Conformément au deuxième alinéa de l'article 45 de la Constitution, et à la demande du Premier ministre, une commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi réformant le système de répression des abus de marché, s'est réunie à l'Assemblée nationale le mardi 17 mai 2016.
Elle a procédé à la désignation de son bureau qui a été ainsi constitué :
Gilles Carrez, député, président ;
Michèle André, sénatrice, vice-présidente ;
Dominique Baert, député, rapporteur pour l'Assemblée nationale ;
Albéric de Montgolfier, sénateur, rapporteur pour le Sénat.
La commission mixte paritaire procède ensuite à l'examen des dispositions restant en discussion.
Mon souhait est que cette commission mixte paritaire puisse aboutir. À l'article 1er A, pour les abus de marché, le Sénat a créé une circonstance aggravante de bande organisée, portant la peine d'emprisonnement applicable à dix ans et a également renforcé les moyens du parquet dans ce cas, sous le contrôle du juge des libertés et de la détention. À l'article 1er, à l'initiative conjointe de la commission des finances et de la commission des lois, le Sénat a adopté une nouvelle rédaction du dispositif d'orientation des poursuites. L'objectif est ici de garantir la transparence et la rapidité de ces poursuites, notamment en déterminant à l'avance les différentes étapes de la concertation entre l'Autorité des marchés financiers et le parquet national financier, et en encadrant ces dernières par des délais.
À l'initiative de sa commission des lois, le Sénat a adopté un article 1er bis A qui autorise l'accès de l'Autorité des marchés financiers aux données de connexion des opérateurs téléphoniques et des « fadettes », bien sûr sur autorisation du juge des libertés et de la détention. Le Sénat a également adopté un article 2 bis élargissant le champ de la composition administrative, qui existait déjà mais qui est étendue aux abus de marché. Nous avons également adopté un nouvel article 2 ter par lequel nous avons souhaité renforcer la coopération entre le parquet national financier et l'Autorité des marchés financiers au stade de l'enquête. Il y a, à cet égard, une obligation réciproque d'information. À l'article 4, le Sénat a adopté un amendement pour garantir que, dans l'hypothèse où l'Autorité des marchés financiers choisirait de ne pas exercer les droits de la partie civile, elle soit obligatoirement présente à l'audience de façon à éclairer le tribunal correctionnel.
Enfin, le Sénat a adopté en séance, à l'initiative de sa commission des lois, un article 4 bis A unifiant le contentieux des recours contre les sanctions prononcées par l'Autorité des marchés financiers : la cour d'appel de Paris serait seule compétente.
Nous connaissons évidemment les éléments de cadrage, la genèse de ce texte, dont on peut dire qu'il est, d'une certaine manière, une coproduction entre l'Assemblée nationale et le Sénat, puisqu'à deux propositions de loi du Sénat a fait écho ma propre proposition de loi. Si j'en suis le porteur aujourd'hui, nous partageons l'esprit d'un texte, qui vise à répondre à une urgence. C'est pour cela que le calendrier est serré et cela pourrait a priori nous inciter les uns et les autres à faire aboutir cette commission mixte paritaire. Pour autant, le délai ne doit pas nous presser au-delà de l'exigence de la ligne équilibrée du texte, qui constitue un compromis extrêmement concerté entre l'autorité publique indépendante qu'est l'Autorité des marchés financiers et le parquet national financier. Je salue à ce stade le travail accompli par le Sénat, tant en cohérence qu'en rédaction. De fait, je proposerai de conserver bon nombre des propositions votées par le Sénat, que la commission mixte paritaire aboutisse ou non. Cela étant dit, il faut être très prudent sur la constitutionnalité du texte et des procédures. Car, nous le savons, la remise en cause de telle ou telle de ces dispositions, soit avant soit après le 1er septembre, entraînerait des conséquences extrêmement difficiles pour les contentieux en matière d'abus de marché.
Sur les dix-neuf dispositions introduites par le Sénat, et qui sont d'importance différente, douze propositions me paraissent pouvoir être acceptées en l'état. Une me paraît aisément modifiable, s'agissant de la présence à l'audience de l'Autorité des marchés financiers. Le Sénat a voté en faveur d'une présence obligatoire, nous préférerions revenir à la rédaction initiale de la commission des finances du Sénat.
Cinq points nous paraissent plus durs. Deux rédactions ne nous paraissent pas souhaitables, ce qui ne veut pas dire qu'elles ne sont pas discutables. Je pense notamment à la rédaction de l'article 1er. Le Sénat a adopté une nouvelle rédaction de l'article, je préférerais pour ma part la rédaction de l'Assemblée nationale, qui entre moins dans le détail s'agissant de la nouvelle procédure. Une loi ne doit être ni trop bavarde ni trop précise. De la même manière, le principe selon lequel « le silence vaut acceptation » peut paraître peu adapté à des procédures judiciaires. L'article 1er bis a également été complété, sans que j'en voie l'utilité.
En revanche, trois dispositions ne me semblent pas correspondre à l'esprit du texte. La première est l'article 1er bis A, qui conditionne à une autorisation du juge des libertés et de la détention la communication à l'Autorité des marchés financiers des données de connexion par les opérateurs téléphoniques. Je ne suis pas persuadé que cette disposition prématurée ait sa place dans cette proposition de loi. L'article 2 ter vise à renforcer la coopération en amont de la procédure d'aiguillage. Si la proposition de loi a pour objet de préciser la procédure d'aiguillage, le souhait est ici d'aller plus en amont, vers une mutualisation très poussée des actes d'enquête, qui d'évidence est très contraignante. Enfin, l'article 4 bis A, également introduit par le Sénat, prévoit une unification devant le juge judiciaire des recours. Je crains une difficulté constitutionnelle, ne serait-ce parce que si unification il devait y avoir, ce devrait être à tout le moins devant le Conseil d'État et non la cour d'appel de Paris.
Article 1er A
Mise en conformité des incriminations d'abus de marché avec les dispositions de la directive 2014/57/UE et du règlement (UE) n° 596/2014 du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014
Le dispositif proposé ne pose pas de difficulté juridique ou politique particulière, sous réserve d'une modification rédactionnelle.
L'article 1er A est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission mixte paritaire.
Article 1er
Encadrement des possibilités de mise en mouvement de l'action publique pour les délits boursiers
Sur l'article 1er, l'apport du Sénat est plus important puisque nous avons adopté une nouvelle rédaction du dispositif d'orientation des poursuites. Nous avons précisé les choses, l'objet étant de garantir la transparence et la rapidité. Nous déterminons les différentes étapes de la concertation entre le parquet national financier et l'Autorité des marchés financiers, et un dispositif est prévu en cas de silence, avec un encadrement par des délais. J'ajoute que, avec Claude Raynal, lorsque nous avions déposé nos propositions de loi identiques, nous avions mené de nombreuses auditions préalables. Nous avons revu dans le cadre de l'examen de cette proposition de loi les principaux acteurs. Le procureur de la République financier et le président de l'Autorité des marchés financiers nous ont confirmé que cette rédaction leur convenait, notamment dans sa précision. Nous prévoyons certes que « le silence vaut acceptation », principe devenu général, instauré par le Président de la République en matière administrative. Je ne vois pas d'obstacle à ce qu'il en soit de même ici. Dans ces cas de délits boursiers, les échanges entre le parquet national financier et l'Autorité des marchés financiers sont nécessaires. Le but d'un tel dispositif est qu'il fonctionne, et le sentiment des acteurs est que cela fonctionnera parfaitement.
Nous sommes là sur un point qui certes n'est pas dur, mais qui est significatif. Sur la forme, la loi ne devait pas être exagérément bavarde et j'ai le sentiment qu'avec cette rédaction nous sommes un peu trop diserts. Au-delà, cette proposition de loi est issue d'un compromis entre l'Autorité des marchés financiers et le parquet national financier, je l'ai dit plus tôt. Or, avec le texte du Sénat, nous sommes un peu sortis de l'équilibre. Le Sénat a regroupé au sein du code monétaire et financier l'ensemble de la procédure d'aiguillage, quand, dans la rédaction initiale, il y avait une répartition au sein des parties du code entre ce qui relevait de l'Autorité des marchés financiers et ce qui relevait du parquet national financier. Je sais qu'en la matière tout a son importance et que les susceptibilités peuvent être grandes. En outre, cette rédaction très précise enserre la procédure dans un carcan, qui pourrait fragiliser les procédures. Enfin, le principe du « silence vaut acceptation » est de plus en plus couramment admis au sein de l'administration, mais il ne l'est pas en matière judiciaire, ce qui soulève une question de constitutionnalité. La rédaction de l'Assemblée nationale a été soumise au Conseil d'État alors que celle du Sénat n'a, pour des raisons évidentes, pas pu l'être. Je sollicite la prudence et c'est pourquoi je propose soit de revenir au texte de l'Assemblée, qui a été validé, calibré, soit de prévoir que le silence ne peut valoir acceptation, en demandant aux parties prenantes de s'exprimer et de prendre position.
Cette version du texte a été votée à l'unanimité au Sénat. Comme le rappelait Albéric de Montgolfier, je peux vous assurer qu'elle a reçu, au stade des auditions, un accueil très enthousiaste, car elle permet à l'Autorité des marchés financiers, au parquet national financier et au procureur général près la cour d'appel de Paris, qui sont ceux qui vont faire fonctionner le dispositif, d'avoir un dispositif qui leur convient parfaitement. Vous indiquez que le texte est peut-être un peu bavard, mais nous traitons de procédure pénale, une matière qui ne relève donc pas du pouvoir réglementaire, mais bien du législateur. C'est la raison pour laquelle tant le parquet national financier que le procureur général ont beaucoup insisté pour qu'il soit très précis.
Ce texte organise certes l'aiguillage mais aussi toute la concertation qui la précède. Revenir au texte de l'Assemblée nationale, avec l'avis conforme, reviendrait à considérer que l'institution judiciaire est soumise, pour lancer sa procédure, à l'autorisation d'une autorité administrative, fût-elle indépendante, ce qui risquerait davantage d'être inconstitutionnel.
S'agissant du principe selon lequel le silence vaut acceptation, le parquet national financier a précisé que le délai qui lui est donné est largement suffisant, ce qui suggère qu'un avis sera donné dans la plupart des cas. Toutes les personnes que nous avons entendues ont été plutôt favorables à la forme que le Sénat a donnée à ce texte. C'est la raison pour laquelle nous y sommes très attachés.
J'ai entendu nos rapporteurs, qui ont beaucoup travaillé sur le texte. Je crois que nous devons décider en fonction des objectifs généraux que nous partageons. Notre souhait est que ces procédures soient efficaces, rapides et sécurisées. J'entends les arguments avancés en faveur d'une description précise des délais de procédure.
Je me rallierais volontiers à la deuxième proposition de compromis de Dominique Baert sur la question du silence. Selon vous, l'hypothèse d'une absence de réponse ne se produira pas car le parquet national financier émettra un avis dans les temps. Il ne s'agit toutefois pas de la lettre du texte, sur laquelle porte notre discussion. Je pense que nous pouvons en rester à cette proposition de compromis, d'autant plus que notre difficulté depuis le début est de garder les deux procédures, pénale et administrative, possibles. Notre souci est d'encadrer les conditions dans lesquelles le parquet national financier et l'Autorité des marchés financiers travaillent. De même, en cas de désaccord, le parquet national financier n'est pas soumis à la volonté de l'Autorité des marchés financiers puisque la décision incombe dans ce cas au procureur général près de la cour d'appel de Paris. Il me semble donc qu'il n'y a pas de divergence de fond entre nous, et que la version du Sénat, amendée par Dominique Baert, devrait être adoptée.
La proposition de loi a également été adoptée à l'unanimité par l'Assemblée nationale, ce qui doit nous inciter à trouver un accord. La question que je me pose est de savoir si inscrire des procédures si précises relève bien du Parlement. Le texte est issu, dans sa genèse, d'un compromis entre des acteurs soucieux de leur indépendance et de ne pas être excessivement encadrés. Des procédures trop strictes prévues par la loi risqueraient d'ouvrir la voie à des contentieux.
L'argument de mon collègue est réversible. Le procureur de la République financier affirme qu'elle saura répondre dans un délai bref, mais rien ne nous empêche de fixer cela dans la loi, ce qui apporterait plus de simplicité au dispositif. En cas d'absence de réponse, je propose que le procureur près la cour d'appel de Paris soit saisi. En plus, je crois qu'il serait de mauvais augure d'inscrire dans le droit le principe selon lequel le silence vaut acceptation en matière judiciaire.
L'absence de réponse, si elle conduit automatiquement à l'arbitrage du procureur général, pourrait aussi être une tactique visant à faire en sorte que ce soit systématiquement l'autorité judiciaire qui décide.
Si notre rédaction était retenue, le silence valant acceptation, l'arbitrage du procureur près la cour d'appel de Paris serait exceptionnel. Si, à l'inverse, le silence devait valoir refus, il y aurait un risque que tout revienne à l'arbitrage, et que la voie de l'aiguillage cesse.
C'est peut-être une rédaction très précise, mais la dimension pénale de la procédure justifie que les choses soient écrites. Je préfère que nous améliorions la rédaction du Sénat, en retenant une correction rédactionnelle suggérée par Dominique Baert.
Vous nous expliquez que la rédaction du Sénat est beaucoup plus précise du fait qu'elle traite d'une matière proche du pénal. Toutefois, cette règle générale, selon laquelle le silence vaut acceptation, me semble tout sauf précise.
Elle est au contraire très précise puisqu'elle fixe un délai et donc un couperet. Nous tenons à cette rédaction, essentiellement car nous avons eu un accord assez enthousiaste des personnes que nous avons entendues.
Je ne peux pas vous entendre complètement sur ce point si vous maintenez le principe selon lequel le silence vaut acceptation. Je pense qu'il n'y aura pas de désaccord systématique entre l'Autorité des marchés financiers et le parquet national financier. J'estime par ailleurs qu'il n'est pas sain d'ériger un tel principe en matière judiciaire.
Je vous lis la contribution écrite du procureur de la République financier : « La réécriture de la PPL par le Sénat et les amendements proposés sont parfaitement adaptés aux mécanismes de concertation voulus par le législateur entre l'Autorité des marchés financiers et le procureur de la République. Tous les problèmes sont réglés et traités avec intelligibilité. » Le président de l'Autorité des marchés financiers est allé dans le même sens. Pour l'instant, nous souhaiterions en rester à un mécanisme efficace ayant pour objet d'éviter un arbitrage systématique. En revanche, nous sommes prêts à nous rallier aux propositions d'amélioration du texte du Sénat proposées par Dominique Baert.
Quoi que fasse le législateur, c'est la bonne communication entre les deux institutions qui va permettre au système de fonctionner efficacement, sous l'arbitrage du procureur près la cour d'appel de Paris. Ce que nous cherchons à atteindre, c'est l'efficacité de la procédure et la réalité des sanctions.
Le risque principal demeure que nous ne sommes pas certains que le principe selon lequel « le silence vaut acceptation » puisse s'appliquer dans le domaine judiciaire, même s'il est d'usage dans les administrations. Le Sénat nous assure que c'est le cas et j'espère qu'il en est ainsi.
Je propose de retenir la modification rédactionnelle proposée par le rapporteur pour l'Assemblée nationale.
Je pense que l'on ne devrait pas entrer dans ce degré de détails et qu'il vaudrait mieux revenir à la version de l'Assemblée. Nous faisons une erreur sur le fond. Mais je sais que nous avons d'autres sujets à évoquer et que nous nous inscrivons dans un calendrier serré.
L'article 1er est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission mixte paritaire.
Article 1er bis A (nouveau)
Autorisation du juge des libertés et de la détention pour l'accès de l'Autorité des marchés financiers aux données de connexion des opérateurs téléphoniques
Cet article introduit par le Sénat est prématuré. En effet, le Conseil d'État est actuellement chargé de proposer une réforme des droits de communication de l'ensemble des administrations concernées, afin de rendre le dispositif le moins contraignant possible. Or, la procédure proposée, à savoir le recours à une autorisation du juge des libertés et de la détention, serait très lourde. Le travail du Conseil d'État devrait aboutir prochainement : la sécurisation des droits de communication pourrait être intégrée au projet de loi dit « Sapin II », prochainement examiné par l'Assemblée nationale. Je propose donc la suppression de l'article 1er bis A.
Nous avons corrigé un texte qui est identique à celui censuré par le Conseil constitutionnel concernant l'Autorité de la concurrence. Cela signifie qu'à l'heure actuelle, les enquêtes de l'Autorité des marchés financiers se fondent sur des interceptions dont la déclaration d'inconstitutionnalité aurait pour conséquence de faire tomber toutes les enquêtes en cours. On nous rétorque que la procédure impliquant le juge des libertés et de la détention serait longue : ce n'est pas vrai, car il y a maintenant des ordonnances prérédigées. Mais ce n'est pas la question : j'appelle votre attention sur le fait que nous laissons volontairement subsister un mécanisme affecté par la récente décision du Conseil constitutionnel.
Selon l'Autorité des marchés financiers, le nombre de demandes de transmission est d'environ 2 000 par an. Il serait impossible de saisir systématiquement le juge des libertés et de la détention. Le dispositif n'est donc pas mûr et je demande qu'il y soit sursis.
L'article 1er bis A est supprimé.
Article 1er bis
Mise en conformité des pouvoirs de sanction de l'Autorité des marchés financiers avec la directive 2014/57/UE et le règlement (UE) n° 596/2014 du 16 avril 2014
Il s'agit de la transposition de la directive et du règlement relatifs aux abus de marché au champ de compétence de l'Autorité des marchés financiers. J'avais proposé une rédaction, le Sénat l'a complétée ; je ne suis pas certain de la nécessité de le faire, mais je suis favorable à l'adoption de cette rédaction : cela fait partie des douze apports du Sénat que je suis prêt à accepter, en plus du treizième que j'ai accepté in extremis.
L'article 1er bis est adopté dans la rédaction du Sénat.
Article 2
Encadrement de la possibilité pour l'Autorité des marchés financiers de procéder à une notification des griefs
Comme nous avons conservé la rédaction de l'article 1er, l'article 2 doit être maintenu dans la rédaction du Sénat, sous réserve d'une coordination rédactionnelle.
L'article 2 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission mixte paritaire.
Article 2 bis (nouveau)
Extension du champ de la composition administrative de l'Autorité des marchés financiers aux abus de marché
Cet article fait partie des douze apports du Sénat que j'ai jugés positifs et je suis donc favorable à ce que nous conservions en l'état cette disposition, qui étend la procédure de composition administrative aux abus de marché.
L'article 2 bis est adopté dans la rédaction du Sénat.
Article 2 ter (nouveau)
Coopération entre le parquet national financier et l'Autorité des marchés financiers
Le Sénat a souhaité renforcer la coopération entre le parquet national financier et l'Autorité des marchés financiers au stade de l'enquête. Dans cet article, l'échange réciproque d'informations et la transmission d'un certain nombre de pièces sont prévus de manière précise. Le président de l'Autorité des marchés financiers m'a cependant fait part de son désaccord non pas sur l'ensemble de la rédaction du Sénat mais seulement sur les procédures de transmission, qu'il trouve trop lourdes.
Nous proposons donc à la commission mixte paritaire une rédaction visant à supprimer la transmission des procès-verbaux, rapports et autres pièces, de façon à alléger ces obligations. Il me semble cependant important de continuer à prévoir de manière assez précise une concertation au stade de l'enquête entre le parquet national financier et l'Autorité des marchés financiers. En s'en tenant au stade de l'information, cette modification est identique à la deuxième rédaction proposée par le rapporteur pour l'Assemblée nationale.
L'Autorité des marchés financiers n'a pas tort de résister fortement sur ce point. En effet, nous ne sommes pas devant deux institutions équivalentes en termes de moyens comme de nombre d'affaires suivies, puisque l'Autorité des marchés financiers, comme cela a déjà été dit, est chargée d'un bien plus grand nombre d'affaires que le parquet national financier. L'équilibre du texte antérieur ne doit pas être remis en cause en profondeur : on ne doit donc pas transférer des moyens d'action ou des capacités d'investigation de l'un vers l'autre. Dès lors, je ne vous cache pas que ma préférence serait que l'on renonce à ce dispositif de coopération renforcée. Son haut degré de précision n'apporte pas grand-chose mais va au-delà de ce qui est souhaitable : même le rapporteur pour le Sénat en convient et il propose une rédaction de compromis que j'avais moi-même été amené à formuler.
Je suggérerai même un « compromis au compromis ». Dans ma proposition de rédaction identique à celle du rapporteur pour le Sénat, il est précisé que « lorsque, dans le cadre d'une enquête, le secrétaire général de l'Autorité des marchés financiers acquiert la connaissance de soupçons graves et concordants de la commission d'un des délits mentionnés aux articles L. 465-1 à L. 465-3-3, il en informe sans délai le procureur de la République financier ». Cela peut poser un problème assez sensible en matière de secret professionnel, car le soupçon n'est pas la survenance ou la connaissance du délit en tant que telle. Nous savons comment l'Autorité des marchés financiers recueille ses informations : or, le soupçon n'est pas équivalent à la connaissance d'un délit. Dans ce dernier cas, on rejoint en effet des procédures classiques, comme celle de l'article 40 du code de procédure pénale.
Si vous tenez à ce principe de coopération, je propose que l'on évite cette référence au soupçon, en conservant une approche très similaire à celle de l'article 40 du code de procédure pénale, que personne ne peut juridiquement contester, avec une procédure identique en miroir entre l'Autorité des marchés financiers et le parquet national financier. Sinon, à quel stade pourrait-on commencer à justifier l'existence du soupçon : au moment où une affaire est évoquée par la presse ? Au moment de l'ouverture d'une enquête ? Il est difficile de définir le soupçon. En revanche, établir un délit est incontestable.
Par conséquent, je suis favorable à la suppression de cet article sur la coopération renforcée. Si, d'aventure, vous teniez à l'expression de cette coopération renforcée, je conjure notre commission mixte paritaire - et j'en ferai un point de blocage - à en rester à une approche calquée sur celle l'article 40 du code de procédure pénale. Cela n'est critiquable par personne et évite d'engager des réflexions sémantiques sur la nature du soupçon, qui me paraît être une notion inapplicable en pratique.
Supprimerions-nous donc totalement la notion de soupçon et nous en tiendrions nous au moment où le délit est avéré ? Je reste convaincue que, malgré le déséquilibre entre l'Autorité des marchés financiers et le parquet national financier, la coopération doit exister à tous les niveaux, même quand il y a soupçon, et en amont du délit avéré. En ce sens, la rédaction du Sénat me paraît intéressante.
En voulant améliorer le texte, ne prend-on pas le risque de le rendre inopérant ? Le parquet national financier relève de l'autorité judiciaire, ce qui n'est pas le cas de l'Autorité des marchés financiers. Or là, on a l'impression que l'on souhaite les placer à un même niveau. C'est donc l'éternelle question sur le statut de ces autorités administratives indépendantes qui ont des pouvoirs de sanction ! N'y a-t-il pas un risque d'inconstitutionnalité à cause d'une confusion entre l'autorité judiciaire et les autorités administratives indépendantes ?
Il faut revenir à la genèse de cette proposition de loi. Elle visait à instaurer une procédure d'aiguillage, et non des procédures de coopération en amont. Or, nous sommes ici au stade de la conduite des enquêtes, et non plus dans la procédure d'aiguillage. Il existe un vrai risque de confusion dans la gestion de ces enquêtes. Au regard des auditions que j'ai menées, je pense déraisonnable de laisser à penser à l'Autorité des marchés financiers, comme ce serait le cas si nous conservions cet article, qu'elle pourrait passer sous la tutelle du parquet national financier.
Pour toutes ces raisons, je préconise la suppression cet article. Et si vous souhaitez ne pas l'abandonner, je vous demande instamment de faire disparaître cette notion de soupçon. Un argument supplémentaire plaide en faveur de la suppression : si nous abandonnons la notion de soupçon, l'article L. 621-20-1 du code monétaire et financier prévoit d'ores et déjà que « si, dans le cadre de ses attributions, l'Autorité des marchés financiers acquiert la connaissance d'un crime ou d'un délit, elle est tenue d'en donner avis sans délai au procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs ». Cela existe donc déjà. En adoptant la proposition de rédaction, fût-elle corrigée, nous n'apporterions rien à la démarche juridique et nous ne ferions que compliquer la loi. Si l'on souhaite être prudent, comme le recommande Charles de Courson, je serais plutôt favorable à ne pas conserver cet article.
L'article 2 ter apporte une véritable nouveauté par rapport à la situation actuelle, puisque qu'il oblige aussi le parquet national financier à transmettre les informations au secrétaire général de l'Autorité des marchés financiers dès le stade des enquêtes préliminaires. Cependant, je suis disposé à me rallier au « compromis du compromis » que vient de proposer mon collègue député et à accepter la suppression de la notion de « soupçons graves et concordants ».
Nous avons dépassé ce stade, car nous en sommes désormais à la suppression de l'article. Si l'on supprime la notion de soupçon, on en revient alors à une procédure inspirée de l'article 40 du code de procédure pénale. Or, cette procédure existe à l'article L. 621-20-1 du code monétaire et financier, dont je viens de donner lecture. D'évidence, ce que l'on veut introduire dans la loi existe déjà.
Dans l'article qui vient d'être cité, c'est l'Autorité des marchés financiers qui est concernée - c'est à dire son collège - et non pas son secrétaire général, comme c'est le cas dans la rédaction adoptée par le Sénat.
Ce faisant, vous me donnez raison. Le secrétaire général dirige l'administration de l'Autorité des marchés financiers, et donc les services d'enquête. Je pense que ces dispositions, qui obligent le service administratif d'une autorité administrative indépendante à rendre compte à l'autorité judiciaire avant de le faire auprès de sa propre hiérarchie, seraient mal vécues et ne sont pas opérantes.
L'article 2 ter est supprimé.
Article 4
Suppression de l'interdiction pour l'Autorité des marchés financiers de se constituer partie civile en cas de double poursuite
La commission des finances du Sénat a précisé que lorsque l'Autorité des marchés financiers décide de ne pas se constituer partie civile, elle conservait une possibilité d'être présente à l'audience. Cette précision venait confirmer une faculté qui, de toute façon, lui est ouverte. Le problème réside dans le fait que par un amendement adopté en séance publique, le Sénat a transformé cette faculté en obligation.
Pour notre part, nous proposons deux modifications alternatives : soit un retour à la rédaction adoptée à l'Assemblée nationale, soit, à tout le moins, le rétablissement d'une simple possibilité de présence à l'audience, plutôt qu'une obligation.
J'annonce d'emblée que nous nous rallions à la seconde solution, qui rétablit une présence facultative, conformément à la position initiale de notre commission des finances. Nous avons eu un débat sur ce sujet. Ce qui avait convaincu le Sénat de se rallier finalement à la proposition de notre collègue Gérard Longuet, c'est qu'il apparaissait paradoxal que l'Autorité des marchés financiers ne soit pas présente dans les affaires les plus emblématiques, qui font l'objet de procédures judiciaires pouvant donner lieu au prononcé de peines d'emprisonnement et dans le cadre desquelles son expertise technique serait nécessaire. Si elle ne se constitue pas partie civile, elle n'est en effet pas entendue.
Je tiens à apporter une précision d'ordre pratique : cette discussion a peu d'intérêt, car le président du tribunal correctionnel ou de toute autre juridiction peut, quoi qu'il arrive, exiger cette présence.
L'article 4 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission mixte paritaire.
Article 4 bis A
Unification des ordres de juridiction en cas de recours contre les sanctions prises par l'Autorité des marchés financiers
Je suis résolument hostile à cet article.
Ce texte visait à satisfaire une envie légitime de donner un peu de cohérence à notre système juridictionnel. Pour autant, je constate que cela pose problème. Je le ressens comme un problème d'autorité territoriale, et pas du tout comme un problème juridique. Nous n'allons pas faire échouer la commission mixte paritaire sur cette question et attendrons de meilleurs jours pour faire en sorte que notre système juridictionnel soit un peu plus compréhensible...
Je me réjouis de cette position de sagesse de notre collègue sénateur. De fait, j'ai tendance à penser que si unification il devait y avoir, elle devrait se faire au profit du Conseil d'État, qui est le juge naturel des décisions des autorités administratives indépendantes.
Nous avions pour notre part suivi la commission des lois sur ce point, d'une part parce que le contentieux administratif est réduit et d'autre part parce qu'il peut y avoir des cas où, dans une même affaire, des professionnels et des non professionnels sanctionnés par l'Autorité des marchés financiers. Dans ce cas de figure, ils peuvent chacun faire un recours : dans un cas, il aura lieu devant la juridiction administrative, et dans l'autre cas devant la juridiction judiciaire...
et avec des jurisprudences contraires !
L'article 4 bis A est supprimé.
Article 4 bis
Transposition du règlement (UE) n° 596/2014 du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014 relatif aux abus de marché
L'article 4 bis est adopté dans la rédaction du Sénat.
Article 5
Dispositions relatives à l'outre-mer
Je suis favorable au texte du Sénat, sous réserve de modifications rédactionnelles.
L'article 5 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission mixte paritaire.
La commission mixte paritaire adopte, ainsi rédigé, l'ensemble des dispositions restant en discussion de la proposition de loi réformant le système de répression des abus de marché.
En conséquence, la commission mixte paritaire vous demande d'adopter la proposition de loi réformant le système de répression des abus de marché dans le texte figurant dans le document annexé au présent rapport.