Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable

Réunion du 31 mars 2021 à 9h30

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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La réunion

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Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Longeot

Mes chers collègues,

Comme vous avez pu le remarquer, l'agenda de la commission, depuis le début du mois de mars, est rythmé par de nombreuses tables rondes sur des thèmes touchant tous à l'aménagement du territoire, appréhendés à travers des angles différents, Les travaux de la commission dans ce domaine devraient durer jusqu'en septembre prochain et être complétés de plusieurs déplacements. Nous avons donc décidé, pour donner plus de visibilité à nos travaux, de désigner des référents plus particulièrement investis pour suivre le cycle d'auditions sur l'aménagement du territoire.

J'ai reçu les candidatures de Mme Patricia Demas, de M. Bruno Rojouan, de Mme Christine Herzog et de Mme Martine Filleul.

Il n'y a pas d'opposition ? Il en est ainsi décidé.

J'en viens au coeur de notre sujet du jour puisque nous poursuivons notre cycle d'auditions sur les perspectives de la politique d'aménagement du territoire avec une table ronde consacrée au thème de la réponse aux besoins en ingénierie des collectivités territoriales. C'est un sujet déterminant pour la capacité d'action des élus locaux.

Avant la création de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) par la loi du 22 juillet 2019 issue d'une initiative sénatoriale, la plupart des élus locaux, et tout particulièrement les maires ruraux, soulignaient le besoin d'une bouffée d'oxygène car ils se sentaient pris en étau entre l'inertie et l'illégalité au moment où ils doivent prendre en compte les transformations profondes des attentes et des modes de vie. Les élus de terrain incriminaient bien entendu l'accumulation des normes et des procédures, mais aussi la tendance de certaines administrations ou de certains agents à les appliquer de façon maximaliste ou tatillonne. Ces élus ruraux regrettaient que la vélocité de l'action publique locale ait beaucoup diminué par rapport aux années 1990, où l'on pouvait agir plus simplement et plus vite. C'est un paramètre clef et un facteur de découragement pour les élus.

La question est donc de savoir ce qu'il en est aujourd'hui. Notre commission a très largement contribué à la création de l'ANCT pour donner plus de cohérence à la dispersion des agences qui préexistaient. Aujourd'hui, on a l'impression que l'action publique affiche globalement des moyens financiers considérables pour verdir nos territoires, mais que nos collectivités territoriales vivent plus que jamais dans la pénurie.

Voilà pour un premier tour d'horizon. Je vous laisse la parole.

Debut de section - Permalien
Emmanuelle Lointier, présidente de l'Association des ingénieurs territoriaux de France (AITF)

L'AITF représente l'ensemble de l'ingénierie territoriale en poste dans les collectivités territoriales. Nous rassemblons 4 000 adhérents sur environ 30 000 ingénieurs en poste dans les collectivités territoriales et représentons une vaste palette de compétences, depuis les directions générales dans les régions jusqu'aux experts appartenant à des entités plus réduites.

Nous avons accompagné la ministre Jacqueline Gourault tout au long de sa démarche en faveur de l'ingénierie. Nous avons alerté nos adhérents pour qu'ils soient attentifs aux évolutions en cours sur les territoires et nous envisageons de mesurer objectivement la notoriété de l'ANCT au niveau local. Nous rassemblons les informations pour objectiver l'impact des mesures prises sur le terrain.

Debut de section - Permalien
Thomas Breinig, vice-président de l'Association des ingénieurs territoriaux de France (AITF)

L'AITF est une association qui regroupe 4 000 ingénieurs répartis dans des domaines et des métiers très variés, répondant aux besoins des collectivités territoriales. Dix-neuf groupes de travail sont organisés au sein de l'Association. Ils permettent aux collègues de se retrouver, de travailler entre pairs, de conforter leur expertise et, ainsi, de pouvoir être source de propositions dans leurs collectivités et auprès des élus. Ces groupes de travail se réunissent de manière trimestrielle Et de tels échanges permettent d'exercer une ingénierie territoriale pointue dans chaque domaine.

Nous sommes aussi mobilisés pendant des journées techniques, souvent organisées au niveau régional. Ces journées permettent à la fois d'aborder des thèmes très précis et de brasser des points de vue différents, donc d'appréhender la dimension transversale des projets des collectivités.

Nous développons un partenariat étroit entre ingénierie publique et ingénierie privée. Nos métiers sont répartis entre la gestion des ressources internes de la collectivité et le recours à une ingénierie privée dès lors que les ressources de la collectivité ne permettent pas d'engager la totalité des travaux. L'articulation entre le secteur public et les ressources du privé est donc très importante.

L'ingénierie relève à la fois du sur-mesure, pour être en phase avec les spécificités locales, et de la transversalité. Nos collègues sont en prise avec les grandes transitions environnementales actuelles : énergétique, numérique et biodiversité.

Nous travaillons enfin de manière intensive avec les ministères pour adapter les normes et les propositions aux besoins des territoires. Nos collègues remplissent plusieurs rôles : ce sont des experts, aptes à la transversalité mais aussi des ingénieurs « couteaux suisses » qui adaptent les choix techniques au contexte local, tout en utilisant des ressources limitées.

Debut de section - Permalien
Joël Baud-Grasset, président de la fédération nationale des conseils d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement (FNCAUE)

J'interviens en tant que président de la fédération nationale des CAUE qui accompagnent les collectivités depuis plus de 40 ans. Nous sommes financés par une taxe d'aménagement. Notre longue expérience nous permet de travailler de manière transversale dans divers domaines : l'architecture, l'urbanisme et l'environnement. L'architecture était le coeur de la loi de 1977 : il s'agissait d'apporter des conseils aux candidats à la construction - particuliers ou collectivités locales. Les CAUE interviennent en amont de l'acte de construire et d'aménager. Ils aident les élus locaux à préparer les commandes et à aller chercher les maîtres d'oeuvre adéquats.

Le confinement nous a montré que la réflexion autour de l'urbanisme était essentielle. Nous avons une approche attentive à la transition énergétique, dans le respect du patrimoine. Il est, en effet, important de continuer à tenir compte du patrimoine ancien comme du patrimoine du XXe siècle. Les trames vertes et bleues sont aussi des sujets importants, à la fois dans leur planification et leur mise en application. La question de la biodiversité engage les élus dans un travail très fin, à la parcelle, sur des micro-territoires, y compris dans le domaine urbain. Il est aujourd'hui beaucoup question des trames vertes et bleues urbaines et péri-urbaines. En même temps, l'agriculture urbaine se développe et je souligne que toutes ces questions sont traitées par les CAUE.

En tant qu'élu départemental depuis une vingtaine d'années, je comprends parfaitement que le temps de l'élu est très court par rapport à celui de la réflexion et du projet, qui peut être à cheval sur deux ou trois mandats. Je ne crois pas qu'il faille systématiquement juger la complexité d'une manière négative. Nous devons plutôt nous interroger sur les moyens d'actions dont nous disposons pour travailler.

Il y a 93 CAUE en France, avec 7 agents en moyenne qui peuvent apporter des conseils ou monter des actions spécifiques, selon les demandes des élus. Nous sommes très sollicités pour l'accompagnement des collectivités locales et il est important de faire connaître les services que nous pouvons apporter.

Debut de section - Permalien
Marie-Claude Jarrot, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema)

présidente du Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema). - Je suis présidente du Cerema et maire de Montceau-les-Mines, en Bourgogne. J'ai été sollicitée par le président des maires de France pour entrer au conseil d'administration du Cerema. C'est donc une femme de territoire et même une militante de territoire qui se trouve devant vous aujourd'hui.

Je prolongerai le propos initial du président Longeot en indiquant que les maires ruraux ne sont pas les seuls à se retrouver parfois pris en étau. Cela concerne tous les maires sauf, peut-être, les maires des métropoles, qui disposent de l'ingénierie et des services ad hoc.

Nous avons besoin, tout au long de notre engagement de maire, d'expertise en confiance. Le Cerema est un établissement public et ce point est très important car nous avons, sur les sujets d'aménagement du territoire et de développement durable, besoin de conseils en toute impartialité. Nos problématiques sont multiples, mais elles doivent être coordonnées. Nous ne pouvons plus décider comme il y a quelques années de rénover une école, un espace ou un quartier, ou d'organiser les mobilités sans s'investir à bras-le-corps. Il nous faut absolument une expertise globale en amont de l'appel à la maîtrise d'ouvrage, avec des diagnostiqueurs territoriaux de haut niveau.

Nous sommes un établissement public national qui travaille pour l'État à travers un certain nombre de missions qu'il nous confie. À présent, nous souhaitons être davantage au service des collectivités locales et agir en complémentarité avec les acteurs locaux, dont certains sont ici présents.

Le Cerema est aussi garant de la bonne utilisation des deniers publics. Les maires manient de l'argent public et il leur faut, par exemple à travers les marchés, éviter de le dépenser d'une manière abusive.

Je précise également que nous intervenons bien en amont de l'offre privée qui peut nous être faite, notamment par les architectes ou les bâtisseurs dans le domaine immobilier.

Le Cerema accompagne aussi les collectivités pour l'adaptation des territoires au changement climatique - ce point très important nous a été confié par notre ministère de tutelle. Tout cela nous incite à nous positionner comme des experts de haut niveau dans le domaine des bâtiments, des mobilités, des transports, des infrastructures ou de l'environnement. C'est la raison pour laquelle nous souhaitons voir évoluer notre statut pour être à la fois un établissement public national et un établissement public local.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Longeot

Il était évidemment hors de question, pour moi, d'opposer le monde rural au monde urbain, mais il faut tout de même reconnaître que le premier a des sujets beaucoup plus complexes à résoudre que le second.

Debut de section - Permalien
Pascal Berteaud, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema)

directeur général du Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema). - La question qui est posée me semble être la suivante : comment tirer toutes les conséquences des deux vagues de décentralisation que nous avons vécues dans les années 1980, puis 2000, et réaménager l'ensemble des structures ?

Avant la première décentralisation, les services de l'équipement aidaient les maires sur les sujets d'aménagement. Lorsque la situation était compliquée, le service d'ingénierie publique intervenait. Lorsque la situation était vraiment très compliquée, les services nationaux intervenaient. Toutes ces compétences sont aujourd'hui décentralisées auprès des collectivités. Il a fallu rebâtir une architecture en matière de compétences techniques dans les collectivités, avec un certain nombre de mutualisations locales. Le Cerema est l'échelon de l'expertise et il faut trouver la meilleure manière de le mettre à disposition des collectivités. Je souligne que l'ingénierie et l'expertise existent et elles sont de très bonne qualité. Il faut travailler sur la manière de les mettre à disposition des collectivités, pour avoir un mécanisme qui fonctionne. Le principal sujet est aujourd'hui de savoir comment finaliser les vagues de décentralisation que nous avons connues afin que les expertises soient utilisées au bon endroit, au bon moment.

Debut de section - Permalien
Hélène Jacquot-Guimbal, vice-présidente de l'Université Gustave Eiffel (UGE)

La recherche se diffuse traditionnellement par des journaux scientifiques qui ne sont pas lus par grand monde dans les entreprises ou les mairies. Nous avons fusionné avec une université et quatre grandes écoles afin de diffuser plus facilement les résultats de nos recherches, alors qu'il sera très important de développer la formation continue dans les prochaines années. La recherche et la formation, c'est très peu d'ingénierie directe, mais beaucoup de démonstrateurs et beaucoup de travaux sur des documents de référence. En général, nous travaillons avec le Cerema, qui est notre intermédiaire pour les travaux engagés avec les collectivités locales. Nous ne sommes pas armés pour apporter un appui territorial direct mais cela ne signifie pas que nous ne nous préoccupons pas des collectivités locales. Nous avons, d'ailleurs, dans une université, un vice-président chargé de l'appui aux politiques publiques.

Monsieur le Président, vous avez opportunément indiqué que dans les années 1990, ça allait plus vite. Effectivement, nous avons collectivement cassé un modèle. Je ne le regrette pas plus qu'autre chose, mais ce modèle n'a pas été remplacé. Les liens qui fonctionnaient naturellement ne fonctionnent plus. L'État faisait à peu près tout. Il y avait des personnes qui s'occupaient de la recherche et des choses très amont, il y avait les CT, les DDE, les subdivisions, l'exploitation... Tout ceci a été cassé pour des raisons de responsabilité juridique et institutionnelle. La profession globale a été extrêmement sectorisée et les échanges ont été soit arrêtés, soit ressentis comme malsains. Les mouvements de personnel qui se déroulaient de manière assez classique entre le secteur public et le privé sont ensuite devenus suspects et considérées comme quelque chose qui est sujet à corruption.

Tout le système qui n'était pas théorisé, mais qui fonctionnait, a été cassé sans être remplacé. Je continue à fonder de gros espoirs dans l'Institut des routes, des rues et des infrastructures pour la mobilité (IDRIM), qui est très handicapé par des méfiances et des positions sectorisées. Je fais observer que les Américains du Nord, qui détestent pourtant les coordinations trop centralisées, ont fondé une association des ingénieurs en génie civil.

Sur le fond, je pense que le développement du Cerema est une solution simple du point de vue opérationnel. Les personnes passionnées sont suffisamment nombreuses mais elles manquent de moyens pour vous aider et vous pouvez leur donner un coup de main. Nous continuerons à travailler avec le Cerema ; néanmoins, nous ne sommes pas très loin de son implosion et nous risquons de perdre un outil extrêmement important. L'aménagement ne peut pas être fabriqué et maintenu comme nous l'imaginions. Il faut absolument une aide coordonnée. Nous devons vraiment sortir de cette situation de réduction et d'implosion.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Longeot

Vous soulevez un sujet qui préoccupe cette commission depuis de nombreuses années. Nous avons régulièrement soulevé la difficulté que rencontre le Cerema pour mettre en place un certain nombre d'accompagnements compte tenu de ses effectifs et de ses moyens insuffisants.

Debut de section - Permalien
Patrice Vergriete, président délégué de la Fédération nationale des agences d'urbanisme (FNAU)

Je suis maire de Dunkerque et président de la communauté urbaine de Dunkerque.

La question de l'ingénierie est fondamentale pour les élus locaux. Vous abordez un sujet majeur et je souligne qu'on ne reviendra pas vers le passé : les sujets monteront en complexité dans les années qui viennent et cela nécessitera un accroissement des compétences des collectivités locales. Il serait illusoire de chercher dans le passé une solution à nos problèmes d'aujourd'hui et de demain.

Permettez-moi de reprendre une métaphore en matière d'ingénierie : les élus locaux n'ont pas besoin de poissons mais plutôt qu'on leur apprenne à pêcher et, surtout, qu'on leur donne les moyens de pêcher. L'ingénierie dont ont besoin les élus locaux doit répondre à plusieurs critères. Elle doit d'abord être pérenne. Il ne s'agit pas, pour un élu local, de recevoir un coup de main ponctuel sur un problème. L'ingénierie doit venir de l'amont du projet, de sa conception. Nous avons besoin d'ingénierie locale, qui accompagne et établisse des liens de confiance avec l'ensemble des acteurs locaux. Nous avons besoin de structures publiques d'intérêt général locales.

Le modèle qu'il faut renforcer, développer et consolider doit évidemment s`articuler avec la décentralisation. Nous voulons une ingénierie dans la décentralisation, une ingénierie qui soit partenariale au milieu de l'ensemble des acteurs locaux. Les subdivisions de la DDE ne sont plus une solution d'avenir. Les solutions d'avenir doivent reposer sur l'idée d'une ingénierie locale, pérenne, fondée sur l'intérêt général.

Cette ingénierie existe sur nos territoires, avec une multitude de structures locales, parfois mal connues et insuffisamment valorisées, y compris par l'État. Les CAUE sont une ingénierie qui correspond aux critères que j'ai indiqués et au maillage du territoire. Les agences d'urbanisme sont également une composante de ce réseau d'ingénierie locale existant.

Les agences d'urbanisme forment un réseau largement développé qui accompagne les élus dans la conception de leurs projets, dans l'élaboration de leur stratégie et dans la constitution d'observatoires. La force des agences d'urbanisme est de rassembler tous les acteurs du territoire. Tous ceux qui concourent à la fabrication de la ville se retrouvent au sein des agences d'urbanisme. Ces dernières ne se contentent pas d'accompagner les élus locaux ; elles génèrent du liant stratégique. Lorsqu'il a fallu élaborer le schéma de cohérence territoriale de mon territoire, c'est l'agence d'urbanisme qui a réussi à « vendre » les attentes de l'État à un certain nombre d'élus, les attentes des collectivités urbaines et les attentes des collectivités rurales. Les agences d'urbanisme génèrent une véritable plus-value pour lier l'ensemble des acteurs et leur faire partager en amont une stratégie de développement du territoire. Ce sont des outils absolument indispensables, qui existent déjà sur les territoires. L'État en est partie prenante. Ces outils ne demandent qu'à se développer.

S'il fallait vraiment structurer financièrement l'ingénierie locale, je préfèrerais que l'État mette en place un fonds dont les allocations ne pourraient être dépensées par les collectivités locales que pour de l'ingénierie. L'État devrait également promouvoir les ingénieries existantes pour les faire connaître des élus. Cela ferait émerger une ingénierie locale, pérenne et d'intérêt général. C'est vraiment ce qu'attendent les élus aujourd'hui, et surtout pas un retour en arrière vers des formes directes ou indirectes de subdivisions déconcentrées. Nous voulons des ingénieries locales.

Debut de section - PermalienPhoto de Bruno Rojouan

Je voudrais d'abord intervenir sur les dispositifs d'appel à projet, qui se développent de plus en plus. Ces dispositifs pénalisent obligatoirement les petites communes, qui n'ont pas les moyens techniques de répondre à ces appels à projets, à la fois dans le montage des dossiers et dans la compréhension de ce qu'il faut faire pour décrocher un financement. Cela fait plusieurs années que nous le disons. Les petites collectivités sont pénalisées. On nous dit « on va vous aider financièrement pour que vous puissiez répondre aux appels à projets ». Ce n'est pas cela qui règlera le problème sur le long terme. Il est dangereux de systématiser l'appel à projets.

Je ne discute absolument pas de la nécessité des mener des études pour élaborer des grands projets. En revanche, nous en sommes arrivés au point où même pour des petits projets nous devons passer par une étude souvent longue et complexe, alors que les élus locaux savent exactement ce qu'ils doivent faire pour réaliser leur projet. Ces études, vers lesquelles de l'argent public est dirigé, ne sont pas véritablement nécessaires. L'étude ne fera que démontrer un constat largement déjà fait par les élus locaux. L'argent public gagnerait à être dirigé vers la réalisation du projet.

Cela fait vingt ans que j'entends dire que les normes ne font que s'ajouter les unes aux autres et que la vie publique et le monde des élus locaux s'en trouvent pénalisés. Pourquoi n'arrivons-nous pas à simplifier les normes en France ? Qu'est-ce qui bloque ?

Debut de section - PermalienPhoto de Martine Filleul

À elle seule, cette table ronde montre que nous avons, en France, des intervenants de grande qualité en matière d'ingénierie territoriale. Malheureusement, faute de coordination dans leur offre et de moyens significatifs, ils ont toujours la même difficulté à se rendre visibles, compréhensibles et accessibles aux acteurs locaux.

Par le passé, les maires étaient confrontés à une accumulation de normes et à des administrations multiples et des procédures longues, qui ne permettaient pas de faire émerger des projets dans les bons délais. Qu'en est-il aujourd'hui, alors que l'ANCT a été créée en 2019 ?

D'après les remontées que je reçois du terrain, l'ANCT intervient davantage pour appliquer les normes et les directives des ministères que pour assurer un rôle de complémentarité et de subsidiarité avec les acteurs locaux. Ces derniers sont toujours confrontés à la question des moyens. L'ANCT et ses cinq partenaires constituent-ils vraiment un système efficace et satisfaisant de retour de l'État dans l'ingénierie territoriale ? Pensez-vous que les inégalités territoriales se sont réduites depuis la création de l'ANCT ? Où en sommes-nous ? Personnellement, je n'ai pas le sentiment que nous ayons beaucoup évolué.

Debut de section - PermalienPhoto de Patricia Demas

J'aimerais remercier le Cerema pour le travail réalisé dans la vallée de la Roya après la tempête Alex. C'était un bel exemple de ce que le Cerema peut apporter dans les territoires.

Je me pose les mêmes questions que mes collègues sur l'accessibilité de toute cette ingénierie territoriale aux élus ruraux. Nous sommes confrontés à un plan de relance et à une multitude d'appels à projets. Les maires ruraux n'ont pas les compétences pour répondre aux appels à projets, aux études d'impact et aux études de faisabilité. Ils ont un grand problème de lisibilité des offres qui pourraient leur être apportées pour répondre à ces appels à projets.

Par exemple, quels sont vos moyens pour la résorption des bâtis vacants en milieu rural ? Il est question de lutte contre l'artificialisation des terres avec une réduction des droits à bâtir dans nos campagnes, qui souffrent déjà de désertification. Quels sont les moyens dont dispose l'ANCT pour travailler avec les maires de la ruralité sur la revalorisation des centres anciens et l'identification des bâtis anciens qui pourraient être créateurs de logements pour actifs et, ainsi, relancer économiquement la ruralité avec des opérateurs locaux ?

J'ai un peu de mal à saisir l'approche pragmatique de terrain. La lisibilité et la bonification sur les territoires sont des questions que je me pose.

Debut de section - Permalien
Pascal Berteaud, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema)

Les appels à projets sont un vrai sujet. Nous n'avons jamais été aussi efficaces vis-à-vis du monde rural que lorsque nous sommes sortis de la logique de l'appel à projets pour travailler avec les territoires au montage des projets. Nous sommes persuadés, au Cerema, qu'il faut travailler très en amont à bâtir les projets plutôt que lancer des appels à projets et laisser les communes rurales se débrouiller pour candidater.

Nous avons créé l'ANCT à partir du commissariat général à l'égalité des territoires, qui était une structure essentiellement nationale. L'action d'ingénierie de l'ANCT sur le terrain se fait soit à travers les services de l'État, soit à travers des organismes comme le Cerema. Cela prend du temps. Nous avons passé une convention avec l'ANCT sur la base d'un concept d'assistance aux collectivités locales. Lorsqu'une collectivité demande l'assistance du Cerema, elle bénéficie de quelques jours d'expertise gratuits. Si la collectivité souhaite que le Cerema l'accompagne plus longtemps, une prestation est alors mise en place, à un tarif peu élevé. La dotation du Cerema assure l'essentiel. Ce processus monte en puissance. On peut regretter qu'il n'aille pas plus vite mais nous avons essayé de simplifier largement les procédures. Donnons-lui sa chance.

Je ne crois pas qu'il faille opposer l'ingénierie locale et l'expertise nationale. L'activité d'ingénierie ou d'expertise doit être au plus près du terrain et il ne faut pas essayer de faire nationalement ce qui peut se faire localement. A contrario, sur certains sujets, la bonne échelle de mutualisation est nationale. Je pense notamment aux ouvrages d'art : dans ce domaine, il n'y a qu'au niveau national qu'il est possible d'avoir accès à un groupe d'experts de niveau international. Nous ne voyons donc vraiment pas d'opposition entre le local et le national. Pour un certain nombre d'expertises, la bonne échelle de mutualisation est nationale. Nous pensons que le Cerema, tout en restant un établissement public de l'État, doit aussi devenir un établissement public des collectivités, de manière à avoir accès à cette expertise nationale et internationale.

Debut de section - Permalien
Marie-Claude Jarrot, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema)

Il ne faut vraiment pas opposer l'expertise nationale et l'expertise locale, car elles sont complémentaires. C'est de cette complémentarité que naîtront les solutions. Cette expertise, nous la voulons tous visible, efficace et accessible à tous. Tous les projets que nous construisons sur nos territoires sont complexifiés par les normes. Notre travail consiste à accompagner et à aider les collectivités locales dans leur approche globale. Le Cerema est un établissement public. Cette structure juridique crée la confiance. Les maires ont besoin de s'appuyer sur des entités de confiance.

N'opposons vraiment pas le local et le national. Ensemble, créons la fluidité dont nous avons besoin pour l'expertise de haut niveau.

Debut de section - Permalien
Emmanuelle Lointier, présidente de l'Association des ingénieurs territoriaux de France (AITF)

Les petites communes n'ont pas accès aux ressources d'ingénierie. Vous pouvez faire toutes les études possibles en amont et avoir tous les prestataires privés en aval : il faut qu'il y ait, au sein de la structure, une personne qui puisse porter le projet. Vous devez faire en sorte que les postes de porteur de projet potentiels au sein des structures soient attractifs pour que nous puissions recruter. Malheureusement, le régime indemnitaire des fonctionnaires de l'État ne rend pas du tout attractifs les postes de cadres techniques. Pourtant à l'intérieur de nos structures, nous avons besoin de personnes qui connaissent les territoires et qui pourront aller chercher soit les projets, soit les financements.

Nous avons un certain nombre de revendications. Nous les avons exprimées. Je suis en Côte-d'Or. Malheureusement, je ne peux pas aider la petite collectivité d'à côté car les textes ne le permettent pas. J'ai évoqué la possibilité d'une mise à disposition des experts entre les collectivités. Comment faire pour que le maire d'une petite collectivité sache à qui s'adresser ? Au niveau des délégués départementaux de l'ANCT, on commence par nous donner une liste de programmes. On nous demande de formuler nos demandes avec un certain formalisme. Cela ne répond pas à nos besoins. L'association des maires ruraux de France ne cesse de le dire. Nous avons un vrai travail à faire. Nous pouvons travailler avec tous les experts possibles, mais si personne, dans la structure, ne démarre ou ne peut porter le projet, nous n'y accédons pas. Qui, dans la collectivité, peut vraiment porter le sujet ?

Concernant les normes, nous pourrions apporter des réponses pour éviter que certaines fassent peser un coût exorbitant sur les collectivités. Nous sommes une association professionnelle, donc bénévole. Nous ne pesons pas le même poids que des professionnels comme l'Afnor. Notre système actuel, qui produit de la norme non pas pour répondre aux besoins des collectivités, mais pour répondre au souci de valorisation d'un processus industriel, est incohérent. Il faudra trouver les armes pour mieux maîtriser ces normes.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Longeot

Le sujet de l'ingénierie est important. Sans ingénierie, il n'y a pas de financement. C'est donc la double peine pour les collectivités.

Debut de section - PermalienPhoto de Louis-Jean de Nicolay

Je représente le Sénat à l'ANCT et, à ce titre, je suis bien placé pour connaître les tenants et les aboutissants de cette nouvelle structure. Je voudrais revenir sur le principe de fonctionnement de l'ANCT, qui est une agence d'État. L'interlocuteur unique, sur les territoires, est le préfet. C'est à lui, en interne, de résoudre les difficultés que rencontrent les collectivités ou de faire appel aux membres associés. De ce point de vue, une clarification du fonctionnement de l'ANCT est nécessaire pour bien montrer comment elle agit et comment le territoire peut recourir à son expertise.

Je voudrais aussi dire que les politiques publiques qui ont été mises en place par l'État (Petites villes de demain, CRTE, Action Coeur de Ville...) montrent combien nous avons besoin d'accompagnement d'ingénierie sur les territoires ruraux. Les agences ont un rôle à jouer dans les CRTE, avec les corps préfectoraux, afin de réussir intelligemment la transition énergétique dans les territoires qui sont un peu perdus. C'est extrêmement difficile pour les petites communautés de communes. Nous avons besoin d'une action pour les territoires ruraux. C'est le rôle de l'ANCT et de ses représentants sur les territoires, avec les élus départementaux, régionaux et locaux. Beaucoup d'agences ont des possibilités de soutenir l'ingénierie dans les territoires. Nous devons être plus efficaces sans gaspiller d'argent. Les actions doivent s'inscrire dans la continuité. Les élus ont besoin de savoir à qui s'adresser.

Debut de section - PermalienPhoto de Gilbert Favreau

L'ingénierie territoriale a une importance considérable. De quoi ont besoin nos maires ruraux ? De proximité et de simplicité ; or, actuellement, ils n'ont ni l'une ni l'autre. Lorsque vous voulez faire aboutir un dossier, vous avez besoin de quelqu'un à côté de chez vous. J'ai été président de département et créé une agence technique départementale. Aujourd'hui, plus de la moitié des communes du département y sont abonnées. Cela ne leur coûte pratiquement rien et une équipe stable les renseigne lorsqu'elles ont besoin de quelque chose : cela fonctionne très bien.

À présent, nous voyons arriver l'ANCT. Nous avons connu l'époque des services déconcentrés de l'équipement qui étaient les confidents naturels des maires. Cela se passait très bien. Nous avons ensuite connu l'Assistance technique fournie par les services de l'État (ATESAT), qui était une déclinaison un peu tiède des subdivisions déconcentrées. Puis, pendant dix ans, l'État n'a plus bougé et nous n'avions plus d'ingénierie d'État. Les collectivités ont donc pris l'initiative de créer des ingénieries locales, avec des résultats satisfaisants. L'ANCT est encore un nouveau système, avec des structures diverses et variées qui veulent nous imposer leur ingénierie, qui la font même payer par les collectivités, dans un contexte de financement incompréhensible. Voyez ce que sont devenus les contrats de plan État-région : je ne connais pas beaucoup de régions où ils fonctionnent bien. Les CRTE ne sont pas ce qu'attendent les élus, car ceux-ci demandent de la simplicité et de la proximité. J'invite donc tous ceux qui s'occupent de ces problèmes à revoir leur copie.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Claude Varaillas

Avant d'être élue, j'ai passé ma carrière dans la fonction publique territoriale. J'ai donc pu vivre l'affaiblissement de l'ingénierie des services de l'État, particulièrement en milieu rural. Ce recul s'est conjugué à une baisse continue des moyens financiers des collectivités territoriales. Cet état de fait, je l'ai vérifié dans beaucoup de domaines en matière d'assistance technique : je pense notamment à l'assistance technique financière ou à l'aide à l'élaboration des documents d'urbanisme, désormais prise en charge par les EPCI. Ce service était gratuit et pris en charge par l'État, avec des ingénieurs très compétents. Par la suite, les effectifs des directions départementales interministérielles ont été considérablement réduits, obligeant les collectivités à s'en remettre aux bureaux privés ou aux structures intercommunales et départementales, lorsqu'elles existent. Dans le même temps, l'engagement des départements pour le développement d'une offre d'ingénierie s'est fortement accru.

Les récents dispositifs qui ont été mis en place sont d'une grande complexité : cela rend les financements et les ingénieries techniques peu lisibles. Je veux croire au succès de la mise en place de l'ANCT pilotée par le préfet. Néanmoins, de quels effectifs autres que ceux issus des services amoindris des préfectures cette agence dispose-t-elle dans nos territoires ? À l'heure de la nécessaire transition écologique, les opérateurs de l'État ont subi une baisse très importante de leurs effectifs. Je suis donc dubitative sur les moyens dont disposera l'ANCT pour mener à bien ses missions.

Debut de section - PermalienPhoto de Guillaume Chevrollier

Je me félicite de l'organisation de cette table ronde qui permet de souligner l'importance de l'ingénierie et d'améliorer la connaissance de l'ensemble des organismes qui gravitent autour de nos collectivités locales : il est absolument nécessaire de soutenir les plus petites et les moins informées d'entre elles. Il a été question de proximité et de réactivité j'insiste aussi sur la stabilité des organisations. L'ANCT est désormais en place : elle a pour mission d'être le guichet unique en lien avec le préfet et nous attendons beaucoup de cette nouvelle organisation. Dans un contexte où l'argent public doit être utilisé avec efficacité, il faut éviter que les organisations et les compétences se chevauchent, même quand les sujets sont complexes. Le sujet de l'artificialisation des sols me préoccupe tout particulièrement : comment comptez-vous vous mobiliser sur cette question ? Par ailleurs, comment parviendrez-vous à concilier la nécessité d'agir vite et fort dans la mise en oeuvre du plan de relance avec le temps long que supposent l'ingénierie et l'expertise ?

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Gillé

Ingénierie territoriale ne rime pas nécessairement avec agilité territoriale. Le maire de Dunkerque est intervenu sur ce sujet en faisant une proposition : quels modes d'organisation pour plus d'agilité ? L'ANCT n'est pas forcément la réponse la plus satisfaisante tandis que les agences départementales sont sans doute assez bien adaptées. Nous pourrions certainement créer des groupements de compétences en passant des conventions. Quelle est, selon vous, la meilleure solution dans ce domaine ?

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Gold

J'aimerais revenir sur la question des appels à projets. En septembre dernier, notre délégation sénatoriale aux collectivités territoriales a remis un rapport sur les défis de l'ingénierie dans les territoires. Il en ressort que les appels à projets écartent les collectivités les plus démunies, car elles ne sont pas en capacité d'assurer le montage technique et administratif des dossiers. La délégation appelait à sortir de la logique trop verticale qui consiste à décliner localement les projets décidés à l'échelle nationale. Le rapport estime à 30 000 le nombre de communes et d'intercommunalités qui n'ont pas les moyens d'organiser leurs propres services d'ingénierie. Le système est également compliqué pour les collectivités plus importantes en raison du volume des dossiers, des délais de traitement souvent contraints et de la diversité des demandes. Au final, je m'interroge sur la pertinence des appels à projets, qui sont réservés à une bien faible proportion de collectivités et qui n'incitent pas à la mise en place d'une ingénierie locale et pérenne.

Debut de section - PermalienPhoto de Olivier Jacquin

J'ai un cas concret à soumettre à nos intervenants qui porte sur la nouvelle compétence mobilité que doivent décider les intercommunalités aujourd'hui. Cette compétence nécessite une très grande technicité et il est très difficile pour une intercommunalité de 15 000 habitants d'engager quoi que ce soit sans avoir à ses côtés un cadre de catégorie A bien renseigné. Cette compétence nécessite aussi de prendre en compte de vastes bassins d'organisation : les périmètres administratifs sont dépassés par les modes de vie des habitants. Dès lors, comment développer les collaborations entre collectivités ? Comment favoriser l'inter-territorialité ? Comment amener les élus à travailler sur de plus vastes bassins de vie ? Je souligne également que les intercommunalités n'ont pas accès à suffisamment de versements de taxe mobilité et manquent aussi de modèles conceptuels pour développer ces politiques économiques.

Debut de section - PermalienPhoto de Frédéric Marchand

Le sujet de la mutualisation est essentiel, surtout dans la ruralité. L'implantation de l'agence d'urbanisme sur le territoire de la Communauté de communes de Flandre intérieure, à Hazebrouck, est vraiment un exemple à suivre.

La question de l'aménagement du territoire se pose aussi, pour de nombreux élus, à l'aune de la coopération transfrontalière. Quel regard portent les différents intervenants sur les mécanismes d'ingénierie transfrontalière et quelles sont les pistes de progrès ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Bacci

Je constate que nous sommes nombreux à avoir les mêmes soucis et je m'associe aux questions qui ont déjà été posées.

Les communes rurales ont souvent peu de moyens, mais elles ont des projets. Elles ne passent à l'étape de faisabilité que lorsqu'elles ont la perspective de voir leur projet être totalement financé. Au moment du plan de relance, pratiquement aucun projet n'était suffisamment avancé pour entrer dans ce cadre. Cela a été un fiasco pour la majorité des communes rurales. Comment faire en sorte que ce type de situation ne se reproduise plus ?

Une nouvelle agence a été créée en 2019, mais je suis certain que moins de 20 % des élus ruraux savent comment travailler avec elle. Quels outils envisagez-vous de développer pour que cette situation évolue dans le bon sens ?

Debut de section - PermalienPhoto de Angèle Préville

Nos territoires se développent de manière inégale. Des territoires sont oubliés. Le savons-nous ? Sont-ils cartographiés ? Ne devrions-nous pas regarder la réalité de ces territoires délaissés, qui ont des projets, mais qui ne parviennent pas à entrer dans le cadre des appels à projets ? Le maire de Dunkerque a évoqué un fonds d'ingénierie. Comment pourrait-il être mis en oeuvre ?

Debut de section - PermalienPhoto de Nicole Bonnefoy

L'ingénierie est absolument fondamentale parce que ce sont les projets qui font les territoires, et non l'inverse. Pour mener à bien un projet, il faut une bonne ingénierie, surtout dans le contexte de transition écologique, de réduction de la dépense énergétique et de crise sanitaire. Les maîtres d'ouvrage, publics comme privés, ont besoin d'être accompagnés dans leur réflexion le plus en amont possible.

Cette ingénierie existe déjà sur nos territoires, mais elle doit être mieux coordonnée et nous devons lui donner les moyens d'être locale, pérenne et liante. Il faut des structures publiques qui portent l'intérêt général et qui soient neutres politiquement ou financièrement.

Il n'y a rien de mieux que les CAUE pour donner des conseils et sensibiliser les élus locaux. Le principal problème réside dans le parcours de la taxe d'aménagement qui les finance depuis 2012. Certains conseils départementaux détournent cette taxe, qui ne bénéficie donc pas intégralement aux CAUE. Je suis favorable aux structures locales et à la sécurisation de leurs ressources pour amener l'ingénierie que les élus attendent.

Debut de section - PermalienPhoto de Stéphane Demilly

La crise sanitaire semble renforcer l'attractivité des territoires ruraux. Pensez-vous qu'il s'agit d'un mouvement de fond ? Si oui, les récentes règles restrictives en matière de constructibilité dans le monde rural ne mériteraient-elles pas d'être revisitées ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Longeot

J'invite les intervenants à répondre aux nombreuses questions qui ont été posées.

Debut de section - Permalien
Emmanuelle Lointier, présidente de l'Association des ingénieurs territoriaux de France (AITF)

Nous avons interpelé les ministères en charge de la transition énergétique et de la fonction publique sur les différents aspects que vous avez évoqués. Comment mutualiser des expertises entre collectivités au-delà de ce qui existe aujourd'hui ? Nous attendons des réponses. La notion de pluri-employeur a été utilisée dans quelques collectivités, mais il faut mieux les informer sur ce dispositif pour qu'elles puissent y recourir plus largement. Il y a des mécanismes de solidarité au niveau de l'ingénierie qui devrait bénéficier d'un relai statutaire et nous travaillons à améliorer ce sujet.

Nous avons posé la question à l'ANCT de la réalité du message qui parvient jusqu'au territoire. Une enquête est en cours de préparation. Elle sera lancée auprès de nos adhérents et nous vous transmettrons les résultats. Nous avons l'impression que très peu de nos adhérents ont accès aux programmes de l'ANCT et connaissent leur délégué territorial départemental. C'est très gênant.

Les structures qui mettent en place des appels à projets doivent organiser des formations et diffuser de l'information à ceux qui pourraient en bénéficier, sinon cela ne sert à rien. Nous avons du mal à avoir cette proximité réelle. Chaque fois que j'en parle, j'ai l'impression de ne pas être comprise. Les élus doivent être accompagnés dans leur territoire. Il manque un cran intermédiaire entre ce qui est proposé et la réponse qu'on attend.

Debut de section - Permalien
Thomas Breinig, vice-président de l'Association des ingénieurs territoriaux de France (AITF)

Il existe un enjeu autour des évolutions de carrières des agents territoriaux, par exemple de la fonction publique territoriale vers la fonction publique hospitalière ou la fonction publique d'État. C'est un moyen de mieux partager les informations et de mieux se connaître entre agences et services.

Pour ce qui concerne la présence de l'ingénierie dans les territoires ruraux, la question des seuils démographiques est un frein, car les structures rurales qui regroupent peu de population n'ont pas la possibilité de recruter des ingénieurs experts.

Debut de section - Permalien
Marie-Claude Jarrot, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema)

Sur le sujet de l'agilité territoriale, le Cerema souhaite se rapprocher des collectivités locales en leur proposant une ingénierie de territoire, en les associant à sa gouvernance et en créant un établissement public local. C'est assez simple. C'est très innovant. Je crois que ça pourrait fluidifier l'accès à l'expertise territoriale de haut niveau.

Debut de section - Permalien
Patrice Vergriete, président délégué de la Fédération nationale des agences d'urbanisme (FNAU)

Il me paraît important de changer la logique de l'ANCT son rôle ne se limite pas à apporter de l'expertise : elle a vocation à apporter des experts pérennes et ce n'est pas pareil. Elle ne doit pas donner le poisson ; elle doit permettre d'avoir les éléments pour pouvoir continuer à pêcher. La première mission de l'ANCT devrait être de réaliser une carte des ingénieries pérennes territoriales. À tel endroit, les besoins porteront sur une agence d'urbanisme ; à tel autre, sur une agence départementale, etc. Lorsqu'une collectivité ou une intercommunalité l'interpellera sur un problème d'ingénierie, l'ANCT lui conseillera une agence sur la base de cette carte de l'ingénierie territoriale pérenne. C'est à l'ANCT d'assurer cette visibilité et d'accompagner les collectivités.

Nous pourrions imaginer, pour ces collectivités, un chèque ingénierie ou un fonds ingénierie dédié pour financer ces compétences. Cela doit-il concerner toutes les collectivités de France ? Je n'en suis pas sûr. Ce chèque ou ce fonds pourrait concerner les collectivités qui n'ont pas de possibilités de mutualiser leurs dépenses grâce à l'intercommunalité. En revanche, je ne suis pas certain que les grandes collectivités aient besoin de ce chèque ou de ce fonds. Nous pourrions imaginer que ce chèque ou ce fonds puisse être intégré dans les contrats de plan État-Région (CPER). Un volet de ces contrats pourrait être dédié à cette question de l'ingénierie.

En résumé, l'ANCT pourrait mettre en lien une collectivité avec une structure d'ingénierie territoriale pérenne (agence d'urbanisme, CAUE, agence départementale). Elle garantirait le financement de l'adhésion à cette structure pendant un certain temps. Cela permettrait de développer très rapidement l'ingénierie. La bonne échelle me semble être celle de l'intercommunalité. Il sera très difficile de développer l'ingénierie à l'échelle de chacune des communes.

Il existe des formes d'expertise dont le niveau de pertinence de mutualisation est national. Il a ainsi été question de l'expertise en matière d'ouvrages d'art : c'est tout à fait exact. La collaboration entre les agences d'urbanisme et le Cerema est excellente sur cette question. Demain, la légitimité du Cerema sera d'apporter une expertise de plus haut niveau, avec du recul. Cette mutualisation d'ingénierie ne pourra sans doute jamais se faire dans les territoires et le Cerema ne doit pas être victime d'injonctions contradictoires. Je souligne la pertinence de la création de l'ANCT et la qualité de son expertise. En revanche, je pense qu'il faut redéfinir clairement sa mission, qui peut être d'appuyer les ingénieries territoriales sur des sujets qui ne peuvent pas être traités à l'échelle des territoires. Une liste exhaustive de ces thèmes à mutualiser à l'échelle nationale serait très utile.

Debut de section - Permalien
Hélène Jacquot-Guimbal, vice-présidente de l'Université Gustave Eiffel (UGE)

Je suis tout à fait accord sur le fait que l'ingénierie locale est parfaitement adaptée à la très grande majorité des sujets. L'ingénierie en appui de niveau national ou international est assez rare, mais nécessaire. Toutefois, je signale une difficulté que nous n'avons pas abordée : il faut 10 à 20 ans pour former un spécialiste. Vous ne pouvez pas inventer un expert au moment où vous en avez besoin. Les experts se forment sur des sujets pratiques. Ils n'existeront pas s'il n'y a pas de lien avec les différents niveaux. Pour apprendre leur métier, les experts doivent intervenir au moment de la conception, et pas uniquement après coup.

Les « petits » sujets des « petits » territoires ont également besoin d'experts. Nous avons tous connaissance d'exemples d'aménagements qui n'avaient pas anticipé un évènement majeur par manque de recul et d'analyse des risques. Pour progresser, les ingénieurs locaux ont besoin d'avoir accès à l'information et à la formation.

Debut de section - Permalien
Pascal Berteaud, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema)

Les mobilités et l'artificialisation des sols sont deux sujets relevant de la compétence du Cerema. Nous pouvons développer des méthodes et appuyer les collectivités. Pour autant, le Cerema n'ira pas au-delà de son rôle d'expert. Il y a donc un enjeu majeur d'insuffisance des moyens.

Globalement, les fonctions techniques sont dévalorisées en France, comme en témoigne le nombre de candidats aux écoles d'ingénieurs qui n'a jamais été aussi bas. La tendance au sein des services de l'État et des collectivités est d'avoir de moins en moins d'effectifs techniques et de plus en plus d'effectifs administratifs. Cela soulève une vraie réflexion. Si nous ne faisons pas l'effort de mettre des moyens, il ne se passera pas grand-chose.

Nous avons beaucoup oeuvré pour que le plan de relance comprenne un volet sur le diagnostic des ouvrages d'art des petites communes. Nous mandatons actuellement des bureaux d'études afin qu'ils effectuent ces diagnostics gratuitement : il suffit que la commune donne son accord. Nous menons une opération en ce sens auprès des 28 000 communes concernées, mais je constate qu'il n'est pas simple d'obtenir leur accord, car elles n'ont pas les services adéquats pour nous répondre. Notre difficulté principale est vraiment l'accès à ces 28 000 communes : c'est un vrai sujet.

Debut de section - Permalien
Marie-Claude Jarrot, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema)

De mon point de vue, le mouvement de réimplantation dans les territoires ruraux qui fait suite à la crise sanitaire est quasi structurel, à charge pour nous d'organiser l'arrivée des personnes en provenance des métropoles. Nous aurons besoin d'un accompagnement des projets d'aménagement de nos territoires pour organiser les mobilités, les bâtiments et construire des quartiers pour accueillir les habitants. Nous aurons besoin d'expertise territoriale pour construire cet accueil, mais on est loin du compte sur certains territoires.

Par ailleurs, il y a effectivement un vrai enjeu sur l'évolution des métiers de la fonction publique territoriale, notamment les métiers techniques, qui sont quelquefois peu attractifs. C'est à nous, élus, qu'il appartient de construire ces nouvelles fonctions. Beaucoup de métiers n'existent plus dans la fonction publique territoriale tandis que d'autres émergent. Je pense notamment aux métiers d'ingénieurs, de contrôleurs de gestion ou de gestionnaires de projet.

Debut de section - Permalien
Patrice Vergriete, président délégué de la Fédération nationale des agences d'urbanisme (FNAU)

La question transfrontalière est éminemment complexe. Je suis co-président d'un groupement européen de coopération territoriale (GECT) avec la Flandre occidentale belge. Nous avons beaucoup de difficultés à développer des projets qui soient concrets et opérationnels. Il y a donc encore beaucoup à faire pour faciliter les interventions transfrontalières en mettant en place un certain nombre d'outils. Nous essayons de travailler avec nos homologues des pays frontaliers : à la base, ce n'est pas simple, car les cultures et les compétences ne sont pas identiques. Une simplification à l'échelle européenne serait la bienvenue et nous avançons trop doucement sur ce sujet.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Longeot

J'aimerais remercier tous les intervenants pour la qualité de nos échanges. Le Sénat est très attaché à l'aménagement du territoire et à l'ingénierie territoriale. Il faut vraiment que nous soyons très présents sur les territoires, aux côtés des élus. J'ai été maire dans de 1995 à 2015 et au début de mon mandat, la situation était quand même moins complexe pour les collectivités. Aujourd'hui, les élus sont trop souvent seuls face à des circulaires de 50 pages qu'ils n'ont pas le temps de lire et il y a de quoi être complètement perdu. Il faut vraiment que nous puissions les accompagner et il faut revoir un certain nombre de normes administratives pour y apporter de la souplesse.

Enfin, il faut faire confiance aux élus de ces territoires et collectivités, car personne ne connaît mieux sa commune que celui qui y habite et qui en est l'élu depuis de nombreuses années.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Longeot

Nous passons à l'examen de la proposition de loi de notre collègue Marie-Claude Varaillas visant à garantir effectivement le droit à l'eau par la mise en place de la gratuité sur les premiers volumes d'eau potable et l'accès pour tous à l'eau pour les besoins nécessaires à la vie et à la dignité, dont l'examen en séance publique aura lieu le 15 avril prochain dans le cadre de l'espace réservé au groupe CRCE.

Je vous rappelle que cet examen s'inscrit dans le cadre du gentlemen's agreement en vertu duquel la commission ne peut modifier le texte de la proposition de loi sans l'accord du groupe auteur de la demande d'inscription à l'ordre du jour.

La Journée mondiale de l'eau, qui s'est tenue lundi 22 mars dernier, nous a rappelé l'importance stratégique de cette ressource, vitale pour les hommes et les activités économiques, dont l'apparente abondance n'est que toute relative, avec des pays en situation de stress hydrique très fort et des populations privées d'un accès sécurisé à l'eau potable, y compris dans notre pays.

Je remercie le rapporteur, M. Gérard Lahellec, pour le travail qu'il a accompli et les nombreuses auditions qu'il a conduites. Il s'agit de son premier office de rapporteur au nom de notre commission, ce dont je le félicite.

Je rappelle que notre commission a déjà examiné en 2017 un texte comportant des dispositions similaires visant à mettre en oeuvre le droit à l'eau potable et à l'assainissement, dont le rapporteur avait été notre collègue Ronan Dantec.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Lahellec

Il s'agit en effet du premier texte que je suis chargé de rapporter au nom de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable depuis mon élection au Sénat : en quelque sorte, pour m'inscrire dans le sujet qui nous intéresse, je me jette à l'eau...

La Journée mondiale de l'eau du 22 mars dernier a rappelé combien la question de l'accès à l'eau potable reste prégnante dans le monde. Il y a là un sujet dont personne ne peut se désintéresser, qui s'aggrave à certains endroits du monde, et m'apparaît comme le défi du siècle, y compris pour notre pays, malgré la relative abondance de l'eau sous nos latitudes. Depuis peu, des régions entières connaissent certains étés un stress hydrique qui conduit au rationnement de la ressource et à l'interdiction de certains usages.

L'eau est en effet d'une ressource vitale, essentielle à la vie : si la quantité d'eau diminuait de 20 %, cela pourrait conduire à la mort de certains êtres humains. Sans un accès sécurisé à une eau potable de bonne qualité, l'être humain ne peut s'épanouir. Il reste tributaire de la satisfaction de ce besoin qui conditionne sa survie. Sans elle, pas de dignité possible, pas de développement durable, pas de justice sociale, pas d'accès aux fruits de la croissance. Je crois que vous partagez avec moi l'idée que l'eau potable est un bien commun, dont aucun être humain ne devrait être exclu. La question de son accès universel se double d'une dimension d'accessibilité sociale, sur laquelle nous reviendrons, et qui constitue le fondement de cette proposition de loi.

Nous n'arrivons pas sur un terrain vierge de toute avancée, et le président a rappelé le travail mené en 2017 par M. Dantec. Nous n'avons pas à être révolutionnaires : nous devons parfaire l'oeuvre déjà accomplie, dans un esprit humaniste. C'est l'esprit de cette proposition de loi.

Ce droit a d'ores et déjà été consacré au plus haut niveau. Je pense notamment à l'adoption, le 28 juillet 2010, par l'Assemblée générale des Nations Unies, d'une résolution qui reconnaît le droit à l'eau potable et à l'assainissement comme un droit fondamental ; à certains pays qui ont constitutionnalisé le droit d'accès à l'eau, comme la Slovénie ou l'Uruguay ; au droit à l'eau potable, à l'assainissement et à l'hygiène, qui constitue l'objectif n° 6 des 17 Objectifs 2030 de développement durable (ODD) adoptés par les États membres des Nations Unies, qui vise à « garantir l'accès de tous à des services d'alimentation en eau et d'assainissement gérés de façon durable ».

La nouvelle directive européenne sur l'eau potable de décembre 2020 dispose également que les États membres « en tenant compte des perspectives et des circonstances locales, régionales et culturelles en matière de distribution de l'eau, prennent les mesures nécessaires pour améliorer ou préserver l'accès de tous aux eaux destinées à la consommation humaine, en particulier des groupes vulnérables et marginalisés ».

Ce droit est reconnu, proclamé, consacré, mais il s'agit d'un droit fragile. Les chiffres sont tenaces, et ce sont eux que je regarde. Selon le Baromètre 2020 de l'eau, de l'hygiène et de l'assainissement, établi par Solidarités International, 2,2 milliards d'êtres humains - soit 29 % de la population mondiale - n'ont toujours pas un accès sécurisé à l'eau potable ; 4,2 milliards d'humains - soit 55 % de la population mondiale - n'ont pas accès à l'assainissement ; et 2,6 millions de personnes, principalement des enfants de moins de cinq ans, meurent chaque année de maladies liées à une consommation d'eau insalubre.

Si, en France, la situation est naturellement bien meilleure, notre pays n'est pas épargné par certaines formes de précarité en eau et il existe toujours des exclus de l'eau. En 2013, l'Insee dénombrait encore 204 000 logements privés de confort sanitaire, c'est-à-dire d'eau courante, de WC intérieurs et d'installations sanitaires. L'Organisation mondiale de la santé estime que 1,4 million de Français métropolitains ne bénéficient pas en 2019 d'un accès à l'eau géré en toute sécurité. En outre, le 25e rapport sur le mal-logement de la Fondation Abbé Pierre estime à 143 000 le nombre de personnes sans domicile fixe et à 91 000 celui des personnes qui vivent dans des habitats de fortune en France. Ce sont eux que l'on nomme les « exclus de l'eau ».

Il existe en outre dans notre pays ceux que l'on appelle les « précaires en eau ». En 2017, selon l'enquête « Budget des familles » de l'Insee, les charges d'eau représentaient en moyenne 1 % du budget d'un ménage en France. En raison des grandes disparités du prix de l'eau en France, avec un prix du mètre cube allant de 1,45 euro à plus de 8 euros, l'effort budgétaire diffère d'une collectivité à l'autre. L'on estime qu'au-delà de 3 % du budget des ménages, l'effort à consentir pour accéder à l'eau génère une situation de pauvreté en eau. Ajoutons à cela que le prix de l'eau en France a augmenté de 10,7 % en moyenne au cours de la dernière décennie, ce qui est supérieur à l'inflation hors tabac. L'accès aux chiffres est malaisé : la part des impayés sociaux dans les impayés globaux n'est en général pas une donnée rendue publique par les services publics d'eau.

Les associations que j'ai entendues - environ une dizaine - m'ont signalé que, selon elles, plus d'un million de personnes consacrent à l'eau plus de 3 % de leur budget. La Fondation Abbé Pierre évalue pour sa part à 1,2 million le nombre de locataires en situation d'impayés de loyer et/ou de charges.

Voilà pour ce qui est de l'écart entre le droit et le fait. Le législateur français n'est bien entendu pas resté insensible à la question : la loi Brottes de 2013 a interdit les coupures d'eau des ménages pour impayés et mis en oeuvre une expérimentation de tarification sociale de l'eau. Cela a permis d'aller plus loin que l'approche curative qui prévalait jusqu'alors, consistant en des aides à la prise en charge des factures impayées, généralement par les collectivités territoriales : centres communaux d'action sociale et fonds de solidarité pour le logement au niveau départemental.

À la différence des aides curatives, qui consistent en un droit non automatique à une aide ponctuelle et partielle à l'impayé, les aides préventives s'appliquent dès lors que le foyer satisfait aux critères prédéfinis. Elles prennent la forme soit d'une tarification intégrant une première tranche dite sociale universelle, comportant un volume d'eau donné à tarif réduit, soit d'une allocation eau. Ainsi, la ville de Dunkerque a mis en place un design tarifaire à trois tranches, avec une volumétrie pour l'eau dite essentielle, l'eau utile et l'eau confort, avec un prix au mètre cube allant de 0,85 euro à 2,1 euros. La ville de Rennes, elle, a instauré une première tranche gratuite de 10 mètres cubes pour les 180 000 abonnés du réseau. La loi Engagement et proximité de décembre 2019 a pérennisé ces possibilités de tarification sociale et a mis à la disposition des collectivités qui le souhaitent une boîte à outils leur fournissant des instruments d'action pour favoriser l'accès de tous à l'eau. Face à ce constat, il est nécessaire de consolider les acquis en garantissant de manière plus effective le droit d'accès à l'eau en France. L'eau n'a pas de prix, mais elle a un coût, qui est celui de son acheminement, de son traitement et de son assainissement. Les services de l'eau sont des services publics industriels et commerciaux (SPIC), qui reposent sur une logique de tarification à l'usager, et non sur un financement par l'impôt. En vertu de la libre administration des collectivités territoriales, les communes et établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) qui en assurent la distribution sont libres de mettre en oeuvre des politiques locales en vue de favoriser l'accès de l'eau aux populations précaires ou marginalisées.

Je terminerai mon propos en citant la directive européenne sur l'eau potable de décembre 2020, qui enjoint aux États européens l'installation « d'équipements intérieurs et extérieurs dans les espaces publics, lorsque cela est techniquement réalisable, d'une manière qui soit proportionnée à la nécessité de telles mesures et compte tenu des conditions locales spécifiques, telles que le climat et la géographie ».

Le texte que nous examinons aujourd'hui est l'occasion d'en commencer la transposition. Son article premier consiste en l'affirmation solennelle au droit à l'eau potable et à l'assainissement pour chaque personne, qui comprend une quantité d'eau quotidienne pour répondre à ses besoins élémentaires, et à celui d'accéder aux équipements permettant d'assurer son hygiène, son intimité et sa dignité. C'est l'élévation au rang législatif de principes d'humanité qui fonderont la mise en oeuvre du droit effectif à l'eau pour chacun en France.

L'article 2 prévoit une obligation pour les collectivités territoriales ou les EPCI d'installer et d'entretenir des équipements de distribution gratuite d'eau potable ainsi que des toilettes publiques et douches gratuites, en fonction de seuils démographiques, dans un délai de cinq ans. Ainsi, les exclus de l'eau pourront trouver des points d'eau potable sécurisés et des équipements où satisfaire aux besoins d'hygiène, c'est-à-dire conserver sa dignité humaine. La crise sanitaire que nous traversons actuellement accentue ce problème. Le respect des gestes barrières implique notamment de se laver fréquemment les mains : comment le faire sans eau ?

L'article 3 prévoit l'instauration de la gratuité de l'eau potable et de l'assainissement pour l'alimentation et l'hygiène de chaque personne physique, avec la fixation annuelle d'un volume par décret pris en Conseil d'État, après avis du Comité national de l'eau. Les collectivités accomplissent leur mission de manière satisfaisante, mais la discussion de la proposition de loi rénovant la gouvernance des services publics d'eau potable et d'assainissement en Guadeloupe a mis en lumière certains dysfonctionnements de ce service public si essentiel.

Confier aux collectivités territoriales la satisfaction des besoins essentiels de leurs habitants me semble correspondre à la fois au principe constitutionnel de subsidiarité et à la raison d'être de l'action publique locale.

Je vous propose d'adopter le périmètre de recevabilité des amendements sur ce texte : sont susceptibles de présenter un lien, même indirect, avec le texte déposé, les dispositions relatives à la définition du droit à l'eau potable et à l'assainissement, aux obligations qui s'imposent aux collectivités et établissements publics en matière d'équipements de distribution d'eau potable et en matière d'assainissement et à la mise en oeuvre de la gratuité des premiers volumes d'eau.

Le périmètre ainsi défini est adopté.

Pour toutes les raisons que j'ai évoquées précédemment, je vous propose d'adopter sans modification la proposition de loi que nous examinons afin qu'elle puisse être discutée dans les meilleures conditions en séance publique le 15 avril prochain.

Debut de section - PermalienPhoto de Ronan Dantec

Merci pour cette présentation très complète. C'est en quelque sorte le deuxième passage d'une proposition de loi sur le droit à l'eau, puisque le groupe écologiste, sous le quinquennat de François Hollande, avait déposé un texte qui, à l'époque, était très attendu. Mais ce texte, programmé trop tardivement par le Gouvernement, n'avait pas pu être voté. C'est un mauvais souvenir : tandis que nous l'avions adopté en commission, il avait été totalement détricoté dans l'hémicycle, alors même qu'il correspondait à des engagements internationaux de la France, et que les enjeux sociaux étaient - ils le sont toujours - extrêmement importants.

Mon groupe soutient donc cette proposition de loi, et ne déposera pas d'amendements, pour gagner du temps. Par rapport à 2017, il y a eu des avancées, notamment sur les tarifs différenciés, mais il faut aller plus loin. Avec les risques de raréfaction des ressources liés au dérèglement climatique, le droit à l'eau devrait conduire à ce qu'on ne permette pas à certains d'utiliser toute l'eau. Nous sommes tous responsables, et il faut partager la ressource. J'espère en tous cas que, quatre ans après, ce texte sera consensuel. À l'époque, notre débat n'avait pas été à la hauteur.

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Gillé

Cette proposition de loi reprend, en effet, des travaux engagés en 2017, quand plusieurs de nos collègues s'étaient investis sur ce sujet, notamment Michel Lesage, Jean Glavany, Jean-Paul Chanteguet, Marie-George Buffet, François-Michel Lambert, Bertrand Pancher, Stéphane Saint-André - cela montre bien une certaine transversalité politique. On peut regretter qu'ils n'aient pas pu aboutir. En ce qui nous concerne, nous soutenons cette initiative.

Nous insistons toutefois sur la nécessité d'une bonne visibilité pour les collectivités gestionnaires sur le niveau de la gratuité, de manière qu'elles puissent l'intégrer de la meilleure façon possible dans leurs évaluations économiques, financières et sociales. Nous déposerons sur ce point un amendement en séance. Merci, en tout cas, pour cette initiative, qui nous remet en selle sur ce sujet particulièrement important.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Paul Prince

L'article 4 mentionne la dotation globale de fonctionnement (DGF). Celle-ci, de toute façon, ne peut pas compenser les services de l'eau et de l'assainissement, puisque le budget général ne peut pas compenser des budgets annexes.

Debut de section - PermalienPhoto de Nadège Havet

Cette proposition de loi est une très bonne idée. Cependant, dans les quinze prochaines années, il y aura des réseaux d'eau à renouveler dans beaucoup de collectivités. Actuellement, le budget principal ne peut pas abonder les budgets annexes. Ne risque-t-on pas de grever encore un peu plus les finances des collectivités territoriales ?

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Lahellec

Évidemment, l'article 40 de la Constitution n'est pas opposable, mais j'entends les observations sur la fragilité de l'article 4. Avec la loi Brottes, 47 collectivités ont travaillé à des hypothèses, et 37 ont conduit l'expérimentation jusqu'à son terme. La synthèse des prescriptions qui découlent de ces concertations peut constituer un outil pour les collectivités. Il est bon d'en avoir conscience. N'avoir pas fait l'itération des éléments de la boîte à outils ne doit pas nous interdire d'y faire référence, le moment venu, et plus particulièrement dans le débat que nous aurons le 15 avril prochain.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Claude Varaillas

Si nous évoquons la DGF, c'est parce que nous parlons de l'équipement en douches et sanitaires. Sur cette ligne, l'abondement de la DGF peut aider le budget principal à financer ce type de projets. Nous nous gardons bien de définir un niveau de gratuité : nous mentionnons ce qui est nécessaire à la dignité. Il faudra préciser les choses ensuite par décret. Notre objectif est de s'extraire de la notion d'aide aux ménages, dont la dimension caritative est trop réductrice, pour s'orienter vers celle d'un droit directement applicable à l'ensemble de nos concitoyens - donc d'un droit universel.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Longeot

C'est un sujet que nous devons aborder, en effet... Mais pour l'instant, nous ne sommes pas sûrs d'avoir bien les pieds sur terre.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Bacci

Je suis arrivé récemment dans nos instances, et n'ai pas participé aux travaux engagés au cours des années précédentes. Dans ce texte, quelque chose me choque, c'est la gratuité. Ce qui est gratuit est dû. Or, l'eau, on doit la protéger et l'économiser. Que l'on facilite l'accès à l'eau pour des gens qui ont des difficultés financières, avec un tarif très bas, oui ; mais pas de gratuité !

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Mandelli

C'est aussi la position de notre groupe sur ces grands principes. Au-delà de la complexité dans la mise en oeuvre, nous considérons que les élus locaux disposent déjà d'une vaste palette de moyens d'action pour répondre à ces problématiques d'accès à l'eau : les centres communaux d'action sociale (CCAS), politiques spécifiques, restauration scolaire, quotient familial... Il y a aussi des fonds de solidarité au niveau des départements. Faisons confiance aux élus locaux pour résoudre ces questions localement, en lien direct avec leurs administrés. Ces situations sont assez nombreuses sans doute, mais elles réclament une approche à la fois humaine, pragmatique et directe.

Debut de section - PermalienPhoto de Évelyne Perrot

En milieu rural, dès qu'une famille a un problème, le maire est présent. C'est plutôt en milieu urbain qu'on rencontre de grosses difficultés.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Longeot

Il existe des fonds, comme le Fonds de solidarité pour le logement (FSL). On ne peut pas aller dans tous les sens, et il faut d'abord bien approfondir le sujet.

La proposition de loi n'est pas adoptée.

Conformément au premier alinéa de l'article 42 de la Constitution, la discussion en séance portera en conséquence sur le texte initial de la proposition de loi.

La réunion est close à 12 heures.