Alors que nous sommes aux prémices de l'examen du projet de loi de finances pour 2019, un chiffre et une comparaison pourraient introduire nos débats : selon l'étude « Panorama national des générosités » parue en avril dernier, le volume total de la générosité des Français, particuliers et entreprises, s'élèverait à 7,5 milliards d'euros ; ce montant équivaut à plus de 80 % du budget annuel de la mission « Justice ».
Dans la mesure où une grande partie de ce montant ouvre droit à une déduction d'impôt, la générosité est sensible à toute réforme fiscale. Le remplacement de l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF) par l'impôt sur la fortune immobilière (IFI) ainsi que la mise en oeuvre du prélèvement à la source de l'impôt sur le revenu ont et auront des incidences sur le comportement des donateurs alors que l'on a pu, ces dernières années, observer une croissance des dons. Nous avons entendu, la semaine dernière encore, par voie de presse, les inquiétudes des associations sur la perduration de ces pratiques.
D'autre part, une réforme de la réduction fiscale ouverte aux entreprises au titre du mécénat serait, semble-t-il, étudiée par le Gouvernement.
Parallèlement, l'érosion du paiement en espèces, l'apparition de nouveaux modes de paiement, l'essor du financement participatif et d'autres évolutions dont nous sommes familiers à la commission des finances, renouvellent les schémas traditionnels de la générosité.
C'est pour débattre de l'état et des perspectives de ces comportements généreux en France que nous accueillons Christophe Pourreau, directeur de la législation fiscale ; Édouard Marcus, chef du service juridique de la fiscalité à la direction générale des finances publiques ; Jean-Benoît Dujol, directeur de la jeunesse, de l'éducation populaire et de la vie associative ; Daniel Bruneau, auteur de l'étude « Panorama national des générosités » ; Sylvaine Parriaux, déléguée générale de l'Association pour le développement du mécénat industriel et commercial (Admical) ainsi qu'Olivier Cueille, directeur général de l'entreprise MicroDON..
Je me tourne d'abord vers Christophe Pourreau : pouvez-vous nous présenter les principales dépenses fiscales au titre des dons, ainsi que les conséquences possibles des réformes fiscales conduites sur ces dispositifs ?
Le système fiscal concourt à la générosité en France puisque les sommes versées donnent lieu à des réductions d'impôts. Les trois principales dépenses fiscales en matière de générosité sont la réduction de l'impôt sur le revenu à hauteur de 66 % ou 75 % du montant du don, dans la limite de 20 % du revenu du foyer ; la réduction au titre de l'impôt sur la fortune immobilière, qui a succédé à l'impôt de solidarité sur la fortune, à hauteur de 75 % du don dans la limite de 50 000 euros ; ainsi que la réduction de l'impôt sur les sociétés, à hauteur de 60 % dans la limite de 0,5 % du chiffre d'affaires de l'entreprise. Au total, le montant de ces dépenses fiscales est très élevé, puisqu'il s'élève à 1,5 milliard d'euros pour la réduction au titre de l'impôt sur le revenu, à 900 millions d'euros pour le mécénat des entreprises et entre 75 millions et 80 millions d'euros au titre de l'impôt sur la fortune immobilière - à rapporter aux 200 millions d'euros de réduction de l'ISF.
D'autres dispositifs fiscaux plus ciblés existent également. On constate donc l'importance du soutien public aux dons, les taux de réduction en faveur de la générosité étant les plus élevés du système fiscal. En outre, la France offre des taux et des plafonds de réduction plus hauts que les autres pays. Le rapport que la Cour des comptes prépare sur le mécénat le soulignera sans doute.
Le système est bouleversé par les réformes fiscales en cours, en particulier la suppression de l'ISF et son remplacement par l'IFI et la mise en oeuvre du prélèvement à la source. Le Gouvernement souhaite maintenir, le plus possible, le cadre existant. Ainsi, la réduction de l'IFI au titre des dons a repris les caractéristiques de celle de l'ISF, contrairement à d'autres possibilités que l'ISF offrait telles que la réduction d'impôt pour investissement dans le capital d'une petite et moyenne entreprise (PME), qui a été supprimée.
À la demande des associations, le législateur a maintenu le calendrier d'éligibilité à la réduction d'impôt, en décalage par rapport à l'année civile, qui est l'année de référence, ce qui préserve les deux campagnes principales, pour l'IFI et pour l'impôt sur le revenu. Le statu quo a été maintenu le plus possible dans un contexte où le nombre de redevables de l'IFI est moindre que celui de l'ISF, tout comme le montant d'impôt.
En matière d'impôt sur le revenu, le souci, lors du passage au prélèvement à la source, a été de ne pas bouleverser l'ordre établi. Grâce au crédit d'impôt de modernisation du recouvrement au titre des revenus de 2018, l'intérêt fiscal de nos concitoyens à faire des dons en 2018 a été pleinement maintenu. Les personnes qui donnent aux oeuvres en 2018 auront le bénéfice de la réduction d'impôt alors même que l'impôt sur les revenus de cette année-là sera complètement effacé pour la majorité d'entre eux. La seule question qui demeurait était celle de l'articulation entre le prélèvement à la source et le bénéfice des réductions et crédits d'impôt. Elle a fait l'objet d'une évolution ces dernières semaines. Le Gouvernement voulait initialement reporter ces bénéfices à l'année N+1, après le dépôt de la déclaration d'impôts, pour plus de précision. Le monde associatif plaidait pour le maintien de la restitution ex post, afin de mieux sensibiliser les Français à l'intérêt fiscal des dons, mais cela engendrait un décalage de trésorerie. Le choix a finalement été de prévoir une avance de trésorerie comme pour les crédits d'impôt pour services à la personne. Le projet de loi de finances pour 2019 prévoit une avance égale à 60 % de la réduction d'impôt accordée l'année précédente, afin de supprimer tout décalage de trésorerie. Cette avance devra être remboursée si les dons prévus n'ont pas été effectués, sachant que le taux de récurrence du bénéfice de la réduction d'impôt pour dons aux oeuvres est supérieur à 60 %. La majorité des foyers fiscaux ne seront donc pas concernés par une demande de restitution.
Je le répète en conclusion : la préoccupation du Gouvernement a été de maintenir, le plus possible, les dispositifs actuels afin d'éviter toute rupture dans l'incitation au don.
L'administration fiscale a une action de soutien et d'accompagnement des acteurs de la générosité publique sous la forme de rescrits de mécénat. Des correspondants dans les services fiscaux offrent une sécurisation du régime fiscal applicable, lorsqu'une association ou un organisme a l'intention de lancer un projet de mécénat, par l'émission de reçus fiscaux. Ces dispositifs ont du succès. Sur 9 000 rescrits généraux demandés à l'administration fiscale en 2016, un tiers concernait le mécénat, en augmentation de 4 % entre 2015 et 2016. Nos services s'attachent à être réactifs ; notre délai moyen de réponse est de 90 jours sachant que la loi prévoit qu'en l'absence de réponse dans les six mois, l'entité peut émettre des reçus fiscaux qui ne pourront pas être remis en cause rétroactivement.
J'insiste sur cette offre de service et sur l'intérêt pour les opérateurs du secteur de s'adresser à nous le plus en amont possible des projets afin que nous puissions leur expliquer exactement quelles sont les règles applicables.
Je donne la parole à Jean-Benoît Dujol afin qu'il précise le cadre de notre débat : de quels organismes sans but lucratif parlons-nous et quelles sont les principales incitations à la générosité ?
Les Français sont généreux : 7,5 milliards d'euros, c'est une somme considérable - et plus que ce que nous pensions. En outre, tous les dons ne donnent pas lieu à une déduction fiscale : 40 % ne sont pas déductibles.
Quelle est la dynamique ? L'an dernier, une étude de Recherches & Solidarités montrait des indices inquiétants avec une érosion de 4,2 % du nombre de foyers fiscaux déclarant un don au titre des oeuvres pour leur impôt sur le revenu et pour la première fois des montants globaux en stagnation, autour de 2,5 milliards d'euros. Ces chiffres ne doivent pas masquer une dynamique de moyen et de long terme très favorable, avec une hausse de 70 % du volume de dons déductibles de l'impôt sur le revenu entre 2006 et 2015, les montants moyens déclarés ayant progressé de 44 %. Le nombre d'entreprises mécènes a doublé, passant de moins de 30 000 en 2010 à plus de 60 000 en 2015 - ce chiffre continue de croître.
Soulignons aussi la diversification des modalités de dons : SMS, financement participatif, générosité embarquée, comme l'arrondi sur salaire ou l'arrondi en caisse.
Ces dépenses fiscales sont en forte croissance. Elles sont rattachées au programme budgétaire 163 « Vie associative » dont j'ai la charge. Le montant de la générosité a été comparé avec la mission « Justice » : c'est encore plus frappant avec le montant de la mission « Sport, jeunesse et vie associative », d'environ 1 milliard d'euros, contre 2,8 milliards d'euros de dépenses fiscales qui lui sont rattachées. Celles-ci sont plus généreuses que dans beaucoup d'autres pays qui ont aussi des mécanismes d'incitation au don, qui sont plutôt des déductions à la base imposable et non des réductions d'impôt.
Ces dépenses fiscales sont-elles efficaces ? On peut constater une progression parallèle de la dépense fiscale et de la collecte. Une étude de 2009 met en avant une élasticité significative du don à la réduction fiscale. Lorsque l'on réduit le coût du don, il y a bien une progression mécanique.
Néanmoins l'ingrédient essentiel est la confiance entre donateur et récipiendaire. Cette confiance est fragile. C'est un bien collectif. Les errements de quelques-uns peuvent affecter les autres. C'est ce qui a justifié la loi du 7 août 1991 sur les organismes faisant appel à la générosité publique, qui a créé le compte d'emploi des ressources qui montre l'usage du don et fait l'objet d'une publication systématique depuis le début des années 2000. Après les scandales, il a fallu soutenir la confiance. Ce dispositif, essentiel, est à rapprocher des mécanismes mis en place par les associations elles-mêmes, tels que le label « don en confiance ».
Les principaux bénéficiaires du programme 163 sont les organismes dits d'intérêt général, sans but lucratif, qui ont une gestion désintéressée et ne fonctionnent pas au profit d'un cercle restreint de personnes. Nous avons en revanche peu d'informations sur les bénéficiaires individuels des dons. On constate une relative concentration des dons issus de la réduction d'impôt sur le revenu, puisque 1,6 milliard d'euros va à 60 associations. Les six premières recueillent plus de 50 millions d'euros de collecte.
Les générosités privées sont des éléments essentiels du fonctionnement des associations. C'est pourquoi il est très important de renforcer la confiance pour soutenir leur développement pérenne.
Daniel Bruneau va nous présenter les principaux résultats de l'enquête qu'il a conduite l'an dernier, abordant l'ensemble des dons, y compris ceux ne donnant pas lieu à déduction fiscale. Il nous éclairera sur l'importance du don pour les ressources des associations.
Notre travail, mené sous les auspices de la Fondation de France, porte sur des données de 2015. Nous avons tenté de mesurer le déduit, connu par le ministère des finances, et le non déduit, dont un morceau colossal, les legs, représente un milliard d'euros, qui est mal connu.
Nous avons mis en évidence le chiffre de 7,5 milliards d'euros de dons, qui est un minimum. La générosité a des formes extrêmement variées ; elle peut s'exercer via des associations très locales. Pour moi, il est certain que le chiffre réel est bien supérieur.
Quelque 60 % des dons donnent lieu à des réductions d'impôts. Le reste, soit 40 %, est plus difficile à évaluer, faute de sources. La part des particuliers est d'environ 60 % et celle des entreprises d'environ 40 %. Là encore, je pense que le premier chiffre est sous-estimé.
En 2015, environ 2,6 milliards d'euros de dons de particuliers ont été déduits de l'impôt sur le revenu, 246 millions d'euros de l'ISF et 1,6 milliard d'euros de l'impôt sur les sociétés. Pour ce qui est du non déduit, les legs représentent un milliard d'euros et les quêtes dans les lieux cultuels ou sur la voie publique environ 330 millions d'euros. Ce montant est certainement très inférieur à la réalité.
L'évolution de la générosité est extrêmement positive. C'est grâce à elle que les associations peuvent accomplir leurs missions sociales, surtout lorsqu'elles connaissent des difficultés de financement par ailleurs. Toutefois, il est réducteur de penser que la générosité publique se limite aux associations, voire aux fondations. Nous avons ainsi tenté de mesurer les sommes versées aux acteurs publics et les avons estimées à plus de 200 millions d'euros, avec une progression importante des dons et legs aux collectivités territoriales et à l'État, ces dix dernières années. Pour ce qui est des dons déduits des impôts, une centaine de millions d'euros, voire plus, vont aux partis politiques et aux campagnes électorales. Il est également possible de déduire des dons à des organismes étrangers, en théorie agréés par l'administration fiscale. Ce phénomène est en forte augmentation. Ainsi, une quarantaine de millions d'euros sont versés à des organismes européens.
En pensant amoindrir le coût des réductions fiscales, l'État peut lui-même s'amputer de dons allant vers les grands établissements culturels et l'enseignement supérieur notamment.
Sylvaine Parriaux, déléguée générale de l'Association pour le développement du mécénat industriel et commercial (Admical), pouvez-vous nous présenter le rôle spécifique des entreprises en matière de mécénat ? Quel a été l'essor de ces flux au cours des dernières années ?
Notre association, créée en 1979 et reconnue d'utilité publique, a pour mission majeure de développer et de professionnaliser le mécénat d'entreprise en France. Nous donnons à la fois l'envie et les moyens aux entrepreneurs et aux entreprises d'affirmer leur rôle sociétal.
En 2011, Admical a défini le mécénat dans la charte du mécénat d'entreprise - avec d'autres mots que celui du code général des impôts - comme un engagement libre de l'entreprise qui peut prendre la forme d'un don financier, en nature ou en compétences ; son objectif est de répondre avant toute chose à une cause d'intérêt général, sans recherche d'impact sur les activités marchandes de l'entreprise. C'est différent d'une politique de responsabilité sociétale des entreprises (RSE), du parrainage ou de l'investissement. Le mécénat, qui se professionnalise, est encadré par cette définition.
Nous organisons notamment un tour de France des mécènes, au cours desquelles plus de 1 200 personnes ont été sensibilisées. Nous formons les entreprises et les associations. Plus de 400 organisations ont signé notre charte, qui les engage.
Les Français ont des attentes vis-à-vis du mécénat et des pouvoirs publics. Six Français sur dix pensent que le mécénat est un mode de soutien important et qu'il va le devenir encore plus dans les années à venir. De façon générale, les Français accordent une forte légitimité aux entreprises mécènes et ce, quelle que soit leur taille. Je précise que 97 % des entreprises mécènes sont des TPE-PME et 3 % des entreprises de plus de 250 salariés - ces dernières représentant néanmoins 60 % du montant total. Environ 46 % des Français estiment que c'est le rôle des pouvoirs publics que d'encourager le développement du mécénat et plus particulièrement du mécénat territorial.
Le territoire est le principal périmètre d'intervention du mécénat, 80 % des actions sont territoriales. Le mécénat est de plus en plus ancré dans les territoires et de plus en plus porté collectivement, par les collaborateurs mais aussi les consommateurs. La part du mécénat de compétences a triplé, passant de 4 % à 12 % ces dernières années, ces chiffres étant sans doute en-deçà de la réalité.
Les domaines principaux d'intervention sont le social, la culture et le patrimoine et enfin la santé. Si le mécénat culturel est à l'origine du mécénat, il a été touché par la crise de 2008 et a subi un ralentissement avant d'augmenter ces dernières années.
Aujourd'hui, il est nécessaire de sécuriser et de développer le cadre fiscal existant. Les dispositions en vigueur prévoient une réduction d'impôt de 60 % du montant du don dans la limite de 0,5 % du chiffre d'affaires de l'entreprise, cette dernière pouvant aussi bénéficier de contreparties correspondant à 25 % maximum du montant du don, selon un principe de disproportion marquée entre le don et les contreparties.
Environ 50 % des entreprises seulement utilisent la réduction d'impôt. Néanmoins, c'est un élément important de motivation, même si ce n'est pas le moteur du don - pour l'entrepreneur, le plus important est d'agir sur son territoire.
À court terme, le mécénat constitue une dépense fiscale mais à moyen ou long terme, il y a un retour sur investissement pour l'État et la collectivité. À ce titre, je voudrais vous donner l'exemple de l'association « Sport dans la ville », qui vise l'insertion sociale et professionnelle des jeunes et n'existerait pas sans le mécénat d'entreprise. Pas moins de 51 % des jeunes qui ont participé à son programme « Job dans la ville » ont trouvé un CDI contre 44 % pour la moyenne nationale. Autre exemple, l'association « Singa », qui gère un programme d'accueil de réfugiés chez les particuliers et qui n'existerait pas non plus sans le mécénat d'entreprise, fait économiser aux pouvoirs publics 8,80 euros par jour et par personne.
Daniel Bruneau a évoqué la diversité des acteurs. De plus en plus de collectivités territoriales font appel au mécénat. Nous constatons une vraie demande, ainsi qu'au sein des universités, du monde de la recherche et du secteur associatif.
Qu'en est-il, monsieur Olivier Cueille, des innovations en matière de générosité embarquée et les nouveaux services ?
Il y a neuf ans, Pierre-Emmanuel Grange et moi avons créé MicroDON, une entreprise solidaire d'utilité sociale consacrée à faire émerger en France un programme de générosité nommé « l'arrondi solidaire ». Celui-ci donne le choix aux Français, lors du règlement de leurs achats, d'en arrondir le montant à l'euro suivant. Ainsi, un client d'une enseigne partenaire qui arrive en caisse avec 25,95 euros d'achats peut décider volontairement de payer 26 euros ; les 5 centimes supplémentaires seront remis intégralement à l'association partenaire du magasin. Chaque mois, dans les vingt enseignes de distribution partenaires, qui représentent 3 000 magasins, ce sont près d'un million de micro-dons réalisés par les Français et Françaises pour plus de 200 000 euros distribués chaque mois à une vingtaine d'associations et de fondations. Près de la moitié des clients sont d'accord pour faire l'arrondi et la demande de reçus fiscaux est quasi nulle : ce sont donc des dons globalement non déduits.
Le don en caisse a un grand succès au Royaume-Uni, aux États-Unis, en Allemagne. Il est encore embryonnaire en France mais en deux ou trois ans, il est possible de changer la donne.
Je vous propose une piste très concrète : la disparition des pièces d'un et deux centimes, qui entraînent au quotidien des coûts de gestion importants. En caisse, on pourrait choisir d'arrondir une fois à l'avantage du vendeur, une fois à celle de l'acheteur, ou arrondir au profit d'associations. Les centimes, non, l'arrondi, oui !
L'arrondi solidaire existe aussi pour les bulletins de salaires : les salariés volontaires peuvent abandonner quelques centimes à quelques euros sur le net à payer de leur bulletin de salaire au profit d'associations. Environ 350 entreprises sont engagées, représentant 120 000 salariés dont 20 000, soit 15 % à 25 % par entreprise, ont accepté cet arrondi et y ajoutent trois euros en moyenne. Deux à trois entreprises nous rejoignent chaque mois mais il est à prévoir que le prélèvement à la source provoquera un ralentissement temporaire. Nous pourrions aller plus vite. Quid des salariés de la fonction publique ? Si seulement 10 % d'entre eux étaient volontaires, on récolterait près de 25 millions d'euros de plus pour les associations. Celles-ci peuvent être sélectionnées à l'échelle du territoire, ce qui est important pour celles qui n'ont pas les moyens de communication et de collecte des grandes organisations nationales.
Cette belle idée, importée du Mexique il y a neuf ans, a entraîné la collecte de plus de 8 millions d'euros au profit de plusieurs centaines d'associations auxquelles la totalité des dons ont été reversés.
Cette table ronde est d'actualité. D'éventuels amendements au projet de loi de finances pourraient faire suite au rapport attendu de la Cour des comptes à l'Assemblée nationale en application de l'article 58-2 de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF).
Le passage de l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF) à l'impôt sur la fortune immobilière (IFI) a entraîné une baisse du nombre de contribuables assujettis. La diminution du montant des dons est mécanique. Quelles mesures favoriseraient le maintien des ressources d'organismes qui se trouvent en difficulté ? Une hausse du plafond de déduction ? Des taux ?
Notre commission des finances s'est, en majorité, opposée au prélèvement à la source, notamment à cause de ses effets sur la trésorerie des ménages. Le remboursement ultérieur des réductions d'impôts était catastrophique pour la générosité publique. Le Gouvernement a pris conscience du problème et le versement d'un acompte correspondant à 60 % du montant des avantages perçus l'année précédente est prévu dans le projet de loi de finances. Cette mesure est-elle suffisante pour répondre à l'inquiétude des organismes concernés ?
Beaucoup de PME et de très petites entreprises (TPE) seraient empêchées de participer à des actions de mécénat à cause du plafond de part du chiffre d'affaires, qui est bas. N'y a-t-il pas lieu de prévoir un relèvement du plafond pour les TPE ? Cela encouragerait la générosité de proximité.
La direction de la législation fiscale a-t-elle été sollicitée pour préparer des amendements pour réduire le mécénat ?
Des scandales ont éclaté par le passé dans certains organismes bénéficiaires de dons. Les mécanismes de contrôle sont-ils suffisants ? Une piste pourrait être l'examen de la part des frais généraux des organismes. Dès que je donne, je suis inondé de lettres et de relances. Je préférerais que mes dons aillent aux causes plutôt qu'aux courriers.
Le montant des dons au titre de l'impôt sur la fortune était environ onze fois plus faible que celui réalisé au titre de l'impôt sur le revenu. Toutefois, compte tenu de la concentration des dons, il s'agissait pour certains organismes de ressources importantes. Selon les données provisoires, le montant imputé de l'IFI au titre des dons s'établit à 77 millions d'euros en 2018, contre 200 millions d'euros en 2017. Le montant du don moyen étant stable, c'est donc bien la réduction du nombre de contribuables donateurs qui est en cause. Le recentrage de cet impôt ne constitue-t-il pas une menace pour les organismes sans but lucratif, qui bénéficiaient parfois à très haut niveau de cette contribution ?
Les taux et plafonds des dispositifs actuels sont très généreux. Il ne nous apparaît pas qu'une hausse ait une grande incidence sur le montant des dons. On aurait plutôt un effet d'aubaine de la part de ceux qui donnent déjà.
Concernant le cas particulier des TPE qui subissent les effets du plafond de 0,5 % du chiffre d'affaires consacré au mécénat : pour un chiffre d'affaires de 2 millions d'euros, ce serait 10 000 euros. Nous avons mené des études sur ce point ; seules 15 % à 16 % des entreprises dont le chiffre d'affaires est inférieur à 2 millions d'euros sont concernées par le plafond. Les entreprises dont le chiffre d'affaires est compris entre 2 millions et 50 millions d'euros ne sont que 7 % à subir les effets du plafonnement. Cette situation, si elle est indéniable, est très minoritaire. Des correctifs sont envisageables.
J'en viens au recentrage de l'assiette de l'ISF vers celle de l'IFI. Effectivement, cette assiette a été réduite, diminuant fortement la recette de l'impôt, d'un peu plus de 4 milliards d'euros à environ 1 milliard d'euros. Le nombre de redevables a été divisé par trois. Mécaniquement, le montant de la réduction d'impôt au titre des dons a baissé. Le législateur et le Gouvernement ont cherché à limiter les effets de la réforme sur la générosité. Le montant moyen des dons des redevables de l'IFI n'a pas décru par rapport au montant moyen des dons des redevables de l'ISF.
Le but de la création de l'IFI et du prélèvement forfaitaire unique est de libérer plusieurs milliards d'euros à réinvestir dans l'économie, dans les entreprises, mais aussi dans les dons aux oeuvres.
On peut espérer que les personnes continuent à faire des dons même si elles ne sont plus redevables de l'ISF ; elles restent tout de même bénéficiaires par rapport à la situation précédente puisqu'elles n'ont plus à payer l'impôt et ont donc plus de revenus disponibles.
Le lien entre les déductions fiscales et les dons est extrêmement complexe. La déduction n'est qu'un des volets de la fiscalité. La baisse des dons constatée aujourd'hui, d'environ 6,5 % sur le premier semestre de l'année pour une centaine de grandes associations, selon France Générosités, n'est pas seulement une question de taux, mais de contexte fiscal déstabilisant. Avec les changements affectant la contribution sociale généralisée (CSG) et la taxe d'habitation, les gens ne savent pas à quelle sauce ils vont être mangés. Ils ne se sentent pas sécurisés. Les gens ne s'appuient pas seulement sur des faits réels, mais sur leur perception.
À titre personnel, je pense qu'il n'est pas forcément nécessaire d'augmenter des taux qui sont très importants. En revanche, on a besoin de stabilité, de lisibilité et de confiance. Les Français ne doivent pas être perdus, or leur compréhension des mécanismes fiscaux est limitée. Tout ce qui introduit de la complexité est catastrophique. Autant nous nous félicitons du dispositif adapté au prélèvement à la source, autant ce sera un tour de force que de l'expliquer aux donateurs, surtout si leur situation a changé.
La confiance n'exclut pas le contrôle, mais il y en a déjà beaucoup. L'administration fiscale s'est dotée de nouveaux dispositifs de contrôle des dons. C'est très bien, mais il faudrait aussi contrôler les donateurs. Je ne suis pas convaincu que tous les dons déduits des impôts soient effectivement versés, ou entrent dans le champ des déductions fiscales. Vous relèverez dans l'étude un phénomène extraordinaire : en 2013, il y a eu 500 000 donateurs nouveaux, sans catastrophe majeure pouvant expliquer cette hausse. En réfléchissant, nous avons constaté que cela correspondait au ras-le-bol fiscal exprimé en 2012 et je crains que les gens se soient vengés sur cette ligne de la déclaration qui n'est plus contrôlée puisque l'on ne fournit même pas la liste des bénéficiaires - ce qui était le cas avant 2013.
Admical encourage le mécénat des petites entreprises - il est important qu'elles s'engagent plus. Elles ne sont pas si nombreuses à atteindre le plafond de 0,5 % du chiffre d'affaires, néanmoins nous plaidons pour la création d'une franchise de 10 000 euros en-deçà de laquelle le taux de 0,5 % ne s'appliquerait pas. Ce serait relativement simple à mettre en place. Nombre de TPE se restreignent et renoncent au mécénat.
Pour ce qui est de la stabilité et de la lisibilité, alors que nous discutons sur d'éventuelles modifications de la loi Aillagon, qui a favorisé le développement du mécénat d'entreprise, je rappelle qu'elle a le mérite de la simplicité. Il est important de la conserver.
Modifier le régime des contreparties, ce serait introduire de la complexité et reprendre d'un côté aux TPE et PME ce qu'on leur donne de l'autre, si l'on crée la franchise. Ce serait une véritable usine à gaz que de valoriser les contreparties en monnaie sonnante et trébuchante, notamment les contreparties d'image. Comment valoriser le logo d'une entreprise mécène ? C'est une signature qui n'a pas de valeur en tant que telle. Il nous paraît essentiel de maintenir l'existant.
L'ajout d'un plafond selon la structure du bénéficiaire nous paraît assez dangereux car il rendrait le système beaucoup plus complexe. Les modèles s'hybrident, il y a des mixtes public-privé. Comment faire la distinction ? Les frontières sont aujourd'hui de plus en plus floues, ce qui est positif en matière d'interactions.
Il est donc essentiel de conserver la loi Aillagon telle qu'elle existe, à l'exception de l'introduction d'une franchise de 10 000 euros pour encourager le mécénat des TPE-PME.
Les frais généraux permettent à une association d'effectuer son travail. C'est le salaire d'hommes et de femmes qui apportent des compétences et améliorent le fonctionnement des associations pour qu'elles soient plus efficaces. Nous encourageons beaucoup les entreprises à soutenir les associations en ce sens.
Ma première remarque porte sur le manque de lisibilité du prélèvement à la source en matière de dons. J'ai assisté, dans mon département de la Haute-Marne, à une réunion présidée par le ministre de l'action et des comptes publics, Gérald Darmanin, qui expliquait le fonctionnement du prélèvement à la source à des associations, qui avaient senti une baisse des dons. Nous nous sommes aperçus qu'il existait trois types de donateurs : les disciplinés, qui donnent quoi qu'il arrive, les malins, qui ne donnent pas cette année et pensent qu'ils seront quand même remboursés grâce à l'avance et les dubitatifs, qui pensent que ça ne fonctionnera pas. Tout cela provient d'un constat auquel l'administration devrait prendre garde : la plupart de nos concitoyens ne savent pas qu'ils déposeront une déclaration de revenus pour 2018.
J'ai été saisi du cas d'une association loi 1901 qui ne peut pas bénéficier de l'agrément d'intérêt général car elle est propriétaire d'un immeuble - une vieille abbaye. Je lui ai conseillé d'en faire don à une collectivité territoriale. L'administration devrait être plus tolérante ou enquêter sur le terrain. Une association qui possède une abbaye oeuvre pour le patrimoine.
Les niches fiscales sont souvent décriées. Elles représentent un manque à gagner pour les recettes de l'État, dont chacun sait qu'il convient pourtant de les rétablir pour arriver à l'équilibre budgétaire, puisque nous ne pourrons pas continuer très longtemps à fonctionner avec un déficit du budget de l'État aussi considérable. Le retour à l'équilibre des comptes publics est un impératif absolu.
Les dispositions prévues à l'article 3 du projet de loi de finances pour 2019 sont-elles valables uniquement pour 2019, ou sont-elles destinées à être reconduites d'année en année ? La logique voudrait que dès lors que l'on impose les revenus l'année même, on devrait réaliser les déductions sur la base des revenus de l'année même.
Les taux pratiqués aujourd'hui sont relativement avantageux. La conséquence sur les dons d'une diminution de ces taux, pour réduire l'impact financier des déductions, serait-elle importante ? Seuls ceux qui paient l'impôt bénéficient de la réduction : une question d'équité fiscale se pose.
La réduction d'impôt pour les dons aux cultes concerne-t-il toutes les religions ?
Quelles sont les modalités de contrôle de l'administration sur les comptes des associations bénéficiaires des dons ?
Je souhaite aborder l'impact du prélèvement à la source et sur la confusion qu'il engendre. Nous pouvons tous témoigner de l'intérêt des dispositifs fiscaux pour encourager le don de proximité, pour une action sociale, en faveur du patrimoine ou de la culture. Cela contribue au foisonnement des dynamiques locales. De nombreuses questions se posent sur le prélèvement à la source. L'avance de 60 % du montant des dons, prévue pour 2019, sera-t-elle reconduite les années suivantes ? Je plaide pour une explication claire et simple afin d'éviter que l'incompréhension ne freine les dons. Il faut en effet de la lisibilité et de la stabilité, d'autant que les donateurs sont souvent fidèles et que les actions s'inscrivent dans la durée.
Quelle est l'incidence de la baisse de l'impôt sur les sociétés sur le montant des dons des entreprises ?
Je note que tous les dons sont en augmentation, sauf celui en direction des partis politiques. Y a-t-il une raison technique ou est-ce une marque de désamour ?
La générosité est définie comme la « qualité qui dispose à sacrifier son intérêt personnel ». Revenons sur les montants de cette générosité désintéressée, d'autant que les déductions fiscales s'élèvent à 60 % du montant total de la générosité. Les particuliers font preuve de générosité. Pour les entreprises, c'est bien souvent d'abord une question d'image, de relation client, voire une obligation sociale à l'échelon local. On arrive parfois à des situations choquantes.
Cela soulève aussi des questions philosophico-politiques. Suis-je légitime à décider de réduire mon impôt alors que les contraintes budgétaires sont importantes ou à choisir d'orienter une partie de mon impôt vers telle ou telle action ?
Il faut évidemment que les associations et les organismes disposent de moyens et d'expertise. Mais le fait est que les donateurs reçoivent beaucoup de lettres de relance, quand il ne s'agit pas de tee-shirts dont on se demande par qui et comment ils sont fabriqués. Il y a sans doute un peu de ménage à faire.
Mon collègue a rappelé la définition du mot « générosité ». Le mot « prélèvement », lui, appartient au registre chirurgical ; l'impôt est une saignée ! Si certains font des dons dans un objectif fiscal, c'est justement parce que les prélèvements sont trop élevés. Ne parlons pas d'« année blanche » à propos du prélèvement à la source : les revenus supplémentaires seront imposés. Lorsque l'Islande est passée au prélèvement à la source en 2008, elle a opté pour une vraie année blanche, ce qui a dopé sa croissance économique.
Je pense qu'une vraie année blanche ne serait pas tenable. Sur le dernier trimestre, il pourrait y avoir des distributions exceptionnelles de dividendes.
Le Gouvernement a annoncé qu'un acompte de 60 % sur le crédit d'impôt serait versé au 15 janvier. C'est donc une sorte de préfinancement très favorable au contribuable en trésorerie. Mais c'est peut-être aussi une incitation à continuer, voire à augmenter les dons. Est-ce quelque chose de significatif ? Certes, il faut avoir des assurances sur la pérennité du dispositif.
Le fait que l'on recourt moins aux dons dématérialisés chez nous que dans les pays anglo-saxons est-il lié au taux d'utilisation des formes de paiement autres que les espèces ?
L'article 3 du projet de loi de finances prévoit une avance de 60 % sur un certain nombre de réductions ou crédits d'impôt auxquels avaient droit les contribuables sur la base des revenus de 2017. Si la personne concernée n'a pas fait de don en 2018, l'avance devra être restituée. Il s'agit bien d'un dispositif pérenne ; le Gouvernement considère que, pour une majorité de foyers fiscaux, les dons présentent un caractère récurrent d'une année sur l'autre.
Pourquoi ne pas avoir intégré cela directement dans le taux, comme le proposait le Sénat ? Ce serait bien plus simple que de prélever, par exemple, 500 euros par mois pour restituer 300 euros par chèque.
Une telle intégration, si elle était cumulée avec le maintien des dispositifs d'incitation aux dons en 2018, poserait un problème budgétaire massif lors de la transition. Les foyers bénéficieraient aussi des crédits d'impôt au titre de 2018, ce qui représenterait un double coût pour l'État. C'est cette considération pratique qui a guidé les choix du Gouvernement en matière de prélèvement à la source.
Les dons aux associations cultuelles ne sont pas limités à la religion catholique.
Il faudrait sans doute des travaux économiques sur l'élasticité du volume des dons à une réduction d'impôt, mais notre conviction est que la hausse du taux n'aurait pas d'effet majeur.
La baisse du taux de l'impôt sur les sociétés ne rend pas moins attractive la réduction d'impôt à un taux fixe de 60 %. Il est possible que des entreprises qui donnaient pour réduire leur impôt sur les sociétés soient moins incitées à donner du fait de la baisse de cet impôt. Mais, globalement, je pense qu'il n'y a pas de corrélation entre les deux mécaniques.
Il est essentiel pour nous d'expliquer la réforme du prélèvement à la source à tous les publics, y compris à ceux qui sont concernés par des problèmes spécifiques. Nous sommes disponibles aussi bien dans les départements et les régions - vous avez peut-être vu des articles dans la presse locale - qu'en centrale, où nous nous appuyons sur nos collègues de la direction de la législation fiscale. Il ne faut pas hésiter à nous solliciter.
Il y a évidemment un contrôle sur le secteur et ses avantages fiscaux. Mais cela représente une petite partie seulement des contrôles qui existent. Il y a aussi l'inspection générale des affaires sociales, la Cour des comptes... Ce n'est pas l'apanage de l'administration fiscale.
J'en viens à la question des rescrits. Il est vrai que c'est un peu compliqué pour les monuments. Le dispositif de la Fondation du patrimoine a été mis en place pour faciliter les opérations. Il ne faut pas hésiter à venir nous demander des explications claires quand on a un projet de la sorte ; notre porte est toujours ouverte.
Il y a évidemment un travail de contrôle de l'administration fiscale sur les émetteurs et les récepteurs de dons, comme pour tout contribuable.
Surtout, le compte d'emploi des ressources, qui est obligatoire depuis 1991, doit rendre compte de l'affectation des dons, permettre leur suivi dans le temps, notamment en fin exercice lorsqu'ils n'ont pas été affectés, et être compréhensible pour les non-professionnels de la technique comptable, ce qui ne va pas toujours sans mal... Ce compte retrace obligatoirement trois grandes catégories de dépenses : les missions sociales, les frais de recherche et les frais de fonctionnement de l'association. Il fait l'objet d'une publication pour toutes les associations au-delà de 153 000 euros de dons ou de subventions. Le législateur a souhaité informer et responsabiliser le donateur. Depuis 1991, la Cour des comptes contrôle le compte d'emploi des ressources, afin d'appuyer le donateur dans son action.
Vous avez évoqué la corrélation entre l'émergence des nouveaux moyens de paiement et le « retard » que la France pourrait accuser en termes de développement des nouvelles formes de générosité. En fait, la France suit, à l'instar de la plupart des pays européens et d'outre-Atlantique, un développement significatif et encourageant de générosité sur internet. Les courbes sont très intéressantes.
Les États-Unis et le Royaume-Uni étaient déjà très coutumiers voilà une dizaine d'années des générosités embarquées, c'est-à-dire des propositions d'arrondi sur le bulletin de salaire ou à la caisse. L'accélération de la transformation des types de moyens de paiement s'observe plutôt à l'échelle des cinq ou six années écoulées. C'est donc avant tout une question de calendrier : les États-Unis et le Royaume-Uni se sont engagés voilà une quinzaine d'années dans cette direction, d'ailleurs assez bien adaptée à la culture anglo-saxonne en matière de philanthropie.
Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, la France a mis en place un système d'État-providence dans lequel les finances publiques couvrent l'essentiel des problématiques et des enjeux de financement de l'intérêt général. On assiste à une transformation très significative depuis dix ans ou quinze ans. Des marques et des entreprises se réapproprient le soutien au financement des causes d'intérêt général, et les citoyens y deviennent de plus en plus réceptifs. J'y vois une évolution culturelle face à la logique historique de la France.
Actuellement, 800 000 salariés donnent chaque mois sur leur bulletin de salaire au Royaume-Uni, contre 20 000 en France. Cela représente 9 000 sociétés et un peu plus de 100 millions de livres sterling chaque année.
Nous sommes en train de réaliser une étude qui permettra d'avoir dans quelques mois un panorama de l'utilisation des fonds reçus. Nous avons examiné des centaines de comptes d'emploi des ressources. La plupart des grandes associations affectent 80 % des dons aux missions sociales et seulement 10 % aux frais généraux, le reste servant à la collecte de fonds. Certes, cette dernière est très coûteuse. Mais la plupart des associations agissent de manière très professionnelle et connaissent les méthodes les plus efficaces, c'est-à-dire les moins onéreuses.
Le report des dons est un phénomène très mal connu. Nous pensions à l'origine que cela concernait surtout les grands donateurs, mais nous avons découvert que des personnes aux revenus assez modestes atteignaient aussi le plafond et bénéficiaient donc d'un avantage.
Nous savons que les catégories sociales les plus aisées ont bénéficié de quelque 5 milliards d'euros d'économies d'impôts. Nous espérons qu'elles seront suffisamment généreuses pour en redistribuer une part modeste : 10 %, cela représenterait un pourboire philanthropique de 500 millions d'euros. On ne peut que les y inciter.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Nous en venons maintenant à la présentation par Philippe Dallier, rapporteur spécial des crédits du logement de la mission « Cohésion des territoires », des résultats de son contrôle sur la répartition et l'utilisation des aides à la pierre.
« Cohésion des territoires »). - Le Fonds national des aides à la pierre (FNAP), a été créé en 2016 avec un double objectif.
D'une part, il s'agissait de donner une vision plus synthétique des sommes consacrées aux aides à la pierre en une période où les crédits budgétaires s'amenuisaient déjà et où les bailleurs étaient appelés à se substituer de plus en plus à l'État. La contribution des bailleurs sociaux passait alors par un fonds de péréquation distinct des crédits budgétaires, méthode d'ailleurs contestée par la Cour des comptes.
D'autre part, dans ce contexte de désengagement de l'État, la création du FNAP répondait également à une demande des élus nationaux et locaux qui souhaitaient être mieux associés à la territorialisation et à l'emploi de ces crédits.
Ce fonds est géré par un conseil d'administration où les bailleurs sont représentés au même titre que l'État et où figurent également des représentants des collectivités territoriales et des parlementaires.
Il m'a donc semblé utile, après une année pleine de fonctionnement du FNAP en 2017, de regarder comment s'est passée sa mise en place et si des progrès ont été faits en termes tant de répartition que d'utilisation des crédits.
Ce contrôle a porté sur les deux niveaux : d'une part national, puisque le conseil d'administration du FNAP décide en fin d'année de la répartition entre les régions des crédits et fixe les principales orientations relatives à leur utilisation ; d'autre part régional et local, puisque chaque préfet de région répartit l'enveloppe entre les territoires de gestion. Ces derniers sont de deux sortes : soit une collectivité ou une intercommunalité lorsqu'elle a obtenu la délégation de gestion des aides à la pierre ; soit la direction départementale des territoires (DDT), là où aucune délégation n'a été mise en place. Les aides sont ensuite attribuées aux projets de construction de logements sociaux portés par les territoires et les bailleurs.
Aussi intéressant que soit le nouveau dispositif, les sommes qu'il répartit ne vont pas à elles seules relancer le logement social, dans le contexte budgétaire que vous connaissez. Dans le bleu budgétaire pour 2019, il n'y a plus un euro de crédit pour les aides à la pierre ; c'est l'aboutissement d'une tendance lourde.
Alors qu'en 2002, la subvention budgétaire de l'État était de 5 700 euros pour un logement PLUS (prêt locatif à usage social) et de plus de 15 000 euros pour un logement PLAI (prêt locatif aidé d'intégration), aujourd'hui, les aides du FNAP sont limitées à moins de 10 000 euros par logement PLAI, sauf en Corse et en Île-de-France, en raison des coûts de construction.
Or le marché du logement semble se retourner en 2018. Le nombre des permis de construire est en baisse de 5 %, aussi bien dans le logement individuel que dans le collectif. Le logement social a été affecté dès le second semestre 2017, suite à l'annonce de la diminution des aides personnelles au logement (APL) et de la mise en place de la réduction de loyer de solidarité (RLS) financée par les bailleurs.
Le montant des aides à la pierre passant par le FNAP s'élève à 475 millions d'euros en 2018, dont 460 millions d'euros pour la construction de logements sociaux neufs, 10 millions d'euros pour des projets de démolition en zone détendue et près de 5 millions d'euros pour le financement d'actions annexes, auxquels s'ajoutent 12 millions d'euros pour favoriser la réalisation de logements très sociaux et l'intermédiation locative.
Pour alimenter ce budget, les crédits de l'État sont en baisse constante : prévus à près de 200 millions d'euros en 2017, ils ont été annulés à 55 % en cours d'année ; en 2018, seulement 38,8 millions d'euros de crédits de l'État ont été inscrits au budget. Dans le même temps, la contribution des bailleurs est de 375 millions d'euros et Action logement est appelé à participer au tour de table pour un montant de 50 millions d'euros. Les autres ressources proviennent notamment de la majoration des prélèvements SRU dans les communes carencées.
On constate un véritable retrait de l'État des aides à la pierre, ce qui a conduit depuis un an le FNAP à une situation difficile et l'empêche même de fonctionner correctement : en effet son président, qui représente les collectivités territoriales au sein du conseil d'administration, a démissionné à l'automne dernier et n'a toujours pas été remplacé. Les collectivités territoriales doivent se mettre d'accord pour désigner un nouveau président.
Or, dans un organisme qui n'a pas de moyen de fonctionnement propre, le conseil d'administration dépend de l'administration de la Direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages (DHUP) et le président joue donc un rôle d'impulsion important.
La programmation élaborée par le FNAP se fonde sur une remontée des besoins réalisée par l'intermédiaire des administrations régionales. Des documents de synthèse sont alors présentés dans des groupes de travail et au conseil d'administration.
Or j'ai pu constater lors d'un déplacement à Lille, dans la région des Hauts-de-France, que le diagnostic sur les besoins n'est pas toujours partagé : par exemple, l'État a le souci de favoriser les logements de petite taille, mais certains bailleurs ou certaines administrations locales sur le terrain constatent la difficulté à mettre sur le marché ce type de logement. Et il faut aussi prendre en compte le fait que tous les besoins ne figurent pas nécessairement dans le système national d'enregistrement. Il me semble donc nécessaire de mieux fonder l'analyse des besoins en croisant les sources de données établies par l'État, mais aussi par les collectivités locales et les bailleurs et en enrichissant les données statistiques par des études plus qualitatives.
Autre besoin que j'ai constaté sur le terrain : les réhabilitations. Le FNAP ne finance effectivement que des constructions neuves, et dans une certaine mesure des démolitions. Or lorsqu'une région dispose d'un parc ancien dégradé, ou lorsque le foncier est rare, la réhabilitation pourrait également faire l'objet des interventions soutenues par le FNAP, même si cela se ferait probablement à enveloppe constante.
D'une manière générale, il faut s'interroger sur la méthode qui consiste à fixer des objectifs au niveau national. On prévoit par exemple de créer 40 000 logements de type PLAI par an. Or un objectif global n'a pas véritablement de sens, puisque les besoins, aussi bien que les conditions de marché, sont essentiellement locaux. Ce n'est pas en construisant des logements là où il n'y a pas de besoin qu'on va résoudre la crise du logement. Des objectifs encore plus précis sont fixés par catégorie de logements et ne sont pas du tout atteints. M. Denormandie a reconnu voilà quelques jours que seulement 2 600 places ont été réalisées en intermédiation locative pour un objectif de 40 000 places sur le quinquennat, et qu'il y a eu 619 places de pension de famille sur les 10 000 prévues.
Les objectifs devraient d'abord être fixés au niveau local, ainsi que leur décomposition en fonction du type de logement ou du public visé. La volonté de l'État de conserver un rôle de pilote de la politique du logement se heurte d'ailleurs à la diminution de ses moyens non seulement financiers, mais aussi humains.
Je l'ai constaté dans la mise en oeuvre de la délégation des aides à la pierre, qui peut prendre deux modalités : soit le délégataire assure lui-même l'instruction des dossiers, parce qu'il estime en avoir les moyens ; soit l'instruction est assurée par la DDT. Mais, dans ce dernier cas, il y a en réalité une double instruction, car les services du délégataire examinent déjà les dossiers avant de les transmettre à la DDT. C'est donc un doublon pour l'administration, mais aussi une double tâche pour les porteurs de projet, qui devront présenter le dossier plusieurs fois. Je suis donc favorable à la généralisation de la délégation des aides à la pierre, avec instruction des dossiers par le délégataire. Je pense qu'il faut en finir avec la double instruction.
Cette délégation est l'un des éléments qui permettent aux collectivités locales de mener à bien une politique de l'habitat. Il s'agit toutefois d'une charge qui n'est pas compensée. On peut donc réfléchir à la possibilité d'aller plus loin et d'organiser un véritable transfert de compétence de la gestion des aides à la pierre, qui serait plus complexe, car il faudrait déterminer vers quel niveau de collectivité se fait le transfert et de quelle manière les crédits du FNAP sont répartis entre les collectivités dans une région. L'État doit accepter de lâcher la main, mais, à partir du moment où il n'y a plus un euro venant de lui, ce serait logique.
La répartition des fonds entre les régions suit une clé de répartition calculée à partir des besoins constatés, ainsi que des coûts de construction. Il s'agit d'une vision un peu théorique, car le lancement des projets ne dépend pas seulement de cette subvention, d'ailleurs assez limitée. Il faut d'abord que des projets soient portés localement, souvent par le maire.
La consommation des crédits est ainsi très variable selon les territoires, et on constate chaque année, au cours de l'été, que dans certaines régions, plus précisément en Provence-Alpes-Côte d'Azur (PACA), les projets ne seront pas assez nombreux pour consommer les crédits. L'automne voit donc se mettre en place un grand exercice de réallocation des crédits vers des régions, qui, pendant ce temps, avaient gardé sous la main des projets prêts à démarrer. Je crois qu'il vaudrait mieux, au moins partiellement, ajuster les enveloppes dès le début de l'année.
Au total, le FNAP constitue un progrès indéniable. Les groupes de travail permettent aux différents acteurs du logement social de travailler ensemble sur des questions aussi concrètes que les logements très sociaux (PLAI adaptés), l'intermédiation locative ou la nécessité de soutenir les démolitions. De plus, le regroupement des crédits donne au Parlement une visibilité bien meilleure sur les montants consacrés aux aides à la pierre.
L'État conserve toutefois un rôle disproportionné et le FNAP n'a pas rempli toutes ses promesses. D'une part, les acteurs continuent à se plaindre sur le terrain de la complexité des règles et, surtout, de leur modification chaque année ; ces changements sont d'autant moins compréhensibles qu'ils sont décidés au niveau national. D'autre part, le FNAP n'a pas permis de sécuriser les fonds accordés aux aides à la pierre. Le responsable en est évidemment l'État, qui réduit ses engagements lorsqu'il n'annule pas purement et simplement les crédits en cours d'année, comme en 2017.
C'est pourquoi je crois que le principe d'annualité budgétaire devrait être concilié avec une programmation pluriannuelle des crédits attribués aux aides à la pierre. Une prévision sur trois ans, associée à une stabilisation des règles d'utilisation des crédits, apporterait une meilleure visibilité à des projets dont la réalisation prend plusieurs années. Elle serait cohérente par exemple avec la conclusion des conventions de délégation des aides à la pierre, dont la durée est de six ans.
La territorialisation de la gestion des aides à la pierre accroît les chances de succès des opérations. L'État l'a compris pour l'enveloppe de 12 millions d'euros destinée aux PLAI adaptés et à l'intermédiation locative ; alors qu'elle était consacrée jusqu'en 2017 à des appels à projets peu fructueux, le conseil d'administration du FNAP a décidé vendredi dernier de la répartir désormais entre les régions, comme pour les crédits de l'enveloppe principale.
Il reste donc à parachever cette territorialisation en laissant plus de marge de manoeuvre aux politiques locales de l'habitat.
En tant qu'élu local, j'ai observé la même chose que notre collègue sur la double instruction. Le problème se pose aussi à propos des fonds européens.
Je suis surpris d'entendre que l'État n'a pas une bonne connaissance des besoins en logements. En Bretagne, les relations entre les services de l'État et les délégataires des aides à la pierre sont plutôt bonnes.
Il y a toutefois des absurdités. Dans l'agglomération de Lorient, un maire est obligé de construire 200 logements sociaux au titre de la loi SRU alors que cela ne correspond pas aux besoins de commune et qu'il n'a pas les crédits pour le faire.
Lors de la mise en place des délégations, des départements ont souhaité récupérer les aides à la pierre, et d'autres ne l'ont pas souhaité. A-t-on une idée de la répartition actuelle entre les EPCI et les départements ? Et quelle est votre position sur le sujet, monsieur le rapporteur spécial ?
Je partage les conclusions de notre collègue. Il y a là un sujet de décentralisation, et peut-être même de décentralisation à la carte. Je ne suis pas sûr qu'il y ait un seul modèle. Les zones tendues ne sont pas représentatives de l'ensemble de la France. Une politique nationale du logement a-t-elle encore un sens ?
Sur l'utilisation des crédits, j'ai l'impression qu'on change de politique à chaque ministre. Certains préfèrent l'entretien et la réhabilitation quand d'autres optent pour des investissements nouveaux. Y a-t-il un bon ratio à fixer entre ces différents usages ?
À quel échelon territorial devraient se concentrer les aides ? Comment la rénovation et la mise à niveau d'ici à 2020 doivent-elles s'effectuer concrètement sur le terrain ?
Le délégataire choisit d'instruire ou pas. Certains ont décidé de faire l'instruction ; d'autres ne la font pas, considérant que l'État ne leur donne pas les moyens. À mon avis, il faudrait généraliser la prise de l'instruction par le délégataire et réfléchir à des transferts de compétences. Mais je me garderai bien de choisir entre les départements et les EPCI. Il appartient aux élus locaux de se mettre d'accord. Comme il n'y a plus du tout de crédit budgétaire, je pense qu'il faut en finir avec la politique nationale en matière d'aide à la pierre et aller vers une vraie décentralisation.
En 2016, il y avait parmi les délégataires 111 collectivités ou groupements, dont 12 métropoles, une collectivité à statut particulier qui est la métropole de Lyon, 8 communautés urbaines, 61 communautés d'agglomération, 3 communautés de communes et 25 départements. Je laisse à chacun le soin d'apprécier si cette répartition est judicieuse.
En matière de connaissance des besoins, la Bretagne est un cas à part. Dans d'autres régions, le système fonctionne moins bien. La première connaissance qu'il faudrait avoir est celle du nombre de dossiers finançables dans une année. Aujourd'hui, on s'appuie trop sur les besoins exprimés dans les demandes de logements sociaux, et pas assez sur ce que les territoires peuvent faire... L'État pilote en fonction des grands objectifs affichés.
En 2017, le FNAP a fait mieux que l'État précédemment, en déléguant les crédits dès le mois de janvier. Mais il doit à présent, me semble-t-il, mieux analyser les besoins.
Nombre de bailleurs craignent de devoir arbitrer entre les constructions nouvelles et les réhabilitations lourdes. Aujourd'hui, ce sont les crédits pour la rénovation lourde qui manquent. Mais comme l'enveloppe se réduit globalement, on est dans une impasse budgétaire.
La commission donne acte au rapporteur spécial de sa communication et en autorise la publication sous la forme d'un rapport d'information.
La réunion est close à midi.