Mes chers collègues, nous reprenons les travaux de notre mission d'information dédiée à la redynamisation de la culture citoyenne avec une table ronde associant des acteurs de la démocratie participative.
Notre mission, composée de 21 sénateurs issus de tous les groupes politiques, a été mise en place dans le cadre du droit de tirage, sur l'initiative du groupe RDSE auquel appartient notre rapporteur Henri Cabanel.
Notre rapport, assorti de recommandations, devrait être rendu public au début du mois de juin 2022.
Je rappelle que cette audition donnera lieu à un compte rendu écrit qui sera annexé à notre rapport, et que sa captation vidéo permet de la suivre en direct sur le site Internet du Sénat - cet enregistrement sera ensuite disponible en vidéo à la demande.
La création de cette mission d'information a été inspirée à la fois par la vive préoccupation suscitée par les taux d'abstention atteints lors des élections de 2021, plus particulièrement de la part des jeunes, et par la crise de confiance qui éloigne des institutions nombre de nos concitoyens.
Notre table ronde est centrée aujourd'hui sur les outils numériques qui se sont inscrits ces dernières années dans notre paysage démocratique.
Je souhaite donc la bienvenue à :
- M. Clément Mabi, chercheur à l'université de technologie de Compiègne et auteur de diverses publications sur le recours aux technologies numériques dans le cadre de l'action publique et sur ce qu'il est convenu d'appeler la « démocratie numérique » ;
- M. Cyril Lage, président de Cap collectif, une « plateforme d'intelligence collective », qui permet notamment l'organisation d'enquêtes publiques et qui a contribué au grand débat national. M. Lage est également cofondateur de l'association Parlement et citoyens, dédiée à « une méthode collaborative d'élaboration des lois » ;
- M. Julian Névo, responsable Accompagnement des campagnes de Change.org, « plateforme mondiale pour le changement », selon son propre site Internet, sur laquelle « des personnes venues de tous horizons lancent des campagnes, mobilisent des sympathisants et travaillent avec les décisionnaires pour créer des solutions » ;
- MM. Christophe Camborde, cofondateur et président, et Erik de Boisgrollier, porte-parole de Civicpower, association qui promeut le développement de la démocratie numérique en s'appuyant sur les technologies les plus innovantes ;
- et à M. Gilles Mentré, cofondateur et président d'Electis, association chargée de promouvoir le vote électronique, par ailleurs auteur de Démocratie. Rendons le vote aux citoyens, publié en octobre 2021 et conseiller métropolitain de la métropole du Grand Paris.
Notre réunion est organisée autour de deux séquences successives : dans un premier temps, M. Clément Mabi sera invité à rappeler l'historique de la participation politique en ligne, puis vous serez invités à présenter vos parcours respectifs, ainsi que les structures que vous représentez ; dans un second temps, vous interviendrez sur les enjeux de la démocratie numérique et le rôle des « technologies citoyennes ».
Merci, Messieurs, d'avoir accepté de participer à cette table ronde. Pouvez-vous nous présenter les structures au titre desquelles vous intervenez ? Quelles sont leurs missions ? Selon quel mode de gouvernance ? Combien comptent-elles de salariés ou de bénévoles ? De quels moyens disposent-elles et quel est leur modèle économique ?
Monsieur Mabi, en tant que spécialiste des technologies citoyennes et de la démocratie numérique, pouvez-vous retracer les circonstances de la naissance de ces technologies et des outils de participation politique en ligne ? À quelles défaillances du fonctionnement classique de la démocratie et de la citoyenneté ces technologies permettent-elles de répondre ? Quelles sont les spécificités des civic tech françaises ?
Par ailleurs, tous nos interlocuteurs sont aujourd'hui des hommes. Est-ce un hasard, ou le monde de la démocratie numérique est-il particulièrement peu féminisé ?
Mes travaux portent sur les transformations numériques que connaît notre démocratie et sur la manière dont notre rapport à la citoyenneté se trouve bousculé par l'usage des technologies numériques. Le mouvement de la civic tech, que j'étudie depuis ses débuts, depuis sa « préhistoire », se décompose en trois temps.
Le premier temps, celui de l'euphorie et des promesses, commence avec l'élection de Barack Obama, qui veut s'appuyer sur les technologies numériques et la force des entreprises de la Silicon Valley pour ouvrir la démocratie et maximiser l'utilisation des données de l'administration. Il s'agit de mettre le numérique au coeur de l'administration pour redonner de la place aux citoyens. Cette idée d'un open government, ou gouvernement ouvert, a été rapidement importée en France. Un certain nombre d'activistes, dont Cyril Lage ici présent, ont voulu mettre les technologies numériques au service de cette dynamique d'ouverture. C'est une période de découverte, d'expérimentation. On croit et on espère beaucoup. On entend des discours parfois un peu grandiloquents : on parle de révolution numérique, de révolution démocratique et même d'un nouveau 1789.
Cet engouement repose sur la croyance profonde que les technologies vont permettre de « réparer » la démocratie et de remettre les citoyens au centre du débat. Il s'agit de casser les blocages qui les éloignent de la décision.
On observe plusieurs faits marquants durant cette période, comme l'expérience Parlement et citoyens, portée par Cyril Lage, visant à associer les citoyens à la préparation de projets de loi, ou le comparateur de programme développé par l'association Vox.org, laquelle recevra le prix Google... Une atmosphère assez communautaire prédomine, avec le souci de raccourcir les boucles de décision et d'équiper les contre-pouvoirs.
On voit ensuite émerger des acteurs qui se structurent pour devenir plus visibles et plus efficaces. Je pense notamment à Cap collectif, l'entreprise créée dans la foulée de l'expérimentation Parlement et citoyens, et à l'arrivée en France de Change.org. Ce deuxième temps commence avec la discussion de la loi sur la République numérique, portée par Axelle Lemaire, et s'étend jusqu'au Grand débat national.
Le troisième temps est celui du réalisme : on commence à mieux se rendre compte de ce que l'on peut tirer des technologies numériques. Il y a moins de grands discours et plus de démarches réflexives. Les acteurs perçoivent les risques d'instrumentalisation et les politiques commencent aussi à mieux comprendre les forces et les faiblesses de ces outils. Les menaces liées aux réseaux sociaux sont mieux documentées et identifiées. On comprend que laisser la démocratie numérique à des acteurs comme Facebook ou autres revient à créer une caisse de résonance pour la désinformation et la propagande. On comprend aussi que ces initiatives ont besoin d'être connectées aux corps intermédiaires. Il s'agit aujourd'hui de mettre en place une stratégie beaucoup plus précise de ce qu'on peut réellement faire avec le numérique et non de ce que le numérique peut faire pour nous.
Si je reprends l'exposé de Clément Mabi, je crois pouvoir dire que j'appartiens aux « Cro-Magnon » de la participation citoyenne. J'ai d'abord contribué à la création de l'association Démocratie ouverte, qui visait à importer en France le concept d'open government.
En 2013, j'ai lancé la plateforme Parlement et citoyens afin de montrer qu'il était possible de produire la loi autrement, de sortir de la logique de l'entre soi, pour reprendre les mots de Jean-François Copé, qui repose sur l'audition d'une minorité d'acteurs, et sur un« huis clos loin des citoyens », alors ministre du budget. Plutôt que critiquer la fabrique de la loi, je voulais montrer qu'il était possible de l'outiller grâce au numérique.
Cette expérimentation a plutôt bien fonctionné : nous avons réussi à impliquer six parlementaires représentatifs de l'échiquier politique. L'un d'entre eux, le sénateur Joël Labbé, a coproduit une proposition de loi, qui a été votée, visant à interdire les produits phytosanitaires à usage non agricole.
L'ensemble des projets que nous avons menés ont permis de faire la preuve que, grâce au numérique, la relation entre le politique et le citoyen pouvait être autre chose qu'insultes et invectives. Placer le citoyen dans une situation de consommateur et de spectateur de décisions prises sans lui le pousse à exprimer sa colère et son agressivité face à toute décision qui ne lui convient pas. Placé en amont, le même citoyen se comporte de manière radicalement différente.
Je voudrais relever un point important : tout peut se faire chez nous de manière anonyme. Je me porte en faux contre l'idée selon laquelle l'anonymat serait la source de la violence sur Internet : tout ce que nous faisons depuis des années démontre le contraire.
Aujourd'hui, je suis principalement investi dans Cap collectif. J'ai décidé de créer cette start-up faute de pouvoir faire vivre un modèle associatif comme Parlement et citoyens. Aucun des présidents de l'Assemblée nationale ou du Sénat n'a jamais souhaité apporter son concours à notre projet. J'ai donc décidé de créer une entreprise qui dépend d'un modèle économique différent. Cap collectif commercialise des outils de démocratie participative auprès des acteurs publics - ministères, administrations et collectivités - et des prestations de service pour accompagner nos clients dans l'utilisation de ces technologies.
Nous comptons trente-deux salariés et bénéficions du soutien de la Caisse des dépôts et consignations, entrée au capital en 2017. Nous avons réalisé un chiffre d'affaires de 2,4 millions d'euros en 2021, mais l'entreprise est toujours déficitaire, ce qui correspond à la trajectoire habituelle du monde des start-up.
Je voudrais tout d'abord répondre aux interrogations de M. le rapporteur en ce qui concerne la parité : si je me trouve devant vous aujourd'hui, c'est uniquement en raison d'un empêchement de ma directrice !
Change.org, dont on dit souvent qu'elle est la plus grande plateforme mondiale pour le changement, est utilisée par plus de 450 millions de personnes à travers le monde, dans 196 pays. Elle a été créée aux États-Unis en 2007 et compte des équipes dans vingt-cinq États.
Notre mission consiste à permettre à toute personne de s'exprimer, d'agir pour changer les choses. Pour ce faire, nous mettons à disposition des citoyens une plateforme technologique, accessible et ouverte pour lancer une pétition assez facilement. Pour une meilleure efficacité des campagnes, nous proposons également un accompagnement en mettant à disposition des ressources en ligne et en prodiguant des conseils sur les meilleures stratégies à suivre pour attirer l'attention des décideurs et des médias et rassembler d'autres citoyens...
Notre mode de financement repose à la fois sur les utilisateurs de la plateforme, qui peuvent laisser quelques euros pour donner davantage de visibilité à une pétition qu'ils ont signée, et sur des donateurs.
La notion d'empowerment est au coeur de notre mission. Il s'agit de donner aux citoyens non seulement des outils et des connaissances, mais aussi la confiance nécessaire pour prendre la parole dans la sphère publique et porter ses idées. Certaines de nos pétitions ont eu un grand écho. Je pense, par exemple, à celle contre la hausse des taxes sur le carburant, qui avait réuni 1,2 million de signatures et qui avait été en partie à l'origine du mouvement des gilets jaunes, ou à celle pour la libération de Valérie Bacot, soutenue par 700 000 personnes. Mais nous comptons aussi beaucoup de petites pétitions, plus locales, sur des sujets techniques.
Change.org essaie de faire du lobbying citoyen, c'est-à-dire donner des outils à ceux qui veulent se faire entendre, notamment les plus éloignés du pouvoir.
Je suis entrepreneur dans les nouvelles technologies depuis une vingtaine d'années. La crise de confiance des citoyens envers le politique est à l'origine de la création de Civicpower. J'ai d'abord créé une association, voilà deux ans, avec huit cofondateurs, dont trois femmes - nous ne sommes donc pas à parité, mais nous nous en approchons... Nous cherchons à résoudre cette crise de confiance en nous appuyant sur la technologie de la blockchain, qui vise à structurer la donnée pour l'empêcher d'être modifiée et à la distribuer sur plusieurs serveurs, que nous ne maîtrisons pas.
Le bitcoin est la traduction en cryptomonnaie de la crise de confiance monétaire. Sur le même schéma technologique, nous proposons de créer une urne, une machine à voter décentralisée. Le projet a tout de suite séduit une large communauté et nous avons pu réaliser, l'an dernier, un crowdfunding citoyen auprès de 4 000 personnes - de nationalité française à 90 % - pour un montant de 4 millions d'euros pour financer une machine à voter.
Notre démarche ne signifie aucunement que nous soyons contre le Gouvernement ou l'autorité. Il s'agit de créer une technologie française, open source et autofinancée, c'est-à-dire sans aucune dépendance à l'égard d'une société américaine ou de capitaux extérieurs, et qui pourrait être utilisée, à terme, par l'État.
Aujourd'hui, quinze personnes travaillent au sein de l'association et de l'entreprise. Nous avons créé cette dernière à la demande des mairies, nos premiers clients, qui voulaient être accompagnées par une entreprise, par exemple lors de la création de budgets participatifs. L'association détient le logiciel, le code informatique et le fichier - nous comptons un peu plus de 300 000 utilisateurs avec NosLois - et l'entreprise propose une prestation de service et d'accompagnement à nos clients.
Nous travaillons aussi avec les entreprises qui doivent organiser des assemblées générales et nous répondons à de premiers appels d'offres publics. La crise sanitaire a entraîné une importante accélération de notre activité avec le développement du vote à distance.
J'ai rejoint Civicpower après avoir créé l'application mobile NosLois. Pour résumer ce que nous faisons, je reprendrai les termes d'un de nos utilisateurs, agriculteur, qui écoute notre application vocale sur son tracteur pour se tenir informé des propositions de loi qui l'intéressent. Il a invité les députés et sénateurs de sa circonscription à télécharger l'application, car il estime que cet outil permet aux citoyens d'être mieux représentés.
Cet exemple résume notre démarche. Les citoyens sont à la recherche d'informations plus factuelles, plus régulières, qu'ils ne trouvent pas sur les réseaux sociaux. Il s'agit de créer le ciment de la confiance en établissant un lien, un contact, avec le travail du Parlement. En s'informant, on peut aussi s'impliquer et faire connaître son avis aux parlementaires. C'est de cette manière qu'on peut ramener les citoyens vers la chose publique et combler le déficit démocratique.
On ne demande pas à nos utilisateurs de s'intéresser à la politique ni d'être des spécialistes ; il leur suffit de nous dire où ils habitent et ce qu'ils aiment pour être informés sur le travail du Sénat et de l'Assemblée nationale et pouvoir interagir.
Notre promesse vis-à-vis des citoyens est de ramener des parlementaires sur l'application. Notre business model repose donc sur l'abonnement des parlementaires souhaitant interagir avec des citoyens. Nous sommes en quelque sorte l'anti-Twitter et l'anti-Facebook : il n'y a pas de commentaires ouverts, tout est anonyme et personne n'est tenu d'exprimer sa position. Nous recréons vraiment les conditions de l'isoloir pour faire voter les citoyens sur chaque projet et proposition de loi et retirer des faisceaux de sondage ou d'opinion politique qui peuvent être utiles au travail des parlementaires.
Electis est une association loi de 1901, créée il y a trois ans. Nous sommes principalement financés par la fondation Tezos, développée par les équipes de l'Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique (Inria). La technologie de notre solution de vote s'appuie également sur la blockchain.
Nous comptons aujourd'hui six salariés et entre quinze et vingt bénévoles actifs. Nous commençons à développer notre solution dans plusieurs villes, toujours sur un mode associatif.
Nous travaillons sur la question du vote électronique. La crise de la démocratie représentative se traduit notamment par une hausse de l'abstention. Il s'agit d'ailleurs d'une abstention de plus en plus positive par rapport à un vote considéré comme inutile, faute de trouver un candidat ou un programme qui réponde à ses attentes. Ce sentiment est très fort chez les jeunes : 40 % des moins de 35 ans pensent que la démocratie n'est pas forcément le meilleur système.
À ce constat s'ajoute également une demande de démocratie plus directe : deux Français sur trois veulent pouvoir décider par référendum des grandes orientations du pays. Je pense notamment au fameux référendum d'initiative citoyenne que demandent les gilets jaunes et qui recueille 75 % de soutien dans l'opinion.
Le président Zelensky a déclaré hier qu'il soumettrait le résultat de ses négociations avec les autorités russes à référendum. C'est dire combien cette volonté d'en revenir à la légitimité directe des citoyens et du peuple est d'une actualité brûlante.
Nous avons décidé d'apporter notre pierre à l'édifice car la confiance dans le système est un des points bloquants. Nous sommes tous ici persuadés que le vote « papier » fonctionne très bien, mais 25 % de nos concitoyens pensent que les élections sont truquées.
Dans ce contexte, la démocratie participative a un rôle très important à jouer à travers les notions de co-élaboration, de jurys citoyens, de débats publics, de budgets participatifs... Nous voulons que les citoyens, démocratie participative ou non, soient en mesure de voter. À cette fin, il faut mettre en place des outils qui redonnent de la confiance. Or nous croyons que le vote électronique permet de voter de manière à la fois plus fréquente et plus confiante.
La loi de 2003 autorise la tenue de référendums locaux mais ce dispositif est sous-utilisé, voire anecdotique : moins de quatre ou cinq référendums réunissent chaque année le quorum nécessaire. Le maire et le conseil municipal sont alors obligés de trancher certains sujets, alors même qu'ils seraient très heureux de pouvoir interroger directement leurs administrés.
La démocratie municipale est organisée autour de votes tous les six ans ; entre deux élections c'est au conseil municipal de trancher des questions qui ne figuraient pas nécessairement dans le programme. C'est la raison pour laquelle nous avons choisi de nous développer d'abord auprès des villes. Nous avons mis en place la plateforme NeuillyVote en septembre dernier, qui permet aux habitants de cette commune de disposer d'une solution de vote électronique. Nous sommes aussi intervenus pour aider un maire, dans le sud-ouest, qui voulait que les habitants de sa commune décident à qui irait son parrainage pour la campagne présidentielle. Autre exemple, un maire a considéré qu'il n'avait pas le mandat pour décider de l'emplacement d'une usine de retraitement des eaux dans sa commune et a fait voter les habitants sur cette question.
Le vote électronique permet de répondre à des cas très concrets ; il est directement utile. Les citoyens se mobilisent plus facilement, ce qui redonne de l'oxygène à la démocratie. Dans le même esprit, de plus en plus d'associations, de communautés, de collectifs se dotent de ces outils pour asseoir leur légitimité. Nous travaillons avec le secrétariat général des Conférences des parties (COP), l'UNFCCC (United Nations Framework Convention on Climate Changes), pour que les observateurs, qui sont des ONG, puissent élire leurs représentants aux COP.
Enfin, nous sommes convaincus que ce genre d'outil pourrait être utilisé à l'échelle nationale, même s'il existe encore de nombreux prérequis.
Les technologies numériques sont-elles le prolongement des modalités d'exercice de la citoyenneté ou permettent-elles l'exploration de nouvelles pratiques ? En d'autres termes, la démocratie numérique peut-elle permettre de réinventer les processus démocratiques ? Quel devrait être le rôle des élus dans une démocratie renouvelée par le numérique ?
Quel peut être l'apport spécifique des outils numériques à la démocratie participative ? Le modèle de civic tech est-il différent selon que l'on se situe dans le cadre d'un débat local ou d'un débat national ?
Existe-t-il, en matière de démocratie numérique, des exemples étrangers dont il serait opportun de s'inspirer ?
Quels facteurs technologiques, comportementaux ou juridiques font encore obstacle au déploiement des civic tech ? Et jusqu'où ce déploiement est-il souhaitable ?
Très concrètement, le numérique, c'est d'abord de la puissance de calcul que l'on mobilise pour optimiser un service. Cette logique d'optimisation vient accélérer des dynamiques déjà à l'oeuvre, qui peuvent être soit positives soit négatives.
Expérimenter de nouvelles méthodes de participation permet de rouvrir l'imaginaire démocratique des citoyens. L'idéal démocratique ne doit pas s'écraser sur le vote ou sur des démarches représentatives. On peut faire exister d'autres formes de citoyenneté active en démocratie.
Le numérique constitue également une opportunité à même de favoriser le dialogue entre citoyens et institutions dans une logique de consultation, voire de délibération. Une des promesses de départ est d'ailleurs de rapprocher le citoyen de la décision.
Le numérique facilite également les « mises à l'agenda », en valorisant le nombre : la pétition la plus signée de l'histoire de France, qui a réuni plus de 2,5 millions de citoyens, a ainsi invité une coalition d'ONG à attaquer l'État français pour inaction climatique.
Ces technologies permettent aux citoyens d'être mieux informés, plus réflexifs, conformément à la notion d'empowerment qu'évoquait M. Névo.
Mais elles risquent aussi de se heurter à plusieurs écueils, à commencer par le « solutionnisme technologique » ou le sentiment que le numérique va sauver la démocratie et que tout ne serait qu'une question d'outil et de méthode. Or le numérique ne saurait permettre d'éviter les transformations attendues par les Français : probité des élus, lutte contre les discours populistes, amélioration du service public, transparence des décisions...
L'inclusion pose également question : 13 millions de Français sont aujourd'hui éloignés du numérique. Mobiliser ces technologies ne peut remplacer d'autres formes de participation ou de dialogue. Les biais ne sont pas forcément là où on les attend : le numérique ne mobilise pas davantage les jeunes. L'usage de ces technologies est socialement situé : c'est la densité du réseau autour de l'utilisateur et la capacité à avoir des besoins qui importent. La confiance à interagir avec l'administration ou avec les institutions entre largement en ligne de compte. C'est donc moins une question d'âge que de place dans la société et de confiance en soi.
Il ne faut pas non plus survaloriser l'impact du nombre. Le numérique opère une forme de basculement du centre de gravité de la démocratie : la légitimité est passée de celui qui parle à ce qui est dit. Une partie de la légitimité, en démocratie, vient du statut de citoyen, mais aussi d'autres caractères. Ainsi, la voix du riverain d'un projet peut être interprétée différemment de celle d'une personne habitant à l'autre bout du territoire. Avec le numérique, on sait de moins en moins qui parle : le traitement automatisé valorise l'analyse de corpus. La dynamique politique consiste donc de moins en moins en la recherche d'un consensus mais en l'exploration de corpus. Les élus sont plus à la recherche d'acceptabilité que d'un consensus entre groupes bien identifiés. Le risque est d'aboutir à une forme de « démocratie d'élevage » avec des « citoyens en batterie », consultés régulièrement.
Il faut aussi éviter de faire feu de tout bois et de vouloir mettre du numérique partout. La liberté vertigineuse que nous offre Internet est très souvent mal utilisée. Cet outil a été pensé de manière extrêmement libertaire, dans un contexte de capitalisme informationnel extrêmement puissant. Un utilisateur peut très facilement se retrouver plongé dans un monde d'informations, perdre tout contact, à force de partages et de repartages, avec les sources et éprouver beaucoup de difficultés à gérer cognitivement cette masse documentaire. Cela revient à donner une Ferrari à quelqu'un qui n'a pas le permis... Nos concitoyens ne sont peut-être pas tous prêts à évoluer dans cet environnement numérique. Toutes nos activités démocratiques doivent-elles et peuvent-elles être numérisées ? Pour bien faire les choses, il faut prévoir un accompagnement et une expérimentation avant tout développement.
Je formulerai donc en conclusion trois propositions.
Nous avons besoin, tout d'abord, de soutenir davantage la création de technologies pour améliorer la qualité du débat. Il faudrait mettre en place une french tech démocratique, notamment au travers du programme d'investissements d'avenir. Les idées existent mais tous les numériques ne valent pas. Si l'on ne veut pas être colonisé par les réalités numériques des Gafam, il va falloir développer des outils au service d'un web politique de qualité. L'objectif doit être de disposer d'outils adaptés aux questions que l'on se pose, au lieu de choisir ces questions en fonction des outils disponibles.
Ensuite, il faut également soutenir le réseau associatif susceptible de mettre ces technologies au service du vivre ensemble et développer la solidarité du « dernier kilomètre ». Souvent, la vision qu'ont les élus du numérique commence par l'arrivée de la fibre sur leur territoire et par l'usage. Or il faut aussi avoir une approche environnée du numérique et de la participation. C'est la raison pour laquelle il faut soutenir les associations, qui sont les corps intermédiaires du numérique. Dans ce domaine l'humain est absolument nécessaire.
Enfin, il me semble essentiel d'améliorer la formation des élus et des fonctionnaires sur ces questions et de développer une culture publique de la participation numérique.
Ces technologies, à la fois porteuses et leviers de changement puissants pour notre démocratie, sont ambivalentes en ce qu'elles portent en elles le poison et le remède. Il est donc essentiel de trouver le bon équilibre.
Ce que font les entités de civic tech comme Cap collectif, c'est de la digitalisation des processus de décision.
Digitaliser, c'est faire mieux, plus vite, moins cher. Toute l'économie a été digitalisée : aller au restaurant, acheter de l'immobilier, acheter une voiture... Il existe des applis pour tout ! Tous ces actes ont été transformés par le numérique. Un domaine a été moins impacté : les institutions.
Le numérique permet de faire autrement ce qu'on faisait déjà, mais pas seulement. Il permet aussi de « disrupter », d'ubériser, de mettre en mouvement. L'association Parlement et citoyens a ainsi, quelque part, « fracturé les portes » du Parlement en offrant ce que l'institution aurait dû offrir elle-même. Le numérique fait changer les choses depuis l'extérieur. Le succès de la plateforme Change.org vient de là.
Mais cela bouscule systématiquement les habitudes. Si l'on me demandait de fournir un schéma numérisé de production de la loi, je ne suis pas sûr qu'on aurait encore besoin de deux chambres, du Conseil économique social et environnemental (CESE) ou de la commission nationale du débat public (CNDP), toutes ces structures dont le rôle est largement illisible. Le numérique permet de repenser l'intervention de chacun dans le processus, qui devient totalement transparente.
On met la civic tech dans la petite case de la participation citoyenne mais - je vais peut-être vous choquer : je pense que les consultations citoyennes ne servent à rien, sinon à multiplier les conflits de légitimité entre une multitude d'intervenants.
Il n'y a que le numérique qui permette d'ouvrir le débat : sans lui, vous vous enfermez dans vos bâtiments pour des débats qui ne cherchent pas à créer du consensus ou à gérer des dissensus, mais où chacun essaie d'imposer son point de vue à l'autre. Il suffit d'allumer LCP et de regarder les débats du Sénat !
Mais si le numérique permet d'aller beaucoup plus vite, pour moins cher, pourquoi n'y va-t-on pas ?
Le premier frein est à rechercher dans la volonté de ceux qui ont le pouvoir. Chacun, élu ou patron, se dit : c'est moi qui décide.
Il est difficile de faire la différence entre détention du pouvoir et exercice du pouvoir. À force de ne pas vouloir associer les citoyens dans leur pouvoir, les décideurs sont de plus en plus mis en cause dans leur légitimité - comme le président Larcher l'a fait remarquer à propos de l'élection présidentielle. Ce frein vient autant de celui qui décide que de ceux qui l'entourent et qui ne veulent pas perdre du terrain.
Deuxième frein : le manque de compétences. Passer à des outils numériques nécessite des compétences qui font défaut au sein des institutions et des collectivités territoriales ; je suis aussi parfois frappé par la grande obsolescence du matériel et des logiciels qui les équipent.
Troisième frein : le manque d'outils d'analyse. À Cap collectif, nous avons toujours plaidé pour une analyse et une synthèse humaine des contributions. Mais nous sommes arrivés à notre limite lors du Grand débat national, dont nous nous sommes désengagés, car un traitement manuel aurait été impossible. D'autres acteurs s'en sont saisis et ont fait ce qu'on peut faire avec des outils, à savoir des clusters qui, globalement, agrègent des contenus en fonction de leur récurrence ; cette méthode conduit à éliminer les propositions uniques et non répétitives, qui peuvent toutefois être innovantes.
Nous prenons la responsabilité de restituer la parole de ceux qui s'expriment - c'est une grande responsabilité.
Un point de vigilance important : le financement. Nous sommes financés par du capital public, à travers la Caisse des dépôts et consignations ; c'est important, car il ne faudrait pas que cela passe aux mains du capital privé.
Il faut aussi parler de la fracture numérique. On peut y voir un frein en pensant qu'elle empêchera certains de participer. Mais il faut comparer avec la situation sans le numérique, que je résumerai par l'acronyme TLM : « toujours les mêmes ». Aux réunions publiques à 17 heures, il n'y a guère que Papi et Mamie qui viennent...
Le numérique permet de ne pas avoir les vingt participants habituels, mais 150 participants. Vous avez plus de monde et plus de diversité. Je pense donc qu'il faut garder les deux.
Cap collectif, c'est 400 clients, 300 collectivités et trois millions de citoyens qui ont participé sur des plateformes. Des données, nous en avons à foison. Il est indiscutable que la diversité est plus grande, que ce soit en termes d'âge ou de couches sociales.
Pour contourner cette problématique, certains élus privilégient le présentiel et les conventions citoyennes. Un chiffre intéressant : la Convention citoyenne a coûté 5,4 millions d'euros, soit 360 000 euros pour chacun des 150 participants ; le Grand débat national, lui, a coûté 12 millions d'euros pour 1,2 million de participants - donc dix euros par personne. Je veux bien que les 150 personnes aient été sélectionnées de manière à être représentatives, mais, statistiquement, cela ne peut pas rivaliser avec 1,2 million de personnes.
On pourrait corriger les biais du numérique, mais ne mettons pas en concurrence le numérique et le présentiel. Le numérique permet de recueillir sans conflictualité la diversité des opinions. En revanche, pour gérer les dissensus, le passage en présentiel reste indispensable.
Malheureusement, les confusions sont fréquentes : on appelle « consultation » tout et n'importe quoi. Votre mission a ainsi fait une consultation des élus locaux sur le site du Sénat avec un questionnaire, alors que les puristes appelleraient cela plutôt une enquête...
Je fonderai mon intervention sur l'expérience de Change.org, en partant d'un exemple, celui d'Alexandre Briolais, 27 ans, originaire du Béarn. En janvier 2019, il est scandalisé par un reportage de l'émission Capital sur les invendus d'Amazon - objets neufs systématiquement détruits. Il décide de lutter contre le gaspillage. Sans expérience politique préalable, il lance une pétition sur le site. Comme c'est un sujet dans l'air du temps, il rencontre une certaine popularité qui lui a permis, en quelques mois, de s'exprimer dans les médias, d'échanger avec la secrétaire d'État Brune Poirson, qui préparait sa loi contre le gaspillage, et d'entrer en contact avec des associations. Il a remis la pétition au ministère avec Les Amis de la Terre. Aujourd'hui, l'entreprise a changé ses pratiques et la loi anti-gaspillage a été adoptée.
La plateforme offre ainsi un outil qui permet de dépasser la frustration et le fatalisme de certains citoyens éloignés de l'engagement politique.
Change.org se voit comme une plateforme qui produit des changements. Alexandre Briolais a construit une communauté autour de lui, il peut communiquer avec les signataires ; Brune Poirson a échangé avec eux sur la plateforme.
On fait souvent un procès à cette forme de militantisme qu'on appelle « clictivisme », ou slacktivism en anglais : il serait trop facile de cliquer. Certes, mais c'est la manière dont les gens s'engagent aujourd'hui. Tout le monde n'est pas Greta Thunberg.
L'outil pétition a été plutôt une porte d'entrée vers l'activisme pour Alexandre Briolais, qui devenu expert sur le sujet. On a beaucoup d'exemples de personnes comme lui, souvent touchées personnellement. Je pense à Stéphane Ravacley, boulanger bisontin dont l'apprenti étranger allait être expulsé, ou à Stéphanie Jacquet, dont la fille est atteinte de trouble de l'attention avec ou sans hyperactivité (TDAH) et qui avait lancé une pétition il y a quatre ans : elle a aujourd'hui fondé une association et lutte pour la mise en place d'une journée nationale du TDAH.
Y a-t-il des difficultés ? J'ai cité des exemples où cela fonctionne, mais il y en a beaucoup où la mobilisation des citoyens ne touche pas les institutions. Il y aurait donc des progrès à faire dans l'articulation entre la civic tech et les institutions. Change.org est capable de rassembler les gens, mais il faut faire le lien avec les institutions.
Je sais que le Sénat a un site de pétitions, sur lequel le collectif Un jour, un chasseur a obtenu 100 000 signatures. Cela va dans les bon sens.
La civic tech a réussi à développer des outils au plus proche des pratiques actuelles. On pourrait imaginer une labellisation, un mécanisme par lequel les élus consultent les pétitions qui prennent de l'ampleur. En résumé, il faut créer des débouchés pour ces mobilisations.
On parle d'inclusion numérique mais en vingt ans, nous sommes passés de zéro à treize millions de Français connectés.
Pour le gaz, l'électricité, l'eau courante, nous n'avons pas attendu que tout le monde y ait accès pour en retirer des bénéfices. Dans vingt ans, tout le monde sera connecté, alors il faut d'ores et déjà travailler dans cette perspective.
L'un de nos utilisateurs nous a dit : merci pour votre application, qui nous offre une participation plus directe qu'un simple rendez-vous électoral.
Le suffrage universel, c'est le big data du passé, du temps où on n'avait pas d'ordinateur : on demande à chacun de mettre un bulletin dans l'urne, puis on les agrège, on les compte et on arrive à des millions de données qui sont traitées en papier pour donner en fin de compte un résultat. On pourrait aujourd'hui faire cela beaucoup plus régulièrement, grâce à la blockchain.
Un citoyen ayant la chance d'arriver à l'âge de 100 ans n'aura voté que seize fois pour élire un président et des parlementaires qui décident des lois - c'est-à-dire, pour reprendre les mots d'Angela Merkel, les règles du vivre ensemble. Ce n'est finalement pas beaucoup, dans une vie de citoyen ; d'autant plus qu'on lui demande - après un grand désert démocratique - de s'exprimer sur tous les sujets.
Dans cette campagne, tous les candidats promettent le changement. Le citoyen, mis en abyme, ne sait que choisir entre tous ces changements. Cela contribue à l'abstention.
Ce que le numérique peut apporter, si nous utilisons les technologies qui garantissent que le vote ne soit pas falsifié, c'est de faire participer le citoyen plus régulièrement sur des sujets qui le concernent - sur lesquels il a une légitimité - et non pas faire intervenir systématiquement tout le monde sur tout.
La technologie du vote en ligne pourrait créer des référendums ciblés et fréquents, aussi fiables que le bulletin papier.
Quels sont les freins ? Aujourd'hui, on dévalorise la contribution faible - un like, un « je suis d'accord ». Mais au vu du quotidien des Français, il semble difficile - et coûteux - de les emmener dans une participation aussi intense que la Convention citoyenne. La contribution faible a une valeur d'engagement et permet un contact régulier du citoyen avec la démocratie.
Je m'exprime en tant que fabricant d'outils. J'écoute mes clients, les collectivités territoriales et mes utilisateurs.
Si l'on veut déterminer grossièrement les relations des électeurs avec l'abstention, on peut définir trois groupes de gens : ceux qui votent à chaque fois et voteront toujours, comme moi ; des alternants, qui choisissent les scrutins auxquels ils participent ; les perdus, qui ne votent plus et ne voteront plus.
Les deux derniers groupes, qui représentent la majorité des Français, ont pourtant envoyé des signaux montrant qu'ils voudraient participer autrement. Mon sentiment, c'est qu'ils veulent quelque chose qui diffère du cérémonial régulier du vote.
Les créateurs de l'application Elyze sont aussi jeunes que la civic tech : ils ont 18 et 21 ans. Leur application a été installée trois millions de fois ! Je ne vais pas sur le terrain du contenu - sur ce que signifie le swipe. J'aimerais bien savoir dans quels groupes, au regard de l'abstention, se trouvent les trois millions de Français qui l'ont installée.
Plus de la moitié des utilisateurs de l'application NosLois font partie de ceux qui ne voteront jamais. Ils ressentent une défiance envers le système - pour son contenu, mais aussi pour ses outils.
Si l'on veut transformer le vote cérémoniel en digital, cela ne marchera pas. Les maréchaux-ferrants n'ont jamais pu fabriquer de voitures. C'est différent et cela ne relève pas de la même génération. Ce ne sont pas les mêmes acteurs, ni les mêmes outils. On parle aussi de jugement majoritaire. Cela n'entre pas en concurrence avec le vote.
Sur le financement, je ne suis pas d'accord avec la logique du plan d'investissements d'avenir (PIA). La civic tech n'a pas besoin qu'on lui donne la becquée. Elle a besoin de la commande publique. Regardez les startups californiennes : elles sont nées de la commande publique, notamment de la part de l'armée américaine.
Cela me gêne qu'une secrétaire d'État s'exprime sur Change.org - qui est une entreprise américaine -, et non sur une plateforme française.
Nous commençons à avoir de la commande publique, ce qui nous permet de passer du crowdfunding à un équilibre sain avec également de la commande privée. On parle beaucoup de souveraineté ; je ne voudrais pas que mon enfant vote demain sur Facebook.
Le vote est central ; c'est ce qui nous a fait créer Electis. Quand on demande aux jeunes ce qui caractérise la République, ce qui vient en premier, c'est le vote. Être citoyen, c'est pouvoir voter. Quand on analyse les ressorts de l'abstention, on voit que les gens ne veulent pas participer à ce qu'ils considèrent comme un faux vote, un vote inutile.
On vote tous les cinq ans, mais le rythme de l'actualité s'accélère. Le Covid pour ce quinquennat, les attaques terroristes pour le précédent, la crise financière pour celui d'avant, à chaque fois un événement fait que le programme sur lequel le président a été élu ne peut pas être complètement appliqué.
Entre voter une fois tous les cinq ans, comme en France, et une fois tous les trimestres, comme en Suisse, il y a certes de la marge. D'autres endroits, comme la Californie, ont une culture de la démocratie directe qui date de la fin du XIXe siècle.
Il faut bien sûr des votes à enjeu. Le plus grand risque serait de procéder à des consultations qui ne servent à rien, sinon à donner l'impression aux citoyens qu'ils participent - ou des consultations ne donnant pas lieu à un vote décisif. C'est un des traumatismes des participants à la Convention citoyenne sur le climat. Cela risquerait de creuser encore plus la crise démocratique.
Le vote électronique n'est qu'un des éléments de cette chaîne : il faut construire le débat, permettre une co-idéation... Mais cela ne vaut rien sans la dernière brique : le vote.
Il permet un vote plus inclusif - c'est le moteur de son développement aux États-Unis. On y considère en effet que ne pas pouvoir voter car on a du mal à se déplacer - je pense par exemple aux malades du Covid - est une atteinte aux droits fondamentaux.
Le vote électronique permet aussi un vote plus fréquent, sur de grandes questions locales ou nationales. Nous sommes deux tiers des Français à considérer que les grandes questions devraient être tranchées par référendum.
Le référendum est aujourd'hui fossilisé dans une logique plébiscitaire, et certains croient que cela ne peut pas changer. Ce n'est le cas que parce qu'il est rare. S'il y avait, une fois par an, un référendum sur un grand sujet, cela ne le serait plus. Cela le serait encore moins s'il était provoqué par une initiative citoyenne. En dépit de quelques déclarations récemment dans la campagne, ce sujet n'a jamais été posé clairement dans le débat public.
Enfin, le vote en ligne permettrait d'autres modalités de vote, telles que le jugement majoritaire ou le vote préférentiel, entre autres. Nos systèmes démocratiques n'ont pas bougé en deux cents ans. Il faut expérimenter !
La ville de New York a décidé de passer au vote préférentiel. Avec le vote papier, cela a évidemment été un cauchemar : il a fallu dix jours pour dépouiller ; cela n'aurait pas été le cas avec le vote électronique.
Un point de vigilance est l'illectronisme. Pour les grandes élections, il faut bien entendu maintenir, comme c'est le cas en Estonie, un vote papier en parallèle.
En Estonie, le choix entre les deux modalités de vote ne correspond plus à une fracture générationnelle, comme c'était le cas au début. Les primo-votants choisissent même souvent le papier : ils veulent faire un selfie pour ce rituel auquel ils tiennent.
Il est aussi important de conserver le vote papier pour avoir une solution en cas de fraude. Nous en sommes en effet arrivés au point de sécurité où l'on ne peut pas garantir l'absence de fraude, mais où l'on peut garantir qu'on la voie quand elle existe.
Deuxième point de vigilance : la sécurité. On commence à voir les premières sorties de route, les premières plateformes hackées, celles qui ne peuvent donner des garanties de confidentialité... C'est normal, au début du développement d'une technologie. Il faut imposer des codes open source, comme c'est désormais le cas en Suisse et en Estonie.
Deuxièmement, il faut que le vote soit vérifiable. Aujourd'hui, la présence des scrutateurs donne confiance au citoyen ; mais on peut avoir des e-scrutateurs. C'est crucial.
Il faut donc investir ces instruments par la co-élaboration entre le public, le privé et l'associatif. L'open source est le meilleur terrain. Si nous ne le faisons pas collectivement, les citoyens le feront de leur côté. Sans parler du contenu politique de cette initiative, la « primaire populaire », créée par deux personnes qui n'ont rien demandé à personne, a rassemblé 400 000 citoyens.
C'est l'image même du numérique qui fracture la porte de l'institution dont parlait M. Lage. Il y a un risque que cela se fasse en dehors des institutions. Comme pour la monnaie, l'État risque alors de rester sur le bord du chemin.
Merci de me rassurer sur la parité au sein de vos organisations !
Je vous remercie pour vos explications et votre franchise. Je suis personnellement assez convaincu par la civic tech et par la démocratie participative - ce qui n'est peut-être pas le cas de tous mes collègues.
Que se passe-t-il en dehors de nos frontières ?
L'arrivée d'Uber à Taïwan a fait l'objet d'un vote en ligne des citoyens sur un outil appelé pol.is.
J'ai mon e-card estonienne : c'est une carte à puce qui permet de signer des actes notariés en ligne. J'ai ainsi créé une entreprise là-bas. Je ne suis pas sûr qu'on puisse faire la même chose que ce petit pays, mais il aura au moins démontré que l'illectronisme peut être comblé. Avec le temps, le vote en ligne est entré dans les usages.
Il ne faut pas brusquer les gens. Civicpower a fait un test pour la mairie de Bruges, près de Bordeaux - 20 000 habitants, donc 10 000 électeurs potentiels - qui voulait interroger ses administrés sur un investissement important. À la demande de la maire, nous avons distribué un QR code dans les boîtes aux lettres, permettant de créer son compte sur Civicpower ; si un administré n'y arrivait pas, il pouvait le faire à la mairie, aidé par un agent assermenté.
Ce que j'en retiens, c'est que tous les Français ou presque paient leurs impôts sur Internet. Il y a eu plus de participation à cette consultation qu'aux régionales - ce n'est pas difficile, me direz-vous... L'opposition, pourtant assez virulente, a reconnu que tout s'était bien passé. Le digital a représenté 90 % de la participation. Maintenant, la maire envisage d'organiser d'autres consultations.
Si nous voulons étendre le phénomène, il faudra le faire petit à petit. Pour les impôts, cela a pris dix ans.
Certains pays sont très en avance sur ces sujets. Les États Unis, du fait de leur système fédéral, ont une activité de recherche, d'innovation et d'expérimentation bien plus importante qu'en France, où tout est monolithique. Si la mission pouvait recommander d'appliquer le droit à l'expérimentation locale - prévu par la loi - à la tenue de referendums locaux, ce serait une bonne idée.
Pour une décision comme celle qui concernait, au Kremlin-Bicêtre, les halles centrales accueillant le marché du dimanche matin, le vote en ligne semble plus indiqué que l'ouverture de bureaux de vote avec un président et deux assesseurs dans toutes les écoles...
Attention cependant : comparaison n'est pas toujours raison. On constate dans le monde une appropriation très diversifiée en fonction des cultures politiques. Or en France, nous avons une culture très marquée par le caractère représentatif de la démocratie et la centralité des élus.
Un des enjeux est d'intégrer ces outils avec la représentation. Au début, les élus ont eu peur ; progressivement, le développement de la commande publique a permis de domestiquer ce phénomène, de réduire le caractère critique de la participation.
Rappelons aussi l'importance de la diversification des expressions démocratiques. Un bon référendum doit être précédé d'une phase d'information et de débat. Pourquoi les référendums ne fonctionnent-ils pas aujourd'hui ? Parce qu'ils se réduisent à un plébiscite. Cela mène à des formes de popularité vers lesquelles les outils numériques tendent déjà : à des débats masse contre masse. Cela a offert des opportunités pour des lobbies. Ne croyons pas que les plateformes permettent de parler directement aux Français ; voyez le nombre de « copié-collé » dans les participations au grand débat, par exemple, ou comment le lobby du jeu vidéo a pu pousser des amendements à la loi pour une République numérique.
Il y a des exemples étrangers, mais aussi beaucoup de contre-exemples.
Je n'ai pas une connaissance exhaustive de ce qui se fait à l'international en matière de civic tech, mais rien ne nous impressionne vraiment. La France dispose d'une filière d'excellence, à la pointe de l'innovation. Beaucoup des formats de participation en ligne que nous avons créés sont devenus des normes et des standards.
Le bât blesse en matière de financement : si les acteurs privés que nous sommes ne sont pas davantage accompagnés, nous risquons de nous faire déborder. La commande publique se développe, mais elle ne suffit pas au regard des investissements à mener. Nous préparons une seconde levée de fonds pour accélérer la mise à disposition de nos outils auprès des petites collectivités.
Rien de comparable au grand débat ou à la Convention citoyenne n'a jamais été réalisé ailleurs avec une telle ampleur. Ces dispositifs n'ont pas donné tout ce qu'on en attendait, mais les choses ne se font pas d'un claquement de doigts. Il faut continuer de valoriser la participation citoyenne.
Je vous invite, Mesdames, Messieurs les Sénateurs, à être ambitieux. Demandez-vous comment construire demain, comment utiliser le numérique pour aller vers davantage d'inclusion et de transparence.
Beaucoup d'abstentionnistes participent à nos projets, mais on ne les ramène pas forcément aux urnes et cela ne fait pas gagner des élections. L'enjeu est d'améliorer l'efficacité des politiques publiques et la confiance des citoyens dans le système démocratique, ce qui n'a pas de prix.
Si les abstentionnistes ne reviennent pas aux urnes, c'est bien souvent parce que le vote blanc n'est pas pris en compte.
J'ai été extrêmement intéressée par cette table ronde, mais je reste très partagée. Certains jeunes peuvent avoir 650 mails en attente de lecture. Je pense que les jeunes ne sont pas plus sur Internet que les seniors, même si certains s'y mettent.
J'ai été attachée parlementaire au début des années 1990. À l'époque, quand les mécontents voulaient s'exprimer, ils devaient au moins faire l'effort d'envoyer un courrier. Aujourd'hui, nous recevons quotidiennement environ 350 mails, soit d'insultes, soit de lobbying. De la même façon, on examine parfois des textes qui entraînent l'envoi de milliers de messages « copié-collé », sur le même sujet. Cette masse est bien trop importante pour toucher concrètement les parlementaires, ce qui aboutit à l'effet inverse de celui recherché.
Tous les parlementaires devraient tenir une permanence mensuelle et exposer ce qu'ils ont pu faire dans le mois écoulé. Les choses sont plus faciles pour les sénateurs, dont le corps électoral est très défini : nous savons quels sujets vont susciter l'intérêt. Vos systèmes sont encore plus intéressants pour les députés, en ce que ces technologies permettent de toucher des personnes que les élus ne toucheraient pas autrement, même en tenant une permanence.
Monsieur Mentré, vous avez évoqué l'échelle des communes. Lancer des consultations sur certains sujets très concrets me semble très intéressant. Lorsque mon mari était maire de Périgueux, il avait sollicité par consultation tous les quartiers sur la réalisation de micro-projets en démocratie participative. Les habitants s'étaient alors sentis pleinement impliqués.
En revanche, je ne sais pas si vos initiatives peuvent toucher les « vrais » jeunes. Une mairie de mon département a récemment lancé des « assises de la jeunesse », au travers d'une consultation numérique : ce fut un échec. Il a même fallu chercher des jeunes dans la rue au moment des ateliers... Mais après coup, ceux qui ont participé étaient très satisfaits !
J'utilise beaucoup Change.org, mais je regrette le peu d'information dans les mois qui suivent une pétition. J'aimerais savoir combien de personnes ont participé aux pétitions que j'ai signées et ce qu'il en est advenu... Passé le coup de projecteur, on manque de retour. Les conclusions de toutes les consultations organisées devraient être rapportées aux élus de manière plus directe. Je trouve qu'un certain flou subsiste.
Nous nous trouvons dans une phase de transition. Vous n'avez pas opposé le vote papier au vote électronique. La question des treize millions de Français éloignés du numérique a été évoquée, mais le vote revêt un enjeu démocratique, non de confort. Les 18-34 ans représentent la même proportion de population que les plus de 65 ans. Pour ces derniers, signer des documents notariés numériques, par exemple, peut être une réelle épreuve.
Une bonne partie des Français, et notamment des jeunes, ne seraient pas opposés à un système plus autoritaire. De même, plusieurs études montrent que près d'un Français sur deux serait favorable au retour de la peine de mort. Permettre à un petit nombre de se mobiliser sur une telle cause, tranchée démocratiquement depuis longtemps, revient à introduire un biais dangereux.
Je rejoins les propos de Laure Darcos sur le lobbying numérique que nous subissons tous les jours et qui a un effet contre-productif.
Monsieur Lage, je pense que vous regardez trop LCP et pas assez Public Sénat : je vous garantis que nos débats ont lieu aussi autour de minuit et sont toujours assez apaisés. Je vous renvoie aux mots de Victor Hugo selon lequel « la France gouvernée par une assemblée unique, c'est [...] l'océan gouverné par l'ouragan ». Notre Constitution ne promeut pas le bicamérisme par hasard. La Ve République est l'une des plus stables de notre histoire. Je milite de toutes mes forces contre ceux qui veulent en changer l'équilibre ou qui réclament des « révocations citoyennes ».
Je vous remercie pour vos contributions, dont nous tirerons le plus grand profit.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Mes chers collègues, nous reprenons nos travaux avec quatre membres ou anciens membres de conseils de jeunes, qui se sont rendus disponibles pour échanger avec nous dans le cadre de cette mission d'information dédiée à la redynamisation de la culture citoyenne.
Je remercie Marie-Pierre Pernette, déléguée générale de l'Association nationale des conseils d'enfants et de jeunes (Anacej), que nous avons entendue le 26 janvier, de nous avoir aidés à organiser cette rencontre.
Pour l'information de nos invités, je précise que notre mission s'est mise en place dans le cadre du « droit de tirage des groupes », sur l'initiative du groupe RDSE, auquel appartient notre collègue Henri Cabanel, qui en est donc, conformément aux usages, le rapporteur.
J'indique également que notre mission est composée de vingt et un sénateurs, dix-neuf titulaires et deux suppléants, issus de tous les groupes politiques, et que notre rapport, assorti de recommandations, devrait être rendu public au début du mois de juin 2022.
Je rappelle aussi que cette audition donnera lieu à un compte rendu écrit qui sera annexé à notre rapport.
La création de cette mission d'information a été inspirée par la vive préoccupation suscitée par les taux d'abstention atteints lors des élections de 2021, plus particulièrement de la part des jeunes et, de manière générale, par la crise de confiance qui éloigne des institutions nombre de nos concitoyens.
Notre réflexion s'intéresse donc particulièrement à l'éducation des futurs citoyens, notamment dans le cadre scolaire, et plus généralement à toutes les initiatives qui peuvent susciter l'intérêt des jeunes à la vie démocratique.
Les conseils de jeunes ont vite attiré notre attention, car ils peuvent constituer une bonne initiation à l'exercice concret de la citoyenneté.
Nous l'avons aussi constaté il y a quelques jours, lors d'une table ronde avec des élus locaux : participer à un conseil de jeunes peut inciter certains jeunes à s'engager en politique. L'une des participantes, aujourd'hui conseillère régionale, avait participé à un conseil de jeunes. Il y a parmi vous une élue municipale qui confirme, elle aussi, l'intérêt d'un tel parcours.
Je souhaite donc la bienvenue au Sénat à Adjara Ouedraogo, membre du Conseil parisien de la jeunesse. Je souhaite également la bienvenue à celles et ceux qui assistent à cette réunion à distance : Lylien Hubin, membre du conseil départemental des jeunes de l'Allier, Maxime Keshmiri, membre du conseil villeurbannais de la jeunesse, et Aya Himer, conseillère municipale déléguée au suivi des conseils enfants, adolescents et jeunes et à la vie étudiante à Mulhouse.
Enfin, aux côtés de Marie-Pierre Pernette, déléguée générale de l'Anacej, je salue Marion Moutafis, responsable de projet à l'Anacej.
Je laisse sans plus tarder la parole à Henri Cabanel, rapporteur, pour vous poser des questions et introduire vos témoignages.
Je m'associe aux remerciements de notre président et je tiens à vous dire tout le plaisir que j'ai à vous rencontrer. Notre travail étant centré sur la formation des futurs citoyens, il est très important d'entendre des témoignages tels que les vôtres.
Comment vous êtes-vous engagés ? Quel regard portez-vous sur votre expérience d'un conseil de jeunes ? Conseilleriez-vous à d'autres jeunes de participer à de telles structures ? Quelles seraient vos suggestions pour améliorer ce dispositif ?
Votre participation à un conseil de jeunes vous a-t-elle donné envie de vous engager ? Si oui, dans quel cadre : associatif, politique ou pour d'autres causes ?
Que pensez-vous de l'éducation morale et civique ? Avez-vous, du fait de votre participation à un conseil de jeunes, une approche différente de l'enseignement moral et civique que vos camarades ?
Je vous remercie de me donner l'opportunité de m'exprimer devant vous aujourd'hui. Je suis étudiante en première année de master de science politique à Paris 1. Je me suis engagée à l'âge de 22 ans dans un conseil de jeunes. Cela fait trois ans aujourd'hui que je suis membre du Conseil parisien de la jeunesse. Je suis donc à la fin de mon mandat. Nous avons eu à travailler sur plusieurs sujets, notamment la santé mentale des jeunes, l'égalité femme-homme, la solidarité et la préservation du lien intergénérationnel. La question de la santé mentale, notamment, est un vrai problème public.
Mon expérience au sein du Conseil parisien de la jeunesse a été très intéressante. Elle m'a permis de m'intégrer à Paris où je suis venue pour poursuivre mes études. Il m'a semblé essentiel de participer à la vie publique et de donner mon point de vue sur toutes les questions relatives à la jeunesse : précarité, logement, violences faites aux femmes. Cette expérience a été très enrichissante. Elle m'a permis de mieux connaître les dispositifs de la ville et de rencontrer plusieurs jeunes partageant la même volonté d'engagement que moi.
Cette expérience m'a permis de m'engager dans d'autres instances, notamment dans le comité d'éthique de la police municipale de Paris. Les questions liées à la sécurité concernent aussi les jeunes. Or il existe un vide : les jeunes ont moins d'occasions de s'exprimer sur ces sujets.
En parallèle, je me suis également engagée avec l'Anacej, qui travaille à renforcer le lien entre les pouvoirs publics et les jeunes. Il s'agit également de co-construire des politiques publiques avec les jeunes en améliorant ces instances. Il ne s'agit pas de proposer des solutions aux jeunes, il ne s'agit pas d'amener les jeunes à élaborer des projets par rapport à la ville, mais d'intégrer les jeunes à tous les processus de construction, de mise en oeuvre et de suivi.
Il est important de briser le mythe selon lequel les jeunes s'engagent, mais ne font rien dans les conseils de jeunes. Il est également important de renforcer les travaux d'intégration des conseils de jeunes aux réflexions de la ville et d'impliquer les services de la ville dans les travaux des conseils de jeunes pour accroître les chances d'une appropriation de ces productions dans la construction technique des politiques de la ville. L'objectif est de renforcer le lien de confiance mis à mal avec les institutions publiques. Les activités des conseils de jeunes doivent davantage être perçues comme un engagement plutôt que comme une offre. Nous voulons établir un canal de communication directe entre les instances et les jeunes pour permettre à ces derniers de proposer des idées. Il s'agit de rendre plus démocratique le fonctionnement de ces instances.
Je suis élève en terminale à Moulins, dans l'Allier. J'ai été élu en 2007, en quatrième, représentant de mon collège. J'ai intégré le conseil départemental des jeunes où j'ai été élu président lors du premier mandat. J'ai ensuite intégré le lycée où je suis vice-président du conseil des délégués pour la vie lycéenne (CVL) et président de la maison des lycéens. Je préside également une junior association, qui regroupe les anciens conseillers départementaux jeunes.
Le conseil départemental des jeunes (CDJ) a mené plusieurs projets, en particulier sur la prévention, les premiers secours, les sorties culturelles ou sportives. Le projet qui m'a le plus marqué a été l'organisation d'une exposition sur les enfants durant la guerre 14-18. Lors de l'inauguration, nous avions reçu la visite de la secrétaire d'État Geneviève Darrieussecq. Nous n'avons pas réussi à reconduire ce type de projet depuis le Covid, ce qui est dommage. Nous avons également participé à des congrès nationaux, comme le congrès Anacej en 2018.
Le regard que je porte sur les conseils de jeunes est très positif. Les expériences sont enrichissantes, sur le plan tant personnel que collectif. On découvre une nouvelle façon de penser, d'imaginer et de s'ouvrir aux autres. Le conseil départemental m'a permis de découvrir en 2019 le Sénat et de participer à différents congrès.
En revanche, il faudrait, selon moi, donner plus de place aux jeunes. Pour l'avoir vécu, on parle souvent du conseil des jeunes à la suite d'une sortie dans un musée ou d'une visite de marché le dimanche matin, mais ce n'est pas pour cela que nous nous sommes engagés ! Nous voudrions être plus écoutés et plus entendus. Nous voudrions surtout jouer un rôle et faire entendre notre voix dans les instances départementales ou municipales qui nous ont mis en place. Nous ne voulons pas être un outil politique pour faire joli !
Nous devons également être plus représentés sur l'ensemble du territoire. Il existe en effet de fortes disparités. Ici, par exemple, il n'y a pas de conseil régional des jeunes. Dans certains endroits, les jeunes sont très représentés et écoutés, mais dans d'autres ils font uniquement de la représentation dans la presse papier ! Chaque territoire doit avoir ses propres conseils de jeunes, mais ils doivent aussi être écoutés.
Personnellement, ma participation au conseil de jeunes m'a donné envie de m'engager. L'engagement est pour moi un facteur d'épanouissement. J'y consacre beaucoup de mon temps personnel et j'aimerais en faire mon métier pour devenir haut fonctionnaire, élu de la République ou « serviteur du peuple ».
J'ai 18 ans et je suis en première année de droit et science politique. J'ai un gros bagage en matière de conseil de jeunes ! J'ai commencé à 12 ans, au conseil bisontin des jeunes (CBJ) sur les recommandations de mon père, qui a une étiquette PS à Besançon. J'ai beaucoup apprécié cette expérience. Nous avons travaillé sur les thématiques de l'environnement et du traitement des déchets, etc. Nous avons fait des visites enrichissantes dans les services de la propreté. J'ai également participé à un comité loisir pour les personnes n'ayant pas les moyens de partir en vacances. Nous avons créé un événement populaire, reconduit depuis chaque année, preuve qu'il est possible de laisser son empreinte lorsque l'on a douze ans et que l'on est en cinquième. Nous avons, par exemple, demandé d'apposer des dessins sur les poubelles pour les rendre plus visibles et attrayantes : cela se pratique encore aujourd'hui, avec le logo du CBJ. J'ai cessé ensuite toute activité jusqu'en terminale, où j'ai été élu au conseil académique à la vie lycéenne auprès du rectorat de Lyon.
Comme l'a souligné Lylien Hubin, il y a le CVL au niveau local, il y a ensuite le conseil académique de la vie lycéenne (CAVL) au niveau académique, et tout en haut il y a le Conseil national de la vie lycéenne (CNVL), présidé par le ministre de l'éducation nationale. Pour ce qui me concerne, je représentais l'ensemble des lycéens généraux et technologiques de la Loire auprès du recteur et du ministre de l'éducation nationale.
Nous avons perdu la connexion avec M. Keshmiri. Je cède donc la parole, en attendant, à Aya Himer.
Permettez-moi de vous remercier pour cette invitation. C'est avec un grand plaisir que je témoigne aujourd'hui devant vous de mon engagement. J'ai 22 ans, je suis étudiante en master marketing-vente à Mulhouse. Je suis la benjamine du conseil municipal de la ville de Mulhouse, chargée de l'enfance, de la jeunesse et de la vie étudiante.
La ville de Mulhouse est dotée de trois dispositifs : le conseil municipal des enfants, le conseil des ados et le conseil des jeunes. Tous ces jeunes travaillent autour de différentes thématiques : la solidarité, l'environnement, le sport, les loisirs. J'ai été élue à l'âge de 9 ans au sein du conseil municipal des enfants. J'ai ensuite intégré le conseil des ados, puis le conseil des jeunes. Mon mandat a duré quatorze ans, j'ai mené plusieurs projets, dont un projet solidaire pour financer la construction d'un gymnase au Laos. Je participe également à un autre projet très important : la tournée des « cafés citoyens », dont l'objectif est de permettre au conseil des jeunes de rencontrer les jeunes de la ville pour discuter autour d'un verre. C'est assez libre, il s'agit d'un échange de jeune à jeune.
Le conseil de jeunes est aujourd'hui un lieu de réflexion, d'échange d'expériences, qui permet à chaque membre de faire part de ses idées. Il s'agit de monter des actions et de s'initier à la vie démocratique de la ville. Je suis reconnaissante envers la ville de Mulhouse, qui m'a permis, comme à d'autres jeunes, de m'engager et de participer à la vie citoyenne. Malheureusement, certaines villes ne sont pas dotées de conseil de jeunes.
Pour ma part, grâce à cette participation, j'ai pu développer ma curiosité, comprendre le fonctionnement d'une ville et apprendre à gérer des projets dans leur globalité. J'ai également appris à m'exprimer en public ; il serait d'ailleurs intéressant de développer des formations en ce sens, car il n'est pas évident, au départ, de surmonter sa timidité, surtout lorsqu'on s'adresse à des élus. Il serait également important que les conseils des enfants, des ados et des jeunes, qui se réunissent toutes les semaines, mais par groupe, puissent aussi se rencontrer tous ensemble pour discuter de ce qui s'est fait.
Il faudrait aussi avoir un élu jeunesse en charge de tous ces dispositifs. La jeunesse est une thématique transversale. Elle touche autant la culture que la solidarité ou le sport. Il est important qu'un élu soit spécifiquement chargé de ce suivi particulier et aille à la rencontre des jeunes issus des quartiers prioritaires de la ville.
Être membre du conseil municipal des jeunes, c'est aussi améliorer le quotidien des jeunes mulhousiens. C'est à travers plusieurs projets que l'on améliore les choses. In fine, nous sommes les porte-parole des jeunes et les ambassadeurs de la jeunesse. Notre objectif est d'améliorer leur quotidien à travers différents projets afin d'accompagner leurs premiers pas dans le milieu professionnel. C'est pourquoi j'ai voulu m'engager à une autre échelle, « dans la cour des grands », comme je dis souvent, en entrant dans le conseil municipal de la ville de Mulhouse. Notre démarche est vraiment de faire une politique par les jeunes et pour les jeunes. Nous voulons encourager les jeunes à prendre des décisions pour leur vie.
Merci pour cette présentation. Nous sommes de nouveau en ligne avec Maxime Keshmiri, à qui je cède à nouveau la parole.
Je parlais du conseil académique de la vie lycéenne : nous y avons mené de nombreuses actions, notamment la lutte contre la précarité menstruelle, en proposant l'installation de distributeurs de protections hygiéniques. Cette proposition a été acceptée par le Gouvernement. Nous avons également proposé, durant le confinement de 2021, l'extension du pass Culture. Je ne sais pas si nous avons été entendus, mais cette proposition a été mise en oeuvre peu après. Pour finir, j'ai été juré auprès du Conseil constitutionnel pour l'examen de travaux de collégiens et de lycéens relatifs à la Constitution française ainsi qu'au comité disciplinaire du bac pour le rectorat de Lyon. Cette année, je suis entré au Conseil villeurbannais de la jeunesse (CVJ). Actuellement, notre projet principal porte sur le lien entre la jeunesse et la police. Il s'agit de renforcer les liens entre les forces de l'ordre et la jeunesse. Nous souhaitons retrouver une certaine forme d'harmonie. C'est une idée qui nous tient à coeur. Le CVJ faisant partie de l'Anacej, j'ai intégré également cette instance.
Mon expérience a été extrêmement enrichissante, elle m'a permis de faire de belles rencontres et de m'ouvrir sur les enjeux de politique locale, voire régionale. Quelles sont mes suggestions ? Je propose tout d'abord de donner plus de moyens aux jeunes. À cette fin, Villeurbanne est en train de mettre en place un conseil miroir afin de permettre aux élus du CDJ d'avoir un droit de parole au sein du conseil municipal. C'est une première en France.
Ma participation au conseil des jeunes m'a donné envie de m'engager, qu'il s'agisse de la politique ou du monde associatif. Pour ce qui me concerne, j'aimerais avoir une carrière dans la diplomatie.
Comme j'ai pu le préciser précédemment, l'engagement appelle l'engagement. La possibilité de participer à ces conseils donne envie, en général, de s'impliquer encore davantage. C'est la preuve que le fait de s'engager est plaisant, même si cela prend du temps. Il s'agit d'expériences positives, même si ces jeunes savent exprimer des critiques, signe que ces conseils sont aussi une école de la délibération. Ils permettent de beaux parcours.
Par ailleurs, des réflexions sont en cours à l'Anacej. Les conseils existent, ce sont de beaux espaces, certes à améliorer, mais qui sont adaptés à une certaine forme d'engagement. L'idée que nous défendons à l'Anacej est d'imaginer d'autres espaces, à côté, pour que les jeunes puissent s'exprimer et comprendre le fonctionnement des institutions de façon plus légère que l'engagement demandé au sein des conseils. Il s'agit de toucher le plus de jeunes possible. L'expérience des conseils n'est pas matériellement possible partout, c'est un vrai souci : il s'agit d'une inégalité de chances. C'est pourquoi il est important d'imaginer d'autres espaces pour que tous les jeunes puissent acquérir des compétences similaires.
Avez-vous pu convaincre, à un moment donné de votre parcours, certains de vos amis de vous suivre dans cette démarche ? Madame Himer, vous avez dit que le rôle des conseils était d'améliorer le quotidien des jeunes de Mulhouse, d'être les ambassadeurs de la jeunesse. Les jeunes viennent-ils plus facilement à vous parce que vous êtes jeunes ? Comment arrivez-vous à représenter la jeunesse, qu'il s'agisse des conseils départementaux ou en tant qu'élue du conseil municipal de Mulhouse ? Comment parvenez-vous à connaître leur opinion ? Comment pouvez-vous convaincre d'autres jeunes à vivre la même expérience que vous ?
Qu'est-ce qui vous a conduit à vous engager ? Y a-t-il autour de vous, dans votre famille ou dans votre cercle amical, des personnes engagées ?
Après quatorze ans de mandat dans les conseils d'enfants et de jeunes, vous avez encore envie de mener des missions au service de nos concitoyens. Comment faire passer ce message auprès des autres jeunes ?
À chaque fois que j'en ai l'occasion, je parle du Conseil parisien des jeunes. Les jeunes ne savent pas que de tels conseils existent. Je fais donc souvent la promotion de toutes ces instances qui permettent aux jeunes de s'engager. Souvent, cela crée un déclic.
Qu'est-ce qui m'a poussé à m'engager ? J'avais plusieurs années d'expérience, puisque mon engagement a commencé en classe de sixième, notamment au travers d'associations humanitaires et de droits des enfants. En sixième, il y avait un déficit de mobilier dans mon collège. J'ai incité mes camarades à en revendiquer, ce qui a galvanisé tout l'établissement, de la sixième à la terminale. Nous avons obtenu satisfaction et le lycée a été réhabilité en termes d'infrastructures. Par ailleurs, avant mon arrivée à Paris, j'ai été co-fondatrice et secrétaire générale d'une association, devenue aujourd'hui une ONG. Il s'agissait d'offrir des cadeaux de Noël à des jeunes et à des enfants en situation de précarité ou malades.
Il est très important pour moi de servir les autres. Quand on s'engage, on le fait aussi pour soi : l'expérience est enrichissante dans les deux sens. C'est un peu ce qui m'a poussée à m'engager à Paris.
Vous demandez comment peut-on avoir envie s'engager après plusieurs années d'engagement : je dirais qu'il s'agit d'un cercle vertueux : l'engagement appelle l'engagement ! J'ai envie de proposer des projets, j'ai envie de continuer à essayer de résoudre les problèmes qui concernent les jeunes. Il existe toujours un espace que l'on veut combler.
Comment convaincre les autres jeunes de s'engager ? Nous avons des problèmes de communication. Nous sommes censés être trente-sept au conseil départemental jeunes, soit un représentant par collège. Or nous n'avons jamais atteint cet effectif. Soit les établissements ne jouent pas le jeu et n'informent pas les élèves qu'il y a des élections, soit les élèves ne savent pas de quoi il s'agit et ne se présentent pas. Quand l'information est relayée et que les élus en place donnent envie aux autres, cela attire toujours des gens. Mais il y a d'autres endroits où l'information ne passe pas.
Pourquoi s'engager ? Il s'agit tout simplement d'une passion. L'engagement, c'est quelque chose que l'on fait avec le coeur, on n'y va pas en rechignant. Il s'agit d'un choix.
Existait-il dans votre entourage un contexte particulier favorisant l'engament ?
Pas du tout. C'est arrivé par hasard, en quatrième, lorsque j'ai été élu délégué de classe et qu'il a fallu un représentant des quatrièmes. Puis j'ai été élu représentant du collège et les choses se sont enchaînées petit à petit. Je ne regrette rien, si c'était à refaire je le referais !
Comment convaincre les jeunes ? Ça a été chez nous une très grosse problématique. L'objectif est de donner envie : si le jeune ne vient pas directement à nous, c'est que ce n'est pas dans son ADN, du moins pour l'instant. Nous formons un groupe de jeunes élus aux conseils des enfants, des ados et des jeunes et nous allons directement nous adresser à d'autres jeunes dans les classes pour leur expliquer ce que nous faisons. Notre optique est toujours la même : il s'agit de faire la politique par les jeunes et pour les jeunes. Le message passe toujours mieux lorsque ce sont des jeunes qui parlent aux jeunes.
Il existe aussi un système de parrainage, qui facilite l'entrée aux différents conseils. Personnellement, j'ai parrainé une amie en la faisant participer à des séances. Cela lui a donné envie.
Comment a-t-on encore envie de s'engager après plusieurs années d'engagement ? Tout simplement parce que c'est inné, c'est ce qui me motive tous les jours et cela fait partie de moi. Lorsqu'on parle de moi, on parle forcément de mon engagement dans ces dispositifs et aujourd'hui en tant qu'élue. Mon objectif est d'améliorer le quotidien des tous, pas nécessairement à Mulhouse.
Y a-t-il autour de moi des personnes engagées ? Pas du tout : d'origine marocaine, je suis née au Maroc et arrivée en France à l'âge d'un an. Mes parents ne parlaient pas forcément le français. J'ai été déléguée de ma classe en CE1 et en CE2, c'est peu à peu que j'ai commencé à m'intéresser davantage à tout cela. Aujourd'hui, je ne regrette en aucun cas mon choix !
Pour que d'autres jeunes s'engagent, il faut pouvoir leur expliquer de quoi il s'agit. Il faut contextualiser. Quand je dis aux jeunes que je fais partie du CDJ ou de l'Anacej, ils ne savent pas ce que c'est. Il y a un manque cruel d'information de la part des collectivités.
C'est grâce à mon père que j'ai pu connaître le CDJ. Beaucoup de jeunes ignorent que de telles structures existent. Par ailleurs, nombre d'entre eux s'interrogent sur l'intérêt de participer à de telles instances, d'autant que cela prend du temps et empiète sur les cours, etc. Ils n'ont pas tort : c'est beaucoup de temps, beaucoup d'engagement, mais c'est aussi magnifique !
La communication est quasi inexistante, hormis dans les journaux locaux. Les mairies et de nombreuses collectivités ne prennent pas la peine de se doter d'un conseil de jeunes ou ne valorisent pas assez les actions menées par ces conseils. Même Lyon, qui dispose d'un conseil de jeunes par arrondissement, n'est pas à l'Anacej. Il faut valoriser l'engagement et montrer de quoi sont capables les jeunes. De gros projets ont été mis en place. Hélas, ils ne sont pas exposés à la lumière du jour par les politiques territoriales.
J'ai réalisé un sondage dans ma classe avant de venir. J'ai demandé aux jeunes ce qui pourrait les conduire à s'engager. Ils m'ont répondu qu'il fallait s'adresser au jeunes dans le débat public, pas seulement aux retraités ou à certaines catégories sociales. Si l'on s'adressait aussi aux jeunes, alors les jeunes se sentiraient concernés. Voilà, pour eux, ce qui créerait le déclic ! Actuellement, ils se sentent mis de côté dans le débat public. Ils ont l'impression qu'il n'y a pas de politique qui les touche. Pourtant ce n'est pas exact. Il faut donc vraiment travailler au niveau de la communication.
Échanges avec des membres ou anciens membres de conseils de jeunes : Mme Aya Himer, conseillère municipale déléguée au suivi des Conseils enfants, adolescents et jeunes et à la Vie étudiante à Mulhouse, MM. Lylien Hubin, membre du conseil départemental des jeunes de l'Allier, Maxime Keshmiri, membre du conseil villeurbannais de la jeunesse, Mmes Adjara Ouedraogo, membre du Conseil parisien de la Jeunesse et Marie-Pierre Pernette, déléguée générale de l'Association nationale des conseils d'enfants et de jeunes (ANACEJ)
Mes chers collègues, nous reprenons nos travaux avec quatre membres ou anciens membres de conseils de jeunes, qui se sont rendus disponibles pour échanger avec nous dans le cadre de cette mission d'information dédiée à la redynamisation de la culture citoyenne.
Je remercie Marie-Pierre Pernette, déléguée générale de l'Association nationale des conseils d'enfants et de jeunes (Anacej), que nous avons entendue le 26 janvier, de nous avoir aidés à organiser cette rencontre.
Pour l'information de nos invités, je précise que notre mission s'est mise en place dans le cadre du « droit de tirage des groupes », sur l'initiative du groupe RDSE, auquel appartient notre collègue Henri Cabanel, qui en est donc, conformément aux usages, le rapporteur.
J'indique également que notre mission est composée de vingt et un sénateurs, dix-neuf titulaires et deux suppléants, issus de tous les groupes politiques, et que notre rapport, assorti de recommandations, devrait être rendu public au début du mois de juin 2022.
Je rappelle aussi que cette audition donnera lieu à un compte rendu écrit qui sera annexé à notre rapport.
La création de cette mission d'information a été inspirée par la vive préoccupation suscitée par les taux d'abstention atteints lors des élections de 2021, plus particulièrement de la part des jeunes et, de manière générale, par la crise de confiance qui éloigne des institutions nombre de nos concitoyens.
Notre réflexion s'intéresse donc particulièrement à l'éducation des futurs citoyens, notamment dans le cadre scolaire, et plus généralement à toutes les initiatives qui peuvent susciter l'intérêt des jeunes pour la vie démocratique.
Les conseils de jeunes ont vite attiré notre attention, car ils peuvent constituer une bonne initiation à l'exercice concret de la citoyenneté.
Nous l'avons aussi constaté il y a quelques jours, lors d'une table ronde avec des élus locaux : participer à un conseil de jeunes peut inciter certains jeunes à s'engager en politique. L'une des participantes, aujourd'hui conseillère régionale, avait été membre d'un conseil de jeunes. Il y a parmi vous une élue municipale qui confirme, elle aussi, l'intérêt d'un tel parcours.
Je souhaite donc la bienvenue au Sénat à Adjara Ouedraogo, membre du Conseil parisien de la jeunesse. Je souhaite également la bienvenue à celles et ceux qui assistent à cette réunion à distance : Lylien Hubin, membre du conseil départemental des jeunes de l'Allier, Maxime Keshmiri, membre du conseil villeurbannais de la jeunesse, et Aya Himer, conseillère municipale déléguée au suivi des conseils enfants, adolescents et jeunes et à la vie étudiante à Mulhouse.
Enfin, aux côtés de Marie-Pierre Pernette, déléguée générale de l'Anacej, je salue Marion Moutafis, responsable de projet à l'Anacej.
Je laisse sans plus tarder la parole à Henri Cabanel, rapporteur, pour vous poser des questions et introduire vos témoignages.
Je m'associe aux remerciements de notre président et je tiens à vous dire tout le plaisir que j'ai à vous rencontrer. Notre travail étant centré sur la formation des futurs citoyens, il est très important d'entendre des témoignages tels que les vôtres.
Comment vous êtes-vous engagés ? Quel regard portez-vous sur votre expérience d'un conseil de jeunes ? Conseilleriez-vous à d'autres jeunes de participer à de telles structures ? Quelles seraient vos suggestions pour améliorer ce dispositif ?
Votre participation à un conseil de jeunes vous a-t-elle donné envie de vous engager ? Si oui, dans quel cadre : associatif, politique ou pour d'autres causes ?
Que pensez-vous de l'éducation morale et civique ? Avez-vous, du fait de votre participation à un conseil de jeunes, une approche différente de l'enseignement moral et civique que vos camarades ?
Je vous remercie de me donner l'opportunité de m'exprimer devant vous aujourd'hui. Je suis étudiante en première année de master de science politique à Paris 1. Je me suis engagée à l'âge de 22 ans dans un conseil de jeunes. Cela fait trois ans aujourd'hui que je suis membre du Conseil parisien de la jeunesse. Je suis donc à la fin de mon mandat. Nous avons eu à travailler sur plusieurs sujets, notamment la santé mentale des jeunes, l'égalité femme-homme, la solidarité et la préservation du lien intergénérationnel. La question de la santé mentale, notamment, est un vrai problème public.
Mon expérience au sein du Conseil parisien de la jeunesse a été très intéressante. Elle m'a permis de m'intégrer à Paris où je suis venue pour poursuivre mes études. Il m'a semblé essentiel de participer à la vie publique et de donner mon point de vue sur toutes les questions relatives à la jeunesse : précarité, logement, violences faites aux femmes. Cette expérience a été très enrichissante. Elle m'a permis de mieux connaître les dispositifs de la ville et de rencontrer plusieurs jeunes partageant la même volonté d'engagement que moi.
Cette expérience m'a permis de m'engager dans d'autres instances, notamment dans le comité d'éthique de la police municipale de Paris. Les questions liées à la sécurité concernent aussi les jeunes. Or il existe un vide : les jeunes ont moins d'occasions de s'exprimer sur ces sujets.
En parallèle, je me suis également engagée avec l'Anacej, qui travaille à renforcer le lien entre les pouvoirs publics et les jeunes. Il s'agit également de co-construire des politiques publiques avec les jeunes en améliorant ces instances. Il ne s'agit pas de proposer des solutions aux jeunes, il ne s'agit pas d'amener les jeunes à élaborer des projets par rapport à la ville, mais d'intégrer les jeunes à tous les processus de construction, de mise en oeuvre et de suivi.
Il est important de briser le mythe selon lequel les jeunes s'engagent, mais ne font rien dans les conseils de jeunes. Il est également important de renforcer les travaux d'intégration des conseils de jeunes aux réflexions de la ville et d'impliquer les services de la ville dans les travaux des conseils de jeunes pour accroître les chances d'une appropriation de ces productions dans la construction technique des politiques de la ville. L'objectif est de renforcer le lien de confiance mis à mal avec les institutions publiques. Les activités des conseils de jeunes doivent davantage être perçues comme un engagement plutôt que comme une offre. Nous voulons établir un canal de communication directe entre les instances et les jeunes pour permettre à ces derniers de proposer des idées. Il s'agit de rendre plus démocratique le fonctionnement de ces instances.
Je suis élève en terminale à Moulins, dans l'Allier. J'ai été élu en 2007, en quatrième, représentant de mon collège. J'ai intégré le conseil départemental des jeunes où j'ai été élu président lors du premier mandat. J'ai ensuite intégré le lycée où je suis vice-président du conseil des délégués pour la vie lycéenne (CVL) et président de la maison des lycéens. Je préside également une junior association, qui regroupe les anciens conseillers départementaux Jeunes.
Le conseil départemental des jeunes (CDJ) a mené plusieurs projets, en particulier sur la prévention, les premiers secours, des sorties culturelles ou sportives. Le projet qui m'a le plus marqué a été l'organisation d'une exposition sur les enfants durant la guerre 14-18. Lors de l'inauguration, nous avions reçu la visite de la secrétaire d'État Geneviève Darrieussecq. Nous n'avons pas réussi à reconduire ce type de projet depuis le Covid, ce qui est dommage. Nous avons également participé à des congrès nationaux, comme le congrès Anacej en 2018.
Le regard que je porte sur les conseils de jeunes est très positif. Les expériences sont enrichissantes, sur le plan tant personnel que collectif. On découvre une nouvelle façon de penser, d'imaginer et de s'ouvrir aux autres. Le conseil départemental m'a permis de découvrir en 2019 le Sénat et de participer à différents congrès.
En revanche, il faudrait, selon moi, donner plus de place aux jeunes. Pour l'avoir vécu, on parle souvent du conseil des jeunes à la suite d'une sortie dans un musée ou d'une visite de marché le dimanche matin, mais ce n'est pas pour cela que nous nous sommes engagés ! Nous voudrions être plus écoutés et plus entendus. Nous voudrions surtout jouer un rôle et faire entendre notre voix dans les instances départementales ou municipales qui nous ont mis en place. Nous ne voulons pas être un outil politique pour faire joli !
Nous devons également être plus représentés sur l'ensemble du territoire. Il existe en effet de fortes disparités. Ici, par exemple, il n'y a pas de conseil régional des jeunes. Dans certains endroits, les jeunes sont très représentés et écoutés, mais dans d'autres ils font uniquement de la représentation dans la presse papier ! Chaque territoire doit avoir ses propres conseils de jeunes, mais ils doivent aussi être écoutés.
Personnellement, ma participation au conseil de jeunes m'a donné envie de m'engager. L'engagement est pour moi un facteur d'épanouissement. J'y consacre beaucoup de mon temps personnel et j'aimerais en faire mon métier pour devenir haut fonctionnaire, élu de la République ou « serviteur du peuple ».
J'ai 18 ans et je suis en première année de droit et science politique. J'ai un gros bagage en matière de conseil de jeunes ! J'ai commencé à 12 ans, au conseil bisontin des jeunes (CBJ) sur les recommandations de mon père, qui a une étiquette PS à Besançon. J'ai beaucoup apprécié cette expérience. Nous avons travaillé sur les thématiques de l'environnement et du traitement des déchets, etc. Nous avons fait des visites enrichissantes dans les services de la propreté. J'ai également participé à un comité loisir pour les personnes n'ayant pas les moyens de partir en vacances. Nous avons créé un événement populaire, reconduit depuis chaque année, preuve qu'il est possible de laisser son empreinte lorsque l'on a douze ans et que l'on est en cinquième. Nous avons, par exemple, demandé d'apposer des dessins sur les poubelles pour les rendre plus visibles et attrayantes : cela se pratique encore aujourd'hui, avec le logo du CBJ. J'ai cessé ensuite toute activité jusqu'en terminale, où j'ai été élu au conseil académique à la vie lycéenne auprès du rectorat de Lyon.
Comme l'a souligné Lylien Hubin, il y a le CVL au niveau local, il y a ensuite le conseil académique de la vie lycéenne (CAVL) au niveau académique, et tout en haut il y a le Conseil national de la vie lycéenne (CNVL), présidé par le ministre de l'éducation nationale. Pour ce qui me concerne, je représentais l'ensemble des lycéens généraux et technologiques de la Loire auprès du recteur et du ministre de l'éducation nationale.
Nous avons perdu la connexion avec M. Keshmiri. Je cède donc la parole, en attendant, à Aya Himer.
Permettez-moi de vous remercier pour cette invitation. C'est avec un grand plaisir que je témoigne aujourd'hui devant vous de mon engagement. J'ai 22 ans, je suis étudiante en master marketing-vente à Mulhouse. Je suis la benjamine du conseil municipal de la ville de Mulhouse, chargée de l'enfance, de la jeunesse et de la vie étudiante.
La ville de Mulhouse est dotée de trois dispositifs : le conseil municipal des enfants, le conseil des ados et le conseil des jeunes. Tous ces jeunes travaillent autour de différentes thématiques : la solidarité, l'environnement, le sport, les loisirs. J'ai été élue à l'âge de 9 ans au sein du conseil municipal des enfants. J'ai ensuite intégré le conseil des ados, puis le conseil des jeunes. Mon mandat a duré quatorze ans, j'ai mené plusieurs projets, dont un projet solidaire pour financer la construction d'un gymnase au Laos. Je participe également à un autre projet très important : la tournée des « cafés citoyens », dont l'objectif est de permettre au conseil des jeunes de rencontrer les jeunes de la ville pour discuter autour d'un verre. C'est assez libre, il s'agit d'un échange de jeune à jeune.
Le conseil de jeunes est aujourd'hui un lieu de réflexion, d'échange d'expériences, qui permet à chaque membre de faire part de ses idées. Il s'agit de monter des actions et de s'initier à la vie démocratique de la ville. Je suis reconnaissante envers la ville de Mulhouse, qui m'a permis, comme à d'autres jeunes, de m'engager et de participer à la vie citoyenne. Malheureusement, certaines villes ne sont pas dotées de conseil de jeunes.
Pour ma part, grâce à cette participation, j'ai pu développer ma curiosité, comprendre le fonctionnement d'une ville et apprendre à gérer des projets dans leur globalité. J'ai également appris à m'exprimer en public ; il serait d'ailleurs intéressant de développer des formations en ce sens, car il n'est pas évident, au départ, de surmonter sa timidité, surtout lorsqu'on s'adresse à des élus. Il serait également important que les conseils des enfants, des ados et des jeunes, qui se réunissent toutes les semaines, mais par groupe, puissent aussi se rencontrer tous ensemble pour discuter de ce qui s'est fait.
Il faudrait aussi avoir un élu jeunesse en charge de tous ces dispositifs. La jeunesse est une thématique transversale. Elle touche autant la culture que la solidarité ou le sport. Il est important qu'un élu soit spécifiquement chargé de ce suivi particulier et aille à la rencontre des jeunes issus des quartiers prioritaires de la ville.
Être membre du conseil municipal des jeunes, c'est aussi améliorer le quotidien des jeunes mulhousiens. C'est à travers plusieurs projets que l'on améliore les choses. In fine, nous sommes les porte-parole des jeunes et les ambassadeurs de la jeunesse. Notre objectif est d'améliorer leur quotidien à travers différents projets afin d'accompagner leurs premiers pas dans le milieu professionnel. C'est pourquoi j'ai voulu m'engager à une autre échelle, « dans la cour des grands », comme je dis souvent, en entrant dans le conseil municipal de la ville de Mulhouse. Notre démarche est vraiment de faire une politique par les jeunes et pour les jeunes. Nous voulons encourager les jeunes à prendre des décisions pour leur vie.
Merci pour cette présentation. Nous sommes de nouveau en ligne avec Maxime Keshmiri, à qui je cède à nouveau la parole.
Je parlais du conseil académique de la vie lycéenne : nous y avons mené de nombreuses actions, notamment la lutte contre la précarité menstruelle, en proposant l'installation de distributeurs de protections hygiéniques. Cette proposition a été acceptée par le Gouvernement. Nous avons également proposé, durant le confinement de 2021, l'extension du pass Culture. Je ne sais pas si nous avons été entendus, mais cette proposition a été mise en oeuvre peu après. Pour finir, j'ai été juré auprès du Conseil constitutionnel pour l'examen de travaux de collégiens et de lycéens relatifs à la Constitution française ainsi qu'au comité disciplinaire du bac pour le rectorat de Lyon. Cette année, je suis entré au Conseil villeurbannais de la jeunesse (CVJ). Actuellement, notre projet principal porte sur le lien entre la jeunesse et la police. Il s'agit de renforcer les liens entre les forces de l'ordre et la jeunesse. Nous souhaitons retrouver une certaine forme d'harmonie. C'est une idée qui nous tient à coeur. Le CVJ faisant partie de l'Anacej, j'ai intégré également cette instance.
Mon expérience a été extrêmement enrichissante, elle m'a permis de faire de belles rencontres et de m'ouvrir sur les enjeux de politique locale, voire régionale. Quelles sont mes suggestions ? Je propose tout d'abord de donner plus de moyens aux jeunes. À cette fin, Villeurbanne est en train de mettre en place un conseil miroir afin de permettre aux élus du CDJ d'avoir un droit de parole au sein du conseil municipal. C'est une première en France.
Ma participation au conseil des jeunes m'a donné envie de m'engager, qu'il s'agisse de la politique ou du monde associatif. Pour ce qui me concerne, j'aimerais avoir une carrière dans la diplomatie.
Comme j'ai pu le préciser précédemment, l'engagement appelle l'engagement. La possibilité de participer à ces conseils donne envie, en général, de s'impliquer encore davantage. C'est la preuve que le fait de s'engager est plaisant, même si cela prend du temps. Il s'agit d'expériences positives, même si ces jeunes savent exprimer des critiques, signe que ces conseils sont aussi une école de la délibération. Ils permettent de beaux parcours.
Par ailleurs, des réflexions sont en cours à l'Anacej. Les conseils existent, ce sont de beaux espaces, certes à améliorer, mais qui sont adaptés à une certaine forme d'engagement. L'idée que nous défendons à l'Anacej est d'imaginer d'autres espaces, à côté, pour que les jeunes puissent s'exprimer et comprendre le fonctionnement des institutions de façon plus légère que l'engagement demandé au sein des conseils. Il s'agit de toucher le plus de jeunes possible. L'expérience des conseils n'est pas matériellement possible partout, c'est un vrai souci : il s'agit d'une inégalité de chances. C'est pourquoi il est important d'imaginer d'autres espaces pour que tous les jeunes puissent acquérir des compétences similaires.
Avez-vous pu convaincre, à un moment donné de votre parcours, certains de vos amis de vous suivre dans cette démarche ? Madame Himer, vous avez dit que le rôle des conseils était d'améliorer le quotidien des jeunes de Mulhouse, d'être les ambassadeurs de la jeunesse. Les jeunes viennent-ils plus facilement à vous parce que vous êtes jeunes ? Comment arrivez-vous à représenter la jeunesse, qu'il s'agisse des conseils départementaux ou en tant qu'élue du conseil municipal de Mulhouse ? Comment parvenez-vous à connaître leur opinion ? Comment pouvez-vous convaincre d'autres jeunes à vivre la même expérience que vous ?
Qu'est-ce qui vous a conduit à vous engager ? Y a-t-il autour de vous, dans votre famille ou dans votre cercle amical, des personnes engagées ?
Après quatorze ans de mandat dans les conseils d'enfants et de jeunes, vous avez encore envie de mener des missions au service de nos concitoyens. Comment faire passer ce message auprès des autres jeunes ?
À chaque fois que j'en ai l'occasion, je parle du Conseil parisien des jeunes. Les jeunes ne savent pas que de tels conseils existent. Je fais donc souvent la promotion de toutes ces instances qui permettent aux jeunes de s'engager. Souvent, cela crée un déclic.
Qu'est-ce qui m'a poussé à m'engager ? J'avais plusieurs années d'expérience, puisque mon engagement a commencé en classe de sixième, notamment au travers d'associations humanitaires et de droits des enfants. En sixième, il y avait un déficit de mobilier dans mon collège. J'ai incité mes camarades à en revendiquer, ce qui a galvanisé tout l'établissement, de la sixième à la terminale. Nous avons obtenu satisfaction et le lycée a été réhabilité en termes d'infrastructures. Par ailleurs, avant mon arrivée à Paris, j'ai été co-fondatrice et secrétaire générale d'une association, devenue aujourd'hui une ONG. Il s'agissait d'offrir des cadeaux de Noël à des jeunes et à des enfants en situation de précarité ou malades.
Il est très important pour moi de servir les autres. Quand on s'engage, on le fait aussi pour soi : l'expérience est enrichissante dans les deux sens. C'est un peu ce qui m'a poussée à m'engager à Paris.
Vous demandez comment peut-on avoir envie s'engager après plusieurs années d'engagement : je dirais qu'il s'agit d'un cercle vertueux : l'engagement appelle l'engagement ! J'ai envie de proposer des projets, j'ai envie de continuer à essayer de résoudre les problèmes qui concernent les jeunes. Il existe toujours un espace que l'on veut combler.
Comment convaincre les autres jeunes de s'engager ? Nous avons des problèmes de communication. Nous sommes censés être trente-sept au conseil départemental Jeunes, soit un représentant par collège. Or nous n'avons jamais atteint cet effectif. Soit les établissements ne jouent pas le jeu et n'informent pas les élèves qu'il y a des élections, soit les élèves ne savent pas de quoi il s'agit et ne se présentent pas. Quand l'information est relayée et que les élus en place donnent envie aux autres, cela attire toujours des gens. Mais il y a d'autres endroits où l'information ne passe pas.
Pourquoi s'engager ? Il s'agit tout simplement d'une passion. L'engagement, c'est quelque chose que l'on fait avec le coeur, on n'y va pas en rechignant. Il s'agit d'un choix.
Existait-il dans votre entourage un contexte particulier favorisant l'engament ?
Pas du tout. C'est arrivé par hasard, en quatrième, lorsque j'ai été élu délégué de classe et qu'il a fallu un représentant des quatrièmes. Puis j'ai été élu représentant du collège et les choses se sont enchaînées petit à petit. Je ne regrette rien, si c'était à refaire je le referais !
Comment convaincre les jeunes ? Ça a été chez nous une très grosse problématique. L'objectif est de donner envie : si le jeune ne vient pas directement à nous, c'est que ce n'est pas dans son ADN, du moins pour l'instant. Nous formons un groupe de jeunes élus aux conseils des enfants, des ados et des jeunes et nous allons directement nous adresser à d'autres jeunes dans les classes pour leur expliquer ce que nous faisons. Notre optique est toujours la même : il s'agit de faire la politique par les jeunes et pour les jeunes. Le message passe toujours mieux lorsque ce sont des jeunes qui parlent aux jeunes.
Il existe aussi un système de parrainage, qui facilite l'entrée aux différents conseils. Personnellement, j'ai parrainé une amie en la faisant participer à des séances. Cela lui a donné envie.
Comment a-t-on encore envie de s'engager après plusieurs années d'engagement ? Tout simplement parce que c'est inné, c'est ce qui me motive tous les jours et cela fait partie de moi. Lorsqu'on parle de moi, on parle forcément de mon engagement dans ces dispositifs et aujourd'hui en tant qu'élue. Mon objectif est d'améliorer le quotidien des tous, pas nécessairement à Mulhouse.
Y a-t-il autour de moi des personnes engagées ? Pas du tout : d'origine marocaine, je suis née au Maroc et arrivée en France à l'âge d'un an. Mes parents ne parlaient pas forcément le français. J'ai été déléguée de ma classe en CE1 et en CE2, c'est peu à peu que j'ai commencé à m'intéresser davantage à tout cela. Aujourd'hui, je ne regrette en aucun cas mon choix !
Pour que d'autres jeunes s'engagent, il faut pouvoir leur expliquer de quoi il s'agit. Il faut contextualiser. Quand je dis aux jeunes que je fais partie du CDJ ou de l'Anacej, ils ne savent pas ce que c'est. Il y a un manque cruel d'information de la part des collectivités.
C'est grâce à mon père que j'ai pu connaître le CDJ. Beaucoup de jeunes ignorent que de telles structures existent. Par ailleurs, nombre d'entre eux s'interrogent sur l'intérêt de participer à de telles instances, d'autant que cela prend du temps et empiète sur les cours, etc. Ils n'ont pas tort : c'est beaucoup de temps, beaucoup d'engagement, mais c'est aussi magnifique !
La communication est quasi inexistante, hormis dans les journaux locaux. Les mairies et de nombreuses collectivités ne prennent pas la peine de se doter d'un conseil de jeunes ou ne valorisent pas assez les actions menées par ces conseils. Même Lyon, qui dispose d'un conseil de jeunes par arrondissement, n'est pas à l'Anacej. Il faut valoriser l'engagement et montrer de quoi sont capables les jeunes. De gros projets ont été mis en place. Hélas, ils ne sont pas exposés à la lumière du jour par les politiques territoriales.
J'ai réalisé un sondage dans ma classe avant de venir. J'ai demandé aux jeunes ce qui pourrait les conduire à s'engager. Ils m'ont répondu qu'il fallait s'adresser au jeunes dans le débat public, pas seulement aux retraités ou à certaines catégories sociales. Si l'on s'adressait aussi aux jeunes, alors les jeunes se sentiraient concernés. Voilà, pour eux, ce qui créerait le déclic ! Actuellement, ils se sentent mis de côté dans le débat public. Ils ont l'impression qu'il n'y a pas de politique qui les touche. Pourtant ce n'est pas exact. Il faut donc vraiment travailler au niveau de la communication.