La commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à l'entrepreneur individuel à responsabilité limitée s'est réunie à l'Assemblée nationale le mercredi 28 avril 2010.
Elle a procédé à la désignation de son bureau qui a été ainsi constitué :
Patrick Ollier, député, président ;
Jean-Jacques Hyest, sénateur, vice-président, rapporteur pour le Sénat ;
Laure de La Raudière, députée, rapporteure pour l'Assemblée nationale.
La commission a ensuite procédé à l'examen des dispositions du projet de loi restant en discussion, sur la base du texte adopté par le Sénat en première lecture, après que le président Patrick Ollier eut procédé à l'appel des membres de la commission mixte paritaire.
Ce projet de loi revêt une grande importance, répond à un souhait déjà ancien du monde de l'artisanat et constitue une novation juridique majeure qui vient couronner une démarche jusqu'alors contrariée par l'opposition d'un certain nombre de juristes.
La navette parlementaire a permis d'améliorer le texte en dépit du calendrier très resserré. L'Assemblée nationale a particulièrement oeuvré pour prévoir les modalités de transmission d'un patrimoine affecté qui étaient absentes du texte initial. Le débat au Sénat a permis d'identifier un certain nombre de divergences avec les choix opérés par les députés. La divergence principale porte sur l'opposabilité de la réduction du gage consécutive à la création d'un patrimoine affecté aux créanciers dont les droits sont nés antérieurement à cette affectation. Cette disposition, adoptée avec beaucoup d'enthousiasme par les députés, est en effet apparue porteuse d'incertitudes sur le plan constitutionnel.
La commission des lois a également souhaité le maintien de la procédure d'insaisissabilité, dont l'extinction était programmée dans le texte adopté par l'Assemblée. Ce dispositif, institué en 2003, peut présenter un intérêt pour ceux des 1,5 millions d'entrepreneurs individuels qui ne font pas le choix de l'EIRL. D'autres précisions ont été apportées en ce qui concerne le champ de l'ordonnance et la liste des procédures applicables aux EIRL en matière de prévention des difficultés et de sauvegarde des entreprises. Enfin, le délai de l'habilitation pour le Gouvernement a été réduit à six mois dans la mesure où le Sénat a souhaité que la publication de cette ordonnance conditionne l'entrée en vigueur du dispositif de l'EIRL.
La commission de l'économie, saisie pour avis, a particulièrement travaillé sur la réforme du statut d'OSEO et les rapports avec les établissements de crédit et organismes de caution.
Sur la question de la pluralité de patrimoines d'affectation pour une même personne physique, le Sénat a considéré qu'il n'existait pas d'obstacle juridique, mais une telle situation peut s'avérer très complexe dans la pratique. C'est pourquoi il vous sera proposé de reporter l'application de la pluralité de patrimoines affectés au 1er janvier 2013.
Je tiens à saluer la qualité du travail accompli par le Sénat et je souhaite que la commission mixte paritaire puisse déboucher sur un consensus.
Ce texte revêt en effet une importance particulière. Il est attendu depuis plus de trente ans par les artisans et les commerçants. Je tiens à souligner les initiatives prises en faveur de ce dispositif par le président Patrick Ollier et Mme Catherine Vautrin à l'occasion des débats sur la loi de modernisation de l'économie.
Le travail réalisé par les deux commissions du Sénat a permis d'améliorer le texte en approfondissant le rapprochement des règles applicables aux EIRL de celles des EURL et en apportant une plus grande sécurité juridique en ce qui concerne le champ des ordonnances.
Le point de désaccord le plus important porte sur l'opposabilité ou non de l'affectation aux contrats préexistants. L'amendement adopté en séance à l'Assemblée nationale emportait sans doute des conséquences excessives sur le plan juridique. C'est la raison pour laquelle une nouvelle rédaction plus protectrice des droits des créanciers sera proposée, inspirée du régime des fusions d'entreprises et de la cession de fonds de commerce.
Les améliorations apportées par le Sénat ne conduiront pas le groupe SRC à modifier sa position sur ce texte. Pour autant, je suis satisfait de constater que le Sénat a rétabli l'insaisissabilité, ce qui est une mesure de bon sens, qu'il a supprimé l'effet rétroactif de l'affectation en raison du risque d'inconstitutionnalité qui le caractérise et qu'il a poursuivi l'alignement des règles de l'EIRL sur celles de l'EURL, sans opter toutefois pour une véritable réforme de cette dernière. Il subsiste néanmoins une importante interrogation sur l'articulation entre la possibilité pour un mineur d'effectuer une déclaration d'affectation et la limitation actuelle à un patrimoine affecté par personne physique. On peut ainsi imaginer que des parents disposent indirectement d'autant de patrimoines affectés qu'ils ont d'enfants mineurs, d'autant qu'aucune limite d'âge n'est fixée par le texte. Cette question mérite à tout le moins d'être éclaircie si l'on ne veut pas rendre possible la création de douze patrimoines affectés pour une même personne comme pourrait l'illustrer un exemple tiré de l'actualité récente.
L'amendement du rapporteur du Sénat, qui reporte au 1er janvier 2013 la possibilité de constituer plusieurs patrimoines affectés, rejoint les préoccupations de notre groupe en ce qui concerne les dangers d'ouvrir cette faculté à une même personne physique.
À l'article 1er (Statut de l'entrepreneur individuel à responsabilité limitée), la commission examine un amendement de M. Richard Yung visant à interdire à un même entrepreneur individuel de constituer plusieurs patrimoines affectés.
Je ne suis pas favorable à cette proposition de modification. Les risques résultant, selon certains, de la création de plusieurs patrimoines affectés par un même entrepreneur ne reposent sur aucun argument juridique convaincant. Les prélèvements sociaux et les exonérations qui s'appliqueront à l'EIRL sont proportionnels donc la pluralité d'entreprises n'aura pas d'impact sur les prélèvements. Il n'existe pas de limitations de ce type concernant la création d'entreprises unipersonnelles à responsabilité limité (EURL). L'unicité du patrimoine affecté risque de poser des difficultés, comme dans le cas d'un agriculteur en entreprise agricole à responsabilité limitée développant une activité de tourisme, essentiellement commerciale, ne pouvant pas être couverte par l'entreprise agricole.
Cependant, afin de lever les inquiétudes et de ne prendre aucun risque, je propose un amendement à l'article 10 reportant à 2013 la possibilité de disposer d'une pluralité de patrimoines affectés. Le législateur pourra ainsi juger dans l'intervalle si l'entrée en vigueur de cette disposition apparaît toujours opportune.
Je suis favorable à la pluralité des patrimoines affectés mais je reconnais que l'EIRL constitue une innovation juridique importante. Il est donc sage de reporter cette possibilité à 2013.
Il faut reconnaître le bien-fondé des arguments des rapporteurs et du parallèle établi entre EIRL et EURL.
Je retire mon amendement au profit de l'amendement du rapporteur à l'article 10.
La commission examine ensuite un amendement de la rapporteure visant à rendre opposable aux contrats en cours la déclaration d'affectation à la condition que les créanciers aient été informés de la constitution de l'EIRL et qu'ils disposent d'un droit d'opposition.
Cette proposition représente une évolution notable par rapport à la disposition adoptée initialement par l'Assemblée nationale et rejetée par le Sénat, qui prévoyait une opposabilité de plein droit aux créanciers antérieurs.
Je rappelle que la disposition rétroactive qu'a adoptée l'Assemblée nationale et qui ne prévoyait pas de mécanismes d'information présentait un risque important d'inconstitutionnalité car l'atteinte portée aux contrats en cours n'était justifiée par aucun motif d'intérêt général. Je suis donc favorable à la proposition de compromis présentée par la rapporteure à condition que les modalités d'information des créanciers soient revues afin de substituer à l'information par voie de publicité générale une information individuelle.
Ma proposition ne fait qu'appliquer la règle la plus usuelle dans le code de commerce en cas de cession ou d'apport en société de fonds de commerce, ainsi qu'en cas de fusion de sociétés ou de réduction du capital. Il n'y a pas lieu d'innover par rapport à ces règles.
J'insiste sur la nécessité de ne pas déséquilibrer les rapports d'affaires. Les publications dans les journaux d'annonces légales sont d'ailleurs sans effet.
La proposition de Mme de La Raudière n'est pas satisfaisante. Les créanciers des entrepreneurs individuels sont de deux types : les banquiers, qui réussissent généralement à se couvrir en prenant des garanties spécifiques, et les petits créanciers qui n'ont pas de structures juridiques, les fournisseurs, qui sont souvent de petits entrepreneurs, eux aussi, et qui seront pénalisés par la limitation de leur droit de gage. A titre de comparaison, le passage à un régime matrimonial de séparation n'est pas opposable aux créanciers antérieurs.
À mon sens, l'application aux créances en cours serait la porte ouverte à la fraude et à l'organisation de l'insolvabilité. Par ailleurs, en matière d'information, les modalités classiques ne paraissent pas adaptées dans la mesure où il existe partout un petit journal d'annonces légales que personne ne lit. Il ne faut pas raisonner par analogie avec les modifications de capital des sociétés, car les créanciers d'une société savent qu'ils traitent avec une société et non un individu.
J'aurais souhaité que le projet de loi soit examiné en Congrès à Versailles : à mes yeux, c'est le travail du Sénat qui a permis de sauver l'EIRL. Madame la rapporteure, je vous propose de tenir compte des suggestions de M. Jean-Jacques Hyest.
L'objectif d'une commission mixte paritaire est de construire un consensus. J'invite les membres de la commission à trouver un accord sur les modalités de mise en oeuvre, les objectifs de la rapporteure semblant faire consensus.
Ne pas appliquer cette disposition aux contrats en cours conduirait à ce que les créances des mêmes créanciers soient pour certaines, nées antérieurement à la constitution du patrimoine affecté, gagées sur la totalité du patrimoine et pour d'autres, nées postérieurement, sur le seul patrimoine affecté. Il n'y a pas lieu de déroger à la règle habituelle dans le code du commerce d'information par voie de publication. En tout état de cause, les partenaires commerciaux d'un entrepreneur individuel savent très bien qu'ils sont en rapport avec une entreprise.
Les entrepreneurs individuels n'ont pas beaucoup de créanciers et ces créanciers doivent être informés convenablement, par des moyens réels et pas une simple publication. Par ailleurs, la comparaison avec l'EURL, qui est une société dont on peut suivre la vie, n'est pas pertinente.
En résumé, M. Jean-Jacques Hyest propose d'adopter l'amendement de la rapporteure à condition que soit adopté un sous-amendement supprimant la mention explicite de l'information par voie de publication et renvoyant à des précisions fixées par voie réglementaire.
La rétroactivité de la limitation des créances peut avoir des effets pervers sur l'activité des EIRL.
En cas de procédure collective, il existe une procédure d'information et une faculté pour le juge d'accorder un relevé de forclusion qui, dans la pratique, bénéficie aux petits créanciers. Les créateurs d'EIRL doivent assumer la responsabilité de l'entreprise qu'ils créent. Il faut espérer que le décret sera rédigé conformément à l'intention de la commission mixte paritaire.
Le contrôle du respect de l'intention du législateur par le pouvoir réglementaire est justement l'objet du contrôle d'application des lois que les commissions permanentes sont tenues de réaliser.
Je propose d'ajouter que l'entrepreneur individuel à responsabilité limitée doit pouvoir justifier de l'information des créanciers pour que la constitution du patrimoine affecté soit opposable aux créanciers antérieurs.
Je rappelle que des mécanismes de confusion des patrimoines sont prévus par le projet de loi afin d'éviter les cas de fraude. Afin de trouver une solution, je me range au compromis proposé par le rapporteur.
Après que M. François Pillet, sénateur, a retiré sa proposition de sous-amendement, la commission adopte le sous-amendement du rapporteur puis l'amendement de la rapporteure ainsi sous-amendé.
Puis la commission examine un amendement du rapporteur visant à ce que tous les comptes des EIRL soient transmis au greffe du tribunal de commerce afin de permettre au greffe de préparer convenablement le travail de prévention des difficultés des entreprises.
Cette proposition présente un caractère tardif, mais elle correspond pleinement au souhait du Sénat de voir appliquer pleinement à l'EIRL les règles concernant les procédures collectives.
La commission adopte cet amendement, puis un amendement rédactionnel du rapporteur et l'article 1er ainsi modifié.
À l'article 1er bis AA (Possibilité d'autoriser les mineurs à créer une EIRL), la commission adopte ensuite deux amendements de la rapporteure visant à encadrer, par un certain formalisme, l'autorisation pour un mineur d'accomplir les actes d'administration nécessaires à la création d'une EIRL.
La commission adopte ensuite sans modifications l'article 1er bis AA ainsi modifié, puis l'article 1er bis A (Centralisation du répertoire national des métiers par l'assemblée permanente des chambres de métiers et de l'artisanat), l'article 3 bis (Extension aux entrepreneurs individuels à responsabilité limitée, ainsi qu'aux sociétés à responsabilité limitée, exploitations agricoles à responsabilité limitée et sociétés d'exercice libéral à responsabilité limitée à associé unique, du bénéfice de la limitation à deux ans du droit de reprise de l'administration fiscale en matière d'impôt sur le revenu, d'impôt sur les sociétés et de taxes sur le chiffre d'affaires) et l'article 5 (Habilitation du Gouvernement à adapter les règles relatives à la prévention et au traitement des difficultés des entreprises, à procéder aux harmonisations nécessaires en matière de droit des sûretés, de droit des procédures civiles d'exécution et de surendettement, habilitation du Gouvernement à prendre les dispositions nécessaires pour l'application de la loi dans les collectivités d'outre-mer).
Puis à l'article 6 (Extinction du mécanisme de la déclaration d'insaisissabilité), la commission examine un amendement de suppression du rapporteur.
Je suis favorable à cet amendement mais je crains que l'empilement des dispositifs crée une certaine complexité pour le chef d'entreprise.
La commission adopte l'amendement du rapporteur.
La commission examine ensuite, à l'article 6 bis A (Changement de statut d'OSEO) un amendement de suppression présenté M. Richard Yung.
Il n'y a aucun lien entre le projet de loi et ces dispositions adoptées sans vrai débat.
Il faut au contraire saisir l'occasion qu'offre le projet de loi pour permettre à OSEO de jouer pleinement son rôle dans le soutien aux entreprises et ainsi permettre le succès de l'EIRL. Ces dispositions sont le fruit du travail de la commission des affaires économiques du Sénat.
La commission rejette l'amendement, puis adopte sans modifications l'article 6 bis A, l'article 6 bis (Garanties pouvant être exigées des entrepreneurs individuels par un établissement de crédit), l'article 7 (Relèvement du seuil au-delà duquel est obligatoire l'intervention d'un commissaire aux apports pour évaluer un apport en nature lors de la constitution d'une société à responsabilité limitée) et l'article 8 bis (Habilitation du Gouvernement à transposer par voie d'ordonnance la directive 2007/36/CE).
À l'article 10 (Entrée en vigueur des dispositions du projet de loi), la commission adopte ensuite un amendement du rapporteur visant à reporter à 2013 l'entrée en vigueur de la pluralité des patrimoines d'affectation, puis l'article 10 ainsi modifié.
La commission mixte paritaire adopte enfin, ainsi rédigées, l'ensemble des dispositions du projet de loi relatif à l'entrepreneur individuel à responsabilité limité.