La commission procède à l'audition de M. Jean-Philippe Vachia, président de la 4ème chambre de la Cour des comptes, sur le rapport public thématique de la Cour des comptes relatif aux finances publiques locales.
Nous recevons aujourd'hui Jean-Philippe Vachia, président de la quatrième chambre de la Cour des comptes, accompagné de Claude Lion, conseiller référendaire.
C'est un grand honneur pour moi de venir vous présenter ce premier rapport annuel thématique sur les finances locales. L'intérêt de la Cour des comptes pour ces questions n'est pas nouveau. Nous anticipons, avec ce travail, sur une obligation qui s'imposera sans doute bientôt à nous, si j'en crois le projet de loi de décentralisation en cours de discussion.
Pour élaborer ce rapport, nous avons conjugué le national et le local : enquêtes auprès d'administrations centrales et d'associations d'élus, exploitation de la base des 160 000 comptes locaux et des travaux des chambres régionales des comptes (CRC) portant sur 118 collectivités, auxquels s'ajoute une enquête sur des thèmes d'actualité auprès de 70 autres.
Nos appréciations s'inscrivent dans une approche globale des finances publiques, qui sont trop interdépendantes pour que nous puissions apprécier l'évolution des finances locales de façon autonome. Le déficit au sens de Maastricht imputable aux collectivités territoriales est modéré, 3 %, et leur contribution à l'endettement public, de 10 % seulement. Ces éléments doivent être replacés dans le cadre de flux financiers importants entre elles et l'État. Le transfert de recettes aux collectivités affecte nécessairement - toutes choses étant égales par ailleurs - le solde budgétaire de l'État et l'endettement public. Enfin, les contribuables aux impôts locaux et nationaux sont les mêmes.
Les engagements européens de la France, pacte de stabilité et de croissance et traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG), ainsi que la loi organique de 2012 relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques prise en application de ce traité, englobent bien les administrations publiques locales.
La loi de programmation des finances publiques pour 2012-2017 prévoyait pour les collectivités territoriales une augmentation annuelle moyenne des dépenses de 0,7 % en volume entre 2014 et 2017 et le pacte de stabilité et de croissance, prévoit même une croissance plus limitée entre 2015 et 2017 (0,5 % en volume).
Or en 2012 la réalité est en décalage par rapport à cette trajectoire dès la première année, avec une augmentation d'un peu plus de 1 % en volume. On peut faire les mêmes constats s'agissant de la masse salariale.
Cela met en évidence l'insuffisance des outils de gouvernance des finances publiques locales et la nécessité de poser des règles plus contraignantes d'évolution des recettes et des dépenses. Une instance nationale (il en est prévu une dans le projet de loi) pourrait former un cadre permanent pour associer les collectivités territoriales aux mesures de redressement. Il est nécessaire de préciser les règles d'encadrement du solde, dans un pacte de gouvernance des finances locales inscrit dans la durée. L'État doit être en mesure de garantir le respect de ses engagements européens et de la trajectoire nationale des finances publiques.
Les collectivités ont vocation à participer au redressement des comptes publics. Ce n'est pas une affirmation ex cathedra de la Cour, c'est la traduction logique de la loi de programmation des finances publiques et des engagements européens. Il s'agit moins d'une question de solde que de maîtrise des dépenses, surtout de fonctionnement. En 2012 comme en 2011, celles-ci ont augmenté plus vite que les recettes de fonctionnement, réduisant l'épargne brute. Les prélèvements obligatoires sont déjà élevés, les concours financiers de l'État ont une limite : le seul remède aujourd'hui est la maîtrise des dépenses de fonctionnement.
Elles progressent car il faut satisfaire une demande de services. Elles augmentent également sous l'effet de facteurs exogènes, tels que le poids des normes ou les transferts implicites de charges ; quoi qu'il en soit, elles font peser le risque d'un fort déséquilibre à long terme, il importe donc d'identifier des marges de manoeuvre, sans en rabattre sur la qualité du service.
La masse salariale représente 35 % des charges de fonctionnement des collectivités, 52 % dans les communes. La Cour évalue à 40 % la part de l'augmentation imputable à des décisions nationales, telles que l'augmentation du Smic ou la création d'emplois d'avenir. Le reste dépend des décisions des collectivités. Sur la base des derniers chiffres connus, les effectifs ont cessé d'augmenter depuis 2010 - mais ces données sont approximatives dans la mesure où elles sont publiées par l'administration avec un décalage de deux ans - mais la masse salariale continue de progresser. Des marges de manoeuvre sont à rechercher dans le temps de travail - pas toujours à son maximum - le régime indemnitaire, le rythme d'avancement d'échelons ou de grades et l'organisation au sein du bloc communal, où l'on constate des taux d'administration très disparates. Par exemple, si les communes avaient maintenu leur masse salariale au niveau de 2011, elles auraient fait une économie de 850 millions d'euros.
La mutualisation au sein du bloc communal peut aussi être une source d'économies, si le transfert de services à l'établissement public de coopération intercommunale (EPCI) s'accompagne de la mutualisation des services fonctionnels. Nous n'avons pas pu percevoir un ralentissement de l'augmentation des dépenses qui lui soit imputable. Il faut donc aller plus loin. En application de la loi dite RCT et relative aux relations avec les collectivités territoriales votée en 2010, le président de l'EPCI, à partir de 2015, sera amené à établir un rapport sur les mutualisations de services entre le groupement et les communes membres qui comportera un schéma prévisionnel de mutualisation prévoyant l'impact prévisionnel de celles-ci sur les effectifs. La cour recommande également une évaluation ex port, ce qui exige une comptabilité consolidée des communes membres.
Ce schéma ne saurait être qu'une simple agrégation de données, qui n'aura rien de prescriptif ; sinon, il contredirait le principe de libre administration des collectivités territoriales.
Le texte est formulé au présent de l'indicatif...
Nous avons choisi, dans ce premier rapport, de nous pencher sur les dépenses de personnel. Toutefois il existe d'autres pistes d'économies...
Les mécanismes de solidarité entre collectivités doivent être renforcés. La péréquation verticale étant sous contrainte, la seule solution possible réside dans une péréquation horizontale, y compris entre catégories de collectivités. La réforme de 2010 remplaçant la taxe professionnelle par une autre fiscalité économique a engendré de grandes différences en termes de pouvoir fiscal : le bloc communal a conservé des marges de manoeuvre, le département et la région n'en ont plus guère. Nous n'avons pas encore atteint la stabilité fiscale. À terme, des difficultés apparaîtront chez les perdants de la réforme.
La Cour prend en considération les efforts des collectivités pour financer des services de proximité, contribuer au développement économique local, investir dans les infrastructures, mettre en oeuvre des politiques sociales et d'une manière générale exercer la plénitude de leurs compétences. Mais le nouvel acte de la décentralisation doit prendre en compte explicitement l'objectif de rationalisation et d'efficience. La clarification des compétences et la coordination des acteurs est une condition essentielle de l'assainissement des finances publiques. Une meilleure maîtrise des charges de fonctionnement, une meilleure qualité de l'information financière sont indispensables. Le rapport a une vocation pédagogique : éclairer les débats à venir.
La disposition de la loi de 2010 évoquée tout à l'heure figure à l'article L5211-39-1 du code général des collectivités territoriales (CGCT) : « Afin d'assurer une meilleure organisation des services, dans l'année qui suit chaque renouvellement général des conseils municipaux, le président de l'établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre établit un rapport relatif aux mutualisations de services entre les services de l'établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre et ceux des communes membres. Ce rapport comporte un projet de schéma de mutualisation des services à mettre en oeuvre pendant la durée du mandat. Le projet de schéma prévoit notamment l'impact prévisionnel de la mutualisation sur les effectifs de l'établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre et des communes concernées et sur leurs dépenses de fonctionnement. »
Comment faire participer les collectivités à l'effort de maîtrise des dépenses publiques, tout en tenant compte du fait qu'elles représentent 71 % de l'investissement public civil ? La Cour serait-elle favorable à la création d'une loi de finances des collectivités territoriales ? Est-ce que cette proposition aurait du sens ?
Vous avez beaucoup parlé de mutualisation du personnel. Certains parmi nous, vous le constatez, se demandent comment le Sénat a pu voter l'obligation de mettre en place un schéma prévisionnel de mutualisation... Ce que je comprends, c'est qu'il s'agit d'un document purement indicatif, un exercice à destination des communes membres, pour les aider à rechercher des voies d'amélioration. Si vous souhaitez mettre en oeuvre des incitations financières à la mutualisation, comment les articuler avec la répartition des dotations ? Début 2014, nous mettrons en place un groupe de travail sur la dotation globale de fonctionnement (DGF), pour étudier des ajustements, voire une refonte, car certains n'en comprennent plus les paramètres. Quelle est votre position sur cette question ?
Dès 2005, la Cour des comptes avait appelé à la rationalisation des intercommunalités, constatant que la mutualisation des moyens n'avait pas apporté les économies d'échelles attendues, et soulignant le risque de dérive causée par des doublons. Huit ans après, quel bilan en faites-vous ? Y a-t-il eu des avancées ? Enfin, que pensez-vous de la recomposition de l'offre de financement des collectivités, avec la création de la Société de financement local (Sfil) et de la Caisse française de financement local (Caffil) ? Cela a-t-il suffi pour restaurer des moyens adéquats ? Les obstacles à la réalisation des projets locaux sont-ils levés ?
La contribution au déficit public des collectivités locales est égale à leur besoin de financement pour leurs investissements : ce déficit est donc d'une nature bien différente de celui de la sécurité sociale. On constate une chute continue de l'investissement des départements, une stagnation dans les régions, et une poursuite modérée dans le bloc communal, car la capacité à dégager un autofinancement varie entre les différents niveaux. La contribution des collectivités à la maîtrise des finances publiques ne doit pas les conduire à grever leur capacité d'investissement.
C'est pourquoi nous insistons sur les dépenses de fonctionnement. La capacité de désendettement et l'autofinancement des collectivités en dépendent fortement, et la situation peut vite déraper. Or elle est aujourd'hui fragile, même s'il n'a pas lieu de sonner le tocsin. L'investissement public local n'est pas forcément dans tous les cas une dépense saine et positive. Nous recommandons une appréciation ex ante de la rentabilité économique et sociale, à distinguer de la rentabilité commerciale bien sûr. Les coûts de fonctionnement ne sont pas toujours bien cernés. Au contraire, les investissements de renouvellement sont bons par nature ; mais ils nécessitent une meilleure connaissance des immobilisations qui forment le patrimoine des collectivités.
Deux associations d'élus ont évoqué la possibilité d'une loi de finances des collectivités territoriales. Pourquoi pas ? La loi de programmation des finances publiques et les engagements pris à Bruxelles sont aujourd'hui traduits dans la réalité par des baisses de dotations et par la règle d'or, très saine, mais insuffisante. Il manque une courroie de transmission. Une loi de gouvernance des finances locales ne serait pas inutile. Il s'agirait précisément de maîtriser les dépenses de fonctionnement, à périmètre constant, et de neutraliser les transferts de charges.
Je connais bien le travail de la Cour sur la mutualisation dans les intercommunalités, pour l'avoir piloté. Il y a eu des progrès depuis : en 2005, nous constations que les répartitions de compétences étaient souvent floues, que les services n'étaient pas forcément transférés avec les compétences et que la qualification de l'intérêt communautaire n'était pas toujours claire. Nous citons des bonnes pratiques dans le présent rapport. Un bémol cependant : on n'observe pas encore une modération générale de la progression des dépenses consolidées. Du reste, comment, sans les outils comptables appropriés, avoir une vision juste ? Nous constatons une augmentation normale des dépenses des EPCI, mais il manque un instrument pour en mesurer la contrepartie au niveau des communes. Le projet de loi de décentralisation esquisse un coefficient de mutualisation ; je ne veux pas entrer dans le détail, mais dans l'esprit, c'est tout à fait cela. Pour progresser, il faut mettre en place des services fonctionnels communs. Le partage de services avec des mises à disposition ascendante, c'est bien ; mais à terme, il faudra regrouper le personnel au niveau intercommunal, quitte à avoir des mises à disposition descendantes.
Nous consacrons un chapitre au crédit aux collectivités ; la situation, inquiétante en 2011, s'est passablement rétablie en 2012. Au-delà du plan de sauvetage de Dexia, l'apparition de la Sfil et de la Caffil, avec la Banque postale et la future agence de financement des collectivités, marque une recomposition de l'offre de crédit aux collectivités territoriales. La tendance est à des taux de marge plus importants, et à des financements par tour de table plutôt que par contrat exclusif avec une banque. Pour l'avenir, la situation ne suscite pas d'inquiétude. Reste un stock de 6 à 7 milliards d'euros d'emprunts très toxiques. L'avis du Conseil de normalisation des comptes publics (CNoCP) sur l'obligation de provisionnement n'est pas encore entré en vigueur ; mais il n'y a pas de solution miracle. On peut toujours espérer que la banque nationale suisse change de politique monétaire ! Et l'on peut imaginer un partage des coûts de sortie avec les banques.
Une précision : le coefficient de mutualisation que vous évoquez sera-t-il accompagné d'une carotte financière ? La solution ne réside-t-elle pas dans une distribution de la DGF au niveau intercommunal ?
Je vous remercie pour un rapport beaucoup plus acceptable que ce qu'en a dit la presse. Lire dans les journaux que la Cour des comptes « épingle la gestion des élus locaux », présentés comme des incapables, n'est guère agréable. Nombre d'élus locaux, de toutes tendances, ont été choqués. Ils se sont sentis poignardés. D'autant qu'ils abordent une année d'élection municipale... La Cour a peut-être un problème de communication. Elle devrait y veiller pour l'avenir.
Chacun en est d'accord, les collectivités doivent participer à l'effort de maîtrise des finances publiques ; mais l'État doit les aider à savoir ce qu'elles ont à faire. On ne peut pas donner la compétence générale à tout le monde et s'étonner des doublons ! La Cour pourrait utilement développer ce point, car après le vote du premier texte de décentralisation, on n'en sait guère plus qu'avant sur le partage des compétences. Lorsqu'une entreprise ferme, licenciant 800 salariés, le préfet de région et le préfet de département convoquent toutes les collectivités. Difficile de répondre que l'on n'a pas à s'occuper de la question ! Si la répartition des compétences n'est pas précisée, on n'en sortira pas. Vous dites que le bloc communal se porte un peu mieux que les autres catégories de collectivités. Oui, la commune, c'est le lieu de la stabilité. Raison de plus pour ne pas y toucher ! Or, si l'on suit vos suggestions, bientôt les trois niveaux fonctionneront mal !
Je suis d'accord avec votre analyse à propos de la mutualisation du personnel. Je suis moins optimiste sur les résultats, qui n'apparaîtront qu'à long terme et à condition que la clause de compétence générale soit remise en cause. J'ai été moi aussi choqué par le texte que vous avez cité : cet article L. 5211-39-1 sera d'application bien compliquée ! Les majorités sont diverses au sein des EPCI, qui ne sont pas des collectivités mais des établissements publics, et n'ont pas le droit d'imposer quoi que ce soit. Je ne doute pas qu'une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) interviendra ou que la loi sera modifiée d'ici 2015.
J'en profite pour indiquer que le nouveau mode d'élection des conseillers communautaires peut nous mettre en porte à faux car actuellement certaines décisions doivent être prises à l'unanimité, notamment en matière financière. Et lorsque toutes les tendances politiques seront représentées, il faudra bien du courage aux membres des conseils communautaires : ce sera pire que l'Europe. Il suffira d'un élu du Front national, qui s'oppose à tout, pour bloquer le fonctionnement commun. Il faudra donc sans doute revoir le mode de prise des décisions en matière financière.
Il faudra évaluer les effets de la mutualisation : par exemple, pour l'eau et l'assainissement, comparer le coût final dans le cadre d'une régie et dans celui d'une délégation - comparaison qui n'est pas toujours au bénéfice de la première.
Et puis, ce ne se sont pas les élus locaux qui décident de l'augmentation du point d'indice. Les discussions sont menées par le ministère, avec les syndicats nationaux des personnels territoriaux, pour déterminer l'évolution du régime indemnitaire de tels ou tels techniciens.
Comme le dit notre collègue Jean-Pierre Chevènement, il vaut mieux être gouverné plutôt que « gouvernancé », même au niveau communal, surtout quand on sait où le « gouvernançage » nous a mené avec les fameuses autorités indépendantes. Voyez Dexia : ce ne sont pas les exécutifs locaux qui ont voulu souscrire des emprunts structurés, ce sont les successeurs du Crédit local de France, ces banquiers issus de la fine fleur de l'administration française, d'anciens inspecteurs généraux des finances, qui les ont proposés. Les clauses en sont bien compliquées, et les juges découvrent que le devoir d'information n'a pas été respecté. Ne faisons pas retomber la faute sur les élus locaux, une grande majorité d'entre eux a été trompée et j'espère que justice leur sera rendue un jour, au niveau national ou européen.
Votre rapport contient d'intéressantes propositions sur la comptabilité. Le régime des amortissements et le fonctionnement du fonds de compensation de la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA), qui est un instrument de régulation budgétaire, ne favorisent pas l'investissement actuellement. Il faudra y travailler.
Nul besoin d'un Haut conseil pour savoir que les taxes foncières et d'habitation sont bien plus élevées en province qu'à Paris. Ne cherchez pas les privilèges à Tours. Nous, misérables vermisseaux de province, sommes critiqués quand nous augmentons les impôts locaux pour faire fonctionner les écoles, les crèches ou encore le ramassage des ordures ménagères. Mais nos communes n'accueillent pas hélas, comme Paris, les sièges de grandes entreprises. Les perdants de la réforme, nous les connaissons, nous pouvons vous en fournir la liste.
Personne ne doit se substituer aux élus du suffrage universel direct en matière d'investissements. Comment estimer la rentabilité d'un équipement culturel ? La construction d'un théâtre ou d'une grande salle de musique est bien préférable à celle de stades de football pour l'Europa League, que nous impose l'État.
Voilà hélas un rendez-vous manqué. Le rapport montre combien les collectivités sont vertueuses - seulement 10 % de la dette publique, des budgets à l'équilibre, une situation du bloc communal encore satisfaisante. La présentation qui a été faite dans les médias a été bien différente. On a beaucoup entendu de critiques sur l'évolution des dépenses de personnel. Peut-être aurait-il fallu isoler les effets directs des normes, des transferts de charges, des nouvelles attentes de services, pour voir quelle part du dérapage est vraiment due aux collectivités : sans doute beaucoup moins qu'on l'a affirmé.
Le rapport examine le bloc local dans son ensemble, alors qu'il est extrêmement disparate. Peut-on comparer Paris et la région parisienne au Massif central ou à une zone périurbaine excentrée ? À l'avenir, l'approche devra être plus fine, car certains territoires souffrent, d'autres non.
Les effets de la péréquation issue de la réforme de 2010 ne sont pas encore entièrement perceptibles, avez-vous dit. Les perdants vont subir une double peine, ou plutôt une longue peine, incompressible, car les conséquences se feront sentir longtemps. Il faudra les aider grâce à des mécanismes de péréquation. Quels critères retenir pour la péréquation ? Comment définir la réelle richesse d'une collectivité ? Nous avons intégré dans les critères de mesure de richesse des collectivités les dotations de compensation de la réforme de la taxe professionnelle, ce qui fait paraître un peu plus riches les plus démunis. Tout le monde souhaite la péréquation mais la guerre est ouverte sur les critères, potentiel fiscal, financier, financier corrigé... Enfin, comment apprécier la réduction des écarts de richesse entre les collectivités ?
Les collectivités locales sont bien sûr d'accord pour participer à l'effort de redressement, mais celui-ci doit être équitablement réparti, en fonction des capacités contributives de chacune.
Jean Germain veut à bon droit une clarification des compétences, il s'inquiète de la situation à venir, après les élections communales. Jusqu'à présent, les EPCI, malgré les divergences politiques, travaillaient dans le consensus : les règles d'unanimité n'étaient pas un handicap. Si demain, un seul élu est hostile à l'intercommunalité, il empêchera de substantielles économies. Nous devrons faire évoluer des règles qui, en l'état, conduisent à des blocages. Sans clarification des compétences, JeanGermain a raison, il sera bien difficile de faire des économies.
Considérons la lettre, mais aussi l'esprit de ce rapport. Dans la conjoncture actuelle, attention à ne pas dresser les institutions les unes contre les autres. Quelles que soient nos divergences, tous nous estimons indispensable la solidarité entre l'État, les collectivités territoriales et la sécurité sociale. Lorsque l'on s'interroge sur une loi de finances pour les collectivités, il faut se méfier, car tout le monde ne comprend pas l'ironie diplomatique, un mode d'expression typique des Bretons. Une telle loi n'a de sens, en tout cas, qu'intégrée dans un ensemble où la solidarité avec l'État, garant du pacte républicain, est assurée. Le budget consacré aux collectivités est le deuxième ou le troisième plus important de l'État. Le dialogue est indispensable. Le grand changement depuis vingt ans, c'est la reconnaissance que les collectivités territoriales représentent elles aussi l'intérêt général. Voilà la grande révolution, le fondement de la décentralisation. Toutes les politiques publiques doivent être partenariales. Nous n'y échapperons pas. Je suis donc très attaché au pacte de responsabilité et de solidarité voulu par François Hollande. Il devra être rendu public et débattu, avant d'être voté.
S'agissant des dépenses de personnel, il est inacceptable d'opposer une prétendue rigueur parisienne et un supposé laisser-aller local. Nous avons connu à mainte reprise des grèves très dures dans nos collectivités territoriales ou dans les hôpitaux, elles n'entamaient pas la détermination des exécutifs. En revanche est-il normal qu'un jeune, Bac + 6 ou 7, recruté comme attaché par concours soit payé moins de 2 000 euros par mois ? Il y a de quoi désespérer, d'autant que les agents ne comptent pas leurs heures, et s'il faut animer une réunion le soir, ils n'hésitent pas, heures sup' ou non ! Ceux qui travaillent dans les centres communaux d'action sociale ou dans les offices HLM sont confrontés à une violence quotidienne, usante. Alors, prudence quand on fustige la progression de la masse salariale.
L'augmentation des effectifs est également liée à l'intercommunalité et elle révèle une évolution très positive. Ainsi, la mutualisation du ramassage des ordures ménagères a souvent exigé un personnel plus nombreux, car toutes les communes membres n'étaient pas à l'origine au même niveau. Dans les plus petites, souvent, un paysan passait avec son tracteur...
La révision générale des politiques publiques (RGPP) a été une chance pour les départements : les services déconcentrés de l'État s'appauvrissant, les départements ont été amenés à créer des services d'urbanisme, de conseil et d'expertise. Ils ont là un avenir comme experts des collectivités et intercommunalités. Là encore, un personnel étoffé est une chance.
Nous rencontrons certes des difficultés avec les pompiers, jadis personnel communal, puis intercommunal, maintenant rattaché au département. Leur statut varie considérablement selon les territoires. Mais partout les pompiers ont une grande capacité de pression sur leur employeur, grâce à leur popularité dans l'opinion publique.
Le temps fiscal en France est très long. La dernière grande réforme fut la contribution sociale généralisée (CSG). Concernant les valeurs locatives, je vous suggère, monsieur le président, de comparer la taxe d'habitation que vous payez à Paris avec celle que nous percevons à Tours ou à Rennes. Ces différences ne sont pas acceptables : ayons le courage de nous atteler à cette réforme. Si rien n'est fait, la fiscalité locale disparaîtra, ne resteront que des dotations. Je ne suis pas favorable à une telle évolution.
Un fossé se creuse, monsieur le président, entre votre institution et les instances locales. Pour ma part, je ne fais pas de complexe face aux hauts fonctionnaires. Je me félicite chaque jour de ne pas avoir écouté leurs avis lorsque j'avais à prendre pour ma ville de grandes décisions.
Je me fais beaucoup de souci pour notre rapporteur général : je lui suggère de ne pas évoquer une loi de finances des collectivités locales lors du Congrès des maires et à l'approche des élections municipales. Prudence !
Ce rapport est très important et notre commission devra en exploiter les enseignements. Elle n'a jamais cherché à être populaire, ce qui tombe bien car elle va devoir énoncer des vérités qui dérangent.
Trop souvent, nous nous comparons à nos voisins, mais il est difficile de comparer ce qui ne peut l'être : les Länder n'ont rien à voir avec nos régions !
La Cour des comptes a-t-elle examiné les avantages et les inconvénients des régies directes et des délégations ? Les maires sont bien embarrassés lorsqu'ils doivent choisir.
Vous ne voulez pas sonner le tocsin, avez-vous dit, mais n'êtes-vous cependant pas un peu optimiste au sujet du bloc communal ? Jusqu'en 2012, les conséquences de la réforme n'ont pas été trop graves, même si les dépenses de fonctionnement augmentaient plus vite que les recettes. Cet effet de ciseaux va s'accélérer, avec la baisse des dotations, des droits de mutation (en deux ans, 40 % de moins dans certains territoires), la montée en charge de la péréquation, qui va pénaliser les contributeurs, et le coût de la réforme des rythmes scolaires. Je vais perdre en trois ans la moitié de l'autofinancement que j'ai mis quinze ans à constituer. Comment faire face à cette évolution ? Augmenter les impôts ? Certes non. Accroître les dettes ? Je ne le veux pas. La seule solution est de réduire les investissements. Les communes bénéficiaires de la péréquation sont les plus pauvres : elles consacreront ces crédits plutôt aux dépenses de fonctionnement qu'à l'investissement. Le choc du sous-investissement des collectivités locales est devant nous. Mon analyse est-elle trop pessimiste ?
Certains journalistes s'inspirent d'une fameuse citation de Pierre Lazareff. Pour faire de l'audience, il faut grossir le trait. Autrement dit, les erreurs n'en sont pas toujours !
Le site « contribuables.org » classe les maires en fonction de leurs dépenses. Maire depuis 1995, j'ai divisé la dette par trois, triplé l'autofinancement sans toucher aux impôts. Sur ce site, il est dit que la santé financière de la commune est excellente, mais aussi que les dépenses augmentent de 15 % par an depuis 2008 - car fonctionnement et investissement sont additionnés ! Les prélèvements annuels augmentent de 1,8 % depuis 2008 tandis que la dette diminue de 5,4 % par an. Or, j'obtiens comme note globale... zéro sur vingt ! Je suis un maire dépensier car j'ai dégagé une capacité d'autofinancement ! Ici, nous en rions, parce que nous savons lire les budgets locaux. Mais combien, parmi nos concitoyens, se plongent dans les annexes budgétaires ? Proposons un modèle pour noter réellement les collectivités locales afin de contrer ce genre d'entreprise. Il ne faut pas laisser de tels sites prospérer.
Dans un rapport sur l'intercommunalité que j'avais rendu en 2006 au nom de l'Observatoire de la décentralisation, j'écrivais, comme vous le faites dans votre rapport, qu'il était très difficile de comparer les groupements, car les compétences transférées varient. Je plaidais pour la création d'un coefficient d'intégration fonctionnelle, car le coefficient d'intégration fiscale ne signifie pas grand-chose. Le péché originel, c'est d'avoir, pour inciter les maires à rejoindre des intercommunalités, donné des primes financières aux groupements quel que soit l'effort réel d'intégration et sans rien retirer de leurs dotations aux communes.
Il faudrait évoquer aussi le coefficient de rigidité des dépenses, qui n'inclut que les dépenses de personnel, sans prendre en compte le périmètre - ce qui est délégué et ce qui est fait en interne. Nous devons progresser sur tous ces sujets, il y a là un enjeu de démocratie.
Je remercie François Trucy de sa délicate attention. Il craint que je ne m'expose trop lors du Congrès des maires. Tout le monde a bien compris que ma question était une provocation : je reprends sans la soutenir une suggestion de certaines associations d'élus, et non des moindres, reprise par Alain Lambert qui est chargé d'une mission importante, de modernisation de l'action publique.
Certes, Edmond Hervé, je suis parisien mais certains membres de ma famille habitent en banlieue ou en province. Il m'est arrivé de me pencher sur nos impôts locaux respectifs. Rassurez-vous, je ne suis pas un haut fonctionnaire hors-sol.
Jean Germain et Pierre Jarlier m'ont interrogé sur la publicité donnée à ce rapport. Nous avons été déçus du traitement journalistique qui en a été fait, car nous n'avons nullement cloué au pilori la gestion des élus locaux, seulement exposé clairement la problématique des finances locales. Et notre communication n'a pas été différente de ce qu'elle est pour les autres rapports. Celui-ci a vocation à être pérennisé, c'est ce que devrait prochainement décider le Parlement. À l'avenir, j'espère que le débat portera sur le contenu réel.
Globalement, la gestion des élus locaux n'est pas mauvaise ; grâce à la règle d'or, les grands équilibres sont préservés, mais les chambres régionales des comptes constatent certaines dérives. En outre, dès lors que l'État a pris des engagements européens sur l'évolution des grands équilibres, il est normal de veiller à la cohérence, y compris des dépenses locales.
Sur les dépenses de personnel, nous avons bien montré, précisément, que tout n'est pas la faute des élus locaux. La politique nationale de l'emploi public explique en partie les dérapages, et la hausse du Smic s'impose aussi aux employeurs publics. Or, avec 70 % d'agents en catégorie C, les collectivités subissent de plein fouet chaque augmentation du Smic ; la fonction publique d'État, elle, compte moins de 35 % d'agents en catégorie C.
C'est au Parlement de se prononcer sur la clause de compétence générale.
Sur la mutualisation, je suis d'accord avec Edmond Hervé : il a fallu mettre à niveau les services techniques. Nous sommes à présent dans une nouvelle phase, l'enjeu est d'organiser les services fonctionnels au niveau de l'intercommunalité. Oui la mutualisation est un processus long.
Un coefficient de mutualisation pourrait être utilisé pour moduler la DGF. Une dotation de fonctionnement intercommunale redistribuée a effectivement du sens, monsieur le rapporteur général. Reste à trouver un mode de calcul, à éviter de compter deux fois les mêmes choses et d'en oublier d'autres, à distinguer entre mutualisation véritable et empilement.
La DGF intercommunale serait-elle pour vous une bonne base de travail ?
Nous ne nous prononçons pas sur ce point.
Des travaux sont en cours sur les régies et les délégations.
François Trucy m'a interrogé sur les comparaisons internationales : nous en avons fait en matière de gouvernance des finances locales. Nous ne regardons pas seulement les Länder allemands, mais aussi les Kreise et les communes - collectivités qui sont sous la tutelle, que dis-je, la férule des Länder - ou encore, en Angleterre, les local authorities.
J'en viens aux emprunts structurés. La faute aux banquiers ? Oui et non. Ils auraient certes dû s'abstenir de proposer ce type de produits, mais les responsables locaux ont-ils vraiment cru qu'ils pouvaient payer des taux d'intérêt dérisoires pendant quelques années sans prendre de risque pour l'avenir ?
Acceptant ce type de prêts, les élus se mettaient entièrement entre les mains de leur banquier. Tout attaché d'administration est capable de procéder à une évaluation et une simulation de ce type de risque. Pour l'avenir, nous suggérons, sur des prêts comparables, un provisionnement à hauteur des taux de marché, durant la première période, la plus légère pour l'emprunteur ; ce, afin de ne pas reporter sur les successeurs une charge excessive. Le système est pervers et je pense que les torts sont partagés. Du reste, toutes les collectivités n'ont pas eu recours à ce genre de prêts !
Il ne faudrait tout de même pas exonérer les banquiers de leurs responsabilités. Bientôt on affirmera que la crise financière n'est pas non plus de leur faute ! Dans certains cas, les taux proposés n'étaient pas si faibles, mais les banquiers recommandaient chaudement leur produit. Ils ont manifestement manqué à leur obligation de conseil.
J'incite les collectivités à prendre plusieurs conseils plutôt que de se fier uniquement à leur banquier.
Je suis d'accord avec Pierre Jarlier sur la difficulté à calculer les différences de richesse entre collectivités. L'instrument de mesure actuel ne donne pas satisfaction. Nous reviendrons sur la péréquation dans le prochain rapport.
Nous examinerons les objectifs de la péréquation, l'ampleur de celle-ci, les critères appliqués, variables d'un dispositif à l'autre. À chaque loi de finances, le Parlement affine, ajoute, pondère - pour de très bonnes raisons, mais la cohérence d'ensemble en pâtit. Certes, il faut à la fois prendre en compte la richesse et les charges, mais apprécier aussi la réduction des écarts de richesse, comme vous le proposez. Le travail est en cours.
Philippe Dallier me demande si nous n'avons pas été trop optimistes, Edmond Hervé nous reproche trop de sévérité. Nous avons simplement essayé de faire une analyse de risques pour 2013 et 2014, même si la Cour des comptes n'est pas un organisme de prévision économique. Or il nous apparaît évident que pour respecter les grands équilibres et préserver les investissements, les dépenses de fonctionnement doivent être mieux encadrées.
Vous parlez du site « contribuables.org » : je profite de l'occasion pour préciser que nous n'avons rien à voir dans ces excès.
Quelques mots du serpent de mer des valeurs locatives : chaque année, l'assiette est réévaluée, mais avec des distorsions qui vont s'aggravant. Combien de temps cela continuera-t-il ?
Cette question renvoie à la mesure des écarts de richesse et nous sommes frappés par les différences grandissantes entre les collectivités. Jusqu'à la fin des années 2000, la DGF progressait plus que le PIB, ce qui atténuait les difficultés ici et là. En outre, la marge de manoeuvre fiscale, avec l'ancienne taxe professionnelle, était plus grande. Les écarts sont aujourd'hui plus visibles, également, du fait du resserrement des crédits publics. Nous ne souhaitons pas que la fiscalité locale disparaisse au profit de concours financiers de l'État, mais l'évolution va nécessairement vers plus de péréquation, donc plus de ressources redistribuées entre les collectivités et moins de marges fiscales.
Quelle est la fiabilité de l'information budgétaire et financière des collectivités territoriale, mais aussi des hôpitaux et de la protection sociale ?
Une reddition des comptes plus lisible serait également une amélioration, utile pour les gestionnaires locaux comme pour les contribuables. Elle devrait inclure à mon sens une situation patrimoniale de la collectivité. Un contrôle de la chambre régionale des comptes tous les quatre ou cinq ans ne suffit pas. Il faut une certification annuelle de la sincérité des comptes publics, y compris pour les communes. Si nous voulons que la gestion s'améliore, que les décisions soient prises en toute lucidité, les gestionnaires doivent disposer d'instruments leur donnant une image fidèle de la situation au jour le jour.
Je partage votre appréciation sur l'insuffisante qualité des informations financières.
Les baux emphytéotiques, les partenariats public-privé, sont autant d'échappatoires...
Nous préconisons la création d'un compte financier unique, comprenant un état d'exécution budgétaire, un compte de résultat, un bilan et une véritable annexe, comme pour le budget de l'État. Il faudrait fusionner compte de gestion et compte administratif - actuellement illisibles - pour en faire un document d'une trentaine de pages, donnant une véritable information financière. Les parties prenantes - Bercy, le ministère de l'intérieur, les collectivités - en acceptent l'idée. Les collectivités locales, dans les années quatre-vingt-dix, avaient pris de l'avance sur l'État, mais celui-ci a nettement repris l'avantage grâce à la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) et la nouvelle certification des comptes de l'État, dont les résultats sont remarquables en termes de qualité comptable.
Nous souhaiterions également une certification des comptes des grandes collectivités, avec une expérimentation, à mener sous la houlette de la Cour des comptes. L'obligation de certification est une extraordinaire incitation à améliorer l'information financière locale. Ce chantier est fondamental. Si l'on veut progresser vers la consolidation des comptes et l'agrégation des risques, y compris ceux du hors-bilan, partenariats publics privés (PPP) et autres, il y a beaucoup à faire. Aujourd'hui, on connaît au centime près des risques minimes mais ceux qui peuvent ruiner la santé d'une collectivité pendant des décennies demeurent invisibles. Nous devons mettre un terme à cette incohérence.