Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation

Réunion du 25 mai 2016 à 9h00

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • automatique
  • client
  • offshore
  • structurel

La réunion

Source

La réunion est ouverte à 9 h 00.

La commission procède tout d'abord à l'audition de M. Philippe Brassac, directeur général de Crédit Agricole SA.

Debut de section - PermalienPhoto de Michèle André

À la suite des révélations parues dans la presse dans le cadre de l'affaire des « Panama Papers », la commission des finances a fait le choix d'organiser un cycle d'auditions sur la lutte contre l'évasion et la fraude fiscales internationales, afin de mesurer le chemin parcouru depuis quelques années - et celui qui reste à parcourir.

Naturellement, il nous a semblé indispensable d'entendre les grandes banques françaises dont le nom est le plus souvent cité. Le 11 mai dernier, nous avons ainsi entendu le directeur général de la Société Générale. La presse a depuis révélé que d'autres banques françaises, en particulier le Crédit Agricole et BNP Paribas, que nous entendrons toutes deux ce matin, avaient également recouru aux services du cabinet panaméen Mossack Fonseca. Mais d'autres questions se posent : qu'en est-il des sociétés offshore enregistrées par d'autres intermédiaires, ou dans d'autres pays ? Ces sociétés-écrans sont-elles titulaires de comptes auprès de banques françaises ? Comment s'assure-t-on de la conformité fiscale de leurs bénéficiaires ?

Pour évoquer ces questions, nous recevons ce matin Philippe Brassac, directeur général de Crédit Agricole SA. Il est accompagné de Jérôme Brunel, secrétaire général, et de Jean-Yves Hocher, directeur général adjoint chargé du pôle « Grandes Clientèles ».

Je donne tout d'abord la parole à Philippe Brassac pour un propos liminaire d'une dizaine de minutes, au cours duquel il pourra apporter quelques éléments d'explication des informations parues dans la presse, et présenter les mesures qui ont été prises.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

directeur général de Crédit Agricole SA. - Je répondrai d'abord à une question que certains peuvent se poser : comment se fait-il que le Crédit Agricole, dont on connaît l'histoire plutôt rurale et française, puisse être significativement concerné par la banque privée internationale ? En réalité, nous sommes très présents dans ce domaine, et ce notamment depuis l'acquisition d'Indosuez, en 1995, et du groupe Crédit Lyonnais, en 2003. Cette activité, si elle n'est pas négligeable au sein du groupe Crédit Agricole, y reste néanmoins marginale, puisque la banque privée internationale représente 2,4 % de notre produit net bancaire (PNB), dont 0,9 % hors Europe, où se situent les activités dites « offshore ».

Je vais vous présenter l'organisation que nous avons mise en place pour lutter de la façon la plus efficace possible non seulement contre le blanchiment et le financement du terrorisme, mais aussi contre l'évasion fiscale. Nous avons mis en oeuvre trois types de mesures depuis 2010.

Tout d'abord, en 2010, la décision a été prise de nous retirer physiquement, en termes de structure de banque privée internationale, des territoires dits « non coopératifs ». Nous nous sommes fondés sur une liste de quatorze pays, plus large que la liste de l'administration fiscale française. C'est ainsi que nous avons quitté les Îles Caïmans, les Îles Vierges britanniques et les Bahamas.

Nous avons aussi décidé, en 2012, de mettre fin à toute activité de prestation dans le domaine du conseil en fiducie, c'est-à-dire l'intermédiation, le conseil, la création ou la gestion de structures dites « offshore ». Pour cette activité, qui est en elle-même parfaitement licite, nous avions recours à divers intermédiaires, parmi lesquels le cabinet Mossack Fonseca.

Ces deux retraits ont été totalement achevés en 2015 ; tout cela relève donc pour nous totalement du passé. L'arrêt de ces activités s'est fait soit par la cession des structures, soit par leur extinction.

Nous avons pris une troisième décision, qui l'emporte sur toutes les autres en termes de preuve : nous avons décidé, en 2013, de vérifier à nouveau la rectitude fiscale de l'ensemble de notre clientèle de banque privée internationale. Cela concerne aussi bien les ayants droits des structures offshore et onshore que des personnes physiques, soit, sur l'ensemble du groupe Crédit Agricole, environ 70 000 clients. Ce travail a été achevé fin 2014 pour tous les résidents français et fin 2015 pour tous les résidents de l'Union européenne. Nous l'avons entrepris en mars 2015 pour les clients du reste du monde ; nous prévoyons de le conclure fin 2016 pour les structures, et en 2017 pour les personnes physiques.

J'en viens au nombre de structures offshore toujours clientes du Crédit Agricole, notamment par le biais de nos structures au Luxembourg, en Suisse et à Monaco.

Tout d'abord, nous avons aujourd'hui encore onze structures offshore enregistrées au Panama par Mossack Fonseca ; aucun ayant droit de ses structures n'est résident français. Tous pays confondus, avons également quatre-vingts structures offshore établies par Mossack Fonseca ; là encore, aucun de leurs ayants droit n'est résident français non plus. Tous prestataires confondus, nous avons quatre structures offshore enregistrées au Panama concernant des résidents fiscaux français, et vingt-trois structures offshore concernant des résidents fiscaux français dans le monde entier.

Tous ces clients ont fait l'objet d'une vérification fiscale. De plus, comme nous opérons à partir de l'Europe, ils seront tous soumis, dès 2017 ou 2018, à l'échange automatique d'informations ; ces clients en sont conscients.

Je voudrais résumer en conclusion la politique du groupe Crédit Agricole pour la banque privée internationale. L'affaire des « Panama Papers » m'a enseigné qu'il ne suffit pas aujourd'hui de respecter strictement les réglementations des différents pays dans lesquels nous opérons ; il faut aussi être suffisamment lisible, de façon simple et non équivoque, sur nos champs d'acceptabilité et de non-acceptabilité. Nous voulons être présents en banque privée internationale exclusivement dans les territoires qui s'engagent dans l'échange automatique d'informations, et nous voulons y accepter seulement les clients qui nous donnent le mandat d'échange automatique d'informations. En d'autres termes : il n'y a pas de bénéfice du doute en faveur des clients pour lesquels nous ne pouvons pas matériellement effectuer ces vérifications, c'est-à-dire ceux qui relèvent d'États qui ne coopèrent pas sous forme d'accords bilatéraux ou multilatéraux.

Debut de section - PermalienPhoto de Michèle André

Je vous remercie de ces précisions. Pour lever toute ambiguïté, je souhaiterais vous poser quelques questions.

Le Crédit Agricole indique avoir mis fin définitivement en 2015 à ses activités de services fiduciaires offshore, c'est-à-dire l'ouverture et la gestion de sociétés-écrans. Cette activité n'a-t-elle pas tout simplement fait l'objet d'une externalisation, afin de la « sortir » du bilan de la banque tout en continuant à offrir ces services aux clients ?

Le Crédit Agricole Suisse Conseil, ou CASC, filiale de la banque pour les activités offshore, n'a en effet pas été liquidé, mais vendu au groupe mauricien NWT, rebaptisé NWT Conseil, permettant au Crédit Agricole de faire sortir de son bilan plus de la moitié des sociétés offshore qu'il gérait. Toutefois, selon les informations du Monde, NWT Conseil « continuera à fonctionner avec d'anciens employés et systèmes de CASC et à servir ses clients en lien étroit avec le Crédit Agricole suisse et ses filiales ». Deux entités qui apportaient des services fiduciaires auraient été cédées : Crédit Agricole Management Services Bahamas en 2012 et Crédit Agricole Suisse Conseil en 2015.

Ces activités ont-elles été réellement scindées ? Conservez-vous des liens avec vos anciennes filiales fiduciaires, qu'ils soient capitalistiques ou d'une autre nature, y compris informelle ? Quelle est votre relation avec les clients de ces filiales, notamment quand il s'agit de clients que vous aviez redirigés vers l'option offshore par le passé ?

Plus généralement, pouvez-vous nous assurer que le Crédit Agricole ne propose plus à ses clients de mettre en place des sociétés-écrans, que ce soit directement, via une filiale ou via un partenaire, y compris de façon informelle, en recommandant les personnes susceptibles de le faire ?

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Permettez-moi, avant de répondre à vos questions, de souligner que ce type d'activités est complètement licite et continue d'être opéré par de grandes banques, y compris en France. Nous faisons le choix politique de ne plus conseiller, créer ou gérer les structures de ce type, alors même que d'autres le font.

Ces procédures ont donc fait l'objet chez nous soit d'une extinction soit d'une cession à des prestataires externes, qui sont parfaitement connus et avec lesquels nous n'avons passé aucun type d'accord commercial. Nous avons fait ce choix non pas du fait d'obligations réglementaires mais bien pour des raisons de lisibilité de notre politique. Il n'y a ni lien commercial ni engagements avec ces prestataires. Notre politique sur ce point a été explicitement décrite. Cela n'empêche évidemment pas notre clientèle de s'adresser à ces prestataires.

Vous avez employé le terme de « société-écran ». Sur ce point, l'échange automatique d'informations a complètement changé la donne. Dès lors que l'on opère sur des territoires - tels le Luxembourg, la Suisse ou Monaco - qui se sont engagés à mettre en oeuvre l'échange automatique, et que les pays d'origine de la clientèle s'y engagent également, il n'y a plus d'opacité possible. Les structures offshore, utiles pour d'autres raisons que l'évasion fiscale, ne doivent donc pas être stigmatisées ainsi.

Dans tous les cas, du fait de notre choix de nous limiter aux pays pratiquant l'échange automatique, les informations pertinentes seront automatiquement diffusées aux différentes administrations fiscales, dès 2018 s'agissant de la Suisse.

Debut de section - PermalienPhoto de Michèle André

Quelles peuvent-être les autres raisons d'avoir recours à une société offshore, hormis les raisons fiscales ?

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Jean-Yves Hocher répondra mieux que moi à cette question. Il faut comprendre que ces structures offshore qui, du fait de notre politique, ne peuvent servir à dissimuler de l'évasion fiscale, peuvent être opportunes pour les clientèles fortunées.

Debut de section - PermalienPhoto de Michèle André

Aucun autre véhicule français n'est-il assez souple pour atteindre les mêmes buts ?

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Quand une personne fortunée, en France, veut investir à l'étranger, elle a besoin de structurer juridiquement son investissement de la façon la plus souple possible. Dans le passé, il est vrai que cela permettait aussi de faire écran sur le plan fiscal. Désormais, dans le cadre de l'échange automatique d'informations, que nous approuvons, cette opacité ne peut plus exister.

Debut de section - Permalien
Jean-Yves Hocher

directeur général adjoint de Crédit Agricole SA, chargé du pôle « Grandes Clientèles ». - Quatre grandes causes justifient traditionnellement la création de structures offshore par des personnes, souvent très fortunées, qui désirent diversifier leurs investissements à travers le monde.

La première cause est immobilière. Ayant acquis des immeubles dans divers pays, on les place dans ce type de structures. Cela ne pose pas a priori de difficultés fiscales : en effet, aux termes de la convention OCDE appliquée dans la plupart des pays, les immeubles sont fiscalisés dans le pays où ils se trouvent. L'emploi d'une telle structure répond alors à une volonté d'organisation rationnelle d'un patrimoine international au sein d'une même société.

La deuxième cause est plus technique ; elle concerne des propriétaires d'avions ou de yachts munis d'équipage. On retrouve dans ce cas l'organisation utilisée par les armateurs, même français, qui font immatriculer leurs navires où c'est le plus simple et où le droit maritime est le plus commode. Ces avions et bateaux étant souvent financés par l'emprunt, la banque peut alors assez facilement, en cas de non-paiement du crédit, réaliser le gage, c'est-à-dire saisir les actions de la société. Dans beaucoup de pays, les procédures judiciaires nécessaires pour ce faire peuvent durer deux ans alors que, dans les pays utilisés par les armateurs, les procédures sont extrêmement rapides.

La troisième cause est relative à l'organisation successorale. Il s'agit de faire primer la volonté du défunt. Un exemple récent me vient à l'esprit : une personne, du fait du décès de ses enfants, ne pouvait léguer son bien qu'à ses petits-enfants, encore mineurs. Dans ces juridictions, on peut retarder l'exécution de la succession jusqu'à la majorité des petits-enfants, ce qui serait impossible en France. Les successions ainsi organisées font appel à un curateur pour prendre soin d'une affaire souvent assez complexe.

Enfin, dans certaines parties du monde, on a recours à ce type de structures pour des raisons de sécurité physique ou politique. L'immense majorité des résidents d'Amérique du Sud qui placent leurs biens à Panama le font pour ces raisons.

Debut de section - PermalienPhoto de Michèle André

Y aurait-il selon vous des changements à effectuer dans le droit français pour offrir à ces personnes la souplesse qui leur manque ? Par ailleurs, où sont immatriculés les navires auxquels vous avez fait référence ?

Debut de section - Permalien
Jean-Yves Hocher

Hormis le Panama, on peut citer l'île de Man comme pavillon d'immatriculation de navires. Le critère majeur, pour les banques qui y ont recours, est la facilité de réalisation du gage. La législation française ne permet pas une saisie aussi rapide du bateau en cas de non-paiement du crédit que dans ces territoires - parfois quelques heures seulement !

Debut de section - PermalienPhoto de Albéric de Montgolfier

Lors de son audition par notre commission le 11 mai dernier, M. Patrick Suet, secrétaire général du groupe Société Générale, a assuré que sa banque « ne participait pas, bien entendu, à des opérations dont l'objet est exclusivement fiscal ». Pourtant, on conçoit aisément qu'une opération puisse avoir un but principalement fiscal tout en ayant d'autres finalités, réelles ou prétextées. Pouvez-vous donc nous assurer que votre banque refuse les demandes dont le but est principalement fiscal, lorsqu'il apparaît que l'opération aurait pour objet ou pour effet d'échapper à l'impôt ?

Par ailleurs, lors de son audition par notre commission le 18 mai dernier, Éliane Houlette, procureur de la République financier, a indiqué qu'elle était à ce jour incapable de connaître l'identité du « bénéficiaire effectif » d'un trust par la voie de la coopération judiciaire avec certains paradis fiscaux. La direction générale des finances publiques (DGFiP) fait état du même obstacle en matière de coopération administrative. Dès lors, comment une banque comme la vôtre obtient-elle ces informations, dans le cadre de ses obligations relatives à la connaissance du client, Know Your Customer (KYC) ? Peut-elle les transmettre à l'administration fiscale ?

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Il ne doit pas y avoir d'ambiguïté : il ne saurait y avoir de recherche d'évasion fiscale dès lors que nous suivons notre présente politique de limitation volontaire ; nous ne voulons opérer qu'à partir de territoires ayant accepté de mettre en oeuvre l'échange automatique d'informations, et seulement avec des clients dont le pays l'a également accepté. Nous ne leur laissons pas le bénéfice du doute lorsque les vérifications sont impossibles du fait de l'absence d'accords entre États. Par définition, nous ne pouvons avoir comme clients de notre activité de banque privée internationale que des personnes physiques et des structures, onshore ou offshore, soumises à l'échange automatique d'informations. Le terme « automatique » est ici crucial : il ne s'agit pas d'une décision de la banque au cas par cas, mais bien d'un système organisé entre États.

Prenons le cas d'une banque au Luxembourg, pays qui est partie à l'accord sur l'échange automatique. Si tous les clients sont originaires de pays également parties à cet accord, ce qui est le cas de tous les États membres de l'Union européenne, la banque devra donner toutes les informations à l'administration fiscale luxembourgeoise, qui les transmettra aux administrations fiscales des pays d'origine des clients. L'évasion fiscale est impossible dans ce système.

Cela dit, comment faisons-nous pour détecter d'emblée les clients qui s'adressent à nous avec de telles intentions, et les exclure de nos activités ? Nous obéissons d'abord aux règles dites Know Your Customer, qui imposent de connaître les vrais ayants droits. Cela n'est pas toujours facile, mais nous n'ouvrons pas de compte si nous ne sommes pas sûrs de connaître les clients.

Nous avons par ailleurs mené une opération très lourde, auprès de nos 70 000 clients, de vérification fiscale renouvelée. Dans ce cadre, quand nous n'étions pas sûrs de disposer de tous les éléments de preuve et de toutes les connaissances sur les ayants droits, nous avons été amenés à clôturer les opérations de ces clients, et ce de façon traçable et lisible, afin de ne pas permettre une évasion complémentaire.

En somme, notre territorialité ne nous permet pas d'accueillir des clients qui échapperaient à la fiscalité. Par ailleurs, le vrai travail de vérification qui nous est imposé fait que, si nous avons le moindre doute sur les vrais ayants droits, nous devons interrompre nos relations avec ces clients.

En outre, des mécanismes de déclaration de soupçons existent dans tous les États pour le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme ; dans un nombre croissant d'États - bientôt partout sans doute -, y compris en France depuis 2009, ces mécanismes s'appliquent aussi aux soupçons d'évasion fiscale. La Suisse, pourtant l'un des pays les plus lents à adopter de tels mécanismes, le fera cette année.

Debut de section - Permalien
Jean-Yves Hocher

Je voudrais ajouter une précision technique quant à la manière dont est traité le cas des sociétés offshore dont nous tenons les comptes au Luxembourg. Nous connaissons les bénéficiaires effectifs de ces sociétés. L'échange automatique d'informations nous oblige désormais à transmettre aux autorités fiscales luxembourgeoises non seulement les avoirs détenus par la société, mais aussi l'identité fiscale des bénéficiaires, de façon à ce que ces autorités transmettent aux pays de résidence des bénéficiaires toutes les données. L'échange automatique d'informations est vraiment le sésame qui permet de régulariser la situation de façon universelle.

Debut de section - PermalienPhoto de Albéric de Montgolfier

À propos du Luxembourg, le secrétaire général de l'autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), Édouard Fernandez-Bollo, nous a fait part des difficultés qu'il rencontrait à exercer des contrôles sur des filiales de banques françaises dans ce pays, notamment. Le régulateur luxembourgeois choisirait en effet lui-même l'échantillon soumis au contrôle. Des instructions sont-elles données à vos filiales en cas de contrôle sur place ? Quelles sont les relations de votre filiale avec le régulateur local ? Des informations peuvent-elles être « remontées » au régulateur français ? On sait que certains contrôles ne se sont pas très bien passés.

Debut de section - Permalien
Jean-Yves Hocher

Nous nous trouvons ici non plus dans le domaine de la fiscalité mais dans celui de la régulation. Nous donnons à nos filiales étrangères l'instruction d'obéir aux règles fixées par le régulateur local. Si celui-ci ne veut pas transmettre d'informations sans accord de coopération entre les États, nous n'y pouvons rien. Le régulateur est souverain dans son pays et la transmission de données est soumise à la mise en oeuvre d'une procédure assez longue d'application de l'accord de coopération.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Bocquet

Effectivement, le Crédit Agricole nous avait davantage habitués, jadis, au « bon sens près de chez nous », ce qui explique notre surprise à vous voir mêlés à cette affaire. De fait, vous n'avez pas échappé à la mondialisation et à la financiarisation à l'extrême : vous vous retrouvez donc dans la tourmente aujourd'hui !

Cela dit, avant même les révélations des « Panama Papers », un rapport avait été publié, le 16 mars 2016, par diverses organisations non-gouvernementales - Oxfam, le Secours catholique, CCFD-Terre Solidaire -, qui présentait une analyse complète de la présence des banques françaises dans les paradis fiscaux. Bien sûr, le Crédit Agricole y figurait. Ce rapport indiquait que vous aviez réalisé, en 2014, 2,4 milliards d'euros de bénéfices à l'international, dont 700 millions d'euros dans les paradis fiscaux, soit 26,6 % de ce chiffre. Confirmez-vous ou infirmez-vous ces données ?

Le même document précisait que, sur les 159 filiales de votre groupe dans les paradis fiscaux, seules sept entités étaient des banques de détail. Quel type d'activité menez-vous dans ces filiales ? Vous avez en partie répondu à cette question. Néanmoins, si la transparence vous importe, est-il absolument nécessaire d'organiser des activités, par exemple successorales, dans des territoires où l'opacité règne ? Si c'est transparent, pourquoi se cacher ?

Ensuite sont venues les révélations des « Panama Papers », qui ont secoué le monde entier. Ces documents évoquent 1 129 structures offshore gérées depuis les années 1990 par le Crédit Agricole, soit plus encore que pour la Société Générale : si ce chiffre est confirmé, vous êtes la première banque concernée par cette affaire. Vous dites avoir cessé cette activité en 2015 ; à l'instant, vous avez dit avoir pris la décision de vous retirer des paradis fiscaux en 2010. Que s'est-il donc passé durant ces cinq années ? On nous parle de 246 sociétés offshore encore actives en 2013. Les chiffres divergent : pouvez-vous nous apporter quelques précisions, certifier et, sur demande, documenter vos affirmations ?

Votre établissement a publié un communiqué, selon lequel « la banque privée du Crédit Agricole a engagé une démarche volontaire visant à s'assurer que chacun de ses clients est bien en conformité avec les services fiscaux de son pays de résidence ». Vous savez très bien pourtant que l'on peut être citoyen français, résider à Genève, posséder une société à Jersey et être titulaire d'un compte à Hong Kong ! De quel pays tenez-vous compte pour vérifier la conformité de telle ou telle situation ?

Le journal Le Monde a évoqué une filiale monégasque du Crédit Agricole, le Crédit foncier de Monaco, qui a demandé explicitement, à partir de 2010, au cabinet Mossack Fonseca de ne jamais mentionner les noms complets des bénéficiaires ou des sociétés qu'il gérait pour son compte. Avez-vous un commentaire à faire là-dessus ?

Philippe Brassac, vous avez déclaré dans votre propos liminaire ne travailler qu'avec les pays qui s'engagent à la transparence et à la coopération. Toutefois, Éliane Houlette, procureur de la République financier, a mentionné lors de son audition le cas de la Suisse où, si la coopération administrative était relativement bonne, la coopération judiciaire en revanche faisait apparaître pour le moins quelques réticences.

Enfin, Jean-Yves Hocher, vous indiquez il n'y a pas a priori de difficultés fiscales dans les activités immobilières offshore. N'est-il pas dans vos obligations réglementaires de vérifier que tel est bien le cas ?

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

En effet, il peut surprendre que le Crédit Agricole soit pointé du doigt sur ce type d'activité. Je rappellerai néanmoins que nous sommes la dixième banque mondiale et la troisième en Europe. Nous sommes une banque universelle, qui compte 160 000 collaborateurs et des dizaines de millions de clients. Nous avons donc toutes les activités d'une banque universelle dans un monde très globalisé. Cela emporte des risques mais aussi les obligations de contrôle inhérentes à ces risques.

Je ne valide pas un seul instant les chiffres cités par Éric Bocquet, notamment en ce qui concerne la part des paradis fiscaux dans nos bénéfices. L'essentiel du produit net bancaire (PNB) du groupe Crédit Agricole est produit en France. On ne peut réaliser 2,4 milliards d'euros de résultats dans des paradis fiscaux quand le total pour le groupe n'atteint que 4 à 5 milliards d'euros ; cela serait du moins incompatible avec les 5 milliards d'euros d'impôt et taxes que nous avons versés à l'État français sur le dernier exercice. Nous figurons à un rang extrêmement élevé des contributions fiscales en France.

Les activités qui font l'objet de cette audition - la banque privée internationale dans son ensemble - représentent au plus 2,4 % de notre PNB ; seuls 0,9 % de ce PNB provient de telles activités hors Europe.

Je sais qu'il n'est guère populaire de dire cela, mais les structures offshore ne sont ni illicites ni problématiques par principe, dès lors qu'elles se font dans la transparence. Il y en a et il y en aura toujours ; des prestataires, y compris de grandes banques, continueront à mener de telles activités. Nous avons fait, volontairement, le choix de n'opérer, en termes de territoire comme de clientèle, que dans le cadre de l'échange automatique d'informations.

S'agissant de nos implantations, ce qui compte pour nous est le « booking », là où nous proposons nos services. Prenons le cas d'un client français, ayant droit d'une structure au Panama. Plus que sa nationalité, la localisation de son « booking » est ce qui importe : Paris, le Luxembourg, la Suisse, Monaco, Hong Kong... Ces territoires et, plus largement, les onze pays où nous localisons les « bookings », sont soumis à l'échange automatique d'informations. Cela nous permet de tenir de manière ferme et solennelle notre politique de transparence.

Le Crédit foncier de Monaco appartient effectivement au Crédit Agricole : nous l'avons acquis en même temps qu'Indosuez. Monaco est en transparence fiscale, depuis de très nombreuses années, avec la France : un Français ouvrant un compte à Monaco est automatiquement déclaré à l'État français.

Lorsque nous imposons à nos prestataires, comme dans tous nos contrats, la confidentialité de nos clients, c'est pour protéger ceux-ci, ainsi que nos données, et non pas pour nous soustraire aux autorités fiscales, qui sont en droit d'exiger la lisibilité de nos comptes.

Vous avez évoqué certaines activités qui sont menées dans d'autres pays pour des raisons industrielles ou professionnelles. Ce serait selon moi une erreur que d'associer automatiquement certains pays à de l'opacité. Le financement de grandes structures de transport maritime ou d'aéronautique peut se faire dans des pays dont le nom, par la connotation qui y est attachée, peut surprendre ; pour autant, il se fait dans une entière transparence juridique, de rémunération et de fiscalité. Le Crédit Agricole est fier de compter parmi les grands leaders mondiaux de ce type de financement.

Debut de section - Permalien
Jean-Yves Hocher

J'évoquerai plus en détail le financement des avions et des bateaux. En règle générale, nous finançons non pas la compagnie aérienne mais l'avion lui-même, qui est « enveloppé » dans une structure juridique ad hoc. Cette structure est l'emprunteur auprès de la banque et ces emprunts sont payés par les loyers versés par la compagnie. L'administration fiscale française connaît parfaitement l'argent perçu par cette structure, imposé conformément aux dispositions de l'article 209 B du code général des impôts. Il s'agit purement d'une technique de financement visant à assurer la rapidité de la saisie puis la revente de cet avion par le Crédit Agricole en cas de non-paiement du loyer par la compagnie aérienne - un cas fort rare. Ce type de structure peut être formé aisément dans certains pays et États américains, tels que le Delaware.

Il en est de même pour les bateaux, les pavillons privilégiés étant ceux du Panama et de l'île de Man. J'ai ainsi en tête deux grands navires de croisière, construits par un grand chantier naval de l'ouest de la France, qui ont été, à ma connaissance, immatriculés au Panama pour des raisons qui n'ont rien de fiscal.

Debut de section - PermalienPhoto de François Marc

Il est naturel que les autorités publiques se préoccupent des structures offshore, qui peuvent être jugées pernicieuses dès lors qu'il y a évasion fiscale ou blanchiment d'argent.

Beaucoup d'arguments sont mis en avant pour légitimer les créations de comptes à l'étranger : gestion de l'immobilier, droit des successions, etc. Pourtant, d'après la presse, 80 % des motivations qu'on pouvait déduire des « Panama Papers » relevaient de l'évasion fiscale. Les quatre arguments que vous avez évoqués ne pèseraient donc que dans 20 % des cas. Dès lors, pouvez-vous nous en dire plus sur le renforcement récent de vos contrôles et votre programme de « rectitude fiscale » ?

Par ailleurs, quels sont les contrôles et vérifications à conduire avant l'ouverture d'un compte pour éviter que des sociétés ne se livrent à du blanchiment d'argent ? Certaines d'entre elles avaient ouvert des comptes offshore pour éviter de répondre aux exigences réglementaires locales.

Enfin, il semblerait, à vous entendre, que la législation française ne soit pas au point sur certains sujets, ce qui justifierait le recours aux structures offshore. Quelles modifications législatives suggéreriez-vous pour éviter tous ces tracas ?

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Je suis incapable de valider les pourcentages que vous avez cités. Je ferai par ailleurs remarquer que le consortium international des journalistes d'investigation (ICIJ), à l'origine de la publication des « Panama Papers », mentionne sur son propre site l'existence de raisons légitimes à la création de compagnies offshore, et souligne la conformité fiscale de bien des bénéficiaires de telles structures. Ils confirment bien ainsi que ces activités ne sont pas illicites par principe, loin s'en faut.

Nous avons terminé le travail de vérification fiscale renouvelée des ayants droits français de ces structures. Tous ces clients savent parfaitement qu'ils vont désormais être soumis à l'échange automatique d'informations. Notre banque privée internationale compte 13 000 clients français ; 23 structures offshore que nous gérons ont des ayants droit français. Tous ces clients savent qu'ils seront soumis à l'échange automatique d'informations, et n'y voient aucun problème. Ils estiment qu'ils ont des raisons légitimes, dont je n'ai pas à connaître, d'avoir recours à une structure offshore. La vérification est achevée ; des structures offshore demeurent, mais nous avons renoncé, pour une plus grande lisibilité, à la création de telles structures à l'avenir.

Nous voulons qu'il n'y ait aucun doute quant au fait que nous ne sommes ni générateurs par notre conseil ni prestataire de telles activités. En outre, le fait que notre clientèle sera soumise à l'échange automatique d'informations est la preuve, par la conscience des clients eux-mêmes, que ces activités sont en parfaite rectitude fiscale.

Quant au droit français, le problème n'est pas directement ou uniquement là. Les problèmes que j'évoquais ne touchent pas que des Français : on pourrait prendre le cas d'un Espagnol achetant un immeuble à Hong Kong. Il essaiera de trouver la formule juridique qui lui convient le mieux, tout en respectant l'ensemble des réglementations. Dans notre monde très globalisé, où on donne la possibilité à tous, à tort ou à raison, d'effectuer de telles opérations, on trouve des clientèles désireuses d'optimiser leur situation au regard d'une variété de règles successorales ou juridiques. Je ne me permettrais donc pas de formuler la moindre recommandation sur l'évolution des réglementations, car l'existence de ces pays en tant que localisations de sociétés offshore résulte de leur stratégie d'optimisation des réglementations pour se montrer attractifs sur tel ou tel besoin exprimé par des clients.

Debut de section - Permalien
Jean-Yves Hocher

S'agissant des contrôles à effectuer sur les ayants droits de ces structures, il faut distinguer entre avant et après la mise en place de l'échange automatique d'informations.

Avant, nous demandions au client une attestation de conformité fiscale avec les règles de son pays, ainsi que son identifiant fiscal. La banque n'est en revanche pas habilitée à exiger d'un client qu'il lui transmette sa déclaration d'impôts.

Après, ce sera plus simple ; la transmission sera automatique, nous donnerons aux autorités fiscales du pays où nous tenons les comptes toutes les données, qui seront ensuite transmises au pays de résidence fiscale des clients. La question de la sincérité du client ne se posera plus. De notre point de vue, la partie fiscale du problème est ainsi résolue. Il reste les questions juridiques : nous allons dans certains pays, car le droit y est plus souple. Il s'agit là d'un débat différent.

Debut de section - PermalienPhoto de François Marc

La fiscalité était tout de même la part essentielle du sujet.

Debut de section - Permalien
Jean-Yves Hocher

C'est ce que dit la presse ; nous n'en avons pas eu confirmation.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Je peux lever un doute nous concernant. Notre activité de banque privée internationale pour le groupe Crédit Agricole a conservé une taille comparable après la vérification fiscale de nos clients, soit environ 70 000 clients. Je n'élude pas la possibilité qu'il y ait eu dans le passé une recherche d'évasion fiscale ; néanmoins, nous ne voyons pas notre activité s'évaporer de façon significative avec l'instauration de contrôles. Par conséquent, l'essentiel des motivations de nos clients n'était pas l'évasion fiscale.

Debut de section - PermalienPhoto de André Gattolin

Vous avez évoqué, Philippe Brassac, le travail d'extinction des sociétés offshore, effectué soit par l'extinction pure et simple de la société, soit par sa cession. Vous avez notamment évoqué le cas des filiales vendues au groupe mauricien NWT, en niant l'existence de liens commerciaux ou capitalistiques entre le Crédit Agricole, ou ses filiales, et cette société. Pouvez-vous nous en dire plus sur ces cessions ? Du personnel travaillant pour le Crédit Agricole ou une de ses filiales en charge de ces comptes offshore a-t-il été transféré vers cette société, avec ou sans votre accord ? Ces cessions se sont-elles effectuées dans des conditions normales ? Quelles clauses ont été mises en place ? Savez-vous ce que sont devenus ces anciennes filiales et leurs collaborateurs ?

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Nous n'avons jamais dit que nous voulions procéder à l'extinction de toutes les structures offshore, qui sont par principe licites et peuvent être utiles. Nous entendons faire opérer celles qui existent dans un cadre qui permet la transparence fiscale. Nous avons simplement décidé de ne plus être nous-mêmes prestataire, conseil, intermédiaire, créateur ou gestionnaire de ces structures.

Paradoxalement, en voulant être plus loyaux que ce qu'impose la réglementation, nous attirons sur nous-même une sorte de soupçon. Je pourrais très bien défendre la poursuite de ces activités légales, comme d'autres banques le font. Nous avons pris cette décision pour notre réputation : nous ne pouvons plus nous contenter de strictement respecter la réglementation de chaque pays, nous devons offrir à tous ceux qui nous observent une politique très lisible et sans ambiguïté. La réputation est une valeur essentielle pour une grande banque comme le Crédit Agricole. C'est pour cette raison que nous avons décidé d'arrêter ce type de prestations, afin de ne pas subir le reproche d'être à l'origine du conseil permettant de structurer ainsi les patrimoines.

Pour répondre précisément à votre question, nous avons choisi l'extinction pure et simple pour deux entités. Au Luxembourg, notamment, nous avons fermé notre structure où nous pratiquions le conseil et la structuration offshore. Quant à Crédit Agricole Suisse Conseil, nous l'avons cédé en toute transparence, à une structure parfaitement connue. Aucun accord commercial n'a été passé. En revanche, quand on vend une structure, on « vend » aussi ses collaborateurs, pour ainsi dire. Nous n'avons ni participation dans le capital, ni liens commerciaux, ni commissions d'apport avec cette structure. Nous y avons par contre détaché une personne pour deux ou trois ans afin de surveiller que la transition s'opère de façon convenable et ne cause pas de difficultés par rapport à notre clientèle.

Debut de section - Permalien
Jean-Yves Hocher

Dans toute cession, les employés sont transférés en tout ou partie chez l'acheteur.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Il n'est pas rationnel de penser que ces cessions ne seraient qu'un moyen pour nous de cacher notre activité. Nous aurions dans ce cas gardé la structure elle-même. Ce qui compte à nos yeux, c'est bien la transparence fiscale, et nous allons au-delà des contraintes réglementaires en abandonnant ces activités, qui créent un problème de réputation pour les banques qui les pratiquent.

La commission entend ensuite M. Jacques d'Estais, directeur général adjoint de BNP Paribas.

Le compte rendu de cette réunion sera publié ultérieurement.

La commission entend M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes, sur la certification des comptes de l'État - exercice 2015 - et sur le rapport relatif aux résultats et à la gestion budgétaire de l'exercice 2015 et, en sa qualité de président du Haut Conseil des finances publiques, sur l'avis du Haut Conseil, relatif au solde structurel des administrations publiques de 2015.

Debut de section - PermalienPhoto de Michèle André

Nous accueillons ce matin Didier Migaud en sa double qualité de premier président de la Cour des comptes et de président du Haut Conseil des finances publiques.

Le projet de loi de règlement pour 2015 est délibéré ce matin en conseil des ministres et sera examiné au Sénat au début du mois de juillet, après que le rapporteur général et les rapporteurs spéciaux auront analysé les données de l'exécution 2015, en comptabilité budgétaire, mais aussi en comptabilité générale.

À ce titre, les analyses de la Cour des comptes sur les résultats et la gestion 2015 et ses travaux de certification des comptes nourriront comme chaque année nos travaux.

Je rappelle également aux commissaires que le président du Sénat leur a récemment adressé une invitation pour un colloque qui se tiendra le 30 juin au Sénat. À cette occasion, nous dresserons le bilan de dix années de publication des comptes de l'État et de l'usage que font les parlementaires de la comptabilité générale, dont l'établissement exige beaucoup de moyens et que la France est l'un des rares pays à produire.

Compte tenu de l'horaire, je propose au Premier président de présenter également, dans un même mouvement, l'avis du Haut Conseil des finances publiques sur le respect de la trajectoire de solde structurel en 2015.

Je vous rappelle que le législateur organique de 2012 avait souhaité, afin de faire le lien entre le budget de l'État et la trajectoire globale des administrations publiques, que cet avis soit joint au projet de loi de règlement et que ses conséquences éventuelles, c'est-à-dire le déclenchement du mécanisme de correction, soit précisées à cette occasion.

Debut de section - Permalien
Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes, président du Haut Conseil des finances publiques

Les travaux que je vais porter à votre connaissance ont vocation à éclairer le Parlement en amont de la discussion du projet de loi de règlement. Ils sont au nombre de trois : l'avis du Haut Conseil des finances publiques relatif au solde structurel des administrations publiques présenté dans le projet de loi de règlement de 2015 ; l'acte de certification des comptes de l'État de 2015 et le rapport sur le budget de l'État en 2015.

Je veux attirer votre attention sur la différence de champ entre ces trois documents. L'avis du Haut Conseil porte sur l'ensemble des finances publiques, toutes administrations publiques confondues, alors que les deux rapports de la Cour concernent la situation et les comptes de l'État, et seulement de l'État.

Afin de simplifier la présentation de ces travaux, nous nous sommes accordés sur une intervention d'ensemble.

Je commencerai par l'avis du Haut Conseil et je signale, à cet égard, la présence de son rapporteur général, François Monier.

Cet avis est rendu en application de la loi organique relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques. Conformément à la volonté du législateur organique, le Haut Conseil doit comparer l'exécution constatée en 2015 avec la trajectoire de solde structurel définie dans la loi de programmation pour les années 2014 à 2019. C'est la loi de programmation en vigueur, qui constituait déjà notre référence l'an dernier.

Je rappelle que le solde structurel correspond au solde des administrations publiques corrigé des effets liés à la conjoncture économique et déduction faite des mesures ponctuelles et temporaires.

Le solde effectif s'établit, d'après les données des comptes nationaux publiées par l'Insee le 17 mai 2015, à un niveau de - 3,6 %, contre - 4,1 % prévu dans la loi de programmation.

Cet écart de 0,5 point de PIB est, pour l'essentiel, un écart sur la composante conjoncturelle du déficit. La révision à la hausse par l'Insee de la croissance de 2015 conduit à réduire la composante conjoncturelle du déficit, désormais estimée à - 1,6 %, au lieu de - 2,0 % dans la loi de programmation. C'est la conséquence d'une croissance du PIB meilleure que prévu en 2014 et 2015, à la suite de révisions intervenues sur les comptes nationaux. L'estimation des mesures ponctuelles et temporaires est inchangée.

En 2015, le déficit structurel s'établit à - 1,9 % du PIB, contre un niveau de - 2,1 % prévu par la loi de programmation. Nous constatons que le déficit structurel des administrations publiques présenté dans le projet de loi de règlement est donc inférieur de 0,2 point de PIB à ce qui était prévu par la loi de programmation en vigueur.

Pour autant, on ne peut, à nos yeux, se contenter de ce constat.

Nous voyons deux raisons à cela.

La première raison est que la trajectoire de solde structurel figurant dans la loi de programmation de 2014 était peu exigeante.

Le Haut Conseil avait jugé à l'époque qu'elle n'était pas cohérente avec les engagements européens de la France. Il a relevé qu'après plusieurs échanges avec la Commission européenne et le Conseil, cette trajectoire a été en quelque sorte « corrigée » par le Gouvernement dans les programmes de stabilité ayant suivi, en avril 2015 et en avril 2016. Ces documents, selon nous, représentent mieux les engagements européens de notre pays que la loi de programmation à laquelle le Haut Conseil se réfère en application de la loi organique.

La seconde raison est que les résultats de 2015 mettent une nouvelle fois en évidence la sensibilité de l'indicateur de solde structurel aux révisions de la croissance du PIB.

Les révisions à la hausse des chiffres de la croissance tout récemment annoncées par l'Insee, dont la principale porte sur l'année 2014, ont eu pour effet d'augmenter le déficit structurel de 0,3 point de PIB par rapport aux estimations dont on disposait jusqu'ici. La nouvelle estimation s'élève ainsi à - 1,9 % au lieu de - 1,6 %.

Nous l'avions déjà constaté dans le passé : l'estimation du solde structurel peut être révisée pour des raisons indépendantes de la politique budgétaire.

Pour ces deux raisons, le Haut Conseil suggère que l'appréciation soit complétée par l'examen d'un indicateur traduisant mieux l'action des pouvoirs publics en matière de recettes et de dépenses, à savoir l'effort structurel.

À cet égard, il constate que l'effort structurel réalisé en 2015, qui représente 0,4 point de PIB selon les dernières estimations, est moindre que celui qui était prévu dans la loi de programmation - 0,6 point de PIB. Il est sensiblement inférieur aux objectifs des deux derniers programmes de stabilité, prévoyant respectivement 0,8 et 0,7 point de PIB. Le constat est le même sur les deux années 2014 et 2015.

Ces écarts par rapport aux programmes de stabilité s'expliquent, pour l'essentiel, par une révision à la hausse des dépenses en volume, du fait d'une inflation plus faible que prévu. Ils résultent, pour le reste, de mesures en prélèvements obligatoires un peu plus importantes que celles qui avaient été programmées. Ces différents points feront l'objet d'analyses détaillées dans le rapport sur la situation et les perspectives, que la Cour des comptes doit publier à la fin du mois de juin.

Je conclurai mon propos sur l'avis du Haut Conseil en rappelant ses trois principales conclusions.

Le déficit structurel estimé pour 2015 est inférieur de 0,2 point à celui de la loi de programmation. Ce déficit structurel, recalculé en 2015 avec les nouvelles données de la comptabilité nationale, est toutefois plus creusé que dans les programmes de stabilité d'avril 2015 et même d'avril 2016, qui engagent la France - cela signifie, et ce n'est pas sans importance, que l'effort à réaliser pour revenir à l'objectif d'équilibre structurel de moyen terme, tel que prévu dans la trajectoire, sera plus élevé.

L'effort structurel réalisé en 2014 et 2015 a été moins important que prévu dans les deux derniers programmes de stabilité.

J'en viens à l'acte de certification des comptes de l'État et au rapport sur le budget de l'État.

En préalable, j'insiste à nouveau sur le fait que ces travaux sont consacrés au seul budget de l'État et au dernier exercice clos, à savoir l'année 2015. Ils ne portent pas sur les autres administrations publiques. Ils constituent, je le souhaite, une source de données, d'informations utile pour l'analyse du budget et des comptes de l'État.

La vision d'ensemble « toutes administrations publiques » vous sera apportée dans notre rapport de la fin du mois de juin sur la situation et les perspectives des finances publiques.

J'ai à mes côtés Raoul Briet, qui préside la formation inter-chambres. Les travaux sur lesquels s'appuient ces documents ont été réalisés par des équipes animées par Emmanuel Belluteau, Lionel Vareille, Laurent Zérah, pour l'acte de certification, et par les équipes animées par Guilhem Blondy et Vianney Bourquard, ainsi que Louis-Paul Pelé, pour le rapport sur le budget de l'État en 2015. Les contre-rapporteurs étaient respectivement Jean-Pierre Laboureix et Christian Charpy.

S'agissant de l'acte de certification des comptes de l'État, depuis 2006, en application des dispositions de la LOLF, la Cour procède à un examen approfondi des comptes de l'État. Ces comptes sont arrêtés par le ministre des finances et des comptes publics. Ils sont intégrés dans le projet de loi de règlement, qui vous est soumis par le Gouvernement.

Dans l'acte porté à votre connaissance aujourd'hui, la Cour apporte une opinion motivée sur la régularité, la sincérité et la fidélité de l'image que donnent les documents produits par l'État de sa situation comptable et financière. Cette opinion porte sur la comptabilité générale de l'État. Il ne s'agit pas, en revanche, d'une appréciation quant à la sincérité de la comptabilité budgétaire de l'État.

Je vous rappelle trois chiffres-clés, permettant d'appréhender synthétiquement le bilan de l'État au 31 décembre 2015. Premièrement, le passif total s'élève à environ 2 100 milliards d'euros, en hausse de 100 milliards d'euros par rapport à la fin de 2014. Deuxièmement, le total des actifs atteint presque 1 000 milliards d'euros, à un niveau globalement stable par rapport à la fin de 2014, ce qui signifie que la situation nette de l'État est négative, d'environ 1 100 milliards d'euros. Troisièmement, les engagements hors bilan de l'État atteignent 3 300 milliards d'euros, soit un montant stable par rapport à la fin de 2014.

Au titre de l'exercice 2015, la Cour certifie que les comptes de l'État donnent une image fidèle de son patrimoine et de sa situation comptable et financière.

Nous assortissons cette certification de cinq réserves substantielles, identiques à celles que nous avions émises l'an dernier. Trois d'entre elles présentent un caractère quasi systémique.

Premièrement, la Cour estime toujours que le système d'information financière et comptable de l'État reste complexe, coûteux, peu sûr et exposé à des risques d'erreur. Je rappelle qu'il est constitué de Chorus et de plus de 300 autres applications informatiques.

Deuxièmement, les dispositifs ministériels de contrôle interne et d'audit interne ne sont pas encore organisés et pilotés de manière satisfaisante. La Cour a néanmoins constaté cette année des progrès. Certains ministères sont désormais dotés de dispositifs d'audit conformes aux attentes. Je pense, en particulier, au ministère de la justice.

Troisièmement, la comptabilisation en droits constatés des produits régaliens, autrement dit du produit des impôts, des créances et des dettes fiscales, continue de pâtir des insuffisances des données fiscales et des contrôles qui leur sont appliqués.

Les deux autres réserves concernent à nouveau, d'une part, les immobilisations et les stocks du ministère de la défense et, d'autre part, les immobilisations financières de l'État.

S'agissant des immobilisations et des stocks du ministère de la défense, des incertitudes continuent de peser sur les inventaires de stocks et de matériels militaires, sur leur évaluation, et sur le recensement et l'évaluation par le ministère de ses biens immobiliers.

S'agissant des immobilisations financières de l'État, la Cour ne peut toujours pas se prononcer sur la fiabilité de l'évaluation d'un grand nombre de participations financières.

Un tableau retraçant l'évolution des réserves dans le temps vous a été communiqué dans la synthèse. Il met en évidence le fait que depuis 2006, premier exercice soumis à la certification, l'administration a consenti des efforts importants, ayant permis la levée progressive de réserves substantielles.

Le fait que les cinq réserves substantielles soient inchangées depuis 2013 ne signifie pas qu'aucun progrès n'a été enregistré dans cette période. Cela ne signifie pas non plus que rien n'a changé sur le fond, ni davantage qu'aucun constat d'audit nouveau n'est apparu. L'année 2015 en donne une illustration claire.

Comme l'an dernier, la dynamique d'amélioration se poursuit, malgré la stabilité globale apparente. De multiples évolutions, dans le bon sens, ont été relevées : 43 parties de réserves font l'objet d'une levée dans l'acte ; toutes les réserves sont concernées par ces levées, y compris celles, dites « systémiques », qui concernent le système d'information et le contrôle interne ; des levées interviennent sur des sujets récurrents, comme les immobilisations anciennes du ministère de la défense ou le classement comptable des établissements publics de santé.

Je le disais, l'administration consent des efforts en matière de gestion comptable et financière. Ces efforts sont très utiles, car ils accroissent la fiabilité des comptes, sous le regard attentif du certificateur, et agissent comme un levier décisif de modernisation des administrations.

Dans un rapport récemment publié, la Cour a dressé le bilan de la tenue par l'État d'une comptabilité générale, dix ans après son entrée en vigueur. Elle a pu en mesurer les apports, notamment dans la connaissance de sa situation patrimoniale et la modernisation de ses services. Elle a mis en évidence les progrès importants réalisés grâce au dialogue soutenu entre certificateur et certifié.

Mais la Cour a aussi relevé une utilisation trop limitée de la comptabilité générale par l'administration, en particulier par les gestionnaires, et par les parlementaires eux-mêmes, qui avaient souhaité la réforme comptable. La Cour regrette d'autant plus cet état de fait que la bonne utilisation de la comptabilité générale devrait permettre d'identifier des leviers d'amélioration de la gestion des organismes publics. Les familiers de ces sujets parlent de « chaînage vertueux » ; pour l'instant, nous n'en sommes pas tout à fait là.

À cet égard, l'effort prioritaire doit être porté sur l'amélioration des conditions d'établissement des comptes et sur leur meilleure utilisation. Le souci constant doit bien sûr être de proportionner les travaux à l'objectif de fournir une information comptable fiable et répondant aux besoins de ses destinataires, qu'ils soient institutionnels, financiers ou citoyens.

Il importe à cette fin de tirer davantage parti des possibilités d'automatisation et de dématérialisation, d'enrichir l'information comptable à la disposition des gestionnaires et de développer la comptabilité analytique. C'est une nouvelle étape à engager, guidée par le souci de faire de la comptabilité générale un outil utile aux décideurs et gestionnaires publics. Le colloque organisé au Sénat, le 30 juin prochain, nous permettra, je l'espère, d'approfondir encore le sujet.

S'agissant maintenant du rapport sur le budget de l'État, ce travail apporte un éclairage sur les finances de l'État, en analysant l'exécution budgétaire de l'année 2015. Il permet de l'apprécier au regard des prévisions budgétaires initiales, mais aussi de la comparer avec l'exercice budgétaire précédent.

Pour la première fois cette année, il comporte en outre un chapitre consacré à une problématique de gestion budgétaire. Le thème retenu cette année, central pour la politique budgétaire, est celui des normes de dépenses de l'État. Ces normes constituent les dispositifs d'encadrement de l'évolution de ces dépenses d'une année sur l'autre. Le chapitre s'efforce de dresser un bilan de leur mise en oeuvre depuis leur instauration en 1996.

Ce rapport est également livré avec 58 analyses de la gestion des missions budgétaires et cinq analyses spécifiques : deux sur l'exécution des recettes, fiscales et non fiscales, une sur les dépenses fiscales et, pour la première fois aussi cette année, deux sur les prélèvements sur recettes, au profit respectivement des collectivités territoriales et de l'Union européenne. Au total, ce sont plus de 2 500 pages qui sont mises à votre disposition.

Je l'indiquais dans mon introduction générale, ce travail ne traite que du budget de l'État, et non de l'ensemble des finances publiques. Je vous demande par avance de m'excuser si je frustre un certain nombre d'entre vous qui auraient des questions à poser sur des sujets, comme la sécurité sociale ou les collectivités territoriales, ne faisant pas l'objet de ce rapport.

Dans ce rapport, nous dressons six constats. Premièrement, le déficit budgétaire est inférieur aux prévisions, mais en faible amélioration par rapport à 2014, hors éléments exceptionnels. Il reste à un niveau élevé. Deuxièmement, le ralentissement de la croissance de la dette par rapport aux années précédentes est lié principalement à la politique d'émission. Troisièmement, contrairement aux années précédentes, les recettes ont été proches des prévisions. Cela va dans le bon sens. Quatrièmement, la maîtrise des dépenses est partielle et ses résultats restent fragiles. Cinquièmement, le périmètre des normes de dépenses doit être clarifié, puis stabilisé et leur suivi rendu plus transparent. Sixièmement, le contexte économique ne doit pas conduire à relâcher l'effort en faveur d'une gestion plus rigoureuse des dépenses, compte tenu des marges d'efficacité et d'efficience que nous constatons régulièrement, si les pouvoirs publics veulent respecter la trajectoire de finances publiques arrêtée par leurs soins.

Je reprends ces différents constats.

En premier lieu, la Cour constate que l'exécution du budget de l'État en 2015 se caractérise par une amélioration du solde budgétaire, qui demeure toutefois à un niveau élevé. Le déficit budgétaire - 70,5 milliards d'euros - est inférieur, tout du moins en apparence, de 15,1 milliards d'euros à celui de 2014 et de 3,9 milliards d'euros à celui qui avait été prévu en loi de finances initiale.

Par rapport au déficit enregistré en 2014, on pourrait avoir l'impression d'une forte amélioration. Mais, comme la Cour le fait remarquer chaque année, l'appréciation du niveau de déficit doit se faire après retraitement des éléments exceptionnels. Pour 2015, il s'agit notamment, d'une part, du deuxième programme d'investissements d'avenir (PIA) et, d'autre part, du versement au mécanisme européen de stabilité (MES).

Une fois ce retraitement opéré, le déficit budgétaire ne s'améliore plus, en réalité, que de 300 millions d'euros, ce qui est relativement faible.

Il faut toutefois relever que cette faible amélioration a été obtenue, alors que la montée en charge du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi, le CICE, et la compensation à la sécurité sociale du pacte de responsabilité et de solidarité ont pesé sur le budget de l'État à hauteur respectivement de 5,4 et 5,1 milliards d'euros. Au sein des administrations publiques, c'est en effet l'État qui supporte, dans son budget, la totalité de la politique d'amélioration de la compétitivité des entreprises décidée par le Gouvernement et mise en oeuvre depuis trois ans.

Au total, le déficit reste à un niveau toujours élevé en valeur absolue, puisqu'il s'élève à 70,5 milliards d'euros. Il représente près de trois mois de dépenses du budget général, ce qui est équivalent au budget de l'enseignement scolaire ou au produit de l'impôt sur le revenu.

En deuxième lieu, la Cour observe que le ralentissement de la croissance de la dette est lié principalement à la politique d'émission. À la fin de 2015, la dette financière négociable de l'État atteignait 1 576 milliards d'euros, soit une augmentation de 48 milliards d'euros par rapport à 2014. Cette hausse est conséquente, mais inférieure à celle qui a été enregistrée en 2014. Elle est surtout inférieure au déficit de l'année 2015.

Ce ralentissement de l'augmentation de la dette s'explique par les spécificités de la politique d'émission de l'Agence France Trésor dans l'environnement actuel de taux bas.

La politique d'émission d'obligations par l'État a été telle que l'Agence France Trésor a encaissé en 2015 des primes à l'émission à hauteur de près de 23 milliards d'euros. Je pourrai revenir, si vous le souhaitez, sur le mécanisme qui l'explique. Une grande partie de ce montant a été mobilisé pour réduire l'encours de la dette à court terme.

Cette politique d'émission a permis une déconnexion entre la croissance de la dette et le niveau du déficit. Mais cette déconnexion n'est que temporaire. La dette rattrapera progressivement le niveau qu'elle aurait atteint en l'absence de cette politique et les primes à l'émission encaissées en 2015 auront leur contrepartie dans le paiement de coupons plus élevés dans les prochaines années.

Selon l'Agence France Trésor, cette particularité de la politique d'émission, relevée en 2015 et qui semble se prolonger, à un degré moindre, sur 2016, vise à répondre à la demande des investisseurs et aux évolutions de cette demande provoquées par la politique d'achats de la BCE. Elle a permis en 2015 de protéger la dette française du risque de remontée des taux, en réduisant la part de dette à court terme dans la dette totale, celle-ci s'étant fortement accrue après la crise de 2008.

Ces objectifs sont prudents : vouloir optimiser la charge budgétaire de la dette à n'importe quel risque serait contre-productif. En revanche, il serait erroné d'interpréter le ralentissement temporaire de la croissance de la dette observé en 2015 comme une amélioration structurelle des finances de l'État. À cet égard, comme je le rappelais tout à l'heure, la situation nette de l'État est négative d'environ 1 100 milliards d'euros en 2015, soit quatre mois de produits régaliens, contre seulement deux en 2008.

En troisième lieu, la Cour constate qu'en 2015, contrairement aux années précédentes, les recettes ont été proches des prévisions. Les recettes fiscales nettes se sont élevées à 280,1 milliards d'euros, soit 1 milliard d'euros de plus que les prévisions en loi de finances initiale. L'évolution spontanée, c'est-à-dire, à législation constante, des recettes fiscales a été conforme aux évaluations initiales pour plusieurs raisons : grâce à des prévisions macroéconomiques réalistes, à des prévisions prudentes d'élasticité des recettes et à un bon rendement du contrôle fiscal.

Le léger surcroît de recettes fiscales par rapport à la loi de finances initiale s'explique également en partie par un effet base : les recettes pour 2014 ont été un peu plus élevées que prévu.

L'amélioration de la qualité et de la sincérité des prévisions de recettes fiscales est indéniable. C'est un progrès à saluer.

L'impact des mesures fiscales a été inférieur à celui estimé en loi de finances initiale, en raison d'une montée en charge plus rapide que prévu du CICE. Son coût s'est élevé à 12 milliards d'euros en 2015. Cette sous-évaluation du CICE a été en partie compensée par des événements favorables non reconductibles en 2016 : régularisation versée par EDF au titre des années antérieures ; moindres remboursements dans le cadre des contentieux communautaires ; rendement élevé de la réforme des délais de paiement des droits de succession.

L'augmentation plus rapide que prévu du coût du CICE a conduit à dépasser les plafonds annuels de dépenses fiscales et de crédits d'impôt fixés par la loi de programmation, en l'absence de mesures visant à réguler le niveau des autres dépenses fiscales.

Dans ce contexte, un renforcement des dispositifs de maîtrise des dépenses fiscales apparaît indispensable pour concentrer les moyens sur des dispositifs ciblés, cohérents avec les objectifs de politiques publiques. Les évaluations de dépenses fiscales sont trop rares pour alimenter des propositions de réformes argumentées et, pour le moment, les conférences fiscales encore dépourvues de résultats concrets.

En quatrième lieu, la Cour constate que la maîtrise des dépenses de l'État est partielle et ses résultats sont fragiles. D'une part, la maîtrise des dépenses est partielle. Les dépenses nettes du budget général de l'État en 2015 se sont élevées à 296,5 milliards d'euros, soit un niveau très proche de la loi de finances initiale.

Des redéploiements importants ont eu lieu en cours d'année. Des mesures nouvelles ont modifié la répartition des dépenses. Je pense notamment à l'augmentation des contrats aidés, aux mesures rendues nécessaires par les sous-budgétisations concernant notamment les opérations militaires extérieures ou Opex, par les refus d'apurement communautaire au titre de la politique agricole commune (PAC), à l'allocation adultes handicapés (AAH) ou encore à l'hébergement d'urgence des migrants.

Les dépenses supportées par le budget général ont été aussi accrues par le transfert de dépenses d'investissement militaire qui devaient initialement être financées sur un compte d'affectation spéciale.

Certains mouvements de rebudgétisation ont permis d'aller dans le sens d'un meilleur respect du principe de l'unité budgétaire. Ce principe vise à garantir au Parlement un contrôle sur le périmètre de dépenses publiques le plus étendu possible.

En revanche, le premier plan de lutte anti-terroriste a eu un impact encore limité sur 2015, en raison de recrutements qui se sont concentrés sur la fin de l'année. Les conséquences sur l'équilibre global de ces dépenses supplémentaires ont été limitées. Cela est dû à une charge de la dette plus faible que prévu de 2,2 milliards d'euros et à une forte sollicitation de la réserve de précaution.

Par rapport à 2014, après prise en compte de ces éléments exceptionnels et de ces effets de périmètre, les dépenses pour 2015 ressortent à 299,2 milliards d'euros, en augmentation de 2,6 milliards d'euros.

Ce diagnostic mitigé sur la maîtrise des dépenses est conforté si on examine les deux autres objectifs figurant dans l'exposé des motifs de la loi de finances pour 2015, concernant les économies et les normes de dépenses.

L'objectif d'économies sur les dépenses de l'État et de ses opérateurs, hors charge de la dette, hors pensions et hors PIA, s'élevait à 7,3 milliards d'euros par rapport à la loi de finances initiales pour 2014. Les économies sur l'État et les opérateurs imputables à l'exercice 2015 ne représentent, selon la Cour, que 1,7 milliard d'euros. Elles correspondent, à hauteur de 60 %, à des prélèvements sur le fonds de roulement d'organismes publics qui ne sont pas reconductibles en 2016.

Sur le périmètre de la norme de dépenses hors charge de la dette et pensions, les dépenses sont inférieures à l'exécution de l'exercice 2014 de 1,4 milliard d'euros, mais supérieures à l'objectif de la loi de finances initiale de 1,3 milliard d'euros.

La révision à la baisse de l'inflation a permis de faciliter la tenue de la norme de dépenses de l'État. Elle a conduit mécaniquement à diminuer la charge d'intérêts, une partie de la dette étant indexée sur l'inflation.

Par ailleurs, la norme de dépenses hors charge de la dette et pensions a été assouplie en fin de gestion. Initialement fixée à 282,6 milliards d'euros, elle a été portée à 284 milliards d'euros, notamment pour prendre en compte le transfert sur le budget général de dépenses d'investissement militaire initialement financées sur un compte d'affectation spéciale, transfert que j'évoquais précédemment. Les dépenses dans le périmètre de la norme ainsi révisée se sont élevées, selon le Gouvernement, à 283,9 milliards d'euros.

La Cour constate que des contournements de la charte de budgétisation ont permis de minorer ce montant d'environ 3 milliards d'euros. Ces contournements ont notamment pris la forme d'une substitution de recettes affectées à des crédits budgétaires, notamment pour le financement des infrastructures de transport à hauteur de 1,1 milliard d'euros, le remboursement de la dette à la sécurité sociale pour 600 millions d'euros ou la réforme du financement de l'apprentissage et de la formation professionnelle à hauteur de 500 millions d'euros.

D'autre part, la maîtrise des dépenses, partielle, repose sur des bases fragiles. Ces bases ne sont pas toutes reconductibles les années suivantes. L'évolution est en effet contrastée selon la nature des dépenses.

Les transferts de l'État aux collectivités territoriales et ses concours aux opérateurs sont stabilisés après des années d'augmentation rapide.

Des économies de constatation sur la charge de la dette, mais aussi le prélèvement sur recettes au profit de l'Union européenne ont offert des marges de manoeuvre en gestion.

En revanche, l'effort est faible sur le périmètre propre de l'État. Les dépenses de personnel ont augmenté pour la deuxième année consécutive. L'État a créé des emplois publics pour la première fois depuis 2002. Ses dépenses de fonctionnement et d'investissement ont aussi fortement progressé.

En cinquième lieu, la Cour fait un constat d'une nature un peu différente, celui-ci ne portant pas seulement sur l'exécution 2015. Le bilan de vingt ans d'utilisation des normes de dépenses en France conduit la Cour à recommander que le périmètre de ces normes soit clarifié, puis stabilisé. Leur suivi devrait être rendu plus transparent.

La norme de dépenses est une règle d'évolution à périmètre constant des dépenses que l'État s'impose depuis 1996. Au fil du temps, les fonctions de la norme se sont diversifiées. Cette dernière ne constitue plus seulement un outil de pilotage interne des gestionnaires ; elle apparaît aussi comme un moyen d'expression externe de la stratégie budgétaire du Gouvernement. Elle est approuvée par le Parlement dans la loi de programmation des finances publiques depuis 2009.

Il est désormais indispensable de clarifier les périmètres des deux normes et d'assurer un meilleur suivi. La Cour propose de renforcer la distinction entre une norme de gestion, comprenant les dépenses maîtrisables annuellement par l'administration, et une norme globale, plus large et plus directement cohérente avec les objectifs généraux de finances publiques. Elle recommande en outre que le Gouvernement rende publique, régulièrement en cours d'année, une prévision d'exécution des dépenses sur le périmètre des deux normes.

En sixième lieu - il s'agit aussi d'une transition vers les constats que je serai amené à partager avec vous le mois prochain dans le rapport sur la situation et des perspectives des finances publiques -, le contexte économique ne doit pas conduire à relâcher l'effort en faveur d'une gestion plus rigoureuse des dépenses, compte tenu des marges d'efficacité et d'efficience, si les pouvoirs publics veulent respecter la trajectoire de finances publiques qu'ils ont arrêtée.

Les risques budgétaires sont significatifs pour l'État à moyen terme. La montée en charge du CICE et celle du pacte de responsabilité et de solidarité devront être financées dans la durée. En dépenses, des engagements juridiques importants ont été pris en 2015, concernant notamment le fonds de soutien aux collectivités territoriales ayant souscrit des emprunts toxiques, le plan France très haut débit ou les grands programmes d'armement. S'y ajoutent les décisions concernant la politique de recrutement de l'État, sa politique salariale, la programmation militaire ou le deuxième plan de lutte anti-terroriste, qui auront des conséquences sur la programmation pluriannuelle 2017-2019. Ces conséquences ne sont pas encore complètement mesurées.

Bien que la Banque centrale européenne (BCE) ait prolongé au moins jusqu'en mars 2017 sa politique monétaire non conventionnelle, l'État est toujours exposé au risque de taux : une remontée des taux de 1 % sur l'ensemble de la courbe des taux conduirait à augmenter la charge de la dette de 2,1 milliards d'euros la première année, de 4,8 milliards d'euros la deuxième année et de 16,5 milliards d'euros au bout de dix ans.

Pour financer ses politiques prioritaires et faire face à la remontée inéluctable à terme de la charge de la dette, des économies structurelles sont nécessaires. Celles-ci n'apparaissent pas clairement dans l'exécution 2015. En 2016, le contexte économique et financier plus favorable devrait pouvoir être utilisé pour mettre en oeuvre, par des choix explicites reposant sur une évaluation de l'efficacité des dépenses, des réformes nécessaires au rétablissement durable des finances de l'État.

Dans quelques jours, vous examinerez le projet de loi de règlement. Il y a là une incitation à regarder les résultats de l'action publique - ce texte de loi gagnerait d'ailleurs sûrement à reprendre ce terme dans son intitulé. En effet, c'est l'occasion pour vous de mesurer très directement l'écart entre les annonces, l'action du Gouvernement, et les résultats obtenus, mais aussi de constater le décalage entre les moyens consacrés et les résultats obtenus, que nous évoquons régulièrement lors des présentations des travaux des juridictions financières.

C'est aussi l'occasion pour vous d'en tirer les conséquences, au regard des priorités que vous avez fixées pour l'action publique et pour la maîtrise des finances publiques. Les constats, les observations et les recommandations de la Cour des comptes sont à votre disposition pour vous éclairer dans ces choix.

Je vous remercie de votre attention et me tiens, avec les magistrats qui m'entourent, à votre disposition pour répondre à vos questions.

Debut de section - PermalienPhoto de Albéric de Montgolfier

Je vous remercie de cette présentation, monsieur le Premier président, qui, effectivement, sera très éclairante à la veille de l'examen du projet de loi de règlement.

Voilà peu, Christian Eckert, secrétaire d'État en charge du budget, se trouvait à votre place et se félicitait d'une très bonne exécution budgétaire au titre de l'exercice 2015. La commission des finances avait une autre analyse, qui se trouve être plus en ligne avec celle de la Cour des comptes, si j'en crois votre rapport sur le budget de l'État en 2015.

Au deuxième paragraphe de son chapitre I, la Cour constate qu'une fois retraité d'un certain nombre d'éléments exceptionnels, « le solde budgétaire ne s'améliore que de 300 millions d'euros ». Nous sommes loin du résultat exceptionnel annoncé ! De la même manière, le rapport souligne le niveau très élevé de la dette de l'État, un niveau « inédit depuis l'après-guerre ». Il n'y a pas lieu de trop se réjouir ! L'analyse de la Cour des comptes rejoint donc celle de la commission des finances.

J'en viens à des points plus précis.

S'agissant des objectifs d'économie, dans le cadre du programme annoncé de 50 milliards d'euros d'économie, le Gouvernement s'était engagé à réaliser, en 2015, 7,7 milliards d'euros d'économie sur l'État et les opérateurs. La Cour des comptes considère-t-elle que cet objectif a été tenu ?

S'agissant des recettes, le Gouvernement répète à l'envi que les prévisions de recettes sont en lignes avec les résultats. Mais, selon la Cour des comptes, cela est lié à des recettes exceptionnelles, notamment des recouvrements opérés par le service de traitement des déclarations rectificatives, ou STDR, ou des recettes engrangées à la suite de contrôles fiscaux. Doit-on ces performances au seul STDR ou à un meilleur ciblage des contrôles fiscaux ? Ces recettes vont-elles se tarir ? Pouvons-nous avoir un éclairage sur le rendement pour le moins inattendu des droits de succession dont la réforme des délais de paiement a conduit à une hausse des recettes de 1 milliard d'euros ?

S'agissant des dépenses de personnel, en dépit de leur progression constante, on constate parfois un décalage entre le nombre de postes inscrits au budget et le nombre de postes réellement pourvus. Avez-vous des informations quant à ce décalage ? Celui-ci s'est-il amélioré ou détérioré en 2015 ? La Cour des comptes dispose-t-elle, en particulier, d'une estimation des postes pourvus dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, au regard des annonces de la fin de l'année 2015 ?

Enfin, on constate une progression constante du taux de crédits mis en réserve qui atteint aujourd'hui 8 %. La mise en réserve initiale, accompagnée de surgels de crédits en cours d'année, parfois difficiles à comprendre. Ces procédés, tout comme le recours aux crédits d'avance, pour des montants pouvant s'avérer significatifs, ne contribuent-ils pas à nous éloigner du cadre budgétaire tel que voté par le Parlement ? À partir de quel taux de mise en réserve la Cour des comptes considérera-t-elle que l'autorisation parlementaire n'est plus respectée ?

Debut de section - Permalien
Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes, président du Haut Conseil des finances publiques

Nous aurons l'occasion de revenir plus amplement sur le sujet sensible des économies dans notre rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques.

Effectivement, les économies sur le budget de l'État et de ses opérateurs s'établissent à 1,7 milliard d'euros par rapport à l'exécution du budget de 2014 et à 3,8 milliards d'euros par rapport à la loi de finances initiale pour 2014. Ces montants, significatifs, sont inférieurs à l'objectif fixé en loi de finances pour 2015, à savoir 7,7 milliards d'euros.

Cet objectif avait été calculé en prenant comme référence une base pour 2014 plus élevée - de 2,1 milliards d'euros - que les dépenses réellement constatées et une évolution tendancielle des dépenses de personnel surestimée - de l'ordre de 1 milliard d'euros. Par ailleurs, les dépenses de 2015 sur le périmètre des économies ont été supérieures de 2,5 milliards d'euros aux prévisions en loi de finances. Cela explique le résultat de 1,7 milliard d'euros, d'ailleurs peu contesté par les représentants du Gouvernement.

Selon les informations qui nous ont été transmises par la DGFiP, l'année 2015 a été marquée par quelques redressements fiscaux au titre de l'impôt sur les sociétés d'un montant exceptionnel. Il se pourrait qu'il y en ait à nouveau en 2016, mais nous ne sommes pas en mesure d'en évaluer l'ampleur.

L'évolution constatée au niveau des droits de succession correspond plutôt à un effet de trésorerie. Le gain budgétaire est manifeste, les sommes recouvrées étant définitivement acquises à l'État, mais il se limite à l'exercice 2015 car il est lié à une anticipation de versements par les redevables, du fait d'une réforme des délais et d'une réduction de la période d'étalement des paiements.

Par ailleurs, les recrutements sont limités par deux plafonds : le plafond d'emplois - le nombre maximum d'agents, en moyenne annuelle, qu'une mission peut recruter - et le plafond de crédits de personnel. Au cours des dernières années, le second a représenté une contrainte plus forte que le premier, l'écart entre les deux représentant environ 20 000 ETP, en 2015, pour l'État. Nous ne disposons pas des données consolidées pour les opérateurs, mais, sur ce périmètre, l'écart était également de 20 000 ETP en 2014.

Le premier plan de lutte antiterroriste prévoyait la création, entre 2015 et 2017, de 2 468 postes en ETP sur les missions justice et sécurité, auxquels s'ajoutaient 80 emplois au ministère des finances. Ces créations devaient être opérées, en 2015, à plafond d'emplois constant, du fait des sous-exécutions précédemment mises en évidence. Les recrutements prévus ont bien été effectués mais, étant intervenus en fin d'année, ils ont eu un faible impact budgétaire.

Le deuxième plan de lutte antiterroriste prévoit des recrutements supplémentaires pour les années 2016 et 2017 et la Cour des comptes, bien évidemment, suivra sa réalisation.

Le travail sur l'exécution est essentiel, précisément parce qu'il permet de constater que des crédits supplémentaires sont parfois demandés, alors même que les crédits initiaux n'ont pas été consommés.

Effectivement, les crédits mis en réserve ont tendance à progresser, avec des cas de surgels, qui doivent nous interroger sur l'efficacité des gels tels qu'ils peuvent être annoncés.

Debut de section - Permalien
Raoul Briet, président de la première chambre de la Cour des comptes

Le gel des reports a constitué une innovation de l'année 2016. C'est la première fois, sous l'ère de la loi organique relative aux lois de finances, qu'une telle pratique est décidée, ce qui, effectivement, traduit un éloignement de certains principes initialement fixés.

Plus fondamentalement, ces phénomènes de mise en réserve immédiate renvoient à des phénomènes récurrents de sous-budgétisation, souvent décelés dès le vote du budget. Je pense, par exemple, aux missions relatives aux opérations extérieures ou à l'hébergement d'urgence des demandeurs d'asile. C'est à ces problématiques de sous-budgétisation qu'il faut avant tout remédier.

La mesure des économies est un exercice reposant, du début jusqu'à la fin, sur des conventions. À quelle base se compare-t-on ? Pour notre part, nous mesurons l'effort d'économie en comparant les exécutions budgétaires, ce qui n'est pas forcément le cas du Gouvernement. L'effort réalisé sur les prélèvements sur recettes destinés aux collectivités locales est-il porté par l'État ou par les collectivités locales ?

Debut de section - Permalien
Raoul Briet, président de la première chambre de la Cour des comptes

Enfin, l'évaluation des trajectoires tendancielles pour certaines dépenses répond aussi à des conventions. De toute évidence, selon les hypothèses conventionnelles retenues, l'effort d'économie sera plus ou moins important.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

Je retiens la suggestion qui nous est faite de dénommer « loi de résultat » la loi de règlement. Je suis de ceux qui estiment nécessaire de consacrer plus de temps aux résultats qu'aux prévisions !

Les premières pages du rapport font apparaître une situation financière profondément dégradée et des perspectives à long terme peu réjouissantes pour les finances de l'État. Cette situation doit nous conduire à nous interroger.

La question de l'annualité budgétaire mériterait d'être plus amplement développée dans le rapport. Des volumes importants de factures, notamment au niveau des régions et des départements, sont « restés dans les tiroirs » et n'ont pas été intégrés aux comptes. S'agissant du budget de l'État, la séparation entre exercices est-elle correctement opérée ? Peut-on expliciter la différence entre les restes à payer - ils attendraient 90 milliards d'euros - et les charges à payer et factures non parvenues ?

Debut de section - PermalienPhoto de Richard Yung

J'admire le rapporteur général, qui a pu lire le rapport. Pour ma part, je n'ai pas pu le lire, y ayant eu accès à midi seulement. Il est difficile de préparer une réunion de cette nature dans de telles conditions.

La question des mises en réserve et des surgels a été évoquée, mais des difficultés apparaissent sur toute une série de sujets. Il faudra donc, à un moment donné, revoir la loi organique relative aux lois de finances.

J'attire aussi l'attention sur la vanité des chiffres. La croissance du PIB, estimée, jusqu'à la semaine dernière, à 0,2 % pour 2014, a été réévaluée à 0,6 % ou 0,7 %. On voit bien à quel point les hypothèses et les calculs sont fragiles. C'est précisément cette fragilité qui me pousse à critiquer assez vivement la notion de croissance potentielle, à partir de laquelle le déficit structurel est établi. Je ne m'y étendrai pas davantage. Un certain nombre d'entre nous a d'ailleurs écrit récemment à Pierre Moscovici pour souligner le fait que la notion de croissance potentielle est à la fois fragile et discutable.

Je ne partage pas les remarques acerbes et négatives qui ont été formulées. Le déficit s'élève à 3,6 points de PIB, contre une prévision de 4,1 %, soit une amélioration de 0,5 point. La trajectoire est tout de même bonne, au regard des engagements qui sont les nôtres dans le cadre de l'Union européenne.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Dallier

Je voudrais revenir sur le respect des normes de dépenses, au travers de l'exemple assez emblématique des aides personnelles pour le logement, ou APL.

Dans la loi de finances rectificative votée au mois de décembre dernier, nous avons ajouté 70 millions d'euros de crédits pour boucler l'année. Nous découvrons alors qu'avec les inscriptions en loi de finances initiale et cet ajout, non seulement nous pouvons tout payer, mais en plus, nous avons les moyens de résorber partiellement la dette de 2014. Mais, quelques jours plus tard, le Gouvernement bloque 300 millions d'euros sur les APL, portant la dette à 400 millions d'euros, au lieu de la réduire.

En guise d'explication, on invoque le respect de la norme de dépenses. La dépense est certaine ; les sommes sont inscrites au budget et pour améliorer facialement le déficit, on décide de bloquer 300 millions d'euros. Ne faut-il pas modifier la loi organique relative aux lois de finances et interdire ce genre de pratiques ?

Question subsidiaire, ces 300 millions d'euros ont-ils été pris en compte dans le retraitement opéré sur le solde budgétaire, qui vous a conduit à évaluer ce dernier à 300 millions d'euros ?

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Bouvard

Je remercie également la Cour de la somme d'informations qu'elle nous livre et dont nous pourrons faire usage dans le cadre des discussions sur le projet de loi de règlement.

Le véritable changement, à mes yeux, consistera, non pas à modifier l'intitulé de ce texte de loi, mais plutôt à accepter de consacrer du temps à son examen, notamment en séance publique.

J'ai deux motifs de satisfaction : d'une part, je me réjouis des constats relevés sur la dette - ils montrent la grande qualité de l'Agence France Trésor, mais aussi la fragilité persistante en la matière - ; d'autre part, la dépense fiscale ne s'accroît plus hors CICE.

Pour le reste, la réduction du déficit est liée à des effets d'aubaine et des performances dans la gestion de la dette. Mais les économies ne sont pas au rendez-vous. D'où ma question : comment peut-on mieux documenter les économies, sans en rester à des réductions de déficit liées à toute autre chose que des économies structurelles ?

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Capo-Canellas

En matière de gestion de la dette, nous connaissons bien les effets anesthésiants des taux faibles. Le rapport de la Cour des comptes met également en avant la politique d'émission, consistant à toucher une prime d'émission dès 2015, contre un coupon supérieur sur dix ans. N'est-ce pas une double fuite en avant ? Quelle est votre appréciation sur le sujet ?

Debut de section - PermalienPhoto de François Patriat

Quand sortirons-nous du duel manichéen, conduisant certains à verser des larmes de crocodile quand la situation empire et à chercher à minimiser les résultats quand elle s'améliore ? Un effort significatif a été accompli sur les dépenses publiques, avec la réalisation partielle, à hauteur de 7 milliards d'euros, du plan d'économies annoncé de 50 milliards d'euros sur trois ans. On ne peut pas passer un tel effort par pertes et profits.

Debut de section - PermalienPhoto de Serge Dassault

Concernant la charge de la dette la faiblesse des taux d'intérêt actuels nous est favorable, mais leur maintien à un tel niveau n'est absolument pas assuré. Quelles seraient, d'après vous, les conséquences d'une augmentation des taux d'intérêt ? Ne courrons-nous pas le risque de nous retrouver en cessation de paiement ?

Est-il normal que le Gouvernement, une fois le budget voté, puisse décider de sa propre initiative d'augmenter certaines dépenses, sans réaliser d'économies en contrepartie ? Une hausse de 10 milliards d'euros a déjà été actée sur le budget de l'État pour 2016.

Debut de section - PermalienPhoto de Maurice Vincent

Le rapport de la Cour des comptes révèle la qualité de la gestion mise en oeuvre par le Gouvernement, ainsi qu'une trajectoire sur plusieurs années de nature à rassurer l'Union européenne et les investisseurs. Certains semblent regretter ce qu'ils présentent comme une maîtrise insuffisante des dépenses publiques... Aller au-delà de ce qui est fait, ce serait réduire le taux de croissance !

J'ai compris que la politique d'émission de l'Agence France Trésor, conduisant à une moindre dégradation de notre endettement, était liée à une très forte demande de l'Eurosystème. Peut-on s'attendre à un tel niveau de primes à l'émission en 2016 ? Pourriez-vous préciser quels seraient les effets moins positifs à moyen terme ?

Debut de section - PermalienPhoto de Francis Delattre

J'ai eu une discussion très dure avec le secrétaire d'État en charge du budget sur le fonds de solidarité intervenant dans les mécanismes nationaux d'indemnisation du chômage. Celui-ci est intégré au budget de la sécurité sociale, mais relève de décisions de l'État. Pour autant, selon Christian Eckert, ce dernier n'a pas à faire face à la dépense. Pour sa part, la Cour des comptes évoque une « débudgétisation ». Ce fonds présente un déficit, qui a été assumé par l'ACOSS. Que l'on intègre celui-ci au budget de l'État, et l'amélioration budgétaire disparaît... Quel regard portez-vous sur cette situation ?

Debut de section - Permalien
Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes, président du Haut Conseil des finances publiques

Les restes à payer correspondent à des autorisations d'engagement, dont le paiement s'étale sur plusieurs années ; les charges à payer et les factures non parvenues correspondent à ce que l'on appelle communément les « factures dans le tiroir ». Leur montant est légèrement inférieur à 10 milliards d'euros, loin des 90 milliards d'euros des restes à payer.

L'Insee procède effectivement à certaines corrections, que le Haut Conseil des finances publiques et la Cour des comptes ne peuvent que constater. Ces révisions sont inévitables, dès lors que les premières estimations sont imprécises. Logiquement, l'information disponible se complète au fil de temps. Il faudrait donc, en fait, manier les premières estimations avec un peu plus de précaution.

Nos chiffres quant à l'exécution budgétaire sur l'exercice 2015 sont incontestables, car ils correspondent à des réalités. Je confirme l'existence de débats autour de la croissance potentielle et du solde structurel calculé à partir de cette dernière. Les estimations diffèrent selon les acteurs. Le gouvernement français a tendance, selon le Haut Conseil, à surestimer la croissance potentielle et, en conséquence, à sous-estimer le déficit structurel. C'est pourquoi nous suggérons de prendre en compte la notion d'effort structurel. Visant à mesurer l'effort réalisé en termes de prélèvements obligatoires ou d'économies, cette notion est moins liée à celle de croissance potentielle, même si elle peut être également fondée sur des notions empiriques ou arbitraires. Mais le débat sur ce sujet me paraît tout à fait utile. L'amélioration de la conjoncture ne doit pas faire oublier la composante structurelle du déficit !

Certains d'entre nous ont évoqué une amélioration du déficit public, limité en 2015 à 3,6 % du PIB mais ce chiffre concerne l'ensemble des administrations publiques. L'État et ses opérateurs ne participent pas à cette amélioration : on observe une légère amélioration au niveau de l'État, compensée par une dégradation des finances des ODAC.

J'entends les réflexions sur la loi organique relative aux lois de finances, mais tout ne relève pas d'elle et certaines pratiques, en exécution, s'éloignent de l'esprit de ce texte. Peut-être faudrait-il remettre tout cela à plat et faire le tri...

Par ailleurs, il ne nous appartient pas de qualifier la gestion, de juger les résultats bons ou mauvais. On le voit bien, les commentaires sont multiples et les observations de la Cour peuvent être lues de différentes manières. Ce que nous constatons, c'est un effort au niveau de la maîtrise de la dépense, mais celui-ci n'est pas aussi important qu'on le dit et il ne correspond pas tout à fait aux engagements pris. Si la France veut respecter la trajectoire qu'elle a définie, il faudra l'augmenter.

Les résultats obtenus en 2015 sont, pour certains, liés à des mesures non-reconductibles. Cette exécution budgétaire n'est donc pas, en soi, rassurante quant à la maîtrise de la dépense sur les années 2016, 2017 ou 2018.

Nous reviendrons sur la question soulevée par Serge Dassault. Le risque que nous courrons est lié, non pas à une éventuelle cessation de paiement, mais à la perte de marges de manoeuvre. À la remontée des taux, tous les efforts réalisés pourront être absorbés par la charge de la dette, nous savons la France fragile à cet égard.

La politique d'émission n'est en rien nouvelle, la différence tenant surtout aux proportions qu'elle a prise en 2015. D'autres pays pratiquent cette politique dont, il faut en être conscient, les effets sont temporaires.

Debut de section - Permalien
Raoul Briet, président de la première chambre de la Cour des comptes

Effectivement, la politique d'émissions sur des souches anciennes est tout à fait classique. Elle a subi une forte accentuation en 2015, car l'Eurosystème a acquis des titres publics sur le marché secondaire, ce qui a sensiblement diminué la liquidité de certaines souches anciennes. Cela a poussé l'Agence France Trésor à émettre plus sur ces souches. Toutefois, lorsque celles-ci parviendront à maturité, les primes d'émissions encaissées devront être décaissées sous forme de coupon. Il existe donc un effet dans le temps, mais cette politique correspond à la situation actuelle du marché.

Enfin, Francis Delattre, il existe de nombreux fonds de solidarité. Certains servent à recueillir les contributions versées par les agents publics pour financer l'indemnisation du chômage. La Cour y voit là une forme d'opérateur quasi transparent et inutile, qu'elle propose de supprimer.

Mais, en matière de relations financières entre le régime général de la sécurité sociale et le fonds de solidarité vieillesse, elle plaide régulièrement pour une approche combinée des comptes, qui garantirait cohérence et sincérité. Ce sujet, toutefois, concerne les comptes de la sécurité sociale, et non ceux de l'État.

La réunion est levée à 13 heures.

La commission entend M. Emmanuel Macron, ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique, sur l'État actionnaire.

Le compte rendu de cette réunion sera publié ultérieurement.