Lors d'une première séance tenue dans la matinée, la commission entend M. Jacques Raharinaivo, sous-directeur du contrôle des armements et de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) au ministère des affaires étrangères et européennes.
Monsieur le directeur, vous êtes chargé des questions de contrôle des armements à la direction des affaires stratégiques du ministère des affaires étrangères.
À ce titre, vous participez aux négociations qui se déroulent dans le cadre de l'ONU en matière de désarmement. Nous avons souhaité vous entendre aujourd'hui sur ces questions pour que vous puissiez nous exposer la position de notre pays dans des négociations, qui aboutiront à la signature de conventions internationales dont le Parlement, et donc notre commission, aura à autoriser la ratification.
Je rappelle que, depuis 1976, l'Assemblée générale des Nations unies s'est donnée pour objectifs de détourner les Etats de la course aux armements et de rechercher un accord sur une stratégie globale de désarmement. La poursuite de ces buts s'inscrit en particulier dans le cadre de la Conférence du désarmement, basée à Genève, et qui regroupe 66 Etats membres. Sur ce point, je vous renvoie au rapport de notre collègue Jean-Pierre Chevènement, qu'il nous a présenté il y a un an, sur le « désarmement, non-prolifération nucléaires et la sécurité de la France », avant la conférence d'examen du TNP.
Des négociations sont en cours pour préparer la septième conférence d'examen de la Convention sur l'interdiction de la mise au point, de la fabrication et du stockage des armes bactériologiques ou à toxines et sur leur destruction ; vous nous en parlerez certainement.
Au-delà des aspects très techniques de ces négociations, il est évident qu'elles ont ou auront un impact direct sur notre politique étrangère et sur notre politique de défense. C'est la raison pour laquelle il me paraît important que nous puissions comprendre les positions des uns et des autres, les enjeux, suivre ces négociations et, le cas échéant, faire part de notre sentiment et de nos analyses sur ces questions.
Monsieur le directeur, je vous passe la parole.
Je vous précise que les questions liées au désarmement nucléaire et aux missiles balistiques relèvent d'autres services que le mien. Les questions liées à la maîtrise des armements, au désarmement, à la prévention de la course aux armements et à la non-prolifération sont des contraintes de la politique étrangère française depuis plusieurs décennies. Je vais m'efforcer de dresser un panorama des prochaines échéances en matière de désarmement.
La convention d'Oslo sur l'interdiction des armes à sous-munitions est entrée en vigueur il y a moins d'un an, plus de dix ans après celle d'Ottawa sur les mines antipersonnel. Cette convention a créé une nouvelle norme en matière d'interdiction de certaines armes jugées à effets excessifs.
La convention d'interdiction des armes biologiques conclue en 1972 fait, quant à elle, l'objet d'une conférence d'examen tous les cinq ans. La 7ème conférence doit se tenir fin 2011. Il paraît désormais très probable que l'on ne parviendra pas à lancer la négociation d'un protocole sur la vérification de cette convention, en raison de l'opposition annoncée des Etats-Unis. Des améliorations sont néanmoins envisageables sur le fonctionnement de la convention, mais également dans la prise de conscience du risque lié aux armes biologiques.
Le projet de traité sur le commerce des armes a fait l'objet de deux résolutions de l'Assemblée générale de l'ONU, la première en 2006 et la seconde en 2009 ; cette dernière prévoit qu'une conférence se tienne en 2012 à New York pour avancer sur ce traité, qui vise à la régulation du commerce des armes conventionnelles.
La Conférence sur le désarmement, dont les négociations se déroulent à Genève, est la seule enceinte multilatérale spécifiquement consacrée aux questions de désarmement. Elle a notamment établi diverses conventions interdisant ou limitant l'usage de certaines armes. La Conférence de désarmement n'est toujours pas parvenue à établir un programme de travail et le rythme et le résultat de ses réunions sont donc loin d'être optimaux.
A Genève, des négociations sont en cours sur l'élaboration d'un 6ème protocole à la convention de 1980 sur certaines armes classiques, protocole qui concernerait les armes à sous-munitions. On pourrait s'interroger sur l'intérêt d'un tel protocole dans la mesure où a été adoptée à Oslo, en 2008, une convention d'interdiction des armes à sous-munitions.
C'est que la convention d'Oslo n'a pas été négociée dans le cadre des Nations unies. Il en avait d'ailleurs été de même de la convention d'Ottawa sur l'interdiction des mines anti-personnel. Les principaux Etats détenteurs ou utilisateurs d'armes à sous-munitions, à commencer par les Etats-Unis, la Chine, la Russie, l'Inde, le Pakistan et Israël, n'ont pas signé la convention d'Oslo et n'envisagent pas de le faire. C'est pourquoi la France souligne l'utilité d'un protocole élaboré au sein de la Conférence de désarmement pour pouvoir imposer aux Etats non signataires de la convention d'Oslo certaines restrictions en termes d'emploi et de transfert de ces armes.
La mise à jour des instruments de maîtrise des armements est aujourd'hui nécessaire. Le cadre général doit en être la volonté commune de limiter le niveau des armements ou d'en interdire certains types. Au-delà de ce dénominateur commun, l'évolution du contexte général de la situation géopolitique fait que nous devons réexaminer l'ensemble de notre politique en fonction de la situation de tel ou tel Etat.
C'est particulièrement vrai en ce qui concerne la maîtrise des armements en Europe, qui repose sur plusieurs instruments internationaux. Ceux-ci comprennent le traité sur les forces conventionnelles en Europe, auquel la Russie a unilatéralement suspendu sa participation en 2007, le document de Vienne sur les mesures de confiance et de sécurité, et le traité « Ciel ouvert », conclu sous l'égide de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE). Tous ces instruments paraissent aujourd'hui obsolètes et doivent faire l'objet de discussions avec la Russie.
Pourriez-vous nous dire quelle est la position des principales puissances, les Etats-Unis, la Chine, la Russie, le Royaume-Uni, en matière de désarmement ?
La résolution de l'Assemblée générale de l'ONU sur le projet de traité en matière de commerce des armes a été, certes, adoptée à l'unanimité, moins une voix, celle du Zimbabwe, mais vingt pays importants, comme la Chine, la Russie et le Pakistan, se sont abstenus. L'un de nos principaux objectifs est d'abord de consolider le consensus sur le principe d'un traité sur le commerce des armes.
La convention d'Oslo sur les armes à sous-munitions est un instrument juridiquement satisfaisant mais politiquement insuffisant car privé de la participation de plusieurs Etats importants. La France poursuit ses efforts pour que les principaux Etats non signataires se soumettent néanmoins à des contraintes d'utilisation dans le cadre d'un nouveau protocole à la Convention sur certaines armes classiques.
La Chine est devenue un important pays fournisseur d'armes, notamment d'armes légères. Notre dialogue doit tenir compte de ce paramètre.
Je précise que le projet de traité sur le commerce des armes vise à la régulation de celui-ci, mais ni à son interdiction ni à sa prohibition. En effet, l'article 51 de la Charte de la Nations unies établit le droit des Etats à se défendre.
Ces conférences réunissent des Etats. Or, de nombreuses armes sont vendues par des personnes privées : quelle régulation peut-on leur imposer ?
En effet, ces traités sont conclus entre Etats. Pour autant, les acteurs non étatiques ne sont pas oubliés, car les règles établies pour le commerce licite des armes visent à le distinguer des trafics. Ces derniers procèdent par plusieurs méthodes de détournement comme, lors du transport par avion d'armes légères, le changement de plan de vol au dernier moment, ou la modification de l'immatriculation de l'appareil, par exemple. Ces méthodes sont pour la plupart bien répertoriées, et une cinquantaine d'Etats ont adopté un guide de bonnes pratiques pour lutter contre ce phénomène.
Une partie importante de ce trafic s'opère par l'intermédiaire d'Etats qui constituent un relais entre l'acte d'achat et la redistribution des armes au bénéfice de groupes en rébellion.
Il s'agit là d'un problème réel ; c'est pourquoi l'autorisation d'exporter des armes est presque toujours assortie d'une clause de non-réexportation, en France comme chez nos principaux partenaires. Cette clause dispose qu'on ne peut réexporter vers un tiers sans l'accord préalable et écrit de l'Etat d'origine. Ces contraintes ne sont pas toujours bien acceptées par les Etats acheteurs, et leur efficacité peut varier dans la durée, du fait d'un changement toujours possible de régime politique ou d'une alliance internationale non anticipée.
L'objectif de tarir les approvisionnements en armes des groupes terroristes est louable, mais je me demande comment il est possible d'y parvenir par des dispositions juridiques.
Il s'agit en effet d'un problème complexe. S'agissant des armes légères et de petit calibre, il faut savoir que les quatre cinquièmes de celles qui sont utilisées ne sont pas neuves, mais proviennent de stocks existants, qui on pu servir à l'occasion de conflits antérieurs, comme ceux ayant affecté les Balkans ou le Liban. La communauté internationale s'efforce d'accompagner leur gestion et leur destruction. Plusieurs programmes européens sont en cours, en ex-URSS par exemple. D'autre part, le pays qui décide du transfert de ces armes d'occasion doit en être tenu politiquement responsable.
J'ai trois questions : quelle est la place de la France dans le commerce mondial des armes ? Quel est le volume estimé de ce commerce dans le monde ? Quelle est la part du marché noir et du commerce licite ?
Il convient de distinguer les armes et les matériels de guerre. Ainsi, les grands groupes français vendent des matériels de guerre qui ne sont pas pour autant des armes, comme les systèmes électroniques de contrôle des frontières. La France se situe parmi les cinq premiers pays vendeurs d'armes et de matériels de guerre, et parmi les trois principaux pays européens pour les matériels de guerre. Il faut souligner que quatre armes légères sur cinq utilisées proviennent de stocks d'occasion, ce qui rend difficile leur contrôle. De surcroît, ce marché connaît une évolution géographique récente.
La commission procède ensuite à la nomination de rapporteurs :
René Beaumont est désigné rapporteur pour le projet de loi n° 396 (2010-2011) autorisant la ratification de l'accord de stabilisation et d'association entre la Communauté européenne et ses États membres, d'une part, et la Serbie, d'autre part.
Bernard Piras est désigné rapporteur pour le projet de loi n° 3261 (AN - 13e législature) autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Kazakhstan relatif à la coopération en matière de lutte contre la criminalité.
La commission examine ensuite le rapport de Mme Bernadette Dupont sur le projet de loi n° 199 (2010-2011) autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume de Belgique concernant l'échange d'informations et de données à caractère personnel relatives aux titulaires du certificat d'immatriculation de véhicules contenues dans les fichiers nationaux d'immatriculation des véhicules dans le but de sanctionner les infractions aux règles de la circulation.
Vous savez que la lutte contre les infractions routières s'est intensifiée en France durant la dernière décennie, et s'appuie, de façon croissante, sur leur constatation par des dispositifs automatisés.
Ces moyens nouveaux ont permis de décompter les infractions commises sur le territoire français par des véhicules immatriculés dans d'autres pays européens, et de déceler leur important accroissement, année après année.
Or, dans l'état actuel de la réglementation, tant nationale qu'européenne, il est difficile pour les autorités françaises compétentes d'identifier les titulaires du certificat d'immatriculation des véhicules étrangers ayant commis des infractions, ce qui assure à ceux-ci une immunité de fait.
Seule l'élaboration d'un accord européen en ce domaine sera à même de régler l'ensemble de ce contentieux. Le dernier conseil européen des ministres des transports a adopté, le 2 décembre 2010, un projet de directive en ce sens. Dans l'attente de l'aboutissement des concertations européennes, la France a pris l'initiative de négocier plusieurs accords bilatéraux avec les pays frontaliers, dont la Belgique.
Il faut relever que les messages d'infractions émis par les radars, dénommés « contrôle-sanction automatisé » (C.S.A.) sont inopérants à l'égard des véhicules immatriculés à l'étranger, alors même que ceux-ci sont destinataires de près d'un quart de ces messages.
En effet, le Centre automatisé de constatation des infractions routières (CASIR), situé à Rennes, se base sur l'identité et les coordonnées personnelles du contrevenant pour lancer une procédure à son encontre. Faute d'informations de cet ordre sur les conducteurs de véhicules immatriculés à l'étranger, cette procédure reste sans suite. Cette situation est d'autant plus choquante que leur nombre ne cesse de croître.
C'est ainsi qu'en 2008, le total des messages d'infraction touchant des véhicules immatriculés hors de France, décomptés de 2005 à 2008, s'élevait à près de 9 millions, et les chiffres par année démontraient leur progression constante. D'un million en 2005, ils sont passés, en 2006, à deux millions, en 2007 à deux millions et demi, en 2008 à trois millions deux cent mille, et à quatre millions quatre cent mille en 2009.
Durant ces mêmes années, les pays d'immatriculation des véhicules en infraction croissaient, pour l'Allemagne, de 2005 à 2008, de 140 000 à 365 000 pour le Danemark, de 15 000 à 59 000 pour l'Espagne, de 42 500 à 85 300 pour la Grande-Bretagne, et, pour l'Italie, de 30 000 à 77 000.
Il s'agit là des quatre principaux pays d'où proviennent les conducteurs fautifs.
La situation géographique de la France en fait un pays de transit pour de nombreux véhicules en provenance de nos voisins européens. La France a pris conscience, avec la mise en place progressive des dispositions de la loi du 12 juin 2003 renforçant la lutte contre la violence routière, du nombre non négligeable d'infractions commises sur son sol par des véhicules étrangers.
Des négociations sont en cours avec l'Espagne, l'Italie, le Luxembourg, les Pays-Bas et la Suisse, et des discussions ont été ouvertes, au niveau ministériel, avec le Royaume-Uni, Monaco et le Portugal.
La Belgique ne figure pas au nombre des premiers pays d'origine des conducteurs en infraction. C'est pourtant avec ce pays qu'a été conclu le texte le plus abouti, ratifié par lui en février 2010, et qui, après avoir été adopté par l'Assemblée nationale, est aujourd'hui soumis à notre examen.
Les dispositions du présent accord, signé le 13 novembre 2008 à Paris, instaurent avec la Belgique les modalités d'un échange des informations nécessaires à l'aboutissement de la procédure de contrôle-sanction automatisé.
Cet accord permet, en effet, l'application, pour les conducteurs belges faisant l'objet d'une telle procédure, de l'article L 330-2 du code de la route, qui dispose que les informations et données à caractère personnel contenues dans les fichiers d'immatriculation sont communiquées, sur leur demande, aux autorités étrangères avec lesquelles a été conclu un accord d'échange d'informations relatives à l'identification du titulaire du certificat d'immatriculation.
Cet accord permet donc aux autorités françaises d'obtenir de l'autorité belge compétente les éléments requis pour sanctionner les conducteurs en infraction issus de ce pays. Réciproquement, les autorités belges pourront réclamer les mêmes informations de leurs homologues français.
L'article 3 de l'accord dispose que : « L'échange d'informations et de données à caractère personnel est effectué dans le respect des dispositions nationales, communautaires et internationales en matière de protection des données ». Ces précisions sont importantes car je vous rappelle que notre collègue Marcel-Pierre Cléach nous avait présenté, le 7 juillet 2010, un accord similaire conclu avec l'Allemagne ; or le Bundestag a refusé de le ratifier, en excipant de l'inconstitutionnalité de la communication de données personnelles.
Le présent texte a déjà été ratifié par le Parlement belge, ce qui nous protège d'une mésaventure similaire.
Je vous recommande donc de l'adopter, et de prévoir son examen en séance publique sous forme simplifiée.
Nous constatons tous que sur certaines routes, et plus encore, sur les autoroutes, certains conducteurs étrangers semblent considérer qu'ils circulent sur un circuit de Formule 1.
Il n'existe pas de limitation de vitesse pour les voitures en Allemagne, et les ressortissants de ce pays semblent considérer l'Europe comme une extension de leur nation.
Puis la commission adopte l'accord et recommande son examen en séance publique sous forme simplifiée.
Puis, la commission examine le rapport de M. Robert del Picchia sur le projet de loi n° 407 (2010-2011) autorisant la ratification du protocole modifiant le protocole sur les dispositions transitoires annexé au traité sur l'Union européenne, au traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et au traité instituant la Communauté européenne de l'énergie atomique.
en remplacement de M. Robert del Picchia, rapporteur - Nous sommes appelés à nous prononcer, après son adoption par l'Assemblée nationale, sur le projet de loi autorisant la ratification du protocole modifiant le protocole sur les dispositions transitoires annexé au traité de Lisbonne, visant à modifier la composition du Parlement européen et qui prévoit notamment d'accorder deux députés européens supplémentaires à la France.
Ce projet de loi autorisant la ratification d'une convention internationale s'accompagne d'un projet de loi « classique », relatif au mode de désignation de ces deux députés européens supplémentaires, qui contient également des dispositions relatives à la participation des Français établis hors de France aux élections européennes, et qui a été renvoyé à la commission des Lois.
Je concentrerai mon propos sur le premier texte, qui seul nous intéresse ici, même si ces deux projets de loi feront l'objet d'une discussion commune en séance publique, et si notre rapporteur, Robert del Picchia, intervient en séance, en sa qualité de sénateur des Français établis hors de France, sur la participation des Français de l'étranger aux élections européennes, sur laquelle il a déposé plusieurs propositions de loi.
Avant de vous présenter les dispositions de ce protocole, je voudrais revenir brièvement sur l'historique de son élaboration.
Depuis son élection au suffrage universel direct en 1979, les pouvoirs du Parlement européen, à l'origine simple assemblée consultative, ont beaucoup augmenté.
« Le vrai gagnant de la Convention sur l'avenir de l'Europe, c'est le Parlement européen » aurait dit le Président Valéry Giscard d'Estaing.
Avec le Traité de Lisbonne, le Parlement européen a vu ses pouvoirs considérablement renforcés, aussi bien en matière législative, avec la généralisation de la procédure de co-décision, qu'en matière budgétaire, avec la suppression de la distinction entre dépenses obligatoires et non obligatoires. Aujourd'hui, le Parlement européen tend à affirmer ses prérogatives, y compris sur des matières qui demeurent du domaine intergouvernemental, comme la politique étrangère et la défense.
Or, malgré l'augmentation continue de ses pouvoirs, la légitimité démocratique du Parlement européen n'a cessé de se réduire, comme en témoigne la baisse continue du taux de participation aux élections européennes. En France, le taux de participation est tombé de 60 % en 1979 à 40 % en 2009 et la même tendance se retrouve à l'échelle européenne.
Par ailleurs, depuis l'origine, la composition du Parlement européen est fondée sur la règle de la dégressivité proportionnelle, qui assure une « surreprésentation » des « petits » pays par rapport aux « grands ». D'après ce principe, plus un pays est peuplé, plus le nombre d'habitants que chacun de ses députés européens représente est élevé. Ainsi, un député européen luxembourgeois représente environ 80 000 habitants, tandis qu'un député européen allemand en représente 830 000.
Enfin, s'il existe certaines règles communes, comme la proportionnelle, le mode de scrutin n'est pas uniforme.
Le Traité de Lisbonne fixe le nombre maximal de députés européens à 750 plus le président (soit 751). Le nombre maximal de députés européens avait été fixé à 732 par le traité de Nice. Le traité de Lisbonne prévoit également un seuil minimal de six députés européens et un seuil maximal de 96 députés par Etat membre. En revanche, à la différence des traités antérieurs, le traité de Lisbonne ne détermine pas lui-même le nombre de députés européens par Etat membre. En effet, le traité de Lisbonne renvoie sur ce point à une décision du Conseil européen, adoptée à l'unanimité, sur proposition du Parlement européen et après son approbation.
L'article 2 du protocole sur les dispositions transitoires annexé au traité de Lisbonne prévoit ainsi qu' « en temps utile avant les élections européennes de 2009, le Conseil européen adopte (...) une décision fixant la composition du Parlement européen ». Seule institution européenne élue au suffrage universel direct, le Parlement européen se voit ainsi reconnaître un rôle de premier plan pour déterminer sa composition interne.
Cette solution présente aussi l'avantage d'éviter que chaque nouvel élargissement rende nécessaire une révision des traités imposant, outre l'unanimité au Conseil, une ratification unanime des Etats membres.
En juin 2007, le Conseil européen a donc invité le Parlement européen à présenter lui-même un projet concernant sa future composition en précisant que cette répartition devait respecter le principe de la proportionnalité dégressive.
Les deux rapporteurs désignés par le Parlement européen, le français Alain Lamassoure pour le PPE et le roumain Adrian Severin pour le PSE, ont présenté un rapport qui a donné lieu à une résolution adoptée le 12 octobre 2007. La résolution du Parlement européen respecte les conditions fixées par le traité : seuil minimal de 6 députés européens pour Malte (contre 5) et seuil maximal de 96 députés européens pour l'Allemagne (contre 99). Elle respecte aussi le principe de « proportionnalité dégressive », qui assure une surreprésentation des « petits pays » par rapport aux « grands ».
En effet, c'est la contrepartie exigée des « petits pays » à la réforme de la règle de la majorité qualifiée au Conseil, et à l'introduction, à partir de 2014, de la règle de la « double majorité » (55 % des États représentant au moins 65 % de la population), qui avantage les pays les plus peuplés. Le Parlement européen a choisi d'utiliser pleinement le chiffre plafond de 750 députés européens en le répartissant entièrement entre les 27 pays membres, sans tenir compte d'éventuels élargissements, considérant qu'un dépassement temporaire, déjà utilisé pour les élargissements précédents, sera toujours possible.
De plus, le Parlement européen a jugé préférable, non pas de « remettre à plat » toute la distribution des sièges, mais d'utiliser la « marge » existante entre le chiffre prévu par le traité de Nice (732) et le nouveau plafond de 750 pour répartir ces sièges supplémentaires aux Etats les moins bien dotés. Ainsi, selon la résolution, L'Espagne aurait quatre sièges supplémentaires, la France, la Suède et l'Autriche 2 sièges chacun, et le Royaume-Uni, la Pologne, les Pays-Bas, la Bulgarie, la Lettonie, la Slovénie et Malte un siège.
La France aurait donc 74 députés européens, contre 72 actuellement. Ce système a le mérite de la simplicité mais il aboutit à une différence de traitement entre les Etats membres. Ainsi, même si l'Allemagne perd trois députés européens en raison du plafond, le nombre de députés européens dont elle bénéficie (96) reste encore très favorable. D'un point de vue strictement arithmétique, la France compte par exemple 19,2 millions d'habitants de plus que l'Espagne et se voit accorder 20 députés européens supplémentaires, alors que l'Allemagne compte 19,5 millions d'habitants de plus que la France mais se voit accorder 22 députés européens supplémentaires. Pour les petits pays, on constate que l'Estonie, qui compte 1,3 million d'habitants, dispose de 6 députés européens, comme Malte, qui compte moins de 400 000 habitants.
En outre, la résolution s'appuie sur les statistiques d'Eurostat pour définir la population de chaque Etat membre. Or, la population résidant sur le territoire de chaque Etat ne correspond pas directement au nombre de citoyens européens. Ainsi, plusieurs millions de Polonais vivant en Irlande ou au Royaume-Uni sont comptabilisés dans la population de la Pologne et non dans celle de leur pays de résidence où ils disposent pourtant du droit de vote.
Le Parlement européen a donc préféré une approche pragmatique plutôt qu'un modèle mathématique. Comme l'a fait valoir notre compatriote Alain Lamassoure, il n'était pas possible, dans le temps imparti, de construire un système idéal et définitif. Dans son article 3, la résolution précise qu'en tout état de cause la décision sur la composition du Parlement européen sera révisée « suffisamment longtemps avant le début de la législature 2014-2019 ». La Conférence intergouvernementale qui a adopté le Traité de Lisbonne a validé cette composition sous réserve de l'octroi d'un siège de député européen supplémentaire à l'Italie. Cette dernière a fortement contesté, en effet, son « décrochage » par rapport aux trois Etats les plus peuplés après l'Allemagne. En conséquence, afin de respecter le plafond de 750 députés européens, il a été décidé d'exclure le Président du Parlement du décompte. C'est la raison pour laquelle on dit que le Parlement européen comprend « 750 députés, plus le président ».
La nouvelle composition du Parlement européen devait s'appliquer aux élections européennes de juin 2009, puisque le traité de Lisbonne devait initialement entrer en vigueur avant le 1er janvier 2009. Toutefois, le 12 juin 2008, le Traité de Lisbonne a été rejeté par une majorité d'Irlandais lors d'un premier référendum. Compte tenu des incertitudes sur l'entrée en vigueur de ce traité, il a été décidé d'organiser les élections européennes de juin 2009 sur la base des dispositions du traité de Nice, avec un nombre de députés européens de 732. Le Conseil européen des 11 et 12 décembre 2008 a toutefois adopté une déclaration prévoyant, au cas où le traité de Lisbonne entrerait en vigueur, qu'une solution transitoire sera mise en oeuvre pour permettre l'entrée des 18 députés supplémentaires en cours de législature. Puisqu'il n'est pas envisageable de priver un député européen de son mandat en cours de législature, il a été décidé de maintenir à 99 jusqu'en 2014 le nombre de députés européens accordés à l'Allemagne, et donc de relever provisoirement le plafond du nombre total de députés européens à 754.
Le Conseil européen a également fixé certaines conditions pour la désignation de ces sièges supplémentaires. Il a ainsi formulé trois options pour les pays concernés :
- une élection ad hoc ;
- la référence aux résultats des élections européennes de juin 2009 (soit la désignation des suivants figurant sur les listes) ;
- ou encore la désignation par le Parlement national, en son sein, du nombre de représentants requis.
Les sièges requis ne peuvent toutefois être pourvus que par des personnes élues au suffrage universel direct et, en cas de désignation par un parlement en son sein, les règles de non cumul des mandats devront s'appliquer.
Après la victoire du « oui » lors du second référendum en Irlande et l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne le 1er décembre 2009, le protocole a été approuvé par la Commission européenne le 27 avril 2010, puis par le Parlement européen le 10 mai 2010. Celui-ci a donné son « feu vert » pour réunir une conférence intergouvernementale, qui s'est réunie le 23 juin 2010 et a adopté ce protocole.
A ce jour, vingt et un États ont ratifié le protocole et seize ont déposé les instruments de ratification. Dans les cinq autres pays restants (Belgique, Grèce, Lituanie, Roumanie, Royaume-Uni), le processus est initié mais des incertitudes entourent certaines procédures. Ainsi, au Royaume-Uni par exemple, la ratification du protocole par le Parlement est incluse dans le projet de loi imposant la tenue d'un référendum sur tout nouveau transfert de compétences à l'Union européenne. En ce qui concerne la désignation des députés européens supplémentaires, certains des douze pays concernés avaient pris les devants en prévoyant, avant les élections, que les députés européens supplémentaires seraient désignés selon les résultats du scrutin de juin 2009. C'est le cas de l'Espagne, de l'Autriche, de la Lettonie, de la Suède, de Malte et de la Bulgarie.
La France, comme le Royaume-Uni, la Pologne et l'Italie, n'a pas souhaité modifier sa législation avant le scrutin du 7 juin 2009 pour ne pas donner l'impression de préempter les résultats du second référendum irlandais. Cependant, tous les autres, hormis la France, se sont ralliés au système des suivants de liste. Aucun Etat n'a souhaité recourir à une élection ad hoc. La France est le seul des douze pays concernés à ne pas avoir choisi de désigner ces deux sièges supplémentaires sur la base des résultats du scrutin de juin 2009.
Cette singularité française mérite quelques explications. D'une part, le Gouvernement français a considéré qu'il n'était pas souhaitable de modifier la législation électorale avant le scrutin du 7 juin 2009, afin de ne pas préempter les résultats du second référendum irlandais. D'autre part, le Gouvernement a estimé qu'il n'était pas possible après le scrutin de 2009 de se référer aux résultats de l'élection pour pourvoir ces deux sièges supplémentaires, compte tenu du découpage entre les huit circonscriptions interrégionales et des évolutions démographiques. En effet, la répartition des sièges entre circonscriptions dépend, en effet, de données démographiques qui ne sont plus aujourd'hui les mêmes que celles qui ont servi de base à l'élection de juin 2009. Le Gouvernement français a donc préféré recourir à une élection par l'Assemblée nationale des deux députés européens supplémentaires. C'est l'objet du projet de loi relatif à l'élection des députés européens, qui a été renvoyé à la commission des Lois et dont l'entrée en vigueur est conditionnée à celle du présent protocole modificatif. Le projet de loi prévoit que les membres de l'Assemblée nationale éliront en leur sein deux députés européens.
Cette élection se déroulera à la proportionnelle et devrait vraisemblablement aboutir à la désignation d'un député de la majorité et d'un député de l'opposition. Ils devront démissionner de leur mandat national. Alors que le texte du protocole dispose que ces représentants seront désignés par « le Parlement national » de l'Etat membre concerné, cette solution revient donc à écarter les sénateurs au bénéfice des seuls députés. Il est vrai que le protocole fixe comme condition que les personnes aient été élues au suffrage universel direct, mais c'est le cas de certains sénateurs exerçant un mandat local (les maires notamment).
Une autre solution possible aurait été de procéder à une élection ad hoc. En septembre dernier, M. del Picchia avait d'ailleurs déposé une proposition de loi afin que ces deux députés européens supplémentaires soient élus par les Français de l'étranger au sein d'une circonscription « outre mer » élargie. Même si le projet de loi ne reprend pas cette solution, il prévoit néanmoins de rétablir la participation des Français établis hors de France aux élections européennes, ce qui mettra un terme à une « anomalie » démocratique et de corriger un oubli de la réforme du scrutin européen de 2003. Les députés européens élus par les Français de l'étranger devraient être rattachés à la circonscription « Ile de France » d'après le projet de loi.
Quelles que soient les réserves ou interrogations que l'on peut avoir à l'égard du mode de désignation des deux députés européens proposé par le Gouvernement, le projet de loi dont nous sommes saisis vise uniquement à permettre de modifier la composition du Parlement européen en accordant notamment à la France deux sièges supplémentaires de députés européens. Par ailleurs, il faut bien avoir à l'esprit qu'il s'agit uniquement de dispositions transitoires qui s'appliqueront jusqu'en 2014. Le vrai débat porte sur la composition du Parlement à compter de 2014. Le Parlement européen a d'ailleurs déjà commencé ses travaux, sur la base d'une proposition de M. Andrew Duff, qui repose sur la définition d'une procédure uniforme d'élection, la création d'un contingent de députés européens élus sur une base transnationale et l'élaboration d'une formule mathématique d'application du principe de proportionnalité dégressive. Autant de sujets d'importance pour l'influence de la France au sein de cette institution qui joue aujourd'hui un rôle majeur dans l'Union européenne.
Je vous proposerai donc d'adopter ce projet de loi.
Je suis alarmé de la proposition faite par le député européen Andrew Duff consistant en une élection transnationale de certains euro-députés, qui me semble contraire à la nature même de leur mandat. Les députés européens représentent en effet les peuples des pays de l'Europe et non pas un « peuple européen » qui n'a pas d'existence. C'est ce qu'a d'ailleurs récemment rappelé la Cour constitutionnelle de Karlsruhe : le Parlement européen ne représente pas le peuple européen, non plus qu'il n'exprime sa volonté générale. Il ne fait que juxtaposer les opinions publiques. Cette proposition me semble étonnante. Comment parer ce type de déviance ? En outre, comment se fera l'adaptation progressive du nombre des députés au fur et à mesure des prochains élargissements et comment prendre en compte les évolutions démographiques ?
Le traité fixe désormais le nombre maximal de députés européens, mais il revient au Conseil européen statuant à l'unanimité, sur proposition du Parlement européen, d'opérer la ventilation entre les États membres. La future composition du Parlement européen, à compter de 2014, devra donc recueillir l'accord unanime du Conseil, ce qui me semble présenter une garantie. Quant à la proposition du député Lib-dem britannique, même dans l'hypothèse où elle ferait l'objet d'une résolution du parlement européen, elle se heurterait à la règle de l'unanimité au Conseil, ne serait ce que parce que notre pays s'y opposerait.
La répartition actuelle nous est défavorable surtout, si, comme c'est légitime, nous comptons les français d'outre mer l'écart avec l'Allemagne ne se justifie pas.
La composition actuelle du Parlement européen résulte d'un équilibre politique trouvé à l'issue de longues négociations ; la France a dû faire des concessions, notamment par rapport à son partenaire allemand.
Pour réagir aux propos de notre collègue Jean-Pierre Chevènement, je me félicite personnellement d'avoir, en la personne d'Andrew Duff, eurodéputé de l'Alliance des démocrates et des libéraux pour l'Europe, un député britannique aussi investi dans les questions européennes. Sur le fond, je rappelle que les pères fondateurs de l'Europe souhaitaient une élection au Parlement européen à l'échelle du continent européen ; l'élection sur une liste transnationale était leur but ultime, les élections sur des bases nationales une simple étape intermédiaire. Je rappelle que certaines évolutions récentes, proposées notamment en leur temps par Mme Elisabeth Guigou, tendaient à ce que les expatriés européens puissent voter directement dans leur pays de résidence. J'ai un regret concernant la représentation des Français de l'étranger au Parlement européen, pour laquelle j'avais fait des propositions. J'aurais souhaité que les deux euro-députés supplémentaires soient issus d'une élection au suffrage universel direct par les Français de l'étranger. Le projet de loi dont est saisie la commission des lois propose, quant à lui, que le suffrage des Français de l'étranger soit désormais pris en compte pour les élections européennes, dans la circonscription Île-de-France.
L'intention des pères fondateurs et les textes fondamentaux sont deux choses bien distinctes. S'agissant de Jean Monnet, sa vision, reposant sur l'édification d'un grand marché, me semble faire peu de cas des souverainetés nationales et refléter davantage une vision américaine et « économiciste ». On a vu les résultats de ces orientations sur la construction européenne ! N'oublions que Jean Monnet était à Alger l'homme des Américains et qu'il devait favoriser le général Giraud au détriment du général de Gaulle et qu'il a continué cette politique une fois la paix revenue !
Je mets aux voix le projet de loi ratifiant le protocole, qui fera l'objet d'un examen en séance publique le 12 mai prochain, dans une discussion commune avec le projet de loi relatif à l'élection des députés européens, dont est saisie la commission des Lois.
La commission adopte le projet de loi.
Lors d'une seconde séance tenue dans l'après-midi, la commission entend M. Ange Mancini, coordonnateur national du renseignement.
Nous recevons cet après-midi M. Ange Mancini, qui vient de prendre il y a quelques semaines ses fonctions de coordonnateur national du renseignement, à la suite du premier titulaire de ce poste, l'ambassadeur Bernard Bajolet.
Il est accompagné du général Christophe Gomart, adjoint au coordonnateur depuis près de trois ans.
Comme vous le savez, M. Mancini a effectué la plus grande partie de sa carrière dans la police nationale où il a traité avec succès de nombreuses affaires liées au grand banditisme et au terrorisme. Il a notamment dirigé le RAID à la création de cette unité, de 1985 à 1990. Il a exercé d'importantes responsabilités au sein de la police judiciaire, avant d'intégrer le corps préfectoral il y a une dizaine d'années.
La création d'un coordonnateur national du renseignement figurait parmi les orientations arrêtées par le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale en 2008.
Je rappelle que l'un des traits marquants du Livre blanc résidait dans l'accentuation du rôle du renseignement, avec l'identification d'une fonction stratégique à part entière, « connaissance et anticipation », justifiant un effort prioritaire.
C'est dans ce cadre qu'ont été arrêtées une série de mesures qui ont sensiblement modifié le paysage français du renseignement au cours des trois dernières années, que ce soit des mesures budgétaires ou des réformes de structure.
Le renseignement intérieur a été réorganisé, la nouvelle DCRI ayant repris les attributions de la DST et une partie de celles des renseignements généraux.
Le pilotage politique des services de renseignement a été renforcé et clairement placé sous l'autorité du Président de la République.
Un Conseil national du renseignement (CNR), formation spécialisée du Conseil de défense et de sécurité nationale, qui est présidé par le Chef de l'Etat, est désormais chargé de définir les orientations stratégiques et les priorités en matière de renseignement, ainsi que d'établir la planification des moyens humains et techniques des services spécialisés.
La création du coordonnateur national du renseignement, en juillet 2008, procède du même esprit. Placé à la Présidence de la République, il doit assurer la mise en oeuvre et le suivi des décisions du CNR. Il établit la liaison entre le Président et les services et doit coordonner l'action de ces derniers.
Cette coordination est d'ailleurs une réalité de plus en plus marquée, notamment en raison de la globalité de menaces comme le terrorisme, qui abolit la frontière entre le renseignement extérieur et le renseignement intérieur.
Je remercie vivement M. Mancini d'avoir bien voulu venir devant notre commission aujourd'hui, alors qu'il inaugure ses nouvelles fonctions.
Nous souhaiterions que vous puissiez évoquer les principaux objectifs qui vous ont été fixés par le Président de la République dans le cadre de votre mission.
Au vu du contexte international et de sécurité actuel, les priorités assignées à nos services de renseignement seront-elles infléchies ?
Sur le plan de l'organisation, comment doit-on évaluer les réformes mises en oeuvre depuis trois ans ? Quels sont les points forts, quels sont les axes d'amélioration, faut-il envisager des ajustements ?
Enfin, vous nous direz certainement comment vous concevez la fonction de coordonnateur qui vient de vous être confiée et qui a, me semble-t-il, démontré toute sa pertinence depuis 2008.
Je voudrais dire en préalable que de toute ma carrière, je n'ai jamais directement relevé d'un service de renseignement. Je ne fais donc partie d'aucune « chapelle ».
La fonction de coordonnateur national du renseignement a été voulue par le Président de la République et elle a été préconisée par le Livre blanc pour amener les services à davantage coopérer. Je suis frappé et satisfait de constater le sens positif dans lequel cette coopération a évolué ces dernières années.
Les six services qui forment la communauté du renseignement ont désormais pris l'habitude de se réunir régulièrement. Il y a encore quelques années, on n'aurait jamais pensé que de telles réunions puisse se tenir sans qu'elles ne ressemblent à une partie de « poker menteur ».
Je dois vraiment, sur ce point, rendre hommage à mon prédécesseur, Bernard Bajolet, qui a mis en place avec succès cette coordination entre services.
Certes, par le passé, certains services entretenaient des relations de travail, notamment la DGSE et la DST. Mais d'autres services participent au renseignement : la Direction du renseignement militaire (DRM), la Direction de la protection et de la sécurité de la défense (DPSD), la Direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DRNED) ou encore la cellule Tracfin. En réalité, parmi ces services, certains s'ignoraient totalement. Le premier bénéfice de la réforme aura été d'amener tous ces services à se connaître et à se parler. Chaque service incarne une facette particulière de notre système de renseignement et apporte sa contribution propre.
Le Président de la République a voulu cette communauté du renseignement et cette coordination afin de disposer, quotidiennement, d'un point sur les questions de renseignement susceptibles de l'intéresser. C'est en quelque sorte un système d'alerte du Président de la République dans le domaine du renseignement.
Le coordonnateur national du renseignement, j'insiste sur ce point, n'est pas une structure de commandement. Chaque service conserve la plénitude de ses responsabilités. En revanche, le coordonnateur peut les orienter vers des domaines qui méritent une attention renforcée de leur part.
C'est en mettant les différents résultats en commun que l'on peut disposer d'une vision complète. Je constate qu'en interministériel comme en interservices, nous bénéficions désormais d'une plus grande cohérence du renseignement.
Vous avez mentionné, Monsieur le Président, la réforme du renseignement intérieur. Mais dans bien d'autres domaines, l'échange et le travail en commun entre services sont indispensables. Je pense par exemple à la protection de notre patrimoine économique, de nos entreprises, de nos industries, qui mérite une attention plus importante. Dans un autre registre, nous mobilisons aujourd'hui l'analyse des différents services sur les zones de conflit qui nous intéressent directement, et s'agissant de l'Afrique du Nord, nous essayons d'évaluer les conséquences que les évènements récents peuvent avoir sur notre sécurité intérieure.
Le coordonnateur national du renseignement est une structure qui a trouvé sa place et son rythme de travail. Je rends une nouvelle fois hommage à Bernard Bajolet qui a mis en place cette fonction et qui représente aujourd'hui la France en Afghanistan.
Le positionnement du coordonnateur lui permet d'avoir une vision d'ensemble de l'action de nos services et de leurs moyens. On a parfois le sentiment que l'impulsion voulue par le Livre blanc en faveur du renseignement s'est essentiellement concrétisée par l'augmentation des effectifs et du budget de la DGSE, qui était au demeurant pleinement justifiée. Considérez-vous nécessaire d'aller au-delà de l'effort engagé au profit de la DGSE pour mettre à niveau nos autres services, particulièrement la DCRI ?
La DCRI bénéficie d'une attention importante dans le cadre du plan national d'orientation du renseignement. Dispose-t-elle de moyens adéquats ? Cela est difficile à apprécier, car on n'a pas encore pleinement mesuré les changements intervenus par rapport à ses missions antérieures. Pour ma part, je considère que la création de la DCRI constitue une mesure très positive faisant disparaître une rivalité un peu stérile entre la DST et les renseignements généraux.
L'une des missions essentielles du coordonnateur national du renseignement est de s'assurer que les services disposent des moyens nécessaires à leur action. Le directeur de la DCRI m'a semblé satisfait de ses moyens, même s'il estime que les choses sont perfectibles.
Votre poste se situe dans le droit fil des recommandations du Livre blanc qui a souhaité une meilleure coordination du renseignement. C'est un objectif que nous partageons, mais disposez-vous des moyens nécessaires pour que cette coordination soit efficiente ?
Je souhaiterais également que vous évoquiez AQMI (Al Qaïda au Maghreb islamique). Je constate que l'exécutif ne communique pratiquement plus sur le sort de nos otages. On peut comprendre la nécessaire discrétion qui doit entourer ce type de situation, mais il me semble que l'opinion publique doit néanmoins disposer d'un certain niveau d'information.
Enfin, nous ne pouvons pas ne pas nous poser la question de l'efficacité du renseignement au regard des bouleversements qui sont intervenus en début d'année dans le monde arabe. Nous n'avons semble-t-il rien vu venir. S'agit-il d'une défaillance du renseignement ou nos services ont-ils adressé au Gouvernement des indications dont il n'a pas tenu compte ?
Le coordonnateur national du renseignement s'est donné les moyens lui permettant de construire une organisation propice à un meilleur fonctionnement des services de renseignement.
Je voudrais rappeler la nature très particulière des activités liées à l'exploitation du renseignement. Le renseignement, c'est un volume considérable d'éléments dont on ne peut rien négliger sans pour autant être certain de leur importance et de leur fiabilité. L'information collectée présente une valeur très inégale. Elle provient parfois de sources sujettes à caution. La grande difficulté est de bien évaluer l'information.
Je suis impressionné par les progrès que nous avons réalisés dans le recueil technique du renseignement. Mais un renseignement d'origine technique doit toujours être confirmé par le renseignement d'origine humaine. Rappelons-nous que la performance du renseignement technique américain n'a pas suffi à éviter le 11 septembre 2011.
L'intérêt de la coordination du renseignement est de pouvoir embrasser toutes les facettes du renseignement.
Je voudrais également souligner l'importance des contacts qui s'établissent désormais entre le Parlement et le monde du renseignement. Ces contacts sont importants pour l'information du Parlement, mais aussi pour les services eux-mêmes et pour le sentiment qu'ils en retirent quant à la légitimité de leur travail.
En ce qui concerne nos otages détenus par AQMI, la vidéo qui vient d'être diffusée est assortie d'un message politique, mais il ne faut pas oublier qu'elle avait été précédée d'une demande de rançon de 90 millions d'euros. J'ai conscience de la difficulté à évoquer publiquement ce type de situation. L'exigence de secret est extrême, car un faux pas ou une déclaration intempestive peuvent mettre en danger la vie des otages. Il est bien évidement exclu de mener des négociations au grand jour. Bien entendu, les familles doivent être informées, mais cela doit se faire de manière très discrète car nous sommes observés. Il faut se ménager une possibilité d'action. Or, plus on parle, moins on peut agir.
Je voudrais dire à ce sujet qu'en tant que coordonnateur national du renseignement, je n'ai pas à connaître précisément de ce qui se passe sur le terrain. Ce n'est pas mon rôle, cela irait au-delà des nécessités liées à ma mission. Je le répète, le coordonnateur national du renseignement n'est pas une structure de commandement ni de décision. Cela ne l'empêche pas de procéder à des analyses à posteriori.
S'agissant de l'anticipation du « printemps arabe » par les services de renseignement et, plus généralement, les pouvoirs publics, je crois qu'il faut rejeter les visions caricaturales. J'ai coutume de dire que la bataille de Waterloo a été gagnée dans toutes les écoles de guerre à compter du jour où il ne fallait pas la perdre. Il est toujours facile de commenter a posteriori. Par définition, il entrait dans la mission de notre diplomatie d'entretenir des relations avec les gouvernements en place.
Ce qui nous mobilise aujourd'hui, c'est d'évaluer l'impact qu'auront tous ces évènements d'Afrique du Nord et du Moyen-Orient sur notre sécurité.
Je rappelle que depuis quinze ans, notre territoire national n'a pas connu d'actes terroristes majeurs. C'est un résultat remarquable qui n'est en rien le fruit du hasard. Mais je lisais récemment les déclarations d'un responsable américain estimant que la disparition du régime Kadhafi rendrait plus difficile la lutte contre le terrorisme. C'est un constat strictement objectif.
La question que nous nous posons aujourd'hui est celle du contrecoup des évènements d'Afrique du Nord et de notre engagement militaire dans la région sur la sécurité du territoire national et au Sahel. Nous avons des craintes réelles sur la dissémination d'armements qui pourraient transiter de Libye vers la zone sahélienne.
Monsieur le coordonnateur, vous avez rappelé à juste titre il y a un instant les défaillances du système de renseignement américain, en dépit de ses moyens techniques, et l'importance primordiale du renseignement humain. Il est nécessaire de disposer sur le terrain de relais faisant remonter le renseignement. Un des derniers exemples en date est celui des arrestations de membres de l'ETA grâce à des informations issues du réseau des gîtes ruraux. Mais le renseignement doit marcher sur ces deux jambes et nous ne pouvons pas non plus nous passer des outils techniques. A cet égard, on peut se demander si les perspectives budgétaires permettront de concrétiser la priorité du Livre blanc en faveur de la fonction « connaissance et anticipation ». Nous souffrons toujours d'importantes lacunes en matière de drones d'observation. Par ailleurs, certains programmes, comme le satellite d'écoute électromagnétique Ceres, semblent être retardés. Pouvez-vous nous apporter des précisions sur ce point ?
Ces questions sont parmi les premières dont j'ai eu à connaître dès ma prise de fonction. Les programmes que vous évoquez représentent des coûts d'investissement très significatifs, mais je crois que leur importance n'échappe à personne. Il faut reconnaître que des efforts remarquables ont été réalisés au cours de ces quinze dernières années. En matière de renseignement d'origine technique, nous avons vraiment changé d'époque. Nous avons rattrapé une grande partie de notre retard. Nous ne sommes peut-être pas encore au niveau des Britanniques, qui ont de très longue date fortement investi dans les moyens techniques, mais nous pouvons nous comparer utilement aux Allemands. Vous avez mentionné les programmes satellitaires. Le système d'observation Helios devrait rester en service un peu plus longtemps que prévu pour qu'il n'y ait pas de rupture avec le système successeur, qui a été légèrement retardé. L'écoute électromagnétique présente incontestablement un intérêt majeur. C'est pourquoi il faut mener à bien le programme de satellite Ceres. Il y a aujourd'hui des discussions sur la possibilité de limiter le glissement de ce programme par rapport au décalage qui avait été initialement envisagé.
Je suis heureux des progrès que vous avez mentionnés en matière de transmission et de partage du renseignement. Une expérience personnelle, à savoir une prise d'otage au siège de l'OPEP dans laquelle il m'avait paru constater la participation du terroriste international Carlos, m'avait amené à regretter que les témoignages transmis à nos autorités aient été très insuffisamment diffusés et exploités. Ma question porte moins sur le renseignement que sur son utilisation au profit d'analyses d'anticipation. Le coordonnateur national du renseignement a-t-il la mission et les moyens de réaliser de telles analyses prospectives ?
Les services de renseignement effectuent effectivement deux grands types d'analyses. Les unes visent à comprendre les évènements passés et à en tirer les conclusions, les autres à anticiper les évènements qui peuvent survenir. La prévision figure bien parmi les missions des services de renseignement. Il est cependant très difficile d'évaluer cette activité orientée sur l'anticipation. Le renseignement est également utilisé pour éviter que des évènements prévisibles finalement ne se produisent pas.
Il me paraît indispensable de renforcer nos capacités de veille politique, géostratégique et économique. Mais comment favoriser le développement de la culture du renseignement dans notre pays, en particulier dans sa dimension internationale ? Les Français établis à l'étranger représentent un formidable potentiel d'information qui me semble sous-exploité. Je constate que les ressortissants américains, chinois ou allemands qui résident à l'étranger constituent autant de relais et de capteurs pour leur pays.
Vous avez raison. Nous n'avons malheureusement pas cette culture, essentiellement anglo-saxonne, du renseignement, même si nous compensons cette faiblesse par d'autres qualités. Une telle culture doit se développer sur un sentiment de fierté nationale et d'appartenance à une communauté. Il faut diffuser, au sein de la population, cette envie de porter la France au plus haut, où que l'on se trouve, et mettre en valeur l'esprit de défense des intérêts nationaux.
Vous estimez qu'il est délicat d'évoquer publiquement les questions liées à nos otages mais pouvez-vous néanmoins donner quelques indications sur la situation de nos compatriotes détenus en Afghanistan et au Niger ? Par ailleurs, on constate ces derniers temps une recrudescence des assassinats en Corse. A quoi l'attribuez-vous ?
La vidéo sur nos otages au Niger est en cours d'expertise afin de vérifier qu'il s'agit bien d'images récentes, ce qui confirmerait que nos compatriotes sont en bonne santé. Il est également toujours important de pouvoir établir un contact avec les ravisseurs. S'agissant de l'Afghanistan, les sérieux espoirs de libération que nous avions à un moment donné ne se sont malheureusement pas concrétisés pour l'instant. Je dois rappeler que pour les autorités françaises, la préservation de la vie des otages reste un objectif prioritaire.
S'agissant de la Corse, nous avons une certaine habitude des règlements de compte. Les motivations politiques et crapuleuses sont parfois entremêlées. On peut avoir certains soupçons sur les commanditaires mais il est toujours extrêmement difficile d'apporter les preuves judiciaires.
Les questions liées aux attaques informatiques prennent une importance croissante dans le champ de la sécurité. Les services gouvernementaux et les entreprises sont de plus en plus ciblés. Cette nouvelle dimension est-elle prise en compte par le Conseil national du renseignement ? Une stratégie, en matière de renseignement, a-t-elle été définie ? Nous savons que des efforts ont été engagés, notamment avec la création de l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (ANSSI). N'avez-vous pas le sentiment que notre organisation et nos moyens sont encore largement sous-dimensionnés face à ces enjeux ? Est-ce un aspect qui sera pris en compte par le Conseil national du renseignement ?
Il s'agit d'un problème extrêmement important, car les attaques sont constantes et très nombreuses. Le niveau de la menace est très élevé et ses effets ne sont pas toujours perceptibles, car il peut s'écouler beaucoup de temps avant que les services de l'Etat ou les entreprises réalisent qu'ils ont été victimes d'une attaque. L'ANSSI effectue un travail d'excellente qualité. Mais, je le confirme, ce n'est pas suffisant, même s'il s'agit d'un bon début. A mon sens, la difficulté vient moins des budgets, qui sont relativement accessibles, que des comportements. La culture du risque informatique est aujourd'hui très insuffisante. Il y a encore beaucoup à faire. De manière plus générale, le renforcement de notre politique en matière de cyberdéfense fait partie des objectifs que je me suis fixé.
Au-delà des réformes touchant l'organisation du renseignement, on peut s'interroger sur les résultats et l'efficacité de notre dispositif. Je reviens sur la question des otages. En Afghanistan, nous avions des interlocuteurs et nous savons peu ou prou où sont nos otages et qui les détient. Les choses paraissent bien différentes pour le Sahel. Mais, plus globalement, la question de nos moyens sur chacun de ces théâtres est posée. Nous voyons bien que la menace s'accentue au Sahel et dans cette région du monde. N'est-il pas temps de procéder à un rééquilibrage entre nos moyens déployés en Afghanistan, notamment en matière de renseignement, et la zone sahélienne ?
Grâce à notre présence militaire en Afghanistan, nous disposons effectivement d'importants moyens de renseignement. Si nous avons pu établir le contact avec les preneurs d'otages, les résultats ne sont malheureusement pas meilleurs qu'au Sahel. Mais je confirme que nous sommes de plus en plus attentifs à cette région.
J'ai omis de répondre à M. Gautier sur ce point. Nous souffrons d'un grand retard en matière de drones. Vous connaissez l'alternative pour le court terme : soit l'achat « sur étagères » du drone américain Reaper, soit des développements sur des matériels impliquant des industriels français. Je suis conscient des enjeux industriels, mais il y a également une certaine urgence à combler nos lacunes. Les décisions ont été reportées du fait des remaniements ministériels. Il faut maintenant qu'elles soient prises rapidement.
S'agissant de la région du Sahel, du Maghreb et du Moyen-Orient, c'est sur elle que nous devons aujourd'hui faire porter notre effort principal.
Je me réjouis de retrouver M. Mancini au poste qu'il occupe. Il a d'abord été un homme d'action, dans les services de police, puis a rejoint le corps préfectoral. Ce parcours l'a préparé à sa nouvelle fonction de coordinateur du renseignement, dans laquelle il doit effectuer la synthèse au profit de ses supérieurs.
Plusieurs collègues ont évoqué les efforts à réaliser sur les moyens techniques, mais rien ne peut remplacer le renseignement humain. Nous sommes ici au moins trois, M. Mancini, M. Chevènement et moi, à avoir une certaine expérience des difficultés liées aux fonctions cruciales que sont l'analyse et l'exploitation du renseignement. Il existe de très nombreux filtres avant que le renseignement ne remonte au niveau des responsables. La qualité et la sensibilité des hommes jouent un rôle fondamental.
Je souhaiterais, Monsieur le coordinateur, que vous nous précisiez de manière plus concrète la teneur de vos fonctions.
La tendance naturelle de chaque service est d'apporter un soin jaloux à préserver la détention de son renseignement et de ne le partager qu'avec beaucoup de réticence et de parcimonie. L'intérêt de la coordination qui a été mise en place est d'avoir permis l'institution d'une véritable communauté du renseignement. Les responsables de l'ensemble des services sont réunis tous les mois. Ils se parlent, ils échangent et se font confiance. Concrètement, le coordonnateur effectue un point de situation quotidien pour le Président de la République. Il assiste régulièrement le Président lors des réunions du Conseil national du renseignement ou des conseils restreints. Le coordonnateur est le conseiller renseignement du Président de la République.
Bien entendu, en tant que de besoin.
Vous avez dit que notre implication dans les évènements en cours en Afrique du Nord risquait d'avoir des conséquences sur notre sécurité. Il est hautement probable qu'à partir de la Libye, des armes ont d'ores et déjà été détournées vers des groupes terroristes. Lorsque je vois les difficultés dans lesquelles nous sommes en Afghanistan et en Libye, je ne peux m'empêcher de penser que nos forces et nos moyens sont actuellement beaucoup trop dispersés. C'est du continent africain que vient la menace principale pour notre sécurité. C'est là qu'il faudra regrouper nos forces et nos moyens.
Je reviens à la difficulté de l'exploitation du renseignement. Parmi la masse des informations, il faut parvenir à distinguer celles qui sont réellement importantes. C'est pourquoi le rôle des moyens techniques doit être relativisé. Les plus grands succès en matière de renseignement reposent sur le renseignement humain.
Je crois que nous avons, en France, cette culture du renseignement humain.
Le coordonnateur national du renseignement dispose d'une quinzaine de collaborateurs.
Il ne s'agissait pas de superposer une nouvelle organisation aux différents services. Le coordonnateur est doté d'une structure légère, conçue comme un outil d'information du Président.
En dehors de votre rôle de synthèse et d'information au profit du Président, quel est votre pouvoir d'initiative ?
Je dirais tout d'abord qu'il est nécessaire d'apprécier le renseignement à l'aune du bon sens. C'est l'intérêt d'un regard extérieur tel que peut l'apporter l'équipe du coordonnateur. Mais il faut également orienter les services sur tel ou tel domaine particulier, et favoriser les échanges. Cela fait partie de notre rôle.
En introduction, vous avez évoqué une époque où des réunions de coordination entre services se seraient résumées à une partie de « poker menteur ». Je me demande dans quelle mesure vous avez les moyens d'éviter qu'il en soit toujours ainsi aujourd'hui. Je reviens sur les évènements en Afrique du Nord, car il s'agit véritablement d'une zone d'intérêt prioritaire pour la France. On a dit que nous n'avions rien vu venir. Mais aujourd'hui, sommes nous pleinement informés sur nos interlocuteurs en Cyrénaïque ? Etes-vous consulté sur ce point ? J'imagine que nous disposons de sources humaines en Libye. A-t-on élaboré un plan de renseignement en vue d'anticiper les évènements ou de les éclairer lorsqu'ils surviennent ?
Une partie de la question que vous soulevez relève de l'analyse politique, qui fait intervenir d'autres entités que les services de renseignement. Mais ces derniers apportent bien entendu leurs éléments d'information, notamment sur les acteurs politiques de l'insurrection libyenne. Je le répète, notre objectif aujourd'hui est d'analyser l'impact que pourront avoir ces évènements sur notre sécurité et nos intérêts.
Avez-vous arrêté des orientations pour analyser les incidences de l'émergence de la Chine comme grand acteur majeur des années à venir ?
Nous disposons d'un outil de planification, avec le plan national d'orientation du renseignement, régulièrement mis à jour. Dans ce cadre, chaque service se voit assigner des orientations précises.
Je souhaiterais des précisions sur la réforme du renseignement intérieur, qui repose sur la distinction entre l'information générale à destination du gouvernement et le renseignement proprement dit. La frontière entre ces deux notions paraît claire, mais il peut y avoir des zones de recouvrement. Comment s'est effectuée la ventilation des personnels des renseignements généraux entre la DCRI et les services d'information générale ?
Les renseignements généraux avaient en charge la surveillance des milieux islamistes. A qui incombe cette mission désormais ?
La réforme mise en oeuvre me paraît pertinente car dans le système antérieur, où coexistaient la DST et les renseignements généraux, la distinction entre l'information générale et le renseignement n'était pas clairement établie. Par exemple, la connaissance et l'analyse du mouvement social relève de l'information générale. Il s'agit de préoccupations de court terme liées à l'ordre public. Ces missions relèvent désormais des services d'information générale qui dépendent de la direction centrale de la sécurité publique. Les milieux islamistes constituent pour leur part un risque qui justifie leur suivi par la DCRI, en charge du renseignement intérieur. La DCRI compte aujourd'hui environ 3 400 personnels. Près du tiers des personnels des renseignements généraux ont rejoint la DCRI, le restant relevant désormais de la direction centrale de la sécurité publique.
Je remercie M. Mancini d'avoir répondu aux nombreuses questions, notamment à celles des anciens ministres de l'intérieur avec lesquels il a travaillé.