La commission entend M. Alain Lambert, président du Conseil national d'évaluation des normes.
La réunion est ouverte à 10 h 05.
Nous sommes très heureux d'accueillir notre ancien collègue Alain Lambert. La simplification des normes, dont il est spécialiste, est au coeur des préoccupations des élus - qu'il s'exprime devant nous pendant le congrès des maires a valeur de symbole. Le coût des nouvelles normes (6 milliards d'euros entre 2008 et 2011) semble encore plus difficile à supporter avec la baisse historique des dotations aux collectivités territoriales. Pour se pencher sur ce problème, la délégation aux collectivités territoriales du Sénat a désigné un premier vice-président, Rémy Pointereau, chargé de la simplification des normes applicables aux collectivités territoriales.
Vous exercez depuis le mois d'avril, à titre expérimental et pendant un an, le rôle de médiateur des normes entre les collectivités territoriales et l'État. Le Conseil national d'évaluation des normes (CNEN) que vous présidez a été créé par la loi du 17 octobre 2013, issue de la proposition de loi de nos collègues Jacqueline Gourault et Jean-Pierre Sueur. Il remplace la Commission consultative d'évaluation des normes (CCEN), avec des compétences élargies. Il doit être systématiquement consulté sur l'impact technique et financier des textes réglementaires, des projets de loi et même des actes de l'Union européenne. Il est aussi compétent sur le stock de normes - comment l'appréhendez-vous ?
Le CNEN peut s'autosaisir, être saisi par le Gouvernement ou par les commissions permanentes du Parlement. Il peut aussi être saisi par les collectivités territoriales : il faut pour cela une saisine par cent maires, dix présidents de conseils généraux ou deux présidents de conseils régionaux.
Le CNEN a été installé en juillet dernier, mais vous connaissez bien le sujet, sur lequel le Gouvernement vous avait notamment chargé d'une mission avec Jean-Claude Boulard. Quelques membres du CNEN se sont plaints des délais très courts octroyés pour l'examen des textes. Le délai de six semaines peut en effet être réduit à quinze jours, voire à 72 heures, en cas d'urgence. Or, comme au Sénat, l'urgence semble fréquemment invoquée. Comment travaillez-vous ? Quels sont vos moyens ? Comment allez-vous vous attaquer au stock de normes existantes ?
Il se murmure que vous auriez émis un avis défavorable au projet de loi sur la transition énergétique. Pourquoi ? Les parlementaires n'ont-ils pas leur part de responsabilité dans l'inflation normative ? En Allemagne, ils savent supprimer des textes. Je me souviens qu'en 2009 le président de la République, recevant les maires de France à l'Élysée, leur avait déclaré que pendant la dernière année de son mandat, on ne légifèrerait plus, mais qu'on se contenterait de faire le bilan des lois déjà votées et d'en supprimer, au besoin, certaines. Cette démarche m'avait parue excellente. Hélas, elle n'a pas été mise en oeuvre...
Sénateur honoraire, c'est un bonheur pour moi de revenir parmi mes collègues. La profusion des normes freine l'action publique et coûte cher. C'est pourquoi la CCEN a été créée en 2007. Entre septembre 2008 et juin 2014, elle a rendu 1 400 avis : les 1 400 textes considérés ne nous ont pas tous paru indispensables... Le bilan de la CCEN a été publié, vous le connaissez. C'est à l'initiative du Sénat qu'elle a été transformée en CNEN.
Nous n'étions d'abord, à la CCEN, que quelques moines-soldats, qu'on pouvait compter sur les doigts d'une main. La participation à une bonne vingtaine de réunions par an n'y était aucunement rémunérée. Au CNEN, nous sommes plus nombreux, ce qui a changé notre manière d'examiner les textes : nos nouveaux collègues ne s'imaginaient pas placés sous un feu de mitraillette ! Les séances durent plus longtemps, le nombre d'avis défavorables est plus important ; dans le passé nous nous efforcions de trouver avec les administrations centrales des rédactions acceptables. Les nouveaux membres du CNEN, tous d'excellente qualité, ont rapidement assimilé la culture de la CCEN. Les sensibilités politiques n'apparaissent pas et je veille à ce qu'il n'y ait pas de clivage entre les différents échelons territoriaux, afin que nous parvenions à des prises de position unies face à l'administration de l'État. Notre rythme de travail est lourd : si les Premiers ministres successifs depuis M. Fillon ont tous décidé d'un moratoire sur les normes, il nous revient toutefois d'en informer l'administration, qui l'ignore tant elle est parfois déconnectée de la volonté politique.
Notre travail sur les textes réglementaires marche bien, car nous avons pour interlocuteurs les administrations qui les ont rédigés. Lorsqu'elles prétendent s'appuyer sur la volonté du législateur, nous nous en assurons au prix d'un travail de bénédictin : très souvent, cette transcription a été menée avec une telle élasticité que nous retrouvons dans le règlement des amendements que vous aviez rejetés. Or nous ne reconnaissons pas à l'administration la légitimité que confère le peuple français. Et nous le lui disons.
Pour les projets de loi, en revanche, sur lesquels nous sommes désormais compétents, le rythme de la procédure législative rend notre travail peu opératoire, parce que la production législative s'effectue à flux tendu. Saisis en 72 heures sur un projet de 250 pages, qui sera modifié au cours des débats, nous pouvons tout au plus alerter le Gouvernement sur d'éventuelles difficultés qu'il susciterait pour les collectivités territoriales.
Nous avons en effet émis un avis défavorable au projet de loi sur la transition énergétique. Nous aurions pu nous abstenir collectivement, pour laisser les représentants de l'administration émettre un avis favorable. Nous le faisons lorsque nous considérons que le collège élu ne dispose pas d'éléments suffisamment probants pour s'opposer au texte ou pour l'approuver. En la circonstance, nous avons choisi d'émettre un avis défavorable qui signifie que soit il s'agit d'une proclamation susceptible de réunir un consensus assez large, soit il s'agit d'un dispositif normatif, que nous ne pouvions approuver en l'état.
Le Conseil d'État a évalué le stock de normes à environ 400 000 textes. Les examiner au même rythme que le flux prendrait 2 000 ans. Les solutions que je défends pour les traiter n'ont pas encore recueilli un avis très favorable de la Commission. À mon avis, nous devrions déclasser un grand nombre de textes : nous ne saurions travailler au cas par cas. Ce qui a pris la forme d'un décret peut souvent être requalifié en arrêté, un arrêté en circulaire, une circulaire en guide de bonnes pratiques.
Nous devons également recourir aux nouveaux moyens technologiques. Déjà, il y a trois ou quatre ans, les textes que les administrations n'avaient pas mis en ligne dans un délai d'un an n'ont plus été opposables, ce qui ne signifie pas qu'ils n'existaient plus. C'est une excellente méthode : parler d'abrogation suscite de trop nombreuses oppositions. Grâce à ce déclassement quasi industriel, l'administration fera le travail de tri : elle se précipitera pour mettre en ligne les textes importants, et oubliera les autres. Ainsi, le stock fondra rapidement. Les juristes du Conseil d'État ou du Conseil Constitutionnel que j'ai pu consulter sont parfaitement conscients du caractère déraisonnable de notre stock.
Nous nous sommes répartis en trois formations spécialisées pour l'examiner: une première est chargée des textes issus des ministères des transports, de l'urbanisme, de l'environnement et des travaux, une deuxième pour la sphère des affaires sociales et la troisième pour tout le reste. Toutefois, avec le rythme actuel, ces formations spécialisées n'ont guère le temps de se réunir.
Ayant consacré trente-cinq années de ma vie au droit, je suis frappé que la France cède à la tentation permanente d'écrire ce qui semble être la vertu, sans nous en croire capables. Est-ce une manière d'expier ce péché ? Le droit n'a jamais engendré la vertu ; il n'est qu'un élément de contrainte. Dans nos sociétés, mieux vaut faire appel à l'éthique et à la responsabilité individuelle que de brandir sans cesse des sanctions inapplicables car disproportionnées.
Je vous remercie de tout le travail que vous effectuez en ce domaine depuis quelques années déjà. Le président Larcher a souhaité renforcer notre délégation aux collectivités territoriales en mettant l'accent sur la simplification des normes, car il s'agit de la préoccupation principale des élus, bien avant la réforme territoriale : la profusion de normes a un coût et les dotations sont en baisse... Trop de rapports sont restés lettre morte, il faut désormais passer aux actes. L'inscription dans la constitution du principe de précaution a certainement accéléré l'inflation normative. Ne faudrait-il pas le revoir, l'aménager ? Nous souhaitons que soient évaluées les normes, notamment au regard de leur coût de mise en place et d'application. Lorsqu'elles sont imposées par l'État, par les régions ou par les fédérations sportives, qui paie ?
L'abrogation de textes est toujours difficile, car elle suscite des oppositions. Essayons, plutôt, de légiférer moins, de supprimer les textes obsolètes, de dépoussiérer les codes. Je souhaite que nous travaillions ensemble de manière utile et fructueuse.
Je ne doute pas que vous y arriverez. Les parlementaires portent une part de responsabilité, en votant sans cesse de nouveaux textes sans évaluer systématiquement les anciens. C'est ce manque d'évaluation qui explique la rareté des abrogations.
Écoutant cette présentation simple et détaillée, je me suis souvenu de ce préfet expliquant aux 250 nouveaux maires du département qu'il recevait tous les matins une telle masse de textes qu'il était incapable de les lire : comment les appliquer ? Sur les 1 400 avis que vous avez déjà rendus, combien portaient sur des textes de loi, combien sur des textes réglementaires ? Certains portaient-ils sur des circulaires ministérielles ? Ayant déjà effectué plusieurs mandats, j'ai souvenir de projets de loi de 8 à 15 articles contre 60 ou 70 maintenant, sans parler des articles qui donnent au Gouvernement le soin de légiférer par ordonnance. Combien de textes pourraient faire l'objet d'un moratoire ? Évaluez-vous l'impact, en termes d'allongement des délais et de coûts supplémentaires, de l'application des nouvelles normes ?
M. Lambert m'indique que chaque jour paraissent 320 pages de textes nouveaux.
Oui, nous devons battre notre coulpe. Rappelons-nous le texte sur les risques technologiques et naturels... Simplifier les normes n'est pas une tâche aisée. Il importe d'envisager chaque norme dans un contexte global : comment le faites-vous ? Quelle est votre méthode pour travailler en amont avec l'administration centrale ? Un tel travail est difficile pour le législateur, surtout lorsque nous sommes dans l'opposition.
Je ne suis pas d'accord avec ce qui a été dit du principe de précaution : celui-ci n'a jamais occasionné de blocage. Ce sont surtout les entreprises qui le critiquent... Il y a encore une prise de conscience à opérer en ce domaine.
Comment publiez-vous vos avis ? Le législateur devrait toujours les avoir en tête. Nous devrions, d'ailleurs, systématiquement lire le chapitre entier du code dans lequel s'insère la loi que nous votons. Je salue, monsieur le Président du CNEN, vos efforts pour faire prévaloir la volonté du législateur sur celle de l'administration, même s'il s'agit souvent de la lutte du pot de fer contre le pot de terre...
Nous nous réjouissons que la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales s'empare du sujet. Nous sommes même prêts à venir siéger systématiquement devant elle, car nous souhaitons que les chambres du Parlement se mobilisent et s'emparent du sujet.
Bien que j'aie voté contre le principe de précaution, je constate loyalement que depuis sept ans, il n'a pas été à l'origine des textes qui nous ont été proposés. À mon avis, il s'agit surtout d'un problème de jurisprudence. Faut-il l'abroger ? C'est une question politique... L'évaluation ex ante est toujours sujette à caution. Mieux vaut une évaluation ex post. Pourquoi ne pas réclamer une réévaluation, après un an, de toutes les études d'impact qui avaient été annexées aux projets de loi ? Si elle révèle un écart, il sera justifié de reprendre les textes concernés.
Prescripteur-payeur ? Si vous parveniez à introduire dans la loi le principe selon lequel les dépenses décidées par le pouvoir réglementaire viendront en déduction de l'effort demandé aux collectivités territoriales dans la réduction des déficits publics, vous saisiriez à la gorge les administrations centrales et la direction du budget reprendrait la main sur la production réglementaire.
Le document intitulé « La qualité de la loi », rédigé par les services du Sénat, dit tout. Si nous rédigions aussi bien que Portalis, nous aurions moins de difficultés... Souvent, le détail porté par les amendements figurerait plus utilement dans l'exposé des motifs. Le dispositif législatif doit rester simple et général.
Nous essayons d'envisager chaque mesure dans le cadre d'ensemble dans lequel elle s'insère : nous ne faisons pas de l'épicerie de détail... Il en est cependant des règlements comme des lois, des cavaliers y apparaissent, et ceux-là ne risquent pas les foudres du Conseil constitutionnel. Nous travaillons avec les associations d'élus : AMF, ADF, ARF. Nous ne délibérons pas sans leur avis préalable. Nous interrogeons également nos services dans nos collectivités, de manière à ne pas être trop loin de la réalité. Nos avis sont publiés sur Internet.
Je ne connais pas la répartition de nos 1 400 avis entre mesures législatives et réglementaires. En tout cas, ils ne portent pas sur des circulaires ministérielles. Je n'ai pas non plus de statistiques sur le moratoire. Les administrations se disent dans l'obligation de prendre les décrets d'application des textes votés par le Parlement. Si nous faisons l'expérience de laisser un mois de liberté aux collectivités territoriales, bien des choses se débloqueraient à cette occasion ! C'est un peu ce qui s'est produit pendant la crise financière. Une évaluation ex post montrerait certainement que les résultats ont été excellents.
Votre présentation m'a beaucoup appris. Nous sommes tous favorables à la simplification des normes, dont la profusion nuit à l'action publique. Sur la transition énergétique, votre vision diffère de celle de M. Jean Jouzel, que nous avons auditionné, et qui est très favorable à cette loi. Nous entendrons aujourd'hui la ministre.
Comment évaluez-vous le coût d'une norme ? Par exemple, combien coûte le fait d'imposer un ascenseur pour tout immeuble de plus d'un étage ? Intervenez-vous sur les normes émises par le Parlement européen ? Le Gouvernement a annoncé qu'il diminuerait chaque trimestre le nombre de normes de cinquante ; participez-vous à ce travail ?
Jean Jouzel a souligné l'écart entre les objectifs ambitieux de la transition énergétique et les moyens. Ayant porté une grande partie du Grenelle II, j'ai reconnu, en sortant de l'hémicycle, que nous avions créé un monstre : une adaptation de la fiscalité aurait été plus efficace que ces textes extrêmement normatifs. J'aimerais connaître votre avis sur ce point.
Comment la procédure de moratoire fonctionnerait-t-elle ? Les textes non publiés par les administrations ne seraient-ils plus appliqués ? Quelles conséquences vos avis ont-ils ? Suffisent-ils, le cas échéant, pour que le gouvernement remette son ouvrage sur le métier ? Pourrait-on imaginer que, dans leur domaine de compétence, le pouvoir réglementaire soit confié aux collectivités plutôt qu'aux administrations centrales, enclines à verrouiller les dispositions législatives ? Je sais, pour avoir été chef du bureau des statuts de la fonction publique territoriale, que si la loi ne fait pas la vertu, l'administration croit pouvoir prévenir le vice, en tout cas celui des élus, en multipliant les textes. Pourrait-on, enfin, inscrire dans la loi le droit des collectivités à l'expérimentation ? Le principe juridique fort de la charte de l'environnement est celui de responsabilité, plutôt que celui de précaution, dont les conditions d'application sont rarement réunies, comme le notait le doyen Gélard.
On apprenait jadis dans les facultés de droit ce qu'est le principe de précaution juridique, en particulier par rapport aux circulaires. La vraie question que pose le déclassement d'arrêtés, c'est la nature juridique de la circulaire. C'est elle qui, souvent, dénature la loi, alors qu'elle n'a qu'une valeur interprétative. J'appelle à la plus grande prudence à l'égard de ce déclassement.
J'ai beaucoup appris, en travaillant dans cette commission aux côtés d'Alain Lambert, sur la capacité de l'administration à produire des textes extrêmement complexes, qui se prêtent à tous les recours possibles et ne tiennent pas compte de la réalité du terrain. Il faut ensuite que nous nous battions pour les amender. La question de Chantal Jouanno est très pertinente : les collectivités méritent, après tant d'années de décentralisation qu'on leur laisse davantage de responsabilités. L'interprétation des normes par les fonctionnaires des DREAL pâtit de leur éloignement du terrain : trop restrictive, elle freine la réalisation d'un grand nombre de projets. Cela ressort d'autant mieux si l'on compare notre pratique de transposition des normes à celle des pays voisins. Elle nuit à la compétitivité des entreprises françaises et suscite l'incompréhension de nos concitoyens. Par exemple, la protection des espèces devrait être plus nettement limitée à celles qui sont réellement menacées. Les délais d'instruction des dossiers sont beaucoup trop longs, surtout pour les communes qui, comme celle dont je suis maire, sont classées Natura 2000 : l'instruction d'un projet demande alors la durée d'un mandat. Le principe de précaution, que je n'avais pas voté moi non plus, est la source de tous les contentieux, et le tribunal administratif a l'éternité devant lui.
Je pensais en vous écoutant à une remarque du préfet de mon département, précédemment en poste dans les Pyrénées-Orientales : au nom de la même norme européenne, les captages dans une rivière de ce département sont interdits aux agriculteurs français et autorisés à leurs voisins espagnols.
Les maires se plaignent des difficultés qu'engendrent les normes : ainsi l'obligation de faire analyser l'air dans les écoles maternelles, moyennant 2 000 ou 3 000 euros, alors qu'il est certainement bien plus sain que celui du métro. Le Nord-Vienne, qui prépare l'implantation du cinquième Center Park, affronte pour cela toute la complexité des normes. La baisse des effectifs des fonctionnaires d'État expliquerait-elle que, faute de véritable pouvoir, ils se consolent en exerçant de plus en plus ceux de blocage et de sanctions ?
Outre les normes définies par l'État, nous nous heurtons à celles édictées par les fédérations sportives : les communes ont par exemple l'obligation de construire, sur leur stade de football, un local destiné aux arbitres handicapés. Qui peut s'interposer ? L'État ? Les élus ? Encore faudrait-il qu'ils s'organisent pour exercer une pression.
Les préfets exerçaient dans le passé un rôle de coordination des élus et des services, ainsi que d'interprétation des textes, ce qui faisait avancer les dossiers. Le rétablir ferait avancer les dossiers dans les départements.
Celui qui a un caillou dans sa chaussure peut soit se déchausser pour s'en débarrasser, soit continuer à marcher en prenant de l'aspirine. C'est cette seconde possibilité que nous semblons avoir choisie. J'ai vu Jean-Luc Warsmann se démener à l'Assemblée pour dépoussiérer les textes. L'excès de normes résulte du déséquilibre entre le pouvoir de l'administration et celui du Parlement ; pour autant, nous ne pouvons nous dédouaner en avouant notre impuissance, encore aggravée par le cumul des mandats. J'ai fait l'expérience, en tant que rapporteur, de l'inadéquation des décrets d'application aux textes votés. Les administrations déconcentrées ont été affaiblies, tandis que l'administration centrale, toujours aussi prospère, continue de produire des règlements qui déforment ce que les parlementaires ont voté. Les ministres ne sont pas, eux non plus, exempts de responsabilités : ils ne savent pas toujours ce que contiennent les textes qu'ils défendent et sont parfois incapables de faire plier leur administration. Avant de prendre des pastilles contre le cholestérol, commençons par manger moins de saucisson et de fromage !
Je suis moi aussi rassuré de voir Alain Lambert assumer cette mission importante. Le poids de nos normes, si nous n'y prenons garde, nous nuira davantage dans la compétition internationale que le coût du travail ou de l'environnement. Il y a à l'arrière-plan un problème sociétal profond : la peur du risque. Dans un monde judiciarisé, chacun cherche une protection. Les élus ont aussi leur part de responsabilité : ils multiplient les amendements et les prises de parole pour exister dans un système médiatisé. Un parlementaire expérimenté me disait un jour que nous devrions méditer ce proverbe chinois : « Il faut à l'homme quatre ans pour apprendre à parler, toute une vie pour apprendre à se taire ». L'administration se drape dans l'intérêt général pour produire des interprétations des textes qui ne sont pas même cohérentes d'un lieu à l'autre d'un département. L'administration centrale s'est renforcée, alors que les administrations opérationnelles de l'État (éducation, santé) s'affaiblissaient. Loin d'être démagogique, la notion de prescripteur-payeur pourrait utilement interpeller le ministère du budget.
J'ai travaillé jadis, en tant que responsable agricole, à l'élaboration de normes européennes visant à réduire les distorsions de concurrence. Ces normes servent souvent d'alibi démagogique, au détriment de l'Europe. La norme européenne, oui, toute la norme européenne, mais rien que la norme européenne. L'administration centrale de chaque État membre produit un vade-mecum pour la transposer : dans les pays du Sud de l'Europe, une simple page suffit ; dans les pays du nord, deux feuilles ; en France, dix-sept. Tout l'art de notre administration consiste à transposer les normes communautaires tout en conservant les normes nationales.
Un préfet en fin de carrière dans mon département disait aux jeunes énarques pétris de certitudes qui composaient ses équipes : « Sachez qu'un fonctionnaire ne devrait être autorisé à dire non à un pétitionnaire qu'après avoir exploré toutes les possibilités de lui dire oui ».
Il y a toujours, entre la simplification et le simplisme, une marge qu'il faut se garder de franchir. La complexité vertigineuse de notre univers est aggravée par l'internationalisation des problèmes - je me rappelle avoir eu les pires difficultés, en tant que député, pour transposer une directive relative à la propriété intellectuelle, le droit français étant radicalement différent de la common law - ainsi que par leur judiciarisation : comme on porte plainte pour un oui ou pour un non, 80 préfets et sous-préfets sont actuellement mis en examen. Le troisième facteur de complexité est la décentralisation : j'ai eu à gérer un schéma d'aménagement et de gestion des eaux sur la Bresle, un petit fleuve côtier entre Normandie et Picardie ; les DREAL de chaque région ne s'entendant pas du tout, j'ai dû exiger qu'ils s'adressent à la centrale pour arbitrage.
La complexité de la jurisprudence, variant d'un tribunal administratif à l'autre, vient enfin aggraver la situation. Il faut dix ans pour que le Conseil d'État harmonise la jurisprudence. Si des progrès ont été accomplis en matière de propriété intellectuelle ou de pollution maritime, c'est parce que des juridictions ont été spécialisées.
Les collectivités d'outre-mer ont une capacité d'adaptation locale des lois et règlementations dont nous pourrions nous inspirer.
Quelles économies ou recettes attendez-vous de l'intervention du CNEN ?
Les divergences de points de vue que vous avez constatées ne sont pas liées aux sensibilités politiques, mais à des différences d'approche : le responsable politique en charge de définir les grands objectifs d'une loi les présentera d'une manière générale, sans entrer dans les complexités induites. À chacun son rôle.
Des progrès considérables ont été accomplis depuis sept ans quant au coût financier des normes. Nous travaillons à partir de fiches d'impact, obéissant elles aussi à une norme. Si elles n'ont pas été bien remplies, nous pouvons refuser de délibérer. Il est vrai que certains impacts sont réellement impossibles à calculer...
Quant aux normes européennes, il est essentiel de distinguer si elles font l'objet d'une transposition pure et simple ou si elles comportent des dispositions françaises. Les instructions des Premiers ministres successifs encourageant les transpositions simples ne sont pas venues à bout de la maladie française qui consiste à tout vouloir réécrire en concepts juridiques français. Les juridictions en arrivent à se demander si la traduction française d'un concept anglo-saxon est la bonne. La transposition pure et simple est la solution la plus sage, mais elle demande un combat permanent.
Les annonces du gouvernement portent sur les simplifications pour les entreprises, monsieur Filleul, non pour les collectivités territoriales.
Le pouvoir réglementaire est un vrai pouvoir, non de bavardage, mais de majesté. S'il consiste à décider, il peut consister également à supprimer ou à déclasser un décret pour en faire une circulaire. Les administrations ont systématiquement choisi le type de texte réglementaire le plus élevé afin, de « donner plus de solennité ». La belle réponse ! Autant écrire en rose ou en vert... Acceptons l'idée de déclassifier certains textes, sans craindre un procès en sorcellerie politique : on ne supprime pas les dispositions qu'ils portent, on en réduit simplement la force.
Si l'État ne suit pas toujours nos avis quand ils reposent sur des considérations financières, il en tient compte de près de la moitié de l'ensemble de ceux que nous émettons : nous avons une influence réelle. Il est vrai qu'elle diminue à proportion de nos avis défavorables secs, avec lesquels l'administration ne se sent guère obligée de composer.
Le pouvoir réglementaire des collectivités locales est un sujet très intéressant. Le droit est ouvert depuis la réforme constitutionnelle de 2003. Je suis favorable à cette évolution pourvu que le pouvoir réglementaire local soit, dans un premier temps, négocié avec le pouvoir réglementaire central, et que les textes lui soient soumis pour avis, peut-être conforme, de manière à ce que le savoir-faire normatif particulier puisse entrer dans les esprits.
Le pays du monde où la gestion publique a été la plus réfléchie est le Canada. Il a introduit, outre le principe de responsabilité, un principe d'imputabilité : si un fonctionnaire a pris une décision, catastrophique à terme, alors que toutes les informations dont il disposait en faisaient la seule légitime, la décision lui sera imputée sans que l'on recherche sa responsabilité personnelle. Responsabilité et imputabilité ont été déconnectées. Beaucoup de fonctionnaires français approuveraient l'application de cette distinction, notamment en matière environnementale.
Je ne suis pas en état de relever le défi de parler de la nature juridique de la circulaire. Le pouvoir de majesté des États, qui la fonde, a été sérieusement érodé au fil de l'histoire juridique et des traités européens : le jour où l'on m'opposera une circulaire, je saisirai la CEDH, et je serai sûr d'avoir gain de cause - certains contentieux permettraient d'ailleurs de remettre l'église au milieu du village.
Les pays voisins du nôtre s'approprient le droit européen par transposition pure et simple, quitte à prendre ensuite une disposition nationale, les deux restant nettement séparés. Cela préserve la confiance des fonctionnaires européens, qui ne prennent pas toujours bien qu'on leur impute des dispositions insérées dans leurs textes par le législateur national.
Il aurait fallu, au moment des deux grandes lois de décentralisation, transférer beaucoup plus de fonctionnaires. Les effectifs des administrations centrales, privés de leurs anciennes missions opérationnelles se consacrent désormais à la réglementation et au contrôle, d'où la multiplication des textes. Nous avions à la direction des routes des ingénieurs remarquablement compétents ; ceux qui ne sont pas partis dans le privé font aujourd'hui de la réglementation et du contrôle, puisque nous n'avons plus d'investissements routiers.
Les fédérations sportives constituent le seul cas d'un droit offshore, sans support national ni international, c'est une forme de droit mondial parfaitement indépendant. Les fédérations des grandes villes et des départements doivent s'organiser entre elles pour leur parler d'égal à égal. Le ministère des sports fait ce qu'il peut...
Michel Raison a développé une fresque à laquelle je me bornerai à rajouter ce détail : nous avons, de fait, choisi un système dans lequel un ministre dure un ou deux ans. C'est à peine le temps d'apprendre le nom de ses collaborateurs, pas celui de rétablir des équilibres institutionnels. Le parlementarisme rationalisé de la Ve République a des limites qu'il s'agit maintenant de repousser. Le parlement est bien plus puissant qu'il ne l'imagine lui-même, dix fois plus par le contrôle qu'il exerce que par les textes qu'il élabore.
La seule manière d'écrire le droit à la Portalis, c'est de se fixer un nombre maximum de signes. Lorsque les maires, que nombre d'entre vous êtes encore, célèbrent un mariage, ils prononcent depuis 1804 la même formule « Chaque époux contribue aux charges du mariage à proportion de ses facultés ». Aucun toilettage ne l'améliorera.
C'est tout à fait vrai. Nous n'avons obtenu qu'à grand peine de ne plus devoir lire un article sordide sur la solidarité entre époux pour la dette.
Jérôme Bignon nous a invités à ne pas confondre simplification et simplisme. Nous n'en sommes pas là : le grand nombre de questions concrètes qui nous sont posées nous prémunit contre cette confusion. Nous savons désormais que nous devons séparer disposition juridique et caractéristiques techniques. Le texte de droit peut définir des obligations, qui se traduisent par des dispositions techniques séparées.
Les économies et les recettes proposées figurent clairement dans les fiches d'impact qui nous sont présentées et dans les statistiques que nous produisons sur le coût net des mesures adoptées chaque année. Bref, ne légiférez pas trop, joignez-vous plutôt aux travaux du CNEN.
Merci, monsieur le Président, vous nous avez beaucoup appris sur les normes dans notre pays. Nous nous efforcerons de suivre les pistes de travail que vous nous avez données.
La réunion est ouverte à 15 heures.
Le délai limite pour le dépôt des amendements sur la proposition de résolution européenne n° 80 sur le paquet déchet est fixé au lundi 1er décembre à 12 heures. Je vous rappelle que Mme Billon est notre rapporteure sur ce texte.
Je cède à présent la parole à notre nouveau rapporteur pour avis sur les crédits de la prévention des risques et de la météorologie.
J'ai l'honneur de vous présenter, pour la première fois, l'avis budgétaire relatif au programme 181 « Prévention des risques », au programme 170 « Météorologie » et au programme 217 « Conduite et pilotage des politiques de l'écologie, du développement et de la mobilité durables ». Ils sont dotés au total de 2,9 milliards d'euros, soit 43 % des 6,65 milliards ouverts au titre de la mission « Écologie, développement et mobilité durables ». Sans surprise, ces crédits diminuent, le ministère de l'écologie n'étant pas prioritaire dans ce projet de loi de finances.
Le programme 181 rassemble les crédits attribués aux politiques de prévention des risques naturels, des risques technologiques, des risques pour la santé d'origine environnementale et du devenir des sites miniers. En 2015, ce programme sera doté de 304 millions d'euros en autorisations d'engagement et 249 millions en crédits de paiement, en baisse respectivement de 20,4 % et 0,1 %. Les autorisations d'engagement diminuent fortement car les fonds affectés aux plans de préventions des risques technologiques (PPRT) après la loi de 2003 faisant suite à la catastrophe d'AZF à Toulouse ont été diminués : les besoins avaient été initialement surévalués. La première action du programme, 55 % des crédits, comprend les mesures destinées à prévenir les risques technologiques et finance les PPRT. Les crédits étaient supérieurs aux besoins, sans doute, mais le retard pris dans la mise en place des PPRT du fait des coûts d'expropriation et des travaux de consolidation du bâti explique aussi l'évolution du montant des crédits.
Réduire le risque à la source a impliqué de revoir les études de dangers avec les industriels. Cette phase a permis de réduire l'emprise des PPRT sur les territoires - de 350 kilomètres carrés dans les zones urbanisées. Au 1er août 2014, sur les 407 PPRT à réaliser, la quasi-totalité a été prescrite et 76 %, soit 311 plans, ont été approuvés. L'objectif est d'avoir approuvé 90 % des PPRT fin 2014 et 95 % fin 2015.
L'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail, (Anses) est financée à hauteur de 7,4 % par le programme 181. Cette agence est née de la fusion de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa) et de l'Agence française de sécurité sanitaire de l'environnement et du travail (Afsset). Le projet de budget prévoit d'allouer à l'Anses 94 millions d'euros, comme en 2014. Le plafond d'emplois de l'agence sera de 1 281 ETP. En revanche, les missions vont s'élargir en 2015, puisque la loi d'avenir pour l'agriculture du 13 octobre 2014 a prévu le transfert à l'Anses des délivrances des autorisations de mise sur le marché (AMM) pour les produits phytopharmaceutiques et matières fertilisantes. Avec ses onze laboratoires, l'agence dispose en effet d'une solide expérience en matière d'évaluation scientifique des dossiers de demande d'AMM, reconnue en France et en Europe. Elle sera demain en charge de délivrer, retirer et modifier ces AMM. L'agence ne risque-t-elle pas d'être à la fois juge et partie ? Ce transfert de missions et de responsabilités va modifier son positionnement : l'organisation interne devra être revue afin que l'évaluation et la gestion du risque pesticides se fassent de manière transparente et performante.
La loi d'avenir pour l'agriculture a également confié à l'Anses le pilotage d'un nouveau réseau de phyto-pharmacovigilance à l'échelle du territoire, qui fonctionnera sur le modèle des réseaux de pharmacovigilance en médecine humaine. Le réseau devra faire remonter les signaux, même faibles, comme cela se pratique pour le médicament.
En raison de ces nouvelles missions, le plafond d'emplois de l'agence augmente de 10 ETP pour deux ans. C'est encourageant. Mais 2016 et 2017 seront marquées par deux baisses successives de 5 ETP, ce qui signifie que la prise en charge des nouvelles missions de l'Anses devra se faire par réorganisation interne sur l'effectif existant. Le directeur général adjoint chargé des ressources a indiqué qu'il manquait 4 millions d'euros pour boucler le financement du dispositif. Pourquoi ne pas envisager une taxe additionnelle à la taxe sur le chiffre d'affaires pour les distributeurs de produits phytopharmaceutiques, proportionnelle au volume des ventes et à très faible taux, à l'image de ce qui se fait pour les médicaments vétérinaires ? L'Anses le propose et cette mesure pourrait être opportunément votée dans la loi de finances rectificative.
L'année 2013 a été marquée pour l'Anses par un effort budgétaire considérable, avec une diminution brutale de 50 ETP, ce qui avait entraîné la restructuration des laboratoires de recherche. Or, le lien entre recherche et expertise est important dans le domaine de la santé publique. Nous devons donc être prudents : de nouvelles contraintes budgétaires feraient perdre de vue certains risques sanitaires et affaibliraient la réaction de la France en cas de crise. Les responsables de l'agence estiment leur retard sur des dossiers d'évaluation de pesticides - dont certains extrêmement toxiques - à un an et demi.
La prévention des risques naturels est dotée de 40 millions d'euros, en progression de 6 %, afin de poursuivre les actions menées dans la prévention des inondations : mise en oeuvre du plan national submersions rapides, appel à projets des programmes d'actions de prévention des inondations (Papi), mise en oeuvre de la directive sur les inondations et l'élaboration de la stratégie nationale de gestion des risques d'inondation (SNGRI). La loi métropoles a créé une nouvelle compétence de gestion de l'eau et des milieux aquatiques et de prévention des inondations (Gemapi), confiée aux communes et leurs groupements. Les premières dispositions entreront en vigueur au 1er janvier 2016. L'année qui vient sera mise à profit pour organiser l'exercice de la nouvelle compétence et préparer l'instauration de la taxe prévue. Nous en reparlerons l'année prochaine. En juin 2013, les Pyrénées ont subi de graves inondations et certaines communes et EPCI n'ont plus aucun moyen propre pour financer des travaux, reconstruire des murs de rétention par exemple, malgré l'aide de l'État à 80 %. J'ai demandé au sous-préfet et au préfet de région d'accepter que les chantiers commencent avec la part apportée par l'État.
Le contrôle de la sûreté nucléaire, confié à l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN), représente 18 % des crédits du programme. Les crédits consacrés au contrôle de la sûreté nucléaire et à la radioprotection sont en très légère hausse de 0,04 %. Je suis très inquiet, après l'audition de M. Chevet, responsable de l'ASN. Le coût du contrôle de la sûreté nucléaire et de la radioprotection augmentera dans les années à venir. Les exigences sociétales s'accroissent : nos concitoyens exigent de plus en plus de transparence. L'activité de l'ASN va se développer. L'accident de Fukushima rehausse les normes de sûreté. De nombreuses centrales françaises arrivent en fin de vie et la question se posera de savoir s'il faut les prolonger de dix ans ou plutôt financer des équipements de type EPR, alors que celui de Flamanville est arrêté depuis un an. L'Autorité devra examiner le projet mené par l'Andra de stockage profond de déchets radioactifs, Cigeo. Enfin, le projet de loi relatif à la transition énergétique, en cours de discussion, pose le problème du démantèlement de certaines installations.
L'activité de l'ASN va s'accroître dans les années à venir, que l'on ferme certaines centrales ou que l'on prolonge leur durée de vie. L'Autorité devra y faire face, tout en maintenant une exigence maximale pour la sécurité des populations. C'est pourquoi il est impératif de réformer le financement de la sûreté nucléaire. Depuis la loi de finances pour 2000, la taxe sur les installations nucléaires de base (INB) est affectée au budget général. Les crédits correspondant à la mission de contrôle des installations nucléaires, financés par cette taxe, ont été inscrits au budget. Pour autant, quand la taxe collecte 576 millions d'euros, l'ASN n'en reçoit qu'un peu plus de 300. Nous connaissons les numéros de jonglage de Bercy, mais il est regrettable que le nucléaire en soit victime : le produit de cette taxe doit revenir à l'ASN.
Dans son rapport d'information de juin dernier sur la sûreté nucléaire, notre collègue de la commission des finances, Michel Berson, relevait que les budgets des autorités belge, espagnole et anglaise sont abondés, partiellement ou en totalité, par des taxes ou des redevances supportées par les exploitants. Une contribution versée par chaque exploitant pourrait être déterminée par application d'un coefficient multiplicateur à une somme forfaitaire. Ces coefficients seraient fixés par le Parlement, qui piloterait ainsi les ressources consacrées à la sûreté nucléaire. Un plafonnement éviterait toute augmentation non contrôlée de la dépense publique - l'excédent serait reversé au budget général. L'Autorité serait ainsi dotée de moyens pérennes.
M. Chevet a évoqué, lors de notre entretien, le survol des drones, problème évoqué lundi par l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst), comme par l'état-major de l'air, par deux généraux de la gendarmerie et par Areva, dont le discours m'évoque irrésistiblement celui de la scientologie, quand l'entreprise cherche à démontrer que les bassins de refroidissement sont d'une sûreté exceptionnelle. Le survol par ces drones est inoffensif, nous dit-on. Et en cas d'attentat terroriste par les airs ? Les responsables de l'ASN, eux, considèrent que ces bassins sont extrêmement vulnérables. Ils ont également évoqué les appareils à rayon gamma qui servent à vérifier l'étanchéité des tuyaux dans les bâtiments : ce sont des machines de guerre redoutables, capables de tuer tous les occupants d'un wagon de train, trois mois après une exposition. Or, il n'est prévu aucune traçabilité de ces appareils.
Le programme 170 « Météorologie » porte sur les crédits alloués à Météo-France. Cet opérateur a pour priorité la sécurité des biens et des personnes : les prévisions météorologiques s'intègrent dans une chaîne d'alerte et participent à la politique de prévention des risques. Il améliore également notre connaissance du climat, rôle crucial au regard des enjeux climatiques. En 2015, Météo-France sera doté de 205 millions d'euros, en baisse de 1,2 % par rapport à 2014. Il s'agit de la troisième année consécutive de baisse des dotations. Météo-France dispose aussi de ressources propres issues de son activité en tant que prestataire de services pour la navigation aérienne. Or, ces ressources propres ont elles aussi connu une contraction ces dernières années. Météo-France se trouve aujourd'hui dans une situation financière extrêmement difficile. Malgré la maîtrise de sa masse salariale et la fermeture programmée de 53 des 108 centres locaux, son président m'a indiqué pouvoir, dans ces conditions, poursuivre sa mission pendant encore deux ou trois ans, guère plus. Or, face au changement climatique, nous devons disposer de systèmes d'observation et de prévision météorologiques précis et fiables. Les politiques de prévention des risques naturels et technologiques - les systèmes d'alerte en particulier - dépendent des données fournies par Météo-France. L'activité de calcul et de prévision repose sur des technologies de plus en plus puissantes et donc coûteuses. Le Royaume-Uni s'est récemment doté d'un supercalculateur quinze fois plus puissant que celui, pourtant récent, utilisé par Météo-France, pour une somme de 120 millions. L'investissement doit être relancé si la France veut maintenir la qualité de sa prévision météorologique. La trajectoire budgétaire de Météo-France est donc préoccupante.
J'en arrive au programme 217 : le budget du ministère de l'écologie est en recul constant depuis trois ans. À périmètre inchangé, il va diminuer de 410 millions d'euros, soit 5,8 %. Au total, l'écologie a perdu 1,65 milliard de crédits depuis 2012, ainsi que 1 641 emplois en trois ans, auxquels s'ajouteront les 723 emplois qui seront supprimés en 2015. Comment maintenir les compétences et l'expertise au sein du ministère ? À moyen terme, ses missions sont remises en cause. Cette évolution a été encore aggravée le 14 novembre dernier par le vote à l'Assemblée d'un amendement qui opère une coupe supplémentaire de 9 millions. J'ai échangé sur le sujet avec Delphine Batho, ancienne ministre de l'écologie, qui partage mes préoccupations.
Pour moi, l'écologie et la prévention des risques constituent une nouvelle mission régalienne de l'État, mission malheureusement appelée à croître du fait du dérèglement climatique. À l'aune de ces enjeux, les crédits alloués à la prévention des risques, à la météorologie, et plus largement au ministère de l'écologie sont largement insuffisants. L'industrie et l'agriculture continuent de s'intensifier : nous devons conserver les capacités d'expertise et d'intervention de l'État, mais aussi augmenter les moyens alloués à la prévention et à la gestion des crises.
Je ne peux donc que proposer un avis défavorable à l'adoption des crédits des programmes 181, 170 et 217. Les coupes opérées cette année traduisent une gestion purement financière, une vision uniquement à court terme et irresponsable des politiques publiques. À l'heure où les dérèglements climatiques se manifestent de plus en plus fréquemment et avec toujours plus de violence, la poursuite de cette politique pourrait avoir des conséquences désastreuses !
Ce baptême du feu est tout à fait réussi, monsieur le rapporteur pour avis.
Je félicite notre rapporteur pour la vigueur de ses propos. Je ne sais si j'aurais osé, pour ma part, comparer le discours d'Areva à celui de la scientologie !
La sécurité nucléaire est en question : on nous affirme que l'on peut éviter qu'un Boeing ou un Airbus soit précipité sur une centrale, mais des drones survolent ces sites en toute impunité depuis plusieurs semaines...
Jusqu'à Fukushima, on prétendait que toutes les défaillances techniques avaient été prévues, en dépit des accidents survenus aux États-Unis et en Ukraine. Depuis Fukushima, on s'est rendu compte que face à un évènement imprévu considérable, comme une rupture de barrage ou une action terroriste d'ampleur, aucune centrale ne résiste. Les crash tests n'ont pas pris en compte toutes les hypothèses. Logiquement, il faudrait sortir du nucléaire, tranquillement, pour éviter une crise industrielle, d'autant qu'Areva est dans une situation très difficile. Il est de mauvais calcul de repousser la fermeture de la centrale de Fessenheim : plus tôt elle fermera, plus vite nous aborderons l'activité de démantèlement, créneau sur lequel la France pourrait très bien prendre le leadership mondial. Hélas, aujourd'hui, on ne songe qu'à mégoter sur les moyens affectés à la sécurité et à l'ASN. Des risques apparaissent, qui n'avaient pas été pris en compte auparavant, mais les dotations diminuent... Le rapporteur le dénonce, mais la majorité sénatoriale réclame année après année toujours plus d'économies budgétaires : il y a là une certaine contradiction. Je m'abstiendrai donc.
Je félicite M. Médevielle pour son rapport musclé qui rappelle certaines vérités particulièrement inquiétantes. Ce n'est pas parce que nous soutenons le budget du Gouvernement que nous ne regrettons pas l'absence de moyens sur tel ou tel poste, notamment en matière nucléaire. N'oublions quand même pas que la fermeture de Fessenheim dépend des analyses de l'ASN, non du Gouvernement.
Sur Areva, l'inquiétude est grande : nous aurions bien voulu que la technologie de l'EPR soit opérationnelle mais Areva ne semble pas la maîtriser entièrement. Nous en sommes à 8 milliards d'euros sur la centrale en cours de construction en Finlande. Mais je précise que nous voterons ce budget.
Le rapporteur a du punch, dites-vous. Cela démontre que l'on peut être au centre de l'échiquier politique sans être, pardonnez-moi le mot, ramollo !
Certes, tous les budgets ne peuvent augmenter, nous le disons depuis longtemps. Il faut cependant être capable de dégager des priorités, ce qui disqualifie la politique du rabot systématique.
Je ne suis pas surpris de la vivacité de notre rapporteur, qui est du pays du rugby. Néanmoins, je ne voterai pas son excellent rapport. Vous nous dites, président, que la politique du rabot n'est pas la bonne : n'était-ce pas, pourtant, ce que faisait systématiquement la précédente majorité, notamment en matière d'emplois ? Les choses ont changé avec, par exemple, la priorité à l'éducation nationale. De même la ministre de l'écologie a défini des priorités, mais des économies sont nécessaires. D'éminents responsables de l'opposition réclament des économies beaucoup plus importantes : sur quels budgets les imputeraient-ils ?
Et voilà !
S'il y avait moins d'emplois dans les directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal), bon nombre d'entre nous ne s'en plaindraient pas.
Il aurait fallu maintenir dans les préfectures les agents qui connaissaient bien le terrain : créer de nouveaux outils a été coûteux et les agents affectés à ces fonctions interprètent la règlementation de façon brutale et sans intelligence territoriale.
Ma génération a beaucoup pollué, privilégiant le profit immédiat, ignorant le long terme. À présent, nous sommes face à des dérèglements climatiques dramatiques que nous ne maîtrisons pas. Je regrette qu'il n'y ait pas davantage de crédits mais je voterai ce budget.
Je félicite notre nouveau rapporteur. Il décrit une situation préoccupante. Il ne faut pas diminuer les crédits de surveillance. On n'a pas dans le passé récent fait les choix les plus opérationnels... Mon groupe votera ce rapport.
Il y a quelques années, en matière d'inondations, affaissements de terrain et autres, nous avons créé une ligne budgétaire particulière pour financer le fonds Barnier de prévention des risques. Où en est-on ? Je ne pose pas la question pour proposer une ponction comme le fait si souvent le Gouvernement ; mais parce que son intervention serait décisive pour prévenir les risques de perte de vies humaines.
Il est utilisé lorsqu'il y a un risque majeur, nous en avons fait l'expérience en Normandie.
Et dans l'Eure particulièrement ! Je vais intervenir en tant qu'élu normand : ce fonds a été créé à cause des marnières. Au XVIIIème et XIXème siècles, des galeries étaient creusées pour exploiter la marne ou extraire des pierres. Depuis une vingtaine d'années, des affaissements souterrains causent des effondrements de maisons. Ces phénomènes ne sont pas considérés comme une catastrophe naturelle puisqu'ils résultent d'une activité humaine antérieure : le fonds Barnier, créé en 1995, permet dans certains cas d'indemniser les propriétaires.
À titre personnel, j'ai été l'une des victimes et j'ai dû raser ma maison. Pour que les assurances remboursent, il faut une déclaration de catastrophe naturelle et la maison doit être touchée - pas forcément démolie. Le fonds Barnier intervient dans les cas de risques d'affaissement : la maison, qui alors n'est pas (encore) touchée peut être achetée par l'État pour être rasée.
L'intervention de l'État n'est possible que si le comblement de la marnière coûte plus cher que le rachat de la maison.
L'énergie de notre rapporteur est remarquable. La compétence Gemapi marque une avancée : élu depuis plus de vingt ans, je conserve toujours des bottes dans le coffre de ma voiture car les inondations sont fréquentes dans ma commune de Guînes, située dans les monts d'Artois. Auparavant, le maire ou le président d'EPCI s'adressait en vain au département ou à l'État. Désormais, la compétence sera du ressort de l'intercommunalité qui pourra créer une taxe. Président d'un EPCI, j'ai pris cette compétence, afin de mener les travaux qui s'imposent. Mais dans certaines zones, celles où il existe des wateringues, 400 000 habitants versent déjà des cotisations à des syndicats : ils vont donc payer deux fois. C'est intolérable ! Ils risquent de coiffer le bonnet rouge !
Je m'associe aux félicitations adressées à notre rapporteur. La sûreté nucléaire a besoin d'argent et vous estimez qu'il y en a : j'aimerais comprendre.
La taxe sur les opérateurs rapporte à l'État 573 millions d'euros, dont 300 reversés à l'ASN. Il faut mettre fin à cette mécanique budgétaire. Doit-on attendre les catastrophes pour prendre les mesures nécessaires ? Les survols de drones continuent et tout le monde est inquiet, armée, gendarmerie, Areva, EDF, malgré les propos rassurants des dirigeants d'Areva. On ne sait toujours pas qui est à l'origine de ces épisodes. L'ASN a insisté sur la vulnérabilité des bassins de refroidissement. La politique est l'art de rendre probable ce qui est nécessaire, a dit Victor Hugo : aujourd'hui, la catastrophe n'est pas loin. Nous devons donc nous protéger.
La centrale de Gravelines est implantée dans une zone de wateringues. Après Xynthia, j'ai rencontré les responsables de la centrale pour leur faire part de mes inquiétudes si un tel évènement climatique survenait dans nos régions : ils m'ont ri au nez. Je trouve cette attitude un peu légère.
Lundi après-midi, lors de la réunion de l'Opecst, un officier de gendarmerie a parlé de la couverture des bassins par des charpentes métalliques : lorsqu'on l'a interrogé sur leur résistance, il nous a répondu « secret défense ». Il serait pourtant simple de dire : « nous ne savons pas ! »
La commission émet un avis défavorable à l'adoption crédits « Prévention des risques - Météorologie » de la mission « Écologie, développement et mobilité durables » du projet de loi de finances pour 2015.
La réunion est levée à 15 h 55.
Présidence de M. Hervé Maurey, président, et de M. Jean-Claude Lenoir, président de la commission des affaires économiques -
La réunion est ouverte à 16 h 30.
Nous sommes très heureux, madame la ministre, de vous accueillir aujourd'hui devant nos deux commissions, le Sénat n'ayant pas retenu, comme l'Assemblée nationale, l'option d'une commission spéciale. Le projet de loi relatif à la transition énergétique a l'ambition d'engager notre pays sur la voie d'une croissance verte, riche en emplois et respectueuse de l'environnement. Il renouvelle le modèle énergétique français en promouvant les économies d'énergie, en particulier dans le bâtiment, et le développement des énergies renouvelables - questions qui entrent dans le champ des compétences de la commission des affaires économiques. Il crée de nouveaux outils de gouvernance et de pilotage de la transition énergétique : objectifs qualitatifs et quantitatifs, stratégie bas carbone et programmation pluriannuelle. Il favorise également la rénovation thermique des bâtiments grâce à une simplification des règles d'urbanisme, à une obligation de travaux et au développement du tiers financement. Il combat la précarité énergétique par la création du chèque énergie.
Plusieurs dispositions doivent faciliter l'essor des énergies renouvelables : complément de rémunération au prix de marché, investissement participatif, regroupements des concessions hydroélectriques, création de sociétés d'économie mixtes (SEM) hydroélectriques, entre autres.
Les députés ont apporté de nombreuses précisions et introduit plusieurs dispositions importantes. La commission des affaires économiques sera très attachée aux objectifs de restauration de la compétitivité de l'économie française, qui suppose de maintenir un coût de l'énergie acceptable ; de soutien à la recherche et au développement de nouveaux modes de consommation plus économes, ainsi que du stockage de l'énergie ; de lutte, enfin, contre la précarité énergétique, par une politique ambitieuse de rénovation thermique et de diffusion du chèque énergie.
président de la commission du développement durable, des infrastructures, de l'équipement et de l'aménagement du territoire. - La commission du développement durable est saisie au fond de 83 articles sur les 175 de ce projet de loi, qui promeut une transition écologique autant qu'énergétique : il s'agit de modifier nos façons de produire, de consommer de l'énergie, de nous déplacer, de recycler, de jeter. Mais nombre des dispositions de ce texte sont essentiellement déclaratives. Les moyens nécessaires sont-ils prévus ? On en doute, à la lecture des articles. L'expérience du Grenelle de l'environnement a montré que des objectifs ambitieux ne suffisent pas. Ne manque-t-il pas ici un volet économique et un volet fiscal ? Cette fiscalité écologique, qui ne doit pas être punitive, mais de substitution, est quasiment absente de ce texte comme du projet de loi de finances pour 2015.
Le transport représentant 27 % des émissions de gaz à effet de serre. Je m'étonne, du reste, que ce texte soit si électrico-centré. Les dispositions touchant l'économie circulaire portent surtout sur les déchets. Notre commission étant compétente en matière d'aménagement des territoires, nous aimerions que vous précisiez votre vision de leur rôle dans cette transition. Que signifie le nouveau concept de « territoire à énergie positive » ? Alain Lambert, président du Conseil national d'évaluation des normes, nous a appris ce matin que le conseil avait rendu un avis défavorable à votre projet de loi, ce qui nous inspire une certaine inquiétude.
Je salue l'association entre vos deux commissions pour travailler sur ce projet de loi. Il marquera, je l'espère, un tournant longtemps attendu dans l'histoire du modèle énergétique français. Adopté par l'Assemblée nationale le 14 octobre dernier, il intervient dans une conjoncture particulièrement favorable : les États européens viennent de s'engager à réduire de 40% leurs émissions de gaz à effet de serre ; la conférence sur le climat de Lima, préparant celle de Paris en 2015, s'ouvrira dans quelques jours ; les territoires se saisissent des opportunités ouvertes par ce projet et ses mesures d'accompagnement. Si le défi climatique fait de la croissance verte une ardente obligation, elle représente aussi une chance de créer de nouvelles activités et de nouveaux emplois, si nous parvenons à bien articuler les grandes filières industrielles d'avenir - auxquelles 34 plans sont consacrés - les pôles de compétitivité des territoires, et le traitement de la précarité énergétique.
Le projet de loi de finances a introduit le crédit d'impôt « transition énergétique », destiné aux particuliers. Une ligne budgétaire de 5 milliards d'euros a été ouverte à la Caisse des dépôts et consignations afin que les communes et les communautés de communes puissent engager rapidement des travaux de performance énergétique. Et 100 000 prêts à taux zéro (PTZ) doivent être distribués par les banques - j'appelle les élus locaux à veiller à l'exécution de cet engagement. La taxe foncière a été localement supprimée pour encourager la création de méthaniseurs et le fonds spécifique pour la transition énergétique sera doté d'1,5 milliard d'euros sur trois ans.
Nos principaux objectifs sont, pour 2030, de réduire de 40 % nos émissions de gaz à effet de serre, de porter la production des énergies renouvelables à 32 % de notre consommation énergétique finale, de plafonner à 63,2 gigawatts la puissance nucléaire installée en France, soit son niveau actuel, de diminuer, enfin, la consommation d'énergie de 20 %. J'ai choisi de ne pas opposer les énergies les unes aux autres : le mix énergétique doit se constituer à la fois par les économies d'énergie, la montée en puissance des énergies renouvelables et le maintien d'une part d'énergie nucléaire, qui facilitera la transition.
Le bâtiment, gros consommateur d'énergie et gros producteur de CO2, offre le potentiel d'économies les plus rapides à obtenir, notamment dans les travaux d'isolation et d'installation des compteurs intelligents. Nous entendons promouvoir des transports plus écologiques : véhicules propres, augmentation des points de charge pour les véhicules électriques, création d'une prime à la conversion de 10 000 euros incitant les citoyens à abandonner leurs vieux diesels, plans de covoiturage, développement du fret ferroviaire, fluvial et maritime ; réflexion, enfin, sur le problème crucial du transport urbain.
L'économie circulaire consistera à réduire la production de déchets, qui seront réutilisés comme nouvelle matière première. Nous exigerons le recyclage de la masse considérable des déchets produits par l'industrie du bâtiment : la France est très en retard en ce domaine. S'y ajouteront le plan de lutte contre le gaspillage alimentaire et l'interdiction des sacs en plastique à usage unique au 1er janvier 2016. J'ai pu constater partout que la mécanique est enclenchée. Les appels à projets « zéro gaspillage, zéro déchet » commencent par la mobilisation des commerçants, afin d'éviter en particulier les dégâts causés aux mers et océans. Le navire Tara est de retour après sept mois de navigation en Méditerranée, où l'équipe était en mission de recherche. Le volume des déchets en plastique forme un continent sous-marin qui détruit la biodiversité. C'est un fléau terrible.
Un nouveau dispositif de soutien aux énergies renouvelables sera créé : les producteurs pourront vendre leur électricité directement sur le marché tout en bénéficiant d'une prime. Collectivités et citoyens participeront aux sociétés de projets pour les énergies renouvelables locales.
J'ai vu récemment le premier prototype de DCNS pour la récupération de la chaleur marine ; les courants et la houle offrent également un potentiel considérable outre-mer. Les éoliennes flottantes de nouvelle génération, expérimentées actuellement à l'île de Groix, n'abîment pas les fonds ; les hydroliennes placées dans le courant des rivières, ou sur les piles des ponts, sont des petits ouvrages très performants. Le développement de la méthanisation réduira notablement la pollution agricole, le problème des nitrates ; d'où un appel à projets pour 1 500 méthaniseurs sur l'ensemble du territoire.
Le titre VI prévoit le renforcement de la sûreté des installations nucléaires, il donne notamment plus de pouvoirs à l'ASN et met en place un nouveau cadre réglementaire. La représentation nationale sera enfin saisie de la politique nucléaire. Elle est fondée à en débattre - car ce sont les consommateurs, donc les citoyens, qui la financent - et à déterminer les grandes trajectoires en matière d'énergie.
Les projets dont la réalisation est trop longue finissent par devenir inadéquats : la création d'une procédure d'autorisation unique vise en particulier à clore les contentieux liés au littoral et à la loi sur l'eau. Des cours administratives d'appel seront spécialisées afin que les délais d'instruction soient réduits. Installer une éolienne ou un méthaniseur prend chez nous trois fois plus de temps que chez nos voisins. Je ne m'y résous pas.
La fin de ce texte porte sur le pilotage du mix énergétique : la stratégie nationale bas carbone doit améliorer notre politique de lutte contre le changement climatique. La programmation pluriannuelle de l'énergie fixera des objectifs quinquennaux. La représentation nationale sera ainsi à même de contrôler et réajuster le mix au fil du temps, en fonction notamment de son impact sur le coût de l'énergie.
L'identité insulaire des outre-mer, souvent perçue comme un handicap économique, deviendra une chance, à condition que nous travaillions à leur autonomie énergétique, que ce soit par la valorisation du soleil, du vent, de la mer, ou par la géothermie en exploitant les sous-sols volcaniques. La facture énergétique en sera réduite d'autant, pour ces territoires mais aussi pour la métropole - actuellement les coûts d'approvisionnement en énergie de ces territoires sont élevés.
Nombre de vos objectifs, madame la ministre, suscitent un large consensus, mais deux d'entre eux posent problème : la réduction de la consommation énergétique finale de 50 % d'ici 2050 et la réduction de la part du nucléaire dans la production d'électricité à 50 % d'ici 2025. Ne craignez-vous pas qu'en les gravant dans le marbre vous remettiez dangereusement en cause la croissance économique pour les prochaines décennies ? Je présenterai des amendements sur ce point.
Vous proposez la création d'un comité de gestion de la contribution au service public de l'électricité (CSPE) ; or le problème n'est pas sa gestion mais l'ensemble de ce qu'elle recouvre. Votre texte n'était-il pas l'occasion idéale de remettre à plat la CSPE ? Comme d'habitude, c'est le consommateur qui finira par payer.
Je salue votre volonté d'investir massivement dans les énergies renouvelables tout en préservant le nucléaire. Pourriez-vous nous éclairer sur le complément de rémunération ? Quels en seront les bénéficiaires et comment fonctionnera-t-il ?
Votre texte intervient au moment où doivent être renouvelées les concessions des centrales hydrauliques. Les méthodes que vous proposez sont bonnes : concéder les fleuves dans leur entier, créer des SEM. Irez-vous jusqu'à des partenariats public-privé (PPP) ? Bruxelles nous surveille, et plusieurs entreprises étrangères espèrent beaucoup de ces appels d'offres. Une ouverture du capital de ces SEM pourrait être la solution.
Ce texte passe malheureusement sous silence le financement de nombreuses mesures, ou le renvoie à des ordonnances ou des décrets. Ne craignez-vous pas que l'on vous fasse reproche d'un texte qui ne serait pas à la hauteur de vos ambitions ?
Je suis heureux qu'après les Grenelle I et II, nous nous attaquions à la transition énergétique. Les objectifs du Grenelle II, sur lesquels le Parlement s'était engagé, n'ont, hélas, pas été tenus. Quelle crédibilité peut-on dès lors accorder aux objectifs proposés par le Gouvernement ? Sont-ils autre chose que des produits d'appel ? Si le développement de la mobilité électrique est évidemment souhaitable, prétendre passer de 8 000 à 7 millions de bornes de recharge semble peu réaliste. Une perspective équilibrée ne serait-elle pas préférable au tout-électrique ? Vous avez abandonné l'écotaxe et le péage de transit poids lourds : quelle est à ce sujet la philosophie du Gouvernement ? J'ai écouté les dernières déclarations du Gouvernement : j'avoue que je m'y perds un peu...
Si le transfert modal est toujours votre objectif, sur le terrain, la part du fret ferroviaire se dégrade. Comment comptez-vous faire pour inverser la tendance ? Incluez-vous le moteur Euro 6 diesel parmi les véhicules propres ? J'aurais préféré que vous vous référiez plutôt à l'empreinte écologique des véhicules, depuis leur conception jusqu'à leur destruction. Quels sont précisément vos objectifs pour la disparition du parc diesel ancien ?
Vous donnez trop de compétences aux collectivités en matière de déchets - où sont les ressources correspondantes ? - et trop peu dans le domaine de l'énergie. En matière d'économie circulaire, vous fixez à la fois les résultats à atteindre et les moyens pour y parvenir : un peu plus de souplesse serait bienvenue.
Comment comptez-vous vérifier le phénomène de l'obsolescence programmée ? Enfin, le groupe de travail sur la servitude de marchepied dont vous prévoyez la création verra-t-il le jour dans le cadre de cette transition énergétique ?
L'objectif de réduction de notre consommation énergétique finale de 20 % d'ici 2030 est ambitieux, mais réalisable : par le concours « Familles à énergie positive », l'Ademe incite à des économies qui atteignent déjà 15% de la consommation de certains foyers. Mon ministère en réalise d'importantes en luttant contre le gaspillage, par exemple en remplaçant ses ampoules par des leds. Les bâtiments entièrement rénovés ou neufs doivent être à énergie positive. Certes cela renchérit de 10 % le coût des travaux mais le retour sur investissement est rapide.
Je suis d'accord avec vous, il faut y voir clair dans l'utilisation du produit de la CSPE. La péréquation tarifaire finance des équipements d'énergie renouvelable ; elle soutiendra les outre-mer et la mise en oeuvre du chèque énergie. D'où l'importance du comité de gestion pour une meilleure transparence. Pour espérer réduire le montant de la contribution, il faut rendre autonomes les outre-mer, dont l'approvisionnement coûte 50 euros de CSPE par an aux abonnés métropolitains. Ce sera un cercle vertueux. Il importe également d'accompagner les énergies renouvelables afin qu'elles gagnent en compétitivité. Les coûts du photovoltaïque ont déjà baissé de 10 % cette année.
Le complément de rémunération est indiqué dans les appels d'offres concernant les investissements en énergies renouvelables, ce qui favorisera l'établissement de leur bilan coûts-avantages. La création de SEM pour l'hydraulique, sur le modèle de la Compagnie nationale du Rhône, répond au problème de la remise en concurrence des concessions venant à échéance.
J'espère que cette loi de transition énergétique, qui reprend les meilleures propositions de la droite et de la gauche, recueillera autant de votes que celles du Grenelle II. L'objectif de 7 millions de bornes de recharge est réaliste et volontariste. Celles de nouvelle génération sont beaucoup plus rapides, et certaines, mises au point par Schneider, produisent de l'énergie photovoltaïque.
L'écotaxe, que vous avez votée, reste bien inscrite dans la loi. Elle pourrait prendre la forme d'un bonus, et non forcément d'un impôt. C'est sa partie traduite dans le contrat Ecomouv' qui a été suspendue, afin d'éviter une hémorragie financière - 2 milliards d'engagement avant tout rendement ! - et immédiatement remplacée par une écotaxe de 4 centimes par litre de diesel pour les camions, qui ne coûte rien au contribuable et qui va directement à l'agence de financement des infrastructures de transport de France (Afitf). J'ai pris mes responsabilités. Si j'avais maintenu le contrat, 40 % des fonds auraient été confisqués par l'exploitant, puisque les capitaux privés devaient être rémunérés à 17%, à quoi s'ajoutait le coût des portiques, du recouvrement, de l'usage de satellites, de l'envoi des factures aux entreprises... Le dispositif était encore compliqué par la possible répercussion de la taxe sur les chargeurs, c'est-à-dire sur les producteurs de fruits et légumes - d'où la révolte bretonne. On était bien loin du principe pollueur-payeur. Nous explorons à présent les possibilités de réutilisation des portiques pour d'autres usages.
La notion de véhicule propre que j'ai retenue englobe désormais les véhicules à hydrogène et à biocarburant, ceux qui ne consommeront que deux litres aux cent, et les diesels les moins polluants. Reste à nous entendre sur des normes incontestables de pollution de l'air.
Le premier objectif de l'économie circulaire est bien de transformer le plus possible de déchets en matières premières ; et c'est un levier de développement économique très important. Les entreprises ne savent pas assez que les déchets de leurs voisines constituent peut-être pour elles des matières premières potentielles. Les territoires font preuve d'une grande inventivité pour cette valorisation circulaire.
Ce projet de loi, très important pour l'avenir de notre pays, ne doit pas se heurter à l'idée que la transition énergétique relèverait d'un supplément d'âme. C'est au contraire une formidable opportunité pour notre industrie : nouveaux process, nouveaux marchés, nouveaux carburants... Mais en aurons-nous les moyens ? L'ONU considère qu'il faudrait y consacrer 2 000 milliards par an. Comment basculer la fiscalité, qui pèse surtout sur le travail, vers la consommation de carbone ? La question de l'investissement reste posée pour les chantiers de l'avenir.
Parlons couleurs : dans une période de grisaille, madame la ministre, vous proposez un avenir plus rose : je vous en félicite. Toutes les politiques publiques devront tendre à soutenir la croissance verte - et bleue, j'y tiens, comme élue d'une région littorale ! - mais quels moyens les financeront ? Certains estiment que l'effort d'investissement devrait être d'au moins 2 % du PIB dans chaque pays. En attendant le retour de la croissance, vos propositions constituent un véritable levier pour la création d'emplois de qualité. Comment favoriserez-vous la relance de l'investissement écologique privé ? Je plaide depuis longtemps pour le développement d'énergies à production constante, comme l'énergie marine ou la méthanisation. Les dispositifs de soutien prévus par vos articles 23 et 24 éviteront-ils les surcoûts engendrés par le système de subventions actuel ?
Comment sortirons-nous du contrat avec Ecomouv' et à quel prix ? Avec quels moyens comptez-vous soutenir le développement des pôles de compétitivité, puisque l'État vient de décider de réduire de 30% l'aide de 110 000 euros apportée à chacun ? L'intercommunalité que je préside en tant que maire de Revel s'est portée acquéreur de 15 000 mètres carrés au bord du lac de Saint-Ferréol afin de sortir d'une situation ubuesque en mettant fin à un bail précaire que Voies navigables de France a conclu avec un utilisateur. Malgré mes démarches répétées depuis dix-huit mois, je n'ai pu vous rencontrer à ce sujet et j'attends toujours de signer ce contrat, qui rapportera pourtant 160 000 euros à l'État.
Ce texte traduit une ambition limitée et ne traite pas de tous les aspects de la transition énergétique. Il présente des lacunes sur l'aménagement du territoire et les transports : l'avant-projet de loi n'en disait rien, exception faite de la voiture électrique. Il aurait mieux valu s'attaquer au coeur du problème par des dispositions réduisant les déplacements des personnes et des marchandises et promouvant les transports collectifs, notamment ferroviaires. Les régions auront-elles les moyens de leurs missions ? Le CNEN, l'un des orateurs l'a dit, a émis un avis défavorable à votre projet, qui ne s'attaque pas à la superposition des multiples schémas régionaux relatifs à l'environnement et à l'énergie. Il faut six ans en France pour réaliser un projet de méthaniseur, contre deux ou trois ans en Allemagne. Comment comptez-vous concilier deux objectifs contradictoires, la diminution de 40 % des gaz à effet de serre et la réduction à 50 % de la part du nucléaire dans notre mix énergétique ? Qui en paiera la facture ?
Ban Ki-Moon a déclaré à propos de la conférence sur le climat de 2015 « Il n'y aura pas de plan B, parce qu'il n'existe pas de planète B ». Réussir cette conférence requiert que la France montre l'exemple, et votre projet de loi y contribue. L'accord signé par les deux grands pollueurs que sont la Chine et les États-Unis est également une bonne nouvelle. Le crédit d'impôt « transition énergétique » aura un effet de levier appréciable sur la rénovation thermique des bâtiments, d'autant que son taux de 30 % s'appliquera dorénavant dès la première action de rénovation et non à un panier de travaux. J'applaudis aussi l'ouverture d'une ligne de prêt à la CDC pour l'isolation des bâtiments des collectivités. Pourriez-vous nous donner des précisions sur le programme d'investissements européen de 300 milliards d'euros ? Quelle part en sera affectée à la transition énergétique ? Est-il exact qu'une partie du fonds exceptionnel de financement par la CDC ira au remplacement des diesels anciens, mais aussi aux 200 territoires à énergie positive ? Quelle part pour le fonds « chaleur », essentiel si nous voulons atteindre dans ce domaine l'objectif de 38 % d'énergies renouvelables en 2030 ? Les articles 28 et 29 du projet de loi nous éviteront, en matière d'hydroélectricité, la simple mise en concurrence qui aurait conduit à brader notre patrimoine. Félicitations, madame la ministre, pour ces propositions !
Je vous remercie d'avoir souligné l'importance de cette loi qui prépare l'avenir, pour les générations futures. La loi encourage les collectivités territoriales à mettre en valeur leurs actions, afin que les bonnes pratiques se diffusent ; elle vise à favoriser des filières de développements industriels.
Divers moyens sont prévus pour soutenir la transition énergétique : le crédit d'impôt sur la mobilité propre, la simplification des conditions pour l'obtention des crédits transition énergétique pour les particuliers, 100 000 PTZ, la possibilité pour les régions de mettre en place des fonds de garantie, les aides de l'Anah - l'enveloppe de 50 millions d'euros étant insuffisante compte tenu du succès du dispositif, je travaille à obtenir un réabondement - les aides de l'agence de l'Ademe, bras armé du ministère de l'écologie, les certificats d'économie d'énergie, les 5 milliards d'euros de prêts de la CDC sans apport des communes,... J'ai mobilisé les préfets pour qu'ils informent les communes de cette possibilité dont le président Pélissard a été le premier à profiter. À cela s'ajoutent les prêts de Bpifrance, qui est la banque de la transition énergétique, et les tarifs d'achat. Le fonds spécial de la transition énergétique destiné au subventionnement des territoires à énergie positive, des « territoires zéro déchet », des méthaniseurs et des contrats locaux de transition énergétique, est en voie de finalisation.
Vous avez évoqué avec raison la croissance verte et bleue : une partie de notre avenir se trouve dans la mer. Il ne faut pas la surexploiter mais capter ses ressources potentielles.
La relance de l'investissement doit être financée par Bpifrance. Les pôles de compétitivité dans le domaine de la croissance verte se mettent en place. Les entreprises peuvent s'entraider pour avancer en matière de transition énergétique.
Nous sommes en négociation avec Ecomouv'. Le contrat avec l'entreprise a été signé en 2011. Il est complété par un protocole plus récent. Nous analysons les conséquences juridiques de ces conventions, les dépenses effectivement engagées pour l'entreprise, afin de parvenir à un accord. L'État doit payer ce qu'il doit, mais pas plus. J'ai reçu le président directeur général d'Ecomouv'. Je lui ai rappelé que le contrat doit être interprété au regard des principes généraux du droit. Nous étudions également ce que nous pourrions tirer des installations existantes.
La loi sur la transition énergétique n'est pas électrico-centrée, au contraire, et elle est axée sur l'aménagement du territoire. J'ai utilisé mon expérience d'élue locale. Je souhaite m'appuyer sur les territoires qui sont en avance. L'initiative des régions dans le tiers financement bénéficiera aux territoires. Le dispositif d'appel à projets est infrarégional et concerne notamment les communautés de communes. Désormais le volet mobilité des contrats État-régions inclura une dimension de transition énergétique ; et un volet biodiversité a été introduit. Les régions bénéficieront d'un éco-financement régions-État.
Le Conseil national des normes a un avis défavorable ? Très bien : qu'il se saisisse du projet afin de nous aider à simplifier les normes ! Il nous faut arrêter l'empilement des schémas nationaux, régionaux, communaux dont la réalisation absorbe au moins 20 % du temps de travail des fonctionnaires territoriaux.
Je remercie M. Courteau de ses compliments. Il a cité une très belle phrase de Ban Ki Moon. J'aime aussi celle-ci : « Tout homme a deux patries, la sienne et la planète ». Il faut nous engager et agir ensemble.
Cette loi est importante. Elle a été précédée par un long débat dans la société française et traduit le souhait de celle-ci d'entamer la transition énergétique. Elle redonne à l'État un pouvoir de planification de la politique énergétique, qui avait été largement délégué aux grands groupes et qui échappait de plus en plus aux pouvoirs publics. Elle trace des axes pour la création de filières industrielles en lien avec les enjeux de demain. Et elle offre un vrai rôle aux territoires. C'est une boîte à outils. Certains s'emploieront à rendre ce texte le moins opérationnel possible, soyons vigilants. Il y a beaucoup de conservatisme.
Je suis surpris par l'ambiguïté de votre propos sur une planification à dix ans révisable tous les cinq ans, ce qui n'est pas la même chose qu'une programmation à cinq ans. Que faut-il comprendre ? Enfin, y a-t-il un montage d'ingénierie financière qui permettrait aux collectivités locales d'utiliser les moyens mis à leur disposition par la loi sans que cela n'accroisse leur dette ?
Le sujet peut avoir des conséquences formidables sur l'emploi. La France dispose de ressources forestières, agricoles, maritimes. Ces ressources doivent être utilisées de manière cohérente, nous voulons en tirer le maximum de richesses tout en les préservant. Cela n'est pas toujours le cas : l'amendement interdisant l'herbe dans les méthaniseurs supprime une possibilité de valorisation d'un produit.
Nous avons pour notre pays une ambition d'excellence environnementale. Comment concilier cet objectif avec celui de la reconquête industrielle ? La question se pose à la fois au regard du coût de l'énergie, variable de compétitivité cruciale, et des distorsions qui pourraient exister entre nos règles et celles moins exigeantes de nos concurrents.
Nous partageons votre souci de développer l'économie circulaire. Le cercle doit être vertueux et demeurer sur notre territoire afin d'y créer des emplois. Cela suppose des efforts en matière de contrôle, par exemple sur la filière textile. Un reportage récent du magazine Envoyé Spécial a montré que des contributions étaient versées pour le recyclage de tissus en France, mais que ceux-ci étaient envoyés en Tunisie.
Comment inciter les propriétaires privées à entreprendre des travaux d'isolation pour diminuer la consommation d'énergie des logements loués à des personnes économiquement vulnérables ?
Certains syndicats estiment que les objectifs fixés en matière d'économies d'énergie sont illusoires compte tenu de l'augmentation de la population et de la nécessité de relancer la croissance de l'économie. Que pouvez-vous leur répondre ?
Comment relancer le fret ferroviaire ? Le logement est notre grande affaire. Peut-on améliorer la performance énergétique des bâtiments tout en contenant la hausse des loyers ? Les chaudières à bois doivent-elles être développées ? Nous disposons de deux chaudières de ce type à Auray, grâce à quoi nous avons créé des emplois dans l'agriculture. Quel est votre avis sur les incinérateurs? Faut-il enfouir ou brûler ? Est-il opportun de développer l'utilisation des moulins ou des petites turbines pour la fabrication de micro ou de pico-électricité ?
Je partage vos objectifs. Mes questions porteront sur les moyens prévus pour les atteindre. Tant que le système économique est globalement favorable aux énergies fossiles, il sera difficile d'obtenir des évolutions notables.
Il importe de donner une visibilité aux acteurs en matière fiscale. Pourriez-vous demander au ministre du budget, qui a jusqu'à présent rejeté tous les amendements en ce sens, si la parité fiscale entre l'essence et le diesel est envisageable d'ici dix ans ? Christian de Perthuis nous a indiqué que la taxe sur le carbone a un impact sur les décisions industrielles au-delà de 30 euros par tonne. Le montant actuel de la taxe est inférieur. Êtes-vous favorable à son augmentation ? A-t-on des objectifs en matière de certificats d'économies d'énergie ? Alors que 100 milliards d'euros sont collectés sur les livrets de développement durable, 3 % seulement sont utilisés pour servir cet objectif. A-t-on moyen de réorienter les fonds ?
La France dispose de six grandes stations de transfert d'énergie par pompage (Step). Il est important d'améliorer cette capacité. Dans l'Hérault, plusieurs collectivités ont des projets de micro-Step. L'Assemblée nationale a prévu un dispositif de fixation des tarifs d'utilisation du réseau de transport d'électricité pour les Step. Comment l'Etat peut-il davantage s'impliquer ?
Les outre-mer disposent de ressources en matière d'énergie renouvelables. La Guadeloupe travaille sur différents projets, notamment à Bouillante, sur la géothermie, ou à Marie-Galante, sur une centrale multibiomasse de cogénération adossée à une sucrerie, pour exploiter la bagasse. Ce projet d'Albioma aura un fort impact sociétal et créera des emplois. Il satisfera tous les besoins d'électricité de Marie-Galante, et au-delà. La Commission de régulation de l'énergie (CRE) a réduit l'assiette du montant d'investissement à la charge de la CSPE en considérant qu'une aide fiscale était nécessaire. La CRE tend à préférer la proposition la moins coûteuse sans considération pour les objectifs sociaux et environnementaux. Pouvez-vous trouver une solution ? Car la réalisation du projet suppose un câble sous-marin très onéreux entre l'île et la Guadeloupe. Quelles aides fiscales peuvent être envisagées pour assurer sa réalisation et la viabilité du projet ?
L'Allemagne a choisi la voie du tout ou rien. Notre loi est à la fois plus ambitieuse, mesurée et pleine de bon sens. Je me félicite qu'elle opère le lien entre transition énergétique et croissance. Lors de son audition hier, le nouveau président d'EDF, M. Jean-Bernard Lévy, a évoqué la hausse nécessaire du prix de l'électricité. Il convient de trouver le juste équilibre entre les intérêts de l'entreprise et ceux des consommateurs, notamment les plus faibles. Quelle est votre position ? Le chèque énergie est un chèque social mais il pourra aussi être utilisé pour financer des travaux destinés à réaliser des économies d'énergie. Comment s'assurer que ce deuxième volet ne sera pas privilégié au détriment de la protection des ménages en situation difficile ?
L'article 18 bis du projet de loi raccourcit la durée d'interdiction des phytosanitaires (ou leur plus stricte réglementation) qui est inscrite dans la loi de février 2014. L'échéance serait ramenée de 2020 à 2016. Mais à défaut de notification auprès de la Commission européenne, je doute que ces dispositions soient applicables. J'aimerais avoir votre avis.
L'ambition du Gouvernement doit être soulignée. La loi sollicite les collectivités locales, les acteurs publics et privés qu'elle encourage à travailler de concert. Son succès nécessite des investissements importants. Sans rentrer dans le débat sur la contribution des collectivités locales au redressement des comptes nationaux, ne faut-il pas prévoir des mécanismes financiers incitatifs, par exemple une bonification de la dotation globale de fonctionnement (DGF) ? Peut-on inventer une dotation d'investissement énergétique ?
Quelle sera la position de la France au sujet du fonds Juncker d'un montant de 315 milliards d'euros ? Comment la question du prix de l'énergie produite dans le cadre des territoires à énergie positive va-t-elle être traitée ? Va-t-on vers des marchés locaux d'énergie ?
Lorsque je traverse Paris, je suis surpris par les chauffages extérieurs destinés à réchauffer les terrasses. Ils consomment énormément d'énergie. Je suggère qu'ils soient interdits par décret.
Ces questions variées et intéressantes donnent corps au texte législatif. Monsieur Dantec, j'aime l'image de la boîte à outils ; il est exact que le texte bouscule des conservatismes.
La planification est effectuée sur cinq ans avec une première étape après trois ans, puis, après, tous les dix ans révisable après cinq ans.
Je vais approfondir la question de l'endettement. Les communes pourraient en effet être réticentes à utiliser les droits de tirage auprès de la CDC pour ne pas accroître leur dette. Je vous rejoins sur l'innovation et les distorsions de compétitivité.
Monsieur Gremillet, la loi exclut l'utilisation de culture énergétique pour fournir les méthaniseurs.
Madame Didier, grâce à la levée du secret douanier voté par l'Assemblée nationale, nous allons faciliter les contrôles à l'exportation sur la filière textile évoquée.
Les aides de l'ANAH peuvent bénéficier aux propriétaires qui louent un logement. Il faudrait les inciter à faire des travaux.
Je partage les préoccupations de M. Le Scouarnec sur le fret ferroviaire ; je ne laisserai pas disparaître cette activité. Il y a sans doute un problème de transparence des prix. La question du fret ferroviaire sera examinée dans le cadre de la conférence environnementale qui s'ouvre demain. Ce problème doit être pris à bras le corps.
Les moyens, Madame Jouanno, constituent un sujet d'importance. Je vous remercie pour toutes vos questions sur le financement qui me permettront d'accélérer des arbitrages difficiles. Les livrets de développement durable sont ouverts à la CDC et permettent de cofinancer le fonds spécifique de transition énergétique. Nos objectifs en matière d'économie d'énergie sont ambitieux : nous visons 50 % de baisse à horizon 2050 et 20 % pour 2030.
Monsieur Navarro, la question de la capacité de stockage de l'énergie est capitale. C'est la clé de la prochaine révolution énergétique.
Monsieur Cornano, s'agissant de la centrale de Marie-Galante, la CRE donnera son accord dès que la loi locale aura interdit le charbon au bénéfice des biomasses. J'y veillerai.
M. Vaugrenard a évoqué l'audition du PDG d'EDF. Je pense qu'il a annoncé non une augmentation des tarifs - cette décision relève de l'État - mais un rééquilibrage des tarifs. Ma préoccupation est de maitriser les hausses de prix ; j'ai publié un décret réformant les modalités de révision des tarifs. Les consommateurs en ont assez des augmentations automatiques. La CRE se prononcera désormais, et EDF ne sera plus juge et partie. EDF doit être incitée à diminuer son train de vie et à faire des progrès de productivité. Les énergies renouvelables coûtent cher mais le nucléaire aussi. Il ne faut pas opposer les énergies. L'État doit jouer son rôle dans le conseil d'administration d'EDF.
Le chèque énergie ne sera pas transformé en chèque travaux dans l'immédiat. Les comportements à énergie positive doivent être encouragés. Il convient de pouvoir accompagner les familles dans le remplacement de vieux matériels très consommateurs d'énergie.
Monsieur Bizet, les dispositions de la loi sur les phytosanitaires ne nécessitent pas de notification auprès de la Commission. Ces notifications encadrent les entraves à la libre circulation des produits alors que l'article 18 bis règlemente l'usage de ces produits et incite à ne pas y recourir.
Monsieur Montaugé a raison de souligner le rôle de la loi. La diffusion de plate-formes d'information prend en compte avec souplesse le fait que la transition énergétique se fera d'abord dans les territoires, l'État donnant seulement l'impulsion.
Monsieur Pierre, si j'interdisais les chaufferettes extérieures, on m'accuserait d'être Madame Interdictions. Mais effectivement, ce n'est pas une solution optimale...Il faudrait trouver des systèmes solaires qui emmagasinent l'énergie le jour et diffusent la chaleur le soir. Cela pourrait être une idée à soumettre à une entreprise innovante. Dans les pays nordiques, on distribue des doudounes et on fait chauffer des briques.
Une autre solution, c'est le bon vieux grog...ou le calva !
Je vous remercie, Madame la ministre, de vous être prêtée à cet exercice des questions/réponses. Vous souhaitiez que le Sénat examine rapidement ce texte ; le Gouvernement a fait un autre choix. Ne le regrettons pas : il y a une forte mobilisation ici pour élaborer un texte abouti et utile à notre pays. Le débat sera certainement utile et constructif.
Je vous remercie, Madame la ministre, de nous avoir consacré du temps et d'avoir répondu à nos questions. Notre commission a montré sa compétence et son indépendance ; soyez assurée de sa volonté de travailler sur ce projet de loi dans un esprit constructif.
- Présidence de M. Hervé Maurey, président -
Notre commission du développement durable et de l'aménagement du territoire a pour mission de suivre la conception et la mise en oeuvre des politiques d'aménagement du territoire qui sont essentielles pour le Sénat. Nous fêterons bientôt les vingt ans de la loi d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire du 4 février 1995 dont le rapporteur était un certain Gérard Larcher... Depuis son vote, de nombreux débats, colloques, rapports ont été consacrés à cette question, mais les actes n'ont pas suivi. Sur le terrain, il y a peu de résultats concrets. Nos territoires ruraux connaissent un sentiment de mal-être et d'abandon qui explique certains votes.
Le nouveau gouvernement a manifesté le souhait de faire preuve de volontarisme. L'égalité des territoires a remplacé l'aménagement du territoire ; le commissariat général à l'égalité des territoires a pris la suite de la délégation à l'aménagement du territoire et à l'attractivité régionale (Datar). Au-delà de ces modifications sémantiques, quels sont les changements sur le terrain ? Des projets d'infrastructures ont été abandonnés. La réforme des rythmes scolaires a créé une nouvelle fracture entre monde rural et monde urbain.
Le Sénat a fait des propositions sur l'aménagement numérique et la désertification médicale. Ces sujets appellent des réponses urgentes. Les sénateurs attendent du gouvernement des mesures concrètes pour les territoires. Quels sont vos projets ?
Je vous remercie de m'avoir invitée pour évoquer les grandes orientations de mon ministère, en particulier la destination des crédits du programme 112 « impulsion et coordination de l'aménagement du territoire ».
En 2015, ce programme est doté de 223 millions d'euros en autorisations d'engagement et 271 millions d'euros en crédits de paiement. Ses missions ont évolué en 2014, de manière cohérente avec les objectifs assignés au nouveau commissariat général à l'égalité des territoires (CGET) - qui résulte de la fusion de la délégation interministérielle à l'aménagement du territoire et à l'attractivité régionale, de l'agence nationale pour la cohésion sociale et l'égalité des chances et du secrétariat général du comité interministériel des villes. Sa création témoigne de la volonté de fonder une nouvelle politique d'intervention territoriale davantage axée sur la coopération entre territoires urbains et ruraux, objectif soutenu par un certain nombre de députés et qui a fait l'objet d'une résolution du groupe RDSE au Sénat. Les conséquences de cette réorientation se traduisent dans l'architecture budgétaire de la mission : les crédits de la mission « politique de la ville » sont rattachés au périmètre budgétaire du Premier ministre, comme ceux du programme 112. Cette gestion unifiée préserve les moyens du CGET et conforte sa dimension interministérielle. Les programmes de la Datar seront préservés et de nouveaux dispositifs seront lancés.
L'année 2015 sera celle du lancement de la nouvelle génération de contrats de plan État-régions, auxquels 12,5 milliards d'euros seront consacrés jusqu'en 2020. Le programme 112 participe à hauteur de 735 millions d'euros, dont 100 millions d'euros dès 2015. Ces crédits abonderont principalement le volet territorial de ces contrats, relatif à la mise en oeuvre de projets spécifiques pour les territoires, notamment ruraux. Cet effort interministériel est significatif, compte tenu des contraintes auxquelles sont soumises nos finances publiques. Les contrats de plan apportent des moyens indispensables au soutien de la croissance, de l'emploi et du développement des territoires. Leurs effets seront décuplés par les cofinancements apportés par les collectivités territoriales. Les mandats de négociation ont été transmis la semaine dernière aux préfets de région. Le dialogue avec les acteurs locaux est permanent, dans un souci de faire converger les stratégies nationales et régionales.
Des évolutions significatives ont été introduites dans leurs volets thématiques pour répondre aux attentes des régions. L'enseignement supérieur et la recherche font l'objet d'un effort financier conséquent pour accompagner les projets de recherche et assurer une partie substantielle des contreparties nationales requises dans le cadre des programmes opérationnels européens. Le volet mobilité a également été renforcé : 6,7 milliards d'euros lui seront consacrés sur l'ensemble de la période. Près de 3 milliards d'euros sont consacrés à la transition écologique. Le volet territorial des contrats de plan, doté de 976 millions d'euros, financera des projets transversaux, notamment en milieu rural : création de maisons de santé, d'équipements améliorant la qualité de vie, services au public, soutien de l'ingénierie au service des territoires, projets de revitalisation des centres-bourgs, etc.
Certaines régions souhaitent établir des contrats infrarégionaux avec les centres-bourgs non retenus dans le cadre des actions spécifiques qui leur sont destinées : c'est une bonne initiative. Un potentiel de crédits des programmes d'investissement d'avenir dédiés au très haut débit sont aussi inscrits dans chaque mandat régional. Notre objectif est de signer des protocoles d'accord en décembre, de sorte que les régions lancent rapidement les consultations publiques et les études environnementales préalables aux signatures formelles.
J'en viens au budget propre du CGET. Les actions de développement économique seront poursuivies. La prime d'aménagement du territoire sera maintenue à 30 millions d'euros, mais les seuils d'éligibilité en matière de création d'emplois et de niveau d'investissement ont été abaissés afin de la recentrer sur les PME et de renforcer sa compatibilité avec le droit européen.
Les zones de revitalisation rurale - qui ne relèvent pas du programme 112 -, mesures d'exonération fiscale et sociale pour les entreprises créant des emplois ou reprenant des sites en difficultés, coûtent 235 millions d'euros. Les critères sont devenus obsolètes ; le zonage n'a pas répondu aux objectifs de revitalisation des territoires, et les résultats sont contrastés. Une mission d'inspection a été diligentée, et l'Assemblée nationale a confié un rapport à Alain Calmette et Jean-Pierre Vigier. J'ouvrirai prochainement une large consultation sur la base de leurs propositions et des éléments avancés lors des Assises.
La revitalisation des territoires ruraux et périurbains est un sujet majeur, comme les ateliers des Assises de la ruralité l'ont montré. Plus de vingt départements sont engagés dans l'élaboration de diagnostics et de schémas d'accessibilité des services. L'Allier - où je me suis rendue - est particulièrement avancé puisqu'il finalisera prochainement son plan d'action. Mon administration a d'ailleurs réalisé un guide de confection de ces schémas, inspiré de ces initiatives. Il faudra traduire celles-ci dans la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République. Ce budget soutient la création et le fonctionnement des maisons des services publics, dont le Premier ministre veut porter le nombre à 1 000 d'ici 2017.
Le Fonds national d'aménagement et de développement du territoire (FNADT) appuiera l'élaboration des schémas et prendra en charge 25 % du coût de fonctionnement des maisons des services publics, soit un engagement financier total de l'État de plus de 9 millions d'euros. Il appuiera en outre le déploiement des maisons de santé, non plus au moyen d'un programme spécifique, mais via le volet territorial des contrats de plan. Nous soutenons également le développement de la télémédecine, utile pour les personnes éloignées des grands centres hospitaliers. J'ai visité dans les Côtes-d'Armor un établissement d'hébergement de personnes âgées ayant recours à ces techniques, preuve que les territoires ruraux innovent.
En juin 2014, j'ai lancé un dispositif expérimental renforçant les centres-bourgs dynamiques : 50 communes ont été retenues, et leur liste vient d'être publiée. Le FNADT apportera 15 millions d'euros pour soutenir la conception, la mise en oeuvre et l'évaluation de leurs projets. La dotation de 6,5 millions d'euros correspond au paiement en 2014 des engagements pluriannuels de 14 millions d'euros. L'Agence nationale de l'habitat apporte, via le programme 135, un financement complémentaire. Les 50 communes choisies recevront en moyenne 40 millions d'euros par an pendant six ans. Nous menons également une politique transversale de soutien aux commerces, à l'artisanat, à l'agriculture et aux services publics. Je crois beaucoup en cette approche globale pour répondre aux préoccupations des élus et des habitants. Le choix des 50 projets fera nécessairement des déçus ; j'ai demandé aux préfets que les candidats non retenus fassent l'objet d'un suivi attentif, et bénéficient des crédits engagés dans les politiques de droit commun.
La redynamisation passe également par le soutien à l'accession à la propriété dans l'ancien dans près de 6 000 communes rurales. Le projet de loi de finances pour 2015 élargit le bénéfice du prêt à taux zéro à l'achat de logements anciens à réhabiliter dans les communes rurales où le taux de vacance est élevé et où les services à la population atteignent un niveau minimal. L'objectif est double : répondre à l'impératif économique de soutien à l'activité des PME et du bâtiment ; favoriser l'accès au logement et redynamiser les territoires ruraux.
L'effort total déployé pour cette politique est de 5,6 milliards d'euros. Il dépasse largement, vous le voyez, le programme 112. Transversalité : tel était le maître mot des Assises de la ruralité, qui se sont achevées dans les Hautes Pyrénées lundi dernier, en présence du Premier ministre. Le comité interministériel à l'égalité des territoires qui lui fera suite proposera des mesures concrètes et pragmatiques pour aider les territoires ruraux.
La télémédecine est certes une formidable opportunité pour les territoires dépourvus de médecins, mais comment font ceux qui n'ont pas de haut débit ? Ce sont souvent les mêmes...
Je présenterai demain mon rapport pour avis à la commission.
Le soutien financier de l'État aux pôles de compétitivité a été sanctuarisé à hauteur de 450 millions d'euros pour la période 2013-2015. Et ensuite ? La volonté affichée d'accroître les ressources privées dans leur financement est un signe de désengagement de l'État. Où en est l'évaluation du dispositif ?
Le dispositif relatif aux grappes d'entreprises prend fin cette année. Que fait-on de celles dont la capacité d'autofinancement est insuffisante sans soutien de l'État ?
Le dispositif des pôles d'excellence rurale ne sera pas reconduit après 2015. Or il a bien fonctionné pour les 378 retenus, qui ont élaboré des partenariats public-privé, accéléré des projets, et contribué à redynamiser leurs territoires. Pourquoi cet arrêt brutal ?
Il faut certes revoir le zonage en matière de revitalisation rurale. Vous avez cité le rapport Calmette-Vigier. Mais une commission d'élus des deux chambres avait déjà été créée au sein de la Datar pour y réfléchir ; or elle n'a pas été réunie depuis trois ans ! Les choses se font sans les sénateurs, qui représentent pourtant les territoires... Ce n'est pas normal.
La revitalisation des centres-bourgs est une excellente politique. Nous pouvons remédier aux commerces qui ferment, aux logements devenus vacants car invendables ou louables mais non éligibles aux dispositifs d'amélioration des logements : il faut pour cela une action nationale qui dépasse l'expérimentation, et associer les élus nationaux aux jurys de sélection.
Les contrats de plan État-région ne fonctionnent pas très bien. Les régions n'ont pas encore été regroupées que des retards s'accumulent déjà dans les négociations. Les dotations de l'État vont de surcroît baisser. Quel sera leur montant pour 2015-2020 ?
Les contrats de plan État-région comprennent une clause de revoyure en 2016 pour tenir compte de la réforme territoriale, et ajuster les priorités aux nouveaux périmètres et aux nouvelles compétences. L'État les finance à hauteur de 12,5 milliards d'euros, ce qui est proche de la précédente génération de contrats. Leur volet territorial sera financé par le FNADT à hauteur de 735 millions d'euros. Les négociations sont en cours, au plus proche du terrain. Le dialogue permanent entre l'État et les préfets de région a permis de faire évoluer les mandats de négociation. Tous les niveaux de collectivités territoriales sont associés à ces discussions. De nombreux présidents de région m'ont fait part de leur volonté de signer des protocoles d'accord au plus vite.
Les appels à manifestation d'intérêt pour les expérimentations que nous menons dans les centres-bourgs retiennent une approche globale et transversale. Dans des fonctions antérieures, j'ai donné aux communes et aux intercommunalités les outils pour soutenir le commerce et l'artisanat et préempter plus facilement. En matière de logements vacants, nous avons étendu le PTZ à certaines communes rurales, là où le taux de logements vacants et d'équipements de proximité l'exigeait, afin de limiter l'étalement urbain et de promouvoir l'attractivité des territoires. Les communes non concernées par les expérimentations profiteront des crédits dégagés dans le volet territorial des contrats de plan État-région.
Toutes les associations d'élus sont représentées dans les jurys de sélection : AMF, ADF, ARF...
Les pôles d'excellence rurale ont eu globalement un impact positif. Je préfère orienter les crédits du ministère vers la contractualisation, car c'est l'outil le plus adapté et le plus juste. La réussite des pôles a toutefois été contrastée ; une nouvelle génération n'est donc pas prévue. De plus, les meilleurs dossiers sélectionnés dans le cadre des appels à projets avaient souvent bénéficié de l'appui de conseils extérieurs, ce qui n'est guère conforme à l'objectif d'égalité territoriale. Les crédits du FNADT seront par conséquent transférés sur le volet territorial des contrats de plan État-région.
Je suis toute disposée à réunir les parlementaires et le CGET sur la revitalisation rurale. Je souhaite échanger avec les élus locaux, nationaux et leurs représentants sur cette question, pour avancer sur la réforme du zonage et trouver des critères plus adaptés.
Mon ministère n'intervient sur les pôles de compétitivité qu'en ce qui concerne l'animation territoriale des acteurs ; 3 millions d'euros leur sont consacrés dans le programme 112. Le reste provient du fonds interministériel piloté par Emmanuel Macron. Leur évaluation est en cours. Nous n'envisageons pas de nouveaux appels à projets à ce stade.
Le dispositif relatif aux grappes d'entreprises est en effet terminé. Le gouvernement est en train de l'évaluer.
D'où viennent les fonds relatifs à l'expérimentation dans les centres-bourgs ? Vouloir aider les petits commerces c'est très bien, mais nous n'arrivons plus à mobiliser les crédits du Fonds d'intervention pour la sauvegarde de l'artisanat et du commerce (Fisac). Pouvez-vous intervenir ? Ce fonds est alimenté par la taxe sur la grande distribution. La technique budgétaire a été celle du holdup sur les chambres de commerce, d'agriculture et les agences de l'eau... Y a-t-il eu holdup également sur le Fisac ?
Je n'aime pas beaucoup l'expression d'égalité des territoires. Je préfère parler d'équilibre, même s'il est souvent imparfait. En la matière, votre rôle est très interministériel. Mais avant de financer telle ou telle infrastructure, ne faudrait-il pas identifier celles à supprimer ou celles à préserver de la disparition ? Jadis, Édith Cresson avait engagé - difficilement - la délocalisation de certains établissements, comme l'ENA ou le Centre national pour l'aménagement des structures des exploitations agricoles. C'est cela aussi, l'aménagement du territoire ; mais en France, nous n'avons jamais été très bons. Ce n'est certes pas de votre faute si le territoire est déséquilibré, mais que faites-vous pour y remédier ?
Les territoires ruraux sont une vraie richesse en matière d'espace, de qualité de vie, de développement économique et de vie sociale. Je n'aime guère l'expression égalité des territoires non plus ; je préfère parler d'équilibre, comme pour un être humain : la France doit marcher sur ses deux jambes que sont le rural et l'urbain.
L'État doit nous faire davantage confiance. Si nos concitoyens nous élisent et nous réélisent, c'est que nous sommes capables de gérer nos collectivités ! Nous n'avons pas besoin d'une chape de plomb, de toutes ces contraintes administratives insurmontables, surtout en matière d'urbanisme. Quand je vois que certaines communes mettent dix ans à élaborer un plan local d'urbanisme, les plans locaux intercommunaux m'inquiètent...
En matière médicale, numérique, ou de téléphonie mobile, nous sommes abandonnés. Les opérateurs s'implantent là où les clients potentiels sont les plus nombreux. Mon département du Doubs et ses communautés de communes vont devoir consacrer 184 millions d'euros au numérique sur plusieurs années. On ne cesse de parler du haut débit ; or certains territoires se contenteraient du moyen débit !
Nous avons conscience que votre mission n'est pas facile, précisément parce qu'elle est transversale. Tous ces sujets sont aussi de la compétence d'autres ministères. Nous essayons simplement de mesurer ce qui n'a pas été fait. Nous savons évaluer l'impact des politiques sur l'environnement, l'égalité entre les hommes et les femmes, mais pas sur l'aménagement du territoire. Notre commission entend s'y employer.
Je rejoins Jean-François Longeot : il faut faire confiance aux élus. Mais la promotion de l'égalité des territoires est une fonction régalienne par excellence. C'est précisément là que nous attendons l'État ! À lui de mettre en place des mesures fortes pour lutter contre les déserts médicaux ou la fracture numérique, sans lesquelles rien ne bougerait. Que puis-je dire aux élus de mon territoire qui n'ont aucun espoir d'avoir la téléphonie mobile ? L'État ne fait rien, les opérateurs n'ont aucune contrainte, et les départements n'ont pas tous signé la convention relative aux zones blanches. Que puis-je dire aux élus de la vallée de la Levrière qui n'ont pas de couverture en téléphonie mobile ? Le cabinet de votre prédécesseur m'a reçu très aimablement, mais rien n'a bougé. Il y a en effet une forme d'indécence à faire de la publicité pour le très haut débit ou la 4G quand certains n'ont pas même la 2G ! Dans mon département, le numérique ou la présence médicale importent plus que les bureaux de poste.
Nous partageons certains constats. Ces enjeux ont donné lieu à de longues heures de débat au cours des Assises de la ruralité.
Monsieur Longeot, je suis moi-même élue rurale ; les territoires ruraux n'ont pas attendu les Assises pour prendre leur destin en main. Mais nous n'arrivons pas à dupliquer les bonnes initiatives. Comment créer de la complémentarité entre zones urbaines et rurales pour favoriser le développement économique ? J'ai visité une cuisine centrale implantée dans une commune de zone rurale, qui livre des repas aux établissements pour personnes âgées de zone urbaine. L'idée de contrats de réciprocité a été avancée au cours des Assises.
Les Assises ont fait émerger un certain nombre de sujets. D'abord, la dotation globale de fonctionnement. La réforme annoncée par le Premier ministre a pour but de rectifier les inégalités. Ensuite, le numérique et la téléphonie mobile, sans lesquels ne serait-ce que le télétravail ne serait pas possible. Enfin, l'économie de proximité, le petit commerce, l'artisanat, l'économie agricole. Ce ne sont pas seulement des clichés ; des initiatives utiles ont émergé. Nous allons accompagner ce travail. Le Comité interministériel a été créé pour faire des propositions concrètes et pragmatiques. Les Assises ont également permis à de nombreux acteurs, peu associés à ces décisions, de s'exprimer. C'était fondamental pour les territoires ruraux, qui ont trop souvent le sentiment d'être oubliés.
Monsieur Raison, je comprends votre déception. Les 300 dossiers retenus contenaient de très bons projets. Tous n'avaient toutefois pas le même potentiel, ni les mêmes ressources humaines et financières. J'ai demandé aux préfets d'accompagner spécifiquement les communes dont les projets n'ont pas été retenus. À mon arrivée à Bercy, j'ai trouvé un certain nombre de dossiers du Fisac en souffrance, car les budgets précédents n'avaient cessé de diminuer. Songez que le retard de traitement de ces dossiers avait atteint trois ans ! Il a fallu un effort de gestion et un abondement de 140 millions d'euros pour résorber le stock et lancer la réforme de l'artisanat et du commerce en ciblant les crédits du Fonds sur les territoires prioritaires et les territoires ruraux.
Les appels à projets des centres-bourgs seront soutenus par des crédits supplémentaires aux crédits déjà fléchés : 40 millions d'euros par an pour 50 communes, dont 14 millions d'euros en provenance du FNADT, sans parler les fonds de l'Anah et ceux relatifs à l'aide à l'acquisition de logements anciens en zone rurale. Le dispositif sera évalué, et nous trouverons un moyen de généraliser ce dont les territoires ruraux ont besoin.
La notion d'équité territoriale - tendant vers l'égalité - a en effet une forte dimension interministérielle. La création du CGET l'atteste, qui dépend directement du Premier ministre. Il renoue avec une forte ambition de solidarité entre territoires et entre ministères, pour répondre à trois enjeux : la lutte contre les inégalités entre les territoires - en termes d'emplois, en matière sociale, d'infrastructures -, la fin de la dichotomie entre urbain et rural, et la réconciliation de la décentralisation et de l'aménagement du territoire. Tous les ministères en charge de ces dossiers étaient présents lors des Assises de la ruralité. Je vous laisse votre appréciation sémantique ; je trouve pour ma part qu'égalité est un joli mot dans une République - il ne signifie pas uniformité -, et un objectif à ne pas perdre de vue.
Vous citez les expérimentations d'Édith Cresson en matière de délocalisation des services publics. Des expériences ont été conduites - voyez le rapport d'Alain Bertrand sur l'hyper-ruralité. La Caisse d'allocations familiales de Guéret traite des dossiers pour la Caisse d'allocations familiales de Seine-Saint-Denis : voilà une expérience à reproduire ailleurs.
Je fais bien sûr confiance aux élus locaux. Leurs territoires sont source de richesse et de dynamisme - parfois démographique - et leurs élus mettent en oeuvre des politiques innovantes et attractives. Nous devons partir du terrain, et de l'expérience des acteurs locaux, qui font un travail remarquable d'aménagement du territoire.
Mon ministère a déjà financé la création de 300 maisons de santé. Nous poursuivrons ce chantier, essentiel pour les territoires ruraux, dans le cadre du volet territorial des contrats de plan État-région.
Le plan Très haut débit rassemble 60 projets dans 71 départements, financés par le Fonds national pour la société numérique à hauteur de 7 milliards d'euros, dont 5 milliards d'euros publics, auxquels l'État contribuera pour 2 milliards. Dans ma région, le Gers et le Tarn-et-Garonne ont reçu un accord de principe du Premier ministre pour financer des infrastructures de déploiement de très haut débit.
Je compte m'attaquer fortement au problème de la couverture du territoire par le réseau de téléphonie mobile. Les 7 milliards d'euros du FNADT seront mobilisés pour résorber les zones blanches. Le sénateur Pierre Camani et le député Fabrice Verdier ont rendu récemment un rapport sur le service universel des télécommunications. Je n'oublie pas non plus la question des zones grises. Axelle Lemaire et moi-même ferons des propositions. J'ai rencontré de nombreux maires dont les projets de construction sont bloqués par l'absence de couverture mobile, qui nuit à l'attractivité de leur territoire. Le numérique est en effet essentiel pour l'éducation, la culture, les entreprises comme les administrations. Le promouvoir est une manière de lutter contre les inégalités. D'ici 2022, 20 milliards d'euros de financements publics et privés seront mobilisés pour déployer le très haut débit sur tout le territoire.
Je salue votre initiative d'évaluer plus systématiquement les politiques menées en matière d'aménagement du territoire. Je suis consciente que certaines normes pèsent davantage sur les territoires ruraux que sur les territoires urbains.
J'ai noté votre souhait de faire évoluer les choses en matière de téléphonie mobile. Mais il y a pire : le manque total d'espoir, sur certains territoires, de voir un jour arriver le haut débit ! En la matière, le gouvernement n'a qu'un rôle de financeur, ce qui favorise le creusement des inégalités. L'égalité est un beau mot, en effet, mais j'aimerais qu'il désigne une réalité... Nous soutiendrons en tout cas vos initiatives en ce sens. Nous vous remercions.
La réunion est levée à 19 h 30.