique à l'IVG, le texte dont le Sénat discutera la semaine prochaine a un champ beaucoup plus large.
En séance publique, nos collègues députés ont en effet, par amendement, étendu le périmètre de la proposition de loi à des dispositions reprenant les conclusions de la délégation aux droits des femmes évoquées tout à l'heure, notamment la publication par les ARS d'un répertoire de professionnels pratiquant l'IVG, l'extension des compétences des sages-femmes en matière d'IVG chirurgicale et la nécessité d'un bilan de la législation sur le délit d'entrave.
Pour en revenir à la saisine du CCNE, qui avait été saisi en novembre 2000 d'une demande comparable lors de l'allongement de dix à douze semaines, le CCNE a considéré qu'il n'y avait pas d'objection éthique à reporter à quatorze semaines le délai de recours à l'IVG. Je cite toutefois ses conclusions, comportant quelques nuances : « Le CCNE ne saurait cautionner une mesure prise pour pallier les multiples dysfonctionnements matériels, économiques, juridiques d'une politique de santé publique majeure pour les femmes ». Il estime ainsi nécessaire que les structures pratiquant des IVG aient les moyens de prendre en charge les patientes dans un délai de cinq jours.
Le CCNE juge en outre souhaitable de confier les IVG chirurgicales pratiquées au-delà de douze semaines aux médecins qui ont été correctement formés à ce type de procédure, et qui acceptent de le faire. Partant du principe que l'IVG est un acte médical singulier, il exprime par ailleurs des réserves sur la suppression de la clause de conscience spécifique prévue par la proposition de loi. Il affirme de plus l'importance de la prévention des grossesses non désirées et, dans cet esprit, appelle au renforcement de l'éducation à la sexualité pour les filles et les garçons dès la pré-adolescence.
Martine Filleul va se faire l'interprète de Laurence Rossignol, rapporteure de la commission des affaires sociales.
Laurence Rossignol vous prie d'excuser son absence.
La présentation de la présidente a été très complète, je me bornerai donc à quelques ajouts. Je souhaite tout d'abord rappeler les circonstances ayant entouré cette demande de prolongation du délai légal de recours à l'IVG. À l'été 2019, le groupe socialiste avait réussi, par voie d'amendement, à l'obtenir malgré l'opposition de la majorité sénatoriale et du Gouvernement. Ce dernier avait exigé une seconde délibération pour revenir sur cet amendement. La secrétaire d'État avait donc demandé un rapport sur l'accès à l'IVG. Cette analyse a conclu favorablement à cette mesure. Le Gouvernement a de ce fait demandé l'avis du CCNE, qui ne s'y est pas non plus opposé. C'est dans ce contexte que se situe la proposition de loi de l'Assemblée nationale. Il y a donc une adhésion générale à cette mesure. Cette proposition montre que la navette parlementaire peut fonctionner, ce qui est assez exceptionnel actuellement.
L'article premier vise à prolonger le délai de l'IVG de douze à quatorze semaines de grossesse, et propose concomitamment un droit à l'information et au choix de la méthode abortive renforcé. Il est important de ménager cet équilibre. L'article permet aussi aux sages-femmes d'intervenir par voie chirurgicale jusque la dixième semaine de grossesse. Il concerne également le remboursement de l'IVG.
L'article 2 supprime la clause de conscience et pose le principe de l'obligation pour le médecin d'orienter la patiente vers un autre praticien susceptible d'intervenir lorsque lui-même s'y oppose. Cet article traite aussi de l'obligation de délivrer un moyen de contraception en urgence.
Permettez-moi d'insister sur un point qui n'a pas encore été abordé. Je veux parler de la mise en place d'un Centre national de soins en orthogénie, comparable à l'Institut national du cancer. L'offre de soins en matière d'IVG est négligée et assez peu connue. Lorsque des arbitrages doivent être réalisés dans les hôpitaux, ils le sont souvent aux dépens de l'IVG. La proposition de Laurence Rossignol consiste à mettre en place un observatoire de la situation sur l'ensemble du territoire, pour essayer de pallier les manques qui se font jour en France et pour veiller à l'information et à la formation des jeunes et des femmes. Cet organisme s'emparerait de ce rôle de supervision très important.
Merci, chère collègue. Je ne suis, pour ma part, pas convaincue que ce sujet suscite une adhésion générale.
Merci Madame la présidente. Je suis ravie que ce sujet soit à l'ordre du jour de notre délégation. Nos échanges sont toujours sincères et respectueux, ce qui nous permet d'avancer ensemble quelles que soient nos convictions.
Il est intéressant de noter que cette proposition de loi est transpartisane. Elle a été portée par le groupe LREM et est reprise au Sénat par le groupe socialiste, ce qui montre qu'elle dépasse les clivages politiques. Je regrette toutefois qu'il n'y ait pas de débat au Sénat, puisque hier à la commission des affaires sociales, au terme d'un débat par ailleurs sincère et respectueux, il a été décidé de déposer une question préalable. Dans ce cas, le Sénat se cantonne à la discussion générale et l'examen des articles n'a pas lieu. C'est pourtant dans ce type de débat que nous arrivons à faire bouger les lignes et à avancer.
Les arguments exposés hier contre cette proposition de loi m'ont ébranlée, non qu'ils m'aient incitée à m'interroger, mais parce que j'avais le sentiment que nous les avions dépassés. Certains indiquaient que ce n'était pas le bon véhicule législatif : cet argument est un grand classique pour s'opposer aux propositions pour faire avancer le droit des femmes, notamment en termes de contraception ou d'IVG. Je suis sénatrice depuis 2011 et je peux témoigner que c'est fréquent ! Mon groupe a fait nombre de propositions et d'amendements sur le sujet. On nous répond toujours que ce n'est pas le bon véhicule législatif. Je ne comprends pas cet argument !
Selon ces débats en commission, les problèmes relèvent de la prévention, notamment de l'éducation sexuelle à l'école, pas des délais. Or aujourd'hui, 3 000 à 5 000 femmes se rendent chaque année à l'étranger pour avorter, car elles ne peuvent pas le faire en France. Ces voyages représentent un coût important pour les intéressées. Devons-nous laisser ces inégalités perdurer ? Les femmes qui en ont les moyens peuvent partir, mais celles qui ne peuvent pas se le permettre financièrement doivent rester. Il faut savoir que trois IVG sur quatre sont réalisées alors que les femmes prennent une contraception. Il s'agit donc de femmes qui ne souhaitaient pas d'enfant. Quoi qu'on en pense, il sera toujours nécessaire de pratiquer des IVG. Ce n'est pas une mesure de confort, ni un moyen de contraception, contrairement à ce qu'on peut parfois entendre.
La clause de conscience spécifique a également posé question. Une clause de conscience générale existe déjà. Elle permet à tout professionnel de santé de refuser un acte qu'il ne souhaite pas pratiquer, quel qu'il soit. La clause spécifique à l'IVG a été conçue pour permettre de faire passer la loi en 1975, dans un contexte bien différent de celui d'aujourd'hui. Nous n'en sommes plus là. Pourquoi la maintenir ? Elle laisse entendre que l'IVG n'est pas un acte comme un autre, et qu'il faut lui associer un obstacle supplémentaire.
Malheureusement, nous n'aurons pas de débat en séance, ce que je regrette. Même si nous ne sommes pas tous d'accord, un tel échange est toujours très important. Il permet à chacun de réfléchir au-delà de son appartenance politique, et nous pousse ainsi à avancer ensemble.
Le sujet est complexe. En fonction des spécialistes, les avis diffèrent. Il n'est pas simple pour le législateur de se faire une opinion.
Je regrette que nous ne disposions pas de statistiques complètes. Laurence Cohen évoquait les 3 000 à 5 000 femmes qui se rendent à l'étranger pour avorter. Est-ce 3 000 ou 5 000 ? Cet écart est non négligeable.
Il serait intéressant de disposer de données sur le nombre de femmes recourant à une IVG. Quel est leur profil ? Pour quelles raisons partent-elles à l'étranger ? Cette absence d'informations empêche à mon avis de faire avancer le débat. Le nombre d'IVG est resté stable, ce qui illustre une défaillance de notre système. Je suis d'accord avec Laurence Cohen : l'information, la formation et la prévention ne sauraient constituer les seules réponses. À ce stade, j'estime tout de même que nous avons besoin d'une meilleure connaissance des raisons qu'ont certaines femmes de recourir à l'avortement.
Sur la clause de conscience spécifique, certains gynécologues-obstétriciens nous indiquent qu'elle doit absolument être maintenue, d'autres non. Ce sujet est extrêmement compliqué. Il est regrettable que le débat n'ait pas lieu.
Bonjour à tous, et bonne année. Malgré la loi Veil, aujourd'hui encore, beaucoup de femmes rencontrent malheureusement des difficultés dans leur accès à l'IVG dans certains territoires. C'est très regrettable. De nombreux centres d'orthogénie ont fermé ; les femmes ont parfois du mal à obtenir les rendez-vous nécessaires. S'y ajoutent les problématiques liées à la clause de conscience, entre autres. Les blocages sont divers.
N'oublions pas les femmes elles-mêmes, quelles que soient nos appartenances politiques et nos idées sur l'IVG. Le recours à l'IVG est difficile et douloureux. N'oublions pas non plus les recours à l'IVG en raison d'un viol ou d'un inceste.
Madame la présidente, vous exprimez le besoin de chiffres plus précis concernant les avortements réalisés à l'étranger. Bon nombre de ces femmes ne veulent toutefois pas expliquer pourquoi elles se rendent dans d'autres pays pour avorter. Il est donc difficile de les quantifier précisément. Cet acte n'est pas anodin. Je pense que reporter le délai légal à quatorze semaines est important lorsqu'il n'y a pas d'autre choix.
Il est vrai que l'actualité internationale a montré que le droit à l'IVG était parfois fragile et pouvait régresser. C'est un sujet de préoccupation pour nous.
Cette question préalable me déçoit, je ne vais pas vous le cacher. Bien sûr, nous savons que ce sujet n'est pas consensuel. Nous l'avons vécu avec d'autres lois, concernant la lutte contre le système prostitutionnel par exemple. Nous savions que ce serait compliqué ! Pourtant, comme je le dis régulièrement, le débat, c'est la démocratie. Lorsque nous débattons, même si nous ne sommes pas d'accord entre nous, nous entendons les arguments des autres, et la situation évolue petit à petit. Simone Veil a eu énormément de courage lorsqu'elle a réussi à faire adopter sa loi.
Victoire Jasmin a rappelé la réalité : la nécessité d'aller avorter à l'étranger est une inégalité. Des pays voisins - Pays-Bas, Espagne ou Royaume-Uni - connaissent des délais légaux plus tardifs. Le chiffre de 3 000 à 5 000 avortements à l'étranger est difficile à préciser, puisqu'ils se produisent à un terme postérieur au délai légal en France.
Je vous remercie, Madame la présidente, d'avoir organisé ce débat au sein de la délégation. Il serait tout de même intéressant d'entendre des avis différents. Je regrette d'autant plus que le débat en séance ne puisse se tenir.
Je connais l'engagement des membres de cette délégation sur ces sujets. J'avais prévu cette réunion bien avant d'être informée de cette question préalable. Je l'ai toutefois maintenue, car il me semblait utile que chacun puisse s'exprimer.
J'aimerais insister sur quelques points. Nous devons dans un premier temps être très clairs et parler de semaines d'aménorrhée. C'est le seul terme pertinent en matière de santé publique.
Autre question : quelle est la position de l'Ordre des médecins sur la clause de conscience spécifique ?
Vous savez que les ordres fixent le fonctionnement et les règles de pratique dans les domaines de santé publique. Que dit l'Ordre des sages-femmes ?
Elles ont un vrai savoir-faire. Les sages-femmes qui exercent dans des structures collectives comme les PMI sont confrontées aux fragilités des quartiers ou des zones rurales. Elles connaissent bien la réalité du terrain.
En tant que pharmacien d'officine, métier que j'exerce toujours, je peux témoigner de l'ignorance préoccupante de certaines jeunes filles en matière de contraception. L'information peut être gravement défaillante dans ce domaine. En matière de soin, il n'y a jamais d'acte anodin. Nous les pharmaciens devons jouer notre rôle d'information, et nous assurer que la personne à laquelle nous faisons face comprend la prescription du médecin. C'est essentiel !
Rappelez-vous des propos de Simone Veil du 26 novembre 1974 à l'Assemblée nationale, « l'avortement est un drame, et sera toujours un drame ». C'est un fait établi. Personne n'y va de gaieté de coeur. Une femme se rendant en Espagne peut être exposée à un déni par rapport à sa famille ou son conjoint. Je ne sais pas s'il serait vraiment utile de disposer de chiffres.
Il me semblerait important d'entendre le point de vue des échographes. L'échographie a fait énormément de progrès : après seize semaines d'aménorrhée, il est possible de déterminer le sexe de l'enfant. À un moment donné, le choix du sexe pourrait-il de ce fait entrer dans la décision de recourir à une IVG ? Nous arriverions dans ce cas au début de l'eugénisme. C'est un vrai problème.
Ce dernier point a été abordé lors des débats au moment de l'adoption de cette proposition. Il est effectivement possible, a priori, de voir le sexe.
Je laisse la parole à nos collègues connectés, en souhaitant une bonne année à celles et ceux qui nous ont rejoints à distance.
Je ne suis pas médecin, mais je suis une femme. En tant que telle, j'ai une opinion sur la question de l'IVG et l'allongement du délai légal. Je m'inscris dans la continuité des réflexions exposées précédemment. Le débat avance et il est important d'entendre ce que les uns et les autres ont à dire.
Je ne vais pas répéter ce qui a été dit. Une femme n'a jamais recours à l'IVG de gaieté de coeur. Elle fait ce choix en conscience et en fonction des moyens mis à sa disposition. Il est important d'avoir le choix.
Concernant les personnes se rendant à l'étranger pour avorter, une question de moyen se pose effectivement. Nous ne disposerons jamais de chiffres précis sur ce point. Même si un contrôle était mis en place aux frontières, aucune femme n'indiquerait qu'elle se rend à l'étranger afin de subir une IVG. Les associations peuvent estimer le nombre de femmes qui les contactent, mais certaines s'adressent directement aux centres médicaux étrangers. Ce chiffre sera donc toujours imprécis.
En tant que femme, je trouve par ailleurs très dérangeant de mettre sur le même plan l'IVG et la contraception. Le premier ne sera jamais une contraception.
Ce sujet est prégnant pour la délégation aux droits des femmes. Les informations concernant le profil des femmes faisant appel aux associations nous aideraient à comprendre ce qui n'a pas fonctionné dans nos structures pour que des femmes, qui ne recourent jamais de gaieté de coeur à l'IVG, se rendent à l'étranger. Cela pourrait avoir un intérêt dans le cadre du présent débat, mais également pour mieux appréhender des sujets tels que la contraception.
Le sujet de l'avortement m'interpelle sur différents points. La prévention, à travers l'information des jeunes dans les collèges et lycées, me semble primordiale. Pourrions-nous travailler sur les supports de l'information dispensée aux collégiens et lycéens, pour comprendre ses lacunes ? Sur quels manuels cet enseignement se fonde-t-il ? Nous devrions nous y intéresser. Lorsque j'étais jeune, des cours d'éducation sexuelle étaient dispensés à l'école. Est-ce toujours le cas ? L'information me semble capitale dans ce domaine.
Ensuite, un acte d'avortement n'est jamais anodin. Pour autant, il ne doit pas poursuivre une femme toute sa vie. J'ai eu à ce sujet une discussion très intéressante avec une femme médecin de mon département qui a travaillé dans les services de conseil départemental. Elle a insisté sur le fait que le recours à un avortement correspond à un instant précis de la vie d'une femme qui le décide. Elle ne doit pas avoir de regrets un an, deux ans ou cinq ans après, lorsque le contexte sera complètement différent. Les médecins hommes qui assistaient à cette conversation ont expliqué qu'ils n'auraient pas été en mesure de tenir de tels propos à leurs patientes. Ils pratiquent un acte, mais n'ont pas les paroles pour prodiguer à la patiente l'accompagnement psychologique nécessaire. La formation des médecins doit peut-être être revue à ce niveau.
Notre collègue Bruno Belin a parlé du sexe de l'enfant. Je suis favorable à l'allongement du délai de l'IVG, mais il sera tout de même nécessaire d'être vigilants sur ce point. Il ne faudrait pas que certains couples décident d'avorter car ils souhaitaient une fille et attendent un garçon, ou l'inverse.
Concernant la prévention, les cours d'éducation sexuelle sont prévus par le code de l'éducation nationale même si, en pratique, ils ne sont pas dispensés partout. Nous devons nous emparer de ce sujet.
L'actualité, marquée par la parution la semaine dernière du livre de Camille Kouchner, La familia grande, nous conduit à nous interroger sur l'inceste. Dans certains pays, la lutte contre l'inceste fonctionne mieux car les enseignants disposent d'outils pour aborder le corps de l'enfant et ce que l'adulte a le droit de lui faire ou non. Il est difficile pour les enfants de savoir si le comportement d'un adulte à leur égard est normal. Si l'adulte dit à l'enfant « tout le monde fait ça », l'enfant le croit !
Pour en revenir à notre échange sur la proposition de loi, la question de l'allongement du délai légal de recours à l'IVG doit être posée. Nous ne pouvons pas nous satisfaire de la faculté d'aller à l'étranger pour les femmes ayant dépassé le délai de douze semaines. Nous devons comprendre la détresse des femmes. Le sujet ne doit pas être débattu de manière clivante, comme cela a pu être le cas à certaines occasions. La question du délai doit être abordée de manière scientifique et pas idéologique. Le débat au sein de l'hémicycle aurait probablement été intense, mais il nous aurait permis d'avancer. Sur certains sujets, les positions peuvent évoluer au fil des années. La réforme de la prescription en matière de crime sexuel, par exemple, a été possible grâce aux débats qui l'ont précédée. Sans ces débats, on ne serait jamais passé de vingt à trente ans !
Merci à notre présidente d'avoir organisé ce débat, qui se déroule de manière extrêmement respectueuse, comme toujours dans cette délégation. C'est tout à l'honneur de notre présidente.
Je partage ce qui a été dit : les rapports de force et les positions d'aujourd'hui pourront évoluer grâce au débat. Ainsi, les débats sur la proposition de loi déposée par Annick Billon pour protéger les jeunes mineurs de crimes sexuels seront apaisés, ce qui n'était pas envisageable il y a quelques mois encore. Pour en revenir à l'IVG, à titre personnel, je suis très proche de l'éclairage apporté par Bruno Belin. Je souhaite d'ailleurs le remercier pour l'information qu'il a partagée avec nous sur les dangers d'une IVG à un moment de la grossesse où le sexe de l'enfant peut être connu. Cela mérite débat.
Vous me permettrez d'évoquer rapidement l'école. Je ne voudrais pas qu'elle soit considérée comme responsable de tous les maux de la société. On ne peut pas non plus demander à l'école de les réparer. Si nous lui demandons cela, nous pouvons être certains de son échec. Je rappellerai simplement deux points. Dans un premier temps, ce ne sont pas les manuels qui déterminent les enseignements, mais les programmes. Ce n'est donc pas aux manuels que nous devons nous intéresser, mais bien au contenu des programmes, et à la manière dont ils sont mis en oeuvre. Je vous invite à mener une réflexion, mais pas sous l'angle de l'« éducation à », qui reste marginale, le premier métier des enseignants consistant à transmettre des programmes élaborés selon des procédures bien précises. L'ensemble des modules d'« éducations à », prévus par le code de l'éducation nationale, vient s'ajouter aux programmes. Les professeurs font des choix en fonction des examens. Annick Billon et moi-même représentons le Sénat au Conseil supérieur des programmes. Je pense que nous devrions mener une réflexion sur la présence de cet enseignement dans les programmes de Sciences de la vie et de la Terre (SVT), par exemple. C'est là le coeur du problème. Cela dit, ce sujet figure largement dans ces programmes à tous les niveaux d'enseignement, et cet enseignement est dispensé par les spécialistes que sont les professeurs de SVT. Il est donc tout à fait possible d'en discuter. La présidente du Conseil supérieur des programmes pourrait un jour être ainsi auditionnée par notre délégation, ce qui nous permettrait d'éclairer davantage la réalité. Nous devons réfléchir à un moyen d'améliorer cet enseignement. Celui-ci est très important, mais il doit être intégré dans les programmes plutôt que d'apparaître comme une « éducation à » supplémentaire, dont nous savons qu'elle aurait peu de chances de se développer.
Merci d'avoir maintenu cet échange ce matin, malgré la question préalable que je regrette également. 1974 est loin ! Les questions des représentations, de la connaissance, de l'éducation nécessitent que le Parlement, et le Sénat en particulier, puisse être une nouvelle force de proposition. Je suis préoccupé par ce que Bruno Belin disait tout à l'heure sur l'ignorance des jeunes filles en matière de contraception. Les jeunes femmes, et les nouvelles générations en général, accusent un déficit de connaissances sur les questions de contraception et d'avortement.
Notre présidente a attiré notre attention sur la nécessité de nous emparer de ces questions sans idéologie. J'ai apprécié ces propos. Notre délégation doit dépasser les idéologies et objectiver le sujet. Nous pouvons par exemple intervenir lors des débats budgétaires. J'ai été premier vice-président d'un conseil départemental durant des années. Oui, le réseau des assistantes sociales de proximité ou les maisons de solidarité ont un rôle à jouer. Or, nous savons tous que les moyens des départements ne leur permettent pas d'être aussi présents qu'ils devraient l'être dans les territoires en matière de prévention et d'accompagnement des personnes « décrochées ». C'est notamment une question de moyens. Je pense que nous pouvons mettre ce sujet à l'agenda de la délégation. La prévention est essentielle. Nous devons également donner une image du Sénat plus en phase avec les questions de société qu'il ne l'était par le passé, bien que des efforts soient réalisés au sein de cette délégation. C'est un nouveau sénateur qui vous le dit ! Nous devons pouvoir affirmer que la diversité sénatoriale inclut une sensibilisation importante sur ces sujets de la part des sénateurs de la République. Nous pouvons être force de proposition, quand bien même des initiatives viendraient de l'Assemblée nationale, comme c'est le cas pour cette proposition de loi, ou de groupes qui ne sont pas nécessairement majoritaires dans les assemblées.
Nous ne pouvons en tout cas pas nous résoudre à ne traiter cette question qu'à travers un sujet très technique. Dans le même temps, nous sommes toujours concernés par des questions d'éthique, comme l'illustre la question du choix du sexe des enfants, et donc d'une forme d'eugénisme. La proposition de loi portant sur le seuil d'âge en matière de crime sexuel constitue également une variante de ces sujets sur lesquels notre délégation, encore plus que d'autres, doit être à l'avant-garde des débats. C'est primordial si nous souhaitons garder le contact avec la population et la confiance de nos concitoyens. Être présents sur ces sujets de société nous permettra de maintenir le lien avec toutes les populations, et de renforcer notre République par l'engagement de notre assemblée.
Merci, cher collègue. Au sein de cette délégation, des sénateurs et sénatrices étaient investis bien avant moi ! C'est le cas de certaines personnes présentes actuellement. Depuis six ans, si le poids de la délégation s'en est trouvé renforcé, c'est grâce à ces hommes et ces femmes qui se sont engagés sur ces sujets au sein de notre institution. L'arrivée de nouveaux collègues a également permis de porter la voix de la délégation de manière différente. Il est plus simple de présider cette délégation aujourd'hui qu'il y a dix ans, je crois.
Je voudrais revenir sur le nombre d'IVG ou de femmes se rendant à l'étranger pour réaliser cet acte. Malgré la relative incertitude des chiffres, le nombre d'IVG reste stable, de même, semble-t-il, que le nombre de femmes traversant nos frontières pour avorter.
J'insiste sur le côté « accidentologie » de la grossesse. Nous pouvons certes faire de la prévention et de l'éducation autant que nous le pouvons, mais il y aura toujours des femmes qui « tombent enceinte » : cette expression est révélatrice. Il y aura toujours une part d'irrationalité, une dimension psychologique dans l'accueil d'une grossesse. S'y ajoutent parfois le déni et les conséquences de cycles menstruels irréguliers. Il y a des femmes qui découvrent qu'elles sont enceintes à un terme relativement avancé. Il faut comprendre la détresse des femmes concernées.
J'aimerais également revenir sur la question du sexe de l'enfant à seize semaines d'aménorrhée. Nous pourrions en effet interroger les échographes comme le suggérait Bruno Belin. Ce serait intéressant, bien sûr. Il me semblerait toutefois également judicieux de nous pencher avec attention sur les propos du Conseil consultatif national d'éthique (CCNE), auquel participent des sommités médicales et d'autres personnalités éminentes. Selon le CCNE, entre quatorze et seize semaines d'aménorrhée, il n'y a pas d'importantes différences. Cela mérite d'être approfondi...
Enfin, permettez-moi de revenir sur la proposition de Laurence Rossignol concernant la création d'un Institut national de la santé sexuelle et reproductive. Cet organisme aurait pour vocation de parer aux inégalités territoriales et de connaître dans chaque territoire les médecins pratiquant des IVG, mais également d'améliorer l'accès à l'information et à la prévention en matière de santé sexuelle et reproductive. Nous pourrions ainsi disposer d'éléments de réponses à toutes les questions que nous nous posons. Voilà un projet que nous pourrions essayer de valoriser et de porter dans notre assemblée de manière transpartisane.
Je suis d'accord, cet organisme pourrait aider.
J'attire votre attention sur la nécessité pour nous d'être au plus près de l'intérêt des femmes : c'est bien cet aspect qui doit nous guider en priorité. Nous ne devons pas, à mon sens, être plus exigeants en matière de santé des femmes que nous le sommes en règle générale. Lorsqu'elle s'est exprimée devant la commission des affaires sociales à propos de la double clause de conscience, Laurence Rossignol a pris l'exemple de la mastectomie double. Certaines femmes présentant de fortes probabilités génétiques de développer un cancer du sein souhaitent réaliser cette opération de manière préventive. Le cas le plus emblématique, s'il n'a pas été signalé hier, est celui de l'actrice Angelina Jolie. Le fait qu'une personne si connue ait subi cette opération a libéré un certain nombre de femmes. Certains médecins et chirurgiens refusent toutefois de pratiquer cette opération. Ils n'ont pas besoin de double clause de conscience pour s'y opposer : ils utilisent la clause de conscience générale. Pourquoi serions-nous plus exigeants dès qu'il s'agit d'une IVG ?
Lorsque nous cherchons à savoir pourquoi des femmes se font avorter, nous devons avoir conscience du fait que les causes des IVG sont multiples. Tous les milieux sociaux sont concernés. Je vous invite à ce titre à lire le rapport de la commission des affaires sociales, réalisé par Laurence Rossignol. Il apporte de nombreux chiffres et de nombreux motifs de recourir à l'IVG. J'avais personnellement oublié que trois IVG sur quatre étaient réalisées sous contraception. Une femme prenant une contraception a choisi de ne pas être enceinte. Réfléchissons de cette manière. Je ne suis pas certaine que nous prendrions une meilleure décision si nous connaissions le profil des femmes qui décident d'avorter. Quelle que soit la raison pour laquelle elles ont recours à l'avortement, elles doivent pouvoir exercer ce droit. 130 centres d'IVG ont été supprimés en dix ans. Ils sont la plupart du temps adossés aux maternités, qui elles aussi ont subi de nombreuses fermetures ces dernières années. Dans ce contexte, il est très compliqué d'obtenir des consultations dans certains territoires, ce qui augmente mécaniquement les délais.
Nous nous battons toutes et tous ici pour l'égalité entre les femmes. Lorsque j'apprends que le coût d'une IVG varie entre 300 et 2 200 euros en Espagne, je comprends que seules les femmes disposant des moyens nécessaires à cette opération, mais aussi au voyage qu'elle implique, peuvent le faire. Nous pénalisons donc les femmes qui n'en ont pas les moyens. Tous ces points doivent nous faire réfléchir positivement.
La suppression des centres d'IVG rejoint le nombre de gynécologues qui diminue régulièrement. Il y a de fortes inégalités d'accès à l'IVG selon les territoires. Il est important de le souligner.
Je vous remercie tous pour ces débats. Je rappelle que la proposition de loi ne se limitait pas à l'allongement du délai de douze à quatorze semaines de grossesse - ou de quatorze à seize semaines d'aménorrhée, cher Bruno ! D'autres dispositions auraient pu, indépendamment du délai et de la clause de conscience, faire avancer les droits des femmes. Je pense notamment à l'accès accéléré à l'IVG pour les femmes ayant dépassé neuf semaines, au remboursement ou encore au répertoire de professionnels pratiquant l'avortement.
En séance publique, la semaine prochaine, chaque groupe pourra intervenir, mais il n'y aura pas de débat sur les articles. Puis le texte retournera à l'Assemblée nationale dans les termes qui nous ont été transmis. Le Sénat n'aura pas l'occasion d'améliorer le texte.
Je rappelle que l'Assemblée nationale a voté cette proposition contre l'avis du Gouvernement
J'aimerais insister sur la diminution du nombre des gynécologues. Il s'agit d'un véritable sujet ! Le nombre des naissances ne justifie pas cette évolution. Exigeons un nombre de places plus important à l'internat. Ce n'est pas un sujet polémique, de droite ou de gauche. Nous devrions nous emparer de cette question.
Le secrétariat vous communiquera des exemples de questions écrites et orales posées par des sénateurs depuis quelque vingt années. C'est un problème régulièrement abordé dans les questions parlementaires. Les réponses du Gouvernement sont une source d'information sur ce sujet.
Mes chers collègues, nous poursuivons ce matin nos auditions dans le cadre du rapport sur la situation des femmes dans les territoires ruraux avec l'audition des responsables de la fédération Des territoires aux grandes écoles (DTGE), Cyprien Canivenc, secrétaire général, et Emma Rouvet, coprésidente de l'association De l'Allier aux grandes écoles (DAGE).
Je remercie nos interlocuteurs de s'être rendus disponibles pour nous ce matin.
À l'attention de nos invités, je précise que nous avons désigné pour mener à bien notre travail une équipe de huit rapporteurs associant tous les groupes politiques représentés dans notre assemblée, et qui représentent par ailleurs des territoires très divers : Vienne, Drôme, Lozère, Rhône, Hautes-Alpes, Haute-Garonne, Finistère et Dordogne.
Je précise également, pour information, que l'objet de ce rapport est, d'une part, d'établir un bilan aussi complet que possible de la situation des femmes dans les territoires ruraux, à partir de thèmes tels que la précarité, le rôle des élus et l'accès aux responsabilités, les problèmes de mobilité, la santé, les violences, l'égalité professionnelle (qui comprend le sujet de l'accueil des jeunes enfants) l'orientation scolaire et universitaire, l'accès à la formation à tous les niveaux, et l'entrepreneuriat féminin.
Il est aussi, d'autre part, de mettre en valeur des femmes qui, par leur engagement économique, associatif, politique ou culturel, contribuent au dynamisme de ces territoires et peuvent constituer des modèles pour les jeunes filles et les autres femmes.
Chers invités, notre projet de travail concerne les femmes dans les territoires ruraux, à tous les âges de la vie, mais bien évidemment la jeunesse occupe une place à part dans notre réflexion. L'actualité donne un écho particulier à cette audition, puisqu'hier, plusieurs questions étaient posées au Gouvernement sur les sujets de la jeunesse et des difficultés rencontrées durant ces différents confinements et depuis le début de la pandémie. De plus, l'orientation scolaire et universitaire est un enjeu d'égalité professionnelle : il est donc vraiment important de vous écouter.
Votre action nous intéresse beaucoup, car elle vise à combler le manque d'information dont disposent les lycéens vivant en milieu rural sur les cursus d'excellence. Ce manque d'information contribue à orienter les jeunes vers des filières moins prestigieuses et moins prometteuses en termes de débouchés professionnels.
Nous avons besoin de comprendre quelles actions de votre fédération sont plus particulièrement destinés aux jeunes filles, dont les ambitions, nous ne le savons que trop, peuvent être bridées par des stéréotypes qui les éloignent de certaines filières. Je pense évidemment aux matières scientifiques et technologiques. De plus, les jeunes filles manquent souvent de modèles auxquels s'identifier.
Les jeunes filles ont-elles, selon votre expérience, besoin d'un accompagnement particulier ? Y a-t-il des différences selon les territoires dans les actions que vous mettez en place à leur attention ? Existe-t-il un profil type de jeunes filles qui bénéficient de l'implication de la fédération DTGE ? Que deviennent celles que vous avez accompagnées jusqu'à présent ? Quelles sont vos plus belles réussites ?
Enfin, pouvons-nous vous aider dans votre action ? Si oui, en quoi ?
Je vous cède la parole et je vous laisse vous organiser comme vous le souhaitez.
Bonjour à tous. Merci beaucoup de nous recevoir aujourd'hui.
Je m'appelle Emma Rouvet, j'ai 20 ans, et suis aujourd'hui étudiante à Sciences Po. Membre du secrétariat général de l'association Des territoires aux grandes écoles avec Cyprien Canivenc, je suis responsable des relations institutionnelles. Originaire de Vichy, je suis également co-présidente de l'association locale De l'Allier aux grandes écoles.
Permettez-moi de vous expliquer comment j'en suis arrivée là. Lorsque j'étais en terminale, l'association est intervenue dans mon lycée. À l'époque, je préparais les démarches pour passer le concours d'entrée à Sciences Po. Je me posais de nombreuses questions, ne sachant pas vraiment comment se déroulait l'oral et n'étant pas pleinement au fait des procédures de sélection. Un étudiant de cette école, originaire de mon lycée, faisait partie des intervenants. J'ai pu lui poser quelques questions. Il est devenu mon parrain au sein de l'association. Cet accompagnement a semble-t-il fonctionné, puisque je suis aujourd'hui en troisième année à Sciences Po ! Je pense que nous aurons l'occasion de développer un peu plus notre fonctionnement tout à l'heure. Je ne peux en tout cas que croire à notre démarche, étant témoin de la force du parrainage dont j'ai bénéficié.
Vous évoquiez le bilan de notre action. Je pense que le plus gratifiant est de voir les jeunes que nous avons accompagnés revenir dans notre association, et ce très rapidement : après un ou deux ans, ils viennent s'investir localement pour l'égalité des chances au profit des autres.
Je suis originaire d'Albi et j'ai suivi, au collège et au lycée puis après le bac, un parcours géographique assez classique de « provincial », en commençant par une première étape dans la métropole voisine : j'ai étudié en classe préparatoire à Toulouse, au lycée Pierre-de-Fermat. J'ai ensuite suivi une formation d'économie et de gestion en Ile-de-France et en Italie, avant de rentrer en France pour préparer l'ENA, que j'ai intégrée au sein de la promotion Clemenceau. Je travaille depuis deux ans dans un corps de contrôle. Je suis secrétaire général de l'association Des territoires aux grandes écoles, et investi dans l'association Du Tarn aux grandes écoles.
Je vais laisser Emma Rouvet vous préciser notre action.
Notre fédération existe depuis 2017, et compte trente-deux associations locales essaimées partout sur le territoire métropolitain et en outre-mer. Nous comptons un peu plus de 1 400 adhérents. Nous avons connu une croissance importante en 2020.
Nous intervenons selon deux leviers d'action. Le premier est davantage tourné vers l'égalité des chances à destination des lycéens et au sein des lycées. Nous organisons régulièrement des interventions telles que celle que je vous ai relatée. Des jeunes des territoires reviennent dans ceux-ci afin de présenter aux élèves leur parcours au sein des différentes filières sélectives. Nous signons des conventions avec les lycées afin de ritualiser ces interventions et de revenir chaque année présenter les cursus sélectifs du supérieur. Dans les associations locales, nous avons également organisé des plateformes de parrainage afin de mettre en contact des jeunes lycéens se posant des questions sur certains cursus avec des étudiants des territoires dont ils sont issus, et ce afin de répondre à leurs interrogations.
La force de notre modèle est de mettre en lien des lycéens avec des étudiants originaires de la même ville lorsque cela est possible, ou au moins du même département. Ils peuvent ainsi répondre à leurs questions spécifiques sur la manière d'arriver à ces cursus.
Nous avons également mis en place un dispositif de bourses au mérite, d'abord au Pays Basque. Il est aujourd'hui appliqué dans quatre autres territoires, dont le Tarn et l'Allier. Nous pouvons ainsi financer des bourses pour certains lycéens de nos territoires, à hauteur de 6 000 euros sur deux ans.
Notre deuxième levier d'action est davantage tourné vers le développement du territoire. Nous croyons beaucoup à l'idée de resserrer le tissu économique local. Nous avons réalisé que, bien souvent, nos jeunes diplômés étant partis suivre des cursus sélectifs aimeraient revenir dans les territoires, mais qu'ils n'ont pas nécessairement connaissance des possibilités qui s'y offrent à eux. Nous avons pour objectif de leur montrer qu'il existe de nombreuses opportunités au sein des territoires. Nous organisons à ce titre des visites en entreprise ainsi que des conférences et tables rondes autour de l'entrepreneuriat local, en compagnie d'acteurs économiques locaux, afin de leur présenter toutes les possibilités qui s'offrent à eux.
En résumé, nos deux leviers sont les suivants : égalité des chances et développement des territoires. Nous travaillons ainsi depuis notre création en 2017.
Partout sur le territoire, nous travaillons avec une centaine de lycées avec lesquels nous sommes liés par des conventions, ce qui nous permet d'y intervenir assez régulièrement, environ une fois par an. Depuis septembre 2020, nous avons réussi à toucher un peu plus de 3 000 lycéens au travers de nos interventions. L'année est un peu particulière, mais le contexte n'en rend ces chiffres que plus pertinents. Nous avons eu à nous adapter et à innover en organisant des interventions par visioconférence lorsqu'il ne nous était plus possible de nous rendre dans les lycées. Plus de 500 jeunes sont parrainés grâce à nos initiatives.
L'année 2020 a, de plus, marqué un temps nouveau pour DTGE, puisque nous avons pu développer des partenariats dans le cadre de deux dispositifs : l'un porté par la banque publique d'investissement (BPI) au niveau du volontariat territorial en entreprise (VTE), l'autre porté par le ministère de la cohésion des territoires au niveau du volontariat territorial en administration (VTA). Nous accompagnerons en 2021 ces deux dispositifs. C'est un temps nouveau, puisque nous concluons ces partenariats afin d'accompagner par nos actions les jeunes en administration et en entreprise.
Je vais à présent revenir sur nos principaux constats transversaux et spécifiques aux jeunes femmes que nous accompagnons.
Nous formulons dans un premier temps trois constats transversaux. Le premier, probablement le plus commun et répandu, est celui de l'autocensure, qui consiste pour un jeune à se dire que cette filière, ce parcours, cet horizon académique ou de métier n'est pas fait pour lui. Cette autocensure existe, indépendamment de l'origine sociale ou des moyens financiers des parents. Ce phénomène est extrêmement répandu sur les territoires. Nous sommes présents dans trente-deux départements, et nous l'observons dans la centaine de lycées dans laquelle nous intervenons. Nos 1 400 adhérents s'engagent au sein de la fédération, car ils l'ont eux-mêmes vécu.
Le deuxième constat relève du manque d'informations, qui alimente d'ailleurs l'autocensure, lorsque l'entourage (famille, enseignants) ne dispose pas forcément de l'information nécessaire sur l'ensemble des filières. En dépit de la diversité d'informations disponibles sur Internet, les trajectoires possibles ou les filières académiques menant à l'emploi ne sont pas nécessairement identifiées très précisément. Les jeunes ont besoin de ces informations pour s'orienter par la suite.
Le troisième constat ou frein relève des difficultés financières. Celles-ci limitent les perspectives de choix de ces jeunes.
Compte tenu de ces trois constats, nous essayons d'intervenir sur ces trois leviers.
Abordons à présent les constats spécifiques aux jeunes femmes. Nous en avons identifié quatre principaux. Ils se recoupent bien entendu avec les constats transversaux que je viens d'évoquer. Je précise que ces constats sont étayés par notre expérience quotidienne sur les territoires. Nous vous les présentons avec une grande humilité, dans la mesure où ils n'ont peut-être pas une valeur de vérité générale. Ce sont des impressions, des sensations que nous remarquons au travers de notre travail associatif. Elles sont bien entendu appuyées par des rapports et des chiffres.
Le premier constat concerne le différentiel de confiance en soi entre les jeunes femmes et les jeunes hommes. Nos adhérents accompagnent davantage les femmes que les hommes. C'est plutôt une bonne nouvelle, surtout auprès de cette délégation ! Cela montre tout de même que les femmes expriment davantage leur besoin d'un accompagnement renforcé, justement parce qu'elles manquent parfois plus de confiance en elles que les jeunes hommes. Elles sont souvent plus hésitantes dans l'affirmation de leurs propres choix auprès de l'équipe pédagogique ou de leur entourage et dans l'identification de leur propre voie.
Elles font également preuve d'une appréhension plus marquée que les jeunes hommes face à certaines démarches logistiques ou à l'éloignement géographique. Ce mécanisme d'autocensure, qui nous semble renforcé par rapport à leurs homologues masculins, est identifié tout au long du parcours des femmes, d'abord vers l'orientation dans l'enseignement supérieur, puis dans l'entrée sur le marché du travail, mais aussi tout au long de la carrière. Un ensemble d'études a d'ailleurs montré qu'une part du différentiel de rémunération entre les femmes et les hommes pouvait s'expliquer par une certaine réticence des femmes à négocier leur rémunération. Cet ensemble de phénomènes psychologiques constitue donc autant de freins agissant tout au long de leur carrière.
Je mentionnerai deux éléments chiffrés à l'appui de ces propos.
Dans l'enseignement supérieur, les femmes sont plus nombreuses que les hommes (59 % de femmes pour 41 % d'hommes) mais 6 % de femmes seulement postulent auprès de classes préparatoires aux grandes écoles, contre 8 % d'hommes. Le salaire médian des femmes travaillant dans les territoires ruraux en 2017 s'élevait à 17 540 euros, contre 20 590 euros pour les hommes. L'écart est ici aussi très significatif.
Nous observons bien toute une trajectoire d'autocensure qui, étape par étape, conduit à une divergence de parcours professionnels.
Notre deuxième constat porte sur le manque d'accompagnement des lycéennes dans certains choix d'orientation. Certaines filières sont encore très stéréotypées. Bien souvent, le corps professoral, pensant bien faire, les perpétue inconsciemment. Il décourage, parfois involontairement, certaines jeunes filles qui aimeraient suivre des cursus que l'on n'associe pas nécessairement aux femmes. J'ai le souvenir d'une jeune fille, aujourd'hui membre de mon association dans l'Allier, qui souhaitait depuis la seconde s'orienter vers une carrière militaire. N'ayant pas été soutenue dans son choix, elle s'est finalement décidée à rejoindre l'École du Louvre, qui l'intéressait également. Si elle en est aujourd'hui très heureuse, son exemple illustre le fait que les stéréotypes concernant certaines filières peuvent décourager des jeunes filles qui seraient pourtant motivées à les rejoindre. Elles ne sont simplement pas soutenues. Nous faisons ce constat chaque année.
Notre troisième constat relève plutôt du contexte familial. Lors de nos interventions, nous avons pu remarquer que le poids de la famille, pour les jeunes garçons comme pour les jeunes filles, était très important. Il peut parfois constituer un véritable frein pour les jeunes femmes dans la mesure où celles qui voudraient se diriger vers la capitale ou de grandes métropoles pourraient en être dissuadées pour des considérations tenant à leur sécurité par exemple. Bien souvent, le contexte familial pourra les décourager de se rendre à Paris, tout du moins au début de leurs études. Leur famille peut avoir tendance à préconiser certaines villes moyennes, où elles supposent que leurs filles seront protégées des difficultés que l'on associe aux grandes villes... À Sciences Po, je sais que la proportion de jeunes femmes est plus importante sur les campus délocalisés qu'à Paris. Les familles ont tendance à préconiser des villes moyennes, pour se rassurer avant que leurs filles ne rejoignent le campus de Paris. Pour illustrer ce point, nous avons récemment interviewé une grande écrivaine contemporaine au Pays Basque, marraine de notre association locale. Elle nous a confié qu'ayant un garçon et une fille, elle faisait elle-même davantage attention à la ville dans laquelle étudierait sa fille qu'à celle où se rendrait son fils.
Le dernier constat que nous souhaitons partager avec vous aujourd'hui est celui des discriminations. Elles existent, nous en sommes persuadés : nous avons recueilli un certain nombre de témoignages à ce sujet. Mais c'est la perception des discriminations potentielles que j'aimerais évoquer. Avant même qu'une jeune femme soit confrontée à ces discriminations, le sentiment qu'elles existent vient aggraver le phénomène d'autocensure. Ainsi, la crainte d'arriver dans une filière scientifique, un univers réputé uniquement masculin, d'y être mal accueillie ou d'y trouver difficilement sa place, freine les ambitions de certaines jeunes femmes vers les cursus scientifiques.
Pour conclure cette présentation, nous aimerions vous lire un témoignage d'une jeune fille au Pays Basque. Son expérience n'est ni négative ni positive, mais témoigne de ses réflexions et de ses doutes quant à son parcours dans l'enseignement supérieur dans un univers masculin - scientifique en l'occurrence.
« Après une classe préparatoire en physique-chimie, j'ai intégré une école d'ingénieur en mécanique des fluides. Ces deux volets de mes études supérieures ne sont pas encore les parcours auxquels on pense naturellement pour les jeunes femmes, et ça s'est senti, car la parité était loin d'être là. En école d'ingénieur, nous étions seulement dix femmes pour une promotion de plus de soixante élèves. J'ai depuis appris à m'affirmer, mais ma seule peur actuelle quand je passe des entretiens, c'est d'être prise parce que je suis une femme, et pas pour mes compétences (discrimination positive), ou au contraire de ne pas être prise parce que je suis une femme, alors que j'ai les compétences (discrimination tout court) ».
Ce témoignage, comme je l'évoquais, n'est ni positif ni négatif. Il est éclairant des doutes exprimés par certaines jeunes femmes tout au long de leur orientation et de leurs choix de carrière.
À ces constats, nous avons cherché à associer des solutions et à les mettre en place cette année. Sur les deux volets d'égalité des chances et de développement des territoires, nous souhaitons faire de la problématique de l'égalité hommes-femmes une priorité en 2021. Nous avons mis en place un plan d'action que nous allons déployer tout au long de cette année en développant certaines actions afin de lutter contre les inégalités constituant bien souvent un frein dans l'orientation, comme nous avons pu le constater.
La première méthode que nous avons commencé à appliquer ces dernières semaines, depuis le début de ce mois de janvier, est celle du contre-stéréotype, en utilisant des figures féminines dans des filières perçues comme majoritairement masculines. Ce n'est d'ailleurs pas simplement une perception. Nous avons commencé il y a quelques jours une campagne sur les parcours de jeunes femmes que nous avons accompagnées, ou qui sont nos adhérentes, dans des cursus scientifiques ou d'analyse de la donnée par exemple. Nous allons multiplier ces contre-stéréotypes afin de mettre en avant les parcours de femmes qui réussissent dans ces parcours scientifiques. Nous prévoyons également de mettre en avant des contre-stéréotypes inverses, c'est-à-dire des hommes dans les filières paramédicales ou sociales, actuellement très féminisées. Au-delà de cette intervention externe pour accompagner les jeunes et leur donner des role models, nous mettons également en place une formation interne à la sensibilisation sur les thématiques de l'égalité femmes-hommes au sein de nos associations. Nous ne sommes bien évidemment pas exempts de critiques potentielles, comme toute organisation, ce qui justifie une vigilance continue sur ces aspects. Nous devons être très attentifs sur la communication, mais également sur notre méthode de gouvernance en interne. Nous veillons ainsi à un équilibre parmi les présidents d'associations locales. Nous avons également mis en place un système de reporting assez avancé sur ces sujets, ce qui nous permet de savoir par exemple que 50,4 % des membres de nos bureaux d'associations locales et nationales sont des femmes à ce jour. Nous suivrons ces outils avec attention pour nous assurer qu'aucun écart n'apparaisse, dans un sens comme dans l'autre.
En 2021, par ailleurs, nous avons pour objectif de réaliser une infographie sur l'égalité hommes-femmes afin de disposer de chiffres et de portraits très précis, ceci afin de nourrir nos constats, mais surtout de trouver des solutions encore plus adaptées. Nous avons également pour ambition d'offrir plus de visibilité à nos actions locales et de promouvoir l'accompagnement des jeunes femmes, plus soucieuses et plus hésitantes, afin de lever certains de leurs doutes. Nous souhaitons ainsi travailler sur les problématiques de l'aide au logement lors du passage dans le supérieur, par exemple. Toutes ces démarches constituent souvent des freins pour les jeunes femmes souhaitant intégrer des cursus sélectifs qui se trouvent dans des grandes métropoles ou à Paris. Nous allons également organiser des rencontres féminines et des conférences sur ces thématiques visant à libérer la parole, à lever l'autocensure chez les jeunes femmes et à lutter contre les stéréotypes.
Nous souhaitons également mener une grande étude à l'échelle de notre fédération afin de disposer de remontées de chiffres et de témoignages des lycées avec lesquels nous sommes liés par des conventions sur la question de l'égalité des chances au féminin. Enfin, nous avons créé un poste de « référent(e) égalité des chances au féminin » au sein de notre fédération afin de mettre en place le plan d'action défini et de travailler plus spécifiquement sur ces thématiques.
Merci à vous deux pour cette présentation extrêmement intéressante. À nos yeux de sénateurs, vous êtes en effet extrêmement jeunes. Voir des jeunes si investis dans l'égalité des chances, entre hommes et femmes, mais aussi dans les territoires, c'est vraiment très positif !
J'ai une question concernant les difficultés d'accès des jeunes aux filières d'excellence : pensez-vous que les jeunes des territoires ruraux affrontent les mêmes difficultés que ceux issus des quartiers prioritaires ? Les mêmes réponses doivent-elles y être apportées ? Identifiez-vous des difficultés spécifiques pour les jeunes des territoires ruraux, telles que la mobilité par exemple ?
Vous avez fléché différentes difficultés pour les jeunes filles. Bénéficier de figures auxquelles s'identifier me semble très important. Les freins sont comparables quand il s'agit de se projeter dans un métier. Si l'on ne côtoie pas certains métiers, on ne peut pas imaginer de les exercer. Je me souviens d'un événement consacré à l'industrie au Grand Palais. La ministre du travail de l'époque faisait face à un amphithéâtre de 300 lycéens, à qui elle avait demandé qui souhaitait s'orienter vers un parcours professionnel dans l'industrie. Il me semble que je n'avais vu aucune main se lever. La question suivante était : « Qui a des parents travaillant dans l'industrie ? ». Moins de dix mains s'étaient alors levées dans l'assemblée. Il était en réalité très compliqué pour ces jeunes de s'imaginer travailler dans l'industrie puisque personne, dans leur environnement proche, n'y travaillait.
Je laisse la parole aux rapporteurs. Je vous propose de prendre toutes les questions avant que vous n'y répondiez.
Il est intéressant de constater votre mobilisation sur ce sujet, et le travail que vous réalisez dans les territoires ruraux. Me confirmez-vous que le Sud-Est de la France n'est pas représenté par votre fédération ? Couvrez-vous aujourd'hui l'ensemble du territoire ?
Vous faites le constat de l'autocensure chez les jeunes filles, que nous remarquons malheureusement bien souvent. Vous avez créé cette fédération en 2017. Voyez-vous déjà une évolution, ou est-ce trop tôt pour le dire ? La situation des filles dans les filières vers lesquelles elles ne s'orientent généralement pas a-t-elle évolué ? Au travers de vos propos, vous misez beaucoup sur l'exemple des role models. Voyez-vous une autre façon d'agir ? Vous avez souligné la difficulté plus grande pour une fille que pour un garçon d'étudier en ville, d'exercer certains métiers ou d'intégrer certaines filières. Vous nous avez montré que certaines filles parviennent à dépasser ces difficultés, souvent liées aux stéréotypes de genre. Comment casser ces stéréotypes ? Sur ce sujet, menez-vous un travail spécifique avec l'Éducation nationale ? Lorsque nous en discutons avec ses représentants, qu'il s'agisse des directeurs académiques des services de l'Éducation nationale (DASEN) ou du ministre lui-même, ils nous assurent qu'un travail est mené au niveau des écoles. Avez-vous le sentiment que c'est le cas ? Cela devrait l'être, mais je n'en suis pas certaine.
Madame Rouvet, j'aimerais que vous nous parliez de votre parcours. Qu'est-ce qui vous a poussée à vous lancer ? Comment avez-vous été amenée à monter en responsabilités au sein de DTGE ? Avez-vous des conseils à adresser aux jeunes filles ? Vous avez en effet osé vous affranchir des obstacles qui entravaient votre parcours. Votre exemple est un atout pour d'autres jeunes filles.
Enfin, un Livre blanc sur les parcours professionnels a été publié par la Conférence des grandes écoles. Il a établi que malgré quelques avancées, les conditions d'emploi des jeunes diplômés continuaient bien souvent d'être moins favorables aux jeunes femmes, ce que démontrent plusieurs indicateurs. Le constatez-vous aussi au regard des témoignages d'anciennes étudiantes ayant participé à votre programme ? Celles-ci ont-elles persévéré dans leur voie ? Le partage de votre expérience avec elles a-t-il influencé leur parcours professionnel ?
Je vous remercie pour vos témoignages et pour votre analyse. Vous avez parlé du Pays Basque. En effet, le président de l'association DTGE, Bixente Etcheçaharreta, y est né. Cette région est une terre traditionnelle de « diaspora », mais depuis quelques années, nous avons pu constater un tarissement des départs des jeunes vers Paris. C'est entre autres de ce constat qu'est née l'association.
Nous évoquons ce matin deux questions différentes, mais connexes. Nous abordons dans un premier temps la moindre mobilité entre la province en général, ou les régions, et Paris, où se concentre malheureusement encore l'essentiel des grandes écoles et des voies d'excellence. Cette mobilité s'est dégradée. Nous sommes presque revenus à la situation des années 1950 ou 1960, alors même que nous avions assisté entre 1970 et 1990 à une meilleure intégration des lycéens provinciaux dans les grandes écoles. Nous assistons au contraire à un « syndrome de la montagne Sainte-Geneviève », qui s'est renforcé depuis les années 2000. Nous devons le combattre ! Votre association y contribue.
S'ajoute à ce sujet la question des stéréotypes de genre, qui reste pour moi une énigme. L'Éducation nationale, au sein de laquelle j'ai travaillé notamment en tant qu'inspecteur général, a plutôt amélioré la situation. La proportion de filles au sein des terminales S, telles qu'elles existaient il y a encore deux ans, témoignait d'un relatif équilibre entre filles et garçons, même si le nombre de filles était plus élevé en terminale littéraire. Or dans la poursuite des études, en particulier dans les classes préparatoires et vers les grandes écoles, des stéréotypes de genre assez surprenants sont à l'oeuvre au sein des filières scientifiques. L'effort pour casser ces stéréotypes semble s'être arrêté après la terminale.
Nous identifions ensuite la question de la ruralité au sens très large, qui concerne aussi les petites villes voire les villes moyennes, mais également certaines villes plus importantes en région.
Je vous félicite pour le travail que vous réalisez, je suis heureux que l'association Du Pays Basque aux grandes écoles soit devenue Des territoires aux grandes écoles, et que ce projet se soit ainsi élargi au niveau national. Je pense que certaines questions sont liées à la formation des professeurs qui restent eux-mêmes marqués par leur propre parcours et leur propre représentation de ce qu'est l'enseignement supérieur. Un travail doit également être mené sur l'orientation et une contribution plus forte des collectivités locales, qui connaissent bien l'emploi, les besoins des entreprises et l'économie, à l'orientation des jeunes.
Concernant la ruralité, la taille des lycées est elle aussi un facteur très important. La faiblesse en nombre des équipes pédagogiques constitue un frein particulier au sein de ces territoires où les stéréotypes et représentations sont plus forts dans les petits lycées. Si nous pouvons nous féliciter de la multiplication des lycées depuis les années 1990 dans notre pays - pour rappel, le modèle napoléonien comptait un lycée par département - il n'empêche que les équipes pédagogiques sont peu nombreuses. La perpétuation des représentations y est de ce fait plus forte. Pour cette raison, il me semble primordial de fixer dans les futures conclusions de notre rapport une priorité au renforcement des politiques académiques d'orientation et d'accès aux classes préparatoires et aux grandes écoles. Si ce sujet ne devient pas une priorité, nous n'y arriverons pas. Dans les lycées de petite taille en zone rurale, nous verrons obligatoirement se perpétuer le syndrome de la montagne Sainte-Geneviève : « tout cela, ce n'est pas fait pour toi ».
J'ai été impressionné par votre exposé. Vous êtes probablement un exemple à suivre pour beaucoup de secteurs de notre territoire. Je réitère la question de ma collègue sur l'énigme du Sud-Est de la France, qui me tient à coeur ! Je suis preneur d'un rapprochement avec vos équipes dans les Alpes-du-Sud.
Je confirme ce que vous décrivez concernant les difficultés en termes d'égalité des chances et de recrutements féminins, notamment de cadres, dans les grandes entreprises régionales, hors région parisienne. Ces entreprises développent des stratégies identiques aux vôtres pour détecter, accompagner et attirer de nouveaux talents féminins dans leurs équipes. Elles développent des stratégies de contacts avec les grandes écoles et les universités en direction d'associations représentatives comme la vôtre afin d'attirer des publics féminins. Nous sommes donc confrontés aux mêmes difficultés, à la base et au sommet de la pyramide. Il me semble pourtant qu'il n'y a jamais eu autant de volontarisme pour développer la richesse des entreprises par la recherche de la diversité des profils recrutés. Je m'aperçois que des initiatives de tous ordres sont menées au niveau local, mais que quelque chose dysfonctionne au niveau macro, en termes de politiques générales. Avez-vous des attentes particulières à cet égard, du côté de l'État ou des acteurs nationaux ? Je serais très curieux de connaître vos suggestions en la matière, basées sur votre expérience.
De manière très pratique, pourriez-vous nous expliquer dans le détail la manière dont vous avez constitué votre réseau ? Lorsque j'interroge le président de la Chambre de commerce et d'industrie ou les acteurs socioprofessionnels de mon département, ils m'indiquent que la commune, la région ou le département produisent des talents depuis vingt ans. Nous avons de nombreux potentiels dans les entreprises ou les postes à responsabilité, car ils ont suivi des parcours d'excellence. Les connaissez-vous ? Les avez-vous identifiés ? Comment pouvons-nous nous appuyer sur cette expérience pour porter témoignage et exemplarité ? Pour créer du réseau ?
Vous avez indiqué que beaucoup de gens que vous suivez ressentent l'envie de retourner dans leur territoire et de s'y investir pour y restituer ce qu'ils ont acquis en termes de compétences. Cela participe au développement local. Malheureusement, nous n'y arrivons pas concrètement.
Je vais essayer de ne pas être trop longue. Je vous remercie pour vos propos qui m'ont beaucoup intéressée. À travers votre exposé, je me retrouve totalement dans les problématiques que je vis à l'échelle de mon département, celui de la Dordogne. Il est très beau et riche d'un magnifique patrimoine, mais 18 % de ses habitants vivent sous le seuil de pauvreté. C'est un handicap pour les familles, d'autant qu'à partir de Périgueux, il faut se rendre à Bordeaux pour faire ses études. Le logement y est très cher. De nombreuses familles n'ont pas la possibilité de franchir ce pas. Le prix de l'immobilier a considérablement augmenté, ce qui a mené notre département à mettre en place un prêt d'honneur et des bourses à destination des étudiants. Le premier est remboursé sur trois à quatre ans, et peut s'élever à 2 000 euros, en étant renouvelable. Nous avons offert à bon nombre de jeunes l'opportunité de franchir ce pas. Cette contrainte financière liée à l'éloignement constitue une difficulté considérable.
Malgré de bons résultats au baccalauréat - nous avons pu obtenir à Périgueux deux classes préparatoires (Hypokhâgne-Khâgne et Maths Sup), mais tous les étudiants ne peuvent pas y entrer - on observe ce phénomène d'autocensure de la part des filles qui, encouragées par leur famille, se dirigent plus particulièrement vers des CFA ou des établissements menant à des métiers techniques. Plus de 1 200 étudiants suivent ce type de formation dans la banlieue de Périgueux. Tout est mis en place pour que l'étudiant reste sur le territoire. Ces aspects de mobilité et de difficultés financières constituent des handicaps sur nos territoires ruraux.
Travaillez-vous avec les missions locales ? Le Conseil économique, social et environnemental (CESE) avait émis des préconisations articulées autour de trois axes, dont la création d'une compétence Jeunesse, rendue obligatoire au sein des communautés de communes animant une politique jeunesse et territoire partagée. Avez-vous des contacts avec les élus des communautés de communes ? Il avait également été préconisé de mettre en place au sein de chaque bassin de vie une démarche de campus ruraux et de projets dédiés à l'accompagnement des jeunes dans leur projet, ce qui est intéressant. Un pacte « jeunes ruraux » inscrit dans les contrats de ruralité avait également été instauré. Ces pistes doivent selon moi être explorées. Nous devons dresser un bilan de l'état d'avancement de ces préconisations.
Vous intervenez au niveau des lycées avant l'entrée dans les grandes écoles. J'aimerais savoir s'il vous arrive d'aller chercher des jeunes plus tôt, au niveau du collège, comme le fait l'association Chemins d'avenirs, pour susciter des vocations et lever les freins, notamment financiers. Je sais que l'École supérieure de commerce de Brest propose des formations en apprentissage permettant aux jeunes d'accéder aux grandes écoles par d'autres filières. Elle va chercher les futurs étudiants dès le plus jeune âge, au collège.
Nous travaillons généralement à partir de la classe de seconde, et au lycée où se joue vraiment l'orientation supérieure. Il nous est toutefois arrivé d'intervenir dans des collèges. Nous avons par exemple été sollicités à plusieurs reprises dans l'Allier l'année dernière. Lorsque les collèges font la démarche de venir vers nous, nous nous y rendons, même s'il ne s'agit pas de notre cible d'action principale.
Vous m'interrogiez sur mon parcours et sur les raisons pour lesquelles je crois que notre modèle peut lever l'autocensure. J'ai fréquenté un lycée à côté de Vichy, à Cusset, une petite ville de l'Allier. À l'époque, un seul de mes camarades avait fait Sciences Po, celui qui est intervenu dans mon lycée. La plupart de mes professeurs n'étaient que peu renseignés sur les voies d'accès à cette école. Ils essayaient de m'aider mais ils ne connaissaient pas les spécificités du concours, n'étant eux-mêmes pas passés par là. Le fait de discuter avec un étudiant originaire de mon lycée, âgé de deux ans seulement de plus que moi, que j'avais pu croiser dans la cour de récréation et qui avait connu les mêmes professeurs que moi m'a permis de me sentir en confiance immédiatement. Surtout, je me revois dans ma posture de lycéenne, intimidée à l'idée de poser des questions à un professeur devant toute la classe ; le regard des autres camarades n'est pas toujours évident à assumer. En revanche, rencontrer un étudiant d'à peu près du même âge permet d'instaurer plus facilement une relation de confiance. Je suis allée le rencontrer après son intervention. C'est ce qui m'a tout de suite plu et rassuré. Il a trouvé les mots justes et adaptés aux difficultés que je rencontrais au sein de mon lycée ; je n'aurais pas pu avoir cette relation avec un professeur. Bien souvent, le frein principal pour tous les jeunes, mais surtout pour les filles, résulte d'un manque de confiance. L'insuffler un tout petit peu permet de lever bien d'autres obstacles. C'est ainsi que j'ai pu oser me présenter à Sciences Po. J'y pensais déjà, mais le fait d'être face à un étudiant ayant franchi le pas deux ans plus tôt m'a vraiment rassurée et donné confiance.
Concernant mon engagement dans l'association, il est venu assez naturellement. Je le dis souvent, et nous en plaisantons dans l'association, mais c'est avant tout une aventure humaine pour moi. Des liens d'amitié s'instaurent entre les tuteurs et celles et ceux qu'ils accompagnent. C'est la force de notre modèle. Nous sommes dans un climat de confiance, très informel, qui donne envie d'aider les autres à son tour dès qu'on arrive dans le supérieur. Cela a été mon cas. Dès mon admission, il m'a paru évident d'avoir un filleul ou une filleule et de l'aider de mon mieux. Je me suis d'abord investie dans l'association locale, dans l'Allier, avant d'intégrer le niveau national. Pour ma part, il a été important de constater que des personnes plus âgées que moi croyaient en moi et me donnaient des responsabilités. J'ai seulement vingt ans, et je suis là, au Sénat, en train de vous présenter tout cela : c'est assez incroyable pour moi ! Le fait que des personnes nous fassent confiance de la sorte constitue selon moi le levier principal permettant de lever le frein de l'autocensure. C'est vrai pour les jeunes filles comme pour les garçons.
Revenons maintenant sur l'implantation géographique de nos associations. Pour le moment, nous ne sommes malheureusement pas présents en PACA ni en Bretagne, mais cela pourrait évoluer prochainement. L'association Du Périgord aux grandes écoles, Mme Varaillas, qui a vu le jour le 1er septembre dernier, est déjà très dynamique.
Nous vivons également l'aventure humaine qu'évoquait Emma Rouvet tout à l'heure lors de la création d'une association. Nous ne l'avons pas encore souligné, mais nous nous basons sur un modèle d'associations locales auquel nous tenons beaucoup. L'association nationale vient en complément de ces actions locales. Elle a pour rôle de partager les bonnes pratiques, de participer aux débats d'idées sur les sujets d'égalité des chances. L'action concrète en revanche a lieu au niveau local. Toutes les associations locales sont indépendantes, dotées chacune d'un statut « loi de 1901 ». Nous ne suivons absolument pas une logique verticale descendante de Paris aux territoires. A la fédération, chacun des vingt à vingt-cinq membres du bureau est par ailleurs et avant tout engagé localement. C'est ce qui explique que la création des associations locales soit le fait d'une petite unité, de quelques personnes se rassemblant autour de ce projet et agrégeant leurs forces autour de jeunes, actuellement en étude ou jeunes professionnels, parfois même plus anciens. Bien sûr, lorsque des jeunes nous contactent, nous les mettons toujours en relation avec d'autres jeunes originaires du même département. Si le projet prend forme, nous les accompagnons dans la création de leur association. Nous avons identifié un processus d'appel à projets assez strict avec une sélection des dossiers. Par ce processus, nous voulons qu'une association puisse être créée dans la durée et qu'elle fournisse un travail de qualité. Notre objectif n'est pas de couvrir la France entière, cela n'a pas d'intérêt si les actions ne suivent pas. C'est pourquoi nous avançons pas à pas. Notre modèle, néanmoins, rassemble, et c'est la raison pour laquelle notre rythme de croissance est assez soutenu : nous avons ainsi validé dix créations d'association au 1er septembre dernier.
Nous serions en tout cas ravis de créer des associations dans les autres départements. Cela peut être organisé par la mise en relation de jeunes que vous côtoyez dans vos départements parce qu'ils ont envie de s'investir sur leur territoire. Nous serions heureux de les accompagner.
Vous évoquiez l'articulation « macro » et « micro ». Notre point de vue est que la création de solidarité locale est un geste fort, permettant de changer des parcours de vie. Emma Rouvet en est un bon exemple.
Nous sommes persuadés que c'est en tissant au niveau local des liens entre les jeunes lycéens, les élus, l'administration, les entreprises, TPE et PME, que nous pourrons créer ces solidarités qui facilitent le départ du territoire, mais également le retour. Vous nous interrogiez sur le bilan de cette trajectoire du lycée à l'entrée sur le marché du travail : nous accompagnons les jeunes vers les filières sélectives, souvent assez longues. Pour avoir une vision de l'entrée de ces jeunes que nous suivons sur le marché du travail, il faudrait à l'association un recul d'environ sept ans d'existence, que nous n'avons pas encore complètement.
Le dispositif de bourse constitue notre action la plus avancée à ce jour. Il comprend un accompagnement individualisé et un soutien financier. Il existe depuis trois ans. Nous verrons dans sept ans, je pense, si une partie de ces jeunes est revenue sur le territoire. Nous aurons besoin de quelques années encore pour observer l'impact complet de ce dispositif.
Nous sommes persuadés que c'est par cette articulation « micro » et « macro » que nous pourrons faire avancer la situation. Il ne nous appartient pas de décider au niveau « macro », mais nous pouvons penser à un ensemble de solutions. Parmi les freins identifiés par les femmes, nous n'avons pas évoqué le nombre de places d'internat en classes préparatoires ou dans les établissements d'enseignement supérieur. Les jeunes femmes nous font régulièrement remonter un manque dans ce domaine. L'effet de ce type de mesure n'est peut-être pas majeur, mais c'est l'addition de telles mesures qui permettra de faire évoluer les choses et d'ouvrir l'horizon de ces jeunes.
Vous évoquiez l'implantation des lycées et la carte des établissements d'enseignement supérieur. Nous constatons dans certains de nos départements que la création d'une grande école favorise l'apparition d'un écosystème autour de celle-ci. Les jeunes ont évidemment la possibilité de quitter le territoire pour faire des études en grande métropole, à Paris ou à l'étranger, et de revenir. Nous y aspirons. L'image du boomerang nous inspire : on laisse partir le jeune et on l'accompagne à son retour. Le jeune peut également suivre un parcours moins long en restant sur le territoire tout en suivant des études de qualité. Il est tout à fait possible de créer des écoles entourées d'un dispositif d'excellence en lien avec un secteur industriel spécifique. Nous pouvons également envisager que les établissements d'enseignement supérieur qui existent dans les territoires constituent une première étape vers une autre phase dans l'enseignement supérieur. Nous sommes convaincus que ce système peut fonctionner. En dépit de l'accompagnement que nous essayons d'impulser, tout le monde n'a pas la propension ou la volonté de partir tout de suite et de s'éloigner de son lieu d'origine, en allant par exemple étudier à New York. C'est d'ailleurs rarement le cas.
Nous entretenons naturellement de bonnes relations avec l'Éducation nationale, sans quoi nous n'interviendrions pas dans les lycées. Ces rencontres s'organisent après acceptation et dialogue avec les équipes pédagogiques et les chefs d'établissement. C'est sur la base de conventions écrites que s'organisent les interventions de nos associations locales dans les lycées. Au-delà, nous échangeons régulièrement avec l'Académie et le rectorat. Nous sommes de plus en train de constituer un dossier d'agrément auprès de l'Éducation nationale. Si vous souhaitez nous accompagner dans cette démarche, nous en serions ravis !
Pouvons-nous revenir sur la différence que vous pourriez avoir constatée ou ressentie entre territoires ruraux et quartiers prioritaires ? Comment définiriez-vous les principaux freins sur ces territoires ? Nous avons évoqué tout à l'heure les problématiques de logement et de mobilité. Constate-t-on des améliorations dans ce domaine ? Les freins sont-ils moins nombreux aujourd'hui qu'il y a dix ans ?
Notre fédération est centrée sur les territoires ruraux et la France des villes moyennes. Nous sommes toutefois persuadés que les enjeux entre ces zones et les quartiers prioritaires sont similaires, tout comme en outre-mer. Nous sommes d'ailleurs implantés en Guadeloupe et à La Réunion.
Nous observons des freins similaires dans l'ensemble de ces territoires. L'absence de mobilité géographique est semblable que l'on vienne de Lacaune, petite ville de moins de 3 000 habitants dans le Massif central, ou d'un quartier prioritaire dans les environs de Toulouse ou de Paris. Il en va de même dans les outre-mer. Cette impression que la grande école, qu'elle soit située à 50 ou à 5 000 kilomètres, n'est « pas faite pour moi », est la même. Nous ne considérons donc pas que les freins auxquels se heurtent les jeunes des territoires ruraux soient spécifiques. Pour autant, il est vrai que le parcours de ces jeunes est différent.
Pour créer une structure associative, nous devons disposer d'un « coeur de métier » pour accompagner au mieux les jeunes. Nous avons évoqué précédemment l'identification des personnes que nous accompagnons. Elle est triple :
- territoriale : nous intervenons auprès de jeunes ayant le même parcours géographique ;
- d'âge : par exemple, je n'interviens plus directement auprès des jeunes, car je me considère comme trop âgé pour que puisse s'établir une véritable connivence ;
- d'ambition académique : nous sommes en relation avec une multitude de grandes écoles. À titre d'illustration, il est difficile pour une personne ayant suivi un parcours spécifique dans l'enseignement supérieur de connaître très précisément les voies d'accès à Saint-Cyr, à l'École du Louvre et aux écoles de commerce. Il peut se renseigner, mais n'a pas vécu l'ensemble de ces parcours.
Cette identification et ce dialogue de pair à pair valent également, je pense, pour les jeunes issus des quartiers prioritaires. J'ai plus de facilités à accompagner un jeune ayant grandi à Lacaune qu'en petite couronne de Paris. Pour autant, les ressorts sont tout à fait comparables.
Je vous remercie sincèrement pour vos interventions. C'est un plaisir d'accueillir des jeunes au Sénat. On parle beaucoup actuellement des graves difficultés auxquelles sont confrontés les étudiants du fait de la pandémie. Il est important aussi de réfléchir, comme vos témoignages le permettent, aux problèmes d'égalité des chances à plus long terme.
Il est très important que des jeunes sortis des territoires y reviennent. C'est ce qui ressort de nos échanges. Nous devons leur faire comprendre qu'ils doivent partir pour lutter contre une forme d'enfermement, qui existe dans les quartiers comme en ruralité. Cet enfermement s'est renforcé par rapport aux grandes périodes de « diaspora » des provinciaux que j'évoquais tout à l'heure. Le départ des jeunes pour étudier ne signifie pas qu'ils ne reviendront pas dans leur territoire. C'est bien là l'engagement de cette fédération d'associations, partie de jeunes du Pays Basque confrontés à ce frein dans une terre traditionnelle de diaspora.
Dans les conclusions de notre futur rapport, nous devrons à tout prix aborder la formation et l'éducation des professeurs, premiers contacts des lycéens. La manière dont les enseignants ont vécu leurs propres études, dans un contexte bien différent de ce qu'il est aujourd'hui, n'est pas sans conséquence. Lorsque j'étais en charge de ces questions, j'ai rencontré de nombreux professeurs qui considéraient que seuls les « meilleurs des meilleurs » pouvaient intégrer des classes préparatoires, puisque c'est ce qu'ils avaient vécu à l'époque. Une préconisation devra porter sur une véritable politique académique en matière d'orientation. Les étudiants passent souvent par l'université ou les écoles de proximité. Cela n'empêche que la politique de mobilité doive être pensée au niveau académique.
Je rejoins totalement votre avis. L'orientation est complexe : il faut connaître les filières, mais aussi le jeune. Ce n'est pas parce qu'un étudiant présente des compétences dans un domaine qu'il sera en capacité de suivre un cursus d'excellence. Pour arriver au même résultat, un élève peut avoir besoin d'un parcours différent en fonction de son tempérament. Orienter ne s'improvise pas. Une bonne orientation peut aussi représenter des économies pour les familles et l'éducation en général. L'enjeu est également de limiter les échecs dans les études supérieures, notamment en première année.
Le jeune doit avoir une bonne connaissance de lui-même. Souvent, un parcours projeté pour lui ne fonctionnera pas. Je pense de plus qu'un travail de fond doit être mené dès le collège.
Je vous adresse à tous deux mes remerciements sincères et ceux de mes collègues pour cette audition très enrichissante. Les rapporteurs ne manqueront pas de s'inspirer de vos témoignages et de votre expérience.