Nous examinons la proposition de loi relative à l'accès effectif et direct des petites et moyennes entreprises à la commande publique déposée par Jean-Marc Gabouty, Jean-Claude Requier et plusieurs de leurs collègues du groupe du Rassemblement démocratique et social européen (RDSE).
La commande publique constitue une part significative de l'activité économique nationale. En 2014, elle représentait 200 milliards d'euros de montants cumulés, soit 10 % du produit intérieur brut. Paradoxalement, la part des petites et moyennes entreprises (PME) y reste marginale, alors que celles-ci étaient au nombre de 3,8 millions en 2015, soit 99,9 % des entreprises, représentaient 48 % de l'emploi salarié et réalisaient 43 % de la valeur ajoutée. Cette dissymétrie s'explique par plusieurs antagonismes. D'une part, la fragilité de la trésorerie des PME s'accommode mal de la règle du paiement après service fait et des délais de paiement pratiqués par les acheteurs publics. D'autre part, les PME ne disposent pas des moyens humains adéquats en réponse à la complexité du droit applicable et des procédures.
Face à ce constat, des mesures ont été prises. À l'initiative de notre commission, la loi du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite « Sapin 2 », a fait de l'allotissement des marchés publics un principe - l'acheteur qui n'allotit pas doit le justifier en droit et en fait - et a interdit les offres variables, afin que les PME puissent se battre à armes égales avec les entreprises de taille intermédiaire ou les grandes entreprises. Les avances qui leur sont versées dans le cadre des marchés passés par l'État ont été augmentées, passant de 5 % à 20 %, et les retenues de garanties diminuées pour préserver leur trésorerie. En outre, l'accès au droit a été favorisé avec la création récente du code de la commande publique et l'édition de nombreux guides pratiques. Les procédures de candidature ont aussi été facilitées par la généralisation de la dématérialisation depuis le 1er octobre 2018.
La présente proposition de loi entend se placer dans la continuité de la démarche de renforcement de la place des PME dans la commande publique. L'intention de ses auteurs ne peut qu'être approuvée, tant les PME peinent encore à trouver la place qui leur revient dans l'achat public, malgré les dispositions susmentionnées. Toutefois, les choix retenus ne paraissent pas de nature à apporter des améliorations effectives. Certaines des dispositions du texte créent des effets collatéraux défavorables pour les petits acheteurs publics sans toutefois améliorer réellement l'accès des PME aux marchés publics.
Ainsi, l'article 1er et la seconde partie de l'article 2 de la proposition de loi, relatifs à l'obligation d'allotir, introduisent des dispositifs sans réelle portée normative. Les PME ne disposent pas de personnels exclusivement consacrés à suivre les évolutions du droit. Dans leur intérêt, le législateur doit donc s'efforcer de n'apporter que des modifications strictement et évidemment nécessaires, ce qui n'est manifestement pas le cas ici.
La première partie de l'article 2 de la proposition de loi précise que, pour ne pas être obligé d'allotir un marché, un acheteur doit non seulement ne pas pouvoir coordonner l'allotissement lui-même, mais également ne pas pouvoir le faire coordonner par un tiers. Le droit en vigueur atteint un point d'équilibre satisfaisant pour l'acheteur comme pour les PME qui souhaiteraient soumissionner. Depuis la modification opérée par la loi « Sapin 2 », l'allotissement a été érigé en principe, mais une soupape de sécurité a été conservée pour les acheteurs ne pouvant assurer eux-mêmes les missions d'organisation, de pilotage et de coordination (OPC). Les dispositions proposées auraient pour conséquence de supprimer cette soupape, alors qu'un acheteur peut toujours confier la coordination d'un marché à un tiers s'il n'est pas capable de l'opérer lui-même, dès lors qu'il le rémunère. Cette mesure n'est donc pas satisfaisante : elle pénaliserait les petits acheteurs qui peuvent actuellement recourir à des marchés globaux lorsqu'ils ne sont pas en mesure de coordonner des marchés allotis. Il s'agit majoritairement de collectivités territoriales dont les marchés bénéficient souvent aux PME.
L'article 3 encadre les cas dans lesquels une entreprise titulaire d'un marché peut changer de sous-traitant en cours d'exécution. L'objectif est louable, mais la mesure inopérante. En premier lieu, la rédaction proposée ferait obstacle à un changement de sous-traitant en l'absence de toute défaillance, malgré l'éventuel accord de l'acheteur, de l'entreprise titulaire et du sous-traitant. En second lieu, ce mécanisme serait facilement contournable par l'entreprise titulaire, puisqu'il lui suffirait de ne pas présenter ses sous-traitants au stade de la candidature. Cette disposition pourrait s'avérer défavorable aux PME en décourageant les grandes entreprises de leur confier des contrats de sous-traitance.
Enfin, le dernier article de la proposition de loi prévoit qu'il soit tenu compte de la couverture numérique pour la mise en oeuvre de la dématérialisation des échanges. Ce souhait semble satisfait par la possibilité déjà accordée aux entreprises de faire parvenir une copie de sauvegarde de leur candidature à l'acheteur afin, notamment, de se prémunir des défaillances ou des insuffisances de réseau Internet. De plus, le plan du Gouvernement en matière de couverture numérique des territoires lancé à Cahors en décembre 2017 devrait conduire à la généralisation d'une couverture mobile de qualité dès l'année prochaine et du très haut débit pour tous en 2022.
Pour l'ensemble de ces raisons, et malgré mon intérêt pour le thème qu'elle aborde, je suis contraint de donner un avis défavorable à l'adoption de cette proposition de loi. Il me semblerait, en revanche, opportun qu'au sein de notre commission un groupe de travail réfléchisse aux moyens d'améliorer l'accès effectif des PME à la commande publique. Leurs représentants ont rappelé, lors des auditions, combien les délais de soumissionnement et de paiement par les acheteurs publics, ainsi que le montant des avances, méritaient d'être améliorés malgré les efforts déjà réalisés.
L'ambition des auteurs de la proposition de loi est éminemment légitime et je la salue. Ceux parmi nous qui ont exercé des responsabilités locales savent combien il est désolant de ne pouvoir soutenir nos PME. Le coût d'accès à la commande publique est effectivement élevé : la réalisation des dossiers demande une expertise certaine et la concurrence des grandes entreprises s'agissant des prix pratiqués est souvent insoutenable. Ces dernières, pourtant, n'hésitent pas, une fois le marché attribué, à réclamer des augmentations tarifaires. Je soutiens la proposition de notre rapporteur ; elle répond à une attente profonde de nos PME.
Je salue la qualité du rapport et l'investissement de notre rapporteur, qui a procédé à de nombreuses auditions. Il est vrai que notre proposition de loi, dont l'ambition était d'améliorer la situation des PME, ne va pas assez loin. Notre groupe demandera probablement son retrait de l'ordre du jour et participera au groupe de travail proposé par le rapporteur.
Il me semble trop rigide de ne pouvoir changer de sous-traitant en cours d'exécution du marché si de bonnes raisons l'exigent. Lorsqu'une entreprise propose de travailler avec un sous-traitant, un contrat devrait les lier en amont sans conséquence sur la procédure d'attribution du marché.
Les difficultés évoquées par notre rapporteur sont fréquemment rencontrées par les communes. Les délais de paiement, notamment, représentent un frein pour les PME qui souhaiteraient répondre à des appels d'offres.
Je félicite à mon tour le rapporteur pour la qualité de son travail, ainsi que pour sa proposition de poursuivre la réflexion. La délégation sénatoriale aux entreprises s'est également penchée sur le sujet. La complexité des procédures oblige les entreprises à y consacrer un temps salarié dont elles ne disposent pas toujours. Les chambres de commerce et d'industrie, comme les chambres de métiers et de l'artisanat, devraient davantage accompagner les PME et les former aux marchés publics. Par ailleurs, les délais de paiement représentent un obstacle pour la trésorerie des PME susceptibles de candidater.
Le sujet est majeur et mérite qu'un groupe de travail s'en empare. Comme président de la commission des routes de l'Aveyron, je puis témoigner que lorsque le conseil départemental a financé, avec la région Occitanie, 25 % des travaux réalisés sur une portion de la RN 88, la maîtrise d'ouvrage nous a été refusée. Les grandes entreprises choisies par l'État n'ont, hélas, guère fait travailler les PME locales. Je trouve cela dommage : l'argent du contribuable aveyronnais aurait pu être employé à soutenir notre économie. A contrario, sur un autre aménagement, le conseil départemental a pris les travaux à sa charge afin d'éviter que la déclaration d'utilité publique soit prescrite. Il a alors pu confier le marché à une entreprise locale.
Je remercie les auteurs de la proposition de loi pour leur initiative. La complexité des procédures représente une entrave à la concurrence au détriment des PME comme des collectivités territoriales. J'ai, pendant dix-sept ans, été maire d'une ville moyenne : malgré tous mes efforts, j'ai toujours payé plus cher qu'un promoteur privé pour le même type d'opération. Nombre de PME ne sont pas en capacité administrative de répondre aux appels d'offres. Il convient de simplifier les procédures pour ouvrir davantage les marchés : les PME, les collectivités territoriales et les contribuables y gagneront. Le législateur est déjà intervenu sur les délais de paiement, notamment avec des dispositions relatives aux intérêts moratoires. Hélas, les fonctionnaires font encore preuve, trop souvent, d'un zèle excessif pour freiner les paiements. Les collectivités territoriales portent une part de responsabilité...
En matière de commande publique, les excès de jadis ont conduit à la rigueur actuelle. Il convient désormais de trouver un juste équilibre. La création d'un groupe de travail au sein de la commission constitue, à cet égard, une idée intéressante. Le récent code de la commande publique insiste sur l'allotissement, mais la complexité juridique des procédures continue à freiner les PME, lesquelles, trop souvent, présentent des dossiers incomplets. En Alsace, les collectivités territoriales ont créé un site Internet commun pour faciliter l'accès des PME aux marchés publics, ainsi que l'allotissement par les collectivités territoriales. Par ailleurs, lorsque les PME entrent sur un marché par la voie de la sous-traitance, les entreprises titulaires leur proposent souvent des tarifs peu élevés. Pour débuter nos travaux, nous pourrions envoyer un questionnaire aux communes s'agissant de la part d'allotissement de leurs marchés et l'accès aux PME. Je rappelle que la présente proposition de loi reprend certains amendements présentés à l'occasion du projet de loi relatif à la croissance et à la transformation des entreprises à la suite de discussions avec les représentants des PME. Peut-être ne constitue-t-elle pas une solution efficace, mais nous devons nous saisir du sujet.
Je vous remercie pour vos interventions. Il s'en dégage un consensus sur la nécessité de continuer à travailler sur ce thème. Monsieur Bigot, l'Observatoire économique de la commande publique dispose déjà de nombreuses données, dont les dernières datent du mois de décembre 2018. Il publiera prochainement un rapport sur ce thème à l'aune du nouveau code. Les organismes professionnels représentant les PME ont travaillé à sa rédaction. Vous avez été nombreux à témoigner de difficultés qui nous ont été signalées lors des auditions : la complexité des procédures, l'accompagnement insuffisant des PME, les contraintes de trésorerie, les freins à une démarche contractuelle en matière de sous-traitance, etc. Nous devons y travailler.
Le dossier est passionnant. L'accès aux marchés est rigide, mais son exécution souvent trop souple : la multiplication des contentieux perturbe l'activité des collectivités territoriales.
La proposition de loi n'est pas adoptée.
En réponse à la demande formulée par plusieurs membres de notre commission, je souhaiterais vous communiquer des éléments statistiques relatifs au sort des propositions de loi d'origine sénatoriale envoyées à notre commission et transmises à l'Assemblée nationale et aux nominations de rapporteurs d'un groupe minoritaire ou d'opposition pour les travaux législatifs, budgétaires et de contrôle.
Depuis le 1er octobre 2012, cent-vingt-cinq propositions de loi ont été examinées au fond par notre commission et adoptées par le Sénat, dont trente-quatre, soit 27,2 %, adoptées définitivement par l'Assemblée nationale et trois adoptées par l'Assemblée nationale mais en instance d'examen au Sénat.
Concernant les travaux de contrôle et les avis budgétaires, notre commission nomme systématiquement des rapporteurs parmi des membres de groupes minoritaires ou d'opposition, c'est-à-dire hors groupes Les Républicains et de l'Union centriste. Au cours des sessions 2017-2018 et 2018-2019, sept des quatorze avis budgétaires annuels, soit 50 %, ont été attribués à des rapporteurs issus de ces groupes.
S'agissant des travaux d'information et de contrôle, le principe retenu est, de longue date, celui de la participation de rapporteurs d'un groupe minoritaire ou d'opposition. Sur les quarante-six rapports d'information dont la commission a autorisé la publication depuis le 1er octobre 2012, trente-cinq, soit 76 %, ont été rédigés par un binôme de rapporteurs issus pour l'un de la majorité, pour l'autre de l'opposition, quatre ont été établis par un rapporteur ayant synthétisé les travaux d'un groupe de travail pluraliste et un rapporteur de l'opposition - Jean-Pierre Sueur sur la mission d'information relative à la thanatopraxie - a été désigné seul. Des membres des groupes minoritaires ou d'opposition ont ainsi été associés aux rapports d'information de la commission dans 87 % des cas.
Pour les rapports législatifs enfin, la commission des lois s'attache à nommer des rapporteurs issus de groupes minoritaires ou d'opposition, c'est-à-dire hors groupes Les Républicains et de l'Union centriste, lorsque les textes apparaissent suffisamment consensuels pour qu'ils ne soient pas mis en porte-à-faux entre leur rôle de rapporteur et leur appartenance à un groupe politique dont les intérêts peuvent s'avérer contraires à ceux de la majorité.
Pour la session ordinaire en cours, au 27 mai 2019, sur un total de vingt-neuf rapports législatifs, sept, soit 24,1 %, ont été attribués à un rapporteur d'un groupe minoritaire ou d'opposition. Pour la session précédente, sur un total de quarante-deux rapports législatifs, cette proportion s'établissait à 23,8 %, soit dix rapports. Pour la période triennale 2014-2017, incluant trois sessions, sur centre-quatre rapports, quinze, soit 14,4 %, ont été attribués à un rapporteur d'un groupe minoritaire ou d'opposition. Les progrès apparaissent donc nets.
Je vous remercie pour ces informations, mais je n'y trouve pas mention du groupe Communiste, républicain, citoyen et écologiste (CRCE).
Il participe aux avis budgétaires. Nous guettons l'occasion de lui confier un rapport législatif que sa position ne gênera pas.
Si je vous comprends bien, il faut, pour être nommé rapporteur, être d'accord avec la majorité sénatoriale ?
Il est nécessaire que le rapport puisse être réalisé sans que le rapporteur ne se trouve en désaccord avec lui-même. Cela ressort du bon sens.
Dans le cadre de la proposition de résolution visant à clarifier et à actualiser le Règlement du Sénat, je proposerai que soient systématiquement nommés des co-rapporteurs sur les textes, afin de présenter des avis différents. Les groupes d'opposition participeraient ainsi davantage aux rapports législatifs, sans pour autant emporter le vote final.
Nous le faisons déjà, y compris sur des textes importants comme les propositions de loi ordinaire et organique de programmation pour le redressement de la justice, rapportées par nos collègues François-Noël Buffet et Jacques Bigot.
Ils partagent les mêmes opinions ! Leurs partis ont appliqué une politique identique lorsqu'ils étaient au pouvoir. Ayons une discussion de bonne foi ou n'échangeons pas !
Ce débat est intéressant. La suggestion de notre collègue Pierre-Yves Collombat va très loin ; elle existe d'ailleurs aux Cortes Generales espagnoles où un groupe de rapporteurs est nommé sur chaque texte. Cela permet certes un pré-débat pluraliste, mais je ne suis pas certain que la mesure serve la simplification de nos procédures ni ne réduise la charge de travail en amont de la séance publique.
Vos données prennent-elles en compte les propositions de loi d'origine sénatoriale dont les dispositions ont été intégrées à des projets de loi ? Cela montrerait plus justement notre contribution au travail législatif.
C'est exact ! Voyez la proposition de loi pour le maintien des compétences eau et assainissement dans les compétences optionnelles des communautés de communes : l'initiative sénatoriale a eu un véritable impact.
De même, il semblerait que le projet de loi annoncé pour septembre prochain intègre les dispositions de ma proposition de loi tendant à renforcer les synergies entre les conseils municipaux et les conseils communautaires.
Le cas est identique pour la proposition de loi, adoptée par le Sénat le 13 juin 2018, relative à l'équilibre territorial et à la vitalité de la démocratie locale, qui traite de sujets inscrits à l'agenda du Gouvernement.
Nul besoin, monsieur Richard, d'aller aux Cortes Generales : au Sénat, des groupes de travail pluralistes aboutissent à des votes communs en séance publique. Je pense notamment à la proposition de résolution européenne issue des travaux conjoints de la commission des affaires économiques et de celle des affaires européennes sur la politique agricole commune (PAC). Il ne faut pas préjuger à l'avance des clivages ! On peut par ailleurs se demander, sur les propositions de loi d'origine sénatoriale qui ont prospéré depuis 2012, combien concerne l'actuelle législature de l'Assemblée nationale ?
La proposition de résolution du Président Larcher prévoit déjà, monsieur Collombat, la nomination de plusieurs rapporteurs sur un texte. Je m'étonne par ailleurs de vos propos relatifs au parti Les Républicains et au parti socialiste : vous avez pourtant appartenu à celui-ci pendant de nombreuses années et avez défendu avec talents ses positions !
Nous accueillons M. Jean-Raphaël Alventosa, médiateur du crédit aux candidats et aux partis politiques, fonction créée par la loi du 15 septembre 2017 pour la confiance dans la vie politique, que j'ai eu l'honneur de rapporter. Monsieur Alventosa a été nommé le 3 août 2018 pour une durée de six ans, dans le cadre de la procédure prévue au dernier alinéa de l'article 13 de la Constitution.
Le Gouvernement envisageait initialement de créer une « banque de la démocratie », idée qui n'a pas prospéré malgré l'ordonnance prévue par la loi précitée. Nous avions d'ailleurs alerté sur les difficultés d'un tel dispositif et nous nous étions opposés à l'habilitation !
Tout candidat ou parti politique peut saisir le médiateur pour qu'il engage une mission de conciliation avec les établissements bancaires, notamment lorsqu'ils rejettent des demandes de prêt ou d'ouverture de compte.
Cette audition nous a semblé particulièrement importante pour tirer un premier bilan des élections européennes : des candidats ont rencontré des difficultés à financer leur campagne alors qu'ils se disaient certains de dépasser le seuil de remboursement des dépenses électorales fixé à 3 % des suffrages exprimés. L'enjeu concerne également les prochaines élections municipales, pour lesquelles les besoins de financement vont être nombreux et répartis sur l'ensemble du territoire. Pour mémoire, plus de 930 000 candidats se sont présentés lors du dernier scrutin de mars 2014. Monsieur Alventosa pourra, enfin, esquisser les grandes lignes du rapport d'activité qu'il doit présenter au Parlement d'ici l'automne.
Je vous remercie de m'entendre sur la mission de médiation qui m'a été confiée le 4 août 2018 par le Président de la République. Je vous présenterai également quelques éléments de réflexion, alors que j'entame, avec les trente-quatre listes des élections européennes et plusieurs banques, une concertation qui me conduira à vous présenter un rapport à la fin du mois de septembre, conformément aux termes de la loi.
Depuis ma nomination, j'ai engagé diverses actions auprès des acteurs concernés : les responsables financiers des principaux partis politiques, les présidents ou directeurs des affaires publiques de six grands groupes bancaires, la Fédération bancaire française, la Banque de France, la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, l'Autorité des normes comptables, l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, Tracfin et la Compagnie nationale des commissaires aux comptes. Je dois également répondre à de nombreuses sollicitations des médias.
Mon principal constat est que les partis politiques et les banques se connaissent bien, mais se rencontrent rarement.
Ma prise de contact avec les partis, à tout le moins ceux éligibles à l'aide publique, a été facile et directe, principalement grâce au suivi ancien du ministère de l'intérieur et aux fichiers de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP). Dès le début de la campagne pour les élections européennes, j'ai pu échanger avec douze partis. La relation avec quelques formations émergentes s'est faite naturellement avec la médiatisation progressive de mon activité et les renvois auxquels procède la CNCCFP ou la Banque de France.
Trois griefs récurrents sont faits par les partis politiques aux établissements bancaires : l'absence de formalisation et de motivation des refus que les banques opposent aux demandes d'ouverture de compte ou de prêt bancaire ; la difficulté à comprendre les circuits de décision des banques, organisées selon des principes différents, alors que la durée des campagnes est désormais réduite ; enfin, la multiplication des garanties demandées aux partis et aux candidats. J'ai pu toutefois constater, de manière quelquefois surprenante, un certain amateurisme des demandes adressées aux banques : les dossiers sont parfois incomplets et donc rejetés.
Le lien avec les banques a été plus complexe à tisser. Pour des raisons liées, sans doute, à des questions d'organisation, de procédures, de calendrier, de sensibilité du dossier, les banques n'apparaissent pas vraiment demanderesses.
Trois difficultés existent pour les banques : les procédures internes d'analyse sont rigoureuses, en particulier avec l'intervention des services de contrôle du risque et de la conformité ; le principe de subsidiarité est systématiquement utilisé et ne facilite pas le repérage des personnels décisionnaires, notamment en cas de recours ou de contestation ; enfin, toutes les banques n'abordent pas le secteur de la politique dans les mêmes dispositions.
Pour autant, entre les mutuelles, les coopératives, les banques populaires, les caisses d'épargne et agricoles, plus des deux tiers du système bancaire acceptent de financer les candidats et les partis : le « mur des banques » n'existe donc pas. La Société générale et La Banque Postale se démarquent cependant par une réticence plus grande à travailler avec les partis, pour des raisons historiques ou systémiques, ce qui a pour effet d'alourdir les sollicitations auxquelles font face les autres établissements.
Une difficulté non négligeable de ma mission a consisté à convaincre mes interlocuteurs que je pouvais agir sans disposer de pouvoirs de coercition : le médiateur n'est pas un « Médiator » ; il ne peut ordonner à une banque de prêter, ni obliger un parti à lancer un plan social pour améliorer son bilan comptable ou réduire ses dépenses.
Les partis éligibles à l'aide publique sont invités chaque mois à la médiation, dans le cadre de réunions d'information générale. Des contacts ou des échanges approfondis ont eu lieu avec six à sept d'entre eux à l'occasion des élections européennes. Des rencontres plus circonscrites sont également organisées avec les partis demandeurs ou sollicités.
Dans ce cadre, j'ai diffusé aux formations politiques des fiches techniques et de procédure, notamment un dossier indicatif de demande de prêt, élaboré après consultation de la Fédération bancaire française. J'ai également indiqué, lorsque je le pouvais, les « bonnes adresses » à saisir afin d'améliorer les échanges avec les banques. J'ai enfin expliqué les conditions de recevabilité des dossiers bancaires. Il existe une demi-douzaine de conditions à remplir : le respect des formes, le seuil des sondages, le risque de crédit, le risque d'annulation du compte, les efforts de gestion du parti sur son bilan et son patrimoine, le risque de non-conformité et les problèmes de réputation, d'image, de notoriété - le capital social du parti en quelque sorte. Ces conditions d'analyse jouent de manière différenciée selon les listes ou les partis, bien entendu.
La médiation a obtenu des banques, avec des variations dans le degré d'enthousiasme, l'identification des acteurs pertinents pouvant être saisis utilement par la clientèle politique et par le médiateur. Les banques rechignent cependant à une diffusion large de cette information aux partis, parce qu'elles redoutent une centralisation des demandes et une remontée des dossiers à des niveaux de décision inadéquats. Il serait pourtant insoluble que le médiateur soit le seul recours hiérarchique pour tous les refus de 35 000 agences bancaires...
La médiation a saisi, par plusieurs courriers, chaque groupe bancaire pour s'étonner de la qualité moyenne de la réception de certains candidats aux élections et pour s'interroger sur une organisation trop peu transparente et opérationnelle pour une clientèle sensible et pressée.
Une seule médiation officielle a été menée, concernant le Rassemblement national. Pour les autres grands partis, les médiations ont été informelles mais immédiates, car les mandataires et les trésoriers sont entrés rapidement en négociation avec les banquiers ; je n'ai eu qu'à veiller au déroulement des échanges.
Les échanges avec le Rassemblement national sont fréquents et constructifs, même si ce parti n'a pas obtenu gain de cause. La médiation l'a invité à présenter un dossier en bonne et due forme et a installé un dialogue soutenu avec toutes les banques saisies par le parti soit au titre de sa demande initiale, soit au titre des saisines sur ma recommandation.
Le Rassemblement national souffre de ne pas « cocher » toutes les cases de la recevabilité, alors même que ses sondages sont excellents et qu'il dispose, a priori, de garanties : les critères de conformité, de santé financière du mouvement et, même s'ils ne sont pas explicites, de notoriété, d'image ou de réputation lui nuisent encore. Cela pourrait changer dans les prochaines années.
En matière de financement de la vie politique, les résultats ne sont pas excellents, mais ils ne sont pas mauvais. Pour l'ouverture de comptes bancaires, le bilan est tout à fait acceptable. Deux partis, Debout la France et Europe Écologie-Les Verts, ont fait état de difficultés, qui restent encore à vérifier ; la liste de M. Asselineau peut-être également. Mais il faut bien distinguer le traitement médiatique de la réalité des dossiers, dont l'examen prend du temps. L'inégal traitement dans les médias, redouté par les banques, ne facilite pas une approche sereine.
Le médiateur et la Banque de France ont eu à connaître sept demandes d'ouverture de compte, dont trois seulement étaient faites dans le cadre des élections européennes : Allons Enfants, Alliance Jaune et Évolution citoyenne. Les autres demandes ont été abandonnées rapidement. Quand ils ont été connus, les problèmes ont été réglés immédiatement, souvent en 24 heures.
Pour les élections municipales, il faudra que les candidats puissent accéder rapidement au médiateur et à la Banque de France. Il ne devrait pas y avoir de difficulté majeure pour l'ouverture des comptes.
Pour les crédits, le bilan est un peu plus contrasté. Plusieurs formations politiques ont fait état, le plus souvent devant les médias, de difficultés à obtenir un financement bancaire, mais très peu ont saisi finalement le médiateur, compte tenu de leur dossier réel.
Un seul parti, le Rassemblement national, l'a véritablement fait ; il a servi de « cas d'école » pour vérifier les critères de recevabilité sur le marché bancaire.
J'ai échangé avec toutes les banques concernées par les situations dont j'ai été informé. Certaines se sont résolues, soit que le parti ait obtenu gain de cause - tel est le cas pour le Parti socialiste et Les Républicains - soit que sa demande de crédit ait été acceptée, de manière plus ou moins importante - à l'exemple d'Europe écologie-Les Verts et La France insoumise.
Plusieurs partis ont renoncé à un soutien bancaire, soit qu'ils aient été suffisamment dotés, comme La République en marche, soit que les sondages aient été faibles - Génération.s, le Parti communiste français, l'Union des démocrates et indépendants, Les Patriotes, etc.
Assez logiquement, comme par le passé, et à mon invitation, plusieurs mouvements - dont le Rassemblement national et la France insoumise - se sont lancés dans des campagnes d'appel aux dons, et ont utilisé la possibilité offerte par le législateur de contracter des emprunts militants auprès des particuliers, qui s'est révélé fructueuse - les collectes ont parfois permis de dépasser le besoin de financement initial.
Selon mon premier diagnostic, la situation ne semble pas pathologique, mais elle est facilement médiatisée. Je cherche ce que pourrait être mon diagnostic pour fin septembre, en tenant compte de la sensibilité et de la complexité du dossier. Ce diagnostic pourrait être double : sur le plan technique, il n'y a pas à regretter la banque de la démocratie, car il n'y a pas eu de défaillance sensible, ni avérée, du secteur bancaire. Pourtant, au niveau politique, une majorité de partis et de banques réclament un guichet public.
Techniquement, la banque de la démocratie, unique souci de certains candidats et de certains médias, ne semble pas s'imposer ; le problème du financement des candidatures ne paraît pas suffisamment grave pour envisager le montage d'un dispositif « exceptionnel », compliqué, public et sans doute coûteux.
Différents calculs seront présentés pour évaluer le taux d'échec ou le taux de réussite des demandes de crédits - par rapport au nombre de listes, par rapport aux listes ayant obtenu au moins 6 % des suffrages, au nombre de partis siégeant au Parlement... Il serait arithmétiquement absurde de mettre dans le même panier un parti à plus de 20 % des voix et des listes sans audience réelle.
Cependant, les partis souhaitent se débarrasser de la confrontation avec les banques et inversement, pour des raisons assez évidentes : il s'agit de la complexité des procédures bancaires sur les personnes politiquement exposées d'un côté, et de la fragilité de certains partis politiques au regard de sondages ou d'affaires judiciaires de l'autre.
Le rapport de la médiation rappellera que même une banque de la démocratie ne pourrait pas ignorer les lois et règlements et les directives européennes, applicables au risque de crédit et au risque de non-conformité. Par ailleurs, les conditions de distribution des crédits entre les partis seraient également fort délicates à établir.
Il n'est pas non plus nécessaire d'imposer aux banques une obligation légale de prêter, comme le suggère la récente proposition de loi d'un de vos collègues : il n'y a pas de droit au crédit, car les banques ne disposent pas des dépôts de leurs clients sans conditions.
Que faire pour les élections municipales de 2020 ? La campagne, qui démarrera dès la rentrée, pourrait être plus compliquée avec de très nombreux acteurs, bien plus amateurs que lors des européennes.
En 2014, 21 000 listes, représentant près d'un million de candidatures, ont été présentées dans les 10 000 communes de plus de 1 000 habitants, et ce chiffre pourrait augmenter avec les listes « émergentes ». Si 20 % de ces listes recourent à un emprunt, en extrapolant des chiffres anciens corroborés par les élections européennes, soit 4 200, et que 30 % d'entre elles restent sans crédit bancaire - autre extrapolation -, 1 260 listes pourraient saisir le médiateur...
Après les élections européennes, il me semble possible d'améliorer les procédures de financement des partis et des élections. Plusieurs mesures sont envisageables. Le législateur pourrait d'abord réviser la prime majoritaire des partis victorieux aux élections ; ces deux dernières années, trois partis sont devenus alternativement riches et pauvres selon le cycle électoral. Actuellement, La République en Marche reçoit vingt millions d'euros par an, le Rassemblement national cinq millions d'euros. Les partis devenus pauvres ont alors du mal à donner des garanties suffisantes aux banques. Ce système, judicieux il y a quelques années, devrait être amendé pour plus de pondération.
Autre solution, le financement participatif est très à la mode, mais il nécessite, pour les partis, un mandataire financier pouvant encaisser ces recettes. Vous pourriez peut être assouplir cette législation - mais peut-être pas avant les élections municipales. Ces emprunts militants ont très bien fonctionné lors des élections européennes.
En plus d'un droit au compte bancaire, stricto sensu, qui doit être accompagné d'une autorisation pour obtenir une carte bancaire, il faudrait établir un droit au chéquier. Certains banquiers avancent la prochaine disparition des chéquiers et des cartes bancaires pour le refuser, mais avoir copié ce dispositif sur le droit au compte pour les particuliers les plus fragiles n'est pas bon. Allons plus loin pour les candidats et les partis politiques.
Je m'interroge, personnellement, sur la mutualisation - ou syndication - des prêts entre banques. Si plusieurs banques prêtent, on pourrait créer rapidement un prélèvement minimum abondant un fonds de garantie, lui-même pouvant être soutenu par l'État.
En outre, il faudrait informer au plus tôt les candidats concernant la médiation ; je suis souvent le dernier saisi, alors que tout existe : un guide rédigé par le ministère de l'intérieur, des informations de la CNCCFP et des informations de la part des banques. Malheureusement, il n'existe aucun enregistrement des souhaits de candidature avant le dépôt en préfecture.
Il n'y aurait que des avantages à ce que le monde bancaire diffuse de manière plus transparente sa politique de crédit aux candidats et partis politiques, organise les réseaux en établissant des priorités et hiérarchise en interne les recours. Certes, il y a des appétences différentes au risque, mais c'est un problème de management et de communication.
Il faudrait que les banques diffusent plus simplement, auprès des « béotiens », les conditions nécessaires pour obtenir un crédit. Les réseaux devraient également s'organiser en établissant des priorités, selon qu'il s'agit de listes de candidats d'une grande ou d'une petite commune : pourquoi perdre son temps à se rendre à l'agence de quartier, alors que les responsabilités sont prises à un autre niveau hiérarchique ? Il faudrait hiérarchiser les recours : le médiateur ne peut être le recours des 35 000 agences bancaires, sauf à être considéré comme la banque de la démocratie. Un premier recours hiérarchique devrait être organisé en interne, à un échelon supérieur. Si le dossier n'est pas recevable, le médiateur pourrait appeler un référent régional, unique décisionnaire commercial du réseau afin de mieux organiser les échanges.
Les échanges vont se poursuivre pendant l'été avec tous les acteurs concernés pour tenter d'asseoir un diagnostic, si possible consensuel.
J'ai exercé cette mission de médiation de manière totalement indépendante, dans des conditions assez lourdes et intenses, et avec peu de moyens. Il est difficile de calibrer les besoins, compte tenu du caractère novateur de la mission, et virtuel de nombreuses candidatures. Je dois vous rendre un rapport pour fin septembre, ainsi qu'aux ministres compétents. J'espère pouvoir vous confirmer alors que la création du médiateur n'a pas été inutile pour mieux comprendre et tenter de rapprocher les problématiques des uns et des autres, dans un domaine qui a déjà fait l'objet de nombreuses réflexions portées par au moins huit lois depuis 1988.
Nous tâtonnons depuis longtemps concernant le financement de la vie politique, mais j'espère que nous progressons ! Merci pour cet exposé très approfondi, qui m'a convaincu de l'intérêt de votre tâche et nuance mon appréciation sur les difficultés rencontrées par les candidats lors des élections européennes - même si les conditions pour les municipales seront très différentes.
Merci pour ce rapport détaillé et intéressant.
Si on ne met pas en oeuvre la banque de la démocratie, il ne fallait pas la proposer ! Un parti souhaitait, dans une logique déclarative et symbolique, se prévaloir des critères de transparence absolue, mais cela reste à discuter au regard des informations récentes sur les ministres du Gouvernement. À quoi cela sert-il, sinon à se prévaloir de qualités qu'on n'appliquera pas ensuite ?
Il n'y a pas eu de difficulté particulière pour les élections européennes, dites-vous, mais j'ai du mal à suivre votre raisonnement qui repose sur la logique du pari des sondages. On anticipe la situation démocratique pour financer ou non certains groupes ou partis. C'est très bien d'un point de vue financier, mais cela pose problème pour la démocratie. En cas d'élections au scrutin uninominal, le jugement démocratique se fait par le critère de sélection des banques. Un cens préalable s'impose à certains individus, incompatible avec une logique démocratique normale, et cela justifierait une intervention publique.
Changeons le mode de financement actuel des partis politiques : il doit être inversement proportionnel aux résultats. Les revirements électoraux que nous connaissons vont s'accentuer. La démocratie, c'est le gouvernement majoritaire dans le respect de l'opposition. Donnons plus de moyens aux petites formations qu'au parti majoritaire, et atténuons les effets des revirements électoraux.
Vous ne faites pas un métier facile, monsieur le médiateur, mais bravo de le faire avec autant d'enthousiasme ! Les critères d'attribution des prêts sont d'abord les sondages, ensuite la tête du client ; c'est un peu gênant, même si c'est assez courant chez les banquiers...
Parmi vos idées, celle d'un système de réassurance, éventuellement garanti par l'État, sur le modèle de celui des catastrophes naturelles, me semble la plus opportune.
Monsieur le médiateur, vous êtes le produit heureux de l'engagement gouvernemental de créer une banque de la démocratie, qui visait à rendre l'engagement politique accessible à tous. Le Gouvernement a revu ses prétentions avant de les abandonner. Vous avez été nommé plusieurs mois après la loi de 2017 pour la confiance dans la vie politique, et après l'abandon de l'ordonnance.
Vous avez extrapolé les chiffres des municipales de 2014, estimant à 30 % le nombre de candidats qui pourraient se voir refuser un crédit bancaire ; mais il reste un angle mort par rapport à la règle actuelle. Les candidats dans des communes de moins de 9 000 habitants ne sont pas soumis à des comptes de campagne, donc n'ont pas droit au remboursement par l'État des frais engagés. Cela interroge sur l'accès au crédit pour les candidats dans la très grande majorité des communes : seules 1 000 communes ont plus de 9 000 habitants. Cela complique l'engagement politique.
Vos propos sont très intéressants, bien que je ne les partage pas. Je souhaite qu'ils soient reproduits le plus exactement possible dans le compte rendu, et non de façon elliptique.
La banque de la démocratie devait permettre à tout le monde de faire campagne sans blocage financier, et de permettre à des partis, sûrs d'être remboursés, d'avancer ainsi l'argent nécessaire pour financer la campagne. Si vous n'avez pas obtenu un prêt de 4 millions d'euros, vous ne pouvez pas en demander le remboursement ensuite et donc vous ne pouvez pas faire campagne. C'est un problème démocratique !
J'ai déjà pointé les différences de traitement des banques selon les candidats. Or, la CNCCFP est très vigilante pour que les entreprises ne fassent aucune discrimination entre les candidats. Ainsi, un imprimeur doublant ses tarifs pour un candidat mais appliquant une réduction de 50 % à un autre est considéré comme lui attribuant un avantage en nature. Lorsqu'une banque opère des discriminations selon la couleur politique du candidat, selon ses propres sympathies, c'est aussi un avantage en nature !
La fonction de médiateur du crédit aurait dû servir à refuser de telles discriminations. Or, tout le monde le sait, il y a deux types de partis : les bien-pensants europhiles, et les autres. Il n'est pas normal de consentir un emprunt à tel parti bénéficiant d'une bonne image et d'une bonne réputation, et de ne pas prêter à celui ayant une mauvaise image, non pas auprès des électeurs, mais selon les prétentions de la banque. Tout votre travail était de veiller à l'absence de discrimination.
Or les débats dans la presse montrent le contraire. Dans Le Figaro du 6 février 2019, un représentant de la liste du Rassemblement national se plaignait de discrimination, regrettant que « c'est désormais aux banques de dire qui a le droit de se présenter ou non ». C'est extrêmement préoccupant pour la démocratie. De même, un représentant de la liste de la France insoumise estimait que « ce n'est pas aux banques de décider quelles sont les bonnes idées et quelles sont les mauvaises ».
À propos de la liste du Rassemblement national, vous avez indiqué dans ce même article, et cela m'a scandalisé, qu'il y a « un certain nombre de critères à respecter. Celui de la solvabilité ne pose pas problème pour le Rassemblement national. Celui de la conformité, de la réputation et de l'image, c'est une autre chose. »
Monsieur le médiateur, vous estimez que la réputation et l'image, donc la couleur politique et la nature des idées, puissent être un critère pour prêter. Or, une personne morale n'a pas le droit d'aider tel ou tel candidat selon que ses idées correspondent ou non à la pensée dominante. C'est un vrai problème.
Dans un article du Monde du 8 avril dernier, le directeur d'une grande banque déclarait : « C'est une mauvaise querelle qui nous est faite. Des partis sans financement public parce qu'ils n'ont pas de parlementaires, avec peu de ressources et peu de garanties de franchir le seuil des 3 %, se posent en victimes. Mais les banques ne peuvent pas financer une activité à fonds perdus dès le départ. » Mais le parti arrivé en tête des européennes cochait toutes les cases énoncées par le directeur de la banque, et il était en tête des sondages. Il a été évincé en raison d'un délit de mauvaise apparence et d'idées non conformes à la pensée dominante !
Dans le même article du Monde, vous avez affirmé, concernant le refus d'obtenir des crédits, qu'il « n'est pas anormal de faire appel aux militants pour financer une campagne, les partis sont aussi faits pour cela ». Ainsi selon vous, il y a deux catégories de candidats : d'une part, ceux qui ont le soutien des banques et qui, avec leur aide, peuvent financer sans problème leur campagne ; d'autre part, les victimes des banques qui n'ont qu'à se débrouiller en faisant appel aux militants. Dans une vraie démocratie, chacun doit avoir un accès normal au crédit !
J'ai moi-même vécu une telle discrimination. J'ai souhaité emprunter, pour la liste sur laquelle j'étais candidat aux élections européennes, une somme non négligeable, auprès de la banque dans laquelle j'ai mon compte bancaire depuis cinquante ans. Aucun problème, m'a-t-on répondu, puisque je n'avais aucun risque particulier. J'ai signé un papier, en attendant la vérification par les instances supérieures. Deux jours après, mon conseiller bancaire me rappelle : la banque ne pouvait pas me prêter car nous avions écrit dans le projet de nantissement qu'il visait la campagne du parti X - même si c'est moi qui faisais le nantissement ; mais il n'y aurait plus aucun problème si on enlevait la référence au parti X. Nous avons donc enlevé cette référence au parti X, mais un tel procédé est scandaleux ! Pour le parti Y, il n'y aurait eu aucun problème...
Les banques sont-elles frileuses à ouvrir l'accès au crédit des candidats ? Vous avez énoncé certains critères. Candidat - heureux - à des élections législatives, j'avais eu des difficultés à obtenir un crédit.
Savez-vous si de nombreux candidats n'ont pas pu rembourser leurs prêts ? S'agit-il de sommes considérables ?
C'est toujours divertissant d'écouter le concert de gémissements qui accompagne cette audition, mais certains d'entre nous ont quelques heures de vol dans les activités politiques.... Comment se finançait-on il y a quarante ans, trente ans ou il y a vingt ans ? Globalement, les règles ont évolué dans le bon sens. J'entends de nombreuses critiques sur le dispositif législatif actuel, qui est cependant un bel exemple de coproduction législative, chaque étape des réformes de la loi de 1988 ayant été adoptée par des majorités différentes. Celles-ci devraient en assumer la responsabilité...
Le système actuel est fondé sur des avances avant remboursement par l'État. Imaginez le nombre de listes que nous aurions s'il n'y avait aucun seuil ! Faut-il un droit à disposer d'avance de crédits publics pour faire sa campagne ? Non, car cela serait inconstitutionnel. Ensuite, si le candidat a trouvé son financement, il est remboursé par l'État. Quelqu'un veut-il changer ce système ? Compte tenu de l'appréciation moyenne du grand public sur la vie politique et les banques, je lui souhaite bonne chance...
Le critère réputationnel est irritant pour chacun d'entre nous, puisque nous sommes des « personnes politiquement exposées ». Nous devons montrer davantage patte blanche que les autres. Il s'est d'ailleurs développé une industrie de la conformité, assez rémunératrice, rançon des agissements de nos anciens.
Monsieur Masson, de ce point de vue, le Rassemblement national présente une particularité partagée par un autre mouvement de la majorité actuelle : la justice s'intéresse de près à ses modes de financement et à l'utilisation des ressources tirées des activités de ses parlementaires.
Lorsqu'une banque, soumise à de nombreuses critiques, finance une activité politique, elle aussi critiquée, il n'est pas complètement déraisonnable qu'il existe un système de filtre et des critères de choix.
Sur le plan pratique, nos partis politiques, pour la préparation des municipales, savent faire appel à des professionnels de la communication et des réseaux sociaux, très bien rémunérés. Il ne serait pas totalement absurde d'avoir, auprès des trésoriers statutaires des partis, des référents qui informeraient les candidats sur la manière de présenter une demande de prêt.
Même si la banque de la démocratie n'a pas été créée, et cela constitue un succès pour la majorité sénatoriale, le médiateur devra renforcer son équipe de vacataires en vue des élections municipales.
L'abandon de la banque de la démocratie n'est pas un succès de l'opposition, mais un échec du Gouvernement, qui avait un mandat du législateur. Il n'a pas été en mesure de l'honorer et a renoncé à présenter son ordonnance.
Pour réduire les difficultés, ne faudrait-il pas que l'État prenne en charge les bulletins de vote, afin que les candidats autorisés à concourir ne soient pas confrontés à cette barrière ? Certains bulletins ne sont pas disponibles dans les bureaux de vote, faute de moyens ; or cela donne une mauvaise image du fonctionnement de notre démocratie.
Que pensez-vous de l'avis du Conseil d'État du 19 mars dernier qui a autorisé les partis européens à financer la campagne des candidats ? Quelles en ont été les conséquences ?
La banque de la démocratie est une bonne idée pour aider les nouveaux candidats, béotiens mais convaincus, qui veulent faire de la politique. J'ai eu, de nombreuses heures durant, des personnes désarmantes au téléphone : elles n'avaient aucun moyen ni connaissance sur le sujet. La loi pour la confiance dans la vie politique a été bien rédigée : la banque de la démocratie ne devait être créée que s'il y avait une défaillance sensible du système bancaire, ce qui n'est pas le cas ; d'où l'abandon du projet, mais l'idée reste bonne.
Le médiateur n'explique pas les procédures aux trésoriers, excellents, des grands partis politiques traditionnels, auxquels je diffuse l'information, mais aux autres candidats, qui se prétendent ignorés par la démocratie.
Les sondages ne font pas la loi bancaire. Il y a six ou sept autres critères tout aussi importants, mieux définis par la législation nationale et européenne, comme les risques de crédit et de conformité. Ne répétons pas seulement ce que l'on entend... Les banques ne font pas qu'écouter les sondages, extrêmement fragiles.
La jurisprudence de la CNCCFP sur les avantages en nature est très développée, je ne reviendrai pas dessus.
Les partis « bien-pensants », pour reprendre l'expression de M. Masson, ne sont pas un critère dominant, il y a d'autres critères. Et pour le Rassemblement national, ce critère évolue. Il vaudrait mieux travailler sur les autres critères.
Qui finance la vie politique ? Ce sont les militants, les cotisations, les élus. Après les affaires il y a quarante ans, le législateur a décidé de mettre en place des contributions publiques puis des emprunts militants. La banque ne peut pas être le seul financier de la vie politique, ou alors ce serait adopter une vision libérale. Notre système fait intervenir à la fois l'État et le privé ; ce n'est pas anormal dans notre démocratie, chacun ayant sa légitimité. L'article 4 de la Constitution justifie à la fois la liberté d'entreprendre et la liberté politique. Ne simplifions pas trop ce dossier.
Le législateur a enserré le métier de banquier dans des réglementations de plus en plus complexes en raison de crises financières. Vous n'allez pas leur reprocher de vérifier ces critères de régulation ? Depuis cinquante ans, nous assistons aussi à des affaires politico-judiciaires dont certaines ne sont pas terminées. Une banque n'a pas le droit de prêter si une instance judiciaire est encore à l'oeuvre.
Concernant le risque de défaut, il n'est pas supérieur à celui du marché de la consommation ou des PME. Nous sommes dans un marché de droit commun. N'oublions pas que le contexte est beaucoup plus compliqué en raison de la situation économique et politique, et que nous sommes dans une démocratie qui tient à certains critères et à certaines valeurs. C'est à la fois une complexité et une richesse.
Oui, l'État pourrait s'engager davantage sur la prise en charge de certains frais de campagne, et pas seulement dans une logique de bons sentiments. Imprimer des bulletins et quelques affiches coûte, pour une liste de candidats à l'échelle nationale, environ 270 000 euros. Ceux qui ne disposent pas de cette somme appellent leurs électeurs à imprimer leur bulletin, mais nous risquons alors de trouver dans les bureaux de vote des bulletins qui ne pèseront pas le bon grammage...
Imaginez la situation si les membres des bureaux de vote venaient à vérifier le grammage des bulletins ! Ce serait ubuesque. Il faudra simplifier le dispositif et que l'État prenne en charge cette dépense, assez minime.
L'avis du Conseil d'État concernant les flux financiers avec des partis européens n'a pas eu beaucoup de conséquences. Il me semblait logique et ne s'appliquait qu'aux seules élections européennes. Mais selon les partis, il est arrivé trop tard pour leur être utile. Les candidats se sont débrouillés grâce aux emprunts militants.
Merci pour cette audition très intéressante. Il reste de nombreuses questions sans réponse, mais c'est plutôt à nous d'y répondre. Je prends acte que vous pourrez contribuer à la réflexion, dans l'intérêt de la démocratie.
Montaigne, qui fut maire de Bordeaux, écrivait que cette charge lui paraissait « d'autant plus belle qu'elle n'a ni loyer, ni gain autre que l'honneur de son exécution ». Cette conception se heurte toutefois, dans une société démocratique, à la nécessité de compenser les charges et sujétions liées à l'exercice des mandats locaux pour permettre à tout citoyen d'y accéder.
Plus largement, le législateur se doit d'offrir aux élus les garanties nécessaires pour qu'ils puissent exercer leur mandat dans de bonnes conditions, au service de l'intérêt général. Ce sujet occupe les travaux de notre haute assemblée depuis de nombreuses années, et plus intensément ces derniers mois avec les travaux de notre délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation, qui a publié un rapport en six volumes en juillet 2018. Ce sujet a également été abordé à l'occasion de l'examen de la proposition de loi relative à l'équilibre territorial et à la vitalité de la démocratie locale que nous avons adoptée en juin 2018.
Assurer aux élus locaux de bonnes conditions d'exercice de leur mandat constitue une préoccupation aiguë. Tout d'abord, parce que les vagues de décentralisation successives ont augmenté considérablement les responsabilités des élus locaux. Ensuite, parce que le droit à appliquer devient de plus en plus complexe, tandis que les services de l'État diminuent leur appui aux collectivités territoriales. Résultat, l'exercice d'un mandat local demande toujours plus de temps et d'investissement, alors que les conditions d'exercice des mandats n'ont que faiblement progressé.
Par ailleurs, les citoyens sont de plus en plus exigeants vis-à-vis des élus. En outre, le monde du travail évolue, ce qui explique qu'il soit de plus en plus difficile de concilier l'exercice d'un mandat avec la vie professionnelle. Les dernières évolutions institutionnelles, notamment relatives à l'intercommunalité, rendent enfin cet exercice de plus en plus chronophage.
Les maires et les autres élus municipaux sont le visage de la République au quotidien, et si nous souhaitons qu'ils continuent à s'engager, il est urgent d'apporter des réponses à leurs attentes.
La délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation s'est saisie du sujet, et a abouti à la conclusion que les conditions d'exercice des mandats locaux devaient être améliorées, sans que soit remise en cause la conception française de la démocratie locale. Les améliorations pourraient plus particulièrement concerner quatre volets : le régime indemnitaire, le régime social, la formation et le statut pénal des élus locaux.
C'est dans ce contexte que nous sommes appelés à examiner la proposition de loi créant un statut de l'élu communal de notre collègue Pierre-Yves Collombat, dont certaines dispositions sont intéressantes, mais dont d'autres nécessiteraient un examen plus approfondi. De manière générale, le texte semble inabouti.
Les mesures proposées ne répondent pas toujours à un besoin avéré, et leur impact, notamment financier n'a pas été pleinement mesuré. D'assez nombreuses divergences peuvent être observées entre l'exposé des motifs et les conséquences en droit des dispositions proposées. Enfin, certaines mesures pourraient avoir des effets contre-productifs, par exemple en matière de formation.
L'article 1er, de portée exclusivement symbolique, proclame la création d'un « statut de l'élu territorial » et, surtout, vise à supprimer le principe de gratuité des fonctions électives en s'engageant sur la voie de la professionnalisation des mandats locaux, ce qui constituerait une véritable rupture dans notre conception de la démocratie locale.
L'article 2 a pour objectif d'assurer la disponibilité des candidats aux élections municipales et des élus. Il propose d'abaisser de 1 000 à 500 habitants le seuil de population des communes au-delà duquel les candidats aux élections ont droit à un congé de dix jours pour participer à la campagne électorale. Je n'y suis pas hostile par principe, mais le seuil de 500 habitants paraît arbitraire et cette évolution représenterait une charge nouvelle pour les employeurs : soyons prudents !
L'article 3, convergeant en cela avec le rapport de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation, vise à renforcer l'offre de formation à destination des élus locaux en étendant aux communes dont la population est comprise entre 1 000 et 3 500 habitants l'obligation d'organiser une formation à l'intention des élus ayant reçu délégation. Serait également créé un fonds national pour la formation des élus locaux, alimenté par les sommes non dépensées des crédits inscrits au budget des communes au titre de la formation professionnelle. L'intention est évidemment louable, mais le dispositif proposé risque d'avoir du mal à fonctionner. Les communes sont aujourd'hui libres de budgéter, au titre de la formation, entre 2 % et 20 % du montant total des indemnités de fonction susceptibles d'être allouées aux membres du conseil municipal.
L'article 4 propose une augmentation conséquente des indemnités de fonction des maires, ainsi que l'institution d'une majoration indemnitaire pour les maires des communes de moins de 10 000 habitants ayant cessé leur activité professionnelle - c'est un point assez subjectif, mais le rapport de la délégation et d'autres travaux du Sénat ont effectivement noté que les maires des communes les moins peuplées, très investis, devaient être mieux indemnisés. Mais les montants proposés occasionneraient des dépenses non négligeables : prudence !
L'article 5 reproduit des dispositions déjà en vigueur concernant les remboursements de frais des élus locaux.
L'article 6 concerne le régime fiscal et social des élus : il vise à revenir sur les récentes réformes en matière de fiscalisation des indemnités des élus locaux, comme cela avait été évoqué lors de l'examen du dernier projet de loi de finances. Le Gouvernement a en effet été très maladroit vis-à-vis des communes démographiquement les moins importantes, mais un premier compromis a été trouvé sur ce sujet à l'occasion de la dernière loi de finances, à l'initiative du Sénat.
L'article 7 vise à augmenter le nombre d'élus qui ont droit à la suspension de leur contrat de travail pendant la durée de leur mandat et à leur réintégration dans l'entreprise à l'issue de celui-ci. De manière plus pertinente à mes yeux, il prévoit de supprimer les conditions de population auxquelles est soumis le versement de l'allocation différentielle de fin de mandat aux maires et à leurs adjoints, ainsi qu'aux présidents et vice-présidents d'EPCI à fiscalité propre. Mais là encore, aucune compensation financière n'est prévue...
L'article 8 vise à limiter le risque pénal pesant sur les élus. Là encore, c'est un objectif légitime et largement partagé. L'article propose une nouvelle définition du délit de prise illégale d'intérêts en reprenant une rédaction plusieurs fois adoptée par le Sénat. Il prévoit toutefois d'instaurer une nouvelle cause d'irresponsabilité pénale au bénéfice des personnes investies d'une fonction d'autorité, ce qui me paraît inenvisageable et contraire aux principes du droit pénal.
Enfin, l'article 9 a pour objet le droit à l'information des conseillers municipaux et les droits de l'opposition. Lors des auditions, nous avons assisté à des débats vifs, certaines associations d'élus craignant que l'on alourdisse les contraintes pesant sur les collectivités.
Si nous convergeons sur plusieurs sujets, il serait intéressant d'avoir un point de vue plus informé sur ces mesures, dont certaines auraient un coût élevé et d'autres pourraient générer des dysfonctionnements. Malgré l'intérêt de certaines autres propositions, je vous propose de ne pas adopter le texte.
Les conditions d'exercice du mandat des élus locaux est un sujet sur lequel le Sénat doit être à l'initiative. Je remercie Pierre-Yves Collombat d'avoir abordé ce sujet.
Notre rapporteur a souligné les nombreux points sur lesquels la proposition de loi converge avec les travaux du Sénat, et notamment les travaux quasi unanimes de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation. Nous aurons de nouveau l'occasion de parler de ce sujet lorsque le Gouvernement présentera un texte, annoncé prochainement, portant sur les « irritants » de la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe), mais aussi sur les conditions d'exercice des mandats locaux.
Monsieur le rapporteur, quel pourrait être le champ des amendements recevables ?
Conformément aux recommandations faites par le Président du Sénat à la suite de la réunion de la Conférence des présidents de la fin du mois de février, il nous appartient, au moment où nous établissons le texte de la commission, de définir le périmètre de la proposition de loi déposée sur le bureau du Sénat afin de déterminer les critères de recevabilité des amendements au titre de l'article 45 de la Constitution.
En l'occurrence, la proposition de loi créant un statut de l'élu communal vise à modifier certaines garanties accordées aux titulaires de mandats locaux ou plus spécialement municipaux, à créer ou à modifier des dispositions relatives à la responsabilité pénale des élus et des autres personnes dépositaires de l'autorité publique ou chargées d'une mission de service public et à renforcer le droit à l'information des conseillers municipaux sur les affaires soumises à leur délibération et sur le fonctionnement de la commune.
Nous pourrions donc considérer comme recevables au titre de l'article 45 tout amendement relatif aux conditions d'exercice des mandats locaux, tout amendement relatif à la responsabilité pénale des élus, mais aussi tout amendement ayant pour objet le droit à l'information des conseillers municipaux, voire des autres élus locaux.
En revanche, les amendements n'entrant pas dans ce champ pourraient être considérés comme des « cavaliers ».
Je souscris à la conclusion du rapporteur sur le sort de ce texte en commission : c'est d'ailleurs ce qui pouvait m'arriver de mieux ! Car il ne pouvait pas en être autrement...
Je ne savais pas qu'il y avait une commission permanente spécifiquement chargée des questions relatives aux collectivités, qui était la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation. Je croyais naïvement que la commission des lois était compétente. Je n'avais donc pas compris que mon texte devait être confronté au point de vue des membres de la délégation, et non à celui des commissaires aux lois...
Cela revient à cela : « Je ne suis pas d'accord car c'est en contradiction avec la position de la délégation aux collectivités territoriales... ».
J'aurais bien sûr accepté de m'effacer devant un texte produit conjointement, mais un tel texte n'existe pas. Je suis le seul à m'être saisi du problème.
Pour l'anecdote, Michel de Montaigne n'a été maire qu'une seule année ; dans ses Essais, il dit que jamais ses fonctions n'ont troublé son esprit. Pour ma part, quand j'étais maire, mon esprit a été troublé. J'ai donc l'impression qu'il ne s'est pas totalement consacré à sa tâche, dont la principale grandeur était selon lui la possibilité de ne rien faire.
Les élus municipaux sont les seuls élus pour lesquels les fonctions sont gratuites, depuis une loi de 1831. Je salue ce coup de chapeau de la République à la Monarchie de Juillet. À l'époque, pour voter, il fallait prêter serment d'allégeance à la charte et au Roi. On pourrait rétablir cette obligation et exiger un serment d'allégeance au président de la République !
Les fonctions de maire sont gratuites, mais les maires sont indemnisés. Pourquoi ? Parce qu'ils ont perdu une partie de leur salaire, de leur retraite ? Ils reçoivent une indemnité compensatoire, mais on ne sait pas ce qu'elle compense. Cela n'empêche pas qu'elle soit soumise à l'impôt
Il s'agit d'un revenu, c'est pour cela que ces indemnités sont fiscalisées.
S'il s'agit d'un revenu, c'est que la fonction n'est pas gratuite. Je crains que cette contradiction ne vous ait échappé, monsieur le président...
Je ne m'attendais pas à soulever un enthousiasme formidable sur l'idée d'attribuer certains droits à l'opposition. Je la défends d'autant plus facilement que je n'en ai jamais eu dans mon conseil municipal ! Mais il s'agit d'une question de principe : au Sénat, l'opposition a des droits, certes modérés, équilibrés, comme on dit au Sénat, mais bien réels : la preuve.
On prétend que la démocratie représentative est morte et on lui préfère la démocratie participative... Mais avant de la mettre à la poubelle, il faudrait déjà la faire fonctionner correctement.
Ce n'est pas très confortable d'avoir une opposition, mais ça l'est toujours plus que les manifestations, les pavés, les émeutes... La démocratie est peut-être le pire de tous les régimes, mais bien à l'exception de tous les autres.
Dernier point, l'article L. 2123-12-1 du code général des collectivités territoriales dispose que : « Les membres du conseil municipal bénéficient chaque année d'un droit individuel à la formation d'une durée de vingt heures, cumulable sur toute la durée du mandat. Il est financé par une cotisation obligatoire dont le taux ne peut être inférieur à 1 %, prélevée sur les indemnités de fonction ». C'est même une invention du Sénat - je ne préfère pas citer de nom... N'est-ce pas extraordinaire pour des fonctions gratuites ?
Mais ce ne sont pas des salariés, puisque c'est une indemnité ! Il faut savoir ce que l'on veut !
Un élément dans le propos de Pierre-Yves Collombat peut tous nous rassembler, c'est son hymne à la démocratie représentative.
Ce texte comporte quelques apports : il montre la nécessité d'ouvrir l'accès aux mandats locaux. Il propose des dispositifs allant dans le sens d'une plus grande professionnalisation des mandats locaux, mais uniquement en déclinant le principe de gratuité. La proposition de loi comporte quelques faiblesses : elle est incomplète au vu de ce que devrait être la définition d'un vrai statut de l'élu - qui est l'objet affiché du texte. Un tel statut devrait aussi être défini au niveau départemental et régional.
Les conditions d'exercice du mandat ne sont pas toutes abordées. On peut aussi se demander quelle est la cohérence des seuils et des taux. Certaines dispositions sont déjà dans le code du travail et le code général des collectivités territoriales. On ne voit pas ce que cela ajoute.
Sans être une instance de décision, la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation a mené une consultation qui donne des indications très factuelles sur les aspirations des élus locaux, en particulier des élus communaux. J'avais compris que le Gouvernement avait voulu s'en inspirer. Mais cela devrait être présenté d'abord à l'Assemblée nationale.
En effet, les projets de loi ayant pour principal objet l'organisation des collectivités territoriales sont soumis en premier lieu au Sénat.
J'avais craint que le Gouvernement ne considère autrement le statut de l'élu.
Je regrette la décision de considérer comme irrecevable au titre de l'article 40 l'amendement permettant le report de la suppression des indemnités de fonction des présidents et vice-présidents de syndicats ou de syndicats mixtes ayant un périmètre inférieur à celui d'un EPCI, alors qu'il maintient une charge existante, et ne l'aggrave pas. Il est regrettable que ces élus ne disposent pas d'une indemnité.
Même si elle comporte des apports, la proposition de loi ne crée pas un vrai statut de l'élu, qui n'existe d'ailleurs pas en France
Merci à Pierre-Yves Collombat pour sa capacité à stimuler notre réflexion. Merci aussi à Mathieu Darnaud, qui fait le lien avec des travaux du Sénat, notamment ceux de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation, qui, sans avoir vocation à légiférer, peut donner son avis.
L'élu est-il un professionnel salarié, ou un citoyen engagé au service de ses concitoyens ? Le Sénat a tranché en faveur de la seconde solution. Mais vous avez raison, monsieur Collombat, en ce qui concerne l'assujettissement des indemnités aux cotisations sociales. Ces cotisations ont été ajoutées à un moment où il fallait trouver de l'argent, tard le soir lors d'une séance sur le projet de loi de finances...
Je regrette que votre proposition de loi ne permette pas, malgré des avancées, d'aller plus loin. Si le Gouvernement fait un projet de loi, j'espère qu'il prendra en compte les travaux de la délégation aux collectivités territoriales et notamment son enquête, qui a révélé des demandes, notamment la sécurisation juridique de la fonction du maire et les facilités offertes à ceux qui doivent conjuguer leurs vies professionnelle et familiale avec leurs fonctions d'élu.
Ce texte va dans le bon sens, mais il est loin de résoudre la question fondamentale, celle du statut de l'élu. Aujourd'hui, les maires ne sont pas des salariés. S'ils l'étaient, l'immense majorité d'entre eux pourrait se présenter devant le juge et faire valoir qu'ils sont rémunérés deux ou trois euros de l'heure, bien en dessous du SMIC. Même pour les élus de grandes collectivités, la rémunération est bien inférieure à ce qui est pratiqué dans la fonction publique ou le privé.
C'est à tort que le gouvernement, socialiste, je crois, avait choisi de soumettre ces indemnités à cotisation sociale. Il faudrait y mettre fin.
Non seulement l'indemnité des maires n'a pas été revalorisée, mais ils ont de plus en plus de travail, ils sont de plus en plus sollicités par leurs administrés et de plus en plus mobilisés par une activité chronophage, mais très faiblement rémunérée : l'intercommunalité. Certains ont crié au scandale devant le nombre de vice-présidents des intercommunalités, mais sans se rendre compte que c'était en contrepartie du temps terriblement long que ces instances représentent pour les maires, même s'ils n'ont pas de vraie responsabilité exécutive.
Combien de fois ai-je entendu des maires de communes de quelques milliers d'habitants solliciter un mandat départemental ou régional pour pouvoir mieux s'acquitter de leurs tâches de maire ?
En Allemagne, les bourgmestres sont trois fois mieux payés qu'en France, et surtout, ils sont mieux payés que le plus haut des fonctionnaires de leur collectivité.
Merci d'avoir amené ce débat passionnant qui nous concerne tous : nous sommes souvent interpellés par nos collègues maires à ce sujet. Je crains qu'une trop grande professionnalisation des maires ne soit le corollaire d'une diminution du nombre de communes. Il y a aujourd'hui plus de 500 000 élus municipaux. Or la France n'est pas comme l'Espagne : elle est habitée sur tout le territoire. Chaque élu municipal est un point de veille, un point de démocratie. On a vu, avec la crise des gilets jaunes, combien cela pouvait compter. Je suis donc contre leur professionnalisation.
Je suis tout à fait favorable à des droits de l'opposition municipale, qui mériteraient d'être formalisés. C'est un inconfort nécessaire. Sur la formation, je suis étonné d'apprendre que depuis qu'elle a été mise en place, la cotisation pour financer le droit individuel à la formation a généré 14 millions d'euros par an, alors que les demandes de formations n'ont été que de deux millions d'euros. La Caisse des dépôts et consignations a ainsi accumulé en trois ans 48 millions d'euros. On peut s'interroger sur les causes d'une si faible mobilisation. Le droit à la formation dure pendant toute la durée du mandat, mais aussi pendant six mois après la fin de ce dernier.
Merci à Pierre-Yves Collombat pour cette proposition de loi utile. Je ne crois pas qu'il existera un jour un statut de l'élu, qui se dresserait comme un monument. Il s'agit d'une construction progressive.
En 1992, étant membre du Gouvernement, j'avais présenté un projet de loi relatif aux conditions d'exercice des mandats locaux, qui créait notamment un droit à la formation. Je m'étais battu pour que celle-ci soit dispensée par des établissements publics, contre l'avis des partis, qui voulaient, bien entendu, qu'elle le soit par leurs propres instituts de formation, qui pourraient ainsi convaincre les élus du bien-fondé de leurs positions... Une formation universitaire est pourtant beaucoup plus riche, car plus large. La loi qui en est issue créait également une retraite pour les élus. Beaucoup étaient pour la répartition en général, mais un consensus s'était dégagé, pour les élus, en faveur de la retraite par capitalisation. De nombreux textes ont amélioré cette première loi. Le dernier d'entre eux, la proposition de loi que j'ai déposé avec Jacqueline Gourault, comportait une vingtaine d'articles qui ont permis d'avancer sur les autorisations d'absence ou le congé individuel... C'est une oeuvre qui s'améliore dans le temps. C'est un droit en devenir, et c'est très bien ainsi.
Je m'attendais à ce qu'on dise que j'allais trop loin, mais pas que je n'allais pas assez loin : tout arrive ! Oui, mon texte est incomplet, mais je ne pouvais proposer un statut complet en un temps si restreint.
Je veux bien que ce statut soit en devenir. Mais un certain nombre de maires attendent des résultats. Monsieur le président nous dit qu'il est naturel que le Sénat soit à l'initiative ; et bien soit, qu'il le soit vraiment !
Les élus ne sont pas des employés de maison ou des fonctionnaires. C'est leur mode de désignation et leur précarité qui font leur spécificité. De même que le fait qu'ils ne travaillent pas pour faire tourner une usine, mais pour l'intérêt général.
En ces temps où le management est mis à toutes les sauces, on confond tout ! On en oublie l'essentiel, qui est de faire fonctionner notre démocratie représentative. Depuis la Révolution française, la commune, la démocratie locale sont inséparables de la démocratie nationale. Contrairement à ce qu'on peut lire, la commune est d'origine révolutionnaire : les paysans ont pris leurs dispositions bien avant que la Constituante ne s'en soucie. Certains des grands hommes qui en étaient membres, comme Condorcet, voyaient d'ailleurs plutôt d'un mauvais oeil cette efflorescence de petites communes ; quoi, donner du pouvoir à tous ces culs terreux ?
Monsieur Collombat, je partage votre vision des commissions et des délégations. Je n'ai pas jugé ce texte à la lueur de ce que fait la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation.
Comme le dit Eric Kerrouche, certaines choses pourraient compléter ce texte sans nécessairement s'y opposer. Discuter des conditions d'exercice des mandats locaux nécessite d'aborder les mandats autres que municipaux.
Je suis en phase avec les propos de François Grosdidier. Aujourd'hui, les évolutions issues de la loi NOTRe sur les périmètres intercommunaux ont changé la nature de l'exercice des mandats locaux.
La question des indemnités mérite cependant un examen plus approfondi ; c'est pour cela - et pas seulement à cause de l'article 40 de la Constitution - qu'il est difficile d'avancer sur le sujet.
Monsieur Sueur, il vous plaira de savoir que des initiatives récentes tendent à créer des formations d'élus dispensées par le monde universitaire. C'est le cas de l'université de Bretagne...
Ironie du sort, un communiqué de l'AFP vient de tomber : le Gouvernement présentera le 15 juin un projet de loi tendant à effacer les « irritants » de la loi NOTRe, qui sera examiné en conseil des ministres en juillet et présenté au Sénat en septembre.
Hier à peine, la ministre Jacqueline Gourault me disait que la répartition des sièges dans les intercommunalités avant les élections figurerait dans ce projet de loi. Il sera cependant trop tard pour que cela soit pris en compte dès 2020, et les inégalités lourdes dans cette répartition dureront six ans de plus !
C'est dommage, car nous l'avons voté depuis un mois et demi et cela faisait l'objet d'un accord total. Peut-être notre président pourrait-il alerter le Gouvernement ? La ministre m'a dit qu'elle était parfaitement d'accord avec ces dispositions de ma proposition de loi - elle avait même proposé la même chose quand elle était sénatrice. Il faut l'adopter définitivement avant le mois de septembre.
Nous avons déjà demandé l'inscription de cette proposition de loi à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale : c'est la seule solution possible, avec une adoption conforme ou une CMP en juillet.
Nous pourrions accepter de n'adopter que la moitié consensuelle du texte.
C'est très exactement la teneur de notre plaidoyer devant Sébastien Lecornu la semaine dernière.
EXAMEN DES ARTICLES
Il y a 15 amendements à ce texte, nous devons les examiner avant de nous prononcer sur la proposition de loi. Notre rapporteur propose par cohérence avec sa position sur l'ensemble du texte de les rejeter tous.
Notre groupe ne partage cette position. Cette proposition de loi apporte quelque chose et nous avons des amendements pour l'améliorer.
Ils pourront être défendus en séance.
Les amendements au texte de la proposition de loi ne sont pas adoptés.
La proposition de loi n'est pas adoptée.
Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :
La réunion est close à 11 h 45.