Mes chers collègues, nous poursuivons nos travaux sur la proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale pour la prévention en santé au travail, avec l'audition des agences compétentes dans ce domaine. Nous n'avons toujours pas de calendrier pour l'inscription à l'ordre du jour de ce texte qui pourrait intervenir début juillet. J'indique que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo retransmise en direct sur le site du Sénat et disponible en vidéo à la demande.
Nous entendons ce matin M. Richard Abadie, directeur de l'agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail (Anact), M. Stéphane Pimbert, directeur général de l'institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles (INRS). À distance, nous avons le professeur Gérard Lasfargues, conseiller scientifique auprès du directeur général de l'agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSéS) et M. Henri Bastos, directeur adjoint de l'évaluation des risques, volet santé-travail du même organisme, ainsi que Mme Mélina Le Barbier, directrice-adjointe de la Direction santé environnement et travail de Santé publique France.
Je vais vous laisser la parole cinq minutes chacun pour exposer la façon dont ce texte répond aux enjeux de ce sujet complexe, avant que nos collègues Pascale Gruny et Stéphane Artano, rapporteurs de la proposition de loi, ne vous posent leurs questions avant que les commissaires qui souhaitent vous interroger ne le fassent.
De notre point de vue, la proposition de loi permet de porter une approche large et ouverte de la santé au travail, et conforte ainsi les évolutions initiées dans le 3e plan santé au travail (PST) et les deux accords nationaux interprofessionnels (ANI) de 2013 et 2020 qui ont joué un rôle majeur dans l'orientation des actions de l'Anact et son réseau.
Je pense notamment à la volonté d'accorder la priorité à la prévention primaire - c'était le premier axe du PST - et de promouvoir le travail comme un facteur de santé - c'était son deuxième axe - mais aussi de mobiliser davantage le dialogue social en appui des actions de prévention - ce qui constituait une partie du troisième axe. Les potentielles contributions de l'Anact sur le contenu de ce texte s'inscrivent donc dans ce cadre. Pour ce faire, je vous propose d'évoquer rapidement deux séries de repères, non pour sous-entendre qu'ils ne seraient pas intégrés dans la proposition de loi, mais pour favoriser une lecture globale des pratiques initiées dans ce texte.
La première série est liée à la volonté de renforcer la prévention au sein des entreprises : c'est l'intitulé du titre premier. On invite à favoriser, dans les entreprises, des pratiques de prévention qui soient davantage intégrées à des actes de gestion quotidiens. Cela justifie, de notre point de vue, d'agir sur l'organisation du travail (horaires, process...) mais aussi d'accompagner des projets de transformation et de changement au sein des entreprises (robotisation, numérisation, fusion et recomposition économique, développement du travail à distance...). Ceux-ci nécessitent d'associer les personnes concernées, si l'on veut agir sur la santé au travail.
De la même façon, il est important de renforcer le dialogue social avec les instances représentatives du personnel, mais aussi professionnel avec et entre travailleurs. En effet, ils jouent un rôle majeur dans toute démarche d'amélioration continue, dont relèvent les mesures de prévention. Il importe de pouvoir prendre en compte les propositions des principaux concernés.
Il serait utile de faire évoluer les modalités de management et d'enrichir les actions de prévention et de construction de parcours professionnels pour permettre à chacun de travailler en bonne santé, d'être compétent et motivé tout au long de sa carrière. Au final, il faut conduire des démarches transversales, visant à répondre à la fois aux préoccupations économiques et sociales de la direction mais aussi à celles des salariés et de leurs représentants.
La deuxième série de repères pour renforcer la prévention au sein des entreprises est liée à la volonté d'accompagner certains publics - notamment vulnérables - et de lutter contre la désinsertion professionnelle. C'est l'intitulé du titre III. De notre point de vue, cela implique d'appréhender, le plus en amont possible et tout au long du parcours professionnel, les expositions à certaines contraintes, comme l'usure professionnelle, et les moyens de les prévenir. Cela implique aussi de traiter et de suivre individuellement les personnes exposées tout en se donnant les moyens d'en tirer des enseignements plus collectifs pour alimenter la politique de prévention des entreprises, comme cela est écrit dans l'ANI. Cela suppose enfin de non seulement définir le contenu des formations utiles en matière de prévention et de les concentrer dans un passeport prévention comme le propose le texte, mais aussi de développer des environnements et de réunir des conditions qui favorisent les apprentissages ou le développement des compétences, voire des savoir-faire prudentiels par les travailleurs. Je prendrai l'exemple des actions de formation en situation de travail (Afest). L'ANI y fait explicitement référence pour privilégier les mises en situation dans et en dehors de l'entreprise et prévenir ainsi la désinsertion professionnelle. Le dispositif est déjà introduit dans le code du travail - ce pour quoi on ne le retrouve pas dans ce texte - mais il gagnerait à être davantage mobilisé.
En conclusion, ce texte invite à renouveler notre lecture de l'ensemble des dispositions du code du travail. Cette lecture sera combinée et nourrie par l'analyse des pratiques innovantes menées par nombre d'entreprises et de secteurs. Ce serait le sens de notre contribution.
Je vais d'abord rappeler ce qu'est l'INRS. C'est une association créée en 1947 par les partenaires sociaux et la caisse nationale de l'assurance-maladie (CNAM) : sa gouvernance est donc paritaire. Sa mission est la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles (AT-MP) avec un périmètre regroupant tous les risques. Ils ont, bien évidemment, évolué depuis 1947. Les risques étaient alors situés dans les mines et les usines. Désormais, nous nous occupons de quatre grands domaines : les risques chimiques - qui représentent 30 % de notre activité - les risques biologiques, les risques physiques et mécaniques, et les risques organisationnels et situations de travail - qui regroupent des questions d'organisation, les troubles musculo-squelettiques (TMS) et les risques psycho-sociaux. Nous disposons de quatre moyens d'action : les études et recherches, la formation - notamment des médecins du travail et des élus du personnel -, l'information et la communication à travers le web - notre site enregistre 30 000 connexions par jour -, et enfin l'assistance et l'appui aux caisses d'assurance retraite et de la santé au travail (Carsat), aux pouvoirs publics et aux entreprises. Nous avons 579 salariés et un budget de 79 millions d'euros, constitué principalement par le fonds national des accidents du travail.
Pourquoi trouve-t-on que cette réforme va dans le bon sens ? Elle va dans la direction de la prévention, qui est notre mission, comme le faisaient le PST 3 et l'ANI de décembre 2020 qui soulignaient cet objectif et l'accompagnaient de moyens. Dès l'exposé des motifs du texte de l'Assemblée nationale, l'importance de la prévention et de la santé au travail est réaffirmée. Renforcer la prévention est essentiel. Il y a quelques années, l'objectif principal était la réparation : on est donc passé à une logique de prévention, qui va largement dans le bon sens.
Deuxième chose : l'optimisation du travail des acteurs est importante à nos yeux. Nous nous coordonnons régulièrement au niveau national. Au niveau local, l'INRS a deux types de relais principaux : les Carsat, qui ont un rôle majeur, y compris en prévention, et les services de santé au travail (SST). La volonté d'optimiser, de coordonner et de rendre cohérent le fonctionnement des SST compte beaucoup pour nous, même si nous aurions aimé une meilleure structuration.
Leur rôle est important. Ce sont les acteurs les plus proches de l'entreprise, de l'employeur et des salariés. Le texte étend les missions des SST vers la prévention, le suivi des salariés, l'aide à l'évaluation des risques dans l'entreprise ou encore la participation à la promotion de la santé sur le lieu de travail : c'est essentiel à nos yeux. Il faudra toutefois gérer les aspects de ressources humaines et financières.
Voilà ce que l'INRS pouvait dire de cette proposition de loi en relation avec le renforcement de la prévention, l'amélioration, l'homogénéité et la coordination des services, ainsi que sur l'aspect gouvernance.
Sur les publics vulnérables et la lutte contre la désinsertion professionnelle, l'INRS est moins présente, si ce n'est à travers des études et recherches. Les acteurs nationaux et leurs déclinaisons locales sont beaucoup plus présents.
Professeur Gérard Lasfargues, conseiller scientifique auprès du directeur général de l'agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSéS). - Sur le principe, tout ce qui peut permettre de faire avancer la prévention - et notamment la prévention primaire - en santé au travail est vu d'un oeil favorable par l'agence de sécurité sanitaire qu'est l'ANSéS. Ses missions premières consistent à fournir aux autorités l'information nécessaire à la prise de décision concernant la prévention des risques professionnels et à appuyer les principales politiques publiques en la matière.
L'agence contribue fortement à la connaissance des dangers en matière de santé au travail, des expositions professionnelles - notamment pour les risques émergents (nanoparticules, pesticides, perturbateurs endocriniens...) - et elle contribue aussi, en particulier via le réseau national de vigilance et de prévention des pathologies professionnelles (RNV3P), à l'évaluation des risques dans le champ de la santé au travail, et à l'élaboration de la réglementation nationale ou européenne - je pense aux produits chimiques dans le cadre des règlements REACH (« Registration, Evaluation, Authorisation and Restriction of Chemicals » - Enregistrement, évaluation, autorisation et restriction des substances chimiques) et CLP (« Classification, Labelling, Packaging » - Classification, étiquetage et emballage des substances chimiques et mélanges), aux produits pharmaceutiques ou biocides. Elle contribue aussi à l'élaboration de valeurs de référence pour protéger les travailleurs, comme les valeurs limites d'exposition professionnelle ou les valeurs limites biologiques, dans les fluides biologiques des organismes des travailleurs.
L'agence a déjà nourri plusieurs précédents rapports de ses propositions, dont le rapport Frimat ou celui de la députée Charlotte Lecocq. Nous avons pu expliquer à chaque fois nos missions et nos actions dans la prévention des risques professionnels, mais nous avons également pu faire des propositions pour pérenniser, renforcer, compléter et conforter les dispositifs existants, notamment pour le suivi des expositions collectives - que ce soit les enquêtes ou les registres -, pour développer les études relatives à la biosurveillance des expositions professionnelles, notamment aux produits chimiques, et pour améliorer le recueil et l'exploitation des données et des informations par les professionnels de santé au travail. M. Pimbert en parlait : ce point nous paraît important si on veut faire avancer la prévention primaire, notamment dans les petites et moyennes entreprises (PME), qui constituent le noeud du tissu industriel français. Nous avions également recommandé une véritable impulsion politique pour la dématérialisation des données de santé et d'exposition enregistrées par les SST, ainsi que la dématérialisation et l'enregistrement du suivi des documents uniques d'évaluation des risques professionnels (DUERP). Nous sommes satisfaits que ces sujets puissent être abordés dans cette nouvelle loi et dans cette mise en avant de la prévention primaire.
Il nous paraît important de renforcer l'harmonisation des pratiques d'accompagnement et de prévention en direction des différentes catégories de travailleurs et de travailleuses, au-delà des protections qui s'attachent à leur régime de protection sociale et leur statut d'emploi, selon qu'ils relèvent du régime général, agricole, de la fonction publique, des indépendants... Cette meilleure harmonisation effective des lois et réglementations en la matière permettrait d'éviter les laissés pour compte.
Santé publique France est l'agence nationale de santé publique, sous tutelle du ministère des solidarités et de la santé. L'agence est également engagée dans une convention cadre tripartite avec la direction générale du travail.
À Santé publique France, nous souhaitons souligner trois points par rapport à cette proposition de loi qui conforte l'ANI de décembre 2020. Tout ce qui renforce et réaffirme l'importance de la prévention nous paraît positif. Le premier point mettra en lumière les différents axes de travail complémentaires dans lesquels s'inscrivent les travaux de l'agence : l'importance de continuer les travaux pour mieux comprendre et prévenir les risques professionnels, et mieux appréhender l'organisation du travail et ses effets sur la santé. Nous insistons sur la nécessité d'adopter une approche complémentaire, qui tend à se développer : la promotion de la santé publique en milieu de travail, qui favorise l'adoption de comportements favorables à la santé dans ces environnements. Le deuxième point concerne le renforcement des systèmes de surveillance, l'accès aux données des services de santé au travail et l'interopérabilité des systèmes. Le troisième point vise à tirer certains enseignements de la crise sanitaire actuelle.
Sur le premier point, qui concerne le décloisonnement entre santé publique et santé au travail, Santé publique France recommande de continuer les travaux visant à la compréhension des risques professionnels, de l'organisation du travail et de ses effets sur la santé. Nous produisons des données pour appuyer les pouvoirs publics, les régimes de protection sociale et les partenaires sociaux. Sur le volet des expositions, nous pouvons citer : la surveillance des fréquences et des intensités des expositions professionnelles via les travaux de matrice en pleine exposition ou encore les travaux de biosurveillance en milieu professionnel ; le volet sur les pathologies, avec des systèmes et des études de surveillance spécifique de certaines pathologies, comme le dispositif national de surveillance de mésothéliomes ou d'autres cancers, la surveillance des TMS, ou de la santé mentale ; le développement de dispositifs de surveillance épidémiologique pour certains types de travailleurs, comme les cohortes Coset-MSA et Coset-Indépendants pour les travailleurs agricoles et indépendants.
Il faut souligner l'importance des dispositifs de surveillance - surveillance des expositions et des pathologies et caractérisation des impacts - pour continuer à améliorer la prévention des risques professionnels, la reconnaissance des maladies, et finalement améliorer la connaissance sur le lien entre exposition professionnelle, organisation du travail et santé. Il faut aussi, en parallèle, insister sur la nécessité de développer des actions de santé publique en milieu professionnel. L'enjeu est de mieux articuler les ressources de la santé au travail et celles de la santé publique, qui ont déjà été évoquées dans le PST 3, et les orientations qui doivent pouvoir être concrétisées et sont discutées pour l'établissement du PST 4 pour prendre en compte les attentes et évolutions sociétales. Santé publique France pilote actuellement les réflexions pour promouvoir des comportements favorables à la santé dans les environnements de travail pour l'établissement du prochain PST 4.
De par son périmètre, Santé publique France accompagne cette volonté de décloisonnement entre la santé publique et la santé au travail.
Le deuxième point concerne le renforcement des systèmes de surveillance, l'accès aux données des services de santé au travail et l'interopérabilité des systèmes. Notre proposition rejoint les recommandations formulées par l'ANSéS et l'INRS à l'instant relatives à la promotion et l'acquisition des connaissances. Nous souhaitons renforcer certains systèmes de surveillance, qui s'appuient sur des SST parfois fragiles : on se tourne en effet vers des acteurs de terrains très sollicités (médecins du travail et médecins inspecteurs). Il faut réfléchir aussi à une évolution et à une stabilisation de la méthode de collecte. Nous rappelons l'enjeu important que constituent les données recueillies dans les SST, tant pour renseigner sur les pathologies que sur les expositions. Je fais le lien avec ce que soulignait l'ANSéS sur le volet expositions, proposant de développer des études relatives à la biosurveillance et d'aller vers une centralisation de ces données. C'est l'une des perspectives du prochain programme national de biosurveillance, géré par Santé publique France. Se pose ensuite la question de l'interopérabilité et du regroupement des données.
Le dernier point consiste à se demander quels enseignements tirer de la crise sanitaire de la covid. Les travailleurs sont soumis, pendant cette crise, à des changements massifs de leurs conditions de travail. Les mesures prises ont eu des conséquences diverses : elles ont accéléré le déploiement de nouvelles modalités d'organisation du travail, conduit à des mesures de prévention, et mais ont aussi entraîné des impossibilités de travailler pour certaines catégories de travailleurs. Ces nouveautés, ainsi que les difficultés économiques qui vont découler de la perte ou de la diminution des revenus auront un effet néfaste sur la santé physique et mentale. Il est important de pouvoir documenter l'impact de ces modifications majeures d'organisation, de l'arrêt ou de la diminution des activités, et de tirer certains enseignements sur les besoins identifiés pendant cette crise sanitaire, qu'il s'agisse du décloisonnement ou de l'anticipation sur certains sujets émergents et/ou soulignés par la crise actuelle (risques biologiques et risques liés au changement climatique).
En définitive, à l'agence, nous accompagnons le décloisonnement entre santé publique et santé au travail et nous nous inscrivons dans cette surveillance épidémiologique en lien avec nos partenaires. Travailler en collaboration avec d'autres organismes, mais en étant clair sur le non-chevauchement des compétences, est aussi un de nos objectifs.
La mobilisation de l'ANSéS et de Santé publique France dans l'évaluation des liens entre les expositions professionnelles et le développement de certaines pathologies, notamment pour la création ou la réactualisation de tableaux de maladies professionnelles, vous semble-t-elle satisfaisante ? Faudrait-il, selon vous, la renforcer et la formaliser dans la loi, ainsi que dans les procédures d'examen des tableaux de maladies professionnelles ?
La proposition de loi aurait-elle mérité, selon vous, de contenir des mesures plus poussées en matière de prévention et de traçabilité de l'exposition au risque chimique, s'inspirant du rapport du professeur Frimat de 2018 (simplification de la réglementation, renforcement des sanctions, création d'un dossier d'entreprise pour agréger les données d'exposition) ? À ce propos, j'ai eu l'occasion de participer à une audition des syndicats de salariés au sein de la délégation sénatoriale aux entreprises, qui trouvaient que la prévention n'était pas suffisamment mise en avant dans le texte qui nous arrive au Sénat. J'aurais voulu savoir si vous partagez ce sentiment.
De nombreux acteurs interviennent en matière de prévention de la désinsertion professionnelle : le ministère du travail, l'assurance-maladie, la caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA), les agences et les acteurs de terrains. Comment améliorer leur coordination, et quel bilan faites-vous des dispositifs existants visant à prévenir la désinsertion ? Quelles sont les actions envisagées par vos agences dans ce domaine ?
Les cellules de prévention de la désinsertion professionnelle créées par la proposition de loi permettront-elles la prise en compte de cette thématique par les acteurs de terrain que sont les SST et les entreprises ? La proposition de loi va-t-elle suffisamment loin sur ce point ? Les cellules auront-elles la capacité d'identifier les situations individuelles problématiques comme elle le prévoit ? Quelle sera leur capacité d'action ? Selon vous, des exigences minimales devront-elles être définies concernant notamment leur composition et leur coordination ?
Les très petites entreprises (TPE) et les petites PME ne sont pas à mon sens suffisamment inscrites à l'intérieur de cette réforme. Or elles sont, depuis toujours, assez éloignées des SST - notamment parce qu'il n'y a plus ces visites annuelles - et les médecins du travail, moins nombreux, et leurs équipes pluridisciplinaires ont peu de temps à leur consacrer. On dit que la santé publique et la santé au travail sont mariées : je le crois bien, et je trouve donc cela assez dommage.
J'ai enfin une question pour M. Abadie : la fusion entre l'Anact et les agences régionales pour l'amélioration des conditions de travail (Aract) est-elle encore d'actualité ? Je n'ai pas pu assister à votre dernier conseil d'administration, mais j'en ai lu le compte rendu. Le big bang sur la gouvernance et l'organisation de la santé au travail n'a pas eu lieu. On parle de cette fusion, mais je trouve qu'il faut partir d'abord du terrain, puis aller vers Paris, et pas l'inverse. Je n'y suis donc pas vraiment favorable.
Enfin, nous avons auditionné hier la fédération des particuliers employeurs de France (Fepem) et quelque chose a retenu notre attention : le développement important des cancers du sein chez les assistantes maternelles. Comme suivez-vous les maladies et expositions au sein de cette catégorie de travailleurs, et avez-vous quelque chose à apporter sur le sujet ?
Je commence par répondre à l'avant-dernière question. Nous souscrivons tout à fait à l'idée de partir du terrain, et non l'inverse. Si la réforme d'organisation du réseau Anact-Aract se fait, c'est dans ce sens-là. Elle se fera en fonction du vote de cette proposition de loi, qui offre une opportunité de parachever et optimiser l'organisation de l'agence, qui aura bientôt cinquante ans. Selon nous ce regroupement peut répondre à de véritables enjeux, être cohérent avec l'histoire du réseau, et constituer un objectif atteignable.
Il est adapté aux enjeux car il vise à simplifier les relations entre les différents échelons du réseau - le national et le régional - et entre régions, mais aussi à mettre fin à ce que la Cour de comptes a nommé une « insécurité juridique » résultant essentiellement de l'articulation entre le statut d'établissement public administratif de l'Anact et le régime associatif de droit privé des Aract. C'est un sujet structurel d'organisation, et la Cour des comptes avait fait référence à la possibilité de l'intégration à la même personne morale, qui n'a pas pour objet de centraliser le fonctionnement. Tout le travail de concertation engagé va dans ce sens.
Ce regroupement est cohérent avec l'histoire du réseau. L'Anact a été créée en 1973, autour de l'amélioration des conditions de travail. Ce n'est que dix ans après qu'a commencé la création des premières Aract. Ce processus s'est étalé jusqu'en 2009. Des associations régionales ont été créées dans chaque région, quand un consensus en ce sens entre les partenaires territoriaux apparaissait : cela faisait partie des conditions. Dès 1989, s'est engagée une deuxième phase visant à renforcer la coordination de ces différentes entités, créées pendant les dernières années. Est alors apparue la notion de réseau : on parle aujourd'hui du réseau Anact-Aract. Il réunit les 165 associations et l'établissement public. Cela s'est concrétisé en 1989 avec une charte, informelle dans un premier temps et signée par les différentes entités, puis le décret du 31 juillet 2015 a acté dans le code du travail l'existence de ce réseau. Depuis, des démarches de mutualisation voire de regroupement dans le cadre de la réforme territoriale ont été menées.
Il constitue un objectif atteignable, car les associations et l'établissement public ont déjà des pratiques de gestion mutualisée des ressources, notamment sur les fonctions support ou transverses. Nous partageons la même offre de formation interne ainsi que certains systèmes d'information (messagerie, sites internet mutualisés). Nous sommes positionnés autour d'objectifs communs dans le cadre du contrat d'objectif et de performance de l'agence et des lettres d'orientation signées annuellement par le directeur général du travail et le délégué général à l'emploi et à la formation professionnelle, qui contribuent au financement de l'ensemble du réseau. Nos programmes d'activité sont construits autour des mêmes priorités. Notre fonctionnement est de plus en plus imbriqué, entre l'échelon national et les régions. On appelle cela un continuum, qui va de la veille au transfert, en passant par l'expérimentation et la capitalisation. La légitimité de nos actions est d'intervenir dans les entreprises, d'en tirer des enseignements, de les modéliser et les capitaliser pour les transférer au plus grand nombre d'entre elles. Cela se fait autour d'une offre socle co-construite et initiée aux différents niveaux : ni Paris, ni Lyon ne décident ce tout ce qui est fait. En revanche, il existe bien une capacité de capitalisation. Les initiatives sont coordonnées et capitalisées.
Pour terminer sur ce sujet, comme toute transformation, ce projet suscite des points de vigilance. Nous avons pris le temps de les identifier en interne avec les différents administrateurs : nous avons d'abord la volonté de préserver l'arbitrage territorial et la capacité d'initiative en région, avec un schéma clair de délégation des responsabilités pour satisfaire à l'application du principe de subsidiarité. C'est ce qui nous guide dans nos réflexions : tout ce qui pourra être décidé et fait au plus près du terrain le sera à ce niveau. Le deuxième point de vigilance consiste à conserver une instance paritaire régionale. C'est l'ADN et la légitimité du réseau. Il continuerait ainsi d'avoir un rôle important dans le déclenchement des actions les plus appropriées au contexte local mais aussi dans la coordination. Ce sera le cas, au sein du comité régional d'orientation des conditions de travail (CROCT), des différentes offres des acteurs régionaux. Nous tenons à sécuriser le modèle économique et financier en permettant de nouer des partenariats tant nationaux que régionaux, et à accompagner l'évolution des compétences en garantissant une place pour tout le personnel. Dernier point : il faut associer les différentes parties prenantes - les administrateurs comme le personnel. Pour le personnel, nous avons l'avantage d'avoir une instance supralégale, le dialogue social réseau, qui réunit les représentants des différentes entités et les représentants du personnel des Aract et de l'Anact.
Nous avons, par ailleurs, pour objectif, de contribuer prioritairement à la santé au travail dans les TPE et PME. On ne parvient pas à se démultiplier dans la totalité d'entre elles. En s'appuyant aussi sur les services de prévention et de santé au travail, nous considérons que l'entrée sectorielle ou territoriale, visant à proposer à ces TPE et PME de travailler ensemble dans le cadre de démarches de prévention ou de promotion de la santé au travail, est plutôt efficace. Nous l'avions notamment fait avec la profession des boulangers pour porter des démarches de qualité de vie au travail adaptés à la taille et aux spécificités du métier.
S'agissant de la coordination des différents acteurs contribuant à la prévention de la désinsertion professionnelle, nous tenons à dire que la création de la cellule est importante car elle permettrait de jouer un rôle pivot ou d'interface entre eux. Ce texte permet d'y répondre : il y a besoin d'un acteur qui puisse intervenir dans la totalité des entreprises. Les SST sont les plus appropriés en la matière. Ils pourront le faire si cela s'accompagne d'un travail avec l'ensemble des acteurs concernés pour définir une stratégie commune et essayer de définir à quel niveau il convient d'intervenir. Ils devront se demander quelle est leur contribution respective, afin qu'il n'y ait pas de redondance en la matière.
De notre point de vue, cela implique d'agir sur deux dimensions. L'une est temporelle : des acteurs aident à traiter des troubles avérés pour éviter les complications de santé et compenser les difficultés rencontrées, mais proposent aussi des mesures visant à agir le plus en amont possible afin de préserver des personnes qui ne présentent pas encore de problèmes de santé. La visite de mi-carrière nous semble une initiative intéressante pour aider à ce travail d'anticipation. L'autre dimension de la stratégie touche à l'échelle qui va du micro au macro : il faut suivre et traiter individuellement les personnes concernées et se donner les moyens d'en tirer des conséquences plus collectives. En ce sens, je rappelle que les articles 1 à 4 de l'ANI indiquent explicitement que l'activité des cellules de prévention de la désinsertion professionnelle devrait permettre de tirer des enseignements en matière de prévention dans une approche collective, pour alimenter la politique de prévention des entreprises. Selon nous, ce n'est peut-être pas assez développé. Cela nécessiterait de prévoir et d'organiser le travail de consolidation et de capitalisation de toutes ces données, qu'elles soient individuelles, au niveau de l'entreprise, d'un territoire ou d'un secteur d'activité. À titre d'exemple, je citerai un projet initié et soutenu dans le cadre du fonds d'amélioration des conditions de travail : IODA (Inaptitudes en Occitanie, Diagnostic et Analyses) essaie de consolider des données individuelles et d'évaluer, sur un territoire ou sur certains métiers, si la sur-représentativité de déclarations d'inaptitude est significative et doit orienter des mesures de prévention.
Voilà en ce qui concerne la coordination des acteurs. Je pourrais aussi développer l'importance des instances représentatives du personnel et des manageurs de proximité en la matière ou le rôle que pourraient prendre les SST pour les sensibiliser, les outiller et pour les éclairer avec les données que la cellule de désinsertion professionnelle collectera. Même si ce n'est pas nominatif, les entretiens de mi-carrière peuvent produire des données qui nourriraient utilement le dialogue social au sein des entreprises pour mener des politiques actives de prévention de la désinsertion professionnelle.
Les TPE-PME constituent évidemment notre principale cible car elles composent 98 % des entreprises en France. C'est une cible importante pour la prévention. Ce texte affiche une volonté d'aller vers les entreprises et de donner un accès rapide et de qualité aux SST. C'est important, au même titre que l'appui aux entreprises. À peine 50 % des entreprises complètent chaque année le document unique d'évaluation des risques. Si elles n'évaluent pas, il se peut qu'elles mènent des actions, mais ce document est, pour l'INRS, le socle de la prévention. Si on donne les moyens à des SST d'aider les entreprises, notamment les petites entreprises qui, prises par d'autres tâches, ne le font pas.
Un autre aspect intéressant est le tiers temps. Il est rappelé dans le texte de l'Assemblée. Il doit être une réalité. Pour les médecins du travail, c'est quelque chose d'important. J'imagine que les actions de promotion de la santé au travail en entreprise toucheront surtout les TPE-PME. Nous jugeons favorablement cet appui au profit des petites entreprises qui n'ont pas de ressources internes (comme des ingénieurs sécurité) pour faire de la promotion de la santé au travail. On peut toujours faire plus : il faudra être vigilant sur les aspects financiers et les moyens, mais cela va dans le sens de la prévention vers les TPE et PME.
La prévention est clairement l'axe du texte. Il comporte des éléments sur l'optimisation de la prévention primaire, avec le rôle des services de santé au travail, une orientation sur la prévention secondaire dans les démarches de repérage et de dépistage, et enfin l'optimisation de la prévention tertiaire, avec la prévention de la désinsertion professionnelle (PDP). Cette orientation en faveur de la prévention est positive, même si, encore une fois, il faut être vigilant quant aux moyens humains et financiers qui la soutiendront.
L'INRS n'est pas un acteur important dans le domaine de la prévention de la désinsertion. Nous avons mené des recherches sur le maintien dans l'emploi, avec notamment une expérimentation « cadre vert ». Elle consiste à aider les personnels à rester dans leur poste grâce des aménagements et à l'implication des managers, des SST, des collègues et de la direction. Cette expérimentation intéressante a été mise en place dans plusieurs grandes entreprises en France : Airbus, Carrefour, etc. L'enjeu fort, expliqué dans le texte, se situe du côté de la coordination des acteurs. C'est plutôt la CNAM qui agit. Elle a mené une expérimentation « case manager » de suivi pour aider les personnes à rester dans l'emploi. Un travail de la CNAM est mené avec les acteurs, du côté de l'assurance-maladie et de la branche AT-MP. Nous ne sommes pas vraiment acteurs sur ce sujet.
Sur la prévention et la traçabilité du risque chimique, je l'ai dit : le risque chimique représente 30 % de notre activité, que ce soit en recherche, en assistance, en expertise, en formation ou en information. C'est un sujet qui, depuis 1947, est devenu majeur. On s'aperçoit, à travers le texte, que l'historique du document unique est conservé. Cela peut permettre d'examiner les actions, s'il y a eu une évolution, si le plan d'action a porté ses fruits, et ce sur plusieurs années - je crois que c'est quarante ans - et non année par année. Sur le risque chimique, on considère qu'il faut être à la fois actif et vigilant. Je vois surtout un aspect collectif dans le texte, et j'ai moins vu l'aspect individuel. Je crois savoir que dans le cadre de l'ANI, des discussions ont été échangées à propos du risque chimique. Selon nous, c'est un sujet important sur lequel on peut aller assez loin.
Vous avez posé une question précise sur les salariés chez les particuliers employeurs. Je n'ai pas la réponse. Je demanderai en interne à nos experts si nous avons déjà travaillé dessus. Parallèlement, le sujet de l'aide ou de l'intervention à domicile, voire de l'aide aux soins, est très important. C'est un concentré de tous les risques qui existent - routier, chute de plain-pied, TMS.
J'ai noté plusieurs questions qui nous concernent. La première touchait à l'évolution du dispositif d'évolution des tableaux de maladies professionnelles. En 2018, les pouvoirs publics ont voulu séparer la phase d'expertise préalable à la création ou à la modification des tableaux de maladies professionnelles, de la phase de négociation et de discussion politico-sociale dans les commissions de maladies professionnelles dans lesquelles siègent les partenaires sociaux. La phase d'expertise préalable a été confiée à l'ANSéS ou à tout autre organisme qui puisse conduire des expertises robustes, pluridisciplinaires et indépendantes.
Nous avons monté un groupe de travail pluridisciplinaire sur cette question. Nous avons récemment mis en ligne un rapport fondateur illustrant la méthodologie sur laquelle nous nous basons pour répondre aux différentes saisines des pouvoirs publics. La première saisine portait sur l'analyse du lien entre l'exposition aux pesticides et le cancer de la prostate. Nous avons restitué le rapport aux pouvoirs publics et aux partenaires sociaux dans les différentes commissions du régime général - la commission spécialisée n° 4 relative aux pathologies professionnelles (CS4) du conseil d'orientation sur les conditions de travail (COCT) - et du régime agricole - la commission supérieure des maladies professionnelles en agriculture (Cosmap). Nos expertises se réalisent indépendamment du statut d'emploi, ou en tout cas, du régime d'assurance sociale. La deuxième saisine porte sur le lien entre l'amiante et les cancers du larynx, des ovaires et les cancers colorectaux. Nous rendrons probablement ce rapport d'ici à la fin de l'année.
La mise en ligne de ces rapports intervient à l'issue d'une phase de discussion laissée aux partenaires sociaux pour aboutir à un consensus sur la décision de créer un tableau ou non et d'en fixer les conditions. Le premier rapport finalisé sur les pesticides et le cancer de la prostate ne sera donc normalement pas publié avant septembre.
Vous nous posiez également une question sur la situation actuelle : nous semble-t-elle satisfaisante ? En un sens, oui. Elle répond à la volonté des pouvoirs publics de séparer la phase d'expertise et la phase politico-sociale, qui pouvait aboutir à des blocages au sein de ces commissions, notamment sur la phase d'expertise. Elle permet aux pouvoirs publics une meilleure prise en compte de l'évolution des connaissances scientifiques, ainsi qu'une certaine transparence : l'ensemble des rapports de l'agence sont rendus publics sur Internet. Nous laissons aux partenaires sociaux la phase nécessaire de l'examen de la pertinence de créer un tableau ou d'en fixer certaines modalités. Cela permettra à chaque partie prenante, dans la reconnaissance des maladies professionnelles, de se saisir des dernières informations scientifiques pour faire valoir leurs droits, qu'il s'agisse des entreprises ou des salariés assurés qui souhaitent demander une réparation en lien avec leur activité de travail, ou encore des différents acteurs du processus, comme la caisse d'assurance-maladie.
Pour autant, il nous semble que cette phase d'expertise confiée à l'agence n'améliorera pas par elle seule la capacité du système actuel à remplir les objectifs de reconnaissance et de prévention. Des questionnements se posent sur la meilleure prise en compte des maladies multifactorielles et la problématique de la présomption d'origine qui pose un certain nombre de difficultés. Vous les aviez d'ailleurs rappelées, madame la sénatrice Gruny et monsieur le sénateur Artano, dans votre rapport de 2019.
On peut faire des constats ou des propositions sur la meilleure prise en compte, ou bien la fixation d'un délai entre la restitution de l'expertise et la prise d'un décret. On a eu récemment connaissance d'une enquête de la 6ème chambre de la Cour des comptes qui a interrogé les partenaires sociaux qui siègent dans les commissions de maladie professionnelles sur la fixation et le meilleur encadrement des délais dont l'administration dispose pour effectuer la publication des décrets qui créent ou modifient des tableaux. Il me semble que c'est une bonne idée.
Je vous cite un exemple : un nouveau tableau est en passe d'être créé, le tableau 101 du régime général, pour les affections cancéreuses provoquées par le trichloréthylène (comme le cancer primitif du rein). Il résulte d'un rapport d'expertise finalisé et présenté à la commission des maladies professionnelles du COCT en juin 2017. Le délai est donc assez long. Ce n'est pas le cas pour tous les tableaux, mais l'encadrement des délais pour la prise de ces décrets d'évolution des tableaux pourrait être intéressant.
Je ne suis pas sûr que nous soyons légitimes pour nous prononcer sur la formalisation du rôle de l'agence par la loi. Il nous semble toutefois qu'il serait intéressant de sécuriser le rôle de l'ANSéS. Les modalités de répartition des responsabilités entre l'ANSéS, l'État et les commissions de maladies professionnelles ont été fixées dans un tableau. Il est toutefois possible de saisir d'autres agences. Nous nous sommes organisés pour monter un groupe de travail et pour mobiliser des ressources - il y a d'ailleurs eu un transfert de ressources entre le ministère du travail et l'ANSéS pour cette nouvelle mission qui nous est confiée. A minima, on serait rassurés d'être sécurisés dans ce rôle mais pas forcément par une inscription dans la loi.
Sur les autres questions, je ne reviendrai pas sur ce qu'a dit M. Pimbert sur la prise en compte des propositions du rapport Frimat, notamment sur les questions de traçabilité. La proposition de loi est intéressante en ce qu'elle améliore la traçabilité collective et longitudinale des expositions professionnelles, du fait de la conservation par les employeurs et de la transmission aux SST de documents de prévention des entreprises. Il nous semble aussi qu'il faut accompagner ce mouvement par une dématérialisation et une diffusion des documents à des fins d'utilisation scientifique. Nous avons ainsi repris des éléments du rapport pour en faire des propositions d'action dans le cadre de la préparation du nouveau PST 4. Nous souhaitons un plan de dématérialisation progressive et de numérisation des données en santé au travail dans les SST et entreprises - notamment les fiches d'entreprises, les données d'exposition et de santé dans le respect de l'ensemble des secrets (industriel, commercial, médical, statistique) - permettant une meilleure mise à disposition, par exemple dans une base de données nationale exploitable à des fins de recherche et de production de connaissances.
Nous ne travaillons pas vraiment sur les questions de désinsertion, donc je ne répondrai pas sur cette partie.
Vous nous avez par ailleurs interrogés sur des remontées de possibles liens entre le cancer du sein et l'activité d'assistante maternelle. Je peux simplement vous dire que nous avons produit une expertise des dangers liés au travail de nuit : ce facteur de risque est identifié comme en lien probable avec le développement de cancer du sein. Je n'ai pas connaissance que nous ayons identifié cette profession comme profession à risque, mais nous allons nous pencher dessus. Il existe par ailleurs une initiative de la confédération française démocratique du travail (CFDT)-Lorraine à ce sujet, qui tente de répertorier des cancers du sein, notamment chez le personnel médical. Cela peut être intéressant à regarder.
Les sujets de santé publique et santé au travail étaient historiquement cloisonnés pour des raisons institutionnelles et réglementaires. On observe aujourd'hui une volonté de mutualiser les compétences et les connaissances. On va vers une prise de conscience de l'importance du développement de la promotion de la santé en milieu de travail pour contribuer à l'amélioration des environnements de travail (au niveau physique ou psychosocial).
Ce développement doit se faire dans le respect des missions propres à chaque secteur. Le lien entre santé publique et santé au travail ne fait pas l'objet d'une vision unique et partagée entre les différents acteurs. Plusieurs articulations sont possibles. Cela va du modèle d'intervention qui vise à modifier des comportements individuels à travers des actions éducatives, jusqu'à des démarches plus intégrées, qui agissent sur plusieurs facteurs (personnels, collectifs, comportementaux, environnementaux). L'enjeu d'une meilleure articulation entre santé publique et santé au travail a été formulé dans le PST 3. On développe et on poursuit les réflexions dans le PST 4. Des propositions sont en cours de discussion, avec comme premier objectif de faciliter la compréhension des enjeux communs et des connaissances. Différents jalons sont évoqués : le renforcement des connaissances, de l'articulation, le développement d'actions concertées et coordonnées pour pouvoir impulser de la prévention et de la promotion de la santé sur certains thèmes multifactoriels qui ont un impact sanitaire et socio-professionnel élevé. Des discussions sont en cours, notamment pour voir comment s'engouffrer dans cette voie-là, en travaillant soit sur des thématiques comme les maladies cardiovasculaires soit sur des thématiques d'actualité comme le changement climatique. La question des TPE et PME est également soulevée au sein des groupes de travail qui discutent de cet axe-là. Elles ont été identifiées comme une cible privilégiée pour commencer à développer ces actions. Santé publique France résulte du rapprochement entre l'ex-institut de veille sanitaire (InVS) et l'ex-institut national de prévention et d'éducation pour la santé (Inpés). Nous regroupons donc les volets santé-travail et promotion des actions de santé publique. Nous pourrons accompagner le mouvement.
Sur la seconde question concernant les tableaux de maladies professionnelles, mon collègue Henri Bastos a décrit les obligations réglementaires de l'ANSéS. C'est principalement par les systèmes de surveillance qui sont mis en place sur les expositions et les pathologies, ainsi que par les données issues des études, que Santé publique France contribue à l'expertise indépendante en santé au travail. Nos travaux, de par leur caractère public, doivent servir à ces différentes commissions et à ce groupe de travail qui discute des tableaux des maladies professionnelles. C'est donc par la production de données que nous concourons à ces réflexions. Par exemple, dans le cadre de la saisine sur le lien entre les pesticides - dont la chlordécone - et le cancer de la prostate, le groupe de travail de l'ANSéS a demandé à Santé publique France les données disponibles pour identifier les professions et travaux exposant à ces substances. Nous mobilisons nos outils, comme Matphyto et les outils de biosurveillance.
Cela fait le lien avec votre troisième question sur les risques chimiques. Beaucoup de choses ont été dites sur la question, et le lien avec le rapport Frimat a été fait. Je veux redire que la trajectoire prise avec cette loi est intéressante et qu'on peut aller plus loin pour avoir accès aux données collectées. Nous avions souhaité le souligner, dans le propos liminaire, sur le renforcement de l'accès aux données - puisque nous souffrons aussi d'une difficulté d'accès aux données des SST. On pallie cela, sur le risque chimique, par les collaborations avec nos collègues comme l'INRS, avec les bases qu'ils ont développées sur le risque chimique.
Je veux insister sur ce qui est envisagé dans le domaine des risques chimiques : les enquêtes et la biosurveillance, notamment la centralisation des résultats d'analyse des biomarqueurs et tous les projets liés aux multi-expositions. Il est envisagé de poursuivre des travaux à multi-exposition à partir des données des SST.
La dernière question portait sur le cancer du sein. Je n'ai pas de réponse directe sur le lien avec la profession d'assistance maternelle. Je vous informe toutefois du fait que nous avons terminé l'étape de faisabilité pour la mise en place d'un système de surveillance des cancers en lien avec l'activité professionnelle (SyCaPro), au niveau national. Cela permettra de soutenir les axes identifiés dans le PST 3 - notamment la surveillance épidémiologique et la recherche sur les cancers professionnels - en faisant le lien entre les données issues du système national des données de santé (SNDS) et les historiques professionnels de la CNAM.
Absolument. Lors de l'étape de faisabilité, nous avons testé la mise en place des systèmes de surveillance sur deux registres. Nous avons travaillé et fait une restitution avec les registres réunis au sein du réseau FRANCIM (réseau français du registre des cancers).
Je voudrais vous entendre sur le concept de sociovigilance, développé par une chercheuse française. Le secrétaire du COCT nous a dit son intérêt pour cette question et nous a appris qu'une chaire internationale de santé au travail serait créée à Bordeaux. Il a souligné qu'il faudrait absolument organiser, comme c'est le cas pour le médicament, un système de sociovigilance sur cette question de santé et de sécurité au travail. Je voulais donc savoir ce que vous pouvez apporter à cette création dans vos institutions et structures. Pensez-vous que cette proposition de loi peut être une aide pour avancer afin qu'on gagne en connaissance, en suivi et en traitement et pour qu'on implique l'État sur cette question de santé au travail ?
Je voudrais vous interroger sur le télétravail. Cette proposition de loi développe des éléments sur la prévention, qui est le parent pauvre de la santé en France. Cela nécessite des moyens humains et financiers. Mais nous vivons depuis plus d'un an, du fait de la crise, un développement important du télétravail. Cela crée des souffrances que nous n'envisagions pas obligatoirement avec une telle intensité au niveau du lieu de travail. Je pense à plusieurs facteurs, comme la nécessité d'adapter l'équipement. C'est dans le titre 1 de la proposition de loi, où il faudrait réfléchir à ces outils informatiques, qui créent, quand les personnes sont mal équipées, des problèmes au niveau de la posture. On observe aussi des conséquences au niveau de la santé mentale, puisque le télétravail entraîne un isolement important ainsi qu'une difficulté concernant le nombre d'heures passées à être connecté. Se pose un problème de déconnexion. Je ne suis pas persuadée que la loi puisse régler ce genre de problème. J'aimerais avoir votre analyse sur ce sujet.
Ma deuxième question concerne le nombre de professionnels de santé. On manque de médecins du travail. Il est question, dans cette proposition de loi, d'infirmiers de santé au travail, avec la nécessité, pour le responsable de l'entreprise, d'avoir des formations réservées aux professionnels pour la tâche qui leur incombe. Pouvez-vous me donner des précisions ? Je pense qu'on souffre d'un manque cruel d'infirmiers de santé au travail, je voulais donc avoir votre réflexion à ce sujet.
J'ai deux questions très courtes et un peu techniques sur la gouvernance de la prévention et les acteurs de l'entreprise.
La première concerne le rôle de la branche professionnelle déterminée, dans l'ANI comme le lieu privilégié de formalisation des enjeux de prévention, notamment dans les TPE-PME. Considérez-vous que le texte va assez loin sur le sujet et est conforme à l'ANI de 2020 ?
La deuxième question concerne les contrats pluriannuels d'objectifs et de moyens (CPOM) de la branche. D'abord, entendez-vous bien, dans ce texte, qu'ils concernent chaque branche ? Enfin, certains secteurs, comme le bâtiment, ont développé des structures santé-prévention - je pense à l'organisme professionnel de prévention du bâtiment et des travaux publics (OPPBTP). Nous avons sans doute été un certain nombre à être saisis par le secteur du bâtiment, qui se demandait comment l'articulation allait se faire, dans le cadre de la mise en place de ces CPOM, avec un organisme comme l'OPPBTP.
La Gazette des communes, le 17 mars 2021, relevait que les médecins du travail, y compris dans la fonction publique territoriale, sont vent debout contre ce projet de réforme de la santé au travail en cours d'examen au Parlement. Ils lui reprochent de leur retirer leur rôle central et de réduire la qualité de la prévention déjà mise à mal par la pénurie de médecins du travail.
J'ai une première question sur le nouveau passeport de prévention. La création de cet outil vise à regrouper dans un même document toutes les attestations et diplômes obtenus par le travailleur dans le cadre de formations relatives à la santé et à la sécurité au travail. Ce passeport apparaît plutôt, à mon sens, comme un moyen de faire porter aux salariés eux-mêmes leur propre responsabilité. Cela revient à laisser aux employeurs une trace attestant que le travailleur a été formé pour préserver sa santé et sa sécurité au travail. Ne pensez-vous pas que ce passeport exonère la responsabilité des employeurs et leur obligation d'indemniser les victimes ?
J'ai une deuxième question concernant le rendez-vous de pré-reprise entre l'employeur et le salarié. Celui qui est proposé se fait en l'absence du médecin du travail. Selon la fédération nationale des accidentés du travail et des handicapés (Fnath), si cette visite de pré-reprise doit être obligatoire, elle doit rester à la seule main du salarié et doit être menée par le service de prévention et de santé au travail, sans la présence de l'employeur. Le salarié doit pouvoir évoquer en toute confidentialité sa situation de santé avec le médecin du travail. Qu'en pensez-vous ?
Sur la question du télétravail, on a conscience qu'il touche à différentes dimensions. C'est ce qui explique la nécessité de renvoyer à la négociation d'entreprise, au plus près du terrain, pour arriver à toutes les traiter. Vous avez parlé des lieux et des espaces de travail. Comment l'employeur aide à l'aménagement de ces espaces pour que cela se fasse dans les meilleures conditions possibles ? Les outils et équipements qui lui sont mis à disposition sont adaptés. Certaines entreprises, dans ce passage urgent au télétravail, n'avaient pas encore dématérialisé l'ensemble des processus et n'avaient pas équipé suffisamment leurs salariés pour pouvoir faire ce travail à distance. La troisième dimension concerne le temps et la charge de travail : la porosité entre la vie professionnelle et la vie privée est potentiellement renforcée. Les modalités d'ajustement et de contrôle des temps doivent donc être adaptées. La quatrième dimension est celle du management : les modalités de management des travailleurs à distance doivent être adaptées et éviter des reportings excessifs.
Le dernier point concerne ce qui se joue enfin autour de la préservation des collectifs de travail, qui peuvent être mis en difficulté dans ces cas-là et aller jusqu'à des situations individuelles d'isolement. On est dans un cadre très exceptionnel, avec un développement quasi intégral du télétravail, loin de ce que la plupart des experts et des personnes intéressées au sujet recommandent. Il sera plus facile de revenir à un point d'équilibre après cette période de crise. On aura davantage appris à télétravailler. La solution vient aussi de la capacité des intéressés à discuter de ces modalités d'organisation du travail - le télétravail n'étant que l'une d'entre elles. Cela ne relève pas nécessairement de la loi mais bien de la discussion, qu'il faut inciter à engager au plus près du terrain.
Je ne serais pas compétent sur les CPOM de branche. Mais en ce qui concerne la nécessité que la branche joue son rôle, au-delà des dispositions à ajouter, il peut être utile de mobiliser des dispositions existantes, notamment celle du taux de 2 % du haut degré de solidarité. Il permet aussi, dans des branches, d'affecter certains fonds à la prévention et à la promotion de la qualité de vie au travail. Il faut peut-être mobiliser, là aussi, les ressources existantes en la matière.
Je fais un point sur les rendez-vous de pré-reprise, qui ne sera qu'indirectement en lien avec la question telle qu'elle a été posée, puisqu'elle concernait les participants aux rendez-vous. On pense que ces rendez-vous sont importants. Ils peuvent donner lieu à la pratique des essais encadrés à la reprise du travail qui, avec des ergonomes, permettent d'évaluer, en situation de travail, les possibilités de reprendre ou pas le travail et d'aménager les postes. Ces aménagements et ces essais, quand ils sont faits, profitent à la totalité des salariés car on constate qu'ils sont faisables pour les autres. Ils participent d'un cercle vertueux car ils évitent la survenance de troubles concernant d'autres salariés. À côté de la visite de pré-reprise, nous trouvons intéressante cette pratique des essais encadrés, que les services de prévention et de santé au travail savent aujourd'hui proposer.
Sur le télétravail, je veux insister sur un point par rapport au texte. Nous sommes dans une situation de télétravail extrême. J'espère que nous ne serons pas, du fait de la crise, trop longtemps dans cette situation. La majorité du télétravail tel qu'il a été envisagé avant la crise sanitaire était, le plus souvent, idéalement situé à deux jours maximum par semaine. Les entreprises et les organismes de prévention le disaient. Certains salariés se trouvent dans une situation de télétravail intégral parfois depuis un an. Selon moi, on n'a pas à intégrer cette situation extrême que j'espère temporaire dans un texte sur le télétravail.
On peut parler des problèmes de santé mentale, réels dans de nombreux cas actuellement, et de l'isolement vécus par les salariés. Si le salarié fait deux jours de télétravail par semaine, et trois avec ses collègues, il n'a pas la même sensation d'isolement ou de difficulté mentale. Les problèmes matériels d'équipements informatiques qui se posent quand la personne passe la totalité de son temps à son domicile, sont nettement moindres quand elle revient trois jours par semaine à son bureau.
La distinction entre vie privée et vie professionnelle pose des questions similaires : à une ou deux journées par semaine, on n'est plus dans une situation de télétravail extrême. La question du management aurait pu se poser en termes d'évolution de la situation, par objectif, etc.
L'autre aspect est le renvoi à la négociation vers les partenaires sociaux. La prévention est basée sur les partenaires sociaux dans l'entreprise. Notre vision, à l'INRS, est celle-ci. C'est ce qui fait la crédibilité au niveau national, au niveau local, et dans l'entreprise. Sur le télétravail, là aussi, on renvoie aux partenaires sociaux de l'entreprise avec une adaptation qui se passe sur le terrain.
En ce qui concerne la deuxième question sur les professionnels de santé, j'avais en tête le nombre de 4 500 à 5 000 médecins du travail. J'ai vu dans le texte la reconnaissance législative de l'infirmier en santé au travail. Du fait de la démographie des médecins du travail, on a besoin d'autres acteurs qui interviennent en santé au travail. Et pour la prévention, on n'a pas forcément besoin d'avoir uniquement le médecin du travail, mais parfois aussi des techniciens, d'autres personnes qui interviennent en prévention, comme les ergonomes. L'infirmier joue ici un rôle important.
Je n'ai pas lu l'article de La Gazette des communes. Le texte retirera-t-il le rôle central au médecin ? Je ne suis pas médecin, mais je crois qu'il faut être réaliste. Depuis plusieurs années, la démographie médicale fait que si on veut agir auprès des 18 millions de salariés du régime général, et vers les PME, il faut que différents acteurs interviennent. Cela a été fait par différentes réformes.
À l'INRS, nous publions une revue Documents pour médecins du travail (DMT). Depuis près de cinq ans, nous l'avons renommée Référence en santé au travail, pour montrer qu'on s'adresse aussi aux infirmiers et à d'autres acteurs du service de santé au travail, et pas uniquement au médecin du travail, même s'il a un rôle. J'ai vu dans le texte ou dans une des questions qu'il devrait avoir un rôle de coordination réel. Mais il ne peut pas tout faire et a besoin d'experts autour de lui.
Sur le passeport de prévention : fait-il porter sa responsabilité au salarié et exonère-t-il l'employeur ? Cela fait l'objet des débats à l'ANI. J'ai cru comprendre que cela va dans un sens plutôt positif : il est prévu que le salarié soit davantage formé, et qu'une trace de formation le suive toute sa carrière. Il peut, ensuite, y avoir des visions différentes.
Sur le rôle de la branche, je ne vais pas parler de l'OPPBTP, qui est la seule structure qui fonctionne. J'ai observé ce rôle au niveau de la construction des référentiels pénibilité, pour lesquelles nous étions intervenus auprès de la direction générale du travail (DGT), notamment avec l'Anact. Cela peut être important pour les TPE et les PME, même si, à l'INRS, nous fonctionnons généralement plutôt par risques transversaux. Nous avons toutefois mené des actions très ciblées sur les boulangers, les coiffeurs, l'onglerie, les garages. Nous avons par exemple eu des accords avec le conseil national des professions de l'automobile (CNPA). Je pense que la branche peut être utile, notamment pour les petites entreprises, qui n'ont pas les moyens ni le temps d'entamer une réflexion.
Sur les CPOM par branche, je ne peux pas répondre, et sur la visite de pré-reprise, ce n'est pas notre domaine.
Je vais surtout vous donner l'état de nos réflexions sur la première question. Pour le reste, beaucoup de questions ne sont pas forcément du ressort de l'ANSéS. Je pense que Gérard Lasfargues, professeur de médecine du travail, pourra compléter.
Ce que je connais de la sociovigilance vient des différentes tribunes que j'ai lues dans Le Monde, écrites par Mme Nina Tarhouny, qui a fait sa thèse en droit sur cette question. Elle propose la création d'une sociovigilance. Je vais lire attentivement cette thèse. La question de l'ajout de nouveaux dispositifs doit passer par une réflexion sur la manière dont elle s'inscrit dans ceux qui existent - notamment sur la surveillance ou la vigilance des pathologies professionnelles. Je citerai les tableaux de Santé publique France sur cette question, ou de nous-mêmes sur le RNV3P. La tribune que j'ai évoquée indiquait une complexité et un problème de lisibilité du dispositif de santé au travail. En rebondissant sur ce constat, il faut se garder de le complexifier encore plus en analysant toute proposition au regard de l'existant et de ses possibilités d'évolution. C'est ce qu'on va faire par rapport à ces travaux et cette proposition. Nous lirons cette thèse pour voir comment en tirer des informations et des enseignements qui pourraient nous amener à repenser une évolution du dispositif de vigilance sur la santé au travail en général.
La deuxième question concernait la chaire internationale de santé au travail. Nous avons été approchés par M. Loïc Lerouge, du laboratoire COMPTRASEC de l'université de Bordeaux, qui porte le projet. Sans trahir de secret, il me semble que le ministère du travail soutient cette initiative. En tant que coordinateur des réflexions sur la promotion de la recherche, de la production de connaissance et la structuration des données en santé au travail dans le cadre de la préparation du PST 4, j'ai travaillé avec l'ensemble des partenaires institutionnels, agences et institutions de prévention qui ont participé à ces réflexions (INRS, Anact, Santé publique France, CNAM et sa direction des risques professionnels-DRP) pour soutenir le développement de chaires spécialisées en santé au travail, et en particulier de la chaire internationale de santé au travail comparée. Je ne sais pas si elle sera retenue à l'issue de la phase de discussion avec les partenaires sociaux et l'État. En tout cas, cette chaire internationale réunit, ou propose de réunir en son sein l'ensemble des acteurs de la santé au travail dans une approche très pluridisciplinaire, qui inclut la dimension de l'analyse juridique, qui est une des spécialités du laboratoire COMPTRASEC. C'est en ce sens que cela nous a beaucoup intéressés et que l'idée de la soutenir comme nouvel opérateur de recherche a été évoquée dans le cadre du PST 4. La même difficulté revient toujours : il faut faire vivre ces chaires et voir dans quelle mesure les soutenir financièrement et éviter une dispersion des moyens financiers et humains. La multiplication d'initiatives de recherche comme celle-ci épuise des ressources limitées, voire en déclin. Cela nécessiterait une réflexion sur le soutien, de manière générale, de la recherche en santé au travail.
Professeur Gérard Lasfargues. - Sur les autres questions, sur le télétravail, je m'associe aux propos de M. Abadie et M. Pimbert : cette situation n'est pas appelée à durer indéfiniment, et il faut, à côté d'une bonne organisation du télétravail, mettre en place, au niveau des entreprises et en lien avec les partenaires sociaux des entreprises, des dispositifs permettant d'anticiper les risques de décompensation ou de santé mentale des salariés en télétravail. Cela se ferait au niveau des ressources humaines.
Je voudrais rajouter quelque chose de plus général par rapport au télétravail et à la généralisation des horaires atypiques en milieu de travail. L'ANSéS a rendu un avis avec des recommandations sur le travail de nuit et le travail posté. Dans le contexte de la crise de la covid-19, d'autres formes d'horaires atypiques se sont développées : je pense au travail du samedi et du dimanche, à l'imprévisibilité des horaires de travail, aux grandes amplitudes des horaires de travail, ou au travail tôt le matin et tard le soir dans beaucoup de métiers de service. L'ANSéS travaille sur toutes ces formes et rendra un rapport ou un avis avec des recommandations par rapport à ces problématiques dans un futur assez proche. Il est important d'avoir cela en tête pour ne pas forcément trop compartimenter mais avoir la possibilité de prendre des mesures de recommandation et de prévention, notamment primaires, sur ces formes atypiques de travail. Elles ont en effet de lourds impacts sanitaires, en particulier sur la santé psychique.
Sur la démographie en santé au travail, notamment s'agissant des médecins et des infirmiers, je m'associe à ce qu'a dit Stéphane Pimbert. Des formations d'excellent niveau existent pour les infirmiers de santé au travail, mises en place au niveau hospitalo-universitaire par le biais de diplômes interuniversitaires ou de licences et masters professionnels. Il est évident que la prévention en santé au travail, et notamment celle menée par le médecin du travail, doit faire appel à la pluridisciplinarité. Le médecin du travail ne peut pas tout faire. Il doit pouvoir s'entourer de gens bien formés, que ce soit des infirmiers de santé au travail, des techniciens ou encore des ergonomes. Il est important de pouvoir préserver, voire donner plus de moyens à ces équipes pluridisciplinaires, pour que le médecin du travail puisse exercer son rôle de coordinateur avec des moyens suffisants et en toute indépendance. Dans ce cadre, il faut aussi préserver ce qui fait l'essentiel de la fonction de médecin du travail : la capacité d'articuler d'une part son travail de clinicien - aller au chevet du salarié qu'il est le seul à pouvoir ausculter comme un patient - et d'autre part le fait d'être présent dans l'analyse des conditions de travail et de faire le lien entre la santé individuelle du salarié et les conditions et l'organisation du travail au niveau collectif. Préserver la visite de pré-reprise médicale pour le médecin du travail avec le salarié est essentiel. C'est lui qui connaîtra les deux aspects du problème et qui est à même d'articuler et de coordonner des actions de prévention exercées par les différents acteurs, comme l'aménagement de poste.
Je vais parler plutôt en tant que professeur de médecine et de santé au travail. Je suis co-responsable, à l'université Paris-Est Créteil, d'un diplôme inter-universitaire pour former les référents handicap en entreprise. Des acteurs sont intéressés et travaillent du mieux possible, mais il manque souvent un lien et une coopération au niveau individuel avec les salariés, et un aspect plus macroscopique. Il faut pouvoir avoir une formation des médecins du travail - ou de référents en entreprise dans leur domaine - qui puisse coordonner les différents acteurs. Cela vaudra mieux que de juxtaposer des dispositifs nouveaux à ceux qui existent déjà.
Si les cellules de lutte contre la désinsertion professionnelles jouent ce rôle de ciment des différentes actions en assurant une vraie coordination, cela peut être un acteur intéressant à l'échelon régional.
Le dernier élément que je voulais signaler portait sur le passeport de prévention. Cela ressort principalement de la négociation entre les partenaires sociaux. Il faut bien sûr conserver la responsabilité de l'évaluation et de la mise en place de moyens de prévention des risques professionnels à l'employeur et ne pas la déporter sur les salariés qui subissent éventuellement ces risques professionnels.
Depuis une heure et demie, vous nous présentez votre rôle en tant qu'agences. Vos recueils de données qui peuvent servir à établir des protocoles sont extrêmement intéressants, mais on parle de médecine du travail et très peu des médecins du travail. Je rejoins ce qu'a dit ma collègue Cathy Apourceau-Poly : quand on est sollicité par les médecins du travail, on se rend compte qu'il y en a beaucoup trop peu. Or dans ce texte, on élargit leurs missions ! Dans la formation même des médecins, la médecine du travail représente deux heures de cours en tout, voire quatre heures. Je ne vois pas comment on peut intéresser les jeunes étudiants à la médecine du travail avec ce faible volume d'heures, de la même façon que pour la médecine scolaire. Dans ce dernier domaine, des inquiétudes se font également jour autour de la coordination qu'on évoque : les professionnels craignent qu'on élargisse leurs missions alors qu'ils sont toujours aussi peu, voire de moins en moins nombreux.
Je suis d'accord sur la formation des infirmiers de santé au travail, de tous les psychologues et ergonomes qui peuvent aider et qui forment une équipe autour du médecin du travail. Mais ne faudrait-il pas, pour commencer, renforcer l'attractivité du métier de médecin du travail ? L'élargissement de leurs missions en dépit de leur faible nombre me donne l'impression qu'on pallie la pénurie de médecins du travail en donnant un rôle plus important aux infirmiers. Je ne doute pas de leurs capacités, avec un diplôme universitaire ou une licence, à faire une partie de leur travail. Mais si la visite de pré-reprise n'est pas faite par un médecin du travail, ce ne sera pas fait au service de l'agent ou de l'employé quel qu'il soit.
On ne parle jamais non plus des liens entre la médecine du travail et la médecine générale. Pour avoir été médecin généraliste pendant très longtemps, j'ai observé un manque de coordination entre les deux. Il faudrait aussi améliorer le lien entre médecine générale et médecine du travail.
Merci de cette remarque. Nous aurons l'occasion, lors de l'examen du texte, d'auditionner les médecins du travail, car des points de ce texte les concernent.
Madame Le Barbier, auriez-vous quelques mots à ajouter au débat qui vient d'avoir lieu ?
Je voulais rajouter un point sur la sociovigilance. L'ANSéS a cité ce qui se faisait au niveau du RNV3P. Je souhaite dire que cela s'articule avec un système qui existe déjà. Santé publique France prend en charge les sollicitations locales en santé au travail. On organise un dispositif régionalisé destiné à recueillir et traiter tous les signalements d'événements de santé inhabituels en milieu professionnel (suspicions de regroupements de cas de maladie, syndromes collectifs inexpliqués, expositions atypiques). On a un système organisé de vigilance. Cette dernière se nourrit des données sur les systèmes de surveillance et des remontées de terrain. On organise cela, on y répond, puis on se structure pour voir si, de ce système de vigilance, émergent des sujets d'intérêts. On s'articule, en interaction avec l'ANSéS, pour les mettre sur la table. Il est important d'avoir en tête ce qui existe déjà et de s'interroger sur ce qui peut être amélioré.
En ce qui concerne les rôles des branches, le conforter est utile et nécessaire dans un objectif de prévention. L'OPPBTP a été cité : c'est un interlocuteur d'importance en matière de prévention et de connaissance des TMS. Cette approche par branche nous permet de développer, avec ce type d'interlocuteur, des outils d'évaluation de ce risque mais aussi de réfléchir et discuter sur des outils de prévention. Elle nous paraît donc particulièrement nécessaire.
Sur la démographie médicale, je souscris à ce qui a été dit par l'INRS et l'ANSéS sur le fait de pouvoir prendre en compte la réalité du terrain. Je souhaite rajouter que l'on s'y adapte déjà, au travers de ce qui est mis en place au niveau de la récupération des données ainsi que des systèmes de surveillance et des outils. On arrive à voir comment s'articuler entre différentes agences pour mutualiser et optimiser soit la sollicitation des médecins du travail, soit l'appui sur d'autres acteurs (infirmiers, ergonomes...), afin de faire remonter les données nécessaires.
Vous avez évoqué le lien entre télétravail et santé mentale et l'étude CoviPrev mise en place par Santé publique France. Beaucoup de choses pourront sortir des études sur le sujet en lien avec la crise sanitaire. Nous recueillerons des données et identifierons des informations qui permettront d'aller vers une bonne organisation du travail et des relations managériales permettant une meilleure organisation du télétravail possible. Il faut garder en tête que nous sommes dans une organisation exceptionnelle. Il faut rappeler tout ce qu'on voit à travers ces études CoviPrev en population générale et en population de travailleurs et via d'autres études sur l'évolution des addictions chez les travailleurs ou l'effet sur la santé physique dû au télétravail, notamment les TMS, est observé dans le contexte d'un développement du télétravail qui ne sera plus la réalité des organisations de travail en France.
Chaque année, les présidents des commissions permanentes procèdent à un bilan de l'application des lois relevant de leur compétence au 31 mars, six mois après la fin de la session précédente.
Ces informations font ensuite l'objet d'un rapport de synthèse présenté en conférence des Présidents, puis en séance publique. Cette année, le débat avec le Gouvernement est prévu au cours de la première semaine de juin.
Ce bilan est réalisé à partir du suivi permanent, par chaque commission, des textes réglementaires relevant de son domaine de compétences. Il est principalement statistique, mais comprend aussi des éléments qualitatifs sur la conformité des textes d'application à l'intention du législateur ou sur les raisons des retards constatés.
Le bilan annuel que je vous présente aujourd'hui porte sur les lois promulguées au cours de l'année parlementaire 2019-2020, entre le 1er octobre 2019 et le 30 septembre 2020. Il intègre les mesures d'application publiées jusqu'au 31 mars 2021.
Cette borne de six mois correspond à l'objectif retenu par une circulaire du 29 février 2008 pour le délai d'édiction des mesures réglementaires nécessaires à l'application des lois.
Il s'agit parfois d'un exercice teinté d'une certaine étrangeté dans la mesure où il s'agit de demander des comptes au Gouvernement sur l'application de mesures que le Sénat n'a pas votées ou, par exemple, de déplorer le retard de la remise de rapports qu'il n'a pas demandés. C'est pourquoi je vous invite à relativiser le seul volet statistique de cet exercice qui ne dit au fond que peu de choses.
Vous serez par ailleurs destinataires d'une note détaillée texte par texte, destinée au rapport d'ensemble qui sera publié au mois de juin. Je me bornerai donc aujourd'hui, au-delà de quelques chiffres, à vous faire part des principaux constats sous un angle plus qualitatif.
Durant l'année parlementaire 2019-2020, le Parlement a adopté définitivement sept lois examinées au fond par notre commission des affaires sociales, auxquelles s'ajoute un texte examiné pour avis avec délégation au fond.
Trois de ces lois étaient issues d'une proposition de loi de l'Assemblée nationale : la proposition de loi visant à améliorer les droits des travailleurs et l'accompagnement des familles après le décès d'un enfant, la proposition de loi permettant d'offrir des chèques-vacances aux personnels des secteurs sanitaire et médico-social en reconnaissance de leur action durant l'épidémie de covid-19, et la proposition de loi visant à assurer la revalorisation des pensions de retraite agricoles en France continentale et dans les outre-mer. Trois étaient issues d'un projet gouvernemental : le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2020 et le projet de loi et le projet de loi organique sur la dette sociale et l'autonomie. Une était issue d'une proposition de loi du Sénat : la proposition de loi visant à améliorer l'accès à la prestation de compensation du handicap.
Sur sept lois examinées au fond par notre commission, une était d'application directe (le PJLO) et six appelaient un total de 165 mesures réglementaires d'application, dont 142 pour la loi de financement de la sécurité sociale pour 2020. Au total, 79 mesures avaient été prises au 31 mars 2021, soit un taux de 48 %, contre 64 % les deux années précédentes.
À la différence des années précédentes où la loi de financement de la sécurité sociale est vite et bien appliquée, en général à plus de 90 % et 94 % l'an dernier, le taux de mise en application au 31 mars dernier est de 46 %.
Le fil conducteur que j'ai choisi pour cette communication est celui de la difficulté du Gouvernement à gérer le temps, et en particulier le temps parlementaire, ressource particulièrement précieuse en ces temps de crise sanitaire.
L'exemple le plus caricatural est certainement la loi du 30 juillet 2020 permettant d'offrir des chèques-vacances aux personnels des secteurs sanitaire et médico-social en reconnaissance de leur action durant l'épidémie de covid-19 devenue caduque avant même d'avoir reçu le décret d'application nécessaire après avoir, pourtant, fait l'objet d'une procédure accélérée. Nous avions émis des doutes à la fois sur l'opportunité de ce texte et son adéquation aux besoins des soignants, mais aussi sur son caractère opérationnel que notre rapporteur, Frédérique Puissat, s'était pourtant efforcée d'améliorer.
Autre exemple parmi les textes promulgués au cours de la période considérée, la loi visant à assurer la revalorisation des pensions de retraite agricoles en France continentale et dans les outre-mer, examinée en première lecture au Sénat en février 2017 dans des circonstances qu'il n'est pas nécessaire de rappeler puis en deuxième lecture en juin 2020, soit trois ans après. Le Sénat a été « sommé » de faire un vote conforme sur ce texte afin de permettre une application anticipée en 2021 ce que la lettre du texte rend difficilement possible. À ce jour, aucun décret d'application n'a été pris en raison des difficultés techniques rencontrées en particulier dans les outre-mer. Le ministre, que j'ai interrogé à ce sujet, conserve l'objectif d'une application en 2021, mais nous sommes déjà mi-avril...
La loi du 6 mars 2020 visant à améliorer l'accès à la prestation de compensation du handicap, issue des travaux de nos collègues Alain Milon et Philippe Mouiller, n'est pas davantage applicable alors que les textes d'application étaient attendus pour décembre 2020.
Un autre exemple de précipitation manifeste : la création de la cinquième branche de la sécurité sociale, saluée avec la plus grande solennité comme « historique » lors de sa création par la loi du 7 août 2020 relative à la dette sociale et à l'autonomie, mais qui n'a connu qu'un début de mise en oeuvre très limitée au sein du PLFSS 2021 alors que la loi Grand âge et autonomie semble renvoyée aux calendes grecques.
Il ne s'agit pas, sur ce sujet, d'un décret d'application qui n'aurait pas été pris, mais de la redéfinition tout entière d'une politique publique qui n'a pas été au rendez-vous des espoirs portés par le texte.
Quand le Gouvernement applique les textes, il prend parfois certaines libertés avec l'autorisation parlementaire qui lui est donnée.
C'est ainsi que l'autorisation des transferts de dette à la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades) pour les années 2020 et 2021, prévue par ce même texte sur la dette sociale et autonomie, a été dépassée de 174 millions d'euros, sans que le Gouvernement juge nécessaire de demander une nouvelle autorisation en PLFSS pour 2021.
Le rapporteur général a déjà eu l'occasion de souligner les conséquences du transfert de l'État à l'assurance maladie du financement de l'agence nationale de santé publique dite « Santé publique France » opéré en PLFSS pour 2020. La dotation à Santé publique France, fixée à 150 millions d'euros par un arrêté du 11 mars 2020, a été portée à 4,8 milliards d'euros trois mois plus tard, par un arrêté du 8 juin 2020.
Cette augmentation est juridiquement possible dans la mesure où le formalisme qui s'attache aux dépenses de l'assurance maladie n'est pas le même que celui du budget de l'État. Elle est politiquement plus discutable, le Gouvernement n'ayant pas souhaité revenir devant le Parlement malgré le dérapage manifeste des comptes sociaux. Plus grave : la dotation à Santé publique France a donné lieu à une « rebudgétisation » de 700 millions d'euros via un transfert de l'agence à la mission « Santé » du budget de l'État. Or cette somme n'a pas fait l'objet de l'autorisation de dépenser nécessaire aux dépenses de l'État. Nous verrons ce que la Cour des comptes dira de ce procédé sur lequel nous aurons l'occasion de l'interroger.
Ce précédent a conduit le rapporteur général à préconiser, dans le cadre de la proposition de loi organique qu'il a déposée, la mise en place de crédits limitatifs au sein du PLFSS pour les dépenses qui ne relèvent pas des assurances sociales. Ces crédits limitatifs pourraient s'appliquer au financement des agences sanitaires par l'assurance maladie, tout dépassement devant conduire à revenir devant le Parlement.
L'article 51 de la LFSS pour 2021 a repoussé l'entrée en vigueur de plusieurs des réformes prévues l'année précédente : la réforme du financement des hôpitaux de proximité, de la psychiatrie ou encore des urgences ou du ticket modérateur à l'hôpital a ainsi été différée.
Parmi les textes promulgués au cours des sessions antérieures, j'évoquerai la loi relative à l'organisation et à la transformation du système de santé, promulguée au cours de la session précédente et qui appelait 71 mesures d'application dont seul un tiers avaient été pris l'an dernier à pareille époque.
Pour ce texte qui comportait, comme la commission l'avait regretté, un grand nombre d'habilitations du Gouvernement à légiférer par ordonnance, seules trois des onze ordonnances prévues ont été publiées, portant sur les carrières hospitalières, les GHT et les conditions de certification des logiciels en vue de la généralisation par étapes de la prescription électronique.
Certains délais d'habilitation ont été prolongés par les textes relatifs à l'urgence sanitaire ; c'est le cas des deux ordonnances relatives à la procédure de certification des professionnels de santé (article 5) et d'une ordonnance de l'article 64.
Le Gouvernement a également prolongé de 4 mois d'ici à mai 2021 par l'article 14 de la loi n°2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19 les délais d'habilitation sur les modalités d'organisation et de gouvernance des hôpitaux de proximité (article 35) dont la loi de financement de la sécurité sociale pour 2020 a précisé sans attendre les conditions de financement ; la réforme du régime des autorisations sanitaires (article 36) ; l'identification et l'authentification des usagers du système de santé pour accompagner le développement des usages numériques en santé (article 49) ; l'organisation et fonctionnement des agences régionales de santé (ARS), par des mutualisations de leurs actions, en allégeant des procédures et formalités pour prendre en compte des caractéristiques de certains territoires (article 64).
Nous atteignons ainsi des délais d'habilitation de 22 mois, ce qui pour un dispositif censé pallier les supposées lenteurs du Parlement n'a clairement pas atteint sa cible, M. Véran s'est engagé à venir devant notre commission présenter ces différentes ordonnances.
L'application des dispositions inscrites « en dur » dans le texte a progressé depuis l'an dernier, mais reste très partielle.
Pour le volet relatif aux études de médecine, la partie relative aux épreuves classantes nationales n'a pas encore été mise en oeuvre.
La réforme du premier cycle des études médicales, mise en oeuvre par un décret du 4 novembre 2019, est en revanche à inscrire au catalogue des ambitions déçues, au moins pour cette première année de transition entre l'ancien et le nouveau système. La volonté de ménager les chances des doublants de la première année commune aux études de santé (Paces) ne s'est en effet pas accompagnée de l'augmentation nécessaire des capacités d'accueil pour les étudiants issus des Parcours accès santé spécifique (PASS) et des licences avec option accès santé. Les capacités disponibles, définies université par université ont été communiquées tardivement et de manière peu transparente, ce qui a conduit à des inquiétudes décuplées en ces temps de crise sanitaire. Nous sommes nombreux à avoir interpellé la ministre de l'enseignement supérieur à ce sujet et il semble que la réforme ait manqué un objectif que nous avions pourtant soutenu, de mettre fin au gâchis de l'échec programmé d'excellents élèves ayant choisi un métier de vocation, et dont nous avons collectivement un besoin criant.
Pour le reste du texte, son application a souffert de la crise sanitaire et nous devrons à nouveau nous tourner vers le Gouvernement pour disposer d'un nouvel échéancier d'application du texte.
Sur le front des demandes de rapports au Parlement, la situation est tout à fait comparable aux années précédentes. Les sept lois promulguées contenaient 18 demandes de rapport, dont un seul a été remis, relatif à la création de la branche autonomie, dit rapport Vachey, dont nous avons entendu l'auteur en commission. Aucun des 15 rapports demandés dans le cadre du PLFSS n'a ainsi été remis. Je ne ferai pas de reproche au Gouvernement à ce sujet puisqu'il s'agit par construction de demandes que notre commission n'a pas approuvées. Ce chiffre, comparable à celui de l'an dernier (1 sur 21) me paraît conforter notre position de principe sur les demandes de rapport. Si notre commission souhaite un rapport, il faut qu'elle examine si il répond à un besoin politique impérieux, mais aussi si elle dispose à la fois de la volonté, du temps et des ressources pour le réaliser elle-même.
Voici, mes chers collègues, les principaux enseignements pouvant être tirés de ce bilan annuel. Reste à examiner comment ces réformes sont effectivement mises en oeuvre sur le terrain. C'est tout le sens de nos missions d'évaluation et de contrôle.
EXAMEN DES AMENDEMENTS AU TEXTE DE LA COMMISSION
Nous examinons désormais les amendements au texte de la commission sur la proposition de loi d'expérimentation visant à favoriser le retour à l'emploi des bénéficiaires du revenu de solidarité active (RSA).
Article 1er
L'amendement n° 2 rectifié vise à ouvrir le dispositif à tout bénéficiaire du RSA dans la limite d'un nombre fixé par arrêté. Avis défavorable. La condition d'ancienneté dans le RSA vise à cibler un public qui, tout en restant sensible à une incitation monétaire, présente des difficultés avérées pour accéder à l'emploi. Les statistiques montrent clairement qu'il est plus difficile de sortir des minima sociaux après un an de RSA. Au total, plus des trois quarts des bénéficiaires du RSA non majoré ont au moins un an d'ancienneté dans le RSA.
En outre, supprimer toute condition d'ancienneté peut être une source d'effets d'aubaine et risque paradoxalement d'encourager pour certains l'entrée dans le RSA. On peut se demander, en effet, si les personnes les plus proches de l'employabilité ont besoin d'un tel dispositif. Enfin, il ne me semble pas opportun que le Gouvernement fixe a priori le nombre de bénéficiaires.
Dans le cadre de l'expérimentation, le Gouvernement donnera un agrément aux départements pour un nombre donné de bénéficiaires et en fonction de certaines règles, comme l'éloignement de l'emploi. Or, celui-ci n'est pas fonction du temps passé au RSA. C'est pour cela qu'il faut accepter des bénéficiaires de plus ou moins longue durée, en milieu rural comme en milieu urbain. Si l'on veut pouvoir élargir l'expérimentation et l'évaluer, il faut viser différentes régions et différents profils.
Nous cherchons à créer un outil à destination de ceux qui sont le plus en difficulté. Est-il de faire opportun des classements en la matière ? Il me semble que nous devons agir dès que nous pouvons apporter une aide. Ne fixons pas de limites a priori et laissons la liberté à chaque département de préciser le périmètre en fonction de la situation sur le terrain.
J'ai déposé un amendement similaire, mais il a été déclaré irrecevable au titre de l'article 40 de la Constitution ...
J'ai échappé à l'article 40 en contingentant le nombre de bénéficiaires, ce qui permet d'élargir le public sans modifier l'enveloppe budgétaire. Le dispositif doit être souple si l'on veut pouvoir donner sa chance à toute personne qui pourrait en profiter.
Une personne au RSA est déjà dans une situation d'éloignement du marché du travail depuis plusieurs années, car cela signifie qu'elle a déjà épuisé ses droits au chômage.
Je comprends l'argumentation du rapporteur qui reprend la position des élus de l'Allier. Pour autant, pourquoi interdire aux départements qui participeront à l'expérimentation de définir leurs propres règles dans le cadre de leur programme départemental d'insertion vers l'emploi (PDIE) ?
Je partage la position des auteurs de l'amendement : l'enjeu, c'est de sortir le plus rapidement possible les personnes de la précarité, y compris celles qui viennent d'entrer dans le RSA. L'expérimentation permettra de mesurer l'intérêt du dispositif en fonction des profils et de l'ancienneté dans le RSA.
Pour que l'expérimentation soit probante, il convient de ne pas fixer des règles trop contraignantes. Le dispositif doit rester souple et adaptable. C'est lors de l'évaluation que l'on pourra apprécier s'il est nécessaire de prévoir des règles plus précises.
J'entends vos arguments, mais cette proposition de loi vise, avant tout, les personnes le plus éloignées de l'emploi. Je crains aussi qu'en supprimant toute condition d'ancienneté dans le RSA, on ne crée un effet d'aubaine.
Il s'agit de lever l'un des freins au retour sur le marché du travail, qui est le risque de ne pas retrouver le RSA si l'emploi s'abrège trop rapidement. De plus, une segmentation selon la durée ne me semble pas très pertinente.
Cette proposition de loi répond à une demande du terrain. Il convient donc de laisser le plus de latitude possible aux départements qui mettront en oeuvre l'expérimentation.
Qui dit expérimentation, dit possibilité d'expérimenter différents dispositifs ! Si l'on multiplie les barrières, on prive l'expérience de son utilité.
Je suis plutôt favorable à l'idée de laisser tous les bénéficiaires du RSA, sans condition de durée, pouvoir bénéficier de l'expérimentation. Ceux qui touchent le RSA ont connu des années de chômage auparavant. Je ne comprends pas l'argument selon lequel il y aurait un effet d'aubaine.
Comme pour toute expérimentation, il semble pertinent d'alléger les carcans administratifs et normatifs. Toutefois, lorsque nous avions voté l'expérimentation « Territoires zéro chômeur de longue durée », celle-ci s'adressait à un public bien ciblé. Chaque département dispose en fait d'un arsenal d'outils. En Mayenne, ceux qui entrent dans le RSA peuvent bénéficier de l'accompagnement du service départemental d'insertion, en lien avec Pôle emploi. L'expérimentation proposée est un outil supplémentaire, à destination d'un certain public.
Si l'on veut pouvoir tirer des enseignements de l'expérimentation par la suite, il convient de ne pas multiplier les restrictions. Nous pourrons ainsi évaluer les résultats en fonction du profil de ceux qui en auront bénéficié.
J'ai cosigné cet amendement. On parle des bénéficiaires du RSA, mais il ne faut pas oublier les entreprises qui vont les embaucher. Or plus les personnes sont éloignées de l'emploi, plus les difficultés qu'elles rencontrent en entreprise sont élevées. C'est pourquoi il est pertinent de favoriser le retour en entreprise le plus vite possible.
Le groupe CRCE ne votera pas cette proposition de loi qui constitue une énième expérimentation. Les expérimentations s'enchaînent, mais elles ne sont jamais évaluées ! Lorsque quelqu'un entre au RSA, il a déjà souvent épuisé ses droits au chômage. De plus, le texte est muet sur l'accompagnement et la formation, alors que les besoins sont considérables.
Et ce n'est pas un CDD d'un an qui permettra de sortir les bénéficiaires du dispositif de la précarité !
Je comprends l'analyse de Mme Gruny, mais suivrai l'avis de notre rapporteur : cette proposition de loi vise les personnes les plus éloignées de l'emploi. Le marché du travail est régi par la loi de l'offre et la demande. Si on ouvre le dispositif à tous les bénéficiaires du RSA, les employeurs privilégieront naturellement ceux qui sont le moins éloignés de l'emploi.
Cette proposition de loi prévoit un accompagnement et une formation. Ainsi l'Allier a détaché trois fonctionnaires auprès de Pôle emploi pour accompagner les bénéficiaires pendant la durée de leur contrat. Cet amendement ne remet pas en cause la proposition de loi, mais, je le répète, supprimer toute condition d'ancienneté pourrait créer des effets d'aubaine et risque d'encourager certains à entrer dans le RSA.
La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 2 rectifié.
L'amendement n° 14 vise à conditionner le dispositif à la signature d'un contrat d'engagements réciproques (CER). La rédaction de cet amendement est problématique, car, en se référant au CER de l'article L. 262-35 du code de l'action sociale et des familles, elle exclut les bénéficiaires du RSA suivis par Pôle emploi, qui peuvent représenter, comme c'est le cas dans l'Allier, la majorité des bénéficiaires du RSA. Le CER ne concerne, en effet, que les bénéficiaires du RSA qui sont orientés vers un organisme participant au service public de l'emploi autre que Pôle emploi. Les allocataires orientés vers Pôle emploi concluent, pour leur part, un projet personnalisé d'accès à l'emploi (PPAE).
Par ailleurs, même si l'on peut déplorer que le taux de contractualisation soit trop faible, la conclusion du CER est déjà obligatoire pour les personnes concernées et le fait de l'écrire deux fois dans la loi au lieu d'une n'est pas de nature à améliorer la situation. Avis défavorable.
Lorsque l'on demande à une personne de signer un CER, c'est pour s'assurer que celle-ci s'engage. Mais signer un contrat de travail constitue déjà un engagement ! Cet amendement semble inutile.
Le CER est théoriquement obligatoire, mais peu sont signés dans la réalité, puisque seuls 52 % des bénéficiaires du RSA signent un CER en moyenne. Ce contrat témoigne pourtant de la détermination de la personne.
Le problème est que la loi n'est pas appliquée. Cela pose la question des contrôles. Mais ce n'est pas en l'inscrivant à nouveau dans la loi que cette disposition elle sera mieux appliquée !
En effet ! En revanche, la commission Solidarité et affaires sociales de l'Association des départements de France (ADF) pourrait se saisir de ce sujet. C'est aussi une question de volonté !
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 14.
L'amendement n° 5 prévoit une obligation de tutorat pour les bénéficiaires dans les entreprises de plus de 50 salariés. L'accompagnement dans l'emploi est une condition de réussite du dispositif. Dans le cadre d'une démarche d'insertion, le tutorat est un outil pertinent pour accueillir et guider les bénéficiaires dans l'entreprise. En revanche, l'amendement s'impute mal dans le texte et sa rédaction devrait être précisée. Avis favorable sous réserve de rectification.
La commission émet un avis favorable sous réserve d'une rectification à l'amendement n° 5.
L'amendement n° 12 ouvre le bénéfice du dispositif à des CDD de toute durée, en excluant les CDI. Le dispositif cible, à dessein, des personnes engagées dans le cadre d'un CDD d'un an ou d'un CDI pour bien le distinguer de ceux qui concernent les travailleurs saisonniers. Il s'agit, dans le cadre de cette expérimentation, d'encourager une inscription dans l'emploi durable avec le soutien des entreprises, non de donner une prime aux contrats courts. Dans l'Allier, de nombreux employeurs se sont montrés intéressés par ce dispositif et prêts à jouer le jeu. Avis défavorable.
Il me semble qu'en envisageant directement un CDD d'un an pour une personne très éloignée de l'emploi, on rend le dispositif inopérant. En général, dans les départements qui ont mis en place un parcours similaire de retour vers l'emploi, on commence par un contrat d'emploi saisonnier afin que les bénéficiaires puissent se réhabituer au monde du travail.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 12.
L'amendement n° 6 rectifié vise à limiter à six mois la durée du cumul entre RSA et revenus professionnels, ainsi que la durée de la suspension de la prime d'activité. Je rappelle que le droit actuel permet un cumul pendant les trois premiers mois des revenus professionnels avec le RSA. Cet amendement ne permet de prolonger que de trois mois cette possibilité de cumul. Je suis personnellement favorable à une durée de douze mois, mais, dans un esprit de compromis, je propose un avis favorable sous réserve de l'adoption du sous-amendement n° 15 de M. Malhuret, qui porte à neuf mois la durée du cumul du RSA et des revenus professionnels.
On crée une distorsion dans les entreprises entre ceux qui toucheront leur salaire, et ceux qui toucheront en plus un complément de RSA !
La commission émet un avis favorable au sous-amendement n° 15.
La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 6 rectifié, sous réserve de l'adoption du sous-amendement n° 15.
L'amendement n° 3, qui vise à faire participer l'État au dispositif en rétablissant le versement de la prime d'activité, soulève des difficultés importantes qui compromettent toute l'économie du texte.
D'abord, cette proposition de loi vise précisément à permettre la compensation par l'État du coût du dispositif. Or, passer par la prime d'activité ne garantit pas un taux de prise en charge plus important par l'État : le montant de la prime d'activité représente, pour une personne seule au niveau de rémunération visé par l'expérimentation, environ trois cinquièmes de celui du RSA, alors que la compensation du coût du RSA par l'État atteint environ 70 %. Ensuite, ce procédé complique considérablement le dispositif et nuit à sa lisibilité.
L'objectif est de garantir la participation financière de l'État. Mais dans la mesure où mon amendement n° 2 rectifié a reçu un avis favorable, je suis prêt à retirer cet amendement en séance. Le contingentement du nombre de bénéficiaires entraînera, en effet, mécaniquement la nécessité de se mettre d'accord avec l'État sur une compensation du RSA.
J'ai cosigné cet amendement, mais je me range aux arguments de notre rapporteur.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 3.
L'amendement n° 8 rectifié vise à supprimer la dérogation à la durée hebdomadaire minimale du travail à temps partiel, introduite la semaine dernière en commission, qui permettrait aux bénéficiaires de l'expérimentation de conclure des contrats de quinze heures minimum. Supprimer cette dérogation conduirait à réintroduire les distorsions que nous avons voulu éviter et à placer le bénéficiaire dans une plus grande insécurité. En effet, pour une personne éloignée de l'emploi, une durée de vingt-quatre heures hebdomadaire peut être, dans un premier temps, une marche trop difficile à franchir. De plus, si l'on veut que l'employeur puisse accompagner au mieux ce nouveau salarié qui a été longtemps éloigné de l'emploi, il est préférable que sa durée du travail ne soit pas trop importante. À partir du dixième mois, si le salarié veut conserver le même salaire, il devra travailler davantage. Avis défavorable pour toutes ces raisons, ainsi qu'à l'amendement n° 13.
Je suis opposé à tout retour en arrière. La loi prévoit une durée de travail hebdomadaire minimale de vingt-quatre heures. Attention à ne pas créer des sous-contrats pour des sous-employés ! Si l'on veut s'occuper de ceux qui sont le plus éloignés de l'emploi, il existe déjà une série de dispositifs, notamment via les associations intermédiaires, qui permettent un retour vers l'emploi avec des contrats d'une durée hebdomadaire inférieure à vingt-quatre heures. Cela existe donc déjà.
Je ne suis guère favorable aux vingt-quatre heures hebdomadaires. Il faut davantage de souplesse dans les temps partiels : des personnes en grande difficulté, dans un contexte psychosocial difficile, peuvent avoir du mal à accomplir même un mi-temps.
Mon amendement n° 4 vise à limiter à six mois la période de travail où la durée hebdomadaire est de quinze heures. De la sorte, on crée un palier avant de passer à vingt-quatre heures.
J'y suis favorable sous réserve de porter cette période à neuf mois, pour l'aligner sur la période où le cumul entre le RSA et les revenus d'activité est possible.
L'amendement n° 9 rectifié vise à faire en sorte que, sur décision du président du conseil départemental, la rupture du contrat de travail à l'initiative du bénéficiaire puisse entraîner la suspension du RSA. Mais une telle mesure, introduite sans plus de garanties, pourrait avoir pour effet de plonger dans une situation de grande pauvreté des personnes déjà fragiles. Or, cette expérimentation doit être pour ces personnes une opportunité et non leur faire courir des risques supplémentaires. De plus, en cas de manquement des allocataires à leurs engagements, le conseil départemental dispose déjà de possibilités de sanctions, incluant la suspension du RSA, sans qu'il soit nécessaire d'en rajouter. Avis défavorable.
En tant que présidente d'une unité territoriale d'action sociale (UTAS), je constate que, tous les mois, nous sommes obligés de procéder à des radiations et à des suspensions, car les contrats ne sont pas respectés. Avec cette expérimentation, un bénéficiaire du RSA qui reprendra une activité cumulera le RSA et son salaire, et pourra mettre de côté de l'argent. Dans l'Aisne, beaucoup de salariés ont de petits revenus et ne supportent plus ces écarts. Il faut, d'une manière ou d'une autre, prévoir une sanction au cas un bénéficiaire déciderait d'arrêter de son initiative.
Chaque situation est particulière. Je rappelle toutefois que nous examinons un dispositif qui vise à permettre le retour à l'emploi. N'allons pas trop loin. La rupture du contrat peut être le fait de la personne employée, mais aussi du contexte, de l'employeur, etc. On ne peut suspendre une épée de Damoclès uniquement sur la tête de certains : la peur de la sanction risque de dissuader des personnes susceptibles d'être intéressées de s'engager dans cette démarche, même si on a tous en tête des abus et que des sanctions peuvent être utiles.
J'ai cosigné cet amendement, mais je partage l'avis de notre rapporteur. On ne peut pas supprimer directement le RSA, il faut procéder par différentes phases. Il est vrai que le dispositif doit reposer sur l'équilibre entre les droits et les devoirs, entre la carotte et le bâton. Le cumul de rémunération est incitatif et il faut trouver des mécanismes de sanction par ailleurs, mais pas la suppression du RSA, car on risque de mettre les personnes en difficulté.
Je ne suis pas favorable à cet amendement. On crée une expérimentation, ne multiplions pas les sanctions d'emblée.
Cet amendement est punitif. J'ai aussi présidé une commission RSA. On ne doit pas considérer a priori que l'on a affaire à des tricheurs ou à des personnes qui s'engagent dans le dispositif pour mettre de l'argent de côté ! Et si le contrat de travail n'est pas respecté, il est rompu, cela suffit !
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 9 rectifié.
L'amendement n° 10 rectifié a pour objet d'appliquer une sorte de clause de dédit-formation au dispositif expérimental en obligeant les bénéficiaires à rester au moins deux ans dans l'entreprise. Avis défavorable. Afin que le dispositif de l'expérimentation soit le plus incitatif possible pour les entreprises, le choix a été fait de n'imposer qu'un minimum de contraintes et de charges à l'employeur. Dans la mesure où celui-ci n'a pas d'obligation d'investir dans des formations coûteuses, il ne saurait être imposé au salarié qui aurait l'opportunité de travailler dans de meilleures conditions ailleurs de rester dans l'entreprise au-delà de la durée de l'expérimentation. En portant atteinte à la liberté contractuelle, cet amendement comporte par ailleurs un risque d'inconstitutionnalité.
Les clauses de dédit-formation existent déjà. Je souhaite, comme vous, trouver le moyen de ramener des personnes vers l'emploi. Toutefois, il faut aussi se placer du point de vue des entreprises : former des gens prend du temps. S'il est compréhensible qu'une personne, après avoir été formée, souhaite partir si elle a trouvé une meilleure opportunité ailleurs, encore faut-il qu'elle négocie avec son employeur et ne parte pas sans préavis. Il ne s'agit pas d'imposer à la personne de rester ou de la pénaliser financièrement. Simplement, il faut une concertation. C'est une question d'équilibre entre les droits et les devoirs.
Je comprends vos réticences, mais il me semble que l'on s'éloigne de l'esprit de l'expérimentation.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 10 rectifié.
L'amendement n° 1 rectifié tend à ce que les personnes bénéficiant de l'expérimentation soient accompagnées pendant une durée de trois mois par un tiers extérieur à l'entreprise missionné par le département volontaire. La question de l'accompagnement est cruciale. Cependant, cet amendement pose plus de questions qu'il n'en résout, car l'objet de la proposition de loi est bien de maintenir la possibilité d'un accompagnement, non pas pendant trois mois, mais pendant toute la durée du maintien du RSA. J'estime que les départements volontaires devront s'y engager. En outre, l'amendement ne définit pas la nature de ce « tiers extérieur » et ne précise pas les modalités de ce dispositif d'accompagnement, s'il doit s'ajouter aux dispositifs déjà existants. Je vous propose donc de retirer cet amendement. Sinon, je propose un avis défavorable.
La commission demande le retrait de l'amendement n° 1 rectifié et, à défaut, y sera défavorable.
TABLEAU DES AVIS
La commission désigne Mme Michelle Meunier rapporteure sur l'état des lieux des soins palliatifs.
La commission désigne M. Jean-Luc Fichet rapporteur de la proposition de loi (n° 426, 2020-2021) visant à lutter contre l'indépendance fictive en permettant des requalifications en salarié par action de groupe et en contrôlant la place de l'algorithme dans les relations contractuelles.
La réunion est close à 12 h 40.