Conformément au deuxième alinéa de l'article 45 de la Constitution et à la demande de M. le Premier ministre, une commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi relative à la protection de l'identité s'est réunie au Sénat le 10 janvier 2012.
Elle constitue d'abord son bureau et désigne :
Jean-Pierre Sueur, sénateur, président ;
Jean-Luc Warsmann, député, vice-président ;
Virginie Klès, sénateur, rapporteur pour le Sénat ;
Philippe Goujon, député, rapporteur pour l'Assemblée nationale.
Philippe Goujon, député, rapporteur pour l'Assemblée nationale. - La navette a beaucoup enrichi ce texte, et les deux chambres sont parvenues à un très large accord : seul l'article 5 reste en discussion. Il a d'ailleurs été profondément remanié par l'Assemblée nationale pour tenir compte des inquiétudes exprimées par le Sénat. La consultation de la base de données a été très encadrée, avec le souci de protéger les libertés individuelles, et les recommandations du Conseil d'Etat et de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) ont été prises en compte. Le nombre des empreintes a été limité, la reconnaissance faciale et l'interconnexion de la base centrale des titres électroniques sécurisés (TES) avec tout autre fichier interdites. Nous avons aussi été attentifs à la situation des 100 000 victimes d'usurpation d'identité - je reconnais qu'il est difficile d'évaluer leur nombre - qui vivent un véritable cauchemar, mais aussi des victimes de catastrophes naturelles ou d'accidents collectifs et de leurs familles : c'est pourquoi, outre les enquêtes sur les cas d'usurpation d'identité, le fichier pourra être consulté pour l'identification des corps, ce qui permettra aux proches de faire leur deuil et de régler les problèmes administratifs et successoraux.
Le texte est conforme au principe de proportionnalité et comporte trois sortes de garanties. La garantie de la protection des libertés publiques d'abord, puisque l'accès au fichier sera restreint par rapport au droit commun : les réquisitions judiciaires seront limitées dans leur objet, je l'ai dit, aux enquêtes sur des usurpations d'identité et à l'identification des victimes de catastrophes. Les documents sources d'état civil seront sécurisés par l'article 4. Des garanties constitutionnelles ensuite, puisque les recommandations de la CNIL et du Conseil d'Etat, qui reconnaît la constitutionnalité de la base centrale au regard de la double exigence de respect de la vie privée et de sauvegarde de l'ordre public, ont été entendues : interdiction de la reconnaissance faciale et de l'interconnexion, limitation à deux du nombre d'empreintes digitales enregistrées dans la base. La décision du 10 mars 2011 du Conseil constitutionnel sur la loi dite LOPPSI 2 portait sur un logiciel de rapprochement judiciaire, alors qu'il est ici question d'un fichier administratif ; mais pour plus de sécurité juridique, nous avons tenu compte de cette jurisprudence, puisque l'accès au fichier sera autorisé au cas par cas par l'autorité judiciaire. Des garanties conventionnelles enfin : encore une fois, la base centrale des TES n'est pas un fichier de police, et n'est donc pas en contradiction avec les articles 8 et 14 de la Convention européenne des droits de l'homme. Y figureront les détenteurs d'une carte d'identité - document qui demeure facultatif et gratuit - et non les personnes soupçonnées d'avoir commis une infraction, comme dans le cas visé par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme. Le texte prévoit un « lien fort » encadré qui préserve donc l'équilibre entre la protection de l'identité et celle des libertés publiques.
L'article 5, remanié dans la forme mais non dans le fond, ne répond pas aux préoccupations du Sénat. Une protection juridique contre les abus ne suffit pas, car elle n'est ni intangible, ni irréversible. C'est pourquoi nous devons mettre en place une protection technique -le lien faible- empêchant que l'on détourne le fichier de son objet : protéger contre l'usurpation d'identité.
Les députés veulent en outre autoriser l'utilisation du fichier pour identifier les victimes de catastrophes, mais il existe pour cela d'autres moyens : on peut avoir recours aux empreintes génétiques, et même un fichier à lien faible suffirait dans bien des cas : car, outre les données biométriques d'une base et les données biographiques d'une autre, on dispose des informations fournies par les proches sur le genre, l'âge, la taille du disparu. L'avis de la CNIL est clair, et sa présidente l'a répété devant notre commission : un fichier doit répondre à un objectif unique, et ses moyens doivent y être proportionnés. L'objectif du présent texte est de protéger contre l'usurpation d'identité, et non d'identifier les victimes de catastrophes, voire de faciliter les enquêtes judiciaires !
Un fichier à lien faible suffirait à lutter contre l'usurpation d'identité dans 99,9 % des cas : car outre l'article 5, l'article 4 renforce la sécurisation des documents d'état civil qu'il faut produire pour obtenir une carte d'identité. Si quelques fraudeurs parviennent à franchir cette première barrière, ils ne pourront pas obtenir une deuxième fois un titre sécurisé, car les données biographiques et biométriques permettront de les détecter immédiatement. Or l'usurpation d'identité n'est profitable que si elle peut être répétée.
Voilà pourquoi le Sénat, dans son immense sagesse, a privilégié un fichier à lien faible. Aucun autre système ne protège suffisamment les libertés.
A entendre nos deux rapporteurs, il paraît difficile de parvenir à un compromis. Le plus sage serait de passer au vote sur l'article 5, après que ceux qui le souhaitent se seront exprimés.
L'Assemblée nationale avait adopté en première lecture un texte dangereux pour les libertés publiques, autorisant la connexion de la base de données avec d'autres fichiers, mais elle a fait en deuxième lecture un effort considérable. Mme le rapporteur considère qu'une protection juridique ne suffit pas, mais un texte contraire aux exigences constitutionnelles de respect des libertés publiques n'échapperait pas à la censure du Conseil constitutionnel.
En outre, un fichier à lien faible ne répondrait pas à l'objectif poursuivi, qui n'est pas seulement d'établir que l'identité de quelqu'un a été usurpée, mais de retrouver le fraudeur. La proposition de loi initiale n'instaurait d'ailleurs pas un tel fichier. Je suis donc embarrassé : la commission des lois avait voté le texte proposé par son rapporteur à une large majorité, mais il faut reconnaître que les députés ont avancé sur les libertés publiques.
Je remercie M. Lecerf d'avoir pris l'initiative de cette proposition de loi, qui comble un vide juridique : les victimes d'usurpation d'identité, qui vivent une expérience traumatisante, étaient jusqu'à présent mal protégées par la loi. A l'article 5, l'Assemblée nationale a finalement adopté un texte beaucoup moins attentatoire aux libertés publiques qu'en première lecture, mais cette rédaction ne nous rassure pas tout à fait. Quelle que soit la gravité du délit en question, elle ne justifie pas que l'on mette en péril les libertés. Ce n'est d'ailleurs pas la sécurité des titres électroniques biométriques qui pose problème, mais celle des documents papier d'état civil qui permettent d'obtenir ces titres. Les députés socialistes se rangent donc à l'avis du Sénat : M. Urvoas a montré lors du débat en deuxième lecture, grâce aux travaux de la CNIL, qu'avec un fichier à lien faible, nous serions suffisamment équipés.
Quelques mots, en tant qu'auteur ou premier signataire de cette proposition de loi. Dès la première lecture sont apparues des divergences entre l'Assemblée nationale et le Sénat, que la navette a cependant aplanies. Le texte voté en deuxième lecture par les députés assure une protection juridique efficace des données. Notre objectif doit être à la fois de protéger l'identité et de confondre les fraudeurs. En 2005, lorsque j'ai commencé à travailler sur la fraude documentaire, on venait de découvrir le système du fichier à lien faible, mais aujourd'hui même ses inventeurs reconnaissent qu'il est inopérant. Il faut donc adopter le fichier à lien fort que propose l'Assemblée et dont elle a retiré toute la toxicité, faute de quoi nous n'aurons rien fait qui vaille.
Mme Klès a rappelé ce qui a motivé jusqu'à présent les votes du Sénat ; le principe d'un fichier à lien faible fut pour moi déterminant. Bien que les députés aient beaucoup infléchi leurs vues, je reste sur cette position.
J'approuve entièrement ce qu'a dit Mme le rapporteur. Certes, l'usurpation d'identité pose un grave problème, et je pense aux victimes et à leur famille. Mais ce texte crée un fichier supplémentaire, à lien fort si l'on s'en tient à la version de l'Assemblée nationale. Je ne peux oublier les déclarations de certains membres de la majorité gouvernementale, qui prétendaient par là mieux contrôler l'immigration. Rien ne nous oblige d'ailleurs à créer ce fichier : les Allemands s'en dispensent bien qu'ils aient instauré une carte d'identité biométrique. En outre, on alourdit encore un peu plus les charges des collectivités.
Je tiens à rassurer M. Hyest : dans 99,9 % des cas, le fichier à lien faible permettra de retrouver la trace du fraudeur. S'il a créé une identité nouvelle, imaginaire, sans faire de victime par conséquent, il ne pourra pas obtenir un deuxième titre. S'il a usurpé l'identité de quelqu'un d'autre, et que cette personne possède elle-même une carte d'identité électronique et figure donc dans la base de données - ce sera bientôt le cas de tout le monde -, il sera possible de confondre le fraudeur avant même que le titre soit établi, par recoupement des données biométriques.
Ce fichier a une double vocation : protéger l'identité et identifier les fraudeurs. Un système à lien faible n'y suffirait pas. Si le fraudeur est le premier à déclarer son identité, il sera impossible de le détecter. Mme Klès parle d'une marge de 0,1 %, mais, faute d'un lien univoque, étant donné que de très nombreuses identités seront confondues dans un segment informatique, il faudra de très longues heures d'enquête pour confondre un fraudeur. Les policiers, me semble-t-il, peuvent être employés plus utilement...
Le système à lien faible n'a jamais été mis en oeuvre, et ses créateurs reconnaissent aujourd'hui qu'il s'agit d'un « système dégradé », qui ne permettra pas d'identifier les fraudeurs, et encore moins les victimes de catastrophes. Les fabricants regroupés au sein du Gixel ne veulent pas développer un tel fichier, car cela les pénaliserait vis-à-vis de la concurrence internationale. Il y a fort à parier que tous les autres pays européens adopteront un autre système, beaucoup plus intrusif. Est-ce protéger les libertés que d'exposer 99 innocents à une enquête de police pour identifier un fraudeur, qui pourrait l'être en une fraction de seconde grâce à un fichier à lien univoque ?
Les modalités d'accès à la base et son fonctionnement feront l'objet d'un décret en Conseil d'Etat pris après avis de la CNIL, les consultations seront traçables et la durée de conservation des données limitée. En outre, conformément au droit européen, les mineurs de douze ans ne seront pas concernés.
Après avoir écouté avec attention chaque intervention, j'observe que malgré les évolutions au fil des lectures de la position de l'Assemblée nationale sur l'article 5, les positions des deux assemblées restent inconciliables : je crois qu'il ne sera pas possible d'arriver à un accord en commission mixte paritaire sur un texte susceptible d'être ensuite adopté par chacune des assemblées alors qu'il s'agit bien -je le rappelle- de l'objet même d'une commission mixte paritaire. La sagesse serait donc d'en faire simplement le constat à ce stade.
Deux propositions concurrentes demeurent, c'est pourquoi j'ai d'emblée proposé, en début de séance, que nous procédions à un vote pour que la commission mixte paritaire puisse s'exprimer. Il reviendra ensuite à chaque assemblée de se prononcer sur le texte que, conformément à la Constitution, il lui appartient de leur proposer.
L'article 5 est adopté dans la version proposée par le Sénat.
Je constate que l'adoption de ce texte dans ces conditions constitue une méconnaissance du rôle d'une commission mixte paritaire dans nos institutions.
Ce n'est pas une méconnaissance des textes qui régissent nos assemblées et les commissions mixtes paritaires. Je le répète : nos assemblées auront l'occasion de se prononcer sur les conclusions de notre commission mixte paritaire.
- Présidence de M. Jean-Pierre Sueur, président -
La commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi organique portant diverses dispositions relatives au statut de la magistrature s'est réunie au Sénat le mardi 10 janvier 2012.
Le bureau a été ainsi constitué :
Jean-Pierre Sueur, sénateur, président ;
Jean-Luc Warsmann, député, vice-président ;
Jean-Yves Leconte, sénateur, rapporteur pour le Sénat ;
François Vannson, député, rapporteur pour l'Assemblée nationale.
Trois divergences demeurent entre nous sur ce texte. Elles portent sur l'article premier, relatif à la modification de la limite d'âge, liée à la réforme des retraites ainsi que sur les deux dispositions de l'article 2. Pour les autres articles de ce texte, et bien que nous déplorions le caractère expéditif de la procédure accélérée imposée par le gouvernement, ils ne posaient pas problème et ont été adoptés dans les mêmes termes par nos deux assemblées.
Le principe de réalité doit nous guider. Il s'agit de trouver un équilibre entre la volonté du gouvernement et les attentes des assemblées. Le Sénat est très rétif au 2° de l'article 2, qui élargit considérablement, jusqu'à douze ans sur l'ensemble d'une carrière, la durée pendant laquelle un magistrat est susceptible d'occuper la position de magistrat « placé ». Reste que la commission mixte paritaire est faite pour rapprocher les points de vue et parvenir à une rédaction commune. Nous serions donc prêts, si l'Assemblée nationale était prête à retenir la position du Sénat sur ce point, à rechercher une position commune sur le reste.
La commission mixte paritaire est saisie de deux articles de ce texte, ainsi que de son intitulé, modifié par le Sénat. Je salue l'adoption conforme par le Sénat de trois articles introduits par l'Assemblée nationale en première lecture, sur les compétences du comité médical national, sur les conditions de nomination des conseillers et avocats généraux près la Cour de cassation, sur la mobilité statutaire obligatoire pour l'accès aux fonctions hors hiérarchie, enfin, qui justifient la modification de l'intitulé de ce texte. J'approuve la suppression conforme de l'article 3, qui interdisait aux magistrats en exercice de recevoir des décorations, disposition contre laquelle je me suis toujours prononcé.
Reste un désaccord sur les deux premiers articles du texte. Le rapporteur du Sénat vient de nous indiquer qu'il pourrait se rallier à l'article premier, qui applique aux magistrats l'accélération du calendrier de réforme des retraites adoptée à l'article 88 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2012 : je salue cette démarche constructive. La loi de financement pour 2012 est promulguée, et l'on comprendrait mal que les magistrats ne partagent pas l'effort qu'elle demande à tous les Français. C'est pourquoi je vous proposerai d'adopter l'article premier dans la version de l'Assemblée nationale.
Sur l'article 2, le rapporteur du Sénat nous indique qu'il serait prêt à se rallier à l'exclusion des emplois d'encadrement intermédiaire dite « B bis », qui correspondent à des fonctions d'encadrement particulier, du bénéfice de la priorité d'affectation des magistrats placés. Reste donc, sur cet article, un point de désaccord, sur le temps de placement maximum, porté à douze ans sur une carrière. Je rappelle que le bénéfice de carrière que constitue la priorité d'affectation étant acquis au bout de deux ans, ceux qui souhaitent prolonger cette position au-delà le font sur une base volontaire. Cette disposition me semblait utile pour répondre aux voeux des intéressés et aux besoins des juridictions, mais pas au point de faire échouer la commission mixte paritaire : je me range donc à la position du Sénat.
Je suppose que les rapporteurs se sont assuré que, si nous parvenions à un accord, la chancellerie ne prendrait pas l'initiative de déposer un amendement pour réintroduire ces dispositions de l'article 2 ?
Je puis vous rassurer, la chancellerie a donné un accord de principe.
En tout état de cause, dès lors que nous nous sommes accordés sur un texte, un tel amendement du gouvernement ferait échouer la procédure.
Cas d'école en effet, puisque la chancellerie a donné son accord.
Je vois que le consensus prend forme mais ne puis m'y associer : je voterai contre.
Ceux qui s'y associent, dont je suis, pèsent les avantages et les inconvénients. Nous faisons grand cas de la situation des magistrats placés.
L'intitulé du projet de loi organique est adopté dans la rédaction du Sénat.
L'article premier est adopté dans la rédaction de l'Assemblée nationale.
L'article 2 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission mixte paritaire.