Nous avons confié à nos collègues Catherine Deroche et Jean-Pierre Godefroy un rapport sur le financement de la branche accidents du travail et maladies professionnelles. Ce sujet, qui n'avait jamais été abordé, revêt une actualité particulière, notamment en raison de la non-certification des comptes 2010 de la branche par la Cour des comptes.
Nous recevons, et c'est également une première, le Président de la commission des accidents du travail et des maladies professionnelles (CAT-MP), M. Frank Gambelli. Je vous rappelle que la branche AT-MP est autonome mais intégrée administrativement au sein de la caisse nationale d'assurance maladie (Cnam).
Monsieur le Président, merci d'avoir répondu à notre invitation. Les rapporteurs ont déjà mené de nombreuses auditions, notamment celles des partenaires sociaux représentés au sein de la CAT-MP. Nous avons souhaité vous entendre pour avoir votre analyse sur plusieurs questions : comment évolue la tarification des accidents du travail et des maladies professionnelles ? Comment doit-on juger les transferts opérés de la branche AT-MP vers les aux autres branches de la sécurité sociale ? Quelles sont les perspectives de rééquilibrage de la branche et comment sa dette sera-t-elle prise en charge ?
Je suis honoré de m'exprimer devant vous sur les fondamentaux de la branche AT-MP, qui est à l'origine même de la sécurité sociale. En 1898 en effet, le risque AT-MP fut le premier à être socialisé, avant son incorporation à la sécurité sociale au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Sa gestion strictement paritaire en fait aujourd'hui une figure d'exception. Je suis assisté de deux vice-présidents, MM. Jean-Michel Reberry et Jean-François Naton, respectivement membres de FO et de la CGT. Ce paritarisme est un paritarisme d'orientation qui s'exerce au sein de la commission des accidents du travail. Toutefois, à la différence des autres branches de la sécurité sociale, il produit des recommandations techniques opérationnelles pour la prévention dans le cadre des comités techniques et des comités techniques régionaux de la branche. Par le dialogue social, nous définissons les risques professionnels en les inscrivant dans des métiers et dégageons des règles de prévention sectorielles bien adaptées à la culture des entreprises et des PME. Nous voulons maintenir ce paritarisme dynamique, piloté au niveau national et décliné au niveau régional dans les caisses d'assurance retraite et de la santé au travail (Carsat) et les branches professionnelles. Nous poursuivrons ces objectifs à l'occasion de la troisième convention d'objectifs et de gestion, dont les grandes lignes seront dégagées d'ici fin juillet. En 2004, à l'occasion de la loi du 13 août 2004 (article 54) portant réforme de l'assurance maladie, la représentation nationale avait posé la question de l'avenir de la branche accidents du travail. Les partenaires sociaux ont répondu dans un accord interprofessionnel de 2006 et dans les deux premières conventions d'objectifs.
Il y a un consensus autour du paritarisme qui facilite les conventions d'objectifs et de moyens. Je suis pour qu'il se poursuive même si des adaptations sont toujours possibles.
La réforme de la tarification de la branche a été votée à l'unanimité par les partenaires sociaux, ce qui est exceptionnel. Nos auditions nous ont montré que des divergences subsistent malgré l'attachement au paritarisme, en particulier sur les transferts vers les autres branches de sécurité sociale.
Une réforme de la tarification est en cours et il faut la laisser aller à son terme, prévu en 2014. Cette nouvelle tarification est-elle plus à même de prévenir les accidents du travail ? Améliorera-t-elle la lisibilité des ressources et des cotisations, comme le préconise la Cour des comptes ? Les seuils retenus sont-ils pertinents ?
Le nouveau système de tarification remplit sa mission première : faire entrer des cotisations. Est-il incitatif ? Oui, pour les entreprises d'une certaine taille, qui font l'objet d'une tarification individualisée. Mais le caractère incitatif des cotisations AT-MP n'est pas absolu puisqu'elles sont noyées dans la masse des cotisations sociales. En outre, une partie des cotisations correspond à des dépenses mutualisées sur l'ensemble des entreprises. Depuis les années 1950, le dilemme est le même : une tarification au réel, qui risque de mettre en danger les petites entreprises où se produisent des sinistres, ou une tarification forfaitaire, moins incitative.
Mais l'incitation doit-elle être uniquement fondée sur la tarification ou bien doit-elle s'appuyer sur un ensemble d'outil comme les cotisations supplémentaires, les ristournes et les aides financières simplifiées ? On doit en réalité combiner différents leviers.
La tarification individuelle s'applique aux entreprises de plus de cent cinquante salariés qui paient de manière forfaitaire les coûts représentatifs des AT-MP. Cette imputation forfaitaire, issue de la réforme, a pour objectif d'accélérer l'impact du sinistre sur le niveau de cotisation de l'entreprise, d'alléger le traitement des données et de limiter les contentieux. Dans les entreprises de zéro à dix-neuf salariés, depuis le début 2012, le mécanisme est collectif avec un taux calculé à partir du taux moyen des entreprises du secteur d'activité, regroupées par affinité au sein d'un groupement financier. Dans les entreprises de 20 à 149 salariés, depuis 2012, le système, mixte, combine une part du taux individuel et du taux collectif. Plus on se rapproche de 149 salariés, plus la part du taux individuel est importante. Si elle peut être améliorée, la tarification ne doit en aucun cas conduire à la fermeture des petites entreprises. Nous avons abaissé les seuils pour la tarification individuelle et les avons augmentés pour la tarification collective. En réalité, il faut examiner les entreprises au cas par cas pour évaluer le caractère incitatif de la tarification. Les variations de cotisations étaient plus fortes d'une année sur l'autre dans l'ancien système. Le nouveau est plus stable, ce qui rend les sinistres plus visibles.
La sinistralité d'une entreprise se mesure désormais sur trois ans, c'est un progrès. Elle s'étalait auparavant sur des années et un repreneur pouvait en découvrir l'existence après le rachat. De nombreux contentieux découlaient de la complexité de la sinistralité. Les contentieux ont-ils vraiment diminué ou simplement changé d'objet ?
Le contentieux procédural devrait régresser du fait d'une meilleure rédaction du code de la sécurité sociale et du respect du principe du contradictoire. Par ailleurs, les règles devraient être mieux respectées, en particulier grâce aux efforts de centralisation des caisses primaires d'assurance maladie. Grâce à la rigueur de gestion, le contentieux s'est déplacé de la forme vers le fond : il porte désormais sur la reconnaissance par l'employeur de l'accident du travail ou la fixation du taux d'incapacité par le médecin conseil.
Y a-t-il un écart de volume de contentieux entre les accidents du travail et les maladies professionnelles ?
La reconnaissance de l'immense majorité des accidents du travail est factuelle. Pour les maladies professionnelles, il y une présomption d'imputabilité qui n'est pas irréfragable ; les contentieux sont plus complexes. Le contentieux de l'incapacité permanente peut aussi bien viser un accident du travail qu'une maladie professionnelle. Cela relève de l'appréciation médicale.
Nous n'intervenons pas sur ce qui relève de la mutualité sociale agricole (MSA), du régime social des indépendants (RSI) et de la fonction publique. Nous gérons les 18 millions de salariés qui relèvent du régime général de l'assurance maladie.
Faut-il maintenir l'indemnisation forfaitaire ou passer à la réparation intégrale, qui compliquerait peut-être les choses ? Pour le moment, le système actuel semble le mieux adapté.
Nous avons une approche de sécurité sociale et non assurancielle, ce qui implique la forfaitisation.
Depuis la mise en place de la branche AT-MP, la fiscalisation des indemnités a introduit de l'injustice dans le régime. D'où la demande, par certaines associations d'accidentés du travail, de passer à la responsabilisation intégrale.
Chaque année, dans la loi de financement de la sécurité sociale, une partie du financement de la branche est reversée au régime général au titre de la sous-déclaration. Que proposez-vous pour favoriser les déclarations ? La branche effectue également des versements au fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante (Fiva).
La dotation affectée au Fiva par la loi de financement n'est pas liée à la sous-déclaration. La somme transférée au titre de la sous-déclaration aux autres branches est fixée par l'Etat. Cinq rapports se sont penchés sur la question : si des progrès ont été accomplis, la formation des médecins sur les pathologies professionnelles demeure insuffisante. Nous avons donc lancé une campagne d'information en direction des médecins traitants. En outre, malgré nos efforts, les hôpitaux ne déclarent toujours pas systématiquement en AT-MP ce qui relève de cette branche. Cela dit, le taux de reconnaissance augmente dans la mesure où l'information des salariés progresse.
Dans son dernier rapport, la Cour des comptes souligne la nécessité de renforcer les liens de la branche avec l'assurance maladie. Nous nous sommes engagés dans cette voie, par exemple sur les facteurs du cancer de la vessie qui peuvent être à la fois professionnels et médicaux. Mais même détectée, cette pathologie n'est pas nécessairement déclarée comme une maladie professionnelle. Selon la Cour, il est aussi indispensable d'améliorer l'information des salariés. La non-déclaration d'un accident du travail par un employeur constitue une fraude à la sécurité sociale. En revanche, il revient aux seuls salariés de déclarer les maladies professionnelles en raison du secret médical.
Le montant du transfert vers les autres branches n'a cessé d'augmenter depuis 1997. Cela reflète-t-il l'ampleur croissante de la sous-déclaration ou une volonté de rééquilibrer les comptes de l'assurance maladie ?
Malgré la demande des partenaires sociaux en 2006, il n'y a pas eu d'accord avec l'administration pour définir les critères permettant d'évaluer la sous-reconnaissance des AT-MP, évaluation d'autant plus difficile qu'elle repose sur des études épidémiologiques. En revanche, on sait que la sous-déclaration est avérée à l'hôpital, que certaines maladies sont inévitablement multifactorielles et que l'imputabilité est admise par construction. A la différence de la France, certains pays ont choisi un système d'abattement pour prendre en compte la multifactorialité.
Les troubles psychosociaux et la pénibilité sont d'autant plus difficiles à évaluer qu'ils peuvent procéder à la fois de causes professionnelles et personnelles.
Le bruit est un facteur de pénibilité facile à prouver. D'autres troubles, comme les risques psychosociaux, sont plus difficiles à démontrer. Les psychiatres nous disent qu'il est délicat d'établir des vérités simples dans le domaine psychique. En l'espèce, le système complémentaire prend le relais dans la prise en charge.
Nous n'avons pas la main sur ce classement, qui dépend du ministère du travail. Notre souci est l'équité du traitement sur tout le territoire. Actuellement, les taux de reconnaissance dans les caisses primaires peuvent varier pour certaines pathologies de 8 % à 80 %. Nous devons davantage collaborer avec l'assurance maladie pour évaluer le travail des médecins conseil et oeuvrer pour le maintien dans l'emploi. Nous devons également renforcer nos liens avec l'assurance vieillesse. Il faut détecter les signaux précurseurs de sortie du travail. Nous voulons restaurer un service de sécurité sociale pour traiter, de manière neuve, le maintien dans l'emploi.
Chaque Carsat dispose d'une cellule de réinsertion qui n'a malheureusement pas les moyens d'accompagner les personnes concernées. Il nous faudrait mailler le territoire en liant l'assurance maladie et la médecine du travail. C'est un chantier immense !
Lors de l'examen de la loi de financement pour 2012, nous avons été surpris de ne pas voir figurer les déficits antérieurs de la branche AT-MP dans les comptes. S'il n'a pas été transféré à la caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades), comme Mme Valérie Pécresse nous l'indiquait alors, où se trouve donc ce 1,5 milliard d'euros de déficit cumulé ? Il aurait en fait été pris en charge par l'agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss), qui emprunterait chaque année 2,2 milliards d'euros pour le compte de la branche. Comment combler cette dette qui n'apparaît pas ?
Selon nos services, le déficit cumulé s'élève à 1,7 milliard d'euros. La branche AT-MP est la moins déficitaire de la sécurité sociale et la seule dont la dette n'a pas été basculée vers la Cades. A la fin de l'année, sera lancé un débat sur la résorption de la dette. Il est certain que des sensibilités différentes s'exprimeront. Mais il reviendra en pratique à l'Etat et à la direction de la sécurité sociale de décider.
Une hausse de 0,4 point de cotisation est-elle envisageable pour résorber la dette ?
A la différence des autres branches, la dette de la branche AT-MP n'est pas transférée à la Cades, mais devrait en principe être financée par les entreprises.
L'Acoss, qui est le trésorier des branches, n'a pas vocation à financer ad vitam une dette.
Le montant des transferts vers les autres branches est peut-être un autre levier.
Pourquoi les déficits accumulés après la crise de 2009 n'apparaissent-ils pas clairement dans les comptes de la branche ? Il nous a fallu procéder à plusieurs auditions avant de découvrir qui finançait cette dette. Nous n'avons toujours pas toutes les explications.
La sécurité sociale entretient des relations complexes avec l'Acoss et je ne les suis pas directement. Il me semble qu'à l'époque où la branche AT-MP était bénéficiaire, on a basculé ses excédents vers le déficit de la sécurité sociale. J'aurais préféré qu'ils gagent la politique des AT-MP. C'est ce que nous ferons à l'avenir.
Vous avez lié la dette et les transferts vers l'assurance maladie, l'assurance vieillesse et le Fiva. Fixés par la loi, ils représentent un tiers des charges de la branche AT-MP. Sont-ils trop élevés ?
Déficitaire depuis 2006, la branche est cette année légèrement excédentaire. Dans ces conditions, l'Acoss doit-elle encore emprunter entre 1,7 et 2,2 milliards d'euros ? Peut-on rétablir l'équilibre financier de la branche par la hausse des cotisations, au risque de créer des tensions entre les partenaires sociaux et les employeurs ?
Je note que l'Etat ne contribue pas autant que prévu au Fiva et au Fcaata.
La situation d'endettement ne peut pas durer. Peut-on envisager une solution mixte, jouant sur les cotisations et le montant des transferts ?
Je ne peux m'exprimer sur ce sujet sans avoir consulté la commission des AT-MP.
La réforme en cours met l'accent sur la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles. Qu'en pensez-vous ? Est-il possible d'améliorer la prévention ?
Nous y oeuvrons en limitant la dispersion des moyens. Pour traiter la prévention des risques concernant dix-huit millions de salariés, les Carsat n'emploient qu'un nombre limité d'ingénieurs et l'Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles (INRS) de chercheurs. Ils ne peuvent pas agir seuls sur les bassins d'emploi. Nous souhaitons développer les actions communes avec l'Etat, l'assurance maladie et la médecine du travail. Pour cela, il faudra multiplier les partenariats avec les branches professionnelles et les régimes de sécurité sociale.
Collaborez-vous avec l'agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail (Anact) ?
L'Anact mène des travaux de sociologie du travail et des organisations et d'ergonomie qu'il nous est difficile d'exploiter dans le domaine technique de la prévention qui relève plus des sciences de l'ingénieur. En revanche, nous utilisons les études de l'INRS pour nos actions techniques. Les actions sont complémentaires et je pense que l'articulation du rôle l'Anact vis-à-vis des actions la branche pourrait être inscrit dans la future Cog.
Que pensez-vous de la non-certification des comptes de la branche AT-MP par la Cour des comptes ?
Elle résulte d'un problème technique dans le traitement des dossiers entre l'Urssaf et la sécurité sociale. Il s'agissait peut-être d'un message destiné à d'autres institutions...
Nous recevons maintenant M. Noël Diricq, conseiller maître à la Cour des comptes et président de la commission instituée par l'article L. 176-2 du code de la sécurité sociale chargée d'évaluer la sous-déclaration des accidents du travail - maladies professionnelles.
Cette commission, qui se réunit tous les trois ans, a rendu son dernier rapport en juillet 2011. La sous-déclaration y est estimée entre 587 millions et 1,1 milliard d'euros d'ici à 2014. Ce sont là des chiffres en hausse par rapport aux fourchettes basse et haute déterminées lors du précédent rapport de 2008 (+ 22,3 et 94,9 millions d'euros).
C'est sur la base de ce rapport que le Gouvernement propose au Parlement de voter chaque année au moment du PLFSS un transfert annuel de la branche AT-MP vers l'assurance maladie. Ce transfert était de 790 millions en 2012.
Sa légitimité est contestée par les représentants des employeurs au sein de CAT-MP et c'est pour en savoir un peu plus sur votre approche et pour connaître votre analyse de la situation que nous avons souhaité vous entendre.
Je vous propose de commencer par un propos liminaire après quoi je passerai la parole aux rapporteurs.
Je dois d'emblée souligner la limite des informations que je pourrai vous apporter puisqu'elles datent d'il y a un an et n'intègrent donc pas les changements qui ont pu avoir lieu depuis. La commission que je préside avait d'ailleurs recommandé que l'actualisation des données disponibles ne soit pas strictement limitée à la périodicité de trois ans imposée par la loi. Mais il est vrai qu'une actualisation au fil de l'eau mobiliserait beaucoup de moyens pour réunir les experts pendant trois mois, ce que l'administration n'est pas toujours à même de faire.
Il faut également souligner que l'évaluation conduite par la commission est extrêmement empirique. La fourchette d'évaluation de la sous-déclaration des accidents du travail et des maladies professionnelles est approximative. Mais la méthode adoptée, celle de la fraction attribuable de risque, s'avère être la seule possible. Nous sommes très dépendants des études épidémiologiques pathologie par pathologie et s'il n'en existe pas, nous ne pouvons évaluer le coût de la sous-déclaration et nous ne le prenons pas en compte.
Heureusement, les pathologies ayant fait l'objet de telles études sont de loin les plus coûteuses pour la sécurité sociale, notamment le cancer et les troubles musculo-squelettiques (TMS). Néanmoins nous manquons cruellement de données dans certains domaines comme les risques psycho-sociaux. Leur coût potentiel est énorme mais nous n'avons pas les moyens de l'établir.
Vous avez souligné l'opposition des organisations patronales aux travaux de la commission. Celle-ci m'a semblé néanmoins moins marquée en 2011 qu'auparavant. Par le passé, le Medef a pu écrire que puisqu'il n'y avait pas de chiffre certain de la sous-déclaration, il fallait considérer qu'il n'y avait pas de coût. Je pense qu'il ne le ferait plus aujourd'hui. Les critiques techniques formulées en 2008 par le Medef et la CGPME quant à la méthode suivie par la commission s'étaient d'ailleurs révélées peu fondées, car elles avaient déjà été prises en compte lors du travail des experts.
Reste la critique du concept de fraction attribuable lui-même. Celle-ci peut être fondée mais il n'existe pas de meilleure solution pour évaluer la sous-déclaration.
Je pense que les critiques ont été moins violentes en 2011 en partie à cause de la faible évolution de la fourchette d'évaluation. Il n'y a pas eu, comme en 2008, de changement de champ de l'assiette d'évaluation car les progrès de l'épidémiologie ont été faibles. En 2008, nous avions pu inclure l'évaluation des maladies pneumologiques, ce qui avait entraîné une hausse importante du coût estimé.
Il convient également de noter que le Parlement, sur proposition du Gouvernement, a fait effectuer un saut au montant du transfert à la branche maladie après 2008. Avant cette date le transfert à charge de la branche AT-MP était inférieur au bas de la fourchette établie par la commission. Depuis il se situe au milieu de celle-ci.
L'augmentation du coût de la sous-déclaration tel qu'il a été évalué par votre commission est nette depuis 1997. Face à cette situation, une des solutions préconisées est la mobilisation du monde médical. Qu'en pensez-vous ?
L'augmentation de l'évaluation de la sous-déclaration est essentiellement liée à la réduction du champ des pathologies non étudiées. Il reste encore des continents d'ignorance. Ces éléments ne sont pas arbitrables, par contre le montant du transfert voté par le Parlement l'est.
Les travaux de la commission font également part des progrès en matière de déclaration. Ainsi, sur les troubles musculo-squelettiques (TMS), des campagnes efficaces ont été menées et le nombre de déclarations a augmenté dans une proportion qui place la France aux côtés de l'Espagne en tête des pays où la reconnaissance est la plus forte. Nous en avons déduit, peut-être un peu naïvement, que la sous-déclaration avait baissé.
Le premier objet de nos recommandations est d'améliorer la formation des médecins pour reconnaître les maladies professionnelles. Ils ne disposent que de neuf heures de formation sur ce sujet au cours de dix ans d'études ce qui, ajouté à la crise démographique qui frappe les médecins du travail, ne favorise pas les connaissances en ce domaine.
Lors de nos auditions, la contestation de l'évaluation des sous-déclarations semblait liée à la coïncidence entre le montant du transfert et celui du déficit de la branche AT-MP. Il nous a aussi été dit que la présomption d'imputabilité avait pour conséquence de placer à la charge des entreprises des pathologies qui n'étaient pas dues au travail et que ceci n'était pas pris en compte.
La méthode de la fraction attribuable a précisément pour finalité d'imputer uniquement à la branche AT-MP la part des pathologies dues au travail. Le raisonnement selon lequel la branche subit des coûts indus est assez dangereux car l'inverse est tout aussi vrai. La part des risques psycho-sociaux liée au travail n'est pas mise à la charge de la branche. En l'absence d'étude permettant d'établir la part d'imputation d'une pathologie au travail, la commission n'évalue pas son coût. C'est le cas par exemple pour les lombalgies.
S'agissant des risques psycho-sociaux, il me semble qu'ils peuvent être reconnus comme maladie professionnelle hors tableau.
Autant dire qu'ils ne sont pas reconnus. La pratique varie de région en région et dans les faits, la réglementation bloque la reconnaissance. Le taux d'incapacité minimum exigé est très supérieur à ce qui peut être reconnu pour un trouble psycho-social. De plus, la pathologie de la personne doit être stabilisée avant la prise en charge par la branche. Or les troubles psychiques sont par nature particulièrement évolutifs.
Le mode de déclaration des AT-MP ne rend-t-il pas la reconnaissance des risques psycho-sociaux plus difficile ?
C'est au salarié qu'il appartient de déclarer la maladie professionnelle. Ceci limite le risque d'une omission volontaire par l'employeur. Mais la réalité vécue est qu'un employé qui déclare une maladie professionnelle prend un risque sur le marché de l'emploi.
La détermination du lien de causalité entre le travail et le trouble psycho-social est aussi particulièrement complexe.
Nous assistons à un durcissement des conditions de travail et à une fragilisation des individus. Le coût social et sanitaire de cette situation avec la chronicisation et la médicalisation de victimes est de plus en plus important. Les personnes souffrant de troubles psycho-sociaux ont une forte probabilité de marginalisation durable.
Quels sont les éléments de votre rapport de juillet 2011 que vous souhaiteriez actualiser ?
La demande qu'avait formulée la commission d'une fréquence d'actualisation plus rapide était liée aux progrès importants de l'épidémiologie entre 2005 et 2008. Il n'en a pas été de même sur la période 2008-2011, ce qui est d'ailleurs inquiétant car il n'est pas exclu qu'il y ait un manque d'efficacité de l'épidémiologie française.
Il serait néanmoins intéressant de se pencher sur la question des accidents du travail. Ceux-ci ne représentent qu'environ 10 % de la sous-déclaration telle qu'elle est estimée par la commission, mais leur évaluation pose problème. Elle repose en effet sur l'enquête Sumer qui est un questionnaire adressé aux salariés. Malgré la prise en compte des biais déclaratifs, cette enquête laisse sceptique les organisations patronales. Or nous disposons maintenant des données issues de la dernière enquête Sumer, ce qui permettrait d'actualiser l'évaluation faite par la commission.
Elle complèterait l'information du Parlement.
Mais elle ne changerait pas nécessairement le montant du transfert voté dans le cadre du PLFSS.
Effectivement, je ne me prononce par sur l'opportunité mais sur la réponse aux critiques adressées aux experts de la commission.
Pensez-vous qu'une réforme de l'inaptitude soit nécessaire ? Une délégation de la commission des affaires sociales s'est rendue au Danemark et en Suède et a pu constater que l'accent y est mis sur la réinsertion. Faut-il faire plus sur cette question en France ?
Nous dépassons là le champ restreint de la compétence de la commission que je préside. Il y a eu d'incontestables progrès dans la protection des salariés mais force est de constater que, si le système français mis en place depuis un siècle est protecteur, il n'est pas très incitatif. Si on prend le cas du document unique qui doit recenser les risques professionnels et être mis à disposition de tous les salariés de l'entreprise, on est encore loin du compte. Il faut suivre beaucoup mieux que nous ne le faisons les salariés qui ont un emploi à risque.
Par ailleurs comprendre les mécanismes de compensation et comparer les taux d'indemnisation relève du parcours du combattant. L'empilement des dispositifs, créés sans doute chacun avec de bonnes intentions, rend le système illisible.
Le harcèlement n'entre pas en tant que tel dans le champ de l'assurance maladie. On peut néanmoins penser que le harcèlement peut être pathogène. Notre commission a dressé un panorama du cadre réglementaire et jurisprudentiel existant. Mais nous nous heurtons à un blocage scientifique qui est l'impossibilité de déterminer la portion des maladies psycho-sociales attribuables au travail.
Cette question pourrait être traitée par le système français si ces maladies étaient intégrées aux tableaux d'indemnisation et en veillant à leur application uniforme sur l'ensemble du territoire.
C'est évidemment beaucoup plus simple de prendre en compte les maladies psycho-sociales dans un système de type inquisitorial où il appartient à la victime de faire la preuve du lien avec le travail.
On a vu cela en France pour les suicides qui peuvent être reconnus par le juge comme relevant de la faute inexcusable de l'employeur même s'ils sont parfois liés à des problèmes extérieurs qui se sont exprimés sur le lieu de travail.
Qu'est-ce qui figure actuellement dans les tableaux des maladies professionnelles concernant les risques psychosociaux ?
Rien. La seule possibilité est la reconnaissance hors tableau. Nous manquons actuellement de fondements scientifiques solides. Mais des recherches sont en cours au niveau européen et la solution viendra peut-être de là.
Le problème est que la reconnaissance des risques psycho-sociaux est susceptible de représenter une charge financière telle qu'elle ferait exploser le système des AT-MP.
Le rapport de la mission d'information sur le mal-être au travail avait déjà préconisé de reconnaître le stress post-traumatique comme maladie professionnelle.
Pensez-vous que l'indemnisation intégrale se ferait au détriment des entreprises ou à celui des victimes ?
Personne ne le sait et c'est ce qui explique la variation des partenaires sociaux à ce sujet. Ces incertitudes rigidifient le système. Par exemple, s'agissant des tableaux de maladies, l'actualisation des critères relatifs aux troubles musculo-squelettiques était devenue une nécessité. Les comités régionaux de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP), chargé de la reconnaissance hors tableau, étaient engorgés par les demandes résultant de l'inadéquation des critères officiels à la réalité. Mais certains partenaires sociaux ont estimé que le travail scientifique effectué aboutissait à des conclusions trop restrictives, au point de remettre en cause la présomption d'imputabilité. Ils sont donc réticents à l'idée de s'engager dans de nouvelles actualisations, ce qui entraînerait forcement des blocages et donc de la sous-déclaration.
Pensez-vous, à titre personnel, que le montant du transfert vers la branche maladie voté par le Parlement est adéquat ?
J'aurai mauvaise grâce à dire qu'un chiffre situé au milieu de la fourchette établie par la commission est inadéquat. De plus, les considérations qui déterminent le montant voté ne sont pas purement liées à l'évaluation de la sous-déclaration. Je note cependant que si la valeur maximale de la fourchette était retenue, cela ne serait pas forcement choquant. La commission est consciente que les données dont elle dispose aboutissent à une évaluation nécessairement inférieure à la réalité.
Que pensez-vous du montant des transferts vers les fonds amiante et de la participation de l'Etat ?
En tant que magistrat, j'ai participé au rapport de la Cour des comptes sur le fonds de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante (Fcaata) et je ne peux me séparer de ses conclusions fortes. Le fonds a servi de système de pré-retraite à l'Etat pour régler des situations sans lien avec l'exposition à l'amiante.
Le recours à une liste d'entreprises pour l'accès au fonds a participé de ces situations.
A quelque chose malheur est bon car il n'y a pas de sous-déclaration en matière d'amiante.
Notre système, tel que vous le décrivez et malgré les critiques justifiées que vous faites, présente beaucoup d'intérêts. Je m'inquiète cependant des réticences des partenaires sociaux au fait d'actualiser les tableaux en fonction des connaissances scientifiques.
C'est une question d'équilibre. Il ne faut pas que l'actualisation remette en cause le compromis de 1898. Certains préconisent une déconnexion entre les tableaux des maladies professionnelles et les réalités médicales. S'agissant de l'actualisation des critères concernant les troubles musculo-squelettiques, il faut aussi noter qu'ils ont fait l'objet de critiques scientifiques et qu'il n'est pas impossible qu'ils aient été trop restrictifs.
La remise en cause du système aboutirait-il à faire peser sur le salarié la charge de la preuve ?
Il y a un double péril. D'un côté un système vieillissant devenu tellement rigide qu'il serait inapplicable. De l'autre, remettre en cause la ligne de partage de l'effort financier entre partenaires sociaux, ce qui aboutirait à changer le pacte social français.
Il est intellectuellement peu satisfaisant de ne pas intégrer la réalité médicale dans l'indemnisation des maladies professionnelles.
Cela a été possible dans certains cas. Mais c'est un mauvais signe sur l'avenir du système quand cela s'avère impossible.
On peut imaginer une alternative à l'américaine où les condamnations prononcées sont très lourdes. Ceci a des vertus préventives réelles mais il faut se rappeler que les victimes de l'amiante aux Etats-Unis sont mortes sans indemnisation.
L'alternative est une évolution progressive des tableaux des maladies professionnelles.