Je veux remercier mon ami Jean-Patrick Courtois de nous accueillir pour cette journée déconcentrée, ou décentralisée, de notre délégation. Nous nous sommes côtoyés non seulement au Sénat mais aussi à l'époque où j'étais au Gouvernement et je suis très content de le retrouver dans ses fonctions de maire, ainsi que Jérôme Durain, qui était là ce matin et qui nous rejoint après avoir retrouvé la ministre Mme Cluzel, de passage dans le département. Je voudrais aussi saluer notre collègue Marie Mercier, qui nous retrouve pour cette audition, et bien sûr mes trois collègues, Françoise Gatel, bien connue pour son engagement au Sénat, à la délégation ainsi qu'à l'Association des maires de France, Michelle Gréaume, Sénatrice du Nord, très assidue dans nos réunions de délégation, et Patricia Schillinger, qui vient de terminer un rapport avec Antoine Lefèvre sur les relations entre communes et communautés afin de valoriser les bonnes pratiques.
Cela constitue évidemment un panel important pour auditionner les élus locaux présents qui nous font le plaisir de leur présence. Nous sommes sur un format d'audition qui permet de traiter le fond des sujets, il ne s'agit pas d'un rapport d'information ou d'un texte de loi en cours. Le rôle de la délégation n'est d'ailleurs pas de se substituer aux commissions permanentes. Nous intervenons en amont, voire en aval, dans le suivi de contrôle, comme le montre notre travail le plus récent en matière de simplification des normes. Nous faisons néanmoins un travail transversal et souvent utile. Il est en effet pris en compte par le Sénat, à travers ses commissions permanentes, ou via le président Gérard Larcher, qui nous donne souvent l'impulsion, par exemple sur le rapport portant sur les conditions d'exercice des mandats locaux, où le président lui-même a initié la demande et a maintenu un suivi des actions, rapport à partir duquel le Gouvernement a travaillé pour proposer des améliorations de ces conditions d'exercice.
Dans ce cadre, nous avons voulu, comme nous le faisons régulièrement, interroger le monde des élus - sur le statut des élus, notre questionnaire a obtenu 17 000 réponses, sur les relations entre communes et communautés, 4 000 contributions ont été enregistrées -, afin d'obtenir une objectivation des questions traitées auprès de la base que nous représentons en tant que chambre des territoires. Ensuite, tout au long de nos travaux, nous entretenons un dialogue constant sous forme d'auditions avec les associations d'élus que ce soient l'AMF, les associations départementales et régionales, sans oublier les associations spécialisées, Villes de France - que l'on appelait Villes moyennes -, mais aussi les grandes villes, les petites villes, les maires ruraux et certaines associations encore plus spécialisées, comme les maires de montagne, etc. Nous réalisons également aussi des échanges avec les partenaires des élus, qui ne vivent pas en vase clos. Nous sommes aujourd'hui dans une démarche qui s'inscrit assez bien à la fois dans l'agenda gouvernemental et l'agenda du Sénat. Nous avons tous conscience qu'une des raisons du malaise des élus locaux est liée à toutes ces lois qui se sont succédées au fil des gouvernements et des majorités. Pétries de bonnes intentions, ces lois ont souvent apporté des réponses à des attentes réelles, des éléments de modernisation, mais ont parfois aussi généré le sentiment d'un trop plein de contradictions et des effets pervers inattendus. On a l'impression aujourd'hui d'être conforté à un certain nombre de rigidités, de doublons.
Ce qui vaut pour les textes régissant les territoires vaut également pour nos relations avec l'État déconcentré. Nous aurons d'ailleurs, à la suite de cette audition, une rencontre avec le préfet avec qui nous échangerons notamment sur la question des normes que j'évoquais en préambule. Nous avions, dans un premier temps, travaillé sur les normes liées à l'urbanisme, conformément aux attentes qui ressortaient de notre questionnaire de l'époque, et on sait le rôle important de simplification et de souplesse que peuvent jouer les représentants de l'État, parfois aussi créateurs de normes.
Aujourd'hui, autour de cette thématique des rigidités induites par les dernières réformes, et dans un contexte où l'agenda gouvernemental évoque une possible souplesse et d'éventuels ajustements, nous jugeons intéressant d'actualiser nos travaux et nos réflexions en les confrontant au terrain. Comme nous le disait le maire de Mâcon ce matin, « assouplir c'est bien, revenir parfois en arrière pourquoi pas, mais attention ». Cela s'applique, y compris à des textes critiquables. Nous avons tous été amenés, dans l'application de la loi - je pense notamment à la question des intercommunalités -, à instaurer des dispositifs qui trouvent aujourd'hui leur rythme de croisière. Veut-on de nouveaux textes et une remise en cause globale alors même que l'on commence à prendre ses marques ? Il est important d'avoir tous ces éléments à l'esprit.
Nous aimerions cependant vous entendre sur les thèmes suivants : les évolutions du périmètre intercommunal, et ses abus (certaines communautés XXL, par exemple) et les limites de l'exercice, la gouvernance intercommunale. Ce dernier point a été traité par la délégation dans le cadre des relations entre communes et communautés, où nous avions lancé un rapport face au sentiment souvent exprimé par les maires de ne pas trouver leur place. Nous souhaitons aborder la répartition des compétences entre communes et intercommunalités, la pertinence des compétences optionnelles, la problématique particulière eau-assainissement, que Françoise Gatel connaît bien, comme la question des communes nouvelles évoquée lors du déjeuner de travail que nous venons de tenir. En toile de fond, demeure le sujet du rôle particulier du département, collectivité partenaire de proximité.
Jean-Patrick Courtois, maire de Mâcon. - Monsieur le Président, Monsieur le Ministre, Mesdames, Messieurs, mes chers Collègues, c'est bien sûr pour moi un grand plaisir de vous retrouver et de vous accueillir à la mairie de Mâcon autour d'un sujet qui nous passionne tous. Il vous passionne d'abord vous, Sénateurs et Sénatrices, car votre rôle de législateur est de faire évoluer les textes de loi dans l'intérêt même des collectivités locales.
Pour vous donner brièvement mon sentiment, avant de laisser s'exprimer mes collègues élus locaux, je vous dirai que la France est très diverse. Je demande donc au législateur de permettre et surtout de ne pas interdire et de ne rien obliger. On peut penser ce que l'on veut au sujet des lois sur les intercommunalités, on peut notamment regretter les fusions effectuées - auxquelles je m'étais opposé - mais désormais cela est fait. Comme pour les compétences eau et assainissement, il est trop tard pour revenir en arrière. Nous avons déjà dans la région un syndicat d'eau et assainissement qui rend tout recul impossible. Nous n'en aurions de toute façon pas le temps, le 1er janvier 2020 étant déjà demain matin. Le problème n'est pas de regretter ce qui a été fait mais de vivre avec son temps et surtout de nous laisser des marges d'initiative qui nous permettront de continuer dans l'intérêt de nos populations. Je répète cette phrase de Pompidou, que je trouve extraordinaire : « arrêtez de les emmerder, laissez-les vivre ». Les élus locaux qui vont s'exprimer vous le diront, notamment le président du conseil départemental, auteur d'initiatives intéressantes sur l'aspect médical de ce département, en étant parfois à la limite de la légalité. Mais cette latitude laissée permet aujourd'hui de servir d'exemple au niveau national.
Dans notre petite commune, qui compte 1 700 habitants, le transfert des compétences s'est assez mal passé ; nous sommes seulement en train de nousen remettre. Cela tient également à l'exécutif actuel.
J'ai été élu maire en 2008. À l'époque, il n'existait que quelques compétences majeures, comme les déchets ou l'économie. En 2008, le nouveau président de l'agglomération a décidé d'un transfert de compétences pratiquement total, dépossédant les maires des communes de leur « pouvoir ». Vous avez dû entendre cette ritournelle en beaucoup d'endroits. Je me suis opposé à cela, objectant qu'allait survenir un problème économique majeur, au-delà de la destitution des maires et de leur rôle. Nous ne pouvions pas développer une intercommunalité dont le nombre de salariés allait augmenter significativement, cela aurait entraîné une hausse de la masse globale des charges, alors que dans nos petites communes nous devions évidemment conserver l'ensemble de nos travailleurs et collaborateurs. Nous avons été pris dans cette dualité économique entre devoir payer au Grand Chalon une espèce de dîme pour la prise de compétences et la nécessité de conserver les salariés dans nos collectivités.
Cette situation a perduré quelques années, jusqu'à ce qu'arrive la loi NOTRe. Aujourd'hui, dans notre petite commune, nous avons divisé nos effectifs par deux, ne pouvant plus assumer les différentes charges financières. Il est évident que nous ne pourrons pas revenir en arrière maintenant.
Un deuxième point qui me semble important est la nécessité de figer les choses. Vous l'avez dit, Monsieur le Président, les lois se succèdent. Pour autant, les élus doivent être en capacité d'analyser et de comprendre ces lois. Les lois ne peuvent plus continuer à changer pour des maires qui sont en charge de gérer des problèmes locaux. J'avais dit à un ministre à l'époque que nous ne demandions qu'une seule chose : ne changez plus les lois ! Nous avons compris leur fonctionnement, et adapté nos collectivités en parvenant enfin à un équilibre financier car nous avons refusé d'augmenter les impôts.
J'étais d'ailleurs assez partisan du transfert d'un socle commun de compétences et que, derrière, chaque collectivité puisse adhérer à une compétence donnée. Le transfert de la compétence eau et assainissement au Grand Chalon va coûter plus cher aux habitants de notre commune pour quelque chose que nous ne gérons pas. Si on nous avait laissé le choix de prendre la compétence générale ou de ne pas la prendre, nous aurions conservé la compétence eau, comme nous avions un syndicat mixte local d'une dizaine de communes parfaitement opérationnel. Il n'y a pas suffisamment de souplesse mais nous faisons avec les rigidités qui existent.
Je voudrais dire deux choses sur la question des intercommunalités. La première, qui a marqué les esprits, concerne le schéma départemental de coopération intercommunale achevé en 2016. Nous avions quand même l'impression qu'il existait « une course » des préfets pour mettre en place de grandes intercommunalités, en Saône-et-Loire comme ailleurs. Résultat, dans notre département, nous avons 19 intercommunalités pour 550 000 habitants, et je pense donc qu'il y a pire.
Néanmoins, à écouter nos collègues, tout cela ne fonctionne pas correctement partout. En certains endroits, avec l'idée de faire des territoires assez grands sans aller jusqu'au XXL, les périmètres ne correspondent pas à un bassin de vie. Des communautés de communes ont été associées de manière artificielle et les gens ne sont pas contents de travailler ensemble, n'ayant pas assez de choses à partager. Cela se traduit par de l'absentéisme au conseil communautaire - je n'ai pas vu certains de mes collègues depuis deux ans. Bien sûr, les situations ne sont pas uniformes mais un certain nombre de territoires ont été mal dessinés.
Au-delà des questions de périmètre, la gouvernance intercommunale pose problème. Le conseil des maires n'existe pas partout, alors qu'il s'agit de la première instance pour que les petites communes puissent s'exprimer plus facilement qu'au sein de grandes assemblées.
Sur les compétences, les lois successives ont imposé des transferts automatiques ou des transferts avec droit d'opposition, que ce soit la loi ALUR, la loi NOTRe ou, plus récemment, la loi eau-assainissement. Je ne suis pas spécialiste en droit constitutionnel mais on peut s'interroger sur la place de la liberté communale avec les transferts obligatoires, les libertés encadrées ou les libertés provisoires.
Tout cela génère une certaine résignation chez les élus, car les choses leur échappent, ce qui ne motive pas les équipes municipales. J'ajoute qu'aucune étude ne montre que le niveau intercommunal soit plus adapté. L'assainissement repose sur des systèmes locaux, et il n'est pas évident que l'intercommunalité les gère mieux. Heureusement, le conseil départemental fonctionne très bien et nous vient en aide. Pour l'eau, les périmètres des communautés de communes ne sont pas calqués sur ceux des bassins.
Je suis président d'une communauté de communes rurale de 8 000 habitants, principalement orientée vers l'agriculture et l'élevage, plus deux communes dans le domaine viticole.
Nous vivons assez bien la loi NOTRe car la communauté de communes est composée de communes rurales habituées à travailler ensemble. La fusion s'est donc faite assez naturellement. La communauté de communes a pratiquement toutes les compétences, dont celle de l'assainissement depuis pratiquement vingt ans, et nous nous interrogeons sur la compétence de l'eau potable avec une délibération dans ce sens à l'horizon 2021.
Nous espérons toutefois ne pas avoir de nouvelle loi NOTRe qui viendrait détricoter ce que nous venons de mettre en place depuis plusieurs années et qui correspond à nos besoins. Ce qui nous choque, c'est l'abandon des services publics de proximité dans nos territoires. Nous venons d'apprendre encore subitement la fermeture d'une trésorerie dès l'année prochaine. Cela pose des questions de sécurité liées aux nombreux paiements opérés en argent liquide.
Au niveau de l'urbanisme, nous sommes dotés depuis plusieurs années d'un PLUI (plan local d'urbanisme intercommunal) qui fonctionne bien. Nous bénéficions encore d'une dérogation et l'État instruit nos permis de construire. J'ignore jusqu'à quand pourra être maintenue cette exception pour les communautés de communes de moins de 10 000 habitants, mais cela nous satisfait.
La conférence des maires consiste en une réunion de bureau mensuelle avec l'ensemble des seize maires de la communauté de communes, dont le fonctionnement est « familial ». Nous souhaitons que cela reste ainsi, sans nouveau bouleversement, notamment pour notre volet « petite enfance », particulièrement développé, avec entre autres un centre communal d'action sociale assez important. Nous gérons également 420 kilomètres de voirie communautaire.
L'autre point important est le maintien de notre territoire en zone de revitalisation rurale (ZRR). Nous sommes en zone dérogatoire jusqu'au 1er juillet 2020 et souhaitons, bien sûr, que ce dispositif ZRR soit pérennisé sur notre territoire au-delà de 2020. Les aides sont importantes pour l'ensemble des habitants, pour les communes, pour les droits de cession et pour les industriels.
J'ai bien entendu cette idée de stabilité et de visibilité. Le manège des lois fait que l'on passe beaucoup de temps à s'organiser et à s'entendre, et peu de temps à agir et à faire, ce qui devient une vraie difficulté. Nous savons toutefois qu'il y a des endroits où l'organisation a été moins concluante que chez vous, et qu'il faut trouver un peu de souplesse.
J'ai également saisi que les compétences devaient être facultatives. Il faut donner les outils et non interdire. Nous avons beaucoup porté cette question autour des sujets eau et assainissement.
Je retiendrai aussi le dialogue très positif et fructueux qui existe entre la ville, cette grosse centralité qu'est Mâcon, et les communes périphériques, avec une capacité à contractualiser sans forcément un cadre législatif.
J'aurai quelques questions à vous poser. Avez pu élaborer des pactes financiers entre communes, et de quelle nature ? Est-ce pour vous une nécessité ? M. le maire de Mâcon évoquait les fonds de concours. Il existe également des dotations de solidarité et des dotations de compensation.
La deuxième question porte sur le périmètre, parfois XXL, des intercommunalités, déterminé par les préfets. Aujourd'hui, les périmètres sont soumis aux avis de la Chambre de commerce et d'industrie et du préfet. Pensez-vous qu'en cas de mouvement de ce périmètre, le préfet doive obligatoirement trancher ou pas ?
Vous avez aussi parlé de la gouvernance, avec le conseil des maires pour associer les élus. Avant la fin du mois d'août, les communautés doivent trouver un accord sur l'organisation du conseil communautaire. Allez-vous prendre la règle du droit commun ou va-t-il y avoir un accord local pour vous adapter ?
Enfin, s'agissant des communes nouvelles - sur lesquelles j'ai beaucoup travaillé -, sujet que j'appelle une pépite de liberté dans un océan de contraintes : est-ce qu'à un moment vous envisagez, pour simplifier les choses et conserver l'attachement des conseillers municipaux, de permettre aux communautés de communes de devenir des communes nouvelles tout en gardant le double statut avec un conseil unique, comme la loi devrait le rendre possible dans quelques mois ?
Nous avions effectivement réfléchi, à un moment, à transformer la communauté de communes en commune nouvelle, mais sans plus creuser la question pour l'instant. Pour éviter de favoriser les bourgs-centres, nous avons instauré l'accord de droit commun et avons trois délégués pour chacun des quatre bourgs-centres et toutes les autres communes ont un délégué. Les disparités étaient trop importantes sinon.
Nous n'avons pas pu conclure de pacte financier en raison des différences de richesse considérables. Nous avons donc préféré opter pour les fonds de concours avec des paliers. En ce qui concerne la représentativité, compte tenu de la diversité des tailles des communes, il est impossible de trouver un système qui corresponde aux directives du Conseil constitutionnel. Ce sera donc une application stricte de la loi.
Je pense qu'il faut laisser aux communes la liberté de retoucher les périmètres des intercommunalités par des accords sur le terrain. Il ne faut pas de nouveau schéma avec le préfet à la manoeuvre.
Au sujet des communes nouvelles, si cela est un exercice de liberté sans l'imposer, nous y sommes tout à fait favorables. Parfois, cela fonctionne bien immédiatement mais, d'autres fois, cela met plus de temps à se mettre en place, sans échec patent en Saône-et-Loire.
Sur les pactes financiers, on y trouve son compte mais cela reste de l'optimisation fiscale. Tous les dispositifs ne sont pas des dispositifs de liberté mais cela pousse à réaliser certains transferts de compétence, de fiscalité uniquement dans cette optique d'optimisation.
Vous souleviez la question de la compétence économique complètement gérée par l'agglomération. Cela crée de manière naturelle une aspiration de la ville-centre et de l'agglomération du développement économique. Je prends l'exemple d'une petite usine qui va s'installer dans une petite commune, à 10 km de Chalon. Aujourd'hui une disposition du Grand Chalon l'en empêche, si les négociations échouent, et elle devra s'implanter dans une zone d'activité de l'agglomération. Il existe donc un risque de dévitalisation du tissu économique rural avec en outre des compétences généralement déléguées à la commune centre.
J'ai une remarque sur l'un des effets induits par la carte intercommunale. Contrairement à d'autres départements, notre carte intercommunale est composée à la fois de grosses, de moyennes et de petites structures. Une des conséquences de cette restructuration est d'avoir rendu difficile la production de projets par les territoires.
Cela s'explique par deux raisons principales : l'instabilité dans le calendrier et, à certains endroits, le déficit d'ingénierie. Il existe certes des structures départementales d'ingénierie extrêmement précieuses pour les territoires mais on constate en certains endroits une recentralisation de l'ingénierie sur les grosses structures communales et un déficit de péréquation avec les autres.
Tous les projets ne sont heureusement pas arrêtés mais ce manque d'expertise pour les petites communes rend les choses plus difficiles.
Je viens du département du Nord où énormément de communes, notamment les petites, ne se retrouvent pas dans les agglomérations. Je pense que si nous voulons faire venir de grosses sociétés sur le territoire français, il faut une vision globale. Un petit maire d'une petite commune ne peut pas gérer ces structures à lui tout seul.
Il faut certes une vue d'ensemble mais les gros mastodontes gèrent tout et le maire n'a plus de place. Par exemple on fait des transferts sur l'habitat mais, d'autre part, on supprime, involontairement certes par la force des choses, les commissions d'attribution de logements. Ces questions sont vues en globalité par l'agglomération et non par le maire sur son territoire. Je pense qu'il faudrait un juste milieu.
L'assainissement n'est pas seulement lié à la loi NOTRe. Beaucoup de syndicats ont un mode de gestion totalement différent. Aujourd'hui, avec la loi NOTRe, on impose à certaines structures de fusionner au 1er janvier 2020. Or cela va avoir un impact sur la population avec un risque d'augmentation des prix lié à la fusion. Il est donc très difficile aujourd'hui de s'y retrouver pour un maire de commune, quelle qu'elle soit, et de se confronter à la population, qui va donc s'adresser au premier interlocuteur sur le territoire, à savoir le maire.
Avant de passer la parole au président du conseil départemental qui vient d'arriver, je vais rappeler le cadre de ce déplacement. Nous venons ici à Mâcon, comme nous le faisons parfois dans d'autres départements à travers les travaux de la délégation, pour vous auditionner et saisir très concrètement la manière dont vous percevez les rigidités des différentes récentes réformes territoriales.
Autant nous ne sommes pas favorables à une instabilité législative que personne ne souhaite, autant à partir du moment où le Gouvernement, le Président de la République évoquent de possibles ajustements - que nous-mêmes demandions dans nos différents travaux depuis un certain temps déjà, toutes sensibilités politiques confondues -, nous voulons confronter notre expertise sur le diagnostic sur ce qui se digère tant bien que mal et ce qui reste à faire.
Nous sommes dans un monde où il y a quelques années il était question supprimer le département ; nous nous souvenons encore des paroles de Manuel Valls à l'époque. Moi qui n'ai pas, à titre personnel, une fibre départementaliste, je fais partie des gens qui à un moment ou à un autre se sont posé la question de la place du département dans ce mille-feuille. Mais je fais aussi partie de ceux qui pensent que le département a encore sa place dans le dispositif, en tant qu'échelon de proximité pour un certain nombre de compétences, qu'elles soient de nature sociale au sens large, de SDIS ou autre voire de compétences encore plus spécialisées.
Je vous remercie de vous intéresser d'aussi près, et sur notre territoire, aux situations locales, notamment ici où le département a toute son importance.
En Saône-et-Loire, nous avons la chance extraordinaire de ne pas avoir de métropole. Cela nous offre la possibilité de travailler au sein du territoire de manière homogène. Je rejoins d'ailleurs les interventions précédentes sur le non-aboutissement de ces mariages forcés de communautés de communes. J'en ai vécu. On a passé des jours, des mois et des années à régler les problèmes administratifs. Ce temps, vous ne le passez pas sur le futur. D'aucuns, en Saône-et-Loire, ont même décidé de retarder la fusion et elle risque d'attendre encore un moment. La perte de temps et d'énergie était telle qu'aujourd'hui je me battrais pour que cela ne se fasse pas. Le mariage de trois communes pauvres a fait que nous disposons maintenant de moins de moyens qu'auparavant.
Je partage un peu l'effet d'aspiration. On peut comprendre que, lorsqu'il y a des aménagements pour attirer des locomotives économiques, les communes d'à côté peuvent le regretter. Il faut que l'ascenseur aille dans les deux sens et que les communes puissent conserver un peu de vie économique dans leur territoire.
La Saône-et-Loire est le sixième plus grand territoire de France. Lorsque vous menez des réflexions sur l'aménagement du territoire, il ne faut pas imaginer quelque chose d'uniforme, comme cela avait été fait il y a quelques années. Ce qui est vrai pour la métropole de Lyon ne l'est pas chez nous. En effet, très vite, la notion de mobilité devient importante. Dans notre département, il n'y a pas une terre où la moitié de la population vivrait dans des conditions confortables avec l'ensemble des services et tous les autres qui seraient délaissés. Notre conception de l'aménagement du territoire dans notre département repose sur l'équilibre. Nous nous efforçons d'être présents partout, bien que ce ne soit pas facile.
À l'époque, avec les grandes régions, l'idée était de supprimer les départements. Heureusement qu'ils existent encore. Si le département de Saône-et-Loire avait été supprimé et que tout se décidait à l'échelle de la région, cela aurait été dramatique. Nous ne nous limitons pas à l'aspect social : nous traitons d'économie, d'aménagement du territoire, de la voirie, nous sommes maîtres d'oeuvre. C'est le département en Saône-et-Loire qui réinstalle des médecins et non les régions !
Le département a la proximité adaptée avec les maires. Quand j'ai fait un appel pour créer mon centre départemental de santé, tous les maires m'ont fait un chèque en blanc. J'ai lancé l'idée au mois de juin 2017, puis j'ai écrit aux maires pour obtenir une mise à disposition de locaux si je parvenais à recruter les médecins. Tous m'ont répondu favorablement car, par cette proximité, nous pouvions construire les choses ensemble. Je suis donc très attaché au département et ce n'est pas en supprimant une entité que vous supprimerez les frais.
Le Président de la République est venu à Autun dans le cadre du Grand débat. Je n'ai pas été critique mais j'ai simplement insisté, par rapport à la loi NOTRe, sur la nécessité de faire confiance aux acteurs du territoire. J'ai cité plusieurs exemples où j'ai été contraint d'agir hors du champ de cette loi. J'ai pris quatre exemples : le centre départemental de santé face à la désertification médicale alors que je n'avais pas cette compétence mais que j'avais les médecins. Sur la question des agriculteurs, je suis également passé outre. On a voulu m'empêcher de régler les problèmes liés à la sécheresse car relevant de l'exploitation d'une entité économique. J'ai donc contourné la loi en créant un dispositif « pré-donneur » permettant de donner une somme à taux zéro à chaque exploitation sur dix ans, pour éviter que les agriculteurs se retrouvent coincés pour acheter des aliments. Dans une terre d'élevage avec 1 300 exploitations, heureusement que nous l'avons fait. Nous avons fait appel à une association en lui donnant les fonds nécessaires - 13 millions d'euros - et en lui confiant la gestion des emprunts qu'elle a mis tout de suite à disposition... alors que la loi l'interdisait.
Il existe d'autres exemples. Avec la région, nous étions intervenus sur une entité qui n'était pas la nôtre : la Route Centre Europe Atlantique (RCEA), qui est une entité d'État. Nous avons travaillé main dans la main avec l'ensemble des élus pour faire pression alors que, là encore, ce n'était pas notre compétence.
La loi NOTRe souffre donc d'un manque de souplesse et si on ne franchit pas cette ligne, comme je l'ai fait plusieurs fois, on n'est pas en capacité de répondre aux attentes du territoire.
Sur ce point précis, nous comprenons vos propos et sympathisons car telle est la réalité des territoires, vous n'êtes pas le premier à nous le dire. Néanmoins, lorsque les questions concernent également la région dans sa compétence économique, l'avez-vous fait de votre propre chef, ce qui est bien, ou avez-vous procédé en bonne intelligence avec l'échelon régional, voire en optimisation par une démarche partagée ?
Comment le contrôle de légalité de la préfecture a-t-il accepté le mandatement que vous avez effectué sur le système du « pré-donneur » en dépit de la nécessité à laquelle vous étiez confronté ?
Nous l'avons fait en complément avec la région. Pour obtenir la légalité de la procédure, un audit de chaque exploitation était indispensable. Nous sommes donc rentrés sous cette bannière de l'accompagnement social. Nous avons trouvé ce véhicule juridique, ce biais, en collaboration avec la région, qui mène les audits. Chaque exploitant ayant contracté un prêt a donc été audité. Nous avons pu le faire car il s'agit d'une compétence partagée avec la région. Néanmoins nous avons perdu beaucoup de poids sur l'agriculture.
Pour la santé, j'ai agi sans la région. Depuis lors, la loi a évolué et les départements ont le droit, depuis mai 2018, d'établir des centres de santé et de porter ces questions. J'ai reçu trente-cinq départements pour voir comment de telles initiatives peuvent se construire.
Je ne demande toutefois pas que ce qui est fait en Saône-et-Loire soit appliqué ailleurs, je souhaite juste suffisamment de souplesse afin d'être réactif face à une problématique posée. Pour les médecins, je ne pouvais pas attendre que les dispositifs viennent de l'État. Or notre population est vieillissante, notre département a la moyenne d'âge la plus élevée de la région. En 2015, j'ai constaté que sur dix médecins partis, un seul était remplacé. En 2018, 50% des médecins généralistes étaient en âge de prendre leur retraite. C'est pour cette raison que j'ai dû agir vite et faire cavalier seul. Cependant, tous les acteurs de la santé et les élus du département ont travaillé sur le dispositif. Mais je n'ai pas fait appel aux autres collectivités.
J'ai aussi voulu le faire à marche forcée tout simplement pour montrer, comme je l'avais dit au Président de la République, qu'il faut faire confiance aux acteurs locaux car sur des mesures simples, différentes de celle proposées par la loi NOTRe, nous sommes en capacité de répondre concrètement et de réussir.
Je trouve la démarche très intéressante. Nous avons évoqué au cours du déjeuner le rôle des agences que l'État a créées et sur lesquelles les préfets peuvent ne pas avoir la main. Dans votre démarche, comment avez-vous travaillé avec l'agence régionale de santé (ARS) ? Vous a-t-elle suivi ? Laissé faire ? Contré ?
J'ai eu la chance de rencontrer un directeur de l'ARS très ouvert lorsque je lui ai exposé mon projet. J'ai réalisé un travail de terrain pendant un an et demi avant de présenter cette idée, qu'il a tout de suite approuvée. J'ai eu un soutien complet et total depuis le début, et notamment lors de la présentation publique de la part de l'ARS.
J'ai également pu compter sur la caisse d'assurance maladie, qui en plus cautionne financièrement mon dispositif. Il y a eu une approbation collective de l'ensemble des acteurs régionaux et locaux ainsi que de toutes les institutions participant à ce projet.
Nous avons parfois la chance de travailler avec des gens intelligents. En outre ces personnes traitent de questions de santé particulièrement complexes et passent leur temps en première ligne sur le terrain, avec des fermetures et des élus locaux à bout. Quand un interlocuteur avec la surface d'un département se propose, il faudrait être obtus pour ne pas s'allier. Ce n'est toutefois pas toujours le cas.
Cela a été vrai pour l'ARS comme pour l'assurance maladie, mais cela n'a cependant pas été vrai à tous les niveaux. Aujourd'hui, tout peut paraître simple et merveilleux, mais il s'est trouvé quand même beaucoup de personnes pour me savonner la planche, avec un esprit très régalien et répétant que cela n'était pas le rôle du département.
Sur ce sujet par exemple et sur d'autres, du point de vue communal, comment percevez-vous aujourd'hui le département ? Est-ce une survivance avec la possibilité d'avoir un fusible ou un soutien ? Est-ce un empêcheur de se déployer ? Ou bien, dans un monde complexe et difficile, un partenaire indispensable ?
Dans un département sans métropole, un département rural, avec 500 communes sur 565 de moins de 2 000 habitants, le département s'avère essentiel en matière de soutien. Sur les questions d'eau et d'assainissement, un service dédié au contrôle de la qualité de nos systèmes locaux nous assiste.
Afin de pallier le manque d'ingénierie pour développer certains projets, le département offre l'appui d'un service technique, auquel j'ai eu personnellement souvent recours. Il faut expliquer aux maires que ce service existe et qu'ils peuvent y faire appel. On insiste toujours pour que ce service soit maintenu avec des effectifs suffisants, pour l'instant sans aucun problème.
Pour d'autres sujets, comme le système d'aide aux projets communaux, qui existe, j'imagine, dans d'autres départements, l'aide du département est appréciée. Les petits projets sont pris en compte sans seuil minimal dans l'appel à projets, et sont souvent subventionnés.
Dans un département comme celui-là, la structure départementale est donc indispensable et, sur les exemples que je viens de citer, je ne me vois pas remonter les dossiers à l'échelon régional.
Je voudrais rebondir sur les propos d'André Accary, qui a une volonté indéfectible tout simplement parce qu'il possède une remarquable connaissance du terrain dans un département très grand mais avec une proximité au moins aussi grande. Cette proximité et la confiance qui s'est établie ont permis de faire aboutir notamment le dossier des maisons médicales. Cela n'a pas toujours été commode, par exemple avec le conseil de l'ordre, mais la volonté a fait que les barrières se sont effondrées. Il y avait un réel besoin et donc la nécessité d'une réponse pratique et pragmatique.
S'agissant des intercommunalités, elles fonctionnent bien quand il y a une gouvernance qui fait confiance et qui promeut les échanges entre les divers élus. Les énormes intercommunalités, avec une grande ville-centre et de toutes petites communes autour, rendent bien sûr les choses plus difficiles que lorsqu'il existe déjà une harmonie dans la taille des communes. La notion d'échange est primordiale. Chacun doit trouver sa place, qu'il soit élu ou technicien. Fréquemment, les secrétaires de mairie ou les directeurs généraux des services (DGS) ont du mal à se positionner à l'intérieur d'une intercommunalité. L'intercommunalité ne doit pas être la supra-communalité, comme on peut quelque fois la vivre. C'est un outil au service des communes pour faire avancer un territoire et un projet commun.
Les départements se justifient encore plus aujourd'hui alors que les grandes régions ont été créées. Nous avons déjà des difficultés à identifier qui fait quoi. Si la politique sociale du département était faite à Besançon, on ne s'y retrouverait pas. Je considère que le département est à la fois assez éloigné des gens pour faire de la politique mais assez proche pour que cette politique soit humaine et, dès qu'on est dans le domaine social, l'humain devient nécessaire.
Lorsqu'un problème survient, il remonte par les maires et l'intercommunalité au niveau du département. La solution la plus rapide ne peut être trouvée que par le département. Nous l'avons vu avec la sécheresse, avec les médecins et demain je serai d'ailleurs partisan de rétablir la compétence générale sur les départements - je ne suis pas très régionaliste. Dans le cas récent d'une catastrophe naturelle, la grêle dans la Drôme, quelle est la seule collectivité qui a la taille financière, la taille administrative pour pouvoir agir ? C'est le département. Si on applique la loi au sens strict, à part sur l'aspect social, le département ne peut pas intervenir. Or chacun comprend bien que les agriculteurs sur place ont besoin d'une réponse rapide. Ils ont des salaires à verser. Je suis donc favorable à ce que les départements, dans certains contextes particuliers, retrouvent leur compétence générale.
C'est un vrai débat. Je suis plus nuancé sur ce dernier point, non pas sur les arguments de bon sens qui viennent d'être développés. Cela ne me gênerait pas dans un contexte où la guéguerre entre les niveaux de compétence supérieurs ne risquerait pas de ressurgir en permanence.
On peut mettre en place des garde-fous juridiques mais ce que je souhaite pour mon pays c'est que, lorsqu'un problème surgit, il puisse être réglé le plus rapidement possible avec le maximum d'efficacité et au coût le plus faible. Les coûts de fonctionnement finissent par excéder la subvention versée. Nous ne disposons pas de la compétence générale et les intercommunalités ne souhaitent pas l'avoir. Quelle est la seule entité qui peut l'avoir, à part le département ? Il existe effectivement des soucis de représentation, aussi avions-nous envisagé l'idée d'un conseiller territorial pour servir d'intermédiaire. Mais aujourd'hui je trouve qu'il est dommage de se priver du département alors que le système de binôme des conseillers départementaux permet de couvrir un champ plus large que les conseillers régionaux, généralement plus urbains que ruraux. Ils sont plus hors sol et représentent généralement davantage les formations politiques que les conseillers départementaux.
Il faut donc conserver le département et je le garderai avec plus de compétences, quitte à modifier le système électoral, ce qui est un autre débat.
J'essaie de partir de l'axiome que nous partageons, à savoir l'efficience de l'action publique, c'est-à-dire permettre que les questions soient réglées au niveau le plus pertinent et le plus réactif. Cela pose aussi la question de l'État qui nous demande de nous réformer mais qui devrait aussi examiner son champ de compétences.
On voit bien que la France est une mosaïque de territoires, comme vous l'avez dit. Concernant l'espace départemental, si nous voulons avoir de l'efficacité et de l'articulation dans l'action publique, je suis intellectuellement favorable à ce que les départements ne soient plus basés sur des cantons mais qu'ils soient une sorte de parlement des intercommunalités. Cela encouragerait la solidarité entre les territoires et permettrait une complémentarité d'action.
Je serai favorable à une forme de territorialisation de l'action publique à l'échelle régionale et non pas au niveau du conseil régional. Il faut que nous puissions décider au niveau de la région de qui peut faire quoi. Nous devons tailler un habit sur mesure et il doit descendre au niveau territorial. Vous avez un besoin très fort de département et je l'entends. D'autres territoires nous disent que le département n'est pas l'échelon de prédilection.
Ces questions ont beaucoup de sens mais il faut éviter une bataille du qui fait quoi. Il faut laisser les élus locaux tranquilles. Il faut donner de l'oxygène sur certaines actions mais ne pas recommencer « le grand soir » sinon on fera à la fois plus rien et que ça. Je pense qu'il faut maintenant nous laisser un peu de temps pour que nous puissions bien installer les fondations des organisations que l'on nous a forcés à établir, certaines appréciables et d'autres beaucoup plus discutables.
Sur la question de l'échelle, chaque région a effectivement ses particularités. Dans la région Bourgogne-Franche-Comté, nous avons des territoires vraiment très différents. Il s'agit d'une terre à la fois industrielle et d'élevage, et les problématiques ne seront pas du tout identiques sur le territoire de Belfort ou ici. Cela étant dit, je suis très ouvert à une réflexion quant à l'échelle la plus pertinente.
Je suis, en revanche, très attaché au mode d'élection qui donne aux élus départementaux une vraie entité et une vraie légitimité. Ils sont connus, reconnus et cela doit rester. Chez nous, en Saône-et-Loire, il me semble que l'on dénombre dix-huit ou dix-neuf EPCI de 4 600 à 110 000 habitants. Aussi, abandonner les cantons risquerait de recréer une représentativité déséquilibrée, alors qu'aujourd'hui ici le système fonctionne. Nous avons des cantons de 20 000 habitants et on risque de ne pas pouvoir retrouver cette homogénéité avec les communautés de communes. Nous avons en plus une parité et notre maillage permet d'avoir tous ces éléments positifs dans la gouvernance du département.
Il nous faut donc un peu de temps pour solidifier certaines choses. J'échange beaucoup avec les élus et ce qui est demandé n'est pas tant un grand changement qu'un peu d'oxygène et de liberté. Quand vous comparez les dispositifs agricoles fournis par le département, la région et l'État, le département a pu rendre immédiatement disponibles les fonds, à hauteur de treize millions d'euros. La région a voté une enveloppe pour une intervention financière pouvant aller au maximum jusqu'à cinq cents euros par exploitation. En outre, seulement 20% de l'enveloppe a été distribuée. L'idée n'est pas de critiquer bêtement la région, mais c'est devenu une entité si lourde que toute décision traîne en longueur, et plus encore pour l'État.
Aujourd'hui, le premier financeur pouvant être immédiatement sollicité est le département. Je demande donc simplement qu'il puisse, dans une situation particulière, intervenir tout de suite comme il en est capable. Il serait absurde de ne pas en profiter alors que nous bénéficions de l'ingénierie et des équipes adaptées. Toute l'infrastructure permet cette réactivité.
Concernant les départements, quelles sont leurs relations avec les intercommunalités et l'agglomération sur le volet social, avec les mutations, l'installation de certains établissements et les transformations ? Ce domaine semble devoir être de plus en plus difficile dans les années à venir.
Je pense que nous avons plutôt une bonne coopération. En tant que président de département, mon rôle n'est pas de dire aux communes et aux intercommunalités ce qu'elles doivent faire ; nous essayons de travailler en bonne intelligence. Sur le champ social, nous allons renforcer certains secteurs, notamment sur les agglomérations du fait des évolutions de la vie.
Tout ceci s'effectue en pleine coordination avec les différents services, des villes comme des intercommunalités. Mon seul problème tient à la désorganisation de certains territoires sur le champ social. J'en parle d'autant plus librement qu'un de ces territoires est celui où j'habite. Je dialoguais récemment avec une communauté de communes dotée de la compétence sociale. Lors de la fusion, je pensais que l'intercommunalité, avec ses services, allait pouvoir en faire davantage, par exemple en aidant les petits villages. Mais le service social à l'échelle intercommunale a disparu et est revenu à l'échelon communal. Voilà qui constitue un problème pour le département : au lieu d'avoir un seul interlocuteur, j'en ai 45 !
Ce n'est pas une critique à l'égard des élus locaux, mais dans les territoires assez ruraux tels que la Saône-et-Loire, on pourrait être plus efficace dans certains secteurs.
La transformation d'un territoire en passant par les agglomérations de plus en plus importantes et anonymes m'évoque ce que j'ai vécu dans le domaine de l'industrie. J'ai connu une approche très centralisée de l'informatique puis l'internet est arrivé et chaque terminal était considéré comme un terminal actif. On a ensuite mis ces intelligences en réseau afin de créer une intelligence collective, pour déboucher dans le futur sur le numérique, le digital, puis l'intelligence artificielle.
Le réseau des élus des 36 000 communes a été une force en France. En effet, ces 36 000 intelligences étaient en quelque sorte mises en réseau, surtout par les départements car les régions n'existaient pas sous leur forme actuelle. J'ai l'impression que quelque chose s'est cassé. Les maires ont été dépossédés de certains pouvoirs et, ils ont beau être intelligents, cela ne mènera guère loin s'ils ne peuvent rien faire. Les pouvoirs ont été concentrés autour de collectivités de plus en plus grandes, qui deviennent de plus en plus anonymes vis-à-vis des citoyens.
Essayons de redonner les pouvoirs aux maires ! Ce sont les plus à même d'apporter une forme d'intelligence et de proximité à leurs concitoyens. Sans faire de flagornerie, nous avons en Saône-et-Loire un conseil départemental très efficace et qui permet, à travers ces doubles élus dans chaque canton, de conserver cette proximité en péril. Le président du Grand Chalon compte sous sa responsabilité 120 000 personnes. Comment recréer de la proximité ? Cet éloignement crée des problèmes, tels les « gilets jaunes » qui ne se sentent pas écoutés, illustrant la cassure entre les hommes politiques et les citoyens ? À travers les agglomérations, les liens continuent à être coupés.
Un gros travail reste à faire pour redonner confiance après le long moment de détricotage de la commune par les différentes lois et les différents dispositifs. Le coup d'arrêt a été donné et un projet de loi se prépare pour redonner confiance en et aux élus locaux. Mais l'effort à fournir pour redonner confiance demeure important, notamment celui de refuser la fin de la commune.
Dans ma communauté de communes, un partenariat s'est noué avec le département avec un centre social départemental dédié à la communauté de communes, et cela fonctionne très bien. Ce lien me semble incontournable avec toujours la nécessité de maintenir un lien pour les questions d'aide sociale avec les maires des communes concernées.
Je trouve que la France aime à se compliquer la vie. On a la région très agrandie, le département collectivité de proximité,... Je trouve que nous avons bien compliqué les choses avec les agglomérations et les communautés de communes. Les maires ont été privés de nombreuses prérogatives et ceux-ci ne se sentent malheureusement plus aptes à réagir aujourd'hui. Ne croyez-vous pas qu'il faudrait remettre de la logique ? Nous ne savons plus qui fait quoi. Peut-être que les agglomérations et les communautés de communes n'étaient simplement pas la bonne idée ? Il faut remettre chacun à sa place et revoir les priorités. Quand nous voyons un département qui doit en son sein gérer des communautés de communes, aux compétences toutes différentes, cela devient quand même assez complexe.
Je trouve votre initiative très louable, Monsieur le président de département. Vous vous êtes soucié de votre territoire.
Je suis d'accord avec vous, mais à un moment donné l'impatience me gagne. L'initiative, dans le cas des médecins, est née d'un ras-le-bol d'assister à des « réunionites » sur la désertification médicale. Rien ne bougeait. Face à l'inaction, a fortiori sur des questions cruciales, voir vitales pour un territoire, il faut agir.
Je demande la fin de la double gouvernance pour les Établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD). Je souhaite bien sûr être soutenu par l'État et l'ARS, et mon dossier avance. Mais cette double gouvernance est insupportable. Personne n'est responsable. J'espère donc récupérer la compétence entière. Il nous faut une vision d'aménagement à quinze ans, vingt ans, vingt-cinq ans.
Aujourd'hui, l'égalité qu'on nous oppose n'existe pas. Je demande la simple possibilité d'un essai sur quelques mois. Simplifier la gouvernance est nécessaire pour éviter les incohérences. Les doubles commandements sont contreproductifs. Dans un second temps, il faut se mettre d'accord sur qui commande quoi ; je pense à l'échelle départementale, qui permet de travailler avec l'ensemble des élus locaux de manière responsable.
Il faut beaucoup plus tenir compte de la spécificité de chaque territoire et nous pourrons avoir alors quelque chose qui se tienne et qui soit en même temps un peu homogène. Sans rentrer dans une opposition entre l'urbain et le rural qui n'a pas de sens, nous sommes obligés d'aller demander au département et à la région pour obtenir des financements pour des structures d'État alors qu'ils arrivent directement et très facilement dans les métropoles. L'État ne finance même pas ses 200 kilomètres de routes quand, de mon côté, je dois gérer plus de 5 000 kilomètres de routes départementales. Cela n'existe pas dans les métropoles. Je vous demande donc à vous, parlementaires, d'avoir un regard attentif sur l'équité des territoires et sur la prise en compte des spécificités des territoires ruraux et urbains. Enfin j'aimerais que les règlementations nationales aient une vraie souplesse en fonction des territoires. Il faut plus de justice dans les financements et plus de simplicité dans les gouvernances. Nous avons les solutions pour le faire.
Je soutiens tout à fait les observations du président du conseil départemental. Je suis maintenant président du conseil de surveillance de l'hôpital de Mâcon et non plus du conseil d'administration. Cela est une grosse erreur. Nous n'avons plus aucun pouvoir. Nous avons connu une grève aux urgences et ils sont venus me voir. En tant que président du conseil de surveillance, je ne peux être d'aucune utilité. Je dois valider les directives et les informations qu'on me donne par l'intermédiaire des ARS, ce qui complique d'autant les questions des urgences et des travaux.
Aujourd'hui, dans l'hôpital de Mâcon, il y a cinq EHPAD. Il faut que mon directeur discute avec le département et avec l'ARS, fonctionnaire d'État qui pense à sa carrière. Quand l'ARS conseille de ne pas embaucher de médecin pour ne pas mettre en péril les finances de l'hôpital alors que nous, au conseil de surveillance, recommandons de les embaucher, nous ne pesons d'aucun poids. In fine c'est l'ARS qui décide. Nous pourrions, de manière beaucoup plus efficace, discuter avec les présidents des conseils d'administration, les villes et les conseillers départementaux.
Lorsque les choses se passent mal, moi comme le président du conseil départemental recevons des visiteurs dans nos bureaux dès les premiers instants. Les familles viennent nous voir. Aujourd'hui, il n'y a plus de responsable. L'ARS se protège derrière des injonctions de tierces personnes et nous récupérons les familles et leurs problèmes. Il y a un écoeurement total.
Si vous pouviez rétablir les conseils d'administration dans les hôpitaux qui votaient les budgets, les dépenses, les recrutements, cela arrêterait de faire de nous des boîtes d'enregistrement.
Moi qui ai présidé pendant 28 ans l'hôpital de Mulhouse, j'adhère totalement à tes propos.
Je retiens une chose parmi vos propos : la liberté des territoires à s'administrer. On réfléchit dans le cadre de l'expérimentation sur les services à rendre. Ne pourrait-on imaginer qu'un département comme le vôtre demande à avoir la compétence en matière d'EHPAD ou de vieillissement de population, comme d'autres départements pourraient demander autre chose, dans une forme d'administration à la carte ? En Bretagne, à travers un pacte avec l'État, nous avons réussi à obtenir une expérimentation en matière de logement. Nous pensons que la politique du logement devrait se faire, dans notre cas, à l'échelle du territoire régional plutôt qu'à l'échelle nationale.
Mais vous avez aussi évoqué la nécessité d'assurer une certaine équité entre les territoires qui ont des moyens et ceux qui n'en ont pas. Je pense qu'une des fonctions de l'État est d'assurer la péréquation nécessaire et la solidarité entre les territoires. La liberté que vous demandez va de pair avec une réforme des finances locales qui nécessite que l'État joue son rôle de régulateur et que les dotations allouées aux collectivités soient aussi fonction des compétences propres que chaque collectivité aurait prises.
Les deux sont conjugables. Aujourd'hui, l'équité n'existe pas, ou a en tout cas disparu. À partir du moment où, dans mon département, une partie de la population n'a pas accès aux médecins généralistes, aux transports en commun, à la politique d'hébergement comme d'autres territoires l'ont, cela n'existe plus. Si j'ai écrit au Premier ministre età la ministre de la Santé pour leur demander de m'accorder leur confiance comme pour les médecins, c'est parce que je crois à l'expérimentation. Aujourd'hui, 40 médecins sont déjà venus et 20 viendront compléter ce dispositif.
Ma demande d'assurer la gestion des EHPAD à l'échelle départementale ne se limite en fait pas aux seuls EHPAD ; il s'agit, derrière, de toute la politique du maintien à domicile. Sur notre territoire, nous ne serons plus en capacité dans 3 ans de l'assurer, notamment à cause du vieillissement du personnel. Aujourd'hui, je pourrais aider financièrement les associations qui travaillent sur ce sujet, mais je ne peux pas le faire au risque de dépasser les dépenses de fonctionnement. On me dit d'aller négocier avec le préfet. Je demande simplement une liberté encadrée. Chaque territoire a ses problèmes et l'État doit veiller à l'équité.
J'aime l'idée de la contractualisation entre l'État et les collectivités à la fois sur les actions et les financements. Pour vous, l'État accepterait cette logique d'un département de Saône-et-Loire en charge de la politique du vieillissement qui augmenterait naturellement vos dépenses, ce que l'État prendrait alors en compte.
Je trouve qu'il est stupide d'avoir une limite financière absolue et je prône la contractualisation financière, notamment avec le département.
C'est exactement ce que l'on demande. Un essai, une contractualisation avec un retour sur efficacité avec l'État et son représentant. Mais il faut que l'ARS départementale ait plus de poids dans la gouvernance.
Avant les ARS, nous avions des interlocuteurs au niveau départemental. Leurs capacités financières étaient moindres mais nous avions des interlocuteurs à notre échelle. Je me suis rendu compte récemment d'une amélioration dans la gouvernance de l'ARS avec une antenne départementale clairement positionnée même si cela restait très subordonné. Nous finissons par nous perdre dans l'immensité de cette entité et des missions qu'elle doit gérer. Vous avez entièrement raison ; il y a une gouvernance à repenser du côté de l'État.
Je pense qu'on manque également beaucoup de structures et que l'État devrait mettre la main à la pâte. Je suis élue dans un département proche de la frontière et beaucoup de personnes doivent se rendre en Belgique, ce que je trouve malheureux.
Un mois dans un EHPAD, c'est entre 8 000 et 10 000 euros. Est-ce que vous vous déplacez dans les communes pour organiser des réunions avec la population ?
J'essaie en effet d'être partout très présent sur le terrain. C'est un besoin, notamment pour sentir l'évolution des besoins. Je m'appuie également beaucoup sur mes vice-présidents. Je fais en revanche peu de réunions publiques « spéciales population » mais les points avec les élus sont très fréquents.
Je vous propose d'achever ainsi notre audition avant de nous rendre chez le préfet. Je remercie l'ensemble des participants pour leur présence et leurs interventions.