Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation

Réunion du 28 octobre 2009 : 2ème réunion

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • COPERNIC
  • dgfip
  • emprunt
  • emprunt national
  • recouvrement

La réunion

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Debut de section - Permalien
Mm. Christian Babusiaux, directeur-adjoint, sous-directeur chargé des systèmes d'information et de télécommunication de la direction générale des douanes et droits indirects

Au cours d'une seconde réunion tenue dans l'après-midi, la commission a procédé à l'audition de MM. Christian Babusiaux, président de la première chambre de la Cour des comptes, Philippe Rambal, directeur, adjoint au directeur général des finances publiques, Alain Lelouey, directeur du programme COPERNIC, Bruno Latombe, directeur-adjoint, sous-directeur chargé des systèmes d'information et de télécommunication de la direction générale des douanes et droits indirects, et Hervé Brabant, conseiller au cabinet du ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'Etat, pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes sur la gestion du programme COPERNIC.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Arthuis

a signalé que cette audition était ouverte à la presse. Il a rappelé que l'enquête sur la gestion du programme COPERNIC avait été demandée à la Cour des comptes à l'initiative de M. Bernard Angels, rapporteur spécial de la mission « Gestion des finances publiques et des ressources humaines ». Cette demande visait principalement à établir un état des retards pris par certains développements du programme, à reconstituer l'ensemble de ses coûts et à évaluer le retour sur investissement.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Angels

a indiqué que le programme COPERNIC, dès son lancement en 2001, a été davantage conçu comme une démarche de modernisation que comme un projet informatique. Avec l'objectif principal de la réalisation du « compte fiscal simplifié » des contribuables, il visait d'abord à coordonner les actions de la direction générale des impôts (DGI) et de la direction générale de la comptabilité publique (DGCP), fusionnées dans la direction générale des finances publiques (DGFiP) en 2008.

Le délai de réalisation de COPERNIC a initialement été fixé à neuf ans, de 2001 à 2009. La création de la DGFiP a entraîné une extension de ce délai jusqu'en 2012, afin de faire coïncider l'achèvement du programme avec celui de la fusion de la DGI et de la DGCP. Cependant, le rapport d'enquête de la Cour des comptes relève qu'aucun calendrier précis du déploiement de COPERNIC n'a été arrêté a priori et que, depuis 2005, il n'existe plus de document officiel de programmation : les relevés de décisions du comité stratégique de COPERNIC en tiennent lieu, chaque mois. M. Bernard Angels, rapporteur spécial, s'est interrogé sur la possibilité pour l'administration, dans ces conditions, d'évaluer de façon crédible l'état d'avancement du programme.

Il a présenté les trois phases de déploiement de COPERNIC : la mise en place de nouveaux services aux usagers et aux agents d'abord ; l'introduction de référentiels nationaux ensuite ; la refonte des applications de gestion enfin. Cette dernière phase se trouve encore en cours de réalisation, un retard ayant été pris du fait des difficultés rencontrées pour le développement de l'application de recouvrement. La restriction du périmètre de cette application au seul recouvrement contentieux a été engagée en 2009.

Cependant, M. Bernard Angels, rapporteur spécial, a souligné l'importance des réalisations dues au programme, en particulier la dématérialisation des données et des échanges de l'administration fiscale, notamment grâce aux procédures de télédéclaration et de télépaiement. L'amélioration de la qualité du service lui est apparue indéniable. Il a néanmoins identifié quatre chantiers encore ouverts pour l'achèvement ou l'optimisation de cette réforme :

- l'harmonisation complète des outils de la DGFiP, dont certains conservent la trace de l'existence de deux directions distinctes, notamment l'annuaire des agents et la gestion des habilitations ;

- la mise en place de l'application de recouvrement et, dans la mesure où cette application sera limitée au recouvrement contentieux, la modernisation de celles qui resteront utilisées pour le recouvrement normal ;

- la consolidation de la gestion de la DGFiP et de la direction générale des douanes et droits indirects (DGDDI) dans des applications communes, en vue d'un « compte fiscal » unique pour les contribuables ;

- la détermination d'un statut légal des documents numérisés, dont l'absence empêche, aujourd'hui, d'optimiser la dématérialisation des procédures fiscales.

En ce qui concerne le coût du programme, il a relevé que la Cour des comptes n'a pas décelé de « dérive », mais qu'elle a constaté une anomalie d'ordre comptable, les dépenses de personnel en la matière n'étant pas retracées conformément aux règles de la LOLF. L'absence de comptabilité analytique de COPERNIC conduit à une importante sous-valorisation, dans le bilan de l'Etat, des outils informatiques en cause.

Faisant état de la reconstitution complète des coûts du programme à laquelle a procédé la Cour des comptes, il a noté que la prorogation du délai de réalisation de COPERNIC jusqu'en 2012 n'affecte pas les dépenses d'investissement, qui devraient être conformes à la prévision initiale de 911 millions d'euros, mais qu'elle entraînera un surcoût en dépenses de personnel à hauteur de 41 millions d'euros et, pour la formation initiale, de l'ordre de 33 millions d'euros.

Il a souhaité connaître l'évaluation des dépenses nécessaires au développement d'applications qui, sans être imputables sur le programme COPERNIC, s'avèrent indispensables pour la poursuite de la modernisation engagée, notamment en matière de recouvrement non contentieux.

Par ailleurs, eu égard aux remarques de la Cour des comptes, dans son rapport d'enquête, sur le caractère approximatif de l'évaluation des bénéfices tirés de COPERNIC, il s'est interrogé sur la fiabilité des estimations du retour sur investissement du programme, que ce soit en termes de recettes fiscales supplémentaires, de moindres dépenses de fonctionnement ou de réduction d'effectifs.

Debut de section - Permalien
Christian Babusiaux, président de la première chambre de la Cour des comptes

a souligné l'importance des enjeux du programme COPERNIC, plus grand projet informatique de l'administration française, dont les applications concernent l'ensemble des contribuables. Il a présenté les conclusions de l'enquête de la Cour des comptes au triple point de vue de l'atteinte des objectifs, des délais de réalisation et du respect de l'enveloppe budgétaire du programme.

Sur le premier point, il a fait valoir le succès de COPERNIC en matière de collecte et d'harmonisation de l'information fiscale, ainsi que d'accès à celle-ci. La partie la plus visible de ses réalisations tient à la mise en place de la procédure de télédéclaration et à l'instauration de « l'interlocuteur fiscal unique ». Cependant, l'unification des données à partir de référents nationaux constitue un aspect également essentiel de la réforme, alors que les bases de référence étaient auparavant fractionnées entre les départements et les services, redondantes et parfois incohérentes.

En revanche, dans le domaine de la gestion des impôts et de l'aide au contrôle, une partie des ambitions initiales du programme a dû être abandonnée face aux difficultés de mise en oeuvre, en particulier l'application de recouvrement. En effet, alors que COPERNIC devait en principe moderniser les outils en restant neutre à l'égard des méthodes de travail, les processus de recouvrement se sont avérés trop dissemblables, entre la DGI et la DGCP, pour être intégrés au programme sans une réingénierie profonde. Or celle-ci a été entravée par des résistances de nature sociale.

La création de la DGFiP a rendu possible une nouvelle définition de l'application de recouvrement, limitée au recouvrement contentieux. Le recouvrement normal restera donc géré, pour une période indéterminée, dans les anciennes applications. Ce choix implique que l'administration devra assurer la maintenance de ces applications et mettre en place les compléments nécessaires à leur articulation avec la comptabilité d'engagement.

a souligné que cet enjeu de modernisation excède l'activité de l'administration fiscale, dans la mesure où l'application de recouvrement alimente la comptabilité générale de l'Etat. Il a rappelé que la Cour des comptes, dans sa fonction de certificateur des comptes de l'Etat, a formulé une réserve, maintenue depuis la certification relative à l'exercice 2006, sur la qualité de cette information financière.

En ce qui concerne les délais de réalisation de COPERNIC, il a estimé que la durée initialement retenue, soit neuf ans, était justifiée par l'ampleur du projet. Il a toutefois rappelé qu'une partie du programme, notamment l'application de recouvrement, a pris du retard, ce qui expliquait le report à 2012 de la prévision d'achèvement.

Quant aux coûts du programme, il a montré que le budget initialement prévu, à hauteur de 911 millions d'euros, a été respecté au prix de la réduction des visées originelles et d'une comptabilisation partielle des dépenses :

- d'une part, la modernisation des processus de recouvrement non contentieux et la réalisation d'outils d'aide à la gestion de l'impôt et au contrôle fiscal ont été renvoyées à des actions à financer en dehors de COPERNIC ;

- d'autre part, la communication ministérielle sur les coûts du programme n'a pris en compte que les dépenses de marchés informatiques, alors que la LOLF, depuis 2006, aurait dû conduire à prendre également en compte des coûts internes à l'administration, soit près de 400 millions d'euros pour l'ensemble de la période d'exécution du programme jusqu'en 2012. A cette échéance, le coût de développement de COPERNIC sera proche de 1,3 milliard d'euros en intégrant les coûts non récurrents supportés par l'Etat, voire 1,5 milliard d'euros si l'on tient compte des dépenses de formation.

Par ailleurs, M. Christian Babusiaux a fait part de l'analyse critique de la Cour des comptes sur les hypothèses retenues pour l'évaluation du retour sur investissement du programme réalisée, à la demande de la DGFiP, par un cabinet d'audit. En effet, l'imputation à COPERNIC des gains de productivité et des recettes fiscales supplémentaires constatés ou attendus par la DGFiP apparaît comme difficile, dès lors que ces bénéfices résultent aussi de la réorganisation du fonctionnement des services.

Il a rejoint l'analyse du rapporteur spécial pour juger nécessaire, en vue de donner son plein effet à la dématérialisation, la reconnaissance de la force probante des documents numérisés. De même, il a considéré que l'unification des applications fiscales ne sera terminée qu'avec la mise en place d'une gestion commune à la DGFiP et à la DGDDI.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Arthuis

a souhaité porter au crédit de la DGFiP l'importance des avancées réalisées dans l'administration fiscale, ces dernières années, grâce au déploiement du programme COPERNIC. Il a sollicité la réponse des représentants de cette direction générale aux observations présentées par le rapporteur spécial et la Cour des comptes.

Debut de section - Permalien
Philippe Rambal, directeur, adjoint au directeur général des finances publiques

a fait valoir l'ampleur des réalisations de COPERNIC en faveur de l'amélioration de la qualité du service rendu aux contribuables, du développement du civisme fiscal et de la diffusion des nouvelles technologies de l'information dans la société française.

Il a exposé que le déploiement du programme a permis la mise en place de quatre référentiels nationaux de données, qui concernent respectivement les personnes physiques et morales, les obligations fiscales, les occurrences fiscales et la topographie. L'essentiel des applications de l'administration fiscale se trouve aujourd'hui articulé avec ces référentiels, pour les domaines fonctionnels relatifs aux particuliers, aux professionnels, au patrimoine et au foncier, ainsi qu'au contrôle fiscal. Le domaine du recouvrement sera couvert en 2010.

Cette nouvelle organisation a donné à l'information, au sein du réseau de la DGFiP, une fluidité mesurable, par exemple, lors du changement d'adresse d'un contribuable. Elle a mis fin aux redondances antérieures et offre, outre des gains de productivité, une meilleure traçabilité des données, mise à profit pour les opérations de contrôle.

a indiqué que les retards de réalisation enregistrés par COPERNIC étaient liés, pour partie, à la prise en considération du contrôle dans l'élaboration des bases de données, et au temps requis - près d'une année pour tester le fonctionnement de ces bases en lien avec les référentiels nationaux, avant la mise en service du système. Il a analysé comme « logique » une présentation du budget du programme limitée aux investissements réalisés à ce titre, soit 911 millions d'euros, tandis que les mesures de modernisation de la DGFiP et d'adaptation des applications hors COPERNIC se trouvent retracées par ailleurs.

Sur le budget du programme, aujourd'hui, restent 50 millions d'euros. Ces fonds seront principalement affectés à la réalisation de l'application de recouvrement, limitée aux recouvrements contentieux afin de pouvoir respecter le délai de l'année 2012. En ce domaine, la fusion de la DGI et de la DGCP a simplifié la tâche de réingénierie des procédures. Ce travail est actuellement en cours, organisé en fonction des différentes facettes du recouvrement (encaissement, gestion de la mensualisation, poursuites...).

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Arthuis

a fait observer que l'efficacité des nouveaux outils informatiques sera subordonnée à l'organisation idoine du fonctionnement des services.

Debut de section - Permalien
Philippe Rambal, directeur, adjoint au directeur général des finances publiques

a indiqué que, dans cette perspective, les pôles départementaux de recouvrement sont en cours de constitution.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Arthuis

s'est alors interrogé sur le caractère suffisant du budget subsistant pour l'achèvement de COPERNIC.

Debut de section - Permalien
Alain Lelouey, directeur du programme COPERNIC

a précisé que la réalisation des structures ayant été menée à bien, le programme vise désormais à organiser le traitement des données, aspect nettement moins coûteux.

Debut de section - Permalien
Philippe Rambal, directeur, adjoint au directeur général des finances publiques

a estimé que la DGFiP a fait preuve d'une complète transparence en ce qui concerne l'évaluation du retour sur investissement de COPERNIC. Selon lui, les hypothèses retenues par le cabinet d'audit qui a réalisé cette évaluation ont été « prudentes », par exemple en considérant que 16.000 télédéclarations correspondent à l'économie d'un emploi en équivalent temps plein. Il a admis que le caractère « scientifique » de cette étude reste discutable, mais a conclu au caractère indéniable des gains nets qui seront retirés de COPERNIC, à partir de 2011 ou 2012.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Arthuis

En réponse à la question de M. Jean Arthuis, président, il a précisé que 9,7 millions de télédéclarations ont été enregistrées en 2009, et M. Alain Lelouey a indiqué qu'environ 70 % du produit de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) et de l'impôt sur les sociétés sont aujourd'hui perçus selon une procédure dématérialisée.

a souhaité connaître la capacité du système informatique issu de COPERNIC à prendre en charge une revalorisation des bases foncières d'imposition.

Debut de section - Permalien
Alain Lelouey, directeur du programme COPERNIC

a indiqué que le « compte fiscal » du contribuable constitue un outil de restitution de l'information, et non un outil de traitement des données. Le programme COPERNIC n'est donc pas concerné par ce sujet.

Debut de section - Permalien
Hervé Brabant, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'Etat

conseiller au cabinet du ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'Etat, est revenu sur le caractère majeur de la modernisation réalisée grâce au programme. Le système opérationnel est à la source de réels avantages pour l'administration comme pour les contribuables.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Angels

s'est interrogé sur le devenir de la direction du programme COPERNIC, alors que le budget du programme vient à épuisement et que la DGFiP dispose d'une gouvernance informatique qui semble faire « double emploi ».

Debut de section - Permalien
Philippe Rambal, directeur, adjoint au directeur général des finances publiques

a indiqué que cette organisation tient principalement au fait que le positionnement de la structure de pilotage du programme doit être proche du métier. Il a précisé que les dépenses nouvelles de COPERNIC se trouvent soumises à l'arbitrage du directeur général dans les mêmes conditions que celles des autres projets informatiques de la DGFiP. Le maintien d'un service à compétence nationale, forme choisie pour des raisons de visibilité institutionnelle, reste à examiner.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Arthuis

a alors souhaité savoir ce qui a empêché la DGDDI de moderniser ses applications informatiques avec les outils développés par le programme COPERNIC.

Debut de section - Permalien
Bruno Latombe, directeur adjoint, sous-directeur chargé des systèmes d'information et de télécommunication de la DGDDI

a expliqué que cette situation est principalement liée à la différence entre les métiers exercés au sein de la DGFiP, traitant d'impôts directs et récurrents, et ceux qui incombent aux douanes, visant des opérations ponctuelles associées à la mise en circulation ou à la consommation de certains biens. En outre, il a fait observer la différence d'échelle entre les activités des deux directions générales, en comparant les 100 000 redevables professionnels que traite la DGDDI et les 3,3 millions de redevables de la TVA gérés dans les applications du programme COPERNIC.

Ces différences ont conduit à retenir, pour la DGDDI, une voie spécifique de rénovation des systèmes d'information. La modernisation a été menée à bien, à la satisfaction des contribuables. La situation n'empêche pas, en pratique, une collaboration entre la DGFiP et la DGDDI, notamment un travail de vérification en commun.

Debut de section - Permalien
Christian Babusiaux, président de la première chambre de la Cour des comptes

a fait valoir que le rapprochement des systèmes informatiques de la DGFiP et de la DGDDI apparaît cependant comme une nécessité, dès lors que les contribuables sont les mêmes dans l'un et l'autre des deux réseaux. Avec M. Jean Arthuis, président, il s'est appuyé sur l'exemple de la taxe carbone pour montrer l'utilité de cette évolution. M. Bernard Angels, rapporteur spécial, a abondé en ce sens.

Debut de section - Permalien
Hervé Brabant, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'Etat

a déclaré qu'une telle évolution n'est pas exclue a priori. Le ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'Etat pourra demander à ses services de réfléchir dans cette direction.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Fourcade

et Charles Guené se sont enquis de la manière dont la réforme de la taxe professionnelle proposée dans le projet de loi de finances pour 2010 pourra être intégrée dans les applications informatiques de l'administration fiscale. M. Jean Arthuis, président, a souhaité savoir comment, dans ce cadre, la valeur ajoutée sera « localisée ».

Debut de section - Permalien
Alain Lelouey, directeur du programme COPERNIC

a indiqué que les opérations de répartition entre collectivités relèvent d'un calcul simple. En revanche, la localisation de la valeur ajoutée constitue une opération complexe, qui sera organisée en fonction des critères retenus par le législateur.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Arthuis

en a conclu qu'il revient au Parlement de veiller à l'applicabilité pratique des dispositifs qu'il adopte.

La commission a alors décidé d'autoriser la publication de l'enquête de la Cour des comptes ainsi que du compte rendu de la présente audition sous la forme d'un rapport d'information.

Debut de section - Permalien
Mm. Alain Juppé et Michel Rocard, co-présidents de la commission sur le grand emprunt national

Enfin, la commission a procédé à l'audition de MM. Alain Juppé et Michel Rocard, co-présidents de la commission sur le grand emprunt national.

Debut de section - Permalien
Michel Rocard

a confirmé que l'emprunt national, sans doute un peu rapidement qualifié de « grand », fera bien l'objet d'une loi de finances rectificative en 2010.

Il a expliqué que l'idée de cet emprunt est née du constat que, dans un contexte de finances publiques dégradées, les arbitrages budgétaires sont systématiquement effectués au détriment de la recherche scientifique et de l'enseignement supérieur, mettant ainsi en danger la capacité du pays à faire face aux évolutions de la société et au défi posé par les changements climatiques. En conséquence, le Président de la République a souhaité qu'il soit dressé un inventaire des projets d'avenir ne parvenant pas à être financés.

a rappelé que la dette publique représente près de 70 % du produit intérieur brut (PIB) de la France en 2009. Il a observé que, dans de nombreux pays, la crise a provoqué une augmentation du taux d'endettement supérieure à celle constatée en France, qui est d'ailleurs, avec l'Allemagne, l'un des derniers pays encore évalués « AAA » par les agences de notation. Considérant que la France empruntera environ 250 milliards d'euros en 2009, il a estimé que la qualité de sa signature ne sera pas pénalisée si le montant de l'emprunt reste de l'ordre de 20 milliards d'euros par année calendaire. Du strict point de vue du contexte dans lequel sera lancé l'emprunt national, la décision de la nouvelle coalition au pouvoir en Allemagne de procéder à des baisses d'impôt importantes présente l'avantage d'éviter une divergence entre les politiques budgétaires conduites en France et en Allemagne.

a fait valoir que la France est riche en capacités de recherche, qui pourraient lui permettre de prendre des positions de chef de file mondial notamment dans le domaine des biotechnologies ou celui des nanotechnologies, mais qu'elle éprouve des difficultés à passer de la recherche fondamentale à la recherche appliquée. Il a également relevé que beaucoup de projets prometteurs, comme la voiture électrique, restent sans financement. De ce point de vue, l'emprunt peut être considéré comme un effort consenti pour l'avenir, à la condition qu'il soit unique et non renouvelable. Il a affirmé vouloir éviter de créer un nouveau guichet pour les recalés des arbitrages budgétaires. Il a considéré que, au total, le montant des projets financés par le produit de l'emprunt serait compris entre 20 milliards et 35 milliards d'euros.

a indiqué que l'examen des projets de recherche en gestation permet de découvrir les chances du réveil de la France. Il a identifié plusieurs pistes pouvant accueillir les financements : la recherche et l'université ; les petites et moyennes entreprises innovantes, étant entendu que la France souffre de l'absence d'entreprises de taille moyenne exportatrices et positionnées sur les secteurs des nouvelles technologies et des technologies écologiques ; les énergies nouvelles ; l'équipement de la France en réseaux de télécommunications à très haut débit ; les moyens de transport d'avenir, tels que la voiture électrique ou les biocarburants de troisième génération ; la ville, l'habitat et le bâtiment. Il a précisé que la santé et les biotechnologies feront peut-être l'objet d'une rubrique distincte de celle de la recherche scientifique.

Il a insisté sur la nécessité de choisir, aussi souvent que possible, des projets susceptibles de s'« autofinancer » par la création des richesses qu'ils susciteront, par les bases fiscales qu'ils engendreront ou par leur mode de financement, notamment sous le régime des partenariats public-privé.

a reconnu que, compte tenu de la situation préoccupante des finances publiques, il a d'abord été sceptique s'agissant du principe d'un emprunt mais que, au terme des travaux de la commission qu'il co-préside, il est convaincu que les projets financés seront bénéfiques à l'avenir du pays.

Debut de section - Permalien
Alain Juppé

a indiqué que, tout comme M. Michel Rocard, il est conscient de la situation des finances publiques. Le grand emprunt national ne doit pas être « un emprunt comme les autres ». Dans certains cas, le « retour sur investissement » pourra être mesuré, par exemple si le grand emprunt national finance des dotations en capital remboursables, des prêts participatifs remboursables ou des avances remboursables. Le fil conducteur des travaux de la commission qu'il co-préside a été de chercher à favoriser le passage de la recherche fondamentale à l'innovation industrielle. C'est la raison pour laquelle il n'est pas prévu de financer des travaux d'infrastructures, en particulier ferroviaires.

Debut de section - Permalien
Michel Rocard

a précisé que la lettre de mission de la commission du grand emprunt national, qui doit réfléchir en fonction d'un horizon de long terme, exclut toute perspective contracyclique.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Marini

a déclaré son inquiétude. Les mesures discrétionnaires doivent déjà réduire les recettes de l'Etat de plus de 10 milliards d'euros en 2010, ce qui permettra de compenser la disparition des allégements fiscaux contenue dans le plan de relance mis en oeuvre en 2009. Il a estimé qu'il pourrait être envisagé de mettre en place une caisse chargée d'émettre le grand emprunt national, qui le rembourserait grâce aux recettes générées par les investissements réalisés. A défaut d'un tel dispositif, le grand emprunt national pourrait être une simple « fuite en avant », à quelques mois d'une augmentation prévisible des taux d'intérêt.

Debut de section - Permalien
Alain Juppé

a souligné que la commission qu'il co-préside poursuit un tel objectif de « retour sur investissement », qui fait partie de ses critères de choix. En pratique cependant, il n'est pas toujours possible d'évaluer précisément ce retour. S'il peut être clairement identifié dans le cas d'un système d'avances remboursables, envisagé pour la prochaine génération d'avions de transport, ou des « réseaux intelligents », qui permettraient de réduire de façon mesurable la consommation d'électricité, un tel exercice est plus délicat dans le cas, par exemple, de la recherche fondamentale. Au total, le « retour sur investissement » des propositions de la commission du grand emprunt national ne pourrait être objectivement mesuré que pour environ la moitié des cas.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Arthuis

s'est interrogé sur les contraintes fixées par l'Union européenne en matière d'avances remboursables. Par ailleurs, s'il est nécessaire que l'Etat finance certaines « dépenses d'avenir », cela montre que le système de financement de l'économie n'est pas satisfaisant.

Debut de section - Permalien
Alain Juppé

En réponse, M. Alain Juppé a confirmé la vigilance de la Commission européenne au sujet des avances remboursables. Il a estimé que le marché est incapable de prendre en compte le long terme, et qu'il n'aurait pas été possible de développer l'industrie aéronautique européenne sans l'aide des Etats.

Debut de section - Permalien
Michel Rocard

a souligné la tendance des Etats à réduire leurs « dépenses d'avenir » en période de difficultés budgétaires.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Adnot

a indiqué que, en sa qualité de rapporteur spécial de la mission « Recherche et enseignement supérieur », il réfléchit actuellement à la manière de financer la « preuve du concept », c'est-à-dire les travaux par lesquels une entreprise innovante prouve aux financeurs potentiels que son projet est viable. Le grand emprunt national ne doit pas se concentrer sur les seuls « pôles de compétitivité » et doit être convenablement articulé avec les autres dispositifs publics de financement de l'innovation. M. Philippe Adnot s'est demandé si l'emprunt a vocation à financer le démonstrateur de voiture électrique prévu par l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME) ou les satellites devant permettre l'accès à l'Internet à haut débit en zone rurale. Il a noté qu'il peut avoir notamment l'avantage d'inciter les acteurs privés à prendre davantage de risques.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Charasse

a exprimé sa perplexité face au grand emprunt national. Les seuls précédents sont à sa connaissance les « emprunts de la défense nationale », émis à l'occasion de la guerre de 1870 et de la Première Guerre mondiale, et qui, comme le grand emprunt national, n'avaient pas vocation à financer des dépenses pérennes. Il faut éviter que le grand emprunt national soit détourné pour satisfaire des revendications catégorielles ou serve à financer des dépenses courantes, comme les dépenses de santé, des emplois publics ou des « dépenses d'avenir » déjà inscrites au budget. Il paraît souhaitable de l'émettre en plusieurs tranches au fur et à mesure de la réalisation des dépenses, et de l'utiliser pour financer des prêts. Il doit enfin être compatible avec le droit communautaire.

Debut de section - PermalienPhoto de Nicole Bricq

a considéré que la mise en oeuvre du grand emprunt national par une loi de finances rectificative, qui devra être adoptée au début de l'année prochaine, relativise la portée du projet de loi de finances pour 2010. Il aurait été plus simple d'accorder la garantie de l'Etat à des investissements privés dans certains domaines. Elle s'est interrogée sur l'articulation du grand emprunt national avec les états généraux de l'industrie, lancés le 15 octobre 2009. Elle a souhaité savoir s'il est prévu que le grand emprunt national privilégie une logique de filières ou bien les « noeuds technologiques à fortes externalités », et déploré l'absence de politique industrielle en France.

Debut de section - PermalienPhoto de Fabienne Keller

a considéré que le grand emprunt national doit financer des infrastructures de transport. Elle s'est interrogée sur le contenu concret de la rubrique « ville, habitat et bâtiment » évoquée par M. Michel Rocard, estimant qu'il doit également financer la politique de la ville.

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Gaudin

a jugé essentiel de favoriser le passage de la recherche fondamentale à l'innovation. Il présentera prochainement devant la commission un point d'étape sur ses travaux relatifs au crédit d'impôt recherche (CIR), qui coûte 3,5 milliards d'euros par an. Le grand emprunt national doit en particulier financer les nanotechnologies. Les travaux de recherche les plus importants doivent être menés au niveau européen. Le sujet de la « preuve du concept », évoqué par M. Philippe Adnot, est fondamental.

Debut de section - PermalienPhoto de François Marc

s'est interrogé sur l'évolution du montant envisagé pour le grand emprunt, faisant état d'estimations autour de 100 milliards d'euros évoquées par la presse. Il a souligné que les mesures nouvelles sur les recettes de l'Etat adoptées depuis 2002 sont de l'ordre de 40 milliards d'euros, et s'est interrogé sur la difficulté à persuader les Français que le grand emprunt national n'obéit à aucune visée électoraliste.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Dallier

s'est demandé si le grand emprunt national a également vocation à financer le projet de « Grand Paris ».

Debut de section - PermalienPhoto de Rémy Pointereau

a jugé que le grand emprunt national doit financer des moyens de communication modernes, qu'il s'agisse d'Internet à haut débit ou de train à grande vitesse (TGV), en particulier en province.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Charasse

a objecté qu'il n'a pas vocation à financer la totalité de l'investissement public.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Arthuis

a considéré que l'argument de M. Michel Rocard, selon lequel l'intention des dirigeants allemands de fortement baisser les impôts atténue l'impact que le grand emprunt national est susceptible d'avoir sur les taux d'intérêt de la dette souveraine française, doit être relativisé, dans la mesure où le déficit public devrait être en 2009 de l'ordre de « seulement » 4,5 points de PIB en Allemagne, contre plus de 8 points de PIB en France. Il a envisagé de réorienter les moyens du Fonds stratégique d'investissement vers les PME, de mettre en place une structure analogue au Crédit national, établissement bancaire français créé en 1919 pour financer les PME industrielles, et de recourir, pour le grand emprunt national, à des conditions de financement plus avantageuses que celles du marché, par exemple grâce un système d'impôt remboursable.

Debut de section - Permalien
Alain Juppé

Répondant aux intervenants, M. Alain Juppé a rappelé que la commission qu'il co-préside n'a pas été à l'origine de l'idée de procéder à un emprunt et qu'elle est seulement chargée de proposer ses modalités de mise en oeuvre. Dès lors, il ne lui revient de se prononcer sur le principe du recours à l'emprunt.

Il s'est déclaré intéressé par les suggestions de M. Philippe Adnot dans le domaine de la preuve de concept. Il a constaté que le Fonds stratégique d'investissement ne remplit pas la mission de financer l'amorçage de petites et moyennes entreprises (PME) innovantes et qu'il se concentre plutôt sur les entreprises en restructuration et sur les grandes entreprises. Il a souligné l'opinion très favorable exprimée sur l'action d'OSEO, tant par les chercheurs que les chefs d'entreprise, et a évoqué la possibilité de lui apporter les moyens de se concentrer davantage sur le soutien aux PME innovantes et à leur phase de démarrage, un peu délaissé aujourd'hui en raison de la crise et de la nécessité de privilégier le soutien à la trésorerie des entreprises.

Pour parvenir à couvrir l'ensemble du territoire en télécommunications à haut débit, M. Alain Juppé a estimé qu'il convient de distinguer les zones couvertes par les opérateurs, celles pour lesquelles un financement complémentaire est envisageable et celles pour lesquelles il faudra recourir à une autre solution technique, telle que le satellite. Il a exclu tout financement de dépenses sociales par le produit du grand emprunt, de même que le versement de rémunérations, à l'exception peut-être des traitements de doctorants. En matière d'habitat et de préparation de la ville du futur, il a indiqué que la commission sur le grand emprunt fera des propositions relatives aux transports en site propre et à l'efficacité énergétique du parc de logement social. Il a écarté la possibilité de participer au financement du « Grand Paris », dès lors que la commission qu'il co-préside ne retient pas de projet d'infrastructure de transport, et il a considéré que la construction des lignes de train à grande vitesse ne présente pas la dimension de recherche et d'innovation essentielle aux yeux des membres de la commission. Il a indiqué que le mode de gouvernance des universités incite certains membres de la commission à préconiser que les crédits ne leur soient pas versés directement mais soient attribués, plutôt, à des campus d'innovation ou à l'Agence nationale de la recherche (ANR).

Debut de section - Permalien
Michel Rocard

s'est également déclaré intéressé par les travaux de M. Philippe Adnot sur la preuve de concept. Il a cependant précisé que l'emprunt ne financera pas des procédures mais des projets précis. Il a approuvé la référence de M. Michel Charasse aux emprunts de la défense nationale, qui constituent à ses yeux le seul vrai précédent historique. Il a insisté sur la nécessité de s'assurer de l'effectivité des décaissements de crédits et sur l'intérêt d'être capable de sélectionner les bons porteurs de projets.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Charasse

a mis en garde contre le risque que l'emprunt prenne en charge des dépenses d'investissement qui devraient relever du budget général, conférant ainsi une marge de manoeuvre supplémentaire pour accroître les dépenses de fonctionnement.

Debut de section - Permalien
Michel Rocard

a fait part de son accord méthodologique avec cette suggestion et a rappelé que la réduction des dépenses d'investissement de l'Etat est l'une des raisons du lancement de cet emprunt. Il a indiqué à Mme Nicole Bricq que la cohérence avec les Etats généraux de l'industrie n'est pas mentionnée dans la lettre de mission de la commission. Il a expliqué que certaines orientations de la commission seront transversales, dans des domaines comme la ville et l'habitat par exemple, alors que d'autres porteront sur des projets industriels déterminés.

Il a considéré que le champ social est par nature hors du périmètre de la mission, centré sur l'innovation technologique. Il a ajouté que le coût des besoins dans le domaine social excède largement le produit attendu de l'emprunt. Il a précisé que la commission s'assure de la conformité au droit communautaire des projets quelle retient et qu'elle envisage de publier une liste de projets qui pourraient être financés uniquement sous condition de coopération internationale. Il a souligné qu'il n'a jamais été question, dans son esprit, que le montant de l'emprunt atteigne 100 milliards d'euros. Il a approuvé le parallèle entre le montant attendu de l'emprunt et celui des baisses d'impôt discrétionnaires décidées ces dernières années et a confirmé qu'il est difficile de s'extraire complètement des considérations électorales. Il a précisé avoir accepté de participer à cette commission en raison de sa conviction que la recherche est toujours la victime des arbitrages budgétaires, au détriment du potentiel de croissance de l'économie.

Il a estimé que le secteur des transports n'est pas totalement exclu des propositions de la commission puisque des financements devraient être prévus en faveur de la voiture électrique, des biocarburants de troisième génération ou encore du « démonstrateur » de l'avion du futur, qui sera plus léger et consommera moins de carburant.