La commission a tout d'abord entendu M. Jean Arthuis, président de la commission des finances, sur l'application de l'article 40 de la Constitution.
A titre liminaire, M. Nicolas About, président, a indiqué que la commission des affaires sociales est particulièrement attentive aux modalités d'application de l'article 40, puisque c'est à propos du contrôle de constitutionnalité de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2007 que le Conseil constitutionnel a rappelé à l'ordre le Sénat sur ce sujet. Encore faut-il rappeler que le Gouvernement, en laissant voter des dispositions en violation de l'article 40 et souvent d'ailleurs à sa propre initiative, avait sa part de responsabilité dans cette décision.
Par ailleurs, n'est-il pas singulier que le Conseil constitutionnel ait remis en cause le règlement du Sénat, sachant qu'il en avait approuvé l'esprit et le texte lors du contrôle obligatoire qu'il avait opéré sur ce texte lors de son élaboration ? Quoi qu'il en soit, une nouvelle procédure est désormais en vigueur, et dont il faut souhaiter qu'elle ne limite pas à l'excès les pouvoirs du Sénat dans sa mission première de conception et de vote de la loi.
a indiqué que la décision du Conseil constitutionnel du 14 décembre 2006 relative à la loi de financement de la sécurité sociale pour 2007 a effectivement incité la commission des finances du Sénat à la réflexion sur les modalités d'examen des amendements et à la transformation de ses méthodes de travail. Un groupe de travail à la composition pluraliste a été constitué à cet effet, aboutissant à une réforme de l'application de l'article 40 respectueuse de la Constitution, mais également des prérogatives parlementaires.
Avant d'en présenter le contenu, il a rappelé les règles appliquées par le Sénat avant le 1er juillet. L'article 40 de la Constitution prévoit que « les propositions et amendements formulés par les membres du Parlement ne sont pas recevables lorsque leur adoption aurait pour conséquence soit une diminution des ressources publiques, soit la création ou l'aggravation d'une charge publique ». Il convient donc de distinguer deux cas : soit l'amendement entraîne une diminution des ressources publiques et il peut alors être gagé par une augmentation à due concurrence d'une autre ressource (les droits à tabac le plus souvent), le niveau global des ressources restant inchangé ; soit il crée ou accroît une charge publique et ne peut dans ce cas être compensé par une économie.
Pour l'application de cette règle, le Sénat était jusqu'alors plus conciliant que l'Assemblée nationale dont l'article 98 du règlement dispose que « s'il apparaît évident que l'adoption d'un amendement aurait les conséquences prévues par l'article 40 de la Constitution, le président en refuse le dépôt ». En conséquence, seuls les amendements jugés recevables sur la base de ce critère y sont discutés en séance publique.
En revanche, a indiqué M. Jean Arthuis, président de la commission des finances, l'usage voulait qu'au Sénat, tous les amendements soient déclarés recevables a priori, diffusés, appelés et débattus, voire adoptés si personne n'invoquait l'application de l'article 40, sachant que chaque sénateur ou le ministre pouvait solliciter sur ce point l'avis de la commission des finances. Dans cette hypothèse, si l'article 40 était déclaré applicable, l'amendement devenait irrecevable et sa discussion était immédiatement suspendue. Cette procédure plus souple permettait donc aux sénateurs de s'exprimer sur des amendements qui n'auraient pu être présentés à l'Assemblée nationale. L'invocation de l'article 40 était en outre peu fréquente : au cours de la session 2006-2007, seuls soixante-deux amendements sur 4 712 déposés ont été déclarés irrecevables, soit moins de 1,5 %.
Or, le Conseil constitutionnel a jugé à plusieurs reprises cette situation contraire à la Constitution. Il a envoyé au Sénat un premier signal dans sa décision du 29 juillet 2005 sur la loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale, puis un second, le 13 octobre 2005, dans sa décision relative à la résolution modifiant le règlement de l'Assemblée nationale pour tenir compte de la loi organique relative aux lois de finances. Il a tiré les conséquences de sa position dans sa décision du 14 décembre 2006 sur la loi de financement de la sécurité sociale pour 2007, en indiquant que deux des douze dispositions considérées comme des « cavaliers sociaux » auraient dû, de surcroît, être déclarées irrecevables dès leur dépôt en ce qu'elles avaient pour conséquence l'aggravation d'une charge publique. Enfin, il a annoncé qu'il se réservait la possibilité de censurer d'office toute disposition, et donc d'imposer au Sénat un cadre plus strict que celui en vigueur à l'Assemblée, si aucune réforme n'était engagée.
Devant cet ultimatum, le groupe de travail constitué par la commission des finances a élaboré une nouvelle procédure dont les modalités ont été exposées dans un document dit « vade mecum », adressé à l'ensemble des sénateurs. La Conférence des présidents du 20 juin 2007 a approuvé ce nouveau dispositif et a décidé son entrée en vigueur à compter du 1er juillet.
Puis M. Jean Arthuis, président de la commission des finances, a présenté le mécanisme désormais applicable. Afin de respecter le cadre fixé par le Conseil constitutionnel, l'irrecevabilité est déclarée au stade du dépôt de l'amendement. La commission des finances examine tous les amendements et s'oppose à l'inscription de ceux qui tombent sous le coup de l'article 40. Ce tri s'opère en toute transparence puisque l'auteur de l'amendement irrecevable est immédiatement prévenu et informé des raisons de l'irrecevabilité. Une lettre justificative du président de la commission des finances lui est ensuite adressée. Enfin, une évaluation de l'application de la réforme sera engagée avant le mois de juin 2008.
a estimé que cette réforme va au-delà des voeux du Conseil constitutionnel, puisque les dispositions censurées par la décision du 14 décembre 2006 ne l'ont pas été au nom d'une application erronée de l'article 40 par le Sénat, mais parce qu'il s'agissait de « cavaliers » ou parce que le Gouvernement n'avait pas respecté l'obligation de présenter les nouvelles mesures dès le stade de la première lecture à l'Assemblée nationale.
a indiqué que la commission des finances n'a pas vocation à censurer, a priori, les « cavaliers » qui tomberaient sous le coup de l'article 41 de la Constitution, tout comme il ne relève pas de sa compétence de contrôler la jurisprudence dite « de l'entonnoir », selon laquelle aucune disposition nouvelle ne peut être ajoutée à un texte à un stade avancé de son examen.
a souhaité connaître précisément les dispositions qui auraient été invalidées par le Conseil constitutionnel en raison du non-respect, par le Sénat, des règles de l'article 40.
Se reportant au contenu de la décision du 14 décembre 2006, M. Jean Arthuis, président de la commission des finances, a indiqué qu'il s'agissait des articles 115 et 117 du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2007, tous deux issus d'amendements sénatoriaux invalidés en raison de leur absence de liens avec le texte et, « de surcroît » adoptés selon une procédure contestable. Plus largement, le Conseil constitutionnel a fait valoir que le Sénat devait modifier son fonctionnement sans quoi ce type de censure se multiplierait.
a fait remarquer que l'emploi de la locution « de surcroît » montre bien que la cause première de l'invalidation tenait à la nature même des dispositions et non à la procédure suivie au Sénat.
Par ailleurs, il a souhaité soumettre un cas concret à l'épreuve de la nouvelle procédure de recevabilité des amendements : celui du fonds de financement des prestations sociales des non-salariés agricoles (Ffipsa) et du fonds de solidarité vieillesse (FSV), qui accumulent les déficits, alors qu'ils devraient légalement présenter des comptes équilibrés, c'est-à-dire faire l'objet d'une subvention de l'Etat ou, à défaut, d'un transfert de ressources nouvelles. Cette analyse a d'ailleurs longtemps été celle de la Cour des comptes. Or, celle-ci considère désormais, se fondant sur l'analyse du ministère du budget, qu'il n'existe pas d'obligation pour l'Etat d'équilibrer ces fonds et qu'il revient au législateur social de proposer une solution financière. Comment la commission des affaires sociales pourra-t-elle s'y employer dès lors que les nouvelles règles de recevabilité des amendements au Sénat interdiront le dépôt de toute proposition en ce sens ?
a confirmé que, dans ce cas de figure, l'action du législateur serait empêchée par l'article 40 de la Constitution. Il revient donc au Gouvernement d'assurer l'équilibre du FSV et du Ffipsa. Au-delà de ce cas précis, il convient d'avoir une vision globale des ressources publiques, qu'elles relèvent du budget de l'Etat ou qu'elles soient destinées au financement de la protection sociale, des collectivités territoriales ou de l'Union européenne.
a partagé cette opinion, sans qu'elle signifie, pour lui, la nécessité de réunir dans un seul budget les comptes de l'Etat et de la protection sociale.
Revenant à la lettre de l'article 40, il a estimé que l'honnêteté intellectuelle voudrait que les nouvelles règles applicables aux amendements le soient également aux propositions de loi.
a fait valoir que le Parlement est également un laboratoire de créativité dont la principale expression demeure la proposition de loi. Pour cette raison, la commission des finances a choisi de ne pas les censurer a priori.
Défendant l'esprit de la réforme, il a rappelé que trop souvent, des ministres utilisaient le Sénat pour faire adopter des dispositions non retenues au terme des arbitrages interministériels. Par ailleurs, se voir opposer en séance l'irrecevabilité, au titre de l'article 40, d'un amendement brillamment défendu était parfois mal vécu par son auteur. La nouvelle procédure remédie à ces deux difficultés.
a fait sien le mot d'Armand Herman s'adressant à Danton au jour de son procès : « l'audace est le propre du crime et le calme celui de l'innocence ». Faut-il en conclure qu'un bon parlementaire est un parlementaire qui ne parle pas ?
a estimé, au contraire, que le progrès est souvent le fruit de la transgression.
a maintenu qu'il n'appartient pas, à son sens, au Conseil constitutionnel de juger du travail du Sénat, dans la mesure où il en avait précédemment approuvé le règlement, et a fait part de ses craintes de voir se réduire la liberté de parole et d'action du Parlement.
a rappelé que le système en vigueur au Sénat avant le 1er juillet 2007 était non seulement contestable selon le Conseil constitutionnel, mais aussi facteur d'allongement des débats en séance publique.
a fait valoir que, lors de l'examen de la réforme des retraites en 2003 et de celle de l'assurance maladie l'année suivante, le Sénat avait pourtant su éviter le blocage de la discussion par un nombre trop important d'amendements en censurant ceux pour lesquels l'article 40 pouvait être invoqué.
s'est interrogé sur l'objectif poursuivi par la réforme : s'agit-il de limiter la durée des débats en séance publique ou d'inciter le Sénat à être plus rigoureux dans ses discussions relatives aux finances publiques ?
Il a regretté que la commission des finances n'ait pas associé la commission des affaires sociales, responsable des lois de financement de la sécurité sociale, à ses travaux préparatoires à la réforme. Il a souhaité que la réflexion sur l'application de l'article 40 soit poursuivie, notamment sur sa possible invocation pour des amendements présentés par le Gouvernement qui aggraveraient la charge publique sans prévoir leur financement.
Il a enfin demandé si, comme l'a préconisé la Cour des comptes, le Parlement pourra proposer de nouvelles ressources pour le financement du FSV et du Ffipsa.
a fait observer que la création de ressources nouvelles ne tombe évidemment pas sous le coup de l'article 40.
a précisé qu'une fois la ressource nouvelle créée, le Parlement se trouve toutefois dans l'impossibilité de l'affecter explicitement à la protection sociale.
Revenant sur la question de l'équilibre des comptes du Ffipsa et du FSV qui doit être assuré par une dotation budgétaire de l'Etat, M. Alain Vasselle a demandé si une augmentation de cette dotation par le Parlement serait juridiquement acceptable.
Abordant ensuite le point relatif à l'allégement des charges sociales sur les heures supplémentaires proposé par le projet de loi en faveur du travail, de l'emploi et du pouvoir d'achat, il a estimé que cette mesure aggravera sans aucun doute le déficit des comptes sociaux. En effet, les recettes fiscales compensant les allégements généraux sont d'ores et déjà insuffisantes. Cette situation pose de véritables problèmes de trésorerie à l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss), dont l'autorisation de découvert se limite à 28 milliards d'euros. Si le déficit se creuse du fait de nouveaux allégements, l'Etat devra honorer une partie de sa dette à la sécurité sociale dès cette année. Il a souhaité que cette situation soit réglée par l'acceptation du principe de la compensation, à l'euro près, de tout allégement de charges sociales.
Il a également demandé si un amendement ayant pour objet de modifier la répartition des taxes qui alimentent la sécurité sociale, notamment les droits à tabac, serait recevable au regard des nouvelles modalités d'application de l'article 40 et si les règles de redéploiement des crédits au sein des missions du projet de loi de finances peuvent être transposées aux lois de financement de la sécurité sociale.
a reconnu que l'objectif poursuivi par la réforme est triple : accélérer les débats en séance publique, renforcer la rigueur de la gestion des finances publiques par le Parlement et mettre le règlement du Sénat en conformité avec les remarques formulées par le Conseil constitutionnel. Si le groupe de travail n'a pas été élargi à d'autres commissions, la réforme s'est faite avec l'accord unanime de la Conférence des présidents et dans le souci d'une information de l'ensemble des groupes politiques. La réflexion doit être poursuivie en fonction de l'application effective de la réforme.
Rappelant qu'il est constitutionnellement impossible d'invoquer l'article 40 à l'encontre des amendements du Gouvernement, il a observé que les parlementaires conservent néanmoins le pouvoir de limiter l'augmentation des dépenses publiques en refusant de voter les textes qui y procèdent. La Constitution encadre strictement, il est vrai, les droits du Parlement, mais celui-ci n'utilise aujourd'hui pas pleinement l'ensemble de ses prérogatives.
Abordant le sujet de la compensation des allégements de charges sociales, il a estimé que la création d'un ministère des comptes publics a pour vocation symbolique de rappeler que l'équilibre des comptes de la sécurité sociale ne doit pas être jugé indépendamment de l'équilibre des comptes de l'Etat. L'Etat est en effet garant de la dette de la sécurité sociale comme il l'est de celle du FSV et du Ffipsa. A cet égard, la loi de finances rectificative de 2005 avait doté le Ffipsa de 2,5 milliards d'euros pour apurer son déficit.
Il a enfin indiqué que l'ensemble des recettes publiques sont concernées par l'article 40, lorsqu'un amendement propose de les diminuer, mais que les modalités de leur répartition n'entrent pas en compte.
s'est déclaré satisfait de la réforme proposée qui permettra une meilleure compréhension des débats par le public, mais également par les sénateurs, sans pour autant brider l'action du Parlement. Il a reconnu avoir été surpris, dans les premiers temps de son mandat de sénateur, par l'étrangeté de la procédure d'invocation de l'article 40 en séance publique.
Il a approuvé la mesure consistant à prévenir systématiquement l'auteur d'un amendement censuré pour qu'il ait la possibilité de le modifier avant le débat public.
Il a, à son tour, regretté que les autres commissions n'aient pas été associées à l'élaboration de cette réforme et a souhaité qu'elles participent au groupe de travail qui sera chargé de son évaluation. Il a enfin estimé que les « cavaliers », souvent pilotés par le Gouvernement, doivent faire l'objet d'une attention particulière des parlementaires.
a indiqué l'opposition du groupe communiste républicain et citoyen à cette réforme, car elle interdira aux sénateurs de développer leur argumentation en séance publique. Il a considéré que la pratique antérieure du Sénat honorait au contraire la démocratie parlementaire.
Il s'est déclaré surpris que la réforme, qui va selon lui bien au-delà des préconisations du Conseil constitutionnel et conduit à un tutorat de la commission des finances sur les amendements, se soit appliquée dès le 1er juillet 2007, juste à la reprise des travaux parlementaires. Il a souhaité savoir, à cet égard, si ces modifications ont déjà été introduites dans le règlement du Sénat.
Plus généralement, il a estimé que le Conseil constitutionnel lui-même devrait être réformé, dans sa composition comme dans son fonctionnement.
A M. Paul Blanc, qui demandait s'il est encore possible de voter des recettes supplémentaires et de les affecter au déficit de la sécurité sociale, M. Jean Arthuis, président de la commission des finances, a répondu par l'affirmative.
a précisé qu'il n'est en revanche pas possible de créer de nouvelles recettes pour financer de nouvelles charges.
Bien qu'inquiet de l'éventuelle subjectivité de l'appréciation qui sera portée sur les amendements, M. Bernard Cazeau a fait valoir que le tutorat n'est pas le fait de la commission des finances du Sénat mais davantage celui de la Constitution de la Ve République, votée à une autre époque, dans un autre contexte politique et au service d'un autre pouvoir. La Constitution de 1958 a, en effet, instauré un régime présidentiel dans lequel le Parlement ne peut jouer pleinement son rôle puisqu'il est encadré par les dispositions des articles 40 et 49-3 notamment. Il a donc appelé la majorité parlementaire à réfléchir à une révision de la Constitution.
a demandé si la réforme de l'application de l'article 40 suppose une modification du règlement du Sénat. Si tel est le cas, n'est-il pas contestable qu'elle soit déjà entrée en application ?
Il a également demandé si la discussion restera possible dès lors qu'un amendement sera gagé, à quoi M. Nicolas About, président, a répondu que, juridiquement, seule une perte de recettes peut être gagée.
A M. Alain Gournac, M. Jean Arthuis, président de la commission des finances, a répondu qu'il revient à la commission saisie au fond de ne pas accepter l'insertion de « cavaliers » dans un projet de loi. Il a indiqué que les commissions ont été informées de cette réforme, via la Conférence des présidents, et qu'elles pourront pleinement participer à son évaluation.
Il a rappelé à M. Guy Fischer que le groupe communiste républicain et citoyen, seul à se prononcer contre la réforme, a refusé de le recevoir en formation plénière alors qu'il proposait de lui en exposer le contenu, comme il l'a fait pour l'ensemble des groupes politiques et des commissions permanentes. En ce qui concerne la révision des institutions, il a fait valoir que le Président de la République se propose de créer un groupe de réflexion sur ce thème.
S'adressant à M. Bernard Cazeau, il a indiqué qu'il ne dépend que du Parlement de renforcer son rôle, notamment en matière de contrôle de l'action du Gouvernement et des administrations publiques. Trop souvent, en effet, les textes votés ne sont pas applicables à cause de dysfonctionnements administratifs. La commission des finances se préoccupe de cette situation et procède à de nombreux contrôles, sur pièces et sur place. Par ailleurs, elle auditionnera individuellement les ministres sur l'exécution budgétaire des missions au moment de l'examen du projet de loi de règlement du budget 2006, qu'il a qualifié de « moment de vérité budgétaire ».
Enfin, il a indiqué à M. Alain Vasselle qu'il n'est pas nécessaire de modifier le règlement du Sénat pour que la réforme s'applique, a fortiori parce qu'elle est plus respectueuse de la Constitution qui présente une valeur juridique supérieure à celle des règlements des assemblées.
La commission a ensuite procédé à l'examen du rapport d'information, établi au nom de la mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale (Mecss) par MM. Bernard Cazeau et Alain Vasselle et consacré au régime de protection sociale suédois.
A titre liminaire, M. Bernard Cazeau, rapporteur, a indiqué qu'une délégation de la Mecss s'est rendue à Stockholm, du 1er au 4 avril dernier, afin d'étudier les mutations du système suédois de protection sociale et notamment la réforme des retraites réalisée dans ce pays entre 1998 et 2001. Cet exemple est d'autant plus instructif que la Suède a subi une grave crise économique et budgétaire au début des années quatre-vingt-dix et que la mise en oeuvre de réformes structurelles courageuses lui a finalement permis de sauver son système social que l'on avait cru un temps condamné.
La délégation de la Mecss a constaté l'existence de trois consensus partagés par le corps social suédois : l'attachement à un Etat providence très développé, l'obsession du plein emploi et l'adoption d'une gestion rigoureuse fondée sur des modes de gouvernance efficaces.
Un chiffre donne à lui seul la mesure de l'effort consenti par les assurés suédois. En effet, parmi les pays occidentaux, la Suède occupe la première place pour le poids des dépenses totales de protection sociale rapporté au Pib : 32,9 % de la richesse nationale en 2004, contre 31,2 % pour la France, qui se place au deuxième rang, les deux pays offrant un ensemble de prestations assez proche.
Les dépenses d'assurance sociale de la Suède (hors dépenses de soins) ont atteint, en 2006, 447,2 milliards de couronnes, soit environ 48 milliards d'euros : la moitié est consacrée aux retraites, 30 % aux allocations maladie et invalidité et 15 % aux allocations familiales. Les comptes sont strictement équilibrés puisqu'il n'existe pas de déficit de la protection sociale. Le recours à l'impôt est résiduel : l'essentiel du financement est assuré par les cotisations des employeurs, qui atteignent 32,42 % de la masse salariale en 2007 et par les cotisations à la charge des assurés qui représentent 7 % du salaire. En revanche, les dépenses de soins (230 milliards de couronnes de prestations versées en 2005, soit 25 milliards d'euros) sont couvertes à hauteur de 85 % par des dépenses publiques assurées par les comtés, dont c'est la compétence principale.
Au total, le système suédois produit un effort comparable à celui de la sécurité sociale française en matière de retraite et se caractérise par une forte maîtrise des dépenses de soins, tout en gardant sa réputation de générosité en raison du régime avantageux des indemnités journalières, des allocations d'invalidité et des prestations familiales.
a fait valoir que le maintien de cet Etat-providence très développé n'est rendu possible que par le fort taux d'activité de la population suédoise. L'obsession du plein emploi y est très présente, plus encore depuis la profonde récession de 1991-1993, au cours de laquelle le chômage a dépassé 10 % et le déficit budgétaire a atteint 11,3 % du Pib. Cette situation a créé un véritable traumatisme national suscitant un mouvement de réformes sans précédent, et notamment l'adoption d'une politique budgétaire rigoureuse, dont l'orientation a été depuis lors constamment réaffirmée.
Dans le domaine social, la gravité de la situation avait conduit les pouvoirs publics à rétablir des jours de carence sans indemnisation pour l'assurance maladie et l'assurance chômage, mais également à faire preuve d'une certaine souplesse, en tolérant certaines formes déguisées de chômage et de préretraites. En dépit de l'amélioration de la situation économique, particulièrement sensible depuis la fin des années quatre-vingt-dix, et du durcissement des conditions d'accès à ces dispositifs, on constate d'ailleurs que la fréquence des arrêts maladie demeure en Suède deux fois supérieure au niveau des autres pays occidentaux et que 10 % de la population en âge de travailler bénéficient d'une pension d'invalidité.
Se fondant sur le taux global d'activité des personnes âgées de quinze à soixante-quatre ans (73,2 %), M. Bernard Cazeau, rapporteur, a néanmoins jugé remarquables les performances globales de la Suède qui se situe au troisième rang européen après le Danemark et les Pays-Bas, et bien avant la France qui, avec 63 %, s'inscrit en dessous de la moyenne communautaire (64,9 %). Les autorités suédoises poursuivent désormais une politique volontariste visant à remettre au travail tous les Suédois qui y sont aptes, pour revenir au taux d'activité de 80 % de la fin des années quatre-vingt.
La promotion de la bonne gouvernance constitue le troisième axe majeur du consensus suédois, notamment pour la maîtrise des dépenses de santé. Des réformes structurelles de l'organisation des soins ont été conduites dès le début des années quatre-vingt, permettant une réelle réduction des dépenses de santé jusqu'en 1990, date à laquelle elles s'établissaient à 8,3 % du Pib. La tendance à la hausse a repris par la suite, mais une nouvelle vague de réforme a permis d'en freiner l'ampleur, au demeurant bien moindre que dans les autres pays de l'OCDE. Aujourd'hui, la Suède affiche un taux de 9,1 %, alors que la France et l'Allemagne, qui partaient de niveaux très proches il y a quinze ans, atteignent désormais près de 11 % du Pib.
Ces bons résultats s'expliquent d'abord par des comportements collectifs responsables en matière de dépenses de médicament, mais aussi par la décentralisation de l'organisation du système de soins et la responsabilisation des acteurs locaux.
Dès 1992, un mouvement de restructuration et de transfert des soins de l'hôpital vers les soins en ville et à domicile a été engagé. La responsabilité financière des soins non médicaux administrés aux personnes dépendantes a été décentralisée des comtés vers les municipalités, afin de favoriser le maintien à domicile. Une séparation nette a été introduite entre le fournisseur et l'acheteur, permettant aux comtés de négocier avec les établissements hospitaliers des contrats d'activité et de rémunération. Enfin, les hôpitaux ont mis en oeuvre une version très poussée du mécanisme de tarification à l'activité bien connu en France.
Les restructurations qui ont été réalisées ont permis de concentrer l'activité des établissements hospitaliers sur les soins aigus et spécialisés, tandis que les soins quotidiens étaient de plus en plus dispensés au plus près des patients, dans un cadre moins coûteux et moins pathogène : 45 % des lits d'hôpitaux ont ainsi été fermés au cours des années quatre-vingt-dix (contre 19 % en France sur la même période). Enfin, les règles de gestion du système de santé ont été modernisées.
Observant qu'à l'issue de ce processus de réformes, le système de soins suédois est demeuré performant, notamment au regard des classements établis par l'OMS, M. Bernard Cazeau, rapporteur, a néanmoins fait valoir que ce bilan révèle aussi des tensions, à commencer par l'apparition, dès la fin des années quatre-vingt, de files d'attente pour la chirurgie non urgente. Mais, en définitive, la Suède a choisi de régler ses problèmes en améliorant la productivité du service public et non en offrant un système parallèle, privé et plus cher, aux assurés sociaux qui ont les moyens de payer pour ne pas attendre.
Puis M. Alain Vasselle, rapporteur, a présenté la réforme des retraites réalisée en Suède après quinze ans d'une réflexion concertée et approfondie. Les pouvoirs publics suédois ont décidé, en 1998, d'abandonner l'ancien système de retraite à prestations définies, en raison de son caractère inéquitable entre les générations et de son sous-financement chronique compte tenu des perspectives de vieillissement de la population. La Suède est passée à un régime à cotisations définies, fondé principalement sur l'effort contributif des assurés sociaux. Chaque assuré social suédois bénéficie désormais d'un compte individuel. Aux cotisations acquittées pendant toute sa carrière professionnelle correspond un capital, revalorisé chaque année, qui sera converti en rente viagère, lors de la liquidation de la pension. Le niveau de la retraite d'un assuré social dépendra in fine de trois paramètres : le montant de ce capital, la génération à laquelle il appartient et l'âge auquel il choisit de liquider sa pension. Mais ce capital est virtuel, d'où le qualificatif de « notionnel », car l'enregistrement des flux de cotisations ne donne pas lieu à constitution d'un véritable capital financier. Le régime de retraite public continue ainsi à fonctionner suivant les règles de la répartition : les cotisations encaissées sont utilisées chaque mois pour financer les pensions des retraités.
Ce système d'assurance vieillesse ne prévoit plus d'âge légal de départ à la retraite et laisse ce choix à l'appréciation de chaque assuré social à l'intérieur d'une fourchette comprise entre soixante et un et soixante-sept ans. Comme en France, une pension garantie, financée par le budget de l'Etat, assure un niveau minimum de ressources aux assurés sociaux qui n'ont eu que de très faibles revenus professionnels, voire aucun.
Dans l'hypothèse où les ressources du régime s'avéreraient insuffisantes pour couvrir le montant des retraites futures, un mécanisme correcteur, ajouté en 2001, s'enclencherait automatiquement. L'indice de revalorisation des pensions des retraités, d'une part, et du capital notionnel accumulé par les cotisants, d'autre part, serait alors infléchi jusqu'à la restauration des grands équilibres.
Considérant que la Suède a procédé à la plus ambitieuse et à la plus originale des réformes des retraites menées en Europe depuis les années quatre-vingt, M. Alain Vasselle, rapporteur, a rappelé que la loi du 8 juin 1998 a été adoptée à une majorité des trois quarts des membres du Parlement suédois. Ce texte fondateur fait désormais l'objet d'un vaste consensus entre les grandes forces politiques suédoises, y compris les partenaires sociaux.
Ce régime présente quatre avantages majeurs : il garantit un équilibre financier pérenne sur la base de taux de cotisations élevés mais stables, il préserve l'équité entre les générations, il assure une meilleure transparence de l'effort contributif des assurés sociaux suédois et il accorde une pension minimum aux personnes âgées les plus modestes.
La technique des comptes notionnels a été conçue pour préserver un haut niveau de retraite au cours des prochaines décennies tout en incitant fortement, en contrepartie, les actifs à prolonger leur activité professionnelle, le report de l'âge de départ en retraite étant plus que compensé par l'allongement de l'espérance de vie.
Dans la perspective du rendez-vous français de 2008 sur les retraites, M. Alain Vasselle, rapporteur, a jugé la réforme suédoise riche d'enseignements, car elle a organisé la transition entre l'ancien et le nouveau système, renforcé la confiance des actuels cotisants et conservé leur place aux avantages non contributifs. De plus, le mécanisme des comptes notionnels n'est guère plus complexe que celui des annuités, car ses principes sont simples et la politique d'information des assurés sociaux particulièrement développée. Enfin, si le niveau des pensions peut constituer, en complément de l'âge de fin d'activité, une variable d'ajustement au cours des prochaines décennies, cette éventualité n'a été contestée par aucun des interlocuteurs de la Mecss, y compris les partenaires sociaux.
La souplesse et l'efficacité de ces mécanismes de gouvernance sont des atouts pour cette réforme dont les débuts sont prometteurs. En définitive, le seul risque majeur consisterait à ce que les pouvoirs publics modifient des règles du jeu censées être désormais fixées une fois pour toutes.
Ce système pourrait être transposé en France, ne serait-ce que partiellement, dans la mesure où les différences entre les deux pays n'apparaissent pas insurmontables. L'ancien système de retraite suédois était par ailleurs assez proche du régime général français et plusieurs autres pays européens de tailles très diverses (Italie, Lettonie, Pologne) se sont inspirés, au cours des dernières années, de la réforme suédoise pour adapter leur régime de retraite. La France pourrait aussi utilement s'inspirer de l'exemple suédois pour améliorer le taux d'emploi des seniors : l'âge moyen de cessation d'activité est, en effet, de soixante-trois ans en Suède, soit cinq ans plus tard qu'en France.
Enfin, M. Alain Vasselle, rapporteur, a souligné la pertinence du cadre de réflexion global et prospectif adopté par les pouvoirs publics suédois : la France aurait intérêt de la même façon à appréhender l'avenir de la protection sociale dans sa totalité sur un horizon à très long terme, par exemple quarante ans, en envisageant les dépenses, les recettes, les besoins de financement de chacune des branches de la sécurité sociale, mais aussi la charge des politiques du handicap et de la dépendance. Il serait alors possible de déterminer la protection sociale à mettre en oeuvre, les priorités à dégager et les moyens financiers à mobiliser dans ces objectifs.
Ce rapport, dont il juge à titre personnel les conclusions parfois un peu timides, témoigne de la recherche d'un compromis avec son collègue Bernard Cazeau. Il contribuera en tout cas utilement à l'information du Parlement, dans la perspective du rendez-vous de 2008. S'exprimant à nouveau à titre personnel, il a estimé qu'à l'avenir, on devra sans doute, comme en Suède, abandonner une approche paramétrique et envisager une réforme structurelle de l'assurance vieillesse. Cela supposerait toutefois un minimum de consensus politique.
a souligné la valeur pédagogique de ce rapport qui traite de sujets particulièrement complexes et complète utilement les travaux de la commission dans le domaine des retraites. Il est ensuite revenu sur l'esprit de la réforme menée en France en 2003 pour déplorer que certaines de ces dispositions essentielles aient été proprement « torpillées » par le recours massif aux préretraites dans le monde du travail.
Les assurés sociaux acceptent de plus en plus difficilement les disparités de situations et d'efforts contributifs qui caractérisent l'assurance vieillesse. C'est le cas en particulier pour la compensation démographique ou pour les régimes spéciaux, mais également pour des dispositions spécifiques comme les « surpensions » des fonctionnaires de l'Etat outre-mer, sujet sur lequel il a récemment déposé une proposition de loi avec André Lardeux et Catherine Procaccia.
A l'instar d'Alain Vasselle, il a jugé que la réforme suédoise constitue une référence dont la France pourrait utilement s'inspirer. A l'évidence, une transposition du système des comptes notionnels dans le régime général n'est pas envisageable dès l'année prochaine, mais elle devrait être étudiée dans la perspective du rendez-vous suivant sur les retraites, en 2012. On disposerait alors de suffisamment de temps pour préparer techniquement une réforme systémique de cette ampleur et pour en informer l'opinion publique.
Se plaçant sur le plan purement pédagogique, M. Guy Fischer a reconnu la qualité technique du rapport qui reflète les travaux très denses réalisés par la mission à l'occasion de ce déplacement. Sur le plan politique, en revanche, il ne saurait souscrire à ses orientations, notamment en matière de retraite. Le système suédois de choix de l'âge de la retraite à l'intérieur d'une fourchette de soixante et un à soixante-sept ans, cache implicitement une volonté de reculer l'âge de départ des assurés sociaux. Après avoir confirmé son attachement à la compensation de la pénibilité des carrières professionnelles, il a fait part de son refus de la perspective d'un débat « à marche forcée » sur les retraites en France, à l'occasion du rendez-vous de 2008. A l'inverse, il a fait valoir que dans d'autres pays les discussions ont duré parfois dix ou quinze ans : le temps de la délibération doit donc être respecté.
a estimé qu'en France aussi le débat sur les retraites a été ouvert il y a longtemps. Mais dans notre pays, contrairement à la Suède par exemple, toutes les parties à la négociation ne partagent pas nécessairement la volonté d'aboutir.
a jugé essentiel de conserver, et souvent de rétablir, la notion d'équité au coeur du fonctionnement de l'assurance vieillesse. A ce titre, il s'est inquiété de l'impact cumulé des réformes successives qui sont intervenues depuis 1993 : on estime en effet que le pouvoir d'achat des retraités a diminué de 10 % ou 15 % au total. S'agissant des régimes spéciaux, il a considéré que l'on doit respecter l'histoire des entreprises publiques.
a souhaité savoir si la délégation de la Mecss a rencontré des chefs d'entreprise suédois, si ces derniers se plaignent des conséquences du niveau des cotisations sociales pour la productivité et s'il existe dans ce pays un important système de soins privés.
a indiqué que la Mecss a rencontré les interlocuteurs du patronat, comme des syndicats de salariés. A cette occasion, la question de la productivité a été peu abordée. Par ailleurs, le secteur privé occupe en Suède une place marginale au sein du système de soins.
a rappelé au passage que le taux de syndicalisation suédois est très élevé, de 80 % à 90 % de la population active.
a jugé singulier, au regard de la réputation de rigueur de la société suédoise, que ce pays se distingue aussi par le plus fort taux d'arrêts maladie d'Europe, ainsi que par une proportion très élevée de personnes considérées comme invalides.
Tout en partageant ce constat, M. Bernard Cazeau, rapporteur, a indiqué que ces dispositifs ont effectivement servi « d'amortisseur social » lors de la crise des années quatre-vingt-dix, mais que depuis lors les pouvoirs publics ont considérablement durci les conditions d'éligibilité.
a observé que cette orientation nouvelle n'est pas sans lien avec la défaite du parti social-démocrate, à l'occasion des élections de septembre 2006.
Enfin, la commission a approuvé le rapport présenté au nom de la Mecss et a autorisé sa publication.