Monsieur le préfet, nous sommes très heureux de vous accueillir pour la première fois devant notre commission. Vous étiez jusqu'à cet été préfet de la région Auvergne et avez été nommé délégué interministériel à l'aménagement du territoire et à l'attractivité régionale le 12 août dernier. Parallèlement, le Gouvernement vous a confié la mission de configurer le Commissariat général à l'égalité des territoires.
Thierry Wahl a rendu un rapport sur ce sujet il y a bientôt un an. Nous l'avions d'ailleurs auditionné dès le mois de décembre pour qu'il nous en présente les grandes lignes. Nous avons également entendu la ministre Cécile Duflot le 2 juillet dernier. Elle nous a confirmé le souhait du Gouvernement de voir naître ce Commissariat général.
Pouvez-vous nous indiquer où vous en êtes et surtout quelles sont les priorités que vous entendez mettre en oeuvre au cours des prochains mois ?
Notre commission, qui a l'aménagement du territoire parmi ses compétences, est impatiente de vous entendre.
Je suis venu notamment accompagné de Raphaël Le Méhauté, secrétaire général du comité interministériel des villes. Le principe de la création d'un Commissariat général à l'égalité des territoires a été acté par le Comité interministériel pour la modernisation de l'action publique de juillet 2013. Il devrait voir le jour au début de l'année 2014. Pour reprendre les termes du communiqué de Cécile Duflot et François Lamy en conseil des ministres le 18 septembre dernier, sa feuille de route est la suivante : « il s'agit, conformément au pacte républicain, de restaurer l'égalité des chances quel que soit le lieu de naissance, de résidence ou de travail. La politique du Gouvernement en faveur de l'égalité des territoires se fonde sur deux principes : d'une part, assurer la continuité territoriale de la République, à commencer par l'accessibilité du service public ; d'autre part, donner les moyens à chaque territoire de développer son potentiel en fonction de ses spécificités, au service de ses habitants et de son dynamisme économique et social. » Dans ce cadre, notre rôle est de donner un sens à cette politique et de construire un outil afin de la mettre en oeuvre.
Le spectre de cette politique est très large. Je la définis par trois contradictions qui sont souvent formulées à son sujet. En premier lieu, certains considèrent que l'égalité des territoires n'existe pas et qu'elle représente un idéal, les territoires étant par définition inégaux. Or, les inégalités territoriales sont bien une réalité, qu'elles concernent l'accès aux services ou aux infrastructures de transport ou numériques. La politique d'égalité des territoires est donc avant tout une politique qui vise à réduire ces inégalités.
En second lieu, il est parfois dit que l'égalité sociale prime sur l'égalité territoriale. Il est vrai que l'égalité sociale est essentielle. Mais la question posée par le concept de l'égalité territoriale est celle de l'égalité entre les habitants des différents territoires. Dans ce cadre, la lutte contre les inégalités territoriales recoupe celle qui est menée contre les inégalités sociales. En témoigne par exemple la question de l'accès aux moyens culturels, tant dans les milieux urbains sensibles que dans les milieux ruraux. Ces deux concepts d'égalité sont fortement liés.
Enfin, des craintes ont été exprimées quant à la disparition de la ruralité au profit de la ville par la création de ce Commissariat à l'égalité des territoires. Or, pour la première fois, il y aura une administration - à caractère interministériel, je le rappelle, placée sous l'autorité du Premier ministre - qui aura une vision des territoires dans leur globalité. Le but de cette instance n'est pas de rechercher un égalitarisme entre les territoires, mais d'avoir une vision complète de ces derniers. Il s'agit par exemple, de prendre davantage en compte la problématique européenne, qui l'est aujourd'hui très peu, dans la politique des territoires.
Le Président Hollande a voulu un ministère de l'égalité des territoires, dont j'approuve le principe. Mais depuis un an et demi, nous ne voyons pas très bien ce qui change. La transformation de la DATAR en Commissariat à l'égalité des territoires donne l'illusion d'un changement, alors qu'il n'y a pas eu beaucoup d'évolution dans les différentes politiques, importantes pour l'aménagement du territoire, qu'il s'agisse du numérique ou de la démographie médicale. Hier, nous avons entendu Fleur Pellerin, qui s'est exprimée sur la création d'une agence du numérique ; aujourd'hui, nous évoquons la création d'un nouveau commissariat. Cela donne l'impression que l'inaction du Gouvernement est compensée par la création de nouvelles structures administratives. Outre le fait que ce nouveau commissariat va certainement coûter plus cher, pouvez-vous nous préciser pourquoi il est créé, en quoi son action sera différente de celle de la DATAR, et quelles seront ses interventions dans les différents domaines que sont le numérique, le médical mais aussi la question des rythmes scolaires ? J'en comprendrai peut-être mieux l'utilité.
Les sujets que vous allez traiter sont vastes et importants. Contrairement à mon collègue, j'estime que cette création est un signe fort du Gouvernement. Les territoires font l'objet d'inégalités considérables depuis longtemps. Le débat au sujet des rythmes scolaires me semble un peu surfait : les inégalités entre les collectivités territoriales existent de longue date et concernent bien d'autres politiques. Par ailleurs, certaines villes ont mis en place les rythmes scolaires avec succès, comme la mienne. Il me semble donc important de préciser que cela peut bien se passer.
Les territoires ruraux et périurbains sont au coeur des inégalités les plus profondes, qu'elles concernent la mobilité, la santé ou la sécurité. La problématique du Front national existe parce que les habitants de certains territoires ne se sentent pas à égalité avec les habitants d'autres territoires. S'il y a donc un effort à faire, c'est celui-là, y compris en ce qui concerne le numérique. Les territoires ruraux et périurbains ont des attentes fortes dans ce domaine.
J'ai les mêmes préoccupations qu'Hervé Maurey. Les concepts que vous avez évoqués sont creux et sans contenu. Comment comptez-vous procéder, et suivant quelle méthodologie ? Pourriez-vous nous indiquer vos objectifs, afin que nous puissions dresser un bilan dans un an ? J'ai apprécié votre définition de la politique d'égalité des territoires comme une politique qui s'attache à la réduction des inégalités ! Mais c'est un voeu pieu. Nous attendons des mesures concrètes.
Dans le domaine des transports, il n'est évidemment pas question de desservir tous les petits hameaux par le TGV ; il restera toujours une inégalité. Pourriez-vous m'indiquer ce que vous comptez faire pour les territoires insulaires comme la Corse ?
Lors d'une réunion avec les maires de mon département, les 120 à 130 maires présents ont dressé le constat d'une impossibilité à mettre en oeuvre la réforme des rythmes scolaires faute de moyens.
A mon sens, le débat ne devrait pas se focaliser sur la question des rythmes scolaires, dans la mesure où il existe des inégalités bien plus graves que celle-là. Je ne m'oppose pas à ce que vous l'évoquiez, mais peut-être devrions-nous ne pas oublier les autres sujets.
Je voudrais parler d'aménagement du territoire... Je me félicite du retour de l'Etat stratège et de la planification. En matière numérique par exemple, il y avait un grave retard, puisque dans le passé récent, les déclarations d'intention formulées ont rarement été suivies d'effet. Les nouveaux dispositifs mis en place par le Gouvernement pour favoriser les territoires les plus éloignés portent leurs fruits. Les aides du fonds national pour la société numérique en direction des collectivités territoriales ont été multipliées par deux. A un moment où l'on parle des métropoles, je suis sensible à l'apport que constitue le numérique, en termes de service à la population comme de développement économique. Le télétravail peut éviter l'engorgement des métropoles, qui entraîne une consommation de carburant et étrangle la vie sociale. Je reconnais donc que l'intention est là.
En ce qui concerne les autres infrastructures, je voudrais rappeler que lorsque nous avons voulu ouvrir le dossier du canal Seine-Nord-Europe, le financement était évanescent. Aujourd'hui, ce projet fait l'objet d'une impulsion nouvelle, sous l'égide de notre collègue député Rémi Pauvros. Je constate également un retour de la volonté de mobiliser les crédits européens, aujourd'hui peu utilisés, en particulier sur les grands dossiers de modernisation des infrastructures.
Il ne faut pas s'embarquer dans la polémique. L'aménagement du territoire est délaissé depuis 35 ans, par tous les gouvernements qui se sont succédé, et les écarts de richesse entre les territoires se sont considérablement accrus. D'ailleurs, dans les débats sur l'aménagement du territoire, à l'Assemblée nationale comme au Sénat, le clivage apparaît davantage entre territoires riches et territoires pauvres qu'entre gauche et droite.
Le vrai problème est que l'argent public est de plus en plus rare pour mettre en place les mesures, nécessairement inégales et inégalitaires, qui permettent de corriger ces écarts. J'aimerais que l'on avance dans la définition de ces mesures, à l'échelle de territoires pertinents, et que l'on ne s'en tienne pas à l'énonciation de grands principes au niveau national.
L'autre réalité dont il faut prendre acte, est que la péréquation verticale, par le biais de l'État, est plus facile à mettre en oeuvre que la péréquation horizontale, qui repose sur la solidarité entre les régions. Or nous avons commis une grave erreur en laissant s'installer un État fantôme en région, tout en organisant la disparition d'un État opérationnel au niveau du département. Je fais partie de ceux qui ont prôné ce schéma à l'époque, et je considère aujourd'hui qu'il s'agit d'une mauvaise solution. Il n'est même pas sûr que l'on y ait franchement gagné en termes d'économies d'agents de l'État.
Je trouve sain en revanche, monsieur le Préfet, que vous soyez directement placé sous l'autorité du Premier Ministre. Les grands concepts de politique d'aménagement du territoire ont été inventés, au début de la Vème République, par des personnages emblématiques comme Olivier Guichard, que l'on avait coutume d'appeler « le Premier Ministre bis ». Il est positif que l'on remette l'opérationnalité au niveau du Premier Ministre, car cela fait autorité sur chacun des ministères.
Il faut également revenir sur la notion de contrat. L'égalité territoriale part toujours du principe « aide-toi, le ciel t'aidera ». Je viens d'un territoire pauvre, les Ardennes, et nous avons compris depuis longtemps que pour avoir une autoroute, il fallait en payer une bonne partie. Le département a donc apporté près du tiers du financement du désenclavement autoroutier au cours des 25 dernières années. Les contrats avec l'État doivent se construire à partir des déficits et des potentiels des territoires.
Vous avez souligné une chose très importante, monsieur le Préfet, c'est notre incapacité à profiter de la dynamique des fonds européens. Depuis sa création, l'Union européenne est fortement engagée dans la politique d'aménagement du territoire. Mais nos régions se « cantonalisent » de plus en plus et sont totalement absentes au niveau européen, pour le plus grand bonheur des régions allemandes, italiennes ou espagnoles.
En ce qui concerne les rythmes scolaires, je ne veux pas entrer dans la polémique. C'est un débat de spécialistes, et je n'ai pas à me prononcer sur l'avantage ou l'inconvénient de tel ou tel système. Je constate simplement qu'en termes d'équipements culturels et sportifs, les territoires pauvres n'ont pas la capacité de rendre opérationnels ces nouveaux rythmes scolaires pour permettre aux élèves d'en tirer les bienfaits pédagogiques. Il faut clairement poser le débat de l'inégalité de l'offre culturelle entre les territoires.
En conclusion, la rareté de l'argent public nous conduit à être plus sélectifs en matière d'aménagement du territoire. Pour autant, il est urgent de mettre en oeuvre cette politique, car les inégalités se creusent, dans les territoires ruraux qui meurent à petit feu comme dans les banlieues du désespoir, en troisième couronne des grandes métropoles.
Pour aller à l'essentiel, j'ai cinq questions à poser. Quelle est la plus-value de la création du Commissariat général à l'égalité des territoires par rapport à la DATAR ? Comment peut-on concilier un aménagement du territoire égalitaire avec des moyens financiers restreints ? Comment concevez-vous le rôle de la SNCF en matière d'égalité des territoires, sachant que l'on modifie précisément son statut sous la pression des 40 milliards d'euros de dette ferroviaire ? La politique d'égalité des territoires n'est-elle pas contradictoire avec l'affirmation des métropoles ? Enfin, sans vouloir rentrer dans les débats politiciens, comment envisagez-vous la réforme des rythmes scolaires dans les communes rurales qui, de l'aveu des maires concernés, n'ont pas les moyens de cette politique ?
La question des rythmes scolaires est très révélatrice des difficultés d'aménagement du territoire.
D'accord, il y a bien une difficulté à appliquer cette réforme. Mais on ne peut pas pénaliser l'objectif principal, l'éducation des enfants, au motif d'inégalités territoriales anciennes qui n'ont pas été suffisamment corrigées. Il serait probablement judicieux que l'on prévoie un coefficient d'intervention indexé, par exemple, sur le potentiel fiscal d'un territoire, pour déclencher une aide d'État spécifique, à l'instar de ce que l'on pratique en matière d'aménagement numérique. Il faut travailler sur cette question, mais tout de même, il y a bien d'autres inégalités en matière de services publics de base, comme la santé ou la culture.
Le point central, c'est que l'on passe d'une compétition entre les territoires, héritée de la Délégation interministérielle à l'aménagement du territoire (DIACT), à une politique d'égalité des territoires. Je ne m'insurge pas contre le fait que l'on évoque les rythmes scolaires, mais notre commission est chargée d'une compétence importante en matière d'aménagement du territoire et il faut que nous parvenions à un consensus. Il en va de l'intérêt de notre pays et cela dépasse les problématiques sectorielles que vous évoquez.
Excusez-moi, je n'interviens jamais, mais là, c'est Hervé Maurey qui a allumé le feu !
Il a sans doute eu raison d'allumer le feu. L'inquiétude ne porte pas sur les bienfaits des nouveaux rythmes scolaires, mais sur la capacité à les mettre en oeuvre. Il faut que l'État accompagne davantage les territoires pauvres pour mettre en oeuvre cette réforme.
C'est ce que je voulais dire en parlant d'inventaire et de méthodologie. Les rythmes scolaires, encore plus que l'aménagement numérique, sont révélateurs des inégalités criantes entre les territoires. Il nous faut un inventaire de ces inégalités.
Je ne fais pas partie de ceux qui tiennent des discours différents selon qu'ils sont dans la majorité ou dans l'opposition. J'ai toujours dit qu'il n'y avait plus de politique d'aménagement du territoire sous la précédente majorité. Ce que je dis simplement aujourd'hui, c'est que je ne vois aucun changement. On l'a bien vu hier avec Fleur Pellerin, il n'y a aucune évolution en matière d'aménagement numérique par exemple. Ce qui m'insupporte, c'est que l'on nous fasse croire que les choses sont en train de bouger.
On voit monter la souffrance des territoires, et je crois que la création du Commissariat général à l'égalité des territoires envoie un signal politique fort. Le pays s'interroge, enfin, sur l'aménagement de son territoire, avec une approche différente de celle retenue dans les années 1970. En ce qui concerne la manière dont tout cela va fonctionner et les priorités retenues, je formulerai trois questions.
La première porte naturellement sur la définition de l'inégalité entre les territoires. On manque cruellement d'indicateurs en la matière. Une analyse en termes de richesse ne suffit pas. Le mouvement général aujourd'hui est davantage celui d'un morcellement au sein des territoires que d'un creusement des écarts de richesse entre territoires. Quels vont être les indicateurs retenus pour orienter la stratégie de l'État ?
Mon deuxième point porte sur les leviers d'action de cette politique d'aménagement du territoire. Il y a, d'un côté, une décentralisation qui se heurte aux conservatismes, où l'on ne donne pas aux régions de réelles capacités en matière de schémas prescriptifs. Il y a, de l'autre côté, une Europe qui monte en puissance, même si le nouveau budget européen ne mettra pas les mêmes moyens sur un certain nombre de territoires en France. Nos régions sont faibles et peu visibles en Europe, tandis que la planification territoriale souffre dans un contexte où l'État n'arrive plus à articuler les différents niveaux d'intervention. Allez-vous essayer de définir une doctrine d'aménagement du territoire qui intègre l'ensemble des intervenants et des leviers-clés de la planification territoriale ? Cette question dépasse peut-être vos prérogatives, monsieur le Préfet, mais il y a un vrai problème de levier régional.
Mon troisième point porte sur l'articulation entre le monde urbain et le monde rural. On reste dans une lecture française qui ne correspond pas à la réalité des choses. Ces territoires sont très imbriqués, et on a du mal à en prendre conscience. Il y a certes la métropole dont le territoire d'influence est entendu largement au-delà du strict périurbain. Mais on évoque peu les villes moyennes, dont le rôle en matière d'équilibre des territoires est primordial, et qui ne figurent dans aucune stratégie. Allez-vous faire de ces villes moyennes, de leur articulation avec les métropoles, de leur fonctionnement en réseau, un axe important de votre réflexion ?
Ce débat me rappelle un peu l'audition de Mme Duflot, où l'on s'entendait dire qu'avant rien n'avait été fait, et que l'on allait maintenant passer de l'ombre à la lumière. Il y a pourtant eu des avancées pour nos territoires sous l'ancienne majorité, avec les pôles d'excellence rurale et les maisons de santé pluridisciplinaires par exemple. Alors arrêtons de prétendre qu'aujourd'hui tout va changer. Que s'est-il passé en un an et demi ? Absolument rien. Dans les faits, l'aménagement du territoire est délaissé depuis trente ans, par les gouvernements de gauche comme de droite, donc il faut cesser de se renvoyer la balle.
Je vois aujourd'hui trois grandes priorités pour l'aménagement du territoire dans notre pays. La première est l'égalité devant la santé, qui est très attendue de nos concitoyens, et qui rentre pleinement dans les attributions de la DATAR. La deuxième est l'égalité numérique, qui me paraît aujourd'hui essentielle. On nous parle de très haut débit alors que dans ma commune certaines personnes n'ont même pas accès au bas débit. La troisième est l'égalité devant les transports, qu'il s'agisse des lignes secondaires pour le ferroviaire ou des lignes à grande vitesse. Monsieur le Préfet, venant d'une région un peu défavorisée, l'Auvergne, vous savez que la ligne Vierzon-Bourges-Montluçon n'est pas électrifiée et que, depuis des mois, les gens doivent aller en bus de Montluçon à Vierzon pour prendre le train. Trouvez-vous normal que l'on vide peu à peu les lignes de cette manière ? Il y a un vrai travail à faire entre la DATAR et la SNCF pour enrayer la désertification du monde rural.
En ce qui concerne votre positionnement, allez-vous être sous la tutelle du ministère de l'Égalité des territoires et du Logement, ou est-ce que vous aurez directement la tutelle sur des missions transversales incluant différents ministères ?
Enfin, de quels moyens allez-vous disposer pour mettre en oeuvre une réelle politique d'aménagement du territoire et une stratégie d'investissement permettant de relancer la croissance ? Il faudra sans doute faire un peu de dette supplémentaire, il n'y a pas de honte à cela si c'est pour financer des investissements et non du fonctionnement. Quelle stratégie envisagez-vous également pour faire redescendre quelques crédits des fonds de l'Union européenne ?
Je veux être positif. Je me félicite de la volonté de retour de l'État dans l'aménagement du territoire, et pour le reste, je jugerai sur pièces.
Il y a déjà quelques résultats. Je suis surpris d'entendre Hervé Maurey, que j'ai connu plus modéré, dire qu'il ne se passe rien en matière d'aménagement numérique. La feuille de route a mis en place des outils opérants et des financements pour favoriser le déploiement du très haut débit. Et les collectivités locales ne sont pas en reste, avec des référentiels, des moyens et des schémas d'organisation pour leur développement numérique.
En ce qui concerne l'accroissement des inégalités, je ne m'étendrai pas sur les statistiques. Elles se réduisent entre régions et augmentent au niveau infra régional voire infra départemental. Je veux surtout attirer votre attention sur le rôle respectif des métropoles, des régions et des départements. De même que les villes moyennes ont un rôle important à jouer, j'ai la conviction que les départements ont vocation à tenir le haut du pavé en matière d'aménagement du territoire. Ils sont le lieu de la péréquation et de la concertation. Quant aux métropoles, l'enjeu n'est pas celui de leur concurrence, mais de leur complémentarité. Votre commissariat, monsieur le Préfet, a un travail important à mener dans ce domaine-là.
Je voudrais simplement ajouter qu'en tant que président d'une grande association de collectivités territoriales en matière de communications électroniques et d'audiovisuel, l'AVICCA, je peux mesurer l'investissement de toutes toutes les collectivités de France qui s'engagent résolument dans le numérique et qui reçoivent des aides. Le département de l'Oise que je préside vient de recevoir une lettre d'attribution du Premier Ministre de plus de 50 millions d'euros pour la mise à très haut débit du territoire. Et ce n'est pas le seul puisqu'une vingtaine de collectivités ont reçu un courrier semblable.
Je me félicite du retour de l'État, mais je m'interroge monsieur le Préfet. Sachant que le plan a disparu, comment allez-vous vous coordonner avec les comités de toute nature qui émettent des idées et qui en restent là ? Quel pouvoir avez-vous pour dégager une synthèse ? Et quels sont concrètement vos moyens financiers ? Enfin, comment comptez-vous utiliser les pôles de compétitivité qui ont, pour certains, dégagé des moyens d'excellence qui fertilisent leur territoire ?
Je vous remercie pour toutes ces questions.
Je commencerai par insister sur le fait que la création de ce Commissariat général traduit la volonté du gouvernement de développer une véritable stratégie territoriale. Cette stratégie a existé au début de la Vème République, mais dans un contexte radicalement différent. Aujourd'hui, la France est largement décentralisée, et c'est à l'aune de ce changement majeur que l'État doit repenser son rôle stratégique en matière d'aménagement territorial. L'État ne peut ni ne doit mener seul la politique d'égalité des territoires. Il s'agit là d'un élément fondamental.
Je me garderai bien de répondre sur la question des rythmes scolaires ou d'autres questions précises qui ont été évoquées. Le Commissariat général à l'égalité des territoires ne se substitue pas aux ministères en charge de ces différentes politiques.
En ce qui concerne la déclinaison concrète de la stratégie d'égalité des territoires, elle repose sur des ambitions et des outils. J'aurais sans doute dû insister davantage sur la nouvelle génération des contrats de plan État-région, dont le Premier Ministre m'a chargé d'assurer la coordination, tant dans la préparation que dans le suivi de la mise en oeuvre. Je crois d'ailleurs que le retour à la notion de contrat de plan est tout à fait corrélé à celui de l'État stratège. On revient donc sur la notion de contrat de projet, qui insistait davantage sur la mise en compétition des territoires. Il y a une vraie stratégie territoriale à mettre en oeuvre dans le cadre régional, et les préfets de région sont appelés, dans les quatre mois à venir, à développer avec l'ensemble des collectivités concernées, une vision de cette stratégie régionale. Ce n'est que dans un second temps qu'ils recevront leur mandat de négociation financière. Il est important de procéder dans cet ordre-là, pour éviter les phénomènes de guichet.
Sans rentrer dans le débat sur la mesure du creusement des inégalités, je suis convaincu qu'il y a urgence à trouver des réponses appropriées. Au-delà des mécanismes de péréquation, qui ne sont que des outils, la question de la solidarité est un élément-clé du débat, qu'il s'agisse de solidarité verticale, entre l'État et les territoires, ou de solidarité horizontale des territoires entre eux. Sur ce point, il ne faut pas opposer les métropoles aux territoires qui les entourent. L'enjeu de la périurbanité est aujourd'hui majeur, il y a là une vraie problématique d'inégalité territoriale, en termes de transports comme d'équipements collectifs, avec de graves conséquences sociales.
Quant à choisir qui aide le mieux, entre l'homme et le ciel, je suis convaincu d'une chose : le coeur de notre mission est d'agir sur l'égalité des chances des territoires. Il faut orienter les investissements en donnant aux territoires les moyens de défendre leurs atouts et leur permettre de rester dans une logique de compétitivité. À ce sujet, nous ne faisons pas table rase de ce qui a été précédemment mis en oeuvre. Nous entendons bien continuer à faire avancer les pôles de compétitivité comme les pôles d'excellence rurale. La création du Commissariat général ne signifie en rien la négation du travail antérieur.
La notion d'aménagement numérique est essentielle. Elle ne concerne pas seulement les infrastructures. Claudy Lebreton vient de rendre à la ministre Cécile Duflot un rapport sur les usages territoriaux du numérique. Nous allons travailler plus particulièrement sur ce sujet. Cela recoupe les préoccupations sur les maisons de santé ou le télétravail. Nous avons pris vingt-cinq ans de retard dans ce pays, parce que la dimension humaine du télétravail a été oubliée. Nous nous sommes concentrés sur le câblage mais se pose aussi la question des conditions de travail et des infrastructures mises à la disposition des personnes qui télétravaillent. En Auvergne, le plan très haut débit a été une réussite et a réuni l'Etat, la région, les départements et les grandes agglomérations. Dans cette coconstruction, on peut arriver à des résultats excellents. Mais derrière, il faut aussi travailler sur les usages du numérique.
Je voudrais revenir à la question posée par M. Dantec sur les indicateurs et à une autre question sur le bilan actuel. Je vous propose qu'une nouvelle audition soit organisée au sein de cette commission pour que vous soit présenté le travail intitulé « Territoires 2040 » réalisé par la DATAR.
Allez-vous nous parler des zones de revitalisation rurale et du « bug » qui a eu lieu à l'été 2013 ?
Au-delà de ce bug, qui a été corrigé, je suis frappé du fait qu'il n'existe aucune évaluation de la pertinence des zones de revitalisation rurale. On se contente de se demander chaque année quelles communes sont susceptibles d'y entrer et quelles communes peuvent en sortir. Il ne s'agit donc pas d'une politique d'aménagement du territoire, mais juste d'une évaluation comptable. Une mission interinspections a été décidée à ce sujet par la ministre Cécile Duflot. Une concertation va être lancée avec l'ensemble des associations d'élus. Nous devons mesurer leurs effets. Devons-nous maintenir leurs avantages fiscaux ? Devons-nous en créer d'autres ?
La création du Commissariat général ne va pas entraîner de coût supplémentaire, puisqu'il va regrouper trois organisations existantes : la DATAR, le secrétariat général du comité interministériel des villes (CIV) et l'agence nationale pour la cohésion sociale et l'égalité des chances (Acsé). Sa plus-value est de combiner les approches relatives à la ville et celles concernant le rural, de façon décloisonnée. Raphaël Le Méhauté vous parlera de l'innovation que constitue l'intégration de ce pôle « ville », à l'issue de mon intervention.
Les besoins étant considérables, il est légitime que vous m'interrogiez sur les moyens dont disposera le Commissariat. Notre vocation sera surtout, dans un cadre interministériel, de mettre en évidence les besoins auprès des ministères concernés, dont je rappelle que le Commissariat ne gère pas les budgets. Nous allons par exemple mettre en place un fonds national pour les services publics, qui sera alimenté pour moitié par l'Etat et pour moitié par les grands opérateurs. Le rôle du commissariat va être de mobiliser les différents opérateurs. Telle sera notre responsabilité, au-delà des moyens propres affectés au Commissariat.
Nous nous inscrivons effectivement dans la perspective d'une planification. Mais elle ne se veut pas descendante, c'est-à-dire de l'Etat vers les territoires. L'objectif est d'avoir une vision globale de l'organisation des territoires et de leur développement.
L'intérêt de regrouper les trois structures, de lier la politique de la ville et l'aménagement du territoire, est de faire entrer les problématiques de l'aménagement du territoire dans les villes. Jusqu'à aujourd'hui, nous avons traité les quartiers de façon un peu autonome et non dans une perspective plus large. Les enjeux, qu'ils soient urbains, sociaux ou de développement économique y sont pourtant considérables. Quatre à cinq millions de personnes sont concernées par la géographie prioritaire.
Le futur contrat de ville tel qu'il est prévu sera unique et fera appel à la solidarité, puisqu'il sera signé par l'Etat et les intercommunalités. La région et le département y participeront.
Parallèlement, un nouveau programme de renouvellement urbain a été lancé, à hauteur de cinq milliards d'euros sur dix ans. Sa plus-value est de faire de l'aménagement du territoire dans les villes, par le développement des transports collectifs. Les enjeux de transport dans les zones rurales sont les même que dans les zones urbaines. Il y a des quantités de population bloquées dans des zones urbaines.
Il y a en ce moment une convergence des échéances : les nouveaux CPER, les nouveaux contrats de ville, le programme national de renouvellement urbain, ainsi que la nouvelle génération de fonds européens.
Nous entendons Mme Dominique Le Guludec, candidate désignée à la présidence du conseil d'administration de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN).
J'ai une question préalable : pourquoi auditionne-t-on Mme Le Guludec, alors qu'il n'y a pas de vote prévu ?
La loi prévoit que l'on entende la personne qui est nommée à la tête du conseil d'administration de l'IRSN, sans toutefois émettre de vote. On peut donner des avis, mais cela ne change rien à la décision.
Madame, vous avez la parole.
Je vous remercie de m'accueillir. Je postule en effet à la présidence du conseil d'administration de l'IRSN.
Je suis mariée, j'ai de grands enfants. Je suis avant tout médecin. Ma spécialité est double : je suis cardiologue et spécialiste en imagerie, plus particulièrement de médecine nucléaire. Je suis professeur des universités et praticien hospitalier à l'Unité de formation et de recherche (UFR) Denis Diderot. J'exerce à ce titre une mission de soins, en cardiologie et surtout en imagerie. J'anime également une équipe de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), au sein de l'unité 690 de l'hôpital Bichat. J'enseigne la biophysique à nos jeunes candidats médecins, dont les radiations, la radiobiologie et, beaucoup plus tard dans le cursus, l'imagerie et la médecine nucléaire.
J'exerce par ailleurs des activités collectives auxquelles j'ai goût. Je suis membre du conseil restreint de gestion de mon université, du Conseil national des universités, section biophysique et médecine nucléaire. J'ai des responsabilités au sein de ma structure hospitalière. Je participe au board de la Société européenne de médecine nucléaire, et j'ai animé un certain temps le pôle d'imagerie de mon hôpital.
Je m'intéresse particulièrement au management, en particulier humain, mais pas uniquement ; à ce titre, j'ai obtenu un master de management médical à l'École supérieure des sciences économiques et commerciales (ESSEC), avant que l'on me confie la gestion de notre pôle d'imagerie. J'ai enfin fait partie durant dix ans du Conseil supérieur d'hygiène publique, section radioprotection. La radioprotection est donc un thème qui m'intéresse depuis longtemps.
L'IRSN, établissement public industriel et commercial (EPIC), compte, vous le savez, cinq ministères de tutelle. L'IRSN est l'expert public en sûreté nucléaire et radiologique ; ses missions sont extrêmement bien définies. Il s'agit de missions de recherche, d'expertise et de surveillance dans tous les domaines de la sûreté nucléaire et radiologique française, qu'elle soit civile ou militaire.
A ce titre, l'IRSN apporte son appui aux politiques publiques. Il assure de nombreuses missions de service public : sûreté et expertise des installations, surveillance radiologique des travailleurs, des patients, et de la population, surveillance de l'environnement, des matières radioactives et de leur transport, en particulier vis-à-vis des actes de malveillance, qui constituent un sujet d'actualité.
Pour ces missions, l'IRSN bénéficie de moyens conséquents et emploie 1 700 personnes, dont 75 % travaillent directement sur la recherche et l'expertise - ingénieurs, physiciens, etc. Ces missions sont réparties sur onze sites.
L'IRSN jouit d'une réputation internationale, fondée sur l'excellence scientifique des individus qui la composent et sur sa déontologie.
L'IRSN bénéficie d'un budget d'environ 300 millions d'euros. Les deux-tiers sont fournis par une subvention pour ses missions de service public, le reste se décomposant à part quasi égale entre une contribution des exploitants et des ressources propres, sur des contrats de recherche ou de prestations.
Cet important travail de recherche et d'expertise conduit à la publication de plus de deux cents articles par an dans des revues internationales, à des communications dans des congrès, à des brevets nationaux et internationaux.
Pour son rôle auprès des pouvoirs publics, des exploitants, de la société civile et des citoyens, l'IRSN bénéficie d'une réputation d'ouverture et de transparence qui lui fait honneur.
Je terminerai en citant le rôle international de l'IRSN, la sûreté nucléaire étant maintenant de plus en plus organisée. Il existe une gouvernance internationale de la sûreté nucléaire, à laquelle l'IRSN participe fortement, en particulier dans beaucoup de groupes d'experts. C'est un rôle important pour notre pays.
Pourquoi ai-je brigué cette fonction et cette mission qui me semblent très importantes ? C'est d'abord en raison de mon propre parcours. J'utilise les rayonnements à des fins médicales, et je m'intéresse beaucoup à ces utilisations, qu'il s'agisse de la radiothérapie ou de l'imagerie, qui ont accompli des progrès fantastiques, notamment au service des patients. C'est en partie grâce à eux qu'on a gagné cinq ans de vie ces trente dernières années.
D'autre part, le monde de la santé et celui de la sûreté nucléaire ont des problématiques proches en matière d'évaluation des bénéfices et des risques, de gestion des ressources humaines et de recherche d'un niveau d'excellence. Les centres hospitalo-universitaires (CHU) en savent quelque chose, il en va de même à l'IRSN.
Le but final est de conserver à la France un très haut niveau de sûreté nucléaire, ce que l'on doit à nos concitoyens, que la France a relativement réussi jusqu'à présent, et qu'il faut sauvegarder, quelles que soient les conditions, budgétaires ou autres.
En résumé, ce qui m'attire à l'IRSN, c'est l'excellence, en particulier scientifique, l'indépendance de cette institution et sa transparence.
Quelles sont vos relations avec l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN), et les rôles respectifs de celle-ci et de l'IRSN ? Le grand public les confond en effet.
La gouvernance de la sûreté nucléaire, en France, m'apparaît particulièrement fine et élégante, puisqu'elle a séparé les différentes fonctions. L'ASN est une autorité qui délivre des autorisations, prend des décisions à l'échelon des installations, des exploitants, des services utilisant les radiations, ce que ne fait absolument pas l'IRSN, institut qui réalise des expertises, de la recherche, et qui émet des avis. Ces avis s'adressent à l'ASN, mais pas uniquement : ils sont également destinés aux autorités de sûreté et de défense et à d'autres pouvoirs publics nécessitant l'expertise de l'IRSN.
Par ailleurs, le fait de bien individualiser d'une part, l'expertise et la recherche, qui sont extrêmement liées, d'autre part, les délivrances d'autorisations, permet une indépendance des expertises extrêmement importante. Celle-ci permet aussi à l'IRSN un vrai dialogue avec les exploitants, que n'a pas l'ASN, et un partenariat avec bien d'autres composantes de la recherche, comme les universités, les organismes de recherche, en France ou à l'étranger.
Vous avez, en présentant votre candidature, insisté sur la continuité. Or, il semble qu'aujourd'hui, un certain nombre de questions quelque peu nouvelles se posent.
Fukushima a mis l'accent sur la faiblesse de la protection d'une installation nucléaire face à une agression extérieure, qu'elle soit naturelle, terroriste ou autre. Cette question semble être au coeur des préoccupations qui devraient être celles d'une structure comme l'IRSN.
Comment voyez-vous le développement de programmes de recherche, face à la fragilité des installations nucléaires et à l'incapacité de la France à répondre à l'ensemble des scénarios développés en la matière ?
En second lieu, le débat s'engage autour la question de la prolongation d'un certain nombre de centrales au-delà de quarante ans. Quelles sont, selon vous, les recherches clés à mener, avant que n'intervienne une décision publique sur ce point ? Il s'agit là d'une problématique nouvelle, à laquelle il faut répondre de manière urgente. L'ASN devra pouvoir s'appuyer sur un certain nombre de recherches pour dire ce que l'on peut faire ou ne pas faire.
S'agissant de Fukushima et de la sécurité en matière d'agressions extérieures, je crois que l'IRSN a mené un énorme travail dans ce domaine depuis deux ans. Les exploitants ont fait des propositions pour augmenter la sécurité, particulièrement pour assurer le fonctionnement des installations dans des conditions extrêmes.
L'IRSN a évalué ces propositions ; elle ne les a pas trouvées suffisantes et en a fait d'autres, grâce à ses programmes de recherche. Un débat s'est alors engagé. Si j'ai bien compris, ces dispositions ont été acceptées et sont en train de se déployer. L'IRSN aura toute sa place pour expertiser leur mise en place. Elles représentent beaucoup d'argent, et proviennent de la nécessité d'augmenter encore la sûreté nucléaire dans des conditions extrêmes.
Toutes les missions de l'IRSN sont réalisées dans le cadre d'un contrat d'objectifs et de performance, établi à l'avance avec les pouvoirs publics. Ce contrat s'achève. Un nouveau contrat va démarrer en 2014. Toutes ces problématiques feront partie du prochain contrat et des programmes de recherche dont certains sont d'ores et déjà en cours à l'IRSN. C'est donc un cadrage extrêmement précis, qu'il faudra suivre dans les cinq années à venir.
Quant à la durée de vie des installations, ces dernières sont complètement réévaluées tous les dix ans, en fonction de nouvelles normes de sûreté dont le degré d'exigence augmente au fur et à mesure des connaissances. Si les exploitants en font la demande, l'IRSN sera dans son rôle pour évaluer ce que proposent les industriels pour augmenter la sûreté nucléaire dans la décennie suivante. Je ne crois pas que l'Institut ait à prendre de posture. Il évaluera scientifiquement les choses, installation par installation, en intégrant les marges de sécurité et de sûreté qu'elle a toujours suivies. Pour l'instant, la France n'a pas eu trop à s'en plaindre.
J'insisterai également sur la mission de recherche de l'IRSN. C'est ce qui permet d'incrémenter la sûreté tous les dix ans. L'IRSN n'est pas la seule à réaliser cette mission, qui est de plus en plus partagée internationalement. C'est le devoir de toutes les nations d'échanger leurs connaissances fondamentales. Cette recherche permettra de juger des possibilités, en toute objectivité, indépendance et transparence.
Quelle est votre position par rapport au débat public ? Il s'agit d'une décision politique lourde : prolonge-t-on ou non la durée de vie de certaines installations nucléaires ? Considérez-vous que l'ensemble des recherches et des conclusions de l'IRSN, même en cas d'agression extérieure, doit être porté à la connaissance du public dans le cadre du débat public ?
Sur le plan de la recherche et de la sûreté, la transparence est totale. Vous pouvez aller sur le site de l'IRSN : vous y trouverez les conclusions de toutes les recherches menées par l'Institut. S'agissant des expertises, il existe des accords avec les autorités de sûreté pour les rendre publiques ou non. Il en va de l'intérêt de tout le monde.
On trouve également à l'IRSN une charte d'ouverture et de transparence. Cela fait partie des critères sur lesquels il faut veiller, qui me paraissent très importants dans le débat public.
L'IRSN, en tant qu'expert, n'a aucun intérêt à ne pas rendre publics ses expertises ou les résultats de ses travaux. C'est aux autorités de sûreté de décider ce qu'elles en font ensuite.
L'ASN peut-elle décider de ne pas porter à la connaissance du public un certain nombre de vos analyses ?
Non. En matière de sûreté, l'IRSN est une institution autonome qui publie tous ses résultats de recherche. En matière de sécurité et de défense, peut-être existe-t-il des aspects qu'il est plus délicat de porter à la connaissance du public. C'est un domaine que je connais moins bien pour le moment, et que je dois approfondir.
L'IRSN participe à de nombreuses commissions locales d'information. Elle travaille avec les associations, essaye de mettre toutes ses mesures à la disposition de la société civile. Grâce à notre site, tout le monde en France peut avoir accès à la télésurveillance des expositions. L'ouverture me paraît assez importante dans notre pays.
Pourrait-on avoir la liste des études de l'IRSN qui ne sont pas rendues publiques pour des raisons de défense ? Ce serait un élément de transparence important... Il existe aujourd'hui un certain nombre de risques et de fragilités extérieures, liées notamment à des questions de terrorisme ou d'enchaînement de risques, non liés au process lui-même, qui ne sont pas rendus publics. Il faudrait au moins savoir ce qui n'est pas rendu public !
A la suite de Fukushima, nous avions, dans le cadre de l'Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques (OPECST), dont je suis vice-président, conduit une série d'auditions sur la sécurité et sur la sûreté. Nous avions entendu chacune des parties, et j'avais été impressionné par la rigueur des scientifiques et par le choc presque frontal avec les exploitants auquel nous avions assisté. Les premiers ne faisaient vraiment pas de cadeau aux seconds en matière de sécurité. Les échanges avaient été très vifs, et il s'était dit beaucoup de choses.
On peut retrouver les comptes rendus de ces auditions...
La question a sa limite : jusqu'où la transparence peut-elle mettre l'installation en danger ?
Ce n'est pas une question qu'on peut traiter aussi rapidement. Certaines informations peuvent rester secrètes et je le comprendrais fort bien si l'information risquait de se retourner contre notre pays.
Certes, le pouvoir politique peut avoir le dernier mot, mais je ne sais si l'on peut souhaiter une information entièrement publique...
Les instances politiques peuvent prendre des décisions au sujet d'informations qui doivent rester confidentielles.
On peut être d'accord sur ce point, mais la question est importante : on va devoir prendre des décisions sur une éventuelle prolongation de certaines centrales nucléaires ; connaître les éléments qui ne sont pas versés au débat public est extrêmement important.
La réponse de Mme Le Guludec est de dire que les expertises tiennent compte de la mise à jour des normes de sûreté. L'outil sera donc expertisé en fonction des nouvelles normes. Je suppose que celles-ci intègrent le risque terroriste...
C'est un vrai débat entre nous ! Savoir quelles sont les installations les plus exposées à une agression extérieure est un élément important du débat. Cela ne veut pas dire qu'il faut divulguer les informations qui permettraient de savoir comment mettre la centrale à l'arrêt, mais je pense que cela ne figure pas dans l'information qui sera donnée à la représentation nationale : jusqu'à quel niveau de connaissance des fragilités extérieures irons-nous ?
Cette audition soulève beaucoup de questions. Je pense, Madame, que nous serons amenés à vous demander de visiter votre institution, pour voir en particulier comment se déroule une expertise.
Nous avons trouvé un consensus sur le niveau d'information publique pour toute décision qui peut avoir un effet sur l'environnement grâce au texte de loi que nous avons élaboré il y quelques mois. Pour la sûreté nucléaire, la question est fondée, mais la réponse est quelque peu compliquée, on peut le comprendre. Cela méritera que l'on puisse échanger à nouveau.
Je suis partisan que la représentation nationale puisse obtenir des informations, jusqu'à une certaine limite, qui ne mette pas les infrastructures en péril. Certaines choses n'ont pas à être mises sur la place publique. Il faut faire confiance à chaque niveau d'organisation de l'Etat : parlementaires, scientifiques, organismes...
Il est vrai que la question est importante, dans la mesure où on se préoccupe de transparence : jusqu'où doit-elle et peut-elle aller ? Il s'agit d'une question très pertinente.
Certaines dispositions de sécurité sont protégées par des textes. On ne peut s'en affranchir facilement, mais ces textes peuvent être connus, et l'on peut savoir où est la limite.
Par ailleurs, il y a toujours une discussion entre l'IRSN et les autorités de sûreté, civiles ou militaires, qui ont commandité des expertises. Le débat peut ensuite avoir lieu sur le degré d'ouverture et de publicité que l'on peut souhaiter. C'est une discussion qui se poursuit en permanence, et qu'il faut continuer à mener dans la sérénité.
On ne peut tout dire en matière de défense ; ce serait contre-productif, mais il faut en dire le plus possible pour que vous preniez des décisions éclairées.
Merci, Madame, de votre présentation claire, précise et brillante.
Vous avez parlé d'excellence, d'indépendance et de transparence. Je veux dire ma confiance dans l'IRSN, dans ceux qui l'animent et dans votre candidature. Je pense que vous placez le débat au bon niveau.
J'aborderai le débat dans une logique différente de celle de Ronan Dantec. Je pense qu'il existe des organismes indépendants, qui sont là pour garantir la sûreté, l'expertise, l'indépendance, et la transparence.
Tout évolue, les normes de contrôle, l'état de la société, le besoin de transparence, l'attente de chacun par rapport au quotient environnemental. Vous le savez, il nous faut toujours questionner ce dernier sujet, compte tenu de l'évolution des normes environnementales, et de l'attente de la société en matière de transparence.
Ma première question concerne les exploitants. La relation est quelque peu compliquée. Il ne faut pas entrer dans la défiance, car ce sont eux, dans le domaine de la recherche, qui détiennent la matière, la connaissance et l'expertise. Quel est donc le bon niveau de relations ? Il ne s'agit ni d'être complaisant, ni de se montrer méfiant...
En second lieu, ne doit-on pas encourager certaines évolutions en matière de transparence ? Vous avez évoqué les publications et les expertises que l'on peut retrouver sur votre site, mais l'IRSN ne pourrait-il être force d'initiative, et proposer aux pouvoirs publics de mieux faire connaître vos missions et vos rapports, le nucléaire conservant toujours une image qui peut entraîner des incompréhensions ? N'est-il pas temps de donner une nouvelle impulsion à la transparence ?
Les relations avec les exploitants sont essentielles pour plusieurs raisons. D'une part, l'expertise et la sûreté ne sont pas des concepts théoriques. On m'a très vite appris à l'IRSN que la seule sûreté acceptable est une sûreté acceptée par les exploitants. Si elle ne l'est pas vraiment, elle ne sera pas bien appliquée.
Par ailleurs, les expertises demandent la coopération des exploitants. Il existe des outils de recherche communs. Ceux-ci sont tellement chers qu'ils peuvent être partagés avec les exploitants. Il faut donc des règles propres à l'institut pour bien gérer ces relations avec l'exploitant.
Ces règles existent ; elles sont consignées dans une charte de déontologie, acceptée par le précédent conseil d'administration ; il va falloir la décliner dans toutes ses composantes. Ces règles sont précises et se basent sur des cas concrets.
A l'IRSN, l'expertise est toujours collective et jamais individuelle, ce qui est une façon de protéger sa qualité, son indépendance, et son honnêteté.
Les relations avec les exploitants sont donc très importantes et le dialogue permanent constitue la seule façon d'améliorer la sûreté. Cela peut aussi placer l'institut dans des situations délicates, raison pour laquelle il convient que les choses soient écrites. Si, au cours d'une recherche ou d'une expertise, l'IRSN constate un défaut majeur dans une exploitation, son devoir est d'en aviser les autorités de sûreté compétentes. Ces règles sont consignées ; à nous de les faire respecter dans la durée.
En matière de transparence - et nous connaissons la même chose dans d'autres domaines, comme celui de la santé - nos concitoyens veulent de plus en plus être informés, et surtout participer aux décisions. L'IRSN est et doit être encore davantage une force de proposition vis-à-vis des pouvoirs publics. La façon dont la gouvernance de la sûreté nucléaire s'est instituée en France, avec l'indépendance des différents systèmes, les exploitants, les autorités, les experts techniques, et la société civile, plaide en faveur d'une ouverture la plus grande possible, grâce à des circuits bien identifiés.
Il est vrai qu'avec sa participation de plus en plus affirmée aux commissions locales d'information et au débat public, l'IRSN doit encore renforcer cet axe. Cela fera partie du prochain contrat d'objectifs.
Il me reste à vous remercier pour votre prestation. Nous serons appelés à nous revoir.
Dans le passé, il existait des visites destinées aux parlementaires. Il n'y en a pas eu depuis deux ou trois ans.
Cela s'impose ! Le site se trouve à Fontenay-aux-Roses. Vous pouvez y visiter le centre de crise.
Ronan Dantec est nommé rapporteur de la proposition de loi n° 40 (2013-2014), présentée par M. Joël Labbé et plusieurs de ses collègues, visant à mieux encadrer l'utilisation des produits phytosanitaires sur le territoire national.
Vincent Capo-Canellas est nommé rapporteur de la proposition de résolution européenne, adoptée par la commission des affaires européennes et contenue dans le rapport n° 38 (21013-2014), sur la révision des lignes directrices concernant les aides d'Etat aux aéroports régionaux.