La réunion

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Debut de section - PermalienPhoto de Françoise Gatel

Je suis très honorée, monsieur le président du Sénat, que vous ayez souhaité accorder votre haut patronage à cette réunion sur les communes nouvelles - cette pépite législative. Vous aviez conduit il y a deux ans un groupe de travail oecuménique au Sénat pour réfléchir à la meilleure manière d'organiser notre territoire à travers cinquante propositions en faveur des libertés locales. La commune nouvelle est l'exemple même de cette liberté locale dont les élus peuvent se saisir.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

Mon plaisir de vous accueillir au Sénat est sincère. Chère Françoise Gatel, merci pour cette initiative ; chacun sait que la commune nouvelle a une place particulière dans votre coeur. Cher David Lisnard, vous êtes le président de l'Association des maires de France (AMF) : le Sénat est la maison des maires, elle est donc votre maison. Vous diffuserez en avant-première aujourd'hui le « panorama des communes nouvelles ». Vous avez fait le choix d'intituler cette rencontre : « pour un nouveau souffle » ; il faut effectivement redonner un nouvel élan au mouvement qui a regroupé 2 600 communes au sein de 787 communes nouvelles.

Ce chiffre semble stabilisé, mais un constat s'impose : celui d'une concentration sur le quart nord-ouest de notre pays, une quinzaine de départements recensant plus de la moitié de ces créations.

Ce mouvement a été qualifié de « révolution silencieuse » dans un rapport d'information que vous aviez rendu en 2016, chère Françoise Gatel, avec notre ancien collègue Christian Manable. Elle ne concerne pas moins de 2,5 millions de nos compatriotes. Révolution silencieuse, mouvement en douceur... cela semble antinomique. C'est pourtant ce qu'a enclenché la loi du 16 décembre 2010. Cher Jacques Pélissard, il s'agissait alors de donner aux élus locaux la possibilité de constituer ou de consolider de véritables pôles de vie ruraux ou urbains dotés de leur projet, tout en conservant leur identité ; il s'agissait aussi de réinsuffler de la proximité dans certaines des plus grandes intercommunalités ; il s'agissait d'ouvrir une possibilité et non d'imposer.

Ce dernier terme est essentiel pour moi, mais aussi, je pense, pour l'AMF.

Cette loi est vertueuse, car elle repose sur le libre choix des élus locaux. Cette condition de liberté est essentielle. L'AMF a fait de longue date le choix d'accompagner cette démarche, mais elle a toujours oeuvré pour qu'elle soit volontaire, en lien avec les populations. Lorsque cela n'a pas été le cas, il y a eu de très grosses difficultés, voire des échecs, comme dans mon département.

Cette double condition est essentielle, car les Français se reconnaissent d'abord dans leur identité communale : c'est dans la commune que s'incarne la République. C'est pourquoi il est important de pouvoir conserver des maires délégués.

Vous allez revenir ce matin sur les expériences concrètes de constitution d'une commune nouvelle. C'est un travail souvent difficile, notamment en matière d'harmonisation fiscale. Il faut peut-être adapter le processus au contexte actuel, fait de tensions sur les ressources financières locales. Je sais que la question des relations avec les autres niveaux de collectivités et l'État sera aussi posée lors de vos tables rondes.

Je vous souhaite une excellente matinée de travail : vos témoignages et vos préconisations nous intéressent ! Elles doivent nous guider vers plus de différenciation et d'adaptabilité.

Françoise Gatel citait les cinquante propositions pour le plein exercice des libertés locales ; le 17 octobre, j'installerai un groupe de travail pluraliste - oecuménique, dirait Françoise Gatel -, dont elle sera l'un des corapporteurs.

Ce sera l'occasion d'examiner ce que sont devenues ces cinquante propositions - certaines ont en effet trouvé une traduction législative, notamment dans la loi relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale (3DS) -, pour assouplir, entre autres, le fonctionnement de l'intercommunalité.

Nous devons aller plus loin. La décentralisation me semble être le principal remède à la crise de confiance que nous vivons, qui prend notamment la forme d'une abstention toujours en hausse.

Les communes nouvelles apportent précisément une réponse différenciée à des problématiques locales ; elles permettent de conserver un échelon de proximité tout en mutualisant les compétences et les projets. Leur réussite repose également sur une concertation avec les populations et la recherche d'un large consensus.

Nous publierons un rapport d'étape à la fin de l'année et finirons nos travaux quand le printemps pointera son nez. Lorsque la grande loi de décentralisation qui nous est annoncée sera présentée, nous serons prêts ! (Applaudissements)

Debut de section - Permalien
David Lisnard, président de l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité

Monsieur le président du Sénat, merci de cet accueil, de votre présence, de votre philosophie de l'action locale, et de faire plus que jamais du Sénat la grande chambre des communes de France. L'AMF représente toutes les communes, urbaines comme rurales, communes qui ont leurs représentants ici, au Sénat.

Je veux rendre hommage à Françoise Gatel : dès que j'ai eu l'honneur d'être choisi par mes pairs comme président, son intelligence et sa pugnacité m'ont accompagné. C'est une ardente combattante des communes, cet échelon de responsabilité, donc de liberté. Merci de porter ce combat pour une certaine idée de la France que nous partageons tous, au-delà des clivages partisans.

Je salue Jacques Pélissard. C'est lui, le coupable ! (Sourires) et doublement : d'abord parce qu'il m'a fait confiance en faisant de moi son directeur de cabinet ; je garde de cette époque « Une nouvelle énergie »... (Sourires) Mais surtout parce qu'il est le père des communes nouvelles, de cette révolution silencieuse. Comme toujours, son action était dictée non pas par le désir de prendre la lumière, mais par le souci de la précision au service de la République. Celle-ci doit reconnaître le mérite de personnalités comme la sienne, non pas des praticiens du coup politicien, mais des fabricants de l'intérêt général. (Applaudissements)

Je salue tous les sénateurs présents. La relation entre le sénateur et le maire mêle amour et intérêt, mais c'est ce qui fait les mariages les plus solides ! (Sourires)

Je salue enfin Philippe Chalopin, maire de Baugé-en-Anjou, qui, lui aussi, accompagne les communes nouvelles avec beaucoup de passion, ainsi que Paul Carrère et Jean Marc Vasse.

Révolution silencieuse est peut-être un oxymore, mais la commune nouvelle est une exception dans le paysage institutionnel. Depuis 1907, nous sommes partisans des libertés locales : l'AMF a été inventée pour les défendre, selon un principe qui a valeur constitutionnelle, la subsidiarité. Contrairement à ce que l'on croit parfois, il ne s'agit pas d'un principe technocratique ; il est issu du Thomisme et de la démocratie chrétienne, selon lesquels chaque individu doit être responsable de son destin et chaque collectivité doit régler ses problèmes elle-même, mutualisant ce qui doit l'être.

C'est une approche très différente de l'approche verticale, centralisée ; elle n'est pas top down, mais bottom up, ascendante. Elle consiste à dire qu'il n'y a pas de responsabilité sans liberté d'action et que tout ce qui entrave celle-ci - schémas directeurs, prélèvements, non-indexation des dotations, prélèvements financiers de l'État sur nos capacités d'action - se fait au détriment de l'intérêt général et de la performance publique.

La commune nouvelle, c'est tout le contraire : au lieu de se voir imposer un schéma technocratique, partant d'une croyance erronée selon laquelle les grands ensembles sont toujours plus pertinents que les échelons de proximité, elle repose sur l'idée que ce qui fonctionne, c'est ce qui correspond à une volonté du terrain de mutualiser sans s'éloigner. C'est la vision qui a guidé l'émergence de la commune nouvelle et que nous devons promouvoir. Oui, monsieur le président, la solution est dans la décentralisation, dans la subsidiarité, dans la liberté et donc dans la responsabilité locale.

J'entends parfois parler des 36 000 communes de France. Je rectifie toujours : il y en a désormais 34 955, grâce aux communes nouvelles. Rien n'est parfait ; il y a parfois des tensions, qui souvent dépendent de la nature humaine, mais c'est la même chose dans nos communes !

La philosophie des communes nouvelles est bonne : elle permet de stimuler une identité locale conforme à l'histoire du terroir, mais qui se projette dans le XXIe siècle. Nous avons un rôle central à jouer pour stimuler l'évolution des communes nouvelles existantes et en faire émerger de nouvelles, mais aussi la création de communes-communautés. Cette idée originale permet en effet de dépasser le clivage entre grands ensembles et fait communal, pour que cesse la dépossession du pouvoir des maires en fusionnant les compétences municipales et intercommunales au sein d'un établissement nouveau qui respecte la réalité géographique et historique de chaque entité, sans la travestir.

La réussite de cette entreprise repose sur le volontariat et la définition d'un projet de territoire, et ne peut avoir pour seule justification la bonification financière initiale. Pour autant, elle ne saurait avoir pour conséquence une perte de moyens.

Quels que soient les rapports publiés - y compris celui de l'inspection générale de l'administration (IGA) -, nous devons nous opposer à une bureaucratisation des communes nouvelles. Veillons à ce que le Léviathan de ceux qui croient savoir mieux que les acteurs du terrain ne nous conduise pas à une schématisation, à la création de comités ad hoc obligatoires, de machins qui consomment du temps, de l'énergie et qui nous éloignent des résultats concrets. Nous garderons notre indépendance pour que les communes nouvelles ne deviennent pas un bidule de plus.

Debut de section - Permalien
David Lisnard, président de l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité

Il faut accorder plus de souplesse aux communes nouvelles pour mieux prendre en compte la superficie et le nombre de communes regroupées sans tomber sous le coup d'effets de seuil, notamment concernant la dotation de solidarité rurale (DSR) ou les gens du voyage.

Il faut mettre fin aux atermoiements financiers qui ralentissent depuis 2020 l'émergence de communes nouvelles. Celles-ci ne doivent jamais être perdantes en termes de dotations. Il faut renforcer les incitations financières pendant les trois premières années pour susciter les vocations et protéger durablement les communes nouvelles contre les pertes de dotations, en établissant ce principe simple : en aucun cas elles ne doivent percevoir une dotation générale de fonctionnement (DGF) inférieure à celle que percevaient leurs communes fondatrices.

Il faut enfin catalyser les communes-communautés à travers un travail pédagogique dont l'AMF doit s'emparer. Merci à tous de votre mobilisation, y compris en visioconférence. La commune nouvelle, c'est l'avenir d'une performance publique qui concilie le respect des contribuables, le service aux usagers et le sentiment d'appartenance. Cela passe par la décentralisation, la subsidiarité, la proximité - par la responsabilité, et donc par la liberté. (Applaudissements)

Debut de section - PermalienPhoto de Françoise Gatel

Je suis heureuse que nous nous rejoignions sur l'enjeu qui nous rassemble aujourd'hui : inventer des possibles pour réconcilier nos concitoyens avec l'action publique et l'efficacité jusqu'au dernier kilomètre. La commune nouvelle est une réponse dont les élus et territoires peuvent se saisir. Le Sénat est le défenseur du sens de la responsabilité des élus locaux et de la confiance entre, d'une part, le législateur, l'État, et, d'autre part, des élus locaux « à portée d'engueulade », compétents non seulement pour gérer le présent, mais aussi pour construire l'avenir, car ils sont aussi des entrepreneurs de territoire.

Cette rencontre est l'occasion de pratiquer un exercice peu commun en France, celui de l'évaluation, à laquelle le Sénat et son président sont très attachés. Cela implique de répondre à plusieurs questions. La commune nouvelle a-t-elle renforcé la capacité des territoires en conjuguant proximité et efficacité ? Parvient-elle à inscrire son action dans un véritable projet de territoire sans gommer l'identité des communes ? Le cadre législatif permet-il de faire face à des situations très différentes d'un département à l'autre ? Face à l'hétérogénéité de la taille des communes selon les départements, la différenciation est la clé, comme l'a dit le président du Sénat.

Le vent de la commune nouvelle s'est un peu assagi. Quels enseignements doit-on tirer de cette expérience ? Nous sommes passés de 36 000 à moins de 35 000 communes - ce n'est pas rien, lorsqu'on connaît l'importance du fait communal en France. Jacques Pélissard n'a jamais dit que la France serait plus performante avec moins de communes ; son objectif était au contraire de muscler la commune. Les esprits chagrins qui jugent l'expérience décevante sont plus des théoriciens que des pratiquants. Car il faut reconnaître que la commune nouvelle, c'est toute une aventure, une aventure humaine qui peut être compliquée...

Les élus sont aujourd'hui préoccupés par la Covid, par la hausse des coûts de l'énergie ; il est normal qu'ils prennent le temps de la réflexion. Les préfets devraient aussi s'assurer de la diffusion des lois et notamment du dispositif sur les communes nouvelles. Agnès Canayer et Eric Kerrouche, dans le rapport sur les services déconcentrés de l'État qu'ils nous présenteront demain, indiquent que les trois quarts des élus ne connaissent pas les nouvelles lois. Il faut dire que la boulimie législative n'aide pas.

La création d'une commune nouvelle ne doit pas avoir d'impact négatif. La commune ne doit pas être soumise, en raison d'un effet de seuil, à des obligations en matière d'accueil des gens du voyage ou de logement social, alors que la réalité reste celle d'un territoire rural.

J'ai lu un rapport écrit par des gens très brillants... Mais je l'affirme encore une fois ici : la commune nouvelle ne peut être imposée ni par la loi ni par une commission territoriale. Ce doit être un chemin que des élus choisissent d'emprunter, même s'il faut les accompagner. Nous avons vu, avec la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe), ce que pouvaient provoquer de brillants esprits qui ont soudainement considéré qu'une intercommunalité n'était efficace qu'à partir de 15 000 habitants, après nous avoir dit qu'elle l'était à partir de 5 000 habitants. Un seuil n'a jamais fait l'affectio societatis ou la performance. Or la commune nouvelle est un mariage de raison, mais aussi d'affection.

Les moins réveillés dans ce pays ont vu que, pendant les crises, l'intelligence territoriale était la clé de la réussite.

La commune nouvelle est un chemin compliqué. Pour l'avoir parcouru, j'en mesure la difficulté.

Les gens disent toujours : je suis de telle commune. Même si parfois nous n'y restons pas longtemps, la commune est un ancrage.

Cette rencontre est divisée en deux séquences présentées par M. Franck Lemarc, rédacteur en chef de Maire-Info. La première sera consacrée à la démocratie, car là où la commune nouvelle s'est faite sans engager les habitants, elle ne fonctionne pas. La deuxième pose la question : quel nouvel élan pour les communes nouvelles ?

J'aimerais partager avec vous quelques mots du poète Lamartine, qui m'avaient aidée lorsque, à Châteaugiron, nous avions fusionné trois communes en une commune nouvelle. Les gens nous demandaient pourquoi nous nous lancions dans cette aventure ; je leur répondais : « Je lis dans l'avenir la raison du présent ». C'est pour l'avenir que nous bouleversions ainsi le présent.

Dans Le Guépard, il est dit : « Il faut que tout change pour que rien ne change. » Je dirais : il faut que tout change pour que le coeur de la commune continue de battre pour le meilleur. (Applaudissements)

DÉMOCRATIE : FAIRE VIVRE LA COMMUNE NOUVELLE

Debut de section - Permalien
Franck Lemarc, rédacteur en chef de Maire-Info

Nous nous retrouvons pour cette septième rencontre nationale des communes nouvelles ; cela fait donc sept ans que l'AMF fait le bilan de ce mouvement, qui connaît certes un net ralentissement. C'est pourquoi nous discutons des pistes afin de lui donner un nouveau souffle. Je salue les quatre-vingts personnes qui nous suivent en visioconférence.

Chaque séquence sera suivie d'une séance de questions-réponses - questions écrites pour les personnes en visioconférence. M. Philippe Chalopin, maire de Baugé-en-Anjou, dans le Maine-et-Loire, introduira cette première séquence.

Debut de section - Permalien
Philippe Chalopin, maire de Baugé-en-Anjou

Certains pourraient croire que commune nouvelle ne rime pas avec démocratie ; on ne fait pourtant pas une commune nouvelle contre, mais pour. L'objectif de tout maire d'une commune nouvelle est donc la participation des habitants.

Celle de Baugé-en-Anjou a été votée en mars 2012 : nous avons donc dix ans de recul. Expliquer aux habitants ce qu'était une commune nouvelle a été un challenge. Mais depuis, il y a eu la Covid et un incendie qui a touché 1 600 hectares. Les habitants savent maintenant ce que c'est : ils savent que la commune nouvelle permet de mutualiser les moyens et d'aider les petites - celle qui a été frappée par l'incendie ne compte que 250 habitants. C'est dans ces moments difficiles que la commune nouvelle prend tout son sens. Sans elle, il aurait été difficile de s'en sortir.

J'ai été déçu par le rapport de l'Inspection générale de l'administration (IGA), qui parle d'un bilan décevant. Avant la commune nouvelle, il y avait pourtant un dispositif, celui de la loi Marcellin : pour quel bilan ? (Sourires) La commune nouvelle a dépassé le stade de ces regroupements, même s'il est clair que nous avons besoin d'un deuxième souffle. Face aux crises financière, énergétique, écologique, que pourra faire une petite commune seule ?

J'avais réagi très vivement à l'idée de créer une obligation de référendum. Lorsque nous lançons un tel projet, nous consultons forcément la population en amont. Il faut en effet gommer les différences, expliquer que les privilégiés doivent faire des concessions. La solidarité s'exprime ensuite à l'épreuve des grands défis.

Debut de section - Permalien
Franck Lemarc, rédacteur en chef de Maire-Info

Mme Christine Blanchet, vous êtes maire de Loireauxence, en Loire-Atlantique, une commune nouvelle qui a fusionné quatre communes le 1er janvier 2016 sans associer la population. La nouvelle équipe municipale, arrivée en 2020, a fait, elle, le choix d'associer plus étroitement les habitants.

Debut de section - Permalien
Christine Blanchet, maire de Loireauxence

J'ai la chance d'être maire de la plus belle des communes de France, bordée au sud par la Loire et au nord par l'Auxence, dans l'est de la Loire-Atlantique. En 2014, j'étais maire de la plus petite commune ayant fusionné au sein d'une commune nouvelle créée très rapidement, sans projet de territoire et sans consultation des habitants. J'avais alerté sur ce manque, mais le territoire correspondait à un bassin de vie...

Dans notre programme électoral, en 2022, nous avons réaffirmé notre attachement à la démocratie participative, complémentaire de la démocratie représentative, et avons mis en place des ateliers au cours desquels les citoyens ont soulevé l'enjeu de l'identité de la commune nouvelle. Élus, nous avons mis en place un conseil de participation citoyenne et lancé l'élaboration d'un projet de territoire qui permette une vision à long terme au-delà des quatre projets communaux. La commune a été retenue dans les Petites villes de demain et dans l'appel à manifestation d'intérêt (AMI) centres-bourgs du conseil départemental, ce qui nous a permis de recruter un chef de projet.

Au début de l'année 2022, nous avons souhaité être accompagnés dans cette réflexion sur l'identité et sa traduction dans le projet de territoire avec la participation des habitants.

Nous avons d'abord bénéficié, via Bruded, un réseau d'élus en Bretagne, de l'expérience de trois communes de Bretagne, dont Jugon-les-Lacs ; nous nous sommes ainsi inspirés de son cahier des charges autour de trois grandes questions : comment entendre la majorité silencieuse parmi les habitants, mais aussi les acteurs extérieurs, les agents et les élus ? Qu'est-ce que la commune nouvelle aujourd'hui et que voulons-nous qu'elle devienne ? Quelle est la plus-value de la commune nouvelle pour vous ?

Plusieurs prestataires ont répondu et nous avons retenu Le Facteur urbain pour l'aménagement, la transformation des territoires et la concertation, et Incipit pour le marketing territorial. Nous avons lancé des temps forts de rencontre avec les habitants, des questionnaires en ligne pour ceux qui ne se seraient pas déplacés et organisé une restitution début juillet.

D'après les prestataires, nous avons atteint le seuil exploitable pour que les résultats soient représentatifs ; ceux-ci étaient très convergents. Cette démarche nous engage, car 160 habitants ont demandé à être associés à la suite. Nos 150 associations devraient nous aider à créer notre identité par des projets à venir. Nous avons créé une carte de notre commune, qui n'existait pas. Les habitants ont identifié six politiques publiques qui donneront lieu à des instances participatives. Nous avons choisi un fil rouge d'identité, le lien, que nous déclinerons sur plusieurs projets à débattre au conseil citoyen comme la création d'un slogan et d'un label.

Autre enseignement, 53 % des habitants voient une plus-value à la commune nouvelle et 47 % craignent une perte de proximité. C'est pourquoi nous avons souhaité conserver des maires délégués. Nous sommes en effet passés de 76 à 33 élus, dont seulement 5 pour la plus petite commune. Nos bourgs sont distants de 10 kilomètres. Nous appelons les maires délégués « adjoints de territoires » afin d'en faire les garants de la cohérence des politiques menées par les adjoints de pôles dans les communes déléguées.

C'est une gouvernance exigeante qui nécessite de l'huile dans les rouages. Cela se traduit par des projets de territoires qui déterminent les équipements et les services dont nous avons besoin dans chaque commune déléguée.

Les maires adjoints de territoires sont associés aux conseils communaux et je les rencontre régulièrement.

Je suis aussi vice-présidente d'une intercommunalité. N'oublions pas, lorsque nous parlons du bloc communal, que la commune nouvelle en fait partie.

Debut de section - Permalien
Franck Lemarc, rédacteur en chef de Maire-Info

La parole est maintenant à M. Cédric Haxaire, maire de Thaon-les-Vosges, commune nouvelle qui rassemble 9 100 habitants et trois communes déléguées depuis le 1er janvier 2016, et qui a organisé une consultation des habitants pour changer le nom de la commune nouvelle.

Debut de section - Permalien
Cédric Haxaire, maire de Thaon-les-Vosges

Je n'ai pas lu le rapport de l'IGA - visiblement, ce n'était pas la peine de le faire ! Je viens d'un département où la commune nouvelle n'est pas en vogue. Le président Poncelet m'avait dit, un jour : une église, un village ; un village, une église.

J'ai battu le maire qui avait mis en place la commune nouvelle sans la moindre consultation. Il n'est pas obligatoire d'organiser un référendum, mais il faut bien discuter du projet avant. Ce maire avait eu la triste idée d'appeler la commune nouvelle « Capavenir Vosges ». Quand vous déterritorialisez à ce point, cela ne peut que susciter de vives tensions. C'est sans doute, entre autres choses, ce qui m'a valu mon élection.

Nous avons la chance d'être en immédiate proximité : la commune nouvelle ne fait que 25 kilomètres carrés. À cette échelle, le rôle des maires délégués devra être questionné au prochain mandat. Si vous avez un bon périmètre, si vous n'oubliez pas les communes déléguées et que vous leur apportez de nouveaux services, les maires délégués ne sont plus indispensables.

Les résultats du référendum tenu le 8 novembre ont été surprenants : plus la commune déléguée était petite, plus les habitants étaient favorables à la commune nouvelle. Le petit village de 180 habitants a voté pour à 95 %, le village de 1 000 habitants à 85 % et la commune principale à 75 %. Les habitants ont vu les avantages du regroupement en termes de fiscalité, d'équipements, de politique d'assainissement et d'eau potable : il ne faut pas avoir peur de la population lorsqu'on conduit ce genre de projets.

Le regroupement s'est fait sur un axe est-ouest alors que la logique territoriale de notre vallée est nord-sud. Il est donc essentiel que des communes au nord et au sud de la nôtre nous rejoignent.

La DGF a diminué, car la population a elle aussi baissé C'est regrettable, car si on se regroupe, c'est qu'on est en difficulté.

Je suis confronté à un autre problème : celui de la centralité. Ma commune est jugée trop proche d'Épinal, à dix kilomètres, pour être reconnue comme bourg-centre ou bénéficier des programmes Action coeur de ville ou Petites villes de demain, alors qu'elle est un bourg-centre, puisqu'une commune nouvelle est forcément équivalente à un bassin de vie. L'État devrait soutenir le choix courageux des élus, à l'origine d'activités qui auraient été perdues sans la création de cette commune nouvelle.

Debut de section - Permalien
Franck Lemarc, rédacteur en chef de Maire-Info

Quel est le rôle des comités de proximité mis en place dans les quartiers de la commune nouvelle ?

Debut de section - Permalien
Cédric Haxaire, maire de Thaon-les-Vosges

Les conseils communaux n'étant pas pertinents à notre échelle, nous avons mis en place des comités de proximité, auxquels toute la population est conviée quatre fois par an. Ils sont animés par le maire délégué en présence du maire de la commune. On y aborde les chats écrasés et autres panneaux manquants.

Debut de section - Permalien
Franck Lemarc, rédacteur en chef de Maire-Info

Nous accueillons, en visioconférence, M. Eric Moisan, maire de Jugon-les-Lacs-Commune-Nouvelle, dans les Côtes-d'Armor, qui compte 2 500 habitants et a été créée le 1er janvier 2016 à partir de deux communes.

Parlez-nous des concertations qui ont été menées sur votre territoire. Le terme même de « commune nouvelle » figure dans le nom de la nouvelle commune, ce qui a été un sujet de discussion avec les habitants.

Debut de section - Permalien
Eric Moisan, maire de Jugon-les-Lacs-Commune Nouvelle

Nous avons créé la commune nouvelle le 1er janvier 2016. J'étais maire de la plus petite commune.

Nous avons engagé la réflexion à l'échelle de la communauté de communes, qui regroupe six communes. Très rapidement, nous nous sommes retrouvés à discuter à quatre, puis à trois, et finalement, nous n'avons créé la commune nouvelle qu'à deux. On n'est pas maire pour avoir une place mais pour réfléchir à l'avenir du territoire.

Quand on crée une commune nouvelle, les deux points à trancher dès le départ sont : qui sera le maire et quel sera le nom de la commune ?

Dans notre cas, les discussions se sont toujours bien passées entre les deux communes. La population n'a été associée que lors de deux réunions publiques, ainsi que par des communications dans le bulletin municipal.

Le choix du nom de la nouvelle commune a failli faire échouer les discussions. Les élus de Jugon-les-Lacs souhaitaient conserver ce nom mais nous, issus de la petite commune de Dolo, voulions que le nom soit modifié, même si Jugon-les-Lacs bénéficiait d'une notoriété touristique qu'il ne s'agissait pas d'effacer. À l'issue des discussions, le nom de Jugon-les-Lacs-Commune-Nouvelle a été retenu. Lors des dernières élections municipales, les électeurs m'ont choisi, moi qui ai porté haut et fort la création de la commune nouvelle. Pour autant, le nouveau nom n'est pas joli, il est long et problématique. Nous avons donc décidé de lancer une consultation dans le bulletin municipal sur le retrait des termes « Commune Nouvelle ». Sur les 2 500 habitants de la nouvelle commune, soit 1 200 foyers environ, nous avons obtenu un peu plus de 200 réponses. À 99 %, les habitants nous demandaient de retirer ce terme. Nous avons pris une délibération en ce sens ; c'est désormais au ministère de l'Intérieur de trancher.

Le choix de créer la commune nouvelle a été discuté au sein des conseils municipaux, mais nous n'avons pas organisé de référendum. Petite commune de 600 habitants, nous en rejoignions une autre de 1 800 habitants, chef-lieu de canton. Il y avait une petite appréhension, même s'il y avait déjà des coopérations. Les services techniques travaillaient déjà un peu ensemble.

Au cours de ce nouveau mandat, nous avons considéré que faire territoire ensemble ne se décrétait pas, mais se construisait. Jugon-les-Lacs est déjà issu du regroupement de trois petites communes en 1973 et il existe encore plusieurs comités des fêtes, et plusieurs localités dans l'esprit des gens. Ce n'est pas un problème en soi, mais nous voulions éviter de garder les petites différences. C'est pourquoi nous avons décidé de travailler sur l'identité de la commune, avec un cabinet, pour mettre en avant ce qui nous unit et ce que nous voulons faire savoir de nous.

Des enquêtes auprès de la population et des rencontres sur le marché ont été organisées. Il est apparu que des actions devaient être menées dans les domaines des services, du commerce, du tourisme et de la vie associative et culturelle, mais qu'il fallait également travailler sur l'identité de la commune en tant que telle. Nous avons recruté un cabinet pour définir un logo commun, réaliser la refonte totale de la signalétique, mais surtout élaborer une grille de lecture de nos actions publiques, que l'on peut transmettre aux associations et aux entreprises. Dès que l'on choisit une politique, on vérifie que les décisions correspondent à cette grille de lecture, qui met en avant l'identité de la commune que nous souhaitons défendre.

Après avoir décidé la création de cette commune nouvelle, nous avons associé bien davantage les citoyens à sa construction. Nous avons eu la chance d'être retenus par le programme Petites villes de demain, grâce auquel nous travaillons sur les commerces et services de proximité en enquêtant auprès de nos concitoyens.

Lors de la création d'une commune nouvelle, la question de l'aménagement du territoire se pose clairement. On a quatre bourgs, quatre cimetières et quatre terrains de football. Quel doit être le lien entre les bourgs ? Nous avons entamé toute une réflexion sur les mobilités douces reliant les quatre bourgs historiques.

Debut de section - Permalien
Franck Lemarc, rédacteur en chef de Maire-Info

L'association de la population peut donc être faite en amont ou en aval du projet.

Nous allons écouter un dernier témoignage, celui de M. Thomas Janvier, maire de Maen Roch, 5 000 habitants, commune nouvelle créée le 1er janvier 2017 à partir de deux communes.

Debut de section - Permalien
Thomas Janvier, maire de Maen Roch

Merci, d'abord, à Françoise Gatel, qui a accompagné le regroupement de nos communes.

J'ai la chance d'avoir été le premier maire de la commune nouvelle et d'avoir essuyé les plâtres !

Maen Roch est issue de la fusion de deux communes historiques et compte 5 100 habitants aujourd'hui. Elle est la déclinaison naturelle d'un bassin de vie et d'emploi. Avant de se lancer dans l'aventure considérable de la commune nouvelle, il faut se poser la question de la cohérence du bassin.

Dès le mois d'avril 2015, juste après le vote de la loi de M. Pélissard, la discussion a été engagée. Quelques mois plus tard, nous avons concrétisé le projet.

Nous avons fait une fusion par l'action, avec l'acquisition d'équipements communs pour les services techniques et des recrutements conjoints. Nous avons ainsi mis les agents au travail ensemble.

Les élus se sont emparés de la question de façon très participative, en constituant sept groupes de travail thématiques. Cela a permis à chacun de s'apprécier. Ce travail de plus de six mois a abouti, le 20 juin 2016, à une délibération conjointe, à l'unanimité, des deux conseils municipaux, sous la forme d'une charte de gouvernance. Celle-ci comprenait un règlement intérieur et bordait la future commune nouvelle.

Le 29 août 2016, l'arrêté préfectoral a validé la commune nouvelle, devenue pleine et entière le 1er janvier 2017.

Notre travail intense de maturation politique a permis de lever les doutes des élus.

Il est très compliqué de ne pas impliquer la population dans ce changement de nom, de périmètre et de pratiques. Nous avons la chance de bénéficier d'une expérience citoyenne précédente. Généralement, les clubs de football sont antagonistes. Chez nous, les clubs de football étaient fusionnés depuis 2001.

Dès que le processus a été lancé, nous avons consulté la population sur le nouveau nom. Nous avons laissé trois mois aux habitants pour effectuer cette maturation intellectuelle. Nous avons reçu plus d'une dizaine de propositions, pas toutes sérieuses. Les deux conseils municipaux en ont retenu trois. Le 22 avril 2016, nous avons organisé une réunion publique, à laquelle Mme Gatel était présente, réunissant les conseils municipaux et la population. La question du référendum a été posée. Nous avons choisi de ne pas en organiser, étant donné qu'il y avait accord des deux conseils municipaux à l'unanimité. Lors de cette réunion publique, nous avons présenté les trois noms et avons invité la population à participer à une consultation citoyenne de plus d'une semaine. Nous avons également recueilli l'avis des collégiens. Tout cela nous a permis de valider le nom de Maen Roch en conseil municipal.

Après cette première partie très importante est venu l'accompagnement des services et des élus. Un cabinet a diagnostiqué les risques psychosociaux au sein de l'administration. Nous voulions que les agents se sentent bien dans la commune nouvelle, car ce sont ses premiers promoteurs auprès de la population.

Il faut faire vivre la commune nouvelle au quotidien. Nous avons mis en place un comité consultatif citoyen, composé d'anciens élus et de personnes de la société civile, qui questionne les décisions de la commune.

Nous avons voulu aller plus loin que le logo, afin d'asseoir notre marque de territoire. Nous avons appuyé la nôtre sur notre label « village en poésie ». Nous avons interrogé la population pour savoir ce que cette commune nouvelle représentait. Nous avons mené un gros travail d'analyse et sommes parvenus à : « Osez un bol d'air poétique ». Nous avons tourné un film promotionnel avec la participation des habitants autour de notre nouvelle identité. C'est ce point qui est le plus difficile : l'identité doit être partagée et non capitalisée par les grosses communes.

Il est essentiel de faire vivre la commune nouvelle.

Debut de section - Permalien
Franck Lemarc, rédacteur en chef de Maire-Info

M. Michel Lafont, maire de Thue-et-Mue dans le Calvados, a une question pour Mme Christine Blanchet : les maires délégués ont-ils aussi une mission d'adjoint sur une thématique transversale ? Les indemnités des maires délégués sont-elles identiques à celles des adjoints ?

Debut de section - Permalien
Christine Blanchet, maire de Loireauxence

Les maires délégués n'ont pas de mission thématique. Lors du précédent mandat, j'étais maire déléguée de la plus petite commune et adjointe à l'éducation, à l'enfance et à la jeunesse, et à mon sens, cela ne fonctionnait pas très bien. Inconsciemment, chaque maire délégué avait tendance à privilégier sa commune déléguée dans la politique dont il était chargé. Cela dit, nos maires délégués ont des appétences particulières et viennent apporter leurs compétences. Mais leur rôle est celui d'un adjoint de territoire, garant de la remontée des besoins.

Les maires délégués, adjoints de territoire, perçoivent les mêmes indemnités que les adjoints de pôle et sont au même niveau.

Debut de section - Permalien
Franck Lemarc, rédacteur en chef de Maire-Info

Mme Aurélie Gigan, maire de Saint-Sauveur-Villages, souhaite recevoir votre cahier des charges, madame Blanchet.

M. Michel Lafont, maire de Thue-et-Mue, demande à M. Eric Moisan s'il a conservé les maires délégués.

Debut de section - Permalien
Eric Moisan, maire de Jugon-les-Lacs-Commune Nouvelle

Les statuts portent toujours mention des communes déléguées, donc des maires délégués, mais c'est purement administratif. La gestion de la commune se fait comme celle d'une commune à part entière. Aujourd'hui, nous nous posons la question de la suppression des communes déléguées.

Chez nous, il n'y a que deux communes et trois kilomètres entre les bourgs.

La notion de commune déléguée est différente s'il y a cinq ou six communes et de grandes distances entre les bourgs.

Debut de section - Permalien
Philippe Chalopin, maire de Baugé-en-Anjou

Tout est affaire de superficie. Dans le cas de deux communes peu distantes, l'existence de maires délégués complique la situation. En revanche, si le regroupement est plus important - chez moi, il y a quinze communes déléguées sur 26 000 hectares -, le maire délégué est le relais local.

À terme, se posera la question du seuil. Nous avons ainsi un maire délégué pour 52 habitants, issus de la plus petite commune. Avec une telle population, il est compliqué de faire vivre le conseil communal, qui est en fait un conseil de quartier regroupant des élus, des habitants et des représentants d'associations. En revanche, cela a du sens quand il y a mille habitants, à 7 ou 8 kilomètres de la commune centre.

L'enveloppe des indemnités des maires délégués est distincte de celle des adjoints. Quand le nombre d'adjoints est limité, disposer de maires délégués peut être un moyen de trouver un équilibre.

La question de l'efficacité se pose parfois.

Chez nous, un maire délégué est nécessairement président d'une commission thématique, afin de ne pas raisonner uniquement en fonction de sa commune déléguée et de son territoire.

Debut de section - Permalien
Olivier de Cohinout, maire de Sainte-Marguerite-sur-Mer

Ma commune, en Seine-Maritime, est à la fois rurale et littorale. Se pose la question de l'identité des villages qui constituent la commune nouvelle. Quel est l'intérêt de créer des maires délégués ? Ce qui est important pour les habitants, c'est surtout le nom du village. L'organisation administrative, c'est autre chose.

Debut de section - Permalien
Jean-Marc Vasse, maire de Terres-de-Caux

Le mot de « village » a été prononcé. Il est important de réaffirmer la distinction entre la commune déléguée, qui est un machin technocratique, et le village, qui est une communauté faite de chair et de pierres. Je suis maire d'une commune nouvelle composée de sept communes déléguées, au sein de laquelle nous parlons de conseil de village et de conseil de bourg. Nous avons maintenu les maires délégués, car nous pensons que l'identification d'une personne dans le village est essentielle pour les habitants. Par ailleurs, chaque maire délégué a une fonction transverse au sein de la commune nouvelle.

Le président Larcher, en Seine-Maritime, nous avait dit qu'il faudrait vingt-cinq ans. Nous devons donc accompagner cette transition pour que génération après génération, chacun s'habitue à la nouvelle institution qu'est la commune nouvelle, sans oublier son village de coeur.

Il faut effectivement associer les plus jeunes, car ce sont eux, dans les équipes de football et les écoles, qui feront cette identité commune.

Debut de section - PermalienPhoto de Françoise Gatel

À deux reprises, nous avons entendu les mots de « services » et de « collaborateurs ». Il faut associer la population, mais aussi les services, au sein desquels il y a parfois des peurs. Je pense à l'échec d'une commune nouvelle, simplement parce qu'une directrice générale des services avait peur de ce qu'elle allait devenir.

Il faut entretenir l'amitié et s'apprivoiser. Ce n'est pas parce que la commune nouvelle est créée que la famille est très unie. C'est comme une famille recomposée. Chacun a son histoire, mais il faut aussi construire un chemin commun. Il faut veiller à tisser un lien qui dépasse l'addition d'identités particulières.

Je salue tout particulièrement les élus du pays de Fougères, territoire de granit, dont l'identité est extrêmement forte. La question du nom peut faire capoter la commune nouvelle. Certains élus commencent par se mettre d'accord sur le nom ; d'autres laissent d'abord mûrir avant de parler du nom. Dans ma commune, nous avions choisi le deuxième scénario.

Inventer un nouveau nom neutre, afin de ne faire prévaloir aucune commune, fait courir le risque de perdre son identité. Dans le pays de Fougères, vous avez su trouver un nom qui a du sens.

Debut de section - Permalien
Nicolas Chéré, maire délégué de Saint-Martin-du-Bois

Maire délégué de Saint-Martin-du-Bois, au sein de la commune de Segré-en-Anjou-Bleu, dans le Maine-et-Loire, je voudrais réaffirmer la position du maire délégué, même si le terme n'est pas forcément adéquat. Pour la population, c'est un sous-maire, dont le rôle n'est pas toujours bien compris, alors qu'il est très important.

Debut de section - Permalien
Philippe Chalopin, maire de Baugé-en-Anjou

Le manque de statut de maire délégué pose problème. Il en faut un.

Debut de section - Permalien
Paul Carrère, maire de Morcenx-la-Nouvelle

Ces échanges ont été très intéressants, comme à chaque fois que nous réunissons les maires des communes nouvelles.

Ce matin, nous avons eu l'illustration qu'il y a autant de façons de faire que de communes nouvelles créées. Chacun, dans un contexte particulier, a besoin de travailler et de faire valider son projet.

Ce qui est important, c'est de créer et d'animer. Certains l'ont fait au forceps, d'autres en prenant le temps de créer un projet de territoire. Il ne faut surtout pas déconnecter ce projet de la réalité des citoyens. Leur part est très importante dans la construction, l'identité et la vie de la commune nouvelle.

Dans les Landes, les communes nouvelles n'ont pas encore fait sensation. Mais les deux communes nouvelles du département montrent l'intérêt de la chose, dans un contexte compliqué. Ainsi, nous montrons que les petits villages qui composent nos communes nouvelles ont toute leur part dans les décisions et bénéficient de l'apport de la commune centre.

Il faut travailler le projet de territoire et que chacun s'approprie le nouveau nom sans frustrer les villages originels.

Les maires délégués jouent un rôle dans l'acceptation par les villages. Dans notre commune nouvelle, nous avons la chance qu'ils ne se sentent pas dévalorisés. Les villageois y sont attachés.

Ensuite, il faut trouver sa place dans l'intercommunalité. Chez nous, elle regroupe six communes. Les plus petits villages qui s'agrègent peuvent voir que leur parole est entendue différemment. C'est une réelle valeur ajoutée.

Certains interlocuteurs ont parlé de périodes compliquées, comme les incendies. Les habitants voient très vite qu'en période difficile, la commune nouvelle est un véritable atout.

Nous n'avons pas organisé de référendum, mais lors des élections municipales, la population a largement validé le projet de commune nouvelle. Plus de 72 % des électeurs ont voté dès le premier tour pour la liste le défendant. La population, que nous avions intégrée dans le projet deux ans avant sa signature, s'y est totalement associée. Nous avons fondé notre commune nouvelle sur le regroupement pédagogique et sur la création d'une réserve nationale naturelle, donc de beaux et grands projets appréciés par la population.

Imposer de façon arithmétique et cadencée la création de communes nouvelles ne portera pas ses fruits. Mais nous, élus locaux, devons prendre notre bâton de pèlerin et expliquer les bénéfices de la commune nouvelle à nos collègues.

QUEL NOUVEL ÉLAN POUR LES COMMUNES NOUVELLES ?

Debut de section - Permalien
Franck Lemarc, rédacteur en chef de Maire-Info

Nous passons à la deuxième partie de notre réunion : « Quel nouvel élan pour les communes nouvelles ? »

Monsieur Jacques Pélissard, vous êtes président d'honneur de l'AMF, ancien président de l'association, et avez défendu, avec Mme Christine Pirès-Beaune, la loi de 2015 qui a favorisé l'explosion du nombre de communes nouvelles. Parlez-nous de cette initiative et donnez-nous votre vision de l'avenir des communes nouvelles.

Debut de section - Permalien
Jacques Pélissard, président d'honneur de l'Association des maires de France

Ma présence ici me rajeunit fortement. Je vois des visages amis, dont celui de Françoise Gatel, qui était vice-présidente de l'AMF en 2013, l'année de gestation des communes nouvelles. À l'époque, j'avais constaté que beaucoup de maires sentaient une désaffection pour la chose communale. En 2014, 60 communes n'ont pas eu le moindre candidat au premier tour des élections municipales. Le déficit démocratique est réel. D'ailleurs, la tendance s'est poursuivie. En 2020, 52 % des communes ont eu autant de candidats que de postes à pourvoir, donc aucune concurrence ni émulation.

Il y avait aussi un déficit financier. La loi de programmation des finances publiques pour 2012-2017 prévoyait une baisse des dotations de 11 milliards d'euros, qui était progressive, mais définitive.

Il y avait un troisième déficit, juridique, avec une imbrication très forte entre les compétences communales et les compétences communautaires pouvant créer un imbroglio. Face à cela, il existait un outil issu de la loi de réforme des collectivités territoriales (RCT) : la commune nouvelle. Mais cet outil était inabouti sur les plans financier et juridique.

J'ai rencontré les ministres de l'époque, Mmes Lebranchu et Escoffier, qui m'ont écouté. Dès la loi de finances pour 2014, nous avons réussi à voter la stabilité de la DGF pour les communes nouvelles. Après la loi du 16 mars 2015, elles ont même connu une hausse de 5 % de la DGF. Mais il fallait aller au-delà sur les plans juridique et institutionnel. Il me paraissait important que les communes historiques restent des lieux de proximité, d'identité et de solidarité.

Nous nous sommes mis à l'oeuvre pour définir la commune nouvelle. Avant le congrès des maires de France de 2013, on me demandait de ne pas en parler, jugeant le sujet casse-gueule. En conscience, j'ai décidé d'en parler. Au lieu des sifflets, j'ai reçu des applaudissements. Avec l'AMF, nous nous sommes lancés dans une épopée parlementaire fabuleuse et rapide. J'ai déposé la proposition de loi au début de l'année 2014. Le Gouvernement a déclaré la procédure d'urgence, c'est-à-dire une seule lecture à l'Assemblée nationale et au Sénat. Le vote a été unanime en raison du consensus politique et la loi a été promulguée le 16 mars 2015. Il a ensuite fallu la faire vivre. Je remercie tous ceux qui s'en sont fait les porte-parole.

Cette loi préserve l'identité des communes, mais regroupe leurs moyens financiers, humains, techniques, ce qui est une source de vitalité extrêmement importante.

Quelque 767 communes nouvelles ont été créées entre 2016 et 2018, contre seulement 20 communes nouvelles première génération, issues de la loi de décembre 2010. Depuis 2019, nous connaissons une période de pause, puisqu'aucune création de commune nouvelle n'est possible dans l'année précédant les élections municipales. En outre, nous avons ensuite connu la Covid et une année post-électorale.

Des propositions seront formulées tout à l'heure par le professeur Aubelle, spécialiste des communes nouvelles, pour favoriser un rebond des créations.

L'inspection générale de l'administration vient de publier un rapport et de formuler des propositions, dont un schéma départemental des communes nouvelles, document d'orientation territoriale. C'est aux antipodes de notre idée de liberté : liberté de décider de créer une commune nouvelle, liberté de choix du territoire, liberté de seuil. Notre loi ne prévoit pas de seuil ni de schéma prescriptif. La décision, ce sont les maires qui la prennent. Tous les intervenants de la table ronde précédente ont montré la diversité des organisations, adaptées aux territoires. Ce sont les maires qui connaissent les territoires, qui ont l'intelligence des situations et qui peuvent décider de la réorganisation territoriale, grâce à l'outil de la commune nouvelle.

Chers collègues, vous avez été des novateurs, des pionniers, en menant à bien votre expérimentation. Soyez des ambassadeurs convaincus des communes nouvelles, soyez des avocats raisonnés mais passionnés. Merci ! (Applaudissements)

Debut de section - Permalien
Vincent Aubelle, École d'urbanisme de Paris, université Gustave-Eiffel

professeur des universités associé, École d'urbanisme de Paris, université Gustave-Eiffel. - Je commencerai mon propos en évoquant un peuple d'Amazonie, les Achuar, avec lesquels vivaient deux ethnologues. Un matin, alors que l'un des deux scientifiques s'étonnait de ne pas avoir été informé de leurs activités, le second lui répliqua que son incompréhension s'expliquait par son esprit de symétrisation, qui le conduisait à utiliser des catégories mentales inadaptées à la situation.

Il en va de même pour les communes nouvelles, qui ne sont pas des stocks, des chiffres, mais bien des singularités. Celles-ci sont avant tout une affaire de chair, d'intime et de vivant. Il faut adopter cette perspective pour les comprendre. Je remercie l'AMF de m'offrir l'occasion de vous présenter ce panorama, composé de deux parties.

La première partie constitue un bilan quantitatif des communes nouvelles. Elle porte également sur une analyse de leur répartition géographique, principalement concentrée à l'ouest du pays, pour des raisons culturelles.

La seconde partie recense un ensemble de quatorze propositions partant du terrain et couvrant une grande variété de sujets. Trois thèmes majeurs apparaissent dans ces propositions.

Premièrement, les communes nouvelles sont avant tout le résultat d'un acte de liberté. Il est inutile d'inventer des commissions pour les imposer, puisqu'elles reposent sur la volonté des élus. Certes, lors de leur création, la majorité des communes nouvelles ne comporte que deux communes. Mais celles-ci évoluent au fil du temps. Parfois, certaines d'entre elles créent une nouvelle entité avec une commune indépendante : j'ai relevé quarante exemples de ce type. Là encore, la liberté des élus est au coeur du processus d'évolution. Même si les communes nouvelles ne représentent que 4,5 % du total des communes, elles sont la concrétisation d'un véritable esprit de décentralisation.

Un peu plus tôt dans la matinée, le président Larcher a évoqué la nécessité d'une nouvelle loi. Pour ma part, je considère que l'État doit se contenter de fixer des bornes, il ne doit pas vouloir tout imposer. Nous devons adopter cette perspective pour renforcer la décentralisation et assumer une différenciation qui ne se résume pas à un droit des exceptions. En 1907, l'AMF avait pour objectif de défendre les libertés locales. En 2022, j'estime que l'AMF doit mener le combat pour étendre ces libertés.

Deuxièmement, la question de l'intercommunalité. Il est impossible de faire entrer des volumes différents dans un contenant identique. Il en va de même pour les structures intercommunales, nécessaires pour dépasser certaines limites des communes. Or avoir réduit l'intercommunalité aux seuls établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) constitue le problème de fond : les communes nouvelles sont les intercommunalités parfaites, puisque tout y est mis en commun. Les périmètres actuels des EPCI sont soit trop vastes pour disposer de réactivité soit trop restreints pour aborder des problèmes tels que le changement climatique. D'où cette proposition : à chaque création de communes nouvelles, il faut mettre en place le régime de l'intercommunalité nouvelle, c'est-à-dire revenir à la base de l'intercommunalité en lui confiant les politiques structurantes, tandis que le reste de l'action publique doit relever de l'échelon communal. Cela dit, les communes peuvent toujours choisir d'adhérer à un EPCI ou de former une commune nouvelle.

Troisièmement, la question des finances. Pierre Bourdieu disait : « quand le monde va pour soi, il va de soi. » Ce qui apparaît comme naturel ne satisfait que ceux à qui cela convient d'établir cette naturalité. L'État se satisfait du système actuel des finances locales, ce qui n'est pas le cas des communes nouvelles. Nous sommes confrontés à deux problèmes. Le régime actuel entraîne des pertes de financement pour les communes nouvelles quelques années après leur création. Dans ces conditions, il est impossible d'envisager un deuxième souffle. A minima, les communes nouvelles doivent avoir la garantie que leurs dotations ne diminueront pas. Par ailleurs, l'État doit construire une vision des dotations attribuées aux communes nouvelles. Certaines d'entre elles bénéficient de la dotation de solidarité urbaine (DSU) alors qu'elles ne comptent que quelques milliers d'habitants. Les dotations des communes nouvelles existantes doivent être maintenues. Le calcul de la dotation pour les projets de communes nouvelles doit se fonder non pas sur la population totale, mais sur la somme des dotations de chaque commune déléguée.

Pour conclure, je citerai une chanson de 1999 dont les premiers mots étaient : « pour me comprendre, il faudrait savoir qui je suis ; pour me comprendre, il faudrait comprendre ma vie, et pour l'apprendre devenir mon ami. ». Cela s'applique parfaitement aux relations entre l'État et les communes nouvelles !

Debut de section - Permalien
Joël Balandraud, maire d'Évron

Les communes nouvelles représentent un enjeu majeur, notamment dans leurs relations avec les intercommunalités.

Nous avons fusionné notre intercommunalité en 2013 au profit de la communauté de communes des Coëvrons. Les anciennes intercommunalités souhaitaient conserver leurs compétences, ce qui n'était pas possible. Certains avaient émis l'idée de créer quatre communes nouvelles pour les représenter au sein de l'intercommunalité ; ce projet a été abandonné pour des raisons politiques. Pourtant, cela aurait été utile, car la nouvelle intercommunalité ne veut pas assumer certains équipements de loisirs : par conséquent, ceux-ci sont rétrocédés aux communes, qui ne peuvent en assumer la charge.

Ma commune compte 8 800 habitants. Je ne souhaite pas qu'elle franchisse le cap de 10 000 habitants, car les dotations de l'État diminueraient d'un million d'euros après trois ans.

Comment les élus locaux veulent-ils exercer leurs compétences communales ? Se pose alors la question de la taille critique, surtout si les communes sont noyées dans de grandes intercommunalités dans lesquelles leurs élus n'exercent plus aucune responsabilité.

Les dotations des communes nouvelles doivent être maintenues, car les charges de centralité et les charges fixes restent les mêmes.

Par ailleurs, de nombreuses micro-dotations, telles que les fonds de péréquation ou les amendes de police, sont toujours affectées non pas à la commune nouvelle, mais commune déléguée par commune déléguée. Il est regrettable que la solidarité dont font preuve les membres des communes nouvelles ne soit pas récompensée.

Debut de section - Permalien
Laurence Perez, maire de Saint-Jean-de-Galaure

La commune nouvelle dont je suis maire est très récente, puisqu'elle ne compte que neuf mois d'existence. Quelque six ans de travail ont été nécessaires pour aboutir à cette belle réussite. Les services de l'État ne nous ont pas accompagnés dans cette aventure. Nous ne disposons que de l'aide de nos secrétaires de mairie, et nous n'avons pas les moyens de recourir à des bureaux d'études.

Ce projet était passionnant : nous voulions faire ensemble ce que nous n'aurions pas pu faire seuls. Toutefois, le choix du nom de la commune nouvelle, à la fin du processus, a représenté le moment le plus complexe. Nous ne voulions ni accoler les noms de nos deux communes ni privilégier le nom de la commune la plus grande. Les habitants ont tous reçu un questionnaire et un sondage. Malgré ces efforts, nous avons dû affronter une pétition. Aujourd'hui, la vie des deux villages subsiste et les habitants sont heureux de pouvoir accéder à des équipements tels que le gymnase.

La partie administrative de la création de la commune nouvelle a suscité de nombreuses difficultés, notamment dans la rédaction des délibérations ou des avenants aux marchés publics.

J'ai récemment acheté un nouveau véhicule. À cette occasion, j'ai reçu deux courriers officiels à mon domicile avec les noms des anciens villages. Les sites de commerce en ligne s'adaptent plus vite aux changements que les services de l'État !

Je tiens à remercier Julie Roussel, conseillère technique à l'AMF, pour l'aide précieuse qu'elle nous a apportée.

Debut de section - Permalien
Jean-Jacques Dumas, maire de Saint-Ybard

Dès 2015, nous avons tenté de créer une commune nouvelle rassemblant 1 400 habitants. La démarche s'est soldée par un échec, car l'un des maires s'est retiré. Nous essayons de relancer le processus : je reste un ambassadeur convaincu et passionné des communes nouvelles. Je remercie Jacques Pélissard, promoteur de la loi de 2015 : il est parvenu à concilier une commune plus adaptée à nos temps, tout en ne rayant pas l'histoire d'un trait de plume.

Le maire délégué joue un rôle important dans les territoires ruraux, car les habitants sont attachés à la commune historique.

Avec une loi aussi prometteuse, je suis étonné qu'il n'y ait pas eu davantage de constitutions de communes nouvelles. Dans les territoires hyper-ruraux, peu de communes nouvelles ont été créées. Pourtant, celles-ci sont les seules à pouvoir assurer la survie de la commune dans les départements de la diagonale du vide. La Corrèze compte 100 communes de moins de 200 habitants et une trentaine de communes de moins de 100 habitants. Comment peuvent-elles survivre sans école et sans commerce ? Il est aujourd'hui très difficile de trouver des candidats aux fonctions de maire et de conseiller municipal. Les communes nouvelles sont indispensables dans les territoires comme le mien.

Je souscris à l'analyse défendue plus tôt : il est impossible d'obliger les élus à constituer des communes nouvelles. Favorisons plutôt les incitations. Les préfets n'ont mené aucune action pour pousser les maires à en créer : le Gouvernement n'ayant donné aucune instruction à ce sujet, il est prudent de ne pas s'occuper de ce dossier, estiment-ils. Or le rôle incitatif des services de l'État est primordial.

J'en viens à un point de détail, qui a malgré tout son importance : les maires délégués devraient être en tête du tableau et recevoir une écharpe spécifique.

Le Gouvernement ne peut pas se contenter de dire qu'il s'est pris de passion pour les territoires ruraux. Les paroles doivent se traduire en actes, notamment financiers. Les dotations pourraient être majorées pendant un certain temps pour les communes se lançant dans l'aventure.

Je le répète : les communes nouvelles sont indispensables aux territoires ruraux. Sans elles, c'est l'existence même de la commune comme lien social et de proximité qui est menacée.

Debut de section - Permalien
Lionel Bouniol, maire de Bourgs-sur-Colagne

Dans mon territoire, l'aventure de la commune nouvelle a démarré en 1974. La naissance de la commune nouvelle de Bourgs-sur-Colagne en 2016 constitue la dernière étape de ce cheminement.

Les communes nouvelles sont les bons élèves de l'intercommunalité. Or les subventions de l'État diminuent après trois ans. Pourquoi une telle attitude ?

Je suis un fervent défenseur de la nature. Toutefois, la démarche zéro artificialisation nette pose de nombreux problèmes.

En 2021, notre commune disposait d'une marge brute de 35 %. En 2023, nous rencontrerons des difficultés pour payer notre facture d'électricité qui s'élèvera à 2 millions d'euros, contre 100 000 euros auparavant.

Debut de section - PermalienPhoto de Agnès Canayer

Pour que les communes nouvelles retrouvent un second souffle - ou plutôt un bon vent, en tant qu'élue d'une commune littorale -, l'État doit s'impliquer fortement. Demain sera publié le rapport À la recherche de l'État dans les territoires, que j'ai rédigé avec Éric Kerrouche. Nous avons constaté que l'accompagnement de l'État était en dents de scie.

Mesdames, messieurs les maires, quelles institutions vous ont aidé dans la création des communes nouvelles ?

Debut de section - Permalien
Philippe Chalopin, maire de Baugé-en-Anjou

La création des communes nouvelles ne fonctionne pas sans accompagnement de l'État.

Debut de section - Permalien
Thomas Janvier, maire de Maen Roch

Nous sommes peut-être un contre-exemple, mais les services de l'État nous ont largement accompagnés dans notre démarche. La préfecture de la région Bretagne et la sous-préfecture de l'arrondissement de Fougères-Vitré ont été exemplaires. Leur expertise offre des garanties juridiques et administratives, et nous a aussi rassurés.

Debut de section - Permalien
Christine Blanchet, maire de Loireauxence

L'État nous a peu aidés dans le processus de création de la commune nouvelle.

Nous n'avons pas anticipé les effets de seuil : je pense à la création d'une aire d'accueil pour les gens du voyage. Les habitants retiennent ce type de problème. Nos commerces ont également perdu certaines recettes.

Debut de section - Permalien
Pascal Pecchioli, maire de Perche-en-Nocé

Ma question porte sur la « défusion » de communes. Deux communes souhaitant se marier doivent avoir des limites contiguës. Si ce n'est pas le cas, elles doivent pouvoir alors absorber une partie du territoire de la commune nouvelle : il est alors nécessaire d'entamer un processus de « défusion », géré par une commission présidée par le préfet. Or il me semble qu'il ne revient pas au préfet de se substituer à la libre administration de la commune : le législateur devrait intervenir.

Debut de section - PermalienPhoto de Françoise Gatel

L'exemple que vous citez concerne des situations très particulières. Le principe de la commune nouvelle n'inclut pas la possibilité de divorcer. Les rares cas de « défusion », ou d'annulation de la création de la commune nouvelle, interviennent essentiellement en cas de vices de forme et de procédure. Nous devons étudier cette question plus en profondeur.

Debut de section - Permalien
Gérard Daboudet, maire du Mené

Notre dotation globale de fonctionnement diminue de 20 000 euros chaque année. Dois-je me préparer à de nouvelles baisses de dotations ?

Debut de section - PermalienPhoto de Françoise Gatel

Les effets collatéraux de la création d'une commune nouvelle sont indéniables. Vous devez nous aider à résoudre ces problèmes en sensibilisant tous les parlementaires de votre département sur cette question. La création d'une commune nouvelle entraîne des effets de seuil, qui se traduisent par une baisse des dotations.

La période actuelle se caractérise par une raréfaction des aides de l'État. A minima, nous devons essayer d'obtenir que la création d'une commune nouvelle n'entraîne pas de diminution des dotations.

Les communes sont l'âme de notre pays. Sans moyens financiers, elles mourront. Unissons nos efforts pour défendre le principe de l'équilibre territorial.

Debut de section - Permalien
Vincent Aubelle, École d'urbanisme de Paris, université Gustave-Eiffel

Le rôle de la commune déléguée est central : sans commune déléguée, il s'agit non pas de la création d'une commune nouvelle, mais bien d'une fusion de communes.

La délégation aux collectivités territoriales pourrait-elle se saisir de cette question et formuler des propositions ?

Debut de section - PermalienPhoto de Françoise Gatel

Généralement, la délégation est proactive, comme l'AMF d'ailleurs. Nous aborderons cette question lors d'une prochaine réunion.

Soyons clairs : l'État ne bousculera pas des situations au risque de s'attirer des problèmes.

Jean-Marc Vasse. - La commune nouvelle n'a pas été conçue comme un outil de l'intercommunalité. Toutefois, les questions d'échelle et de capacité à assumer des compétences dans un territoire donné se posent à chaque fois qu'une commune nouvelle est créée. À cet égard, les intervenants ont affirmé l'indépendance et la liberté des élus de choisir le bon outil pour répondre aux missions que nous confie la loi. Les EPCI ont parfois des difficultés à assurer un service de proximité : c'est alors que l'échelon communal prend tout son sens. Comment envisager l'avenir des communes nouvelles face à ces nouveaux défis ?

La question de la survie des communes est essentielle. Dès lors que les candidatures aux postes d'élus ne suscitent plus d'intérêt, la commune n'existe plus. Il est inutile de vouloir fossiliser des situations : essayons de remettre en mouvement l'échelon communal. C'est ce que font les élus qui s'investissent au sein des communes nouvelles : leur action permet de réécrire l'avenir d'un territoire en perdition.

Ni l'État ni le conseil départemental ne devraient jouer un rôle dans les affaires d'un territoire. J'estime que le périmètre intercommunal est le seul endroit où l'on peut encore travailler ensemble au quotidien, sans avoir besoin de schémas. Comment donner aux intercommunalités les moyens de mieux fonctionner pour non seulement répondre aux grands enjeux de notre temps, mais aussi pour assurer efficacement les compétences de proximité que bon nombre de communes ne sont plus en capacité d'assurer ? Dans mon département, quatre communes ont décidé de créer une école, via un syndicat intercommunal à vocation multiple (Sivom). Lors de l'inauguration, le sous-préfet a suggéré aux maires d'aller plus loin et de créer une commune nouvelle. Nous verrons si la graine germera.

Nous devons lutter contre les nombreux effets collatéraux constatés lors de la création d'une commune nouvelle. Nous devons peser dans le débat parlementaire. La commune nouvelle n'est pas une commune ordinaire : maintenons sa singularité.

Il serait intéressant de comprendre les réticences des communes qui n'ont finalement pas rejoint le processus de création d'une commune nouvelle.

Debut de section - Permalien
Philippe Chalopin, maire de Baugé-en-Anjou

Je retiens le titre de notre rencontre : un nouveau souffle pour les communes nouvelles. Depuis 2012, nous avons franchi beaucoup d'obstacles. En Anjou, les services de l'État nous ont aidés : je n'ose imaginer quelle aurait été notre situation sans leur concours.

La loi Marcellin, adoptée sur l'initiative de l'État, n'a pas fonctionné. Les communes nouvelles, promues par les élus locaux, devraient être soutenues par l'État. En tout état de cause, il est impensable qu'une commune nouvelle perde des dotations quelques années après sa création.

Les communes nouvelles sont un bel exemple de décentralisation. Certes, tout n'est pas parfait, mais il me semble que l'on décourage les élus souhaitant s'engager.

Je suis persuadé que des communes n'existeront plus dans certains territoires ruraux, mais aussi urbains. Les intercommunalités constituent un très bel outil ; toutefois, elles ne peuvent pas tout gérer.

Debut de section - PermalienPhoto de Françoise Gatel

Je remercie toute l'équipe de l'AMF ayant participé à l'organisation de cette rencontre. Je suis très heureuse de la symbiose existant entre le Sénat et l'AMF en vue de transformer notre pays dans un seul but : promouvoir la confiance, assurer la paix sociale et faire en sorte qu'un drapeau incarnant la République flotte dans tous les territoires.

Le temps nous donne raison. Certes, conduire ce type de projet suppose de faire preuve d'audace, de subir des migraines et d'essuyer des critiques. Il y va pourtant du coeur de la République et de la pérennité des communes : la commune nouvelle est le signe d'une soif de survie, ce qui est positif. Bien sûr, l'État doit nous accompagner pour trouver des solutions. Le Président de la République s'est engagé à dialoguer régulièrement avec l'AMF : glissez-lui ce message lors d'une prochaine rencontre.

Nous sommes un club d'apôtres sur ces questions. Nous devons agir ensemble pour faire bouger les lignes et faire part de votre réussite. Lamartine disait : « Je lis dans l'avenir la raison du présent. » Votre souhait de donner un avenir à votre commune vous a permis de surmonter les difficultés. Allons-y !

La réunion est close à 13 h 05.