Délégation sénatoriale aux outre-mer

Réunion du 7 mars 2018 : 1ère réunion

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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La réunion

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Debut de section - PermalienPhoto de Michel Magras

Mes chers collègues, avant de reprendre notre cycle d'auditions sur l'étude relative aux risques naturels majeurs, je dois vous informer que notre collègue Victorin Lurel, que nous avions désigné comme rapporteur avec Mathieu Darnaud sur le premier volet de notre étude sur les risques naturels majeurs, m'a signifié son retrait par un courrier reçu le 26 février. Il considère en effet que la densité du programme des auditions est incompatible avec ses autres engagements, souscrits préalablement. Afin de pourvoir à son remplacement et eu égard au rythme de notre calendrier d'auditions et de déplacements, j'ai immédiatement proposé à notre collègue Victoire Jasmin de reprendre le flambeau. Cette nomination permet de conserver l'équilibre politique et territorial défini initialement et je sais notre collègue, qui a jusqu'à présent participé à la quasi-totalité des auditions réalisées sur le thème des risques majeurs, extrêmement investie dans toutes ses entreprises. Je vous demande dès lors de bien vouloir valider cette désignation.

La désignation de Mme Victoire Jasmin comme co-rapporteur est approuvée.

Devant cette belle unanimité, je félicite Victoire Jasmin qui vient féminiser, mais surtout apporter sa détermination et son expérience, à l'équipe des rapporteurs sur l'étude relative aux risques naturels majeurs.

Concernant en second lieu notre programme d'auditions, je souligne qu'il est particulièrement dense tout au long du mois de mars et que, pour la bonne gestion de vos agendas, notre secrétariat vous a adressé un courriel avant la semaine de suspension, le 20 février. Sur nos deux sujets d'étude en cours d'instruction, nous devrions tenir une douzaine de réunions plénières, dont 10 visioconférences et, pour ceux qui s'y sont inscrits, effectuer un déplacement à Toulouse ce vendredi sur le site de Météo France ainsi que du service central de l'hydrométéorologie et de l'appui à la prévision des inondations.

Enfin, j'ai été sollicité par le président de la Commission des lois, notre collègue Philippe Bas, pour effectuer des auditions conjointes, avec également la Délégation aux collectivités territoriales présidée par M. Jean-Marie Bockel, dans la perspective de la prochaine révision constitutionnelle. Ces auditions se dérouleront le jeudi 29 mars prochain au matin, sous la forme de deux tables rondes et porteront sur la question de la différenciation territoriale, sujet qui concerne au premier chef nos outre-mer. Deux tables rondes seront ainsi organisées, la première étant consacrée aux outre-mer et la seconde aux collectivités de la France hexagonale.

Y a-t-il des observations ?

Debut de section - PermalienPhoto de Victoire Jasmin

Monsieur le président, je tiens à vous remercier ainsi que les collègues présents, et à vous assurer de mon assiduité. Toutefois, je suis malheureusement au regret de vous annoncer que je ne pourrai pas assister au déplacement du 9 février du fait d'engagements pris de longue date.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Magras

Chers collègues, je souhaite la bienvenue aux représentants des différents réseaux qui constituent une ressource vitale dans les territoires, a fortiori lorsque ceux-ci sont, comme les nôtres, non interconnectés du fait de leur caractère insulaire et de leur isolement géographique.

Chaque épisode climatique violent - et nos outre-mer sont particulièrement exposés - fait la démonstration de l'importance primordiale de dispositifs et procédures permettant de conserver un service minimum ou de le rétablir très rapidement après une catastrophe. J'ai d'ailleurs eu l'occasion de rappeler à plusieurs reprises que la continuité sous toutes ses formes constituait l'une des clefs de la lutte contre l'isolement. Qu'il s'agisse d'Irma sur les Îles du Nord puis de Maria sur la Guadeloupe, ou encore, depuis le début de l'année 2018, des déluges qui se sont déversés sur la Polynésie française et, plus récemment à deux reprises sur La Réunion, notre sujet est malheureusement en prise directe sur l'actualité !

Pour évoquer les questions de protection des différents types de réseaux face à ces menaces qui se concrétisent de plus en plus fréquemment et sous des formes de plus en plus violentes, ainsi que de la mobilisation des moyens d'intervention lorsque survient une catastrophe, nous recevons aujourd'hui :

- pour les réseaux de production et de distribution d'électricité : M. Christian Gosse, directeur adjoint de la direction nationale SEI, pour EDF, et M. Frédéric Martin, directeur général d'ENGIE France Réseaux ;

- pour les opérateurs de réseaux d'approvisionnement et de distribution d'eau : M. Didier Demongeot, directeur général adjoint territoires de Suez Eau, accompagné de Mme Titania Redon, directrice communication outre-mer, ainsi que M. Nicolas de Saint-Martin, chargé de mission auprès du secrétaire général de l'Eau France, pour Veolia, accompagné de Mme Dorothée Fourny, directrice de projet ;

- pour les opérateurs de réseaux de télécommunications : M. Thierry Kergall, directeur Orange Antilles-Guyane.

Mesdames et Messieurs, je vous remercie d'avoir répondu favorablement à notre invitation. Avant de vous céder la parole sur la base de la trame qui vous a été adressée par notre secrétariat, je vous présente les rapporteurs : Guillaume Arnell, sénateur de Saint-Martin, est le rapporteur coordonnateur de notre étude sur les risques naturels majeurs qui comportera deux volets, et Mathieu Darnaud, sénateur de l'Ardèche, et Victoire Jasmin, sénatrice de la Guadeloupe, sont co-rapporteurs du premier volet centré sur les questions de prévention, d'alerte en cas de crise et de gestion de l'urgence quand celle-ci est avérée. Notre collègue Victorin Lurel vient en effet de céder sa place à Victoire Jasmin sur ce dossier. En 2019, nous produirons le deuxième volet de ce rapport relatif à la gestion de l'après-crise et à la résilience des territoires.

La délégation a souhaité vous auditionner afin de comprendre comment les phénomènes naturels majeurs les plus récents ont été gérés par vos services. N'hésitez donc pas à nous faire part des difficultés rencontrées et de préconisations.

Monsieur Gosse, c'est à vous. Je remercie chacun de maîtriser son temps de parole afin qu'il puisse y avoir des échanges, étant entendu que nous devrons nous quitter à 18 h 45 pour enchaîner sur une visioconférence avec la Polynésie française.

Debut de section - Permalien
Christian Gosse, directeur adjoint de la direction nationale SEI d'EDF

Je souhaite tout d'abord préciser que je travaille pour EDF au niveau national, mais que je suis actuellement en tournée en Guyane et aux Antilles, ce qui explique mon intervention par visioconférence aujourd'hui.

J'aimerais commencer par vous donner quelques éléments de contexte sur la situation d'EDF dans les outre-mer. La direction des systèmes énergétiques insulaires (SEI) est implantée dans plusieurs départements (la Martinique, la Guadeloupe, La Réunion, la Guyane) et collectivités d'outre-mer (Saint-Martin, Saint-Barthélemy et Saint-Pierre-et-Miquelon). Pour votre information, EDF SEI est également présente en Corse ainsi que sur les îles bretonnes de Molène, Chausey et Ouessant. La direction SEI est un opérateur intégré qui exerce, dans ces territoires, l'ensemble des activités d'EDF, de la production d'énergie à la commercialisation, ce qui n'est plus le cas en métropole. 3 300 employés servent plus d'un million de clients en outre-mer.

Deux particularités sont à souligner dans le fonctionnement d'EDF SEI. En premier lieu, nous opérons sur un marché ouvert où d'autres producteurs d'énergie ont signé des contrats sur une durée de 20 ou 30 ans. Ainsi, Albioma est notre premier concurrent. EDF compte également une filiale PEI (production électrique insulaire) qui produit de l'énergie sur ces territoires. À l'heure actuelle, 7 000 producteurs d'énergies renouvelables (EnR), des particuliers aux champs de panneaux photovoltaïques, alimentent la population ultramarine.

À l'échelle de tous les territoires couverts par EDF SEI, 70 % de notre production est issue d'énergie fossile, fuel ou charbon, et 30 % d'EnR. Celles-ci peuvent être intermittentes, comme l'hydraulique, et le mix énergétique diffère considérablement selon les territoires. En effet, ce mix de production est constitué de 7 % d'EnR en Martinique à 65 % d'EnR en Guyane, l'hydraulique y étant très développé. La Guyane présente ainsi la plus grande proportion d'EnR de France.

J'aimerais maintenant aborder plus spécifiquement la question des risques naturels majeurs. Les outre-mer sont soumis à une multitude de risques : les séismes, les irruptions volcaniques, les mouvements de terrain, les inondations. Depuis l'implantation d'EDF sur ces territoires, en 1975, les cyclones demeurent les catastrophes qui provoquent le plus de dégâts sur nos installations, en particulier sur nos ouvrages aériens.

Pour ce qui est des risques sismiques et volcaniques, nous participons aux différents exercices, mais ces phénomènes n'ont pas généré de dégâts massifs sur nos installations, y compris souterraines. Toutefois, les observations sur d'autres territoires permettent de penser qu'un séisme d'une magnitude de 9 sur l'échelle de Richter est susceptible de causer des dommages importants. Un tel niveau d'impact génèrerait d'autres difficultés plus prioritaires que la chute du réseau électrique comme l'effondrement massif des bâtiments. Toutes les infrastructures seraient endommagées.

Nous travaillons donc principalement sur le risque cyclonique, eu égard à la fréquence et à l'intensité de ces phénomènes. Les Antilles et l'océan Indien sont frappés par au moins un cyclone chaque année. Irma demeure toutefois un événement exceptionnel. Depuis le passage d'Hugo en 1989 en Guadeloupe, nous avons entrepris une démarche d'amélioration de la résistance de nos ouvrages, à la fois sur les réseaux aériens mais aussi par l'enfouissement de certaines structures. Des programmes d'élimination progressive des réseaux nus, à basse tension, ont permis un remplacement quasiment complet de ces structures dans les îles qui présentent un risque cyclonique. Depuis 1985, nous sommes parvenus à enfouir progressivement 65 % du réseau. À Saint-Barthélemy, par exemple, ce taux atteint 95 % contre 85 % à Saint-Martin, 70 % en Guadeloupe, en Martinique et à La Réunion. Toutefois, la Guyane est restée à peu près au niveau de la métropole soit 45 % du réseau 20 000 volts enfouis. Cela s'explique par le fait qu'EDF n'a pas développé en métropole de plans d'alerte cyclonique.

Il convient à présent d'aborder la gestion de crise. Notre premier objectif est la réalimentation des clients le plus rapidement possible. Des plans spécifiques sont mis en oeuvre pour y parvenir comme les plans d'aide au dépannage électricité (ADEL) pour des phénomènes électriques de grande ampleur. Nous sommes également en capacité de nous appuyer sur la filiale ENEDIS et sur les ressources du groupe EDF à travers le dispositif de la force d'intervention rapide électricité (FIRE). La FIRE a été créée à la suite de la tempête de 1999 qui a frappé la métropole afin de mobiliser rapidement entre 30 et plusieurs centaines d'employés d'EDF ainsi que du matériel. Nous avons évidemment fait appel à la FIRE pour la plupart des cyclones récents, en particulier pour Irma et Maria.

Comment gère-t-on les crises concrètement ? Une organisation à plusieurs niveaux se met en place avec des cellules de crises locales (en Guadeloupe pour Irma, avec des antennes sur les Îles du Nord) et, au niveau national, avec le SEI ainsi qu'une cellule de crise interne à EDF pilotée par la présidence du groupe. Ces cellules organisent des points d'information une à deux fois par jour afin de se mettre rapidement d'accord sur les diagnostics et sur les décisions en termes d'envoi de renforts et de mobilisation de ressources. En outre-mer, la première difficulté consiste à acheminer le matériel. Nous pouvons en effet être amenés à faire appel à de gros porteurs de type Antonov afin de transporter des groupes électrogènes avec des cargaisons de plus de 100 tonnes. Dans le cadre de l'anticipation des crises, nous avons donc passé des contrats avec ces transporteurs en amont. Nous travaillons également avec Air France pour l'envoi de matériel en fret normal. Par bateau, le temps de réponse est de 3 semaines, ce qui est bien trop long pour rétablir le service public en cas de crise.

La remise en état du réseau suit une procédure en quatre étapes, que j'illustrerai en m'appuyant sur le cas d'Irma :

- la réalimentation. À la suite à la visite du Président de la République, EDF s'était engagé à réalimenter les sites prioritaires en électricité en une semaine. La cellule de crise locale, en lien avec l'État et la collectivité qui définit les sites prioritaires (les hôpitaux, la gendarmerie...) a permis d'effectuer cette étape, à l'aide de groupes électrogènes importés ;

- la réalimentation générale. Cet objectif devait être rempli sous 5 semaines pour l'ensemble des clients des deux îles. Les délais ont été tenus en mobilisant tous les moyens disponibles, dans des conditions très difficiles ;

- la sécurisation du réseau. Cette phase est primordiale car elle permet d'éviter des accidents graves, et peut durer un à deux mois ;

- la consolidation, qui consiste à ramener le réseau dans sa structure originale. Pour autant, ce qui se passe à Saint-Martin et à Saint-Barthélemy est un peu différent car nous cherchons à reconstruire le réseau non pas à l'identique mais en souterrain, pour plus de résilience et de sécurité.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Magras

Pour l'avoir constaté sur le terrain, je peux témoigner de la rapidité et de l'efficacité de vos interventions ainsi que du dévouement de votre personnel. Je confirme que tous vos engagements ont été respectés.

Pour autant, la gestion de crise de l'épisode Irma vous semble-t-elle satisfaisante ? Avez-vous des préconisations à faire pour améliorer le système ?

En outre, pouvez-vous nous parler de la gestion de crise ailleurs en outre-mer ? Adoptez-vous une approche différenciée selon les territoires ?

Debut de section - Permalien
Christian Gosse, directeur adjoint de la direction nationale SEI d'EDF

Nous opérons de la même manière dans les autres territoires ultramarins. En revanche, il convient de souligner deux particularités de la crise à Saint-Martin et Saint-Barthélemy. La double insularité nous a posé problème, puisque notre état-major était basé en Guadeloupe et la communication entre les îles était difficile. Cela nous a causé des difficultés d'acheminement car les aéroports ne permettaient pas d'accueillir, sur Saint-Martin, de gros porteurs. En outre, nous avons pour la première fois été confrontés au manque d'infrastructures pour accueillir et loger les renforts. À Saint-Barthélemy, des bénévoles nous ont aidés, et nous les en remercions, de même que la collectivité et la mairie qui ont accepté d'héberger nos ressources. Nous avons amené sur place une centaine de travailleurs, sans moyens pour les loger. Les dix premiers jours d'intervention ont été éprouvants pour nos équipes confrontées aux problèmes de logement et d'alimentation, quasiment comme en situation de guerre. EDF a donc fait appel, pour la première fois, à la force d'action rapide nucléaire (FARN) qui nous a fourni des structures d'hébergement mobiles à Saint-Martin. Or, ces structures sont pensées pour faire face au risque nucléaire et ne sont donc pas adaptées aux conditions climatiques sur les îles. Nous travaillons actuellement sur ces questions logistiques pour trouver des solutions avant la prochaine crise majeure. Il s'agit d'une piste de réflexion essentielle pour améliorer notre réponse. Nous avons été surpris par l'ampleur de la catastrophe et les difficultés à travailler. Ainsi, cette crise majeure a été l'occasion de tirer de nombreux enseignements, que nous adaptons aujourd'hui en créant de nouvelles procédures.

Debut de section - PermalienPhoto de Victoire Jasmin

Disposez-vous d'indicateurs et de moyens de protection concernant le maintien et la stabilité de vos installations ? Même si l'enfouissement permet d'améliorer la robustesse des réseaux, connaissez-vous l'impact de ce processus sur les nappes phréatiques et le degré d'exposition aux risques sismiques ?

Debut de section - Permalien
Christian Gosse, directeur adjoint de la direction nationale SEI d'EDF

Le réseau souterrain a souvent été touché par des inondations ou la submersion marine. Il a toutefois été remis en service rapidement, après nettoyage pour éliminer les dépôts de sel, car les structures souterraines résistent bien à l'envahissement par l'eau.

Cependant, certains postes électriques préfabriqués ont été détruits par ces phénomènes. À Saint-Martin, Nous avons constaté qu'en bordure d'eau les postes électriques maçonnés et construits localement étaient les plus résistants.

En ce qui concerne les séismes, les études montrent que les câbles électriques souterrains devraient être en capacité de résister à un tremblement de terre d'une magnitude inférieure à 9 sur l'échelle de Richter. La remise sous tension peut se faire sans difficulté à ce niveau. Au-delà, toutes les infrastructures pourraient être potentiellement détruites.

En cas d'éruption volcanique, enfin, les coulées de laves endommageront toutes les infrastructures, qu'elles soient aériennes ou souterraines. Toutefois, les nuages de cendres ne créent pas de dommages sur le réseau.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Magras

Je vous remercie pour votre réponse qui m'éclaire sur la situation à Saint-Barthélemy où la centrale est construite en zone inondable car la proximité géographique avec la mer facilite le transport des moteurs. Cela me rassure donc d'avoir des indications sur la robustesse de vos réseaux. Je crois savoir que la centrale est plutôt résistante aux séismes.

Debut de section - PermalienPhoto de Guillaume Arnell

Je partage le sentiment du président Michel Magras sur la qualité et la rapidité du travail d'EDF par rapport à d'autres opérateurs qui ne disposent sans doute pas des mêmes moyens. Je sais que vos équipes ont été confrontées à des difficultés d'hébergement sur place. La population, lorsqu'elle a pu bénéficier de la reprise en énergie, a tenu à remercier EDF et ENEDIS en offrant des rafraîchissements aux équipes qui ont travaillé dans des conditions si difficiles.

Aujourd'hui, vous avez pris le parti de procéder à l'enfouissement du réseau. Je salue cette démarche qui, à Saint-Martin, permet de limiter la pollution et les accidents en cas de catastrophe, car les pylônes EDF sont bien souvent utilisés par d'autres opérateurs comme la télévision câblée privée alors qu'ils ne sont pas conçus pour supporter de telles charges. J'espère donc que cette initiative obligera les autres opérateurs à vous emboîter le pas.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Magras

Je pense que nous pourrons également discuter de la question de l'enfouissement avec les autres opérateurs conviés à cette audition. Encore récemment, à Saint-Barthélemy, la rupture d'un câble a paralysé toute l'île pendant une dizaine de jours.

Debut de section - Permalien
Frédéric Martin, directeur général d'ENGIE France Réseaux

Monsieur le président, madame et messieurs les sénateurs. Je ne reviendrai pas sur les aspects abordés par M. Christian Gosse qui recoupent mon propos. ENGIE intervient sur trois territoires ultramarins, à Wallis-et-Futuna, en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française. Les 2 000 salariés qui s'y trouvent opèrent quasiment tous les services qu'ENGIE propose à l'échelle nationale. Ainsi, en Polynésie, nous nous occupons de la production et de la distribution d'énergie. En Nouvelle-Calédonie, en revanche, nous n'assurons que l'activité de distribution au sud du territoire. Au total, nous touchons 150 000 foyers et entreprises en distribution grâce à nos 7 000 kilomètres de réseau. Dans le Pacifique comme dans les autres territoires, un tiers de notre réseau est enterré et les procédures sont similaires.

Les risques auxquels nous devons faire face sont identiques à ceux exposés par M. Christian Gosse. J'ajouterai que la fréquence des cyclones augmente, avec au moins un phénomène par an. Les volumes d'eau augmentent également, comme en témoignent les récentes inondations en Polynésie française. Le risque tsunami est également à prendre en compte puisque nous avons essuyé quelques raz-de-marée en bord de mer à Futuna, même s'il s'agit d'incidents mineurs qui n'ont pas détruit les installations.

Depuis les années 1980, ENGIE a mis en place, avec les autorités locales, un dispositif de gestion de crise intégré dans chaque territoire. Avant chaque saison cyclonique, un exercice mené avec les sous-traitants permet de rôder les équipes et d'améliorer la coopération entre les opérateurs et les autorités. Les délais d'intervention étant importants compte tenu de la distance à la métropole, nous avons constitué des stocks de matériel d'urgence en local. Nous avons donc construit tout un écosystème dans chaque territoire pour garantir l'efficacité de la réponse en cas de crise. Les procédures de gestion de crise sont similaires, et les bases de chaque territoire travaillent avec les mêmes outils et coopèrent régulièrement puisqu'elles se rencontrent chaque année à l'occasion d'exercices de terrain.

En ce qui concerne nos retours d'expérience, nous n'avons jamais été confrontés au problème du logement de nos équipes, ni à des difficultés majeures avec les autorités locales. Néanmoins, nous constatons que la fragilité du réseau conduit à réfléchir à des outils enterrés, et ce pour plusieurs raisons. La fréquence des cyclones, tout d'abord, multiplie les risques. En outre, les outils de production sont de plus en plus disséminés sur les territoires ce qui ralentit la remise en route des réseaux. Or, la rapidité du rétablissement du service est devenue essentielle à l'heure où les populations sont hyper-connectées et dépendantes du digital, en particulier dans les îles. Notre priorité reste de réalimenter les centres de secours et les systèmes de distribution d'eau, mais nous devons également répondre à un niveau d'attente plus élevé de nos usagers. Le travail sur la résilience est donc primordial et nous l'avons intégré dans notre système de management, à l'instar de la plupart des grands groupes. À cet égard, nous réalisons systématiquement des analyses de risques en relation avec les autorités locales. Chaque année, également, nous faisons un retour d'expérience pour mesurer l'évolution de notre réponse par rapport aux crises précédentes. Ce travail laborieux et mécanique est essentiel car il permet de mieux anticiper et de limiter les dégâts.

Le dernier cyclone de classe 5 dans le Pacifique était Pam qui a heurté le Vanuatu avec des vents à près de 300 kilomètres par heure. Ce genre de phénomènes nécessite de déployer des moyens considérables. La gestion de crise prend alors une toute autre dimension. L'écosystème mis en place avec les autorités dans les territoires du Pacifique a toujours permis une remise en route rapide car nous n'avons pas fait face à des événements aussi catastrophiques. Nous travaillons en permanence à actualiser nos procédures pour nous maintenir à ce niveau d'efficacité.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Magras

Nous avons abordé le cas de collectivités dotées de statuts spécifiques et bénéficiant d'une forte autonomie. Intervenez-vous également dans les départements d'outre-mer ?

Debut de section - Permalien
Frédéric Martin, directeur général d'ENGIE France Réseaux

Nous n'intervenons pas dans les DOM. Les territoires dans lesquels nous sommes implantés bénéficient effectivement d'une grande autonomie et ne bénéficient pas de la péréquation. Ainsi, je me permets de formuler une recommandation car, en cas de dégâts causés par des risques naturels majeurs, les collectivités doivent financer les réparations. Or, celles-ci représentent des investissements lourds et de long terme puisque le coût de reconstruction de nos structures en cas de cyclone moyen est estimé entre 1 million et 1,2 million d'euros par an. Ces surcoûts se répercutent directement sur le client final car il n'existe aucun fonds d'urgence ni d'aide dans ce cas. Au regard de l'évolution climatique, il me semble utile de réfléchir à la mise en place d'un fonds ou de dispositifs d'aide afin d'accélérer l'enfouissement des réseaux dans ces territoires isolés et soumis à de fortes turbulences météorologiques.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Magras

Vous touchez là à un sujet particulièrement délicat. Les règles concernant la péréquation diffèrent effectivement selon les territoires. En tant que législateur, je suis moi-même intervenu afin d'étendre la péréquation tarifaire à Wallis-et-Futuna. Je comprends donc vos inquiétudes. Je crois que la volonté actuelle du Parlement n'est pas de remettre en cause la péréquation, bien au contraire, à condition que les collectivités s'acquittent de la contribution au service public de l'électricité (CSPE) et qu'elles s'engagent dans une stratégie de transition énergétique. Il me semble en effet que 68 % de la CSPE sert à financer des investissements en énergies renouvelables.

Les outre-mer doivent envoyer le signal qu'ils sont engagés dans le développement d'un mix énergétique plus durable, car la volonté politique, au niveau national, consiste à nous traiter à égalité avec les autres territoires. Je pense donc qu'il ne devrait pas y avoir de remise en cause de la péréquation tarifaire dans les prochaines années.

Debut de section - Permalien
Frédéric Martin, directeur général d'ENGIE France Réseaux

Je suis tout à fait au courant de ces sujets-là. Mon intention était de signaler que, sans péréquation tarifaire, la prise en charge des investissements dans le cadre de la négociation de contrats avec chaque collectivité se traduit par une répercussion sur les usagers. Ceci est normal et cohérent. Or, quand un événement majeur survient dans un territoire qui compte un faible nombre de clients, l'impact financier par personne est plus important. Cet impact est d'autant plus fort que la collectivité ne bénéficie pas d'aides. Il ne s'agit donc pas d'un problème lié à la péréquation en soi mais aux spécificités des risques naturels majeurs sur ces territoires. À long terme, cette situation peut se traduire par une fragilisation des réseaux.

Debut de section - Permalien
Titania Redon, directrice de la communication outre-mer de Suez Eau

Le groupe SUEZ en outre-mer représente 8 entreprises, avec environ 200 collaborateurs locaux dans chacune d'elles. Pour l'activité eau, nous sommes présents dans la région Pacifique avec la Polynésienne et la Calédonienne des Eaux qui nous permettent de rayonner vers Fiji, la Papouasie-Nouvelle-Guinée ou les îles Kiribati, par exemple.

La Société martiniquaise des eaux et la Société guyanaise des eaux nous représentent en Martinique et en Guyane.

En Guadeloupe, notre présence est plus récente, via la petite équipe de 30 personnes de la Nantaise des eaux Guadeloupe qui fournit de l'eau en gros aux collectivités et aux agriculteurs. Nous avons également une activité de recyclage et de valorisation des déchets avec Sita Verde.

Enfin, Suez est présent dans l'océan Indien à travers son activité de recyclage des déchets à La Réunion et à Mayotte avec Star Urahafu et Star Mayotte.

Je vous remercie et je passe maintenant la parole à M. Didier Demongeot, directeur adjoint de Suez Eau France.

Debut de section - Permalien
Didier Demongeot, directeur général adjoint territoires de Suez Eau

Au sein du groupe Suez, je suis en charge de tous les territoires, à l'exclusion de l'Île-de-France. 2017 a été une année chargée en crises liées à des événements climatiques extrêmes, et ce partout où nous intervenons en outre-mer.

Vous avez dans les documents que nous vous avons transmis les retours d'expérience sur ces différentes crises. Je vais aujourd'hui illustrer mon propos avec l'un de ces épisodes : la gestion de la crise liée à l'ouragan Maria par la société Martiniquaise des eaux. Pour vous donner une idée de l'ampleur de l'épisode, et même si la Martinique a été moins impactée par l'ouragan que la Guadeloupe, au plus fort de la crise, 20 % des usagers ont été privés d'eau courante.

La gestion d'une crise liée à des risques naturels n'est pas différente par nature en outre-mer qu'en métropole. Les principes que vous avez posés dans votre document de cadrage sont les mêmes. En revanche, des différences existent du fait de la violence potentielle des épisodes climatiques, de l'éloignement et de l'isolement de certains territoires, en particulier au plan logistique.

Des différences sont également à souligner dans la nature de nos interventions par rapport à celles d'autres opérateurs de réseaux. Comme pour l'électricité ou les télécommunications, nous organisons le rétablissement de la continuité de service, et donc la remise en état de fonctionnement des infrastructures, qui sont par nature essentiellement souterraines. À cela s'ajoute une autre composante, spécifique aux métiers de l'eau, celle de la santé publique et la qualité de l'eau distribuée. L'assainissement, quant à lui, constitue un sujet à part entière que nous n'aurons pas le temps d'aborder dans le détail. Après des pluies extrêmes, les ressources en eau sont en général turbides, c'est-à-dire que l'eau est trouble, chargée en matières en suspension et contaminée par des bactéries. Il faut donc, au-delà de la réparation des infrastructures, plusieurs jours, voire plusieurs semaines pour revenir à la normale et alimenter la population en eau potable. Pour faire écho aux propos de M. Christian Gosse, cela pourrait être considéré comme la phase de sécurisation.

En outre, nous partageons la responsabilité avec d'autres acteurs puisque nous intervenons pour le compte d'une collectivité. Notre domaine d'intervention varie en fonction de la nature de notre contrat. En règle générale, les collectivités conservent la maîtrise des investissements. Nous intervenons alors en exploitant pour remettre en service le réseau, mais nous ne finançons pas les investissements lourds pour réparer les infrastructures. Nous sommes donc en dialogue permanent avec la collectivité au moment de la crise, mais également pour penser l'après-crise, d'où l'importance des retours d'expérience construits avec notre partenaire.

Enfin, la continuité du service de l'eau est très largement dépendante des autres opérateurs, d'énergie bien sûr pour permettre le pompage et le remplissage des réservoirs et, dans une certaine mesure également, des télécommunications, à la fois pour communiquer avec nos équipes et pour télé-contrôler et télécommander les ouvrages. Cette dépendance rend nécessaire le dialogue avec les services en charge de l'énergie et des télécommunications en amont et pendant la crise. Je profite donc de cette intervention pour rendre hommage aux autres opérateurs qui mettent tout en oeuvre pour remettre le plus rapidement possible en état de marche leurs réseaux.

Chez Suez, la gestion de crise repose sur deux piliers essentiels sur lesquels il faut travailler et progresser en permanence : la préparation et la communication.

La préparation consiste à s'assurer que tous les moyens nécessaires, qu'ils soient humains, matériels ou logistiques, seront disponibles au moment où ils devront être mobilisés. Cela consiste également à acquérir les réflexes nécessaires aux interventions en urgence et en situation de crise. Des progrès sont à faire dans ce domaine.

La communication, qui n'a pas été abordée jusqu'ici, est une dimension essentielle qui doit être prise en compte avant, pendant et après la crise. Nous sommes en contact avec toutes les parties prenantes à chaque étape, c'est-à-dire avec les autorités publiques, mais aussi les autres opérateurs, nos salariés, les usagers qui veulent de plus en plus être informés en temps réel. Nous communiquons en permanence avec notre client, la collectivité, afin de lui permettre de jouer pleinement son rôle d'autorité organisatrice.

J'aimerais revenir plus en détails sur ces deux piliers et, en premier lieu, la préparation. Préparer une crise, c'est tirer les enseignements des crises précédentes, d'où l'importance cruciale des retours d'expérience.

Le document que vous avez entre les mains est celui que la Société martiniquaise des eaux a remis à ses deux délégants : les communautés d'agglomération Espace Sud et Cap Nord à l'issue de l'ouragan Maria. À partir de ce type d'analyse, nous pouvons donc améliorer ensemble les dispositifs. Sur cet épisode particulier, la gestion de crise a été jugée performante, ce qui explique que peu de recommandations aient été formulées. Ce document nous permet de maintenir le dialogue et de progresser pour les crises suivantes.

La préparation de la crise passe également par la réalisation de l'ensemble des études et des plans nécessaires, qu'ils soient prévus par la réglementation ou conçus par nous pour que nous soyons pleinement opérationnels au moment critique. Le code de la santé publique prévoit la production de nombreux documents tels que les études de vulnérabilité. Le plan interne de crise est une exigence du code de la sécurité intérieure et le plan de continuité d'activité est prévu pour les opérateurs d'importance vitale au titre de la directive nationale de sécurité du secteur de l'eau. La réglementation dans ce domaine est donc large, touffue et complexe. Sous différents angles, ces plans permettent d'analyser les risques, de pallier les conséquences les plus graves de la défaillance des installations et d'assurer le plus rapidement possible une distribution adaptée permettant la satisfaction des besoins prioritaires définis par l'autorité organisatrice et de rétablir un fonctionnement normal du service. Tout ce travail doit donc être fait avec la collectivité, autorité délégante qui fixe ses priorités et ses objectifs, ce qui n'empêche pas l'opérateur de concevoir des plans secours. Ceux-ci définissent des modes opératoires détaillés pour un fonctionnement en mode dégradé, à l'image d'un dispositif ORSEC eau potable. Même si Suez a élaboré de nombreux plans, des progrès sont encore à faire car les plans internes de crise ne sont pas développés avec la même rigueur dans toutes les collectivités.

Toutefois, pour être efficace au bon moment, il est également nécessaire de s'entrainer, c'est-à-dire de faire des exercices de crise pour tester le fonctionnement des cellules de crise, en interne et avec tous les autres acteurs. De ce point de vue, les pratiques sont encore hétérogènes entre les différents départements ou collectivités. Le retour d'expérience à l'issue du passage de Maria, par exemple, a montré que des exercices plus récents en Guadeloupe, avec les collectivités et les opérateurs, auraient permis d'accélérer notre temps de réponse. Je ne saurais donc trop recommander de maintenir ces exercices de crise, non seulement en interne mais avec l'ensemble des acteurs concernés.

La communication avec l'ensemble des parties prenantes constitue le deuxième pilier de la gestion de crise. Je ne reviendrai pas sur la communication avec les acteurs publics au travers de la cellule de crise, décrite dans les documents qui vous ont été distribués. Dans le cas de Maria en Martinique, le système a bien fonctionné. Mais la communication, c'est aussi être capable de mobiliser les salariés qui doivent intervenir ainsi que les forces d'action rapide. L'information des salariés est donc primordiale car nous devons être en mesure de leur communiquer les consignes en temps réel.

La communication passe aussi par le fait de tenir informés les usagers des dysfonctionnements et du délai de retour à la normale, au travers de canaux traditionnels, téléphoniques, de la radio, très écoutée en période de crise, ou des canaux digitaux quand ils fonctionnent, sites internet ou réseaux sociaux. Cette communication doit évidemment être maintenue du début à la fin de la crise avec notre délégant qui pilote, contrôle et joue son rôle d'autorité organisatrice, y compris en décidant, après la crise, de réaliser les investissements nécessaires pour remettre en état le réseau.

Debut de section - PermalienPhoto de Victoire Jasmin

Vous avez évoqué un plan de continuité des activités. Ce plan prévoit-il d'effectuer des contrôles internes ? Avez-vous les moyens, en situation de crise, de faire toutes les analyses nécessaires en termes de sécurité sanitaire ? Disposez-vous, par exemple, de vos propres laboratoires ?

En outre, êtes-vous alertés en cas de déclenchement du plan ORSEC ? Faites-vous partie des intervenants au sein de la cellule de crise de la préfecture ?

Enfin, il y a quelques mois, dans le cadre de la simulation Richter, des exercices ont été réalisés. Étiez-vous impliqués dans cette démarche ?

Debut de section - Permalien
Didier Demongeot, directeur général adjoint territoires de Suez Eau

En ce qui concerne les plans d'organisation de la réponse de sécurité civile (ORSEC), nous ne sommes sans doute pas assez associés par les préfectures aux cellules de crise. Des initiatives ont été prises pour remédier à cette situation, comme en Guadeloupe, où la préfecture s'est récemment lancée dans la réalisation d'un plan ORSEC spécialisé eau potable de manière à mobiliser l'ensemble des intervenants. Or, en Guadeloupe, Suez est un petit opérateur. Ainsi, notre implication dans la gestion de crise dépend de notre taille sur le territoire. En Martinique, a contrario, Suez est un opérateur important, reconnu et donc associé aux cellules de crise mises en place par la préfecture. Comme Mme Titania Redon l'a rappelé, notre présence en Guadeloupe est récente. 30 personnels sont mobilisés sur place pour répondre à 4 contrats. Nous étions donc, jusqu'à présent, assez peu associés aux dispositifs de crise préfectoraux. Toutefois, les autorités ont pris conscience de la nécessité de remédier à cette situation depuis le passage de Maria.

Pour répondre à votre question, donc, notre niveau d'implication aux différentes cellules de crise est variable car il dépend de notre implantation sur les territoires.

Pour autant, nous avons mis en place des dispositifs de contrôle sur chaque territoire pour faire du suivi de qualité en temps réel et diffuser des informations sur la qualité de l'eau, en particulier au plan bactériologique. Nous ne sommes pas en mesure de réaliser toutes les analyses sur tous les territoires, mais nous sommes parfaitement outillés en ce qui concerne les analyses classiques sur le caractère trouble de l'eau, la turbidité et la bactériologie.

Je rappelle toutefois que la décision finale de déclarer que l'eau est potable revient toujours à l'agence régionale de santé (ARS). Nous mettons donc en place des mécanismes de contrôle supplémentaires, en plus de ceux déployés par l'ARS au sein de ses propres laboratoires.

Debut de section - PermalienPhoto de Victoire Jasmin

J'aimerais tout de même m'assurer que vous avez les moyens en interne d'effectuer les analyses pour connaître la qualité de l'eau. Cela est d'autant plus important qu'en cas de crise l'ARS peut ne pas être opérationnelle. Or, il est impératif qu'avant l'ouverture des vannes, la qualité de l'eau ait été vérifiée.

Debut de section - Permalien
Didier Demongeot, directeur général adjoint territoires de Suez Eau

Nous disposons en effet de moyens internes pour mesurer la qualité de l'eau, et notamment de dispositifs d'analyse rapide qui permettent, en quelques minutes, d'obtenir des résultats. A contrario, l'analyse de l'ARS est produite en 48 heures, avec un degré de précision plus élevé.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Magras

J'ajouterai que la rapidité de la prise d'une telle décision est d'importance vitale, en particulier lorsque cela se joue sur une île. J'ai moi-même eu l'occasion de constater la lenteur des dispositifs de l'ARS lorsque celle-ci avait décrété, quinze jours après les prélèvements, que l'eau était d'assez bonne qualité pour autoriser la baignade. Or, cela engage la responsabilité des élus locaux, qui ne disposent pas d'informations actualisées.

Debut de section - PermalienPhoto de Mathieu Darnaud

En complément de l'intervention de Mme Victoire Jasmin, ma question porte sur les procédures de rétablissement des réseaux ainsi que l'information des populations. Pouvez-vous nous donner des éclairages sur ces deux points particuliers, en référence aux dernières crises que vous avez eues à gérer ?

Debut de section - Permalien
Didier Demongeot, directeur général adjoint territoires de Suez Eau

Les documents que nous vous avons transmis détaillent les dispositifs réactifs mis en oeuvre pour pouvoir répondre aux appels des usagers. Nous enregistrons par exemple des messages d'information qui remplacent la musique d'attente sur nos lignes téléphoniques. Nous diffusons également de l'information sur notre site internet et sur notre page Facebook ainsi qu'à la radio. Enfin, nous pouvons envoyer des sms aux clients dont nous connaissons le numéro de téléphone.

Par ailleurs, nous communiquons avec les collectivités sur l'ensemble des médias traditionnels, en particulier la presse et la radio. En période cyclonique, les habitants se renseignent surtout par la radio, qui est devenue notre principal outil de communication.

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Théophile

Vos contrats prévoient-ils la mise en place de stocks de sécurité contenant les pièces susceptibles de devoir être remplacées et qui ne sont pas disponibles localement ? Avez-vous prévu ce dispositif de votre propre initiative ?

Debut de section - Permalien
Didier Demongeot, directeur général adjoint territoires de Suez Eau

Nous disposons sur tous les territoires de stocks sécurisés adaptés aux conditions locales. Avant la période cyclonique, nous augmentons les stocks de produits chimiques, entre autres, pour être capables d'augmenter le traitement de l'eau si nécessaire et faire face à d'éventuelles difficultés d'approvisionnement. Nous tentons donc d'anticiper au maximum les risques, même si ces stocks s'avèreraient sans doute insuffisants en cas de catastrophe majeure.

Debut de section - Permalien
Christian Gosse, directeur adjoint de la direction nationale SEI d'EDF

Nous disposons de stocks de sécurité sur chaque territoire que nous vérifions systématiquement avant chaque saison cyclonique, dans le cadre des exercices de crise.

Nous développons par ailleurs l'information de la clientèle par sms avec des messages adaptés. Nous diffusons les informations qui intéressent particulièrement la population, à savoir l'état d'avancement des travaux menés par les équipes et l'estimation de l'horaire de rétablissement du service.

Debut de section - PermalienPhoto de Maurice Antiste

Les périodes de gestion de crise ne constituent-elles pas des moments opportuns pour l'entretien des circuits et le remplacement de ceux qui sont obsolètes ? À quelle fréquence renouvelez-vous vos équipements ?

Debut de section - Permalien
Frédéric Martin, directeur général d'ENGIE France Réseaux

Les périodes de crise sont effectivement propices au renouvellement préventif de certains dispositifs dans le cadre de notre contrat, pour tout ce qui est relatif à l'électromécanique. Pour l'essentiel, cependant, nous optons pour une politique de renouvellement de long terme et pas seulement à l'occasion d'un événement majeur.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Magras

J'ai donc bien noté que la distribution d'eau était dépendante de la remise en état du réseau électrique. Pour autant, ne disposez-vous pas de systèmes autonomes de production électrique afin de faire face aux crises, au moins dans les premières heures ?

Debut de section - Permalien
Didier Demongeot, directeur général adjoint territoires de Suez Eau

Oui, et c'est bien tout l'enjeu de nos retours d'expérience. Nous disposons d'un certain nombre de groupes électrogènes, et certaines installations en sont en permanence équipées. Nous dialoguons donc en continu avec les collectivités pour savoir s'il convient de continuer à installer des groupes électrogènes. Nous sécurisons également les groupes électrogènes fournis par nos partenaires. La phase de préparation de la crise est donc essentielle pour garantir une réponse efficace et rapide dès les premières heures.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Magras

Toutefois, dans les petites îles, l'augmentation du nombre de groupes électrogènes, notamment dans les hôpitaux et les hôtels, perturbe la distribution régulière d'électricité. Une réflexion politique doit être menée sur la continuité du service public et les moyens à déployer dans cette perspective.

En ce qui concerne les événements naturels imprévisibles tels que les séismes, j'ai compris que vous effectuiez des exercices réguliers. S'agissant de phénomènes plus prévisibles comme les cyclones, êtes-vous associés aux démarches des collectivités ? À Saint-Barthélemy, par exemple, quelques jours avant le passage du cyclone, tous les intervenants sont réunis afin de s'informer mutuellement sur les différentes méthodes d'action et de s'assurer que chacun est en mesure de gérer la crise dans le secteur dont il a la charge. Cette démarche est d'autant plus essentielle que la communication, après le passage du cyclone, peut être coupée. La clarification des rôles en amont est l'une des clefs de la gestion de crise.

Debut de section - Permalien
Didier Demongeot, directeur général adjoint territoires de Suez Eau

Oui, absolument.

Debut de section - Permalien
Nicolas de Saint Martin, chargé de mission auprès du secrétaire général de l'Eau France pour Veolia

Comme l'a rappelé mon confrère, les réseaux des opérateurs de l'eau sont majoritairement enterrés. De même, les cyclones constituent le risque majeur auquel nous sommes le plus exposés.

Comme pour tous les intervenants de cette table ronde, nous exerçons des métiers vitaux pour la population. Nous avons ainsi l'habitude de la gestion de crise à tous les niveaux. En effet, il existe une structure rattachée à la présidence du groupe qui pilote ces dispositifs dans le monde, ainsi qu'une structure dédiée à la France. Ces structures gèrent un large panel d'activités qui comprend aussi bien les métiers de l'eau que de l'environnement, les industries ou les relations avec les collectivités.

Pour illustrer mon propos, je me permets de faire remarquer que le patron actuel des exploitations à Saint-Martin avait fait un passage à Fukushima et est donc rompu aux situations compliquées.

Au-delà de ces outils, nous disposons d'une fondation d'entreprises dont la vocation est d'intervenir sur des terrains humanitaires comme à Mossoul en Irak ou à Haïti après le passage de l'ouragan Matthew. Cette fondation d'entreprises permet de mobiliser des gens formés aux situations psychologiques difficiles et à des conditions de vie extrêmes. Elle s'est révélée particulièrement utile pour faire face à une crise aussi importante que le passage d'Irma, puisque les travailleurs se sont rendus à Saint-Barthélemy et Saint-Martin sans savoir ce qui les attendaient sur place et ont vécu pendant près de trois semaines dans des conditions précaires.

Enfin, en ce qui concerne notre présence en outre-mer, Veolia n'est pas aussi bien implantée qu'EDF ou GDF, mais compte environ 300 personnels majoritairement basés à La Réunion. Aux Antilles, Veolia est l'opérateur unique à Saint-Martin mais n'exerce que la production d'eau à Saint-Barthélemy. Nous desservons également près de 20 000 usagers en Guadeloupe et avons été en capacité de rétablir le service dans son intégralité 48 heures après le passage de Maria. Nous avons donc récemment fait face à deux épisodes cycloniques d'ampleur extrêmement différente.

Debut de section - Permalien
Dorothée Fourny, directrice de projet Eau France pour Veolia

En ce qui concerne les procédures liées à la gestion des crises cycloniques, nous nous adaptons à la saison dite « administrative » des cyclones. Cela correspond aux périodes de juin à novembre pour les Antilles et de novembre à avril dans l'océan Indien. Dès lors que les procédures d'alertes météorologiques indiquent le déploiement prochain du plan ORSEC, nous entrons en communication avec la préfecture, nous nous tenons informés des alertes Météo France et nous intégrons les phases d'alerte concernant la catégorie de cyclone. Pour rappel, il existe 5 catégories pour définir un cyclone, de faible à dévastateur. La catégorie 5, soit la plus élevée, est atteinte lorsque les vents dépassent 250 kilomètres par heure, alors qu'Irma a dépassé les 350 kilomètres par heure avec des pointes à 400 kilomètres par heure.

Dans le cadre de ces procédures, nous éditons un guide cyclonique à destination de nos clients avant chaque période cyclonique. Tous les contacts locaux impliqués dans la gestion de la crise figurent sur ce document, tant en interne qu'en externe. Cela nous permet également de mettre à jour nos propres contacts : la liste de nos GSM, les listes spécialisées France Télécom, les contacts de nos agents et ceux de nos sous-traitants, les contacts EDF basse et moyenne tension, ainsi que la liste des interventions à faire sur les installations prioritaires. Comme nos confrères l'ont noté, il existe une forte interdépendance entre les opérateurs, en particulier avec EDF et les opérateurs de réseaux de télécommunications. Nous établissons également la liste des clients sensibles sur l'ensemble de nos contrats et nous mettons à disposition les études de vulnérabilité réalisées sur nos contrats au préalable. Nous révisons par ailleurs la liste de nos laboratoires internes pour la gestion des analyses physico-chimiques ainsi que la liste des laboratoires externes. Je rappelle que nos laboratoires peuvent réaliser les analyses, mais celles-ci ne sont pas reconnues.

Enfin, lorsqu'un cyclone approche - c'est le cas à La Réunion en ce moment même - nous établissons la connexion avec notre cellule de crise nationale et nous mettons en astreinte administrative et opérationnelle nos collaborateurs sur place en informant la préfecture et le centre opérationnel départemental (COD). Nous mettons en sécurité nos collaborateurs et le matériel et préparons les stocks de pièces et de réactifs d'urgence. Enfin, nous mettons en marche des connexions sécurisées en allouant, notamment, des téléphones satellitaires capables de fonctionner en cas de coupure de réseau. Nous remplissons les réservoirs et vérifions les stocks d'astreinte comme nos stocks de groupes électrogènes propres et ceux de nos sous-traitants.

L'astreinte commence avec la gestion de crise classique, que je n'ai pas le temps de vous exposer, mais qui se caractérise par un aller-retour permanent entre la cellule de crise de la préfecture et notre cellule de crise nationale.

Debut de section - Permalien
Nicolas de Saint Martin, chargé de mission auprès du secrétaire général de l'Eau France pour Veolia

Pour illustrer notre propos, je souhaite évoquer plus en détails le retour d'expérience concernant Irma. Il convient d'abord de rappeler la spécificité de Saint-Martin, qui est une île sèche. Cela signifie qu'à l'état naturel, il est très difficile d'y trouver de l'eau douce. Ainsi, la seule manière de produire de l'eau potable consiste à désaliniser de l'eau de mer. Cela nécessite des capacités techniques particulières. Or, les unités mobiles compétentes et capables d'êtres projetées rapidement sont rares. Faute de personnel qualifié en France, nous sommes allés chercher des unités mobiles adéquates en Espagne. En outre, ayant anticipé l'ampleur du phénomène, nous avons, en amont de la crise, réfléchi aux moyens à envoyer sur place depuis la métropole.

J'ajouterai que nous nous sommes engagés dans un processus très graduel. À l'instar des autres opérateurs de réseaux, Veolia procède au rétablissement du service en plusieurs étapes, Après Irma, les pouvoirs publics et la protection civile ont assuré la distribution d'eau en bouteille. Or, ce dispositif nécessite une logistique lourde et ne peut donc pas être maintenu très longtemps, ce qui nous a fait travailler dans des délais restreints.

Chez Veolia, le processus de rétablissement du service commence par la réparation des moyens de production. Dans le cas d'espèce, ceux-ci avaient été ensevelis par un mur qui s'était effondré. Le fait que nos réseaux soient enfouis présente l'avantage d'une plus grande robustesse, mais cela implique également qu'il est plus difficile de mesurer l'ampleur des dégâts. Paradoxalement, nous ne pouvons identifier le sinistre qu'au moment où la distribution d'eau est rétablie. Nous sommes donc tributaires du rétablissement du courant électrique pour savoir si nos réseaux fonctionnent.

En parallèle de cette étape, qui peut prendre du temps, nous avons collaboré avec la Croix-Rouge et la fondation d'entreprises évoquée plus tôt pour mettre en place des mesures provisoires pour approvisionner la population en eau, en dehors de la distribution de bouteilles. Ainsi, 11 points de distribution avec des réservoirs ont été installés sur l'île. Ces réservoirs ont été alimentés, dans un premier temps, par des camions citernes, avant d'être progressivement reliés au réseau, au fur et à mesure des réparations. Je note que les fuites sur notre réseau étaient 4 fois plus nombreuses qu'en temps normal, ce qui indique que nous avons fait face à un événement exceptionnel. Il s'agit donc d'un processus long.

En outre, les métiers de l'eau sont dotés d'une forte dimension sanitaire. Ainsi, il convient de ne pas oublier la phase essentielle de l'assainissement de l'eau. Notre priorité, après le passage d'Irma, a été d'éviter que des poches d'eau stagnante se forment en raison de la submersion d'installations électriques et l'obstruction des réseaux d'assainissement. Il a donc fallu mettre en place dans l'urgence des systèmes d'évacuation des eaux usées afin d'éviter la prolifération des moustiques et des épidémies.

Quelles leçons a-t-on tiré de cette crise ? D'abord, dans ce genre d'épisodes majeurs, la sécurité des biens et des personnes est une dimension à prendre en considération. Nous avons été fortement pénalisés par les vols de nos groupes électrogènes et de nos stocks de chlore. J'ajouterai qu'en Guadeloupe, pendant la phase violette de confinement qui a suivi le passage de Maria, nos véhicules ont été volés. Nous considérons qu'avec l'évolution des mentalités et de la société, illustrée par les pillages aux États-Unis après Katrina, une gestion de crise de cette ampleur doit pleinement intégrer ce volet sécurité. Ceci est particulièrement important pour les opérateurs d'eau, car les fuites ne sont repérables que la nuit par nos équipes. Nous avons donc dû faire appel à des vigiles d'une société privée pour accompagner nos agents dans leur mission.

Nous partageons également la préoccupation sur la communication et saluons à ce titre le système de radio d'urgence lancé par Radio France, même si nous avons eu quelques difficultés à trouver des interlocuteurs pour faire passer nos messages. Compte tenu des circonstances exceptionnelles, nous n'avons pas eu d'autre solution que de distribuer des flyers pour informer la population. Cette communication doit évidemment être bâtie avec les autorités, c'est-à-dire la préfecture et la collectivité.

J'abonde également dans le sens de ce qui a été dit sur les relations entre les opérateurs et les collectivités. Nous intervenons en tant que fermiers, ce qui signifie que nous ne sommes pas maîtres d'ouvrages. Pour Irma, nous n'avions donc pas la responsabilité d'assurer les ouvrages, les décisions devant être prises par les autorités habilitées à les prendre, en particulier en temps de crise. De même, seule l'ARS, en tant qu'autorité sanitaire, a le pouvoir de donner l'autorisation de consommer l'eau potable. Ces situations sont particulièrement difficiles à expliquer dans l'urgence, d'où l'intérêt d'insister sur le volet prévention en faisant cet effort de pédagogie pendant nos phases d'exercice.

Alors que nous sommes d'ordinaire plutôt bien associés aux cellules de crise, nous n'avons pas été spontanément conviés à la cellule de crise nationale, et tardivement associés à la cellule de crise locale. Cela tient peut-être au fait que nous sommes le plus petit opérateur sur ce territoire et une entreprise privée. Compte tenu de notre expertise, notre devoir est pourtant de porter conseil.

En conclusion, j'insisterai sur la nécessité de multiplier les exercices de crise afin de mieux cerner les responsabilités de chacun des acteurs. En outre, dans cette situation compliquée, nous avons fait en sorte de garantir des conditions de vie telles que nos salariés locaux soient sereins et donc plus efficaces au travail. Cela peut passer pour un passe-droit aux yeux du reste de la population. Or, nous considérons que les problèmes de logistique et d'approvisionnement de nos personnels sont prioritaires car nos agents doivent pouvoir travailler le plus sereinement possible. À titre d'exemple, notre chef d'exploitation, père de famille, a été victime d'une intrusion à son domicile. Il lui était très difficile de venir travailler le lendemain, en laissant sa femme et ses filles seules à la maison. Faciliter la vie de nos employés ne doit pas être considéré comme un passe-droit mais, au contraire, comme un moyen d'améliorer le service public.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Magras

Je vous remercie pour cette dernière intervention particulièrement utile car nous voulons connaître votre ressenti sur la crise.

Au cours de notre mission, nous avons auditionné les ministres, les forces armées et les services de l'État et avons pu constater que la mobilisation de l'État avait été particulièrement forte. En revanche, la cellule de crise n'a peut-être pas associé tous les acteurs concernés. Au plan local, particulièrement, vous devriez participer aux cellules de crise.

Quand une crise survient sur de petites îles, comme ce fut le cas pour Irma, les collectivités n'ont pas toujours les moyens d'obtenir des forces de sécurité supplémentaires de la part de l'État. Je salue toutefois la rapidité et l'efficacité de l'action des forces de l'ordre.

Par ailleurs, je souligne l'importance du développement de technologies innovantes telles que celle permettant la désalinisation de l'eau pour nos territoires. À Saint-Barthélemy, cela se fait déjà en valorisant l'énergie issue des déchets et donne de bons résultats.

Pour clore cette table ronde, je vais maintenant donner la parole au directeur Orange Antilles-Guyane. Les opérateurs de télécommunications ont un rôle essentiel à jouer en cas de crise naturelle majeure, au même titre que les opérateurs d'eau et d'électricité, à l'heure où tout fonctionne grâce au numérique. J'illustrerai mon propos par deux exemples. Au lendemain d'Irma, d'abord, la population s'est retrouvée totalement coupée du monde extérieur. Lorsque le réseau Wifi a été remis en service, les habitants s'y sont précipités pour donner des nouvelles à leurs proches. Depuis une semaine, en outre, nous faisons l'expérience de cet isolement à Saint-Barthélemy puisque la houle a brisé le câble qui nous permettait de téléphoner, de naviguer sur internet et même d'utiliser nos cartes bleues.

Je vous remercie donc, M. Kergall, d'être présent aujourd'hui et salue l'importance de votre travail car, sans continuité numérique, nous n'existons pas.

Debut de section - Permalien
Thierry Kergall, directeur Orange Antilles-Guyane

Merci, monsieur le président, madame et messieurs les sénateurs, pour cette invitation. Nous avons effectivement pleinement conscience de l'importance du numérique, en particulier en période de crise, pour avoir constaté que des habitants communiquaient via Twitter et Facebook au plus fort de l'ouragan pour donner des nouvelles à leurs proches. La restauration des réseaux de télécommunication est également essentielle pour permettre d'organiser les secours.

J'aimerais commencer mon propos par quelques mots de contexte. La direction Orange Antilles-Guyane que je dirige est basée en Guadeloupe et compte 1 300 employés. Orange est présent à Saint-Martin et Saint-Barthélemy, de même qu'en Guadeloupe, en Martinique, en Guyane et à Saint-Pierre-et-Miquelon. Mon homologue Mme Mireille Hélou est en charge de la direction La Réunion-Mayotte. Ces directions sont en charge des activités de construction et de maintenance de réseaux, ainsi que de la commercialisation des services fixe, mobile et Internet pour les clients d'Orange de ces départements.

En ce qui concerne la prévention, Orange dispose, comme tous les grands groupes, d'une politique globale d'anticipation des catastrophes naturelles qui consiste notamment à la solidification et au renforcement du matériel à partir de tests de robustesse des équipements. Cette politique d'anticipation se décline également au plan humain avec des équipes d'astreinte en permanence au niveau national pour la supervision des réseaux autant en heures ouvrées qu'en heures non ouvrées (HNO). Sur le volet organisationnel enfin, les procédures de plan de gestion de crise sont régulièrement actualisées et nous prévoyons des dotations d'équipements de transmission pour les décideurs et techniciens de secours tels que des téléphones satellite et des cartes SIM d'autres opérateurs lorsque nos réseaux sont en panne, pour garder le lien entre les équipes. Nous faisons également le nécessaire au plan logistique, en remplissant les réservoirs avant la crise notamment. Orange est associé aux travaux préparatoires dits d'alerte à la préfecture et fait des exercices réguliers, dont certains en grandeur nature. Je souligne la nécessité de maintenir ces exercices périodiques afin d'en tirer de précieux enseignements en matière de gestion de crise.

Sur la partie gestion de crise à proprement parler, les cyclones sont des phénomènes assez bien anticipés, ce qui nous permet de bénéficier d'un délai de préparation en amont. Ainsi, le fait que nous ayons pu poster des techniciens possédant des compétences pointues sur les réseaux structurants à Saint-Barthélemy et à Saint-Martin en avance de phase constitue l'un des facteurs clefs de la réussite de nos interventions après Irma. Ces équipes ont en effet pu intervenir dès les premières heures après le passage de l'ouragan. Toutefois, ce dispositif est difficile à mettre en place car nous sommes contraints de demander à des personnels de se rendre en zone de danger. Cela pose donc des problèmes de logistique et de sécurisation des personnes et du matériel. Nous avons été confrontés à ces difficultés sur les deux îles, en particulier à Saint-Martin.

En termes de retour d'expérience, il convient de souligner l'importance de notre participation au poste de commandement de crise de la préfecture. En outre, je remercie EDF avec qui nous avons collaboré pour identifier les sites nécessitant de l'énergie en priorité. Nous avons également pu bénéficier de leurs infrastructures car, sans énergie, nous ne pouvons rien faire. Ainsi, deux hélicoptères PUMA ont permis d'acheminer des groupes électrogènes sur des lieux fragiles et prioritaires.

Après le passage d'Irma, nous avons rétabli en 10 jours 95 % de la capacité voix, ce qui a permis aux victimes de communiquer avec leurs familles et aux secours de s'organiser. Les données mobiles ont été rétablies en 30 jours. Nous avons choisi de prioriser la remise en état des réseaux mobiles car la partie fixe est plus difficile à restaurer. Nous avons privilégié l'accès aux lignes fixes pour les services de l'État et les services de santé comme les pharmacies et les médecins. 180 salariés, des experts techniciens volontaires, sont venus de métropole, à tour de rôle, pour prêter main forte aux équipes sur place. À titre indicatif, Orange compte environ 500 salariés sur la plaque Antilles-Guyane, sans compter les nombreux renforts mobilisés pour Irma et Maria.

Je soulignerai par ailleurs que, dès le début de la crise, nous avons accompagné les clients en offrant la gratuité des communications pendant une durée limitée et en anticipant les retours de facturation. Nous avons également fourni à la Croix-Rouge des cartes SIM et des téléphones afin que ceux-ci soient distribués à la population. Enfin, nous nous sommes associés à la collecte de biens faite par la population. Nous avons à cette occasion noté que la population avait besoin de contribuer à cet effort et de venir en aide à leurs familles par ce genre d'actions. Ce fut une expérience intéressante de pouvoir s'appuyer sur notre réseau de points de vente pour acheminer ce matériel.

Je conclurai avec quelques recommandations. En premier lieu, la sécurisation des biens et des bâtiments est essentielle lorsque le personnel est contraint de travailler dans une situation de quasi-guerre pendant plusieurs jours, sans eau, ni électricité, ni pont logistique. Les premiers jours, alors que la population n'était pas autorisée à sortir, l'armée et la gendarmerie sont intervenues et l'on entendait des coups de feu la nuit. Notre personnel était donc très exposé, et nous devons travailler à leur sécurisation.

Il convient également de réfléchir à l'organisation des barrages et des couvre-feux, afin que les opérateurs de télécoms soient inscrits parmi les forces d'intervention et que les techniciens puissent se déplacer. Nous avions pallié ces difficultés en collant des autocollants Orange sur les voitures pour que les forces de l'ordre laissent passer les agents. Nous souhaiterions, dans le futur, nous doter d'un signe distinctif comme un gyrophare et obtenir l'autorisation d'intervenir la nuit car chaque heure compte en temps de crise. Un système de pass pourrait être imaginé pour franchir ces différents barrages.

Nous avons également fait face à des problèmes de ravitaillement en essence. Certains loueurs ont compris la situation et, avec la préfecture, nous sommes parvenus à obtenir de l'essence. Toutefois, les premières heures restent critiques en termes d'approvisionnement.

Je finirai par deux pistes de réflexion sur la résilience des réseaux. Orange et EDF ont souvent rappelé la nécessité de l'élagage en amont des voies chez les propriétaires, car de nombreuses lignes n'auraient pas été coupées si la végétation abondante dans nos îles était contrôlée aux abords des réseaux. De même, l'enfouissement des réseaux est une clef pour améliorer la résilience de nos installations.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Magras

Ma question porte sur un point technique. Pourquoi, en cas de dommages sur un câble extérieur, la communication en interne, sur l'île, est-elle également interrompue ? Il me semble que la priorité doit être que les habitants puissent communiquer entre eux avant de communiquer avec le reste du monde. J'aimerais que vous puissiez nous en dire davantage, mais je crains que nous ne soyons contraints par le temps.

Debut de section - PermalienPhoto de Guillaume Arnell

Ma remarque s'adresse à Orange : je constate que l'activité économique ne repartira pas tant qu'il n'y aura ni internet, ni le téléphone fixe. La situation est particulièrement dramatique à Saint-Martin. Nous vous ferons parvenir une série de questions auxquelles nous vous prierons de bien vouloir répondre, notamment sur ce sujet.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Magras

Je vous remercie pour les documents que vous avez déjà bien voulu nous communiquer. Nous restons à votre disposition pour toute information complémentaire. Vous serez tenus au courant des avancées du rapport qui dressera un état des lieux des risques naturels majeurs en outre-mer et qui formulera des préconisations à destination des parlementaires, des collectivités territoriales, des opérateurs et de tous les acteurs concernés afin que nous puissions mettre en oeuvre des solutions rapides, durables et efficaces.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Magras

Mes chers collègues, nous avons ce soir le plaisir de nous rendre en Polynésie française. Nous regrettons que le président Édouard Fritch et le haut-commissaire, M. René Bidal, ne puissent en définitive rester avec nous car ils sont des acteurs majeurs de la gestion des crises, mais nous comprenons leurs contraintes face au mouvement de grève générale qui a été déclenché. Je remercie en notre nom nos interlocuteurs qui se sont rendus disponibles en dépit de l'heure matinale. Permettez-moi un signe amical à M. Michel Buillard, maire de Papeete, et à M. Gaston Tong Sang, maire de Bora-Bora, que je connais depuis un certain temps déjà et qui sont toujours prompts à témoigner dans le cadre des travaux menés par notre délégation.

Comme vous le savez, à la suite des ravages opérés par l'ouragan Irma, notre délégation sénatoriale aux outre-mer a décidé de conduire une étude sur la situation de nos outre-mer face aux risques naturels majeurs qui se font de plus en plus fréquents et surtout de plus en plus violents avec les dérèglements climatiques. Nos territoires, que l'on qualifie souvent de « sentinelles du changement climatique », sont particulièrement exposés et vulnérables du fait, notamment, de leur isolement et de leurs configurations géographiques. Je pense bien sûr à l'extrême dispersion qui caractérise le territoire polynésien, même si une grande partie de la population se trouve concentrée sur l'île de Tahiti.

Les épisodes dévastateurs se multiplient : vous avez connu il y a seulement quelques semaines de graves inondations et La Réunion vient de vivre deux séquences semblables quasiment consécutives ; après Gita il y a quelques jours, la Nouvelle-Calédonie est sous la menace d'un nouveau cyclone. Aussi nous est-il apparu nécessaire de faire le point sur la situation des différents territoires au regard des différents risques, afin de faire émerger des propositions d'amélioration de la protection de nos territoires et de leurs populations. Nous menons à cet effet de multiples auditions et visioconférences, et nous aurons, dans les semaines qui viennent, un déplacement aux Antilles fin avril, début mai.

Notre étude comprendra deux volets : le premier, que nous instruisons actuellement, est centré sur les questions de prévention, de déclenchement de l'alerte et de gestion de l'urgence lorsque survient une catastrophe ; le second volet, qui sera traité l'année prochaine, portera sur la reconstruction et l'organisation de la résilience de nos territoires.

Est en charge de ce dossier une équipe de trois rapporteurs : Guillaume Arnell, sénateur de Saint-Martin, est coordonnateur sur les deux rapports, et avec lui, Mathieu Darnaud, sénateur de l'Ardèche, qui connaît bien le Pacifique, et Victoire Jasmin, sénatrice de la Guadeloupe, co-rapporteurs du premier volet sur lequel nous vous sollicitons aujourd'hui.

Je n'en dirai pas davantage. Nous vous avons transmis une trame sur la base de laquelle nous allons vous laisser intervenir librement, puis les rapporteurs et nos collègues vous poseront des questions.

Debut de section - Permalien
Frédéric Poisot, haut-commissaire de la République en Polynésie française

directeur de cabinet de M. René Bidal, haut-commissaire de la République en Polynésie française - Mesdames et Messieurs les sénateurs, Monsieur le haut-commissaire vous prie de bien vouloir l'excuser. Je cède la parole au Président Fritch qui est passé pour vous saluer.

Debut de section - Permalien
Édouard Fritch, président du gouvernement de la Polynésie française

En tant qu'hôte de cet échange, je voulais vous saluer et vous dire combien nous sommes heureux d'échanger avec vous sur la question des risques. C'est un sujet qui nous préoccupe, aujourd'hui même puisque la saison cyclonique va durer jusqu'au mois d'avril. Je regrette simplement que nos échanges aient lieu par visioconférence car nous vous aurions bien volontiers accueillis.

C'est Jean-Christophe Bouissou, notre ministre du logement, qui participera à votre échange car je suis malheureusement obligé de vous quitter.

Debut de section - Permalien
Jean-Christophe Bouissou, ministre du logement du gouvernement de la Polynésie française

Monsieur le président, je crois que nous avons eu l'occasion, par le passé, d'échanger par visioconférence sur d'autres sujets qui touchaient notamment aux aménagements communaux.

Je suis ici en présence de personnes que vous connaissez déjà : le maire de Teva I Uta, Tearii Alpha, qui est aussi ministre des ressources primaires au sein du gouvernement polynésien, notre maire de Bora-Bora, Gaston Tong Sang, à côté de moi Lana Tetuanui, notre sénatrice de Polynésie française, Michel Buillard, maire de Papeete, et Luc Faatau, notre ministre de l'équipement ainsi qu'Albert Solia, conseiller auprès du président Édouard Fritch pour toutes les questions liées aux grands travaux.

Nous sommes très heureux, comme l'a dit le président, de pouvoir converser avec vous sur l'ensemble des sujets que vous nous avez soumis et qui touchent aux problématiques des risques naturels. En Polynésie française nous sommes confrontés à plusieurs types de risques. C'est un des premiers points que vous souhaitiez aborder et je vais céder la parole au représentent l'État pour une présentation.

Debut de section - Permalien
Frédéric Poisot, haut-commissaire de la République en Polynésie française

Les collaborateurs qui m'accompagnent sont Isabelle Leleu, directrice de Météo France sur le territoire, Christophe Peltier, commandant en second de la direction de la protection civile du haut-commissariat, Denis Bertrand qui est l'amiral commandant supérieur des forces armées en Polynésie française et le colonel Elbeuf, responsable de la planification et de la préparation opérationnelle des forces armées sur le territoire.

Cet échange est très important pour nous qui avons subi l'année dernière des intempéries très fortes dont ont résulté des inondations qui ont plongé la Polynésie dans la difficulté, ce qui n'a pas été très médiatisé en métropole. Nous avons eu 5 000 foyers détruits ; or, un foyer polynésien comprend jusqu'à huit personnes. La question des risques naturels a ici une très grande acuité du fait de la fréquence et de la violence des événements mais aussi de la spécificité institutionnelle de la Polynésie. Les problématiques de prévention ressortissent à la compétence du pays et des maires sur ce territoire, alors que la gestion de crise relève de la compétence de l'État aux termes de l'article 14 de la loi organique de 2004. L'État, le pays et les communes s'efforcent d'adopter une démarche de partenariat actif pour dégager des solutions. Nous sommes dans un système institutionnel très particulier qui nous oblige à mettre en oeuvre des solutions innovantes. Je rappelle qu'ici la compétence incendie et secours, sur laquelle s'appuient d'autres territoires pour la gestion de crise, appartient aux communes.

Debut de section - PermalienPhoto de Mathieu Darnaud

Pour rebondir sur ce qui vient d'être dit s'agissant de la particularité du statut, nous avons vu lors de nos échanges avec Météo France que la compétence en matière de prévision météorologique relevait du pays en Nouvelle-Calédonie comme en Polynésie. Avez-vous rencontré des écueils dans l'exercice de cette compétence et celui-ci exige-t-il une articulation particulière avec les services de l'État ?

Debut de section - Permalien
Jean-Christophe Bouissou, ministre du logement du gouvernement de la Polynésie française

La prise de conscience des enjeux liés à la gestion de crise face aux risques naturels en Polynésie a émergé vers la fin des années 90, époque à laquelle nous avons subi en Polynésie un cyclone dévastateur, particulièrement sur les Îles Sous-Le-Vent à Raiatea et Tahaa, avec une pluviométrie diluvienne et des glissements de terrain qui ont enseveli plusieurs personnes. Dès lors nous avons, avec les services de l'État, décidé de financer une étude qui a été réalisée par le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) pour caractériser les divers risques auxquels sont exposées les populations polynésiennes : les risques cycloniques avec des vents qui peuvent dépasser les 280 à 300 km/h, les inondations dues aux fortes précipitations que nous pouvons connaître, la montée des eaux liée au réchauffement climatique avec les phénomènes de houles déferlant sur les côtes, le risque de tsunami pour lequel nous avons souvent des alertes dans la zone Pacifique que ce soit à partir des côtes américaines ou à partir de la zone Asie et notamment du Japon qui est souvent impacté.

Nous avons établi des plans de prévention des risques naturels (PPRN) en Polynésie avec un zonage qui a représenté un gros travail et a concerné l'ensemble des îles et des communes de la Polynésie française. Les risques sont différents selon que l'on considère les îles basses, les atolls des Tuamotu, ou les îles hautes comme les Marquises ou l'archipel de la Société.

C'est Gaston Tong Sang, alors président de la Polynésie française, qui a initié l'élaboration des plans de prévention des risques, mais par la suite l'instabilité politique dont a pâti le territoire a empêché d'aller au bout de la démarche, si bien qu'aujourd'hui seulement deux communes ont approuvé leur PPRN : ce sont les communes de Punaauia et de Rurutu. Pour les autres communes, nous faisons tout de même application des zonages et des préconisations en matière de risques figurant sur les plans du BRGM, notamment en matière de construction. Cela pose bien des problèmes d'incompréhension au sein de la population face à l'incapacité, pour une famille, de pouvoir construire sur un terrain lui appartenant ; il nous reste à accomplir un travail important de pédagogie sur ce sujet.

Debut de section - Permalien
Frédéric Poisot, haut-commissaire de la République en Polynésie française

Je voudrais rebondir sur la question relative à l'articulation des compétences entre l'État et le pays à l'aide d'un exemple : le zonage et la définition des zones à risque relèvent effectivement de la compétence du gouvernement au titre du code de l'aménagement polynésien : ce sont les articles D181 et suivants qui régissent cette matière. L'État n'a pas de prise sur la définition des zones à risque ; en revanche, il exerce le contrôle de légalité sur les permis de construire délivrés par les maires. C'est un point de vigilance de la part du haut-commissariat et les hauts-commissaires qui se sont succédé ont cherché à renforcer le contrôle de légalité sur ce point particulier pour que les maires ne délivrent pas des permis de construire sur des zones qui auraient été préalablement identifiées comme à risque par le pays.

Sur les mécanismes d'articulation de manière peut être plus générale, il faudrait partir des outils dont nous disposons en matière de crise. Je vais donc laisser la parole à Isabelle Leleu, puisque Météo France est un de ces outils ; nous avons aussi le laboratoire de géophysique pour le risque tsunami, qui est un des meilleurs au monde, si ce n'est le meilleur au monde, en matière de prévention et de prédiction sur les tsunamis. Nous avons tout un panel d'outils qui nous permettent d'identifier le risque auquel on va être confronté et de faire des projections sur la base des retours d'expérience. Par exemple, pour les tsunamis, nous savons que si le phénomène vient de la zone des îles Tonga nous disposons de 2 h 30 pour réagir : si nous sommes sur la côte ouest de Tahiti, nous savons qu'il suffit de se positionner à trois mètres de hauteur ou à 300 mètres du rivage pour être en sécurité alors que sur la côte est, il faudra monter à 10 mètres en hauteur pour être protégé.

Je vous propose de faire un bref rappel des différents outils de prévision dont nous disposons et comment la coordination s'effectue.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Magras

Ce sera d'autant plus intéressant pour nous que nous nous sommes déjà rendus au siège de Météo France et que nous visiterons, ce vendredi, le centre de supervision mondiale à Toulouse. Je voudrais souligner qu'avec ses 118 îles réparties en archipels sur une superficie aussi vaste que l'Europe la prévention ne doit pas être aisée ; du fait des distances et des caractéristiques topographiques propres à chaque île, comment organisez-vous la prévention et l'alerte et que prévoyez-vous en matière de secours d'urgence ? Comment s'exerce la solidarité entre les îles ?

Debut de section - Permalien
Frédéric Poisot, haut-commissaire de la République en Polynésie française

C'est tout à fait juste, la dispersion et la nature géographique des îles nécessitent une adaptation des dispositifs.

Debut de section - Permalien
Isabelle Leleu, directrice de Météo France Polynésie française

Du point de vue des phénomènes cycloniques, nous sommes relativement bien outillés pour les détecter, suivre leur évolution et prévoir leur trajectoire, avec essentiellement l'imagerie satellitaire ; le satellite américain qui nous fournit les images va d'ailleurs être renouvelé à la fin de cette année ou au début de l'année prochaine. Nous disposons également d'un certain nombre de stations de mesure de surface qui nous permettent d'alimenter des modèles de prévision très précis, avec des résolutions de l'ordre de 2 km. Nous sommes donc bien armés pour déceler la formation de ces phénomènes et en définir la trajectoire et l'intensité.

Sur les fortes houles, les modèles de prévision dont nous disposons aujourd'hui sont également performants. Sur le territoire, nous sommes soumis à des houles de nord et de sud, qui viennent souvent de très loin et qui sont très vigoureuses ; il est particulièrement important de bien les cibler et nous pourrions parfaire cette prévision de houle avec des relevés in situ car aujourd'hui les prévisions sont essentiellement basées sur la modélisation à partir de données satellitaires ponctuelles qui permettent de vérifier que nos prévisions de houle sont relativement correctes en amplitude et en période. Là aussi, à part des configurations locales très spécifiques qui peuvent amplifier les phénomènes de houle, la prévision est relativement bien appréhendée avec les outils dont nous disposons.

Concernant les phénomènes de fortes pluies, notamment ceux auxquels nous avons été soumis en janvier dernier, ou des événements de type orageux avec des rafales de vent très fortes, ce sont des phénomènes qui ont une cinétique extrêmement rapide, qui sont souvent très explosifs. Si nous sommes capables de prévoir qu'une zone perturbée va intéresser par exemple l'archipel de la Société dans la semaine qui vient, les modèles actuels ne nous permettent pas de prévoir des phénomènes paroxystiques, à très petite échelle, à l'intérieur de ces zones de mauvais temps. En l'absence de radar, outil qui est très largement répandu en métropole et dans les autres outre-mer, nous ne disposons pas d'outil d'observation à petite échelle, même sur la zone urbanisée de Tahiti. Nous pourrions renforcer nos moyens d'observation de trois façons : en densifiant le réseau d'observation des stations automatiques de surface - aujourd'hui nous avons une dizaine de points de mesure sur Tahiti, mais il en faudrait davantage pour bien percevoir ce qui se passe dans chaque vallée - ; en disposant d'un radar qui pourrait couvrir au moins la zone urbaine, tout le nord-ouest de Tahiti - cela nous permettrait une prévision plus fine l'intensité des précipitations à court terme - en développant enfin la composante hydrologique, direction dans laquelle l'État et le territoire se sont d'ailleurs déjà engagés - un projet ERI (étude du risque hydrologique sur Tahiti et Moorea) a été lancé en marge du contrat de plan État-pays qui vise à moderniser le réseau de mesure pluvio-hydrométrique sur un certain nombre de vallées de Tahiti et Moorea pour dessiner les contours d'un futur service d'alerte aux crues sur ces rivières. C'est un projet qui vient de démarrer, qui doit durer trois ans et pourra peut-être être prolongé : il vise à associer la composante météorologique et la composante hydrologique pour mieux prévoir ce qui se passe en aval des vallées quand nous avons ce type de phénomènes. Voilà les trois directions sur lesquelles nous pourrions travailler pour améliorer cette prévision des phénomènes pluvieux très intenses qui sont aujourd'hui les phénomènes les plus fréquents en Polynésie.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Magras

Je voulais juste savoir comment fonctionne, et le maire de Bora-Bora, Gaston Tong Sang pourra répondre, le système d'alerte sur un territoire aussi étendu et éparpillé que celui de la Polynésie. Est-ce un système d'alerte classique lancé par Météo France, ou est-ce qu'il y a une singularité chez vous et quels sont les moyens que vous utilisez sur un territoire aussi immense : la radio, le téléphone, les SMS ?

Debut de section - Permalien
Isabelle Leleu, directrice de Météo France Polynésie française

Concernant l'information météorologique, nous disposons d'un système de vigilance, comme en métropole ou dans les autres outre-mer : l'information est diffusée par différents canaux, le territoire étant divisé en 17 zones de vigilance, qui sont un peu plus grandes qu'un département français. L'information est diffusée directement aux acteurs de la sécurité et est relayée par les médias. Les médias diffusent cette information sur les chaînes de télévision et de radiodiffusion et également aujourd'hui sur un site Internet.

Debut de section - Permalien
Frédéric Poisot, haut-commissaire de la République en Polynésie française

Nous allons donner la parole, si vous êtes d'accord, avant que le président Tong Sang ne s'exprime, au colonel Peltier qui va vous expliquer les mécanismes d'alerte.

Lieutenant-Colonel Christophe Peltier, commandant en second de la direction de la protection civile du haut-commissariat. - En complément de ce qui a été évoqué par la directrice de Météo France, concernant l'alerte des populations, après émission des bulletins de vigilance, nous nous faisons fort d'utiliser le système VIAPPEL, système qui permet très rapidement d'informer les autorités de l'État et du pays, les communes, ainsi que tous les acteurs du secours. C'est un système informatique qui nous permet d'envoyer des messages via des listes de diffusion qui sont déjà préformatées, soit par SMS, soit par message vocal, sur des lignes GSM ou des lignes fixes, par mail ou par fax, voire même l'ensemble de ces supports simultanément. Nous faisons en sorte de toucher l'ensemble des autorités et des acteurs le plus rapidement possible. Nous utilisons VIAPPEL dans le cadre de vigilances et d'alertes météo mais également dans le cadre d'alertes tsunamis. En complément de ce système, il y a effectivement les médias, avec les communiqués de presse qui sont émis par le haut-commissaire, et pour les alertes aux tsunamis nous avons aussi des sirènes. La Polynésie française est aujourd'hui dotée de 188 sirènes qui permettent d'alerter les populations très rapidement via un système sonore ; celles de dernière génération peuvent transmettre des messages vocaux.

Debut de section - Permalien
Gaston Tong Sang, maire de Bora-Bora

Je vous transmets tout d'abord les salutations de la population de Bora-Bora. Au sujet de la prévention, je pense nécessaire de relativiser le qualificatif de risques naturels car tous ces dérèglements climatiques dont nos îles du Pacifique sont les victimes sont la conséquence de la pollution émise par les activités humaines des grands pays. Je salue le travail de notre président Édouard Fritch qui a fédéré tous les États du Pacifique derrière lui à l'occasion de la COP21 ; on a enfin entendu la voix du Pacifique, et maintenant il faut passer aux actes et notamment au fonds vert. Jean-Christophe Bouissou, notre ministre du logement, de l'aménagement et de l'urbanisme, va vous parler des PPR, mais si le principe est effectivement pertinent il est en pratique très compliqué de faire admettre les conséquences à la population. Il faut savoir que la Polynésie est entourée d'eau et que la terre est rare ; dans 80 % des cas, les parties habitables se trouvent à un mètre à peine au-dessus du niveau de la mer. Nous sommes dans un pays quasiment inconstructible avec côté mer le risque de submersion et côté montagne les glissements de terrain. La mise en place des PPR se heurte à l'incompréhension des maires et des populations. Mais il faut anticiper les risques et trouver des moyens de prévention.

Nous avons anticipé à l'occasion des cyclones de 1983 : 7 cyclones coup sur coup ont frappé la Polynésie française et il y a eu beaucoup de dégâts ; le pays, à l'époque, a engagé la construction des abris anticycloniques. La construction des premiers abris anticycloniques a démarré en 1984-1985 et cela reste d'actualité, mais demander aux fonds intercommunaux de participer à l'action de protection de la population contre les cyclones, les aléas, c'est lourd pour le budget des communes. Les maires veulent pouvoir consacrer les investissements communaux à la construction d'écoles, de cantines, etc... certes aux normes anticycloniques mais pas à la construction d'abris. Ces investissements relatifs à la sécurité devraient être financés par l'intervention du fonds vert ou d'un fonds spécial alimenté par le fonds vert ; nous estimons d'ailleurs totalement incompréhensible que la Polynésie française ne soit pas éligible au fonds vert étant donnée sa vulnérabilité au changement climatique. À l'échelon des communes, nous réalisons de petits travaux qui contribuent à la prévention, comme l'élagage ou le nettoyage du lit des rivières, mais c'est largement insuffisant pour mettre en place un vrai plan de prévention car il faudrait édifier des ouvrages et peut-être revoir les normes de construction anticycloniques. En Polynésie, toutes les constructions sont loin d'être aux normes pour des vents souvent de plus de 250 km/h. Il faut en outre considérer la majoration du coût de la construction : celui-ci peut être multiplié par deux ou par trois et nous serions incapables de faire face à ces obligations si les normes étaient rendues encore plus exigeantes. Je voudrais d'ailleurs saluer les sénateurs de Saint-Barthélemy et Saint-Martin, leur dire toute notre compassion pour ce que leurs îles ont subi en septembre.

En ce qui concerne les moyens d'alerte, les sirènes ne sont malheureusement pas fiables ; il faut surtout sécuriser la production d'énergie et d'électricité. J'avais même proposé de faire sonner les cloches dans les temples, car elles ne connaissent pas le risque de panne. J'ai déclaré au congrès des maires de France que les Polynésiens étaient un peuple de la mer, s'adaptant aux changements, aux phénomènes liés à la montée des eaux. Je prends l'exemple d'un hôtel sur pilotis qui a été reconstruit trois fois à cause de la montée de la mer, du fait des houles cycloniques : il est maintenant à deux mètres au-dessus de l'eau, par rapport au niveau du lagon, et nous espérons que l'eau ne montera pas plus haut. Nous prenons des dispositions localement, nous faisons face aux phénomènes, nous n'en sommes pas encore à la gestion des crises mais nous disposons d'un plan communal de sauvegarde (PCS) qui nous permet effectivement de réagir rapidement au moment où l'alerte est donnée. J'insiste sur l'importance de sauvegarder les moyens de communication et de sécuriser la production d'énergie électrique de manière à ce que le contact reste établi tout au long de la période de crise.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Magras

Il est en effet important de rappeler que les territoires qui aujourd'hui subissent les effets du changement climatique ne sont pas forcément ceux qui l'ont généré. Je crois d'ailleurs que vous avez des sénateurs sont particulièrement engagés sur l'éligibilité de la Polynésie au fonds vert. Tout à l'heure, nous auditionnions les acteurs des réseaux d'énergie, d'eau, du numérique et des télécommunications, etc... ce sont des clés, a fortiori sur des îles du fait de leur isolement. Sur les normes applicables au BTP, la délégation a réalisé un travail important et souligné leur fréquente inadéquation au contexte climatique de nos outre-mer. Je voudrais à cet instant remercier la Polynésie pour la solidarité dont elle a fait preuve à l'égard de nos deux collectivités de Saint-Martin et Saint-Barthélemy.

Debut de section - Permalien
Tearii Alpha, ministre des ressources primaires, des affaires foncières et de la valorisation du domaine

Mesdames et Messieurs les sénateurs, j'interviendrai plutôt en tant que maire que comme ministre. Ce qui me préoccupe le plus est le fonctionnement de la chaîne d'alerte et la mobilisation des secours sur le territoire communal. Pour la chaîne d'alerte, nous sommes bien sûr à l'heure d'internet, 90 % de la population adulte de Polynésie a un téléphone mobile mais malheureusement toute la Polynésie n'est pas connectée à internet et au réseau mobile. Nous étions dans les îles, il y a 10 jours, avec Édouard Fritch et, par exemple à Tureia, un atoll qui est au sud de Hao et pas très loin de Moruroa, le fameux atoll du Centre d'expérimentation du Pacifique, la population se déplace à une ou deux heures de bateau sur les îles voisines où il n'y a aucune connexion internet ni réseau mobile ; le seul lien que la centaine de personnes en déplacement avaient avec Tahiti était la radio. Avec l'extrême dispersion des îles de Polynésie, le meilleur système en mode dégradé est encore la radio AM et il faut également anticiper une situation inédite telle que celle que vous avez connue à Saint-Barthélemy et Saint-Martin où tous les moyens modernes avaient été balayés et où la communication avec le reste du monde était presque impossible pendant une semaine. Dans ce type de situation, il faut penser aux dispositifs robustes.

Deuxième chose, la mobilisation des moyens. Toutes les communes ont élaboré un plan communal de sauvegarde ; si je prends l'exemple de ma commune Teva I Uta, sur 15 refuges identifiés dans le plan, 12 sont gérés par les églises et sont des lieux de culte, en dépit de la séparation des pouvoirs qui régit notre république. Or, nous le voyons à chaque événement, heureusement que ces lieux existent ! Il faut donc à ce titre que l'État contribue à leur entretien. Aujourd'hui, on parle de rénover les écoles, de construire des abris de survie, n'oublions pas de mobiliser nos moyens publics pour sécuriser ces lieux de refuges cultuels même si nous sommes dans un monde laïque.

En ce qui concerne l'alerte, le système VIAPPEL fonctionne et s'améliore d'année en année. Mais il faudrait que les élus ne soient pas les seuls à être appelés. Depuis le cyclone Irma, il y a eu le congrès des maires où un stand dédié à la diffusion des messages m'a permis de rencontrer les militaires et les services qui proposaient des solutions en mode dégradé. Pendant les périodes d'alerte et de premiers secours il est important de garder un lien avec la population et il faut trouver des systèmes robustes de diffusion de l'information. À cet égard, la disparition de la bande AM est préjudiciable.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Magras

Proposer des solutions qui rendent plus performants les dispositifs de prévention et d'alerte correspond au sens de notre démarche et nous menons à cet effet un vaste programme d'auditions avec tous les acteurs et l'ensemble des territoires. La problématique de la continuité de la communication après l'événement est en effet une clé.

Debut de section - PermalienPhoto de Guillaume Arnell

Merci pour tous ces éclairages, cela nous conforte dans les objectifs que nous nous sommes fixés pour cette mission de récolter le maximum d'informations sur les incohérences et les difficultés rencontrées. Quelle est votre perception de la complexité de l'organisation administrative, comment se déclenche et comment se décline l'alerte et tout le dispositif ? Pouvez-vous nous faire un état des lieux des moyens qui sont à votre disposition, matériels et humains, s'agissant de la prévention de ces risques ? Avez-vous des préconisations ? Et puis, eu égard à l'éparpillement des îles et au problème de l'isolement, bénéficiez-vous dans l'environnement régional d'une solidarité autre que la solidarité nationale ?

Debut de section - Permalien
Frédéric Poisot, haut-commissaire de la République en Polynésie française

Je voudrais rebondir sur deux ou trois éléments qui ont été portés à votre connaissance, notamment sur la question des messages radiodiffusés sur bande AM. C'est un sujet qui nous a tous préoccupés, les collectivités mais aussi l'État, puisque la bande AM est un moyen de transmission sûr, et qui est le seul parfois pour certaines îles, notamment aux Tuamotu, permettant d'alerter et d'informer la population. Une décision a été prise au niveau national de suppression de la bande AM et le haut-commissaire a écrit plusieurs fois à Mme Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, en charge de ce sujet. Aujourd'hui, la question reste en suspens. C'est un point, à mon avis, important pour votre mission, si je puis me permettre. Ensuite sur les PCS, je voudrais féliciter les maires qui se sont engagés résolument dans ces démarches-là, si bien que sur 48 communes aujourd'hui, 46 sont dotées d'un plan. Deux PCS sont en cours de finalisation, avec des dispositifs d'alerte vraiment efficaces.

Nous travaillons en lien étroit avec les communes pour essayer de voir comment nous pouvons renforcer les dispositifs, améliorer les zones de regroupement, etc... J'en viens à ce qu'a dit Tearii Alpha, au mois de janvier 2017, 5 000 foyers au moins ont été touchés par les intempéries et, heureusement, les églises, je dis bien les églises, sans faire aucune distinction, étaient présentes pour accueillir et nourrir les personnes sinistrées ; rappelons que 300 à 400 personnes se sont retrouvées immédiatement à la rue. Les capacités des communes n'étaient pas suffisantes pour accueillir autant de monde. L'État, le pays et les communes, chacun dans sa zone de compétence, coopèrent étroitement parce que les problèmes qui nous sont posés ne sont pas les problèmes des uns à un moment de la crise ou des autres à un autre moment de la crise ; nous oeuvrons dès le départ main dans la main.

En matière d'anticipation, face aux trois semaines assez lourdes de précipitations que nous avons vécues récemment nous avions tiré des leçons de janvier 2017 : nous avons mis à la disposition de la direction de la protection civile (DPC) les hélicoptères inter-administration de la marine nationale, deux dauphins, détachement de la flottille 35F, pour procéder à l'identification des zones de fragilité sur l'ensemble des communes de Tahiti. Nous savons que lorsque nous avons de fortes précipitations, des zones en fond de vallées, à proximité des embouchures, sont des points de fragilité ; il y a des embâcles, parce qu'il y a des masses qui sont dans les rivières, comme le disait tout à l'heure le président, et il n'est pas aisé d'identifier leur nature et leur localisation. Nous avons effectué des repérages, échangé avec les maires et le pays, avec le ministère de l'équipement, pour aller enlever les embâcles : grâce à ce travail de prévention, les dégâts ont été limités et nous n'avons pas connu la situation de l'année dernière. Je ne peux pas dire, en toute honnêteté, que c'est la seule raison de ces moindres dommages, mais cette action en amont y a évidemment contribué et nous avons là l'illustration d'une bonne coopération de l'ensemble des moyens dont nous disposons aujourd'hui. Enfin, chaque fois que nous sommes confrontés à une crise, nous créons un centre opérationnel de crise (COD) au haut-commissariat, comme dans toutes les préfectures de France et d'outre-mer ; il est armé par l'État mais aussi par nos partenaires, c'est-à-dire les ministères polynésiens concernés, équipement et santé, et également les représentants des communes qui sont au noeud de la décision ; et nous allons ainsi beaucoup plus vite, avec une information mieux partagée. Une des particularités de la Polynésie est cependant qu'il n'y a pas de Service départemental d'incendie et de secours (SDIS) ; le COD en préfecture, face à une crise, ne dispose donc pas de moyens équivalents à ce qui existe dans les départements même si nous détenons la capacité juridique à coordonner. Nous travaillons néanmoins efficacement avec les communes. Ici, en Polynésie, nous n'avons pas de centre de traitement des appels (CTA) et nous sommes en train de travailler à la création d'un CTA entre trois communes situées à l'est de Tahiti, Pirae, Mahina et Arue. Nous comptons initier un effet d'entraînement pour l'ensemble des communes de Tahiti. Ces travaux sont menés en parfaite collaboration avec les élus, les maires et le pays. L'information est le nerf de la guerre : en amont, en approche de crise, pendant et bien évidemment après la crise.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Magras

Si vous ne disposez pas de SDIS, vous disposez d'autres moyens tels la sécurité civile, le service militaire adapté (SMA) et la gendarmerie ? À Saint-Barthélemy, lors de la crise causée par Irma, la gendarmerie, dès lors que nous n'avons pas de police nationale, est allée bien au-delà des missions qui lui sont imparties. Je précise aussi que chez nous aussi les lieux de culte ont constitué des refuges car certains des centres de secours que nous avions prévus ont été détruits ; en particulier il a fallu déporter sur l'aéroport le centre local de Météo France qui est en principe notre PC.

Debut de section - Permalien
Frédéric Poisot, haut-commissaire de la République en Polynésie française

Si vous le voulez bien, je vais céder la parole à Michel Buillard, notre maire de Papeete, qui souhaiterait intervenir sur un des aspects de nos discussions. Luc Faatau, notre ministre de l'équipement, parlera ensuite un peu plus des moyens à la fois humains, moyens techniques et d'équipements que nous avons en matière de prévention, notamment par rapport aux problématiques de débordement des rivières.

Debut de section - Permalien
Michel Buillard, maire de Pepeete

Je voudrais rebondir sur la première question qui a été posée par Mathieu Darnaud en ce qui concerne l'articulation des aides mais auparavant je vais évoquer ce que nous avons vécu l'année dernière. Avec Gaston Tong Sang et Jean-Christophe Bouissou, nous avons la mémoire des cyclones et nous avons géré ensemble ces questions dans les années 80-90. Aujourd'hui, les risques résultent surtout des crues de nos rivières. Par exemple, à Papeete nous avions des cours d'eau qui étaient complètement à sec et qui, subitement, avec cette forte pluviosité se sont mis à déborder et inonder certains quartiers de la ville, jusqu'au centre-ville. Quand un maire gère une telle situation, il est présent sur le terrain avec ses pompiers, il mobilise son service des travaux publics. Toutes ces opérations se font sous la coordination de la direction de la protection civile, de l'État. Par ailleurs, le ministre de l'équipement est mobilisable à tout moment pendant la gestion de l'événement. Il est intervenu pour nous fournir une drague l'année dernière. Il y a une implication forte des autorités du territoire pour ce qui concerne les mesures de prévention. Concernant la reconstruction et le processus d'indemnisation, l'État est intervenu pour dédommager des familles qui avaient perdu du mobilier, pour de petites sommes. Le territoire intervient quant à lui pour reconstruire et réparer, et nous avons la chance aujourd'hui de disposer de structures adaptées qui ont peu souffert. Nous avons réussi, à Papeete, à réparer les dégâts matériels, mais les traces psychologiques restent vives et je pense au sénateur de Saint-Martin : nous avons suivi avec beaucoup d'inquiétude et nous compatissons à la situation que vous avez vécue. Dans certaines communes rurales, les gens qui habitaient en bordure de rivière ne savent plus où reconstruire et je pense que la situation se pose de la même manière dans certains secteurs de Saint-Martin. C'est vous dire que nous avons des situations similaires à gérer mais en Polynésie la particularité de notre statut nous permet d'intervenir de manière concrète pour les réparations en matière d'habitat.

Debut de section - Permalien
Luc Faatau, ministre de l'équipement

Je souscris à ce qui a été dit ; je reviendrai simplement sur un point : la rigueur du cadre réglementaire, notamment en matière comptable et financière, car lorsque nous intervenons, notamment lors de la période de reconstruction, le cadre réglementaire ne nous permet pas d'aller au-delà d'un certain niveau de dépenses. L'obligation de respecter les règles d'engagement des fonds publics complique énormément notre tâche. C'est pourquoi aujourd'hui il y a des travaux de reconstruction, de réparation, qui ne sont pas encore exécutés. Il faudrait davantage de souplesse car les entreprises privées, qui connaissent les contraintes, hésitent à intervenir par crainte que leurs factures ne soient pas acquittées. Un autre problème, mais qui est également une chance, est l'immensité de notre pays : nous ne pouvons pas subir, heureusement, d'intempéries le même jour, au même moment sur l'ensemble de notre pays. Les îles basses sont les plus exposées car elles ne bénéficient d'aucune protection naturelle et subissent de plein fouet les catastrophes ; je plaide donc pour la construction des abris anticycloniques qui sont d'une importance vitale pour ces îles.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Magras

Le sujet de la contrainte réglementaire, en particulier pour le code des marchés publics, est un vrai souci. La nécessité d'assouplir les règles et de prévoir des dérogations dans ces situations extrêmes apparaît évidente. De la même manière, avec les réseaux, lorsque l'opérateur de télécommunication a été sinistré, la logique voudrait qu'il y ait une mutualisation des moyens encore en état de fonctionner. En période de crise, la solidarité doit primer.

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Jean-Christophe Bouissou, ministre du logement du gouvernement de la Polynésie française

Concernant les opérations de reconstruction et de réparation, notamment pour les habitations, nous intervenons de trois façons. Tout d'abord, sous forme d'une aide aux matériaux pour les habitations qui doivent être réparées. Pour celles qui sont totalement détruites ou non réparables, nous proposons un modèle de fare anticyclonique en fonction de la taille des foyers, et nous préconisons de construire dans des zones sécurisées. Pour les familles qui habitaient en bord de rivière ou à proximité des zones de fortes crues, nous pouvons proposer un autre terrain et un processus d'accession à la propriété. Ces logements paracycloniques se construisent en l'espace de trois semaines avec des entreprises locales. Ces maisons peuvent subir des vents de 250 à 260 km/h, peut-être même davantage. En troisième lieu, nous aidons les familles par la location dans le domaine privé de logements via une association financée par le pays qui s'appelle l'AISPF : c'est une agence qui a pour mission de reloger les familles sinistrées dans des logements loués par des personnes privées. Le pays a ainsi porté secours et relogé l'ensemble des familles touchées l'année dernière, au nombre de 1 000. Comme le disait notre ministre de l'équipement tout à l'heure, restent aujourd'hui à réaliser les reconstructions d'ouvrages d'art, notamment de ponts, voire les confortements de berges des rivières. Mais la question de la propriété des chemins d'accès à l'intérieur des quartiers pose des difficultés pour intervenir car ces chemins sont souvent la propriété de personnes privées.

Pour les Tuamotu, zones à risques forts lorsqu'il y a des cyclones et des mouvements de houle ou de tsunamis, nous avons engagé la construction des abris paracycloniques. Il nous faut poursuivre sur cette voie. Ces abris sont construits sur pilotis et nous faisons en sorte qu'ils puissent être utilisés en temps ordinaire par des services communaux ou territoriaux pour éviter qu'ils ne restent inoccupés.

Debut de section - Permalien
Amiral Denis Bertrand, commandant de la zone maritime Polynésie française

Les forces armées sont un des acteurs sollicités par le haut-commissaire en cas de catastrophe climatique et d'intervention. Nous participons à la préparation et à la prévention, d'abord parce que, comme vous l'avez rappelé, la Polynésie se caractérise par son éloignement de la métropole, son isolement au sein du Pacifique et son immensité, 4 000 km2 de terre sur 5 millions de km2 de mer. Cela veut dire que la priorité est d'être capable de réagir en autonomie avec les moyens disponibles. J'ai un régiment, des avions de transport, des hélicoptères, des avions de surveillance, de largage de colis, j'ai une compétence en infrastructure, une compétence médicale, etc... il ne me manque qu'un sous-marin. Le dispositif est cohérent et adapté ; il se modernise puisque, toujours au titre de la prévention et de la résilience, nous avons inauguré l'année dernière un nouveau PC de commandement construit aux normes anticycloniques, ce qui nous permet de garantir une continuité de la direction de nos opérations, même en cas d'événement majeur. Nous sommes dotés de moyens modernes, adaptés et adaptables, comme le bâtiment multi-missions Bougainville.

Pour une préparation pertinente, nous devons être en mesure de connaître l'immensité de ce territoire, 118 îles et atolls dont 70 % sont habités : nous nous astreignons à les visiter tous, au moins une fois tous les trois ans, de façon à tenir à jour nos propres dossiers d'informations et d'être capables de répondre à des questions telles que : y a-t-il une passe ? Peut-on poser un hélicoptère ? Quels sont les contacts à la mairie ? Il y a eu 77 escales l'année dernière en Polynésie, l'armée de terre s'est également déployée sur 39 atolls et îles polynésiennes pour travailler aux côtés des communes afin d'entretenir une bonne connaissance et une grande confiance avec les services communaux.

Notre intervention n'est pas de notre propre initiative, elle est bien évidemment sollicitée par les services du haut-commissariat selon la règle des « 4 i » que vous connaissez, et elle s'effectue aux côtés des autres administrations. Je souligne d'ailleurs que l'exercice Marara que nous avons effectué l'année dernière a mobilisé à peu près 600 militaires, dont un peu moins de 400 ont été projetés sur l'île de Raiatea à 200 km d'ici. Cet exercice a été préparé en associant les communes, les services de pompiers, la police municipale, des associations de secouristes, etc... de façon à ce qu'on entretienne cette connaissance réciproque, cette capacité à travailler ensemble et cette information mutualisée.

Je terminerai en disant que la préoccupation face aux risques cycloniques est un trait d'union entre tous les pays de la zone Asie-Pacifique : c'est vraiment une préoccupation commune et, militairement, nous sommes très engagés dans de nombreux exercices internationaux ou séminaires internationaux, qu'il s'agisse de logistique, par exemple pour mettre au point ou entretenir des procédures communes, pour se rendre mutuellement des services ou mettre en oeuvre des exercices. La France en organise un qui est majeur, dénommé Croix du sud, en Nouvelle-Calédonie : 1 700 militaires sont mobilisés provenant de nombreux pays, avec parfois 100 à 150 participants américains, une centaine d'australiens etc... 8 pays sont représentés, l'Australie, les États-Unis, la Nouvelle-Zélande, auxquels on pense naturellement, mais également le Chili et de petits pays insulaires du Pacifique qui, comme le rappelait le maire Gaston Tong Sang, partagent une inquiétude existentielle face à ce risque, les îles Cook, les Kiribati ou encore le Vanuatu et les îles Tonga. Le thème de l'aide humanitaire et des interventions en cas de cyclone, en anglais HADR (Humanitarian assistance disaster relief) est vraiment fédérateur pour tous les pays.

Enfin, nous avons en permanence un officier de liaison, un capitaine de vaisseau, donc de grade élevé, auprès du centre régional de coordination de l'aide humanitaire qui se situe à Singapour.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Magras

Merci infiniment d'avoir mis l'accent sur cette nécessité absolue d'une symbiose entre les services de l'État et ceux du territoire et des communes.

Debut de section - PermalienPhoto de Lana Tetuanui

Je voulais au nom de notre délégation aux outre-mer du Sénat remercier l'ensemble des intervenants qui sont ici. J'espère que les acteurs de la Polynésie, toutes compétences confondues, auront contribué à enrichir nos travaux.