MM. Philippe Bas, Christophe Béchu, Hugues Portelli, Mme Catherine Morin-Desailly, MM. Alain Anziani, Jean-Pierre Sueur et Mme Cécile Cukierman sont désignés en qualité de membres titulaires et M. Pierre-Yves Collombat, Mmes Jacky Deromedi, Catherine Di Folco, Sophie Joissains M. Jean-Yves Leconte, Mmes Catherine Tasca, Catherine Troendlé sont désignés en qualité de membres suppléants.
MM. Philippe Bas, François Zocchetto, Mmes Catherine Troendlé, Jacky Deromedi, M. Jacques Bigot, Mmes Catherine Tasca et Cécile Cukierman sont désignés en qualité de membres titulaires et MM. Pierre-Yves Collombat, Yves Détraigne, Christophe-André Frassa, Jean-Yves Leconte, Alain Marc, François Pillet et Jean-Pierre Sueur sont désignés en qualité de membres suppléants.
MM. Philippe Bas, Alain Vasselle, Mmes Catherine Di Folco, Jacqueline Gourault, MM. René Vandierendonck, Alain Richard, Christian Favier sont désignés en qualité de membres titulaires et MM. François Bonhomme, Pierre-Yves Collombat, Michel Delebarre, Yves Détraigne, Christophe-André Frassa, Hugues Portelli, Simon Sutour sont désignés en qualité de membres suppléants.
Nous devons désigner un représentant de notre commission au sein du groupe de travail commun avec la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable sur la question du préjudice écologique dans le projet de loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages. M. Alain Anziani ayant été rapporteur de la proposition de loi visant à inscrire la notion de préjudice écologique dans le code civil, je vous propose de le désigner comme notre représentant.
Il en est ainsi décidé.
La commission désigne M. Pierre Frogier pour siéger comme membre titulaire et M. Thani Mohamed Soilihi pour siéger comme membre suppléant au sein du Conseil national de la mer et des littoraux.
La commission examine les amendements sur le texte de la commission mixte paritaire n° 382 (2015-2016) relative à la prévention et à la lutte contre les incivilités, contre les atteintes à la sécurité publique et contre les actes terroristes dans les transports collectifs de voyageurs.
Les trois amendements déposés par le Gouvernement sont de coordination ou de cohérence. J'émets donc un avis favorable.
Article 6 bis
La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 3.
Article 6 ter
La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 2 rectifié.
Article 15
La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 1.
La commission donne les avis suivants sur les amendements de séance :
La commission examine le rapport de M. François Grosdidier et le texte qu'elle propose pour la proposition de loi n° 181 (2015-2016) présentée par M. Bruno Sido et plusieurs de ses collègues, tendant à permettre le maintien des communes associées en cas de création d'une commune nouvelle.
Cette proposition de loi, déposée par M. Bruno Sido, comble un vide. Il s'agit du maintien des communes associées résultant des fusions opérées selon la loi Marcellin au sein des communes nouvelles instituées par une loi du 16 décembre 2010 pour réformer le régime des fusions des communes : si l'on prévoit un statut de communes déléguées pour les communes qui fusionnent, rien n'est prévu pour les anciennes communes associées, obligées de se fondre dans la commune déléguée reprenant le nom et les limites de l'ancienne « commune Marcellin » au sein de la commune nouvelle. S'agissant souvent de communes très éparpillées, sur des territoires vastes et parfois accidentés, il est paradoxal de les priver d'un mode d'organisation dont elles bénéficient depuis des décennies - et que l'on met en place pour d'autres dans le cadre des communes nouvelles !
Le droit actuel permet le maintien de ces communes associées type Marcellin, qui ne sont plus des sections électorales, supprimées en 2013 dans les communes de moins de 20 000 habitants. Elles conservent un maire délégué, une mairie annexe et une section du centre communal d'action sociale (CCAS). Cela se rapproche des communes déléguées de la commune nouvelle... Ces communes devraient pouvoir choisir d'entrer dans la commune nouvelle avec autant de communes déléguées qu'elles comptaient de communes associées. C'est le bon sens ! Pourquoi ne pourraient-elles pas retrouver leur organisation au sein de la commune nouvelle ? C'est un frein à la création de celles-ci.
Les communes associées ont quasiment disparu. Dans le système hérité de la loi de 1971, elles constituaient une section électorale puisqu'on y élisait des conseillers municipaux. La loi de 2013, en raison des règles de désignation des conseillers communautaires, a éliminé les communes associées, dont il ne reste plus que quelques-unes. Qu'elles puissent devenir des communes déléguées au sein de la commune nouvelle est de bon sens.
L'intitulé de la proposition de loi est un peu trompeur : il ne s'agit pas de maintien des anciennes communes associées mais d'une mutation en commune déléguée.
Ce texte m'a d'abord paru étrange, mais vos explications me rassurent. Les communes nouvelles ont été introduites dans un grand élan vers la fusion. Pourquoi alors garder les spécificités de chacun ? Cela aurait été vouloir le beurre et l'argent du beurre ! Mais préserver le régime historique de certaines communes, c'est de bon sens. Le titre est trompeur, en effet.
Ce texte pose tout de même quelques problèmes de détail en matière électorale : les communes déléguées issues des communes associées n'auront pas d'élus pendant la période transitoire.
Comment répartir la totalité des élus municipaux entre l'ancienne commune principale et les anciennes communes déléguées ?
C'est impossible : il n'y a plus de sections électorales au sein des communes associées. Les maires délégués sont désignés par le conseil municipal de la commune fusionnée.
Jean-Jacques Hyest a fait encore récemment l'éloge de la souplesse et de la différenciation territoriale. Sous les importantes réserves soulevées par mes collègues, je ne suis pas fermé à cette proposition - en tenant pour acquis qu'il ne s'agit nullement de se créer une réserve de voix pour les élections sénatoriales !
Je comprends l'utilité de ce texte. Les communes associées n'ayant pas de section électorale, leurs élus sont ceux de la commune-centre, dont le conseil municipal désigne les maires délégués. Selon l'exposé des motifs, la Direction générale des collectivités locales (DGCL) et l'Association des maires de France (AMF) ont une divergence d'appréciation.
Il est surprenant sur un autre sujet, que l'AMF, après nous avoir demandé avec insistance de changer la loi pour créer une disposition nouvelle, ce que les deux chambres ont fait de manière unanime, réclame le détricotage de cette mesure...
Il ne s'agit pas de détricoter la loi sur les communes nouvelles mais d'y apporter des précisions oubliées au moment de son élaboration. En ce qui concerne les élections sénatoriales, il y un vide juridique, que comble mon amendement COM-4 rectifié. La question de la représentation des anciennes communes associées au sein du conseil municipal ne se pose pas : leurs élus sont dans le conseil municipal de la commune Marcellin, qui a vocation à s'agglomérer aux autres élus dans le conseil municipal de la commune nouvelle. Nous pourrions compléter le titre de la proposition de loi, en effet, pour parler du maintien des communes associées « , sous forme de communes déléguées, ».
EXAMEN DES AMENDEMENTS
Article unique
L'amendement COM-1 de précision est adopté.
L'amendement COM-2 applique aux fusions-association régies par la loi Marcellin les modalités prévues en cas d'extension de la commune nouvelle à une ou plusieurs autres communes. Il peut y avoir dès l'année prochaine des volontés d'élargissement des communes nouvelles à des communes Marcellin.
L'amendement COM-2 est adopté.
L'amendement COM-3 étend la qualité de maire délégué de droit jusqu'au premier renouvellement suivant la création de la commune nouvelle aux maires délégués des anciennes communes associées en cas d'extension de la commune nouvelle.
L'amendement COM-3 est adopté.
Article additionnel après l'article unique
L'amendement COM-4 rectifié répond aux difficultés résultant de la composition du conseil municipal de la commune nouvelle durant la période transitoire pour la détermination du nombre de délégués sénatoriaux. Jusqu'au premier renouvellement du conseil municipal, celui-ci est composé de l'ensemble des conseillers municipaux des anciennes communes, si les conseils municipaux des communes concernées le décident par délibérations concordantes avant la création de la commune nouvelle. À défaut, le conseil comprend les maires, les adjoints et des conseillers municipaux des anciennes communes proportionnellement à leurs populations respectives, dans la limite de 69 membres, sauf si la désignation des maires et adjoints des anciennes communes rend nécessaire l'attribution de sièges supplémentaires. Durant la seconde étape, le conseil municipal comporte un nombre de membres égal à celui prévu pour une commune appartenant à la strate démographique immédiatement supérieure.
En l'état actuel du droit, la loi ne permet pas de déterminer le nombre correspondant de délégués sénatoriaux. Dans les communes de moins de 9 000 habitants, il est fonction de l'effectif du conseil municipal. À partir de 9 000 habitants, tous les conseillers municipaux sont délégués de droit. Cela crée des situations insolubles. Ainsi, à Condé-en-Normandie, le conseil municipal compte 84 membres pour 7 505 habitants !
En effet, pour la désignation des grands électeurs, le tableau classe les communes par nombre de conseillers municipaux jusqu'à 9 000 habitants. Or il peut y en avoir beaucoup pendant la période transitoire. Cela pourrait faire exploser le nombre de délégués dans les communes rurales... Le rapporteur propose de se référer au tableau tout en fixant des plafonds. Quoi qu'il arrive, nous devons adopter ce texte avant les prochaines élections sénatoriales.
Le nombre de délégués serait celui correspondant à la strate égale ou immédiatement supérieure durant la première étape, pour tenir compte de la représentation territoriale élargie : ainsi, un conseil municipal de dix-sept ou dix-huit membres aurait droit à cinq délégués. Au-delà de 9 000 habitants, tous les membres du conseil municipal sont délégués. À partir de trente conseillers municipaux aussi. Nous fixons toutefois un plafond, à savoir le nombre d'électeurs sénatoriaux dont disposaient, au total, les communes fusionnées avant la création de la commune nouvelle. Tout cela ne vaut que pour la période transitoire : ensuite, le droit commun s'appliquera.
Le nombre de délégués ne pourra toutefois pas être inférieur à celui auquel aurait droit une commune comptant la même population.
Si l'on n'a ni plus, ni moins, c'est qu'on a autant ! Pourquoi ne pas se fonder uniquement sur la population de la commune, nouvelle ou non, pour déterminer le nombre de délégués sénatoriaux ? Le nombre de conseillers municipaux dépend bien de la population ! Pourquoi se faire des noeuds au cerveau ?
Je ne suis pas sûr que le simple fait qu'une commune soit nouvelle justifie une entorse à la règle de l'égalité. Certes, jusqu'à 9 000 habitants, le critère est le nombre de conseillers municipaux. Mais nous en prenons un autre - ni le nombre de conseillers municipaux, ni le nombre d'habitants ! Tout cela pour à peine quelques électeurs sénatoriaux supplémentaires... Je crains que la passion des QPC ne trouve à s'exercer.
Les règles transitoires s'appliquant aux communes nouvelles ont été imaginées pour inciter au regroupement. La perte des grands électeurs pour les communes rurales peut être atténuée, dans un premier temps.
L'exposé des motifs indique que, lorsque le conseil municipal d'une commune de moins de 9 000 habitants comprend au moins trente membres, ils sont tous délégués de droit. Or on peut avoir 8000 habitants et 80 conseillers municipaux !
Ce risque a été pris en compte par mon amendement : le nombre de délégués sénatoriaux ne peut en aucun cas dépasser ce qu'il était avant la fusion.
Je suis tenté de suivre M. Collombat : nous pourrions calculer le nombre de délégués sénatoriaux en référence au nombre de conseillers municipaux qu'aurait une commune de même population que la commune nouvelle.
Il y a bien un risque d'inconstitutionnalité au regard de l'égalité devant le suffrage. Il s'agit toutefois d'une mesure d'atténuation, à caractère transitoire. Si ces communes ne formaient pas une commune nouvelle, leur nombre de délégués serait plus important.
S'agissant d'une mesure limitée dans la durée, il me semble, vu le précédent de la décision Salbris, que le Conseil constitutionnel se montrerait compréhensif.
En revanche, au-delà de 9 000 habitants, l'effet de prime serait plus prononcé, et pourrait aboutir à des dizaines de délégués supplémentaires. Ne serait-il pas plus sage de retenir le principe de la strate supérieure ?
Le nombre antérieur de délégués sénatoriaux ne peut être dépassé, ce qui limite l'effet du bonus.
C'est un garde-fou. Le principe d'égalité devant le suffrage n'est pas un principe de stricte proportionnalité. Les communes nouvelles étant plus vastes, leur représentation territoriale est moins strictement liée à la population. Après le premier renouvellement et jusqu'au suivant, elles auront droit à un nombre de délégués correspondant à la strate immédiatement supérieure en termes d'effectifs de leur conseil municipal. Pour toute la période transitoire, nous pouvons retenir le même critère, ce qui facilitera la navette.
Pourquoi ne pas fixer, pour la première période, un nombre égal à la somme du nombre de délégués de chacune des communes constitutives ?
La perspective de perdre du poids électoral peut dissuader une commune d'entrer dans une commune nouvelle.
Une commune nouvelle est une commune au sens plein. Je comprends l'alignement sur la strate supérieure, mais pourquoi ne pas fixer le nombre de délégués selon les mêmes règles que pour une commune ordinaire de même taille ?
Il y a un vide juridique entre 29 conseillers municipaux et 9 000 habitants durant la première étape.
Qu'il y ait moins de 9 000 habitants ou plus, nous devons nous caler sur la population pour déterminer le nombre de délégués sénatoriaux : une commune de 7000 habitants a droit à 29 conseillers municipaux, donc 15 délégués.
Pourquoi le fait de passer en commune nouvelle donnerait-t-il des avantages ? Il y a déjà des avantages financiers. Simplifions ! Le nombre d'habitants est un critère suffisant.
Nous avons des chances de faire passer un texte. Aussi, pour la période transitoire, devrions-nous arrêter d'entrée de jeu le système à venir, pour ne pas laisser de vide.
Une commune nouvelle de 10 000 habitants peut avoir une centaine de conseillers municipaux. Dans tous les cas, nous devons retenir comme critère la population de la commune.
Nous avons constitué dans mon département l'une des premières communes nouvelles. Au départ, elle comptait 59 conseillers municipaux ; après le renouvellement, ils sont 29. Au total, il y a trois délégués sénatoriaux de moins que si chaque commune était restée indépendante. Ce n'est pas une catastrophe, car nous avons plutôt du mal à trouver des grands électeurs prêts à se rendre à Lyon un dimanche en pleine période de vendanges ou de chasse !
Je vous propose d'adopter mon amendement, quitte à le retravailler avant la séance, car la solution proposée par M. Sueur ne comble pas le vide juridique ouvert entre le seuil de 29 conseillers municipaux et celui de 9 000 habitants. Il faudrait pouvoir prolonger le tableau. Nous devons travailler la question pour aboutir à une solution qui couvre toutes les hypothèses.
L'amendement COM-4 rectifié est adopté et devient un article additionnel. L'amendement COM-5 rectifié devient sans objet.
L'amendement COM-6 est adopté. L'intitulé de la proposition de loi est ainsi modifié.
La commission adopte la proposition de loi dans la rédaction issue de ses travaux.
Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :
La commission examine le rapport de M. François Grosdidier et le texte qu'elle propose pour la proposition de loi n° 591 (2014-2015) présentée par M. Jean-Noël Cardoux et plusieurs de ses collègues, visant à augmenter de deux candidats remplaçants la liste des candidats au conseil municipal.
Nous avons fait passer le seuil des élections municipales au scrutin de liste à la représentation proportionnelle de 3 500 à 1 000 habitants. Aux dernières élections de mars 2014, une seule liste de candidats a été recensée dans 7,75 % des communes de plus de 3 500 habitants et dans 41 % des communes appartenant à la strate démographique comprise entre 1 000 et 3 500 habitants, c'est-à-dire les communes auparavant soumises au scrutin majoritaire. Dans ces dernières communes, tous les membres de la liste unique sont élus, ce qui prive de réserves de conseillers pour remplacer un membre démissionnaire ou décédé. Or pour fonctionner, un conseil municipal doit compter les deux tiers de ses effectifs ; pour élire son maire, il doit être au complet. S'il manque un conseiller municipal dans une commune de plus de 1 000 habitants pour procéder à l'élection du maire, il faut organiser une nouvelle élection générale. Personne ne comprend cette dépense supplémentaire, puisque c'est la même liste qui se présente à la différence d'un nom ou deux, alors que pour d'autres élections au scrutin de liste à la représentation proportionnelle - élections régionales ou désignation de conseillers communautaires, etc. - le législateur a prévu des suppléants. C'est pourquoi cette proposition de loi de M. Cardoux propose d'augmenter de deux noms les listes de candidats du conseil municipal, qui ne siègeraient qu'en cas de décès du maire. M. Cardoux a déposé un amendement pour élargir le recours aux deux conseillers municipaux suppléants en cas de décès d'un conseiller municipal ou après démission liée à une incompatibilité sur la base du cumul des mandats. Je préfèrerais que cette faculté soit élargie à l'ensemble des vacances d'un siège au conseil municipal : les causes peuvent en être nombreuses. Pour autant, inutile de prévoir davantage de suppléants, car cela accroitra la difficulté à monter les listes.
Votre amendement COM-1 prévoit que la liste comporte un nombre de noms égal au nombre de sièges à pourvoir, augmenté de deux. L'amendement COM-2 de M. Cardoux prévoit que le conseil municipal n'est pas entièrement réélu à la suite d'un décès ou d'une démission d'un conseiller municipal résultant de l'application de la loi organique du 14 février 2014. Je comprends que votre avis sur ce dernier amendement est défavorable.
Les démissions peuvent avoir des causes diverses : déménagement, mutation professionnelle, mésentente.... Qu'elles obligent à réélire tout le conseil municipal est très lourd. Dans de nombreuses communes, tous les membres de la liste étant élus, il n'y a pas de réserve disponible pour nommer des suppléants.
Cette proposition de loi est justifiée. L'unicité de la liste peut aussi résulter d'un accident de dépôt de liste. Mais pourquoi limiter les recours aux suppléants ? La loi organique ne limite les cas de remplacement que pour les suppléants des députés ou sénateurs élus au scrutin majoritaire, en excluant la démission. Pour une élection au scrutin de liste, il n'y a pas de sélection des cas de succession, quel que soit le motif de la vacance - ce qui laisse aussi place à des manoeuvres.
Cette proposition de loi a un objectif bien particulier : régler les problèmes posés par les décès. Or l'amendement COM-2 limite à deux cas, qui ne dépendent pas d'une arrière-pensée, la possibilité de faire monter un suppléant : le décès et l'application de la loi organique de 2014. Il me parait plus conforme à l'esprit de la proposition de loi. Aller plus loin interdirait d'organiser une élection générale dans les cas où la démission résulte d'une crise démocratique, par exemple si le maire est mis en minorité.
Je suis d'accord avec le rapporteur, pour avoir vécu la situation dans mon département. Les élections où une seule liste se présente posent un problème d'expression démocratique. Notre commission des lois s'honorerait à proposer que l'on autorise le dépôt de listes incomplètes. Avoir abaissé le seuil du scrutin de liste à la représentation proportionnelle à 1 000 habitants a augmenté le nombre de communes où une seule liste est présente aux élections municipales.
Je n'ai pas voté ce changement de seuil, car dans les communes rurales, la démocratie consiste à pouvoir choisir des noms : c'est le système du panachage.
La démocratie n'y est pas épuisée par le dialogue entre gauche et droite. L'abaissement du seuil a représenté une régression démocratique. Il vous appartient d'élaborer une telle proposition de loi, monsieur Marc : nul doute qu'elle rencontrerait un large écho.
Le problème se pose en cas de décès du maire. Il y a d'autres cas : dans mon département, des conseillers municipaux ont démissionné massivement pour manifester leur désaccord avec le maire. Je soutiens l'amendement COM-2.
J'ai cosigné cet amendement ainsi que la proposition de loi, mais après avoir entendu les arguments juridiques de M. Richard, je me rallie à l'amendement COM-1, par souci de cohérence.
Nous avons donc trois solutions : faire appel aux suppléants uniquement en cas de décès du maire, c'est l'objet de la proposition de loi initiale ; pour combler toute vacance de siège, comme le propose le rapporteur ou, comme le propose l'amendement COM-2, uniquement en cas de décès ou de démission résultant de l'application de la loi organique de 2014.
Mon amendement est antérieur à l'amendement COM-2. Un conseil municipal doit compter les deux tiers de ses membres pour fonctionner. En cas de crise, si le maire est devenu minoritaire, deux suppléants ne suffiraient pas à renverser la tendance. D'autant qu'il est plus difficile pour les opposants internes à la majorité d'obtenir la défection d'un tiers du conseil lorsque l'opposition siège.
On voit la gymnastique législative où conduit l'abaissement du seuil du scrutin de liste à la représentation proportionnelle ! Pour réélire un maire, le conseil municipal doit être au complet. Si un élu décède, pourquoi ne pas organiser une élection partielle ? Prévoir des suppléants à tout hasard, c'est une usine à gaz !
Il est vrai que dans une petite commune, il n'est pas toujours facile de trouver deux personnes supplémentaires.
Ce texte résulte du décès de Mme Nicole Pinsard, maire de Boulay-les-Barres : il a fallu organiser une élection générale, qui a abouti à la reconduction de tous les conseillers municipaux, ce qui a paru étrange aux électeurs. De même, à Bazoches-sur-le-Betz, le maire a contre lui l'ensemble des conseillers municipaux, mais refuse de démissionner. La situation peut durer longtemps...
Cette proposition de loi est assez simple. Adoptons les propositions de notre rapporteur.
EXAMEN DES AMENDEMENTS
Jacky Deromedi est nommée rapporteur de la proposition de résolution européenne n° 413 (2015-2016) présentée par Mme Colette Mélot et M. André Gattolin, au nom de la commission des affaires européennes, portant avis motivé en application de l'article 73 octies du Règlement, sur la conformité au principe de subsidiarité de la proposition de directive COM (215) 634 final concernant certains aspects des contrats de fourniture numérique, et de la proposition de directive COM (2015) 635 final concernant certains aspects des contrats de ventes en ligne et de toute autre vente à distance de biens.
Le 18 février dernier, la commission des affaires européennes a adopté, à l'initiative de Colette Mélot et André Gattolin, une proposition de résolution portant avis motivé sur la conformité au principe de subsidiarité de la proposition de directive concernant certains aspects des contrats de fourniture numérique et de la proposition de directive concernant certains aspects des contrats de ventes en ligne et de toute autre vente à distance de biens.
Dans le cadre de la procédure instaurée par les traités européens, qui fixe un délai de huit semaines pour l'examen des questions de subsidiarité par les parlements nationaux, l'article 88-6 de la Constitution prévoit que chaque assemblée peut émettre un avis motivé sur la conformité d'un projet d'acte législatif européen au principe de subsidiarité. C'est une avancée du traité de Lisbonne, permettant de mieux associer les parlements nationaux au processus législatif européen, sans médiation de l'exécutif. L'article 73 octies de notre règlement prévoit que les propositions de résolution portant avis motivé sur la conformité d'un projet d'acte législatif européen sont d'abord examinées par la commission des affaires européennes ; si celle-ci adopte une proposition, elle est ensuite transmise à la commission compétente au fond - en l'espèce, la commission des lois, saisie au titre de sa compétence sur le droit général de la consommation, qui dérive du droit des contrats. Celle-ci statue en concluant soit au rejet, soit à l'adoption de la proposition. La résolution est considérée comme adoptée par la commission au fond si celle-ci ne statue pas.
Pourquoi est-il proposé à notre commission de statuer expressément sur cette proposition de résolution ? Il s'agit d'approuver avec force la position émise par la commission des affaires européennes, sur une difficulté récurrente constatée en matière de protection des consommateurs, domaine imprégné par le droit européen et exigeant la transposition de nombreuses directives au nom du marché unique.
Les deux propositions de directive concernées s'inscrivent dans la stratégie numérique de la Commission européenne et portent notamment sur les contrats de vente à distance et de vente en ligne entre consommateurs et professionnels, avec l'objectif de développer les achats en ligne dans le cadre du marché européen et de tirer davantage profit de la forte croissance du commerce électronique.
Comme la Commission européenne considère que la juxtaposition des législations nationales en matière de consommation constitue un frein au commerce transfrontalier et un surcoût dans les transactions, elle propose régulièrement des directives dites d'harmonisation maximale ou complète, en vue de créer un cadre juridique uniforme sur certains aspects des règles encadrant l'achat de biens et services par des consommateurs dans l'Union européenne, qu'il s'agisse ou non de vente à distance. Le législateur national ne peut alors pas s'écarter de la directive lors de la transposition pour mettre en place des dispositions plus protectrices pour les consommateurs, mais aussi pour conserver celles qui existent déjà. Rapporteur pour avis des projets de loi de 2011 puis de 2014 relatifs à la consommation, Nicole Bonnefoy avait déjà nettement souligné cette difficulté, qui impose de démanteler certains aspects de la protection des consommateurs offerte par le droit français.
Selon le constat de la commission des affaires européennes, les deux directives proposées offrent globalement un niveau satisfaisant de protection pour les consommateurs européens et même certaines avancées par rapport au droit français, par exemple en matière de charge de la preuve, de responsabilité, de dédommagement ou encore de résiliation du contrat en cas de défaut de conformité de la chose vendue. Pour autant, nos collègues ont estimé que ces deux textes étaient contraires au principe de subsidiarité, en raison de la combinaison du principe d'harmonisation maximale et de reculs par rapport au droit français de la consommation.
En principe, une directive fixe un socle commun, sans préjudice pour les États membres d'aller plus loin, en offrant ou en conservant une protection plus grande pour les consommateurs. En l'espèce, les directives ne garantissent pas un niveau de protection des consommateurs équivalent à celui des États membres les plus avancés en la matière, dont la France fait partie, mais un niveau médian, qui imposerait à certains États de diminuer le niveau de protection de leur législation.
Concernant la France, la garantie en cas d'éviction - c'est-à-dire en cas de trouble de jouissance de la chose vendue, du fait du vendeur ou d'un tiers - et la garantie contre les défauts de la chose vendue, aussi appelée garantie des vices cachés, toutes deux prévues par le code civil, devraient être supprimées de notre législation, abaissant de fait la protection des consommateurs français.
Seize parlements nationaux ont adopté ou devraient adopter prochainement des avis motivés en matière de subsidiarité sur ces deux propositions de directive, pour le même motif. Même si le nombre d'avis motivés n'atteindra pas le seuil, dit du « carton jaune », de dix-neuf avis motivés, qui imposerait à la Commission européenne de reprendre son texte, ces avis motivés ne pourront pas être ignorés. L'Union européenne ne saurait être synonyme de moindre protection pour les consommateurs français.
Dans ces conditions, je vous propose d'approuver la proposition de résolution.
Merci pour ce rapport, très précis. Il convient de donner une force politique aussi importante que possible à cette résolution qui touche un sujet sensible.
Je partage d'autant plus ces conclusions qu'en tant que membre de la commission des affaires européennes, j'ai approuvé la proposition de résolution.
Vous estimez improbable que soit atteint le seuil du tiers des voix des parlements nationaux, soit dix-neuf. Combien en manque-t-il, et quels pays pourrions-nous sensibiliser ? Nous nous affranchissons trop souvent à mon goût du principe fondamental de subsidiarité, que ce soit au niveau européen ou au niveau local, quand les petites collectivités se retrouvent obligées de se soumettre aux décisions prises au niveau intercommunal...
Depuis 1993, la consommation transfrontalière s'est développée sur le territoire de l'Union, et la vente en ligne lui a donné un nouvel essor. La protection du consommateur étant plus forte en France, il convient de rappeler le principe de subsidiarité. Si les règles relatives à la vente à distance étaient assouplies, la vente en magasin s'en trouverait fragilisée. L'information du consommateur, dans un monde dont la complexité augmente, est capitale ; nos règles de protection, notamment celles qui touchent aux vices cachés, sont trop souvent méconnues. Une harmonisation au niveau européen et la définition de règles communes s'imposent.
Il ne manque que trois parlements nationaux, mais le délai étant de huit semaines, le seuil des dix-neuf ne sera pas atteint. Il est en effet opportun de définir à l'échelle européenne un socle commun suffisant en matière de protection du consommateur.
La commission adopte la proposition de résolution européenne.
Une ordonnance réformant le droit des obligations doit entrer en application en octobre 2016, marquant l'aboutissement d'une réflexion conduite par la chancellerie depuis plusieurs années. Je suis surpris que le Parlement n'ait pas été consulté sur cette réforme, qui modifie tout un pan du code civil, d'autant que Mme Taubira, alors garde des sceaux, s'était engagée à recueillir l'avis du Sénat et de l'Assemblée nationale, de sorte que nous puissions au besoin modifier les propositions du Gouvernement.
La modification par ordonnance de ces textes avait fait l'objet d'un long débat en séance publique et, si ma mémoire et bonne, une commission mixte paritaire avait échoué sur ce point. Il est également exact que la garde des sceaux s'était engagée à ce qu'il y ait un débat au Parlement sur la ratification de l'ordonnance. Il y a d'autres exemples : l'ordonnance sur les marchés publics, sur laquelle notre collègue Reichardt a beaucoup travaillé, celle sur le bénévolat... On a l'impression que le Gouvernement considère la question comme réglée dès que le projet de loi de ratification est déposé sur le bureau de l'une des deux assemblées. C'est un problème.
Je remercie François Pillet d'intervenir assez en amont pour éviter l'habituel choeur des lamentations une fois l'ordonnance publiée. La garde des sceaux avait pris un engagement à notre égard. Il faudrait que nous puissions débattre de cette question qui a des implications pour la vie quotidienne des Français.
La Constitution, dans son article 38, autorise le Parlement à confier au Gouvernement le soin de légiférer par ordonnances ; il peut se prononcer ultérieurement sur leur ratification, pour leur conférer définitivement qualité législative. En dépit des réticences traditionnelles du Parlement vis-à-vis de cette procédure, je n'ai pas encore vu de proposition de réforme constitutionnelle pour l'abolir... En revanche, rien n'interdit un dialogue de bonne foi entre le ministre chargé de la rédaction de l'ordonnance et la commission compétente. Je ne suis pas opposé aux débats sur la ratification des ordonnances, mais la gestion du temps parlementaire ne permet pas que tous les textes issus d'une loi d'habilitation soient discutés ! Plutôt qu'une discussion sur un projet de loi de ratification, qui se résume à une suite d'errata, la bonne méthode est une concertation préalable, avant la transmission des projets d'ordonnance au Conseil d'État. Transmettons une demande en ce sens au ministère de la justice.
Je regrette que le Parlement n'ait pas été consulté au préalable, comme le Gouvernement s'y était pourtant engagé. À la suite de notre travail sur le projet d'ordonnance sur les marchés publics - concrétisation d'un engagement de M. Mandon -, nous avons obtenu satisfaction sur la quasi-totalité de nos propositions, et la ratification des ordonnances s'en trouvera simplifiée. Nous aurions pu procéder de la même manière sur la réforme du droit des obligations, qui n'est pas moins importante. La commission des lois devrait être systématiquement associée à l'élaboration des ordonnances dès lors que le texte en question la concerne. Cela faciliterait le débat de ratification.
La loi « MAPTAM » prévoyait des dispositions - ardemment souhaitées par notre collègue Louis Nègre - sur la dépénalisation du stationnement. Conformément à un engagement du Gouvernement en séance, elles ont fait l'objet de réunions régulières associant, sous l'égide d'un conseiller d'État, l'ensemble des administrations concourant à la rédaction du texte. Pourquoi ne pas explorer cette voie ?
Le contenu de la loi d'habilitation est très important, car il fixe l'étendue exacte du questionnement et du contrôle qui sera effectué par le Parlement lors de la ratification.
Enfin, une ordonnance non ratifiée continue d'exister en tant que texte de valeur réglementaire même si, ratione materiæ, elle relève en fait d'une extension de l'article 37 dans l'article 34.
Que le Parlement soit co-auteur des ordonnances prises dans le cadre d'une loi d'habilitation n'est, à mon avis, pas de bonne pratique - d'autant que le Sénat s'était opposé à cette habilitation, étant donnée l'importance des droits en cause. Cela dit, je propose que nous désignions dès maintenant un rapporteur, sous réserve de dépôt du projet de loi de ratification, pour engager une discussion avec le garde des sceaux. François Pillet me paraît tout indiqué.
La commission désigne François Pillet en tant que rapporteur, sous réserve de son dépôt, du projet de loi de ratification de l'ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations.
La commission procède à des auditions sur le projet de loi constitutionnelle n° 395 (2015-2016), adopté par l'Assemblée nationale, de protection de la Nation.
Elle entend tout d'abord MM. Olivier Beaud et Dominique Chagnollaud, professeurs de droit constitutionnel à l'université Paris 2.
Après avoir entendu hier le vice-président du Conseil d'État et le premier président de la Cour de Cassation, nous poursuivons nos auditions sur le projet de loi constitutionnelle de protection de la Nation en recevant les professeurs Olivier Beaud et Dominique Chagnollaud.
J'ai récemment publié dans Le Monde un article intitulé « Une réforme constitutionnelle inutile et inepte » - l'inutilité étant celle de l'état d'urgence, l'ineptie celle de la déchéance de nationalité.
Je me suis prononcé dès le mois de décembre contre cette réforme, avant même la présentation du projet de loi.
Des clarifications s'imposent sur l'état d'urgence, qui reste une notion mal comprise.
Je sais vos compétences ! Mais à l'Assemblée nationale, il a été dit que la constitutionnalisation de l'état d'urgence permettrait de garantir les libertés publiques. Or l'état d'urgence est un état d'exception, c'est-à-dire une dérogation temporaire à certaines dispositions constitutionnelles, en l'occurrence des droits et libertés. Il se traduit par une extension des pouvoirs de police au détriment des libertés : ce n'est pas un équilibre, mais bien un déséquilibre ! Il résulte des circonstances, de menaces suffisamment graves contre l'État et la Nation pour contraindre le pouvoir à prendre ces mesures dérogatoires. Prétendre justifier la constitutionnalisation de l'état d'urgence par un renforcement de l'État de droit, c'est absurde.
L'argumentation déployée par le Premier ministre devant la commission des lois de l'Assemblée nationale est fragile. D'abord, il s'est appuyé sur les conclusions du comité Vedel de constitutionnaliser l'état d'urgence, suivies par le comité Balladur. Or le Conseil d'État n'a pas estimé opportun de suivre ces recommandations en 2008. Il a fait valoir que les pouvoirs exceptionnels du Président et l'état de siège étaient, eux, prévus par la Constitution ; mais on peut tout autant en conclure que c'est suffisant ! Il a souligné que le Conseil constitutionnel avait validé à plusieurs reprises la loi de 1955 instaurant l'état d'urgence, en 1985 pour la Nouvelle-Calédonie, en décembre 2015 et à nouveau en 2016 : mais si la loi suffit, alors pourquoi constitutionnaliser ?
Enfin, le Premier ministre affirme qu'inscrire l'état d'urgence dans la Constitution, c'est l'encadrer. Or, comme les juristes qui s'y sont essayés l'ont constaté, il est très difficile de limiter un pouvoir d'exception. De plus, pour déterminer les conditions d'ouverture de l'état d'urgence, on a simplement repris les termes de la loi de 1955 : « péril imminent » et « calamité publique ». Cette dernière notion avait été inventée, en 1955, par l'état-major de la Défense, pour distinguer artificiellement l'état d'urgence de l'état de siège. Laissons-la de côté, elle n'apporte rien. La condition la plus importante est bien le péril imminent, avec un vrai risque de rendre l'état d'urgence permanent. Peu après le 11 septembre, le grand juriste Bruce Ackerman a proposé deux conditions à l'instauration d'un état d'urgence : un danger clair et présent, et une attaque sur le sol national, fait objectif qui légitime une réaction. Mais l'idée de péril imminent, de menace, est une condition très lâche qui ouvre la voie aux manipulations politiques : les services de défense et de renseignement pourront toujours l'invoquer, en s'appuyant, qui plus est, sur des informations secrètes. Avec une telle notion, on risque de mettre en place un état d'urgence permanent.
Il y a une contradiction entre l'état d'urgence, mesure temporaire qui doit répondre à une menace temporaire, et le nouveau terrorisme qui, pour reprendre l'analyse de Bernard Manin, est une menace épisodique mais par nature permanente.
En 1955, les socialistes et les communistes étaient très hostiles à la loi d'état d'urgence, qualifiée de « loi scélérate ». Or le 20 novembre, on a repris ce texte, en l'aggravant, et sans discussion ! De plus, la modification constitutionnelle proposée est illisible, comme Cécile Guérin-Bargues et moi-même l'avons montré dans la revue Jus Politicum. La première garantie pour le citoyen est que le droit soit compréhensible.
Il est vrai que l'article 16, qui concentre tous les pouvoirs entre les mains d'un seul homme, est pire pour les libertés, mais encore est-il soumis à deux conditions cumulatives : une menace sur l'intégrité du territoire ou l'exécution des engagements internationaux et une interruption du fonctionnement régulier des pouvoirs publics. Ces conditions ne sont pas nécessaires pour déclarer l'état d'urgence, ce qui le rend encore plus dangereux.
Quant à la déchéance de nationalité, elle existe déjà dans le droit positif. Son opportunité peut se discuter, mais la constitutionnaliser est inepte et même honteux. La déchéance de nationalité est une sanction, or la Constitution n'est ni le code civil, ni le code pénal et ne saurait devenir le réceptacle de n'importe quelle mesure autoritaire. Quant à l'exposé des motifs, qui justifie une telle mesure par le risque de censure d'une loi ordinaire par le Conseil constitutionnel, il n'est tout simplement pas sérieux.
Deux remarques pour conclure. D'abord, la seule vocation réelle de ce projet de loi constitutionnelle est de rassurer les Français. Le député Philippe Houillon a dit, à juste titre, que la Constitution n'était pas un outil de communication politique.
Ensuite, cette réforme fait perdre du temps, en particulier aux parlementaires. D'autres sujets sont urgents et, comme je suis universitaire, j'en profite pour signaler que le Conseil d'État vient de réaffirmer le principe de non-sélection à l'entrée en master : voilà les problèmes dont il faudrait s'occuper !
Le débat autour de ce projet de loi constitutionnelle prend un tour excessif. On parle souvent d'une révision de circonstance - mais toutes le sont, à divers degrés : sans remonter à la révision de 1962 dans la foulée de l'attentat du Petit-Clamart, il n'est que de citer la révision issue du comité Balladur, la création du Défenseur des droits ou la modification de l'article 18 autorisant le Président à intervenir devant le Congrès, dénoncée en son temps comme inutile et dangereuse.
Montesquieu est souvent invoqué, généralement en tronquant la fameuse citation : « Comme les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires, celles qu'on peut éluder affaiblissent la législation. Une loi doit avoir son effet, et il ne faut pas permettre d'y déroger par une convention particulière. » On peut l'interpréter à son gré : si l'on retient le premier segment de la première phrase, la révision constitutionnelle est inutile, mais le second la rend nécessaire ; quant à la seconde phrase, elle justifie la révision ! C'est un débat rhétorique.
Un projet inutile et dangereux ? Étrange conception de l'État de droit, qui confie à la loi ordinaire le soin de limiter les libertés. C'est bien parce que l'état d'urgence n'est pas une mesure banale qu'il doit être encadré par la loi fondamentale. La déchéance de nationalité serait inutile car symbolique ? Si le sentiment d'appartenance à la Nation ne forge pas l'idée de communauté politique, alors il faut supprimer dans la Constitution toute référence à des valeurs et des symboles, comme le drapeau, l'hymne ou la devise ! La période troublée que nous vivons est l'occasion de rappeler certains principes.
Dangereux, l'état d'urgence l'est certainement moins que l'article 16 - qui suscite peu de manifestations... Une étude de droit comparé menée par le Sénat en 2006 a montré que les dispositions constitutionnelles relatives aux états d'exception sont fréquentes : le Portugal connaît état de siège et état d'urgence ; l'Allemagne a un dispositif similaire. Selon le comité Vedel, c'est pour des raisons de circonstance que la Constitution ne mentionne que l'état de siège à son article 36. Et le projet de loi constitutionnelle de 1993 indiquait : « En tant qu'il autorise précisément des atteintes sérieuses à des droits fondamentaux, l'état d'urgence relève du domaine que la Constitution a vocation à organiser. » Je vous renvoie à mon Traité international de droit constitutionnel... Le comité Balladur n'a fait, en 2007, que reprendre ces propositions. Quant aux avis du Conseil d'État, ils sont parfois changeants.
J'ai été le seul à soutenir publiquement l'extension de la déchéance de nationalité dans le Figaro, voici quelques années. Il y a deux versions du projet de loi constitutionnelle : si la première est claire, la seconde fait disparaître la question de la binationalité et dissimule celle de l'apatridie. On peut considérer, avec Vauvenargues, que « la dissimulation est un effort de la raison, bien loin d'être un vice de la nature ». Le Gouvernement s'est engagé à ratifier les conventions de l'ONU. La première version du texte est la plus logique : on ne peut créer d'apatrides. Quant à la déchéance de nationalité, elle est certes contraire à la Déclaration universelle des droits de l'homme, mais surtout à la dignité de la personne humaine...
La version initiale du texte n'était pas discriminatoire, puisqu'elle ne sanctionnait que les binationaux. La déchéance de nationalité n'est pas une mesure collective ; appliquée individuellement, elle fait partie de la tradition républicaine. Pour la Cour européenne des droits de l'homme, c'est une peine accessoire. Le Défenseur des droits a fait valoir que la citoyenneté ne peut être à géométrie variable - mais c'est ignorer qu'un binational a deux citoyennetés ! Enfin, le Conseil constitutionnel a estimé, dans sa décision n° 2015-439 QPC, que la déchéance de nationalité ne constituait pas une atteinte aux situations légalement acquises.
Le véritable sujet est la discrimination entre les binationaux nés français et ceux qui ont acquis la nationalité. La distinction, scandaleuse, remonte à la loi de 1927. Le projet de loi du Gouvernement rétablit l'égalité entre les Français de naissance et d'acquisition, consacrée par une décision du Conseil constitutionnel du 16 juillet 1996.
Inscrire les dispositions sur la déchéance de nationalité à l'article 34 changerait peu de chose. Je suis plus favorable à une inscription à l'article 1er, pour renforcer la dimension symbolique de la mesure. Voici une modeste suggestion de rédaction : « Les personnes nées françaises et celles ayant obtenu la qualité de Français par acquisition sont dans la même situation. Dès lors qu'elles n'ont pas d'autre nationalité, elles peuvent être déchues de leur nationalité en cas d'atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation. »
M. Beaud a mentionné trois états d'exception, dont deux figurent dans la Constitution, tout en définissant l'état d'exception comme une dérogation à la Constitution. Or si l'état d'urgence n'est pas dans la Constitution, il ne peut y déroger ! Pour preuve, la censure du Conseil constitutionnel du 19 février dernier. C'est le signe que la loi de 1955 fait l'objet d'un contrôle constitutionnel. Inscrire dans la Constitution des éléments dérogatoires à cette même Constitution n'est pas sans poser problème.
En nous opposant à la constitutionnalisation de l'état d'urgence, nous resterions avec deux états d'exception dans la Constitution, qui ne répondent pas aux mêmes besoins et n'ont pas les mêmes effets. L'état d'urgence est le plus adéquat en situation de menace. Il évolue en fonction du contrôle constitutionnel. S'opposer à son inscription dans la Constitution nous empêche de réfléchir à son encadrement. Une loi ordinaire - ou organique, pour permettre un contrôle préalable du Conseil constitutionnel - encadrerait les mesures de police administrative prévues, dans des limites constitutionnelles claires.
Seconde question, comment, en droit français, établir la binationalité sans soumettre notre droit à celui d'un autre pays ? Il y a des nationalités vécues et d'autres subies.
Monsieur Chagnollaud, le caractère répétitif d'une critique ne saurait être tenu pour une preuve de qualité de la mesure critiquée !
Si l'on a pu mettre en oeuvre l'état d'urgence à trois reprises déjà, à quoi bon le constitutionnaliser ? Sauf à vouloir éviter une censure possible du Conseil constitutionnel, ce qui est contradictoire avec l'argument selon lequel on préserve ainsi les libertés publiques.
La déchéance de nationalité est déjà possible ; le seul manque est la déchéance pour les Français non binationaux. Or, sauf erreur, la constitutionnalisation ne réglera pas ce problème puisque les traités internationaux l'emportent sur la Constitution. Là encore, on s'interroge sur l'utilité de la mesure.
L'inscription de l'état d'urgence dans la Constitution a-t-elle un effet sur la capacité du législateur à agir en matière de restriction des libertés publiques ? Pour ma part, je ne le pense pas.
Je suis contre l'état d'urgence et contre la déchéance de nationalité, mais je veux comprendre la société dans laquelle nous vivons.
L'article 1er du projet de loi constitutionnelle fait référence à l'ordre public, notion qui ne figure pas dans la Constitution mais dans la Déclaration des droits de l'homme. Le Conseil constitutionnel a élaboré une jurisprudence fournie pour concilier cette notion avec le nécessaire respect des libertés. Cet équilibre est-il garanti par l'article 1er, notamment après le refus des députés de prévoir le contrôle du juge administratif ? Ne faudrait-il pas faire explicitement référence aux libertés publiques pour être en conformité avec la jurisprudence du Conseil ?
La loi de 1955 a profondément divisé les radicaux entre mendésistes et fauristes, précipitant leur perte du pouvoir. Le débat qui agite aujourd'hui les socialistes est de même nature, et pourrait avoir les mêmes conséquences...
Le professeur Chagnollaud a suggéré que la révision de 1962 était une mesure de circonstance ; or chacun savait, à l'époque, où le Président de la République souhaitait aller, et les conditions de cette révision ne sont pas un bel exemple de respect des institutions. Pour l'avoir dit avec force à l'époque, le Sénat s'est trouvé placardisé pour quelques années...
Vous dites que la déchéance de nationalité est contraire à la Déclaration universelle des droits de l'homme et aux engagements internationaux de la France - mais cela ne semble pas vous troubler particulièrement.
Je suis en accord total avec l'exposé du professeur Beaud. M. Chagnollaud pourrait-il m'expliquer les moyens d'éviter une utilisation permanente de la notion de péril imminent ? Là est le vrai problème pour les libertés, car la mesure relative à la déchéance de la nationalité relève de la communication. Constitutionnaliser la notion de péril imminent, c'est faciliter son utilisation. Il sera difficile pour le pouvoir exécutif de ne pas y recourir, par précaution, à la demande des services de renseignement... C'est ainsi que l'on a vu des États commettre de graves erreurs, par exemple au Moyen-Orient.
Monsieur Beaud, vous êtes le premier universitaire à avoir pris aussi clairement position. Vous lire, vous entendre fait du bien !
A-t-on corrélé, dans une étude, la loi de 1955 et les textes ultérieurs relatifs à l'état d'exception, jusqu'à l'adoption de notre Constitution, avec les événements d'Algérie ? Un tel travail serait précieux, surtout au vu de la manière dont l'Afrique du Sud a géré des situations analogues.
Hier, le premier président de la Cour de cassation suggérait de préciser le concept de liberté individuelle à l'article 66. Qu'en pensez-vous ?
Je n'ai pas trouvé, dans vos interventions, d'éléments convaincants en faveur d'une révision constitutionnelle. Deux points font consensus : la nécessité de pouvoir recourir à l'état d'urgence et le fait que la déchéance de nationalité est une sanction. Jugez-vous impossible, dans l'état actuel du droit ou moyennant des modifications législatives mais sans modification constitutionnelle, de recourir à ces deux mesures en cas de nécessité ? Il n'y a aucune raison valable de prévenir une éventuelle censure du Conseil constitutionnel en révisant la Constitution.
Je vous remercie d'avoir montré, par vos positions divergentes, la grande liberté de notre université.
La loi de 1955 n'a pas été appliquée, puisque les radicaux ont perdu le pouvoir dès le lendemain du vote. Au retour de Guy Mollet d'Alger, c'est la loi sur les pouvoirs spéciaux qui a été mise en oeuvre... Sous la Vème République, la loi de 1955 a ensuite été appliquée en 1961, et deux ou trois décisions l'ont prorogée sur le fondement de l'article 16 de la Constitution. On voit combien les choses sont imbriquées.
Comme toujours, le problème n'est pas d'entrer dans le dispositif mais d'en sortir. Je vois la constitutionnalisation de l'état d'urgence non pas comme un symbole mais comme un signe : comment sortir de l'état d'urgence sans le prolonger de manière déguisée à travers le droit commun ? La loi de procédure pénale en discussion à l'Assemblée nationale nous apportera une première réponse.
L'article 34 dit tout et ne cite que la nationalité. Toute adjonction au terme - attribution, acquisition, perte, déchéance - dans la Constitution ne peut que réduire les droits du législateur ordinaire.
L'article 25 du code civil prévoit que l'individu ayant acquis la qualité de Français peut en être déchu par décret en cas de crime ou de délit grave commis moins de dix ans après cette acquisition - sauf si la déchéance « a pour résultat de le rendre apatride », ajout souhaité par Mme Guigou, alors garde des sceaux, en prévision d'une ratification par la France des conventions internationales relatives à l'apatridie. En réalité, les engagements internationaux de la France en la matière sont surtout moraux. Nous avons été à l'origine de certaines conventions, nous en avons signé d'autres, mais nous ne les avons pas toujours ratifiées, ou alors avec des réserves d'interprétation.
Comment voyez-vous la sortie de l'état d'urgence, avec cette menace diffuse et permanente ? Quelle place pour le législateur ordinaire ? Un contrôle de constitutionnalité est-il préférable à un contrôle de conventionalité - en cas de ratification par la France de la convention internationale contre l'apatridie ?
Cette révision constitutionnelle est l'arbre qui cache la forêt. Nous savons ce qu'est l'état d'urgence : l'extension des pouvoirs de police de l'exécutif. Le Gouvernement ajoute la déchéance de nationalité, peine accessoire qui devient de plein exercice. Derrière, la législation pénale en préparation durcit le régime pénal de façon permanente. La déchéance de nationalité n'est que la cerise sur le gâteau de cette évolution du droit pénal et administratif. Entre 1961 et 1963, l'état d'urgence est resté en vigueur pendant 25 mois ! Le Général de Gaulle a fait usage de l'article 16 pour le proroger et faire voter des lois dérogatoires au système pénal et administratif en vigueur - dont certaines sont demeurées dans le droit positif pendant des décennies ! L'enjeu majeur est, par conséquent, ce qui se profile derrière cette révision constitutionnelle, à savoir une évolution durable de notre droit pénal.
Je conviens avec Olivier Beaud qu'il vaut mieux ne pas introduire de turpitudes dans la Constitution ; mais en Allemagne, en 1933, on a réglé le problème en supprimant la Constitution, avec les conséquences que l'on sait ! En créant deux régimes - un régime constitutionnel et un régime non constitutionnel qui pourrait durer - on prend un risque aussi grave qu'en constitutionnalisant l'état d'urgence.
Que M. Mézard se rassure : je plaisantais en évoquant la révision de 1962 comme une révision de circonstance !
En matière d'engagements internationaux, la Déclaration universelle des droits de l'homme ne crée pas d'obligation particulière. Il sera toujours possible de créer des apatrides, compte tenu des dérogations prévues dans les conventions internationales. En 1955, il n'y avait pas de Conseil constitutionnel. Révision ou pas, toutes les mesures seront de toute façon soumises au contrôle du Conseil constitutionnel, soit par le contrôle a priori, soit par le contrôle a posteriori avec la question prioritaire de constitutionnalité. Je ne souscris pas aux discours dramatisants en vogue. La loi ordinaire serait plus protectrice que la Constitution ? Mieux valait préciser dans le projet de loi constitutionnelle les conditions d'ouverture de l'état d'urgence, plutôt que de se contenter d'une reprise paresseuse des termes de la loi de 1955.
Oui, il y a différents types de binationalité. C'est pourquoi il faut rétablir l'égalité de traitement entre les binationaux nés Français et ceux qui le sont par acquisition.
La déchéance de nationalité étant une peine, elle ne pose pas de difficulté vis-à-vis de la Cour européenne des droits de l'homme.
Enfin, si vous établissez un parallèle entre l'état d'urgence et la guerre d'Algérie, pourquoi, à ce compte-là, ne pas supprimer l'article 16 et les dispositions relatives à l'état de siège pour les réintégrer dans le droit ordinaire ?
L'article 16 comme l'état de siège sont pourtant plus dangereux que l'état d'urgence à l'égard des libertés.
La position du professeur Chagnollaud peut être contestée, mais elle est cohérente.
Présenter l'extension à tous de la déchéance de nationalité comme une question d'égalité, un acquis démocratique de gauche, est tout à fait ridicule ! C'est une sanction. L'article que je viens d'écrire avec Cécile Guérin-Bargues revient sur le rôle de la guerre d'Algérie dans l'instauration de l'état d'urgence, et les raisons pour lesquelles de Gaulle ne souhaitait pas inscrire l'état d'urgence dans la Constitution : il n'était intéressé que par l'article 16 et il était contre l'état de siège, par crainte des militaires.
J'ai évoqué, monsieur Leconte, les décisions de 1985, de 2015 puis de 2016 dans lesquelles le Conseil constitutionnel juge le Parlement compétent pour légiférer sur l'état d'urgence. Le 20 novembre 2015, il n'a censuré qu'une seule des dispositions dont il était saisi. Nulle contradiction, par conséquent, dans mes propos.
Le deuxième alinéa du nouvel article 36-1 de la Constitution indique que « la loi fixe les mesures de police administrative que les autorités civiles peuvent prendre pour prévenir ce péril ou faire face à ces événements ». Soit c'est redondant, puisque les mesures de police administrative sont de toute façon fixées par la loi, soit - et c'est mon interprétation, plus méfiante - il s'agit de lever les contraintes constitutionnelles liées aux saisies et à la retenue des personnes. On voit ainsi que la constitutionnalisation n'est pas innocente : loin d'encadrer les conditions de l'état d'urgence, elle permet d'aller plus loin dans la répression et aggrave les atteintes aux libertés.
Dans sa décision du 25 janvier 1985 relative à la Nouvelle-Calédonie, le Conseil constitutionnel a conféré à la notion d'ordre public une valeur constitutionnelle. Les juristes doivent depuis lors concilier les droits et libertés et l'ordre public. C'est le travail classique du Conseil d'État, désormais assumé par le Conseil constitutionnel ; à mon sens, ce dernier n'exerce pas un contrôle assez rigoureux en la matière, puisqu'il tolère des atteintes graves.
La constitutionnalisation de l'état d'urgence est un net recul. Ce n'est pas un hasard si le Gouvernement a rejeté les deux mesures protectrices des libertés proposées par les députés : une loi organique au lieu d'une loi ordinaire pour instaurer l'état d'urgence, et l'introduction à l'article 66 de garanties relatives à la compétence du juge judiciaire.
Loin de renforcer les libertés, l'état d'urgence marque la victoire de l'administration et de la police sur la justice, le triomphe de la raison d'État. Le constitutionnalisme est le vernis de l'inculture juridique française. Le Conseil d'État est la raison d'État en forme juridictionnelle. À vous, parlementaires, je demande de vous opposer aux légistes ; le seul juge compétent sur les libertés est le juge judiciaire. Ce qui se passe est gravissime et la plupart des parlementaires n'en ont pas encore saisi la portée. On n'a pas vu tel recul des libertés depuis la guerre d'Algérie ; or on ne peut comparer la situation actuelle avec celle qui prévalait alors.
J'ai proposé, voici deux semaines, un amendement pour mettre fin au contrôle des légistes et renforcer le rôle du juge judiciaire dans la protection des libertés.
La commission entend ensuite M. Patrick Weil, directeur de recherche au CNRS, rattaché au centre d'histoire sociale du XXème siècle de l'université Paris 1.
M. Patrick Weil, directeur de recherche au CNRS, rattaché au centre d'histoire sociale du XXème siècle de l'université Paris 1, a beaucoup travaillé sur la cohésion sociale dans notre société plurielle et notamment sur l'immigration. Il a participé à des commissions importantes comme la commission Stasi, à l'origine de la loi interdisant le port de signes religieux ostensibles à l'école de la République, avec le souci du respect des différences et de la cohésion sociale pour lutter contre des phénomènes subversifs s'opposant à nos traditions républicaines et au vivre ensemble.
Depuis 25 ans, j'ai travaillé sur l'histoire de la nationalité française depuis la Révolution française, puis sur la comparaison des politiques relatives à la déchéance de nationalité. Mon dernier ouvrage porte sur la déchéance aux États-Unis, qui a concerné 150 000 personnes au cours du XXème siècle. Je termine un long article sur la déchéance au Royaume-Uni.
En travaillant sur les archives françaises, allemandes et britanniques pour mon livre Qu'est-ce qu'un Français ?, j'ai retrouvé une loi prussienne de 1842, inspirée du droit français. Dans son traité de droit romain, le grand juriste prussien Friedrich Carl von Savigny estime que le seul domaine où l'on doit rechercher la convergence est celui du droit de la nationalité. Loin d'être une affaire intérieure, elle a immédiatement des conséquences extérieures. Quel impact notre révision constitutionnelle aurait-elle sur les droits étrangers ? Comment les pays étrangers y réagiraient-ils ? Autant les politiques d'immigration varient, autant notre droit de la nationalité est constant et inscrit dans la vraie Constitution de la France qu'est le code civil.
Nous avons deux dispositifs en matière de déchéance de nationalité.
Le premier date de la première guerre mondiale : en 1915, la France, seule puissance européenne avec le Royaume-Uni à ne pas se préoccuper de la double nationalité, voit certains de ses binationaux en guerre contre elle, principalement des anciens de la Légion étrangère - Allemands, Autrichiens, voire Turcs - naturalisés français, et qui, lors de l'appel aux armes, ont rejoint leur pays d'origine. La loi allemande Delbrück permettant aux binationaux de conserver leur nationalité allemande d'origine, la loi française du 7 avril 1915 a aboli un dixième des 758 naturalisations intervenues depuis 1913. En outre, elle autorise la déchéance de nationalité d'une personne ayant refusé de s'engager ou servant sous un drapeau étranger. Le Conseil d'État vise alors les demandes du Gouvernement et Camille Sée y est tellement rigoureux pour éviter l'apatridie que le Gouvernement demande au Parlement de transférer la compétence à la Cour de cassation, par la loi du 18 juin 1917, laquelle facilite aussi la déchéance d'une personne ayant conservé un lien particulier avec son pays d'origine - une propriété par exemple. Au 24 octobre 1924, lors de l'extinction de loi, 549 déchéances de nationalité ont été prononcées.
Par la suite, la grande loi de 1927 témoigne de la volonté des dirigeants politiques de naturaliser en masse pour combler les pertes démographiques françaises. Trois ans de séjour - contre dix précédemment - sont exigés pour être naturalisé. Ce passage d'un diagnostic à un pronostic sur l'assimilation nécessite une précaution supplémentaire : durant une période probatoire de dix ans suivant la naturalisation, la personne peut être déchue de sa nationalité française en cas de crime très grave. Entre 1927 et 1940, on compte 261 000 naturalisations d'adultes pour 16 déchéances en application de la loi de 1927, sur un total de 900 000 acquisitions de la nationalité française. Avec la menace de la guerre, Édouard Daladier revient, par un décret-loi de 1938, à un dispositif préparant aux hostilités, disposant qu'un Français se comportant de fait comme le national d'un pays étranger dont il possède la nationalité peut être déchu de sa nationalité française. Après la guerre, 523 Français vont en subir les conséquences : des collaborateurs nazis, des fascistes italiens, plus tard des communistes.
Lorsque le Président de la République a annoncé à Versailles, en novembre dernier, vouloir rendre possible la déchéance de nationalité pour un individu né Français, j'ai pensé qu'il reprenait le décret-loi de Daladier et que le Parlement l'adopterait à l'unanimité. À ma surprise, il vous engage sur un autre chemin. Selon l'exposé des motifs du projet de révision constitutionnelle, la perte de nationalité prévue par le décret-loi de 1938, réformant l'article 96 du code de la nationalité devenu article 23-7 du code civil, ne constituerait pas une sanction. Le professeur Niboyet, dans son Traité de droit international privé, inclut parmi les sanctions l'article 23-7 : la perte aurait dû, selon lui, être appelée déchéance. L'administration elle-même, dans ses tableaux, considère l'article 23-7 comme une sanction, de même que deux arrêts d'assemblée du Conseil d'État, à la suite des conclusions des commissaires du Gouvernement Marceau Long en 1958 et Fournier en 1966. D'où vient que l'exposé des motifs considère qu'il ne s'agit pas d'une sanction ?
Deuxième argument invoqué : une loi ordinaire pourrait être contraire à la garantie des droits prévue à l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Le Conseil d'État aurait-t-il agi dans la précipitation ? Jamais ! Je sais que le Sénat, lui, prend le temps d'aller au fond des choses.
Depuis longtemps existent différents types de double nationalité, et notamment depuis la réforme du code civil de 1973, sous l'effet de l'égalisation des droits entre hommes et femmes voulue par le doyen Foyer : désormais, un enfant né d'un couple binational possède les deux nationalités, sans devoir choisir.
Les tribunaux et notamment la Cour internationale de justice de La Haye, depuis l'arrêt Nottebohm, regardent la nationalité effective, le lien social. La commission de l'ONU sur les droits civils et politiques a estimé qu'un Suédois, arrivé à l'âge de 8 jours en Australie puis renvoyé dans son pays d'origine après des crimes atroces, avait un lien effectif avec l'Australie. Ce concept de nationalité effective est très important ; nous sommes une communauté d'États, la France n'est pas seule à garantir des droits ! L'article 16 de la Déclaration de 1789 concerne bien un droit de l'homme et non du citoyen : il n'y a aucune contradiction, à mon sens, entre l'article 23-7 et la garantie des droits. Pour certains binationaux, la nationalité française est secondaire. L'article 23-7 est donc conforme à la Constitution et peut être utilisé en cas d'actes de terrorisme. Ce n'est pas la voie choisie.
Le premier mécanisme proposé par le Gouvernement a blessé nos cinq millions de compatriotes ayant une double nationalité, qui n'ont rien de terroristes. Le Gouvernement a donc proposé une nouvelle mouture, adoptée par l'Assemblée nationale, mais l'inégalité perdure. Selon l'article 2, une personne peut être déchue de la nationalité française « lorsqu'elle est condamnée pour un crime ou un délit constituant une atteinte grave à la vie de la Nation ». Mais si la France ratifie, avec la réserve sur l'article 8-3, la convention de 1961 sur la réduction des cas d'apatridie, un Français pourra se retrouver apatride si son comportement porte « un préjudice grave aux intérêts essentiels de l'État », là où le délit d'atteinte grave à la vie de la Nation ne concerne qu'un binational. La France, patrie des droits de l'homme, créerait des apatrides, animaux humains non protégés par la convention de l'ONU ! En 1958, la Cour suprême américaine a invalidé la déchéance de nationalité dans son arrêt Trop : créer un apatride serait une « punition cruelle et inusuelle », contraire au VIIIème amendement de la Constitution américaine. Si nous votions ce dispositif, nous serions le seul État civilisé à créer des apatrides sans protection.
Troisième point : la possibilité de déchoir pour un délit d'atteinte grave à la vie de la Nation. Le délit d'offense au Président de la République pourrait être rétabli et qualifié d'atteinte grave à la vie de la Nation. On ouvrirait ainsi la voie à des dispositions législatives liberticides, alors que le Conseil d'État en demandait la suppression dans son avis.
Si le nouveau dispositif s'applique, un binational français se sentant peu étranger et déchu de sa nationalité française se tournerait vers les tribunaux internationaux pour établir sa nationalité effective française. Si le pays d'origine modifie aussi sa loi dans le même sens que nous, le binational perdrait sa nationalité d'origine avant d'avoir épuisé toutes les voies de recours ! Nous créerions des bannis de l'intérieur, qui resteraient dans nos prisons, sans lien juridique avec aucun État.
La suppression de l'esclavage est le seul droit effectif de la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948. Comme le dit Hannah Arendt, on n'est pas sujet de droit sans nationalité. La France, patrie des droits de l'homme, créerait des apatrides sans protection et étendrait la déchéance de nationalité aux délits ? Songez-y avant d'inscrire cette révision dans le marbre de l'Histoire...
Merci. Les deux branches de la révision constitutionnelle sont très différentes. Nous pouvons espérer un texte sur l'état d'urgence qui empêche un futur législateur de restreindre plus avant les libertés. Pour la déchéance de nationalité, en revanche, on inscrit dans la Constitution, à titre préventif, la possibilité de restreindre des droits qui se rattachent à l'identité profonde de la personne et à son statut dans la société. L'étendre aux délits conduit à réduire les garanties individuelles, soyons-y particulièrement attentifs.
Les députés ont-ils bien mesuré l'extension considérable de la faculté offerte au législateur qu'ils ont apportée en matière de déchéance ? Ce texte est bien plus restrictif sur les droits fondamentaux que les intentions du Président de la République traduites dans le texte du Conseil des ministres.
Je rends hommage à la rigueur avec laquelle M. Weil a exposé la généalogie des dispositions de privation de nationalité, ainsi qu'à la fougue avec laquelle il a plaidé contre l'extension de la déchéance de nationalité aux personnes n'ayant que la nationalité française. Vous avez justement évoqué l'émotion - parfois stimulée par certaines autorités morales - de binationaux qui n'ont aucune raison de se sentir concernés, la mesure s'appliquant aux personnes définitivement condamnées pour acte de terrorisme. Selon le vice-président du Conseil d'État que nous avons entendu hier, une annulation serait possible en cas de recours à une loi ordinaire, au regard de la Convention européenne des droits de l'homme et du Conseil constitutionnel qui arguerait d'un principe fondamental reconnu par les lois de la République s'opposant au retrait de la nationalité à des Français de naissance. Que pensez-vous de ce raisonnement de sécurité juridique ?
L'option retenue par une vaste majorité de l'Assemblée nationale, pluri-partisane, créerait des cas individuels d'apatridie pour un Français n'ayant pas d'autre nationalité, à la suite d'une sanction entourée de toutes les garanties de la procédure pénale d'un pays démocratique. Ce choix, difficile, sera très contesté.
Ou bien tout ceci n'est qu'un moyen pour un pouvoir aux abois d'amuser la galerie...
ou bien le sujet est réel : une nation démocratique garde le droit de faire sortir de sa communauté nationale quelqu'un qui lui porte une atteinte de gravité exceptionnelle. Existe-t-il un droit supranational pouvant priver une nation démocratique de cette faculté de choix ? Ce ne serait pas légitime. Les instruments internationaux actuels pouvant être invoqués n'ont pas cette conséquence. D'après l'article 15 de la Déclaration universelle des droits de l'homme, « tout individu a droit à une nationalité » et « nul ne peut être arbitrairement privé de sa nationalité », deux mentions indissociables. Mais cette disposition n'a été incorporée dans aucun droit national : c'est une simple proclamation. La convention de l'ONU de 1961 prévoit explicitement le droit pour les États-parties de prononcer la déchéance d'une seule nationalité en cas de sanction pénale pour des atteintes graves à la Nation. Reste la convention du Conseil de l'Europe de 1997 sur la nationalité, qui ne laisse aucune porte de sortie, mais que nous n'avons pas ratifiée.
Vous faites appel à notre honneur de législateur ; regardons les deux plateaux de la balance. Consentons-nous à ce que notre Nation, attaquée au plus extrême, puisse déchoir un criminel de sa nationalité ? Cela fait partie de la tradition révolutionnaire ; c'est un élément fondamental de notre pacte républicain. Sans doute, des obstacles juridiques entraîneront des contestations ; mais il n'est pas exact de qualifier un apatride d'« animal humain ».
Même non protégé par la convention de l'ONU?
Des conventions internationales garantissent une protection. Notre droit national pourrait en prévoir une pour les apatrides séjournant sur le sol français. Si la sanction de privation conduit, par exemple, à expulser vers un territoire appliquant la peine de mort, des recours sont possibles. Cela fait partie des attributs premiers de l'existence d'une nation. Les nations, seules à être liées par l'engagement des Nations unies, doivent pouvoir légiférer sur qui a le droit de séjourner sur leur territoire. Une école de pensée, en partie inconséquente, prône la suppression de toute limitation juridique aux déplacements des individus, indépendamment des conséquences pour le reste de la société. Priver quelqu'un de sa nationalité donne des prérogatives à l'État, sans conséquences automatiques. Nuançons.
Comment articulez-vous la conception de la Nation comme « plébiscite de tous les jours » et la notion de nationalité effective ? Quel pourrait être l'impact international du nouveau dispositif, si d'autres États font de même ?
La méthode utilisée et l'introduction des délits fragilisent le lien entre la Nation et les citoyens binationaux, qui représentent presque 10 % des ressortissants français.
Merci de vos propos sur les conséquences internationales, sur les législations étrangères, sur les conséquences de l'apatridie. Quid de la lutte antiterroriste ? Si notre pays engendre des criminels, notre premier devoir est de protéger le monde de ces individus, en responsabilité, et non de les éloigner comme un État failli.
Merci à M. Weil de ses explications. Les règles relatives à la déchéance de nationalité existent depuis toujours dans notre droit, mais doivent-elles être constitutionnalisées ? Toute décision sur la nationalité a un impact international, dites-vous. Mais c'est d'abord la façon dont un État exprime sa souveraineté, en reconnaissant et protégeant ses nationaux partout. En cas de déloyauté, il rompt le lien de protection. Il faudrait cesser de distinguer la perte et la déchéance : un seul régime suffit ; je vous renvoie aux conclusions de M. Combarnous. Je n'imagine pas un État se priver de la déchéance de nationalité, ce ne serait plus un État. Selon le droit international, on ne peut créer un apatride. Mais la France n'a ratifié aucune convention internationale, même si elle en a suscité ! Nous avons d'abord des obligations en droit interne. Doit-on constitutionnaliser ? Le troisième alinéa de l'article 34, dans la version issue de l'Assemblée, est l'exemple même de l'excès d'habileté : on met tous les problèmes sous le tapis, quitte à les régler plus tard... ou pas !
Je ne voterai pas le texte de l'Assemblée. Peut-on constitutionnaliser le dispositif sans créer les problèmes que vous soulevez ? Je le crois.
Que pensez-vous de l'analyse du président Badinter, qui juge inutile l'inscription dans la Constitution ? C'est un problème de principe. Notre pays s'est honoré en supprimant la peine de mort, or là, on créerait une mort civile !
Nous avons des accointances avec l'Arabie saoudite, ne nous en glorifions pas. Est-il opportun, pour l'image de la France, d'appliquer le pansement de cette déchéance de nationalité pour atténuer les souffrances d'une opinion publique meurtrie ? Non, cela aurait des impacts internationaux gênants, notamment en Afrique du nord. Je ne voterai aucun texte, ni celui du Gouvernement, ni celui de l'Assemblée nationale.
La conception de la Nation comme plébiscite est issue d'un discours d'Ernest Renan lors de l'annexion de l'Alsace-Moselle : il estime que les habitants auraient dû être consultés sur le rattachement à l'Allemagne. La Nation est un plébiscite au sens où elle est un choix collectif, et non individuel. On peut être Français juridiquement sans se sentir Français et inversement. Ne touchons qu'avec prudence à la notion de nationalité et de citoyenneté, plus importante en République - car c'est ce qui nous lie - qu'en monarchie.
Le gouvernement fédéral américain a requis et obtenu la peine de mort contre le poseur de bombes de Boston, naturalisé un an avant le 11 septembre 2001, et non la déchéance de nationalité, afin de conserver la dignité du sujet de droit. C'est comme cela que se tient une nation civilisée.
C'est celle des Américains, de notre République soeur, vérifiée dans les archives.
La constitutionnalisation de la déchéance serait paradoxale. L'Assemblée nationale élargit la déchéance aux délits - mais jusqu'où iraient les lois d'application ? Cela limite aussi le pouvoir de déchéance des parlementaires. L'article 23-8 du code civil ne serait sans doute plus constitutionnel ! Par exemple, une femme devenue française par mariage a tué son mari le lendemain de l'obtention de la nationalité : ce n'est pas un crime ou un délit contre la Nation, mais elle a été déchue de sa nationalité en application de l'article 25. En constitutionnalisant, on élargit le champ d'un côté, tandis que de l'autre, on le limite !
Le lien à la nationalité évolue dans le temps et avec la mondialisation. Comme le montrait Savigny, tous les États prennent d'immenses précautions. C'est pour cela que notre droit a peu changé : cela déborde rapidement sur les statuts d'autres citoyens ou États. Attendez-vous à des recours devant les cours internationales...
J'ai retrouvé une étude du Conseil d'État sur la perte de nationalité, qui qualifie la perte de nationalité prévue par l'article 23-7 de sanction.
Selon le vice-président du Conseil d'État, une loi ordinaire serait susceptible d'être jugée inconstitutionnelle car le Conseil constitutionnel pourrait constater l'existence d'un principe fondamental reconnu par les lois de la République. Aucune loi depuis 1915 n'a introduit la déchéance pour des personnes nées en France.
C'est faux. La loi de 1927 cite l'ensemble des motifs de perte ou de déchéance et elle a abouti à 523 décisions.
Ces dispositions s'appliquaient aux personnes ayant acquis la nationalité.
Non ! L'article 23-7 du code civil s'applique à tout Français, qu'il soit ou non né Français. Je peux vous transmettre mes dossiers issus des archives du Conseil d'État. Depuis le décret-loi de 1938, inscrit dans le code de la nationalité, repris dans le code civil, soumis à l'aval du Conseil constitutionnel - par le biais de la loi Mazeaud de 1993 incluant les conclusions de la commission Marceau Long. Le Conseil constitutionnel a validé l'intégralité du dispositif et considéré - sous la présidence de Robert Badinter - que le droit du sol n'était pas un principe fondamental reconnu par les lois de la République. Comment imaginer que le Conseil constitutionnel puisse en juger autrement, devant un Français condamné pour terrorisme, eu égard aux déchéances de nationalité intervenues depuis 1938 ? Je ne comprends pas le raisonnement d'une partie du Conseil d'État.
Lorsque j'ai soumis un rapport au Gouvernement en 1997, M. Sauvé avait estimé que le Conseil constitutionnel ne l'accepterait pas. Il s'est trompé : le droit est matière à interprétation !
Si d'autres États adoptent des dispositifs similaires au nôtre, dans leur Constitution ou sur le modèle de l'article 23-7, un binational français pourrait être déchu de sa nationalité étrangère avant même l'épuisement de tous les recours en France ! Dès lors, il ne serait que Français.
Le dispositif actuel n'aura pas la moindre efficacité dans la lutte contre le terrorisme. L'article 23-7, combiné avec l'article 23-8, a une utilité : éviter le retour en France de binationaux dangereux qui se trouvent hors du territoire. On élargirait inconsidérément aux délits, mais l'on se priverait de cette faculté !
La constitutionnalisation de la déchéance serait un moyen efficace de limiter les pouvoirs du Parlement !
C'est vous qui le dites...
J'ai beaucoup parlé avec Robert Badinter qui, même s'il n'a pas signé mon appel comme M. Mazeaud ou Mme Schnapper, partage notre position. Il a d'ailleurs écrit un article en ce sens. La constitutionnalisation n'a pas été annoncée par le Président de la République au Congrès. On n'inscrit pas dans la Constitution des précautions n'ayant pas lieu d'être. Tous les membres du Conseil d'État ne peuvent avoir une connaissance historique de chaque disposition ; je peux vous l'apporter. Le rôle du Sénat est de remettre le dispositif sur les rails.
Le Président de la République, à Versailles, a dit vouloir, d'une part, constitutionnaliser l'état d'urgence et, d'autre part, réfléchir à l'extension de la déchéance de nationalité.
Je croyais que M. Sueur appartenait à une majorité gouvernementale qui soutient le projet de révision constitutionnelle. Si le Président de la République ne souhaite pas cette révision, allons déjeuner !
La déclaration de Versailles est très précise. Sous la présidence du Président de la République, le Conseil des ministres a décidé de cette réforme constitutionnelle. Je vous confirme que je soutiens le Gouvernement, même si j'estime que les parlementaires doivent avoir, sur certains points, une liberté d'appréciation.
L'article 2 est une précaution que propose le Gouvernement pour tenir compte des observations du Conseil d'État. En cas d'adoption, il limiterait les possibilités de déchéance tout en l'élargissant à des délits...
et aux Français non binationaux.
Le débat parlementaire doit transcender les clivages politiques. On aborde cette question sans s'interroger sur la signification de la nationalité. Il est dommage d'aborder ce sujet dans des conditions un peu difficiles.
Merci d'avoir stimulé notre réflexion par votre exposé, révélateur de la qualité et de la profondeur de vos recherches.
La réunion est levée à 12 h 40