Au cours d'une seconde séance tenue l'après-midi, la commission procède à l'audition de M. Michel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés, sur le projet de loi de finances pour 2011 (mission « Justice »).
Nous avons le plaisir d'accueillir aujourd'hui, en la personne du garde des sceaux, un homme que nous connaissons bien, et dont la nomination honore le Sénat.
Je vous remercie de votre accueil et sollicite l'indulgence de l'aréopage de spécialistes que je sais avoir devant moi...
Le vote du budget est un moment essentiel, puisqu'il s'agit de transformer les réformes en réalité et de pourvoir le ministère de ses moyens d'action pour l'année à venir. Les engagements législatifs sont nombreux. Je pense à la loi pénitentiaire, à laquelle le Sénat a pris une part toute particulière, mais aussi à la mise en oeuvre de la nouvelle carte judiciaire. La réforme de la garde à vue à venir créera aussi des besoins nouveaux.
L'année 2011 verra aussi se poursuivre la modernisation du ministère et de ses méthodes de travail, car malgré les progrès enregistrés, la question demeure pleinement à l'ordre du jour.
Mon troisième objectif va à conserver des moyens importants pour les personnels, afin de rehausser l'intérêt de leurs missions et favoriser la promotion. Car c'est une mission essentielle que d'assurer le respect de la loi, l'autorité de l'État et l'unité de la nation.
Le budget pour 2011 tire les conséquences de ces objectifs. Il est vrai que la justice connaît un traitement budgétaire favorable. C'est que si l'objectif commun est de réduire le déficit public, il ne saurait être poursuivi à l'aveugle. Nous ne pouvons tout passer sous la même toise. La mission « justice » souffrait d'un grand besoin de rattrapage, que mes prédécesseurs avaient commencé à mettre en oeuvre. Ce budget, à la hausse, ne fait qu'apporter un rééquilibrage supplémentaire. Depuis 2007, la volonté du Président de la République et du gouvernement de renforcer les missions de la justice, placées au coeur de notre société, a trouvé chaque année sa traduction budgétaire. L'effort est maintenu en 2011, puisqu'avec une dotation de 7,1 milliards, les crédits de la mission progressent de 4,15 %.
La programmation est mieux équilibrée entre les différentes fonctions, notamment en faveur des juridictions. Pour faire face aux difficultés rencontrées sur le terrain, davantage de moyens sont consacrés à la justice judiciaire. Les magistrats réclament davantage de fonctionnaires : 399 emplois de greffiers sont créés, soit autant qu'au cours des quatre années passées, pour arriver presque à la parité, tant attendue, entre les effectifs des deux corps. Les difficultés rencontrées en matière de frais de justice seront également mieux prises en compte grâce à une nouvelle méthode de calcul permettant de mieux apprécier les besoins, à hauteur de 460 millions. L'effort portera aussi sur le pénitentiaire, où 550 emplois seront créés, 590 millions allant au fonctionnement et 330 millions à l'immobilier. La restructuration engagée de la direction de la protection judiciaire de la jeunesse se poursuivra : elle porte sur ses missions et son organisation territoriale. Les résultats montrent que l'on peut réformer utilement, y compris dans un univers réticent.
Le ministère peut sembler, dans un contexte très contraint, bien doté, mais toutes les questions relatives au fonctionnement ne sont pas réglées. La modernisation des méthodes se poursuivra. Les méthodes de gestion, tout d'abord, afin d'optimiser les dépenses grâce à un contrôle amélioré et une politique d'achat plus efficace, au-delà des seuls frais de justice et des juridictions. Cette politique d'achat sera mise en oeuvre par le secrétariat général du ministère, qui se mettra aussi au contrôle de gestion, pour améliorer la prise de décision.
Une meilleure gestion passe aussi par le recours aux nouvelles technologies. Un progrès a déjà été enregistré dans la mise en oeuvre de Cassiopée : l'opérateur a changé et le déploiement de l'outil devrait s'achever en 2011. Pour la mise en sécurité des juridictions, un logiciel d'alerte sera également mis en place sur les postes, en même temps qu'un dispositif de vidéo surveillance anti intrusion sera installé dans l'ensemble des juridictions. L'année 2011 verra aussi la mise en oeuvre d'une plate forme nationale des interceptions judiciaires qui doit améliorer les capacités d'investigation, notamment sur internet, et réduire les coûts.
Le rôle de chacun mérite d'être clarifié, grâce à un recentrage sur les métiers. Les magistrats doivent pouvoir s'appuyer sur des aides qualifiés, adaptés à leurs besoins, comme le sont les greffiers.
Une clarification doit également s'opérer dans le partage des tâches entre Justice et Intérieur. Hors assises et procès sensibles, la police, la gestion des scellés et le transfèrement des personnes sous main de justice seront assurés par la Chancellerie. Cela suppose le transfert des emplois et de la masse salariale correspondants de l'Intérieur à la Justice, qui entraîne certes des discussions un peu tendues, mais qui doit en tout état de cause être achevé dans trois ans. Une expérimentation sera conduite dans deux régions en 2011.
J'entends valoriser les personnels, qu'il est indispensable d'associer à l'évolution des méthodes de travail, et auprès desquels un travail d'information et d'explication est indispensable. La charte sociale signée cette année constitue une première étape. Les engagements pris auprès des surveillants pénitentiaires seront tenus, de même que feront l'objet d'une attention particulière les services d'insertion et de probation et leurs éducateurs. De nouvelles mesures de revalorisation interviendront pour les greffiers, avec un dispositif spécifique pour les greffiers en chef.
Les mesures en faveur des magistrats répondent aux questions posées, la première, sur le juste niveau de rémunération, la seconde, sur les besoins en effectifs à 5-15 ans. Les postes et les fonctions les plus délicats seront revalorisés, en 2011, à hauteur de 3,5 millions, tandis que nous nous emploierons à mieux définir les responsabilités des magistrats qui assurent des tâches d'organisation et de gestion, à mieux appréhender leur charge de travail et à réfléchir à une meilleure adaptation des formations aux besoins : je veux une formation d'excellence et des cursus diversifiés pour les magistrats exerçant de hautes responsabilités.
Je vous félicite pour votre nomination. C'est une chance que le ministère de la justice n'ait pas été passé à la toise... Les crédits de paiement des services judiciaires progressent de 4,3 %. Ce qui ne veut pas dire pour autant que tout va bien. Je m'interroge en particulier sur l'évolution des effectifs de la justice judiciaire. Notre commission des lois avait soulevé la question lors de la discussion du projet de loi organique relatif à la limite d'âge des magistrats. A la suite de la réforme des retraites, elle avait constaté que le nombre de départs risquait d'augmenter. Or, la pyramide des âges, tant pour les magistrats que pour les greffiers, fait déjà apparaître de nombreux départs à intervenir dans les prochaines années - 300 par an à partir de 2016-2017 - alors que les recrutements stagnent : le nombre de places mises aux trois concours de l'École nationale de la magistrature reste à 105 depuis trois ans. Même avec les voies parallèles, le compte n'y est pas. L'effet de ciseau qui menace risque de faire perdre le bénéfice des efforts menés ces dernières années, même si le ratio greffiers-magistrats s'améliore. Ne serait-il pas pertinent de développer une gestion prévisionnelle, sachant qu'il faut trois ans pour former un magistrat et deux pour former un greffier ?
Mon autre souci est lié au développement de l'outil informatique. La chancellerie nous dit depuis plusieurs années que celui-ci doit aider à rationaliser les effectifs, pour une économie de temps de travail estimée à 430 ETP. Mais au vu de ce que j'ai pu constater lors de mes déplacements dans les juridictions, en particulier de la surcharge de travail que suscite la mise en oeuvre d'applications informatiques, au premier rang desquels Cassiopée, ne serait-ce que les premiers mois, je doute un peu... Les personnels de greffe sont fortement mis à contribution. Je crains, à ce compte, que les recrutements n'aient l'effet que d'un feu de paille, et que l'on se retrouve gros Jean comme devant.
L'enveloppe de l'aide juridictionnelle, qui a baissé ces dernières années, est en progression sensible mais l'augmentation des crédits correspond pour l'essentiel au passage de la TVA de 5,5 % à 19,6 %, taux auquel seront assujettis les avocats à partir de cette année. Et la réforme de la garde à vue va accroître le nombre de vacations d'avocats. Que prévoyez-vous pour financer ces dépenses supplémentaires ?
La prise en charge par l'État du droit de plaidoirie dont tout justiciable doit s'acquitter n'est plus prise en charge par l'aide juridictionnelle, pour limiter les recours abusifs. Il est vrai que la somme est modeste : huit euros quatre-vingt quatre centimes. Mais outre que ces recours portent surtout sur le civil, je crains que cette disposition ne décourage en rien la chicane tandis qu'elle risque de poser problème au pénal, y compris pour les victimes. Ne serait-il pas plus pertinent de rendre obligatoire la consultation préalable d'un avocat ?
Je reviens sur la garde à vue. Qui en assurera le contrôle ? Le procureur ou le juge, comme le recommande la Cour européenne des droits de l'homme ? Si c'est le juge, ce sera probablement le juge des libertés : il faudra donc davantage de juges du siège. J'ajoute que la réforme accroîtra mécaniquement l'aide juridictionnelle : entre 50 et 120 millions supplémentaires la première année.
La disparition des avoués impose d'accélérer la dématérialisation des procédures. Or, on constate que les progrès demeurent très inégaux sur l'ensemble du territoire. Certaines juridictions ne veulent pas même en entendre parler, alors que les avocats n'auront bientôt plus d'autre ressource : ils devront y avoir recours.
Nous restons dans le brouillard sur la réforme de l'instruction. A la suite de l'affaire d'Outreau, nous avons créé, avec la loi du 5 mars 2007, des pôles de l'instruction. Mais avec la disparition de certains postes de juge d'instruction, certains tribunaux, qui comptaient deux juges, n'en comptent plus qu'un seul. Ils se demandent comment les choses vont se passer...
Ma question porte sur la réforme du code pénal des mineurs ? Mme Alliot-Marie avait prévu d'en lancer rapidement la nouvelle rédaction. Une réunion était prévue ce soir, dont je comprends l'annulation, mais j'aimerais connaître, monsieur le ministre, vos intentions.
Même chose pour la réforme de l'instruction. Toute sorte de bruits circulent. Peut-être pourriez-vous nous en dire plus ?
Vous avez parlé d'un nouveau calcul des frais de justice. Quelles en sont les modalités ?
Sur la réforme de la garde à vue, nous sommes en pleine incertitude. Le Conseil constitutionnel a jugé que le dispositif n'était pas recevable, mais pouvait perdurer quelques mois. Nous sommes donc dans une situation parfaitement baroque, qui nous vaudra sans nul doute bien des recours devant la Cour européenne des droits de l'homme. Entendez-vous donner priorité à l'examen de ce projet de loi, plus urgent que d'autres élucubrations sur lesquelles s'agitent diverses instances gouvernementales... Les magistrats ont été mis en cause, ces derniers mois, y compris par des membres du gouvernement. Que vous inspire cette situation ? On a beaucoup entendu parler de la philosophie qui inspire ce nouveau gouvernement et des différentes orientations en son sein. Quel est votre sentiment, monsieur le ministre, sur l'idée d'instituer des jurys populaires en correctionnelle ? Est-ce là une philosophie à laquelle vous êtes prêt à souscrire ?
Je m'en tiendrai à des questions budgétaires plus prosaïques. Je m'inquiète des effectifs : face à 236 départs en retraite prévus chez les magistrats - et peut être plus, puisque la réforme des retraites peut inciter les mères de trois enfants à partir plus tôt - vous mettez 160 recrutements. La différence est de 76, qui vont s'ajouter aux pertes des années précédentes. Cette involution va-t-elle se poursuivre ?
A Cahors, à Béziers, les enquêtes sociales ne sont pas payées. Les personnes chargées des enquêtes sont de plus en plus réticentes à les assumer. Par où se repose le problème des frais de justice. Sans compter qu'il y aura de plus en plus d'examens, notamment psychiatriques... A Bordeaux, le tribunal de grande instance a eu le plus grand mal à s'acquitter de sa note d'électricité. C'est dire combien sont grandes les difficultés.
Il est normal que les frais liés aux missions de sécurité que la chancellerie va désormais assumer passent de l'Intérieur à la Justice, mais les crédits supprimés au budget de l'Intérieur réapparaissent-ils dans le vôtre ? Les personnels craignent de n'avoir ni les moyens, ni même la formation nécessaire.
Pour avoir été naguère le chef d'orchestre de l'aménagement du territoire, il ne vous a pas échappé que vos deux prédécesseurs à la Justice ont largement détruit la vie judiciaire dans les départements : 256 tribunaux d'instance sont passés de vie à trépas et il est question de fermer vingt-cinq maisons d'arrêt. La direction de l'administration pénitentiaire a largement souffert de la RGPP. La politique du garde des sceaux que vous êtes aujourd'hui va-t-elle poursuivre dans cette voie. D'autant que l'on peut se demander si les crédits destinés aux regroupements immobiliers sont à la hauteur des engagements : des 900 millions promis, il semble qu'il n'y aurait que la moitié.
Je vous remercie de vos questions, marquées par l'expérience du terrain... Nous avons de gros progrès à faire, Monsieur Détraigne, en matière de gestion de personnels, notamment pour la gestion prévisionnelle des emplois. Le nombre des départs en retraite, toutes catégories confondues, a été de 1574 en 2008, 1345 en 2009, 1956 en 2010 et devrait être de 2038 en 2011, dont 226 magistrats. Les créations sont à mesurer à cette aune. Si la règle du non-remplacement d'un départ à la retraite sur deux avait été appliquée, le nombre de suppressions de postes devrait être de 1019 en 2011, alors qu'au contraire, 550 postes seront créés. Il n'y aura donc pas moins d'emplois qu'auparavant. Vous avez vous-même reconnu le progrès dans la symétrie entre magistrats et greffiers. Il reste certes une marge de perfectionnement, puisque le ratio n'est pas de un pour un, mais de 0,92 pour un, mais il ne reste qu'un petit pas à faire.
Je vous rejoins sur la nécessité d'une gestion prévisionnelle pour aider aux décisions de recrutement, dans la limite du plafond d'emploi fixé en loi de finances et au regard des effectifs des non titulaires. Je vous ferai, pour plus de détails, une réponse écrite.
Il est vrai que la mise en place de Cassiopée requiert un effort supplémentaire des personnels, mais l'objectif est de parvenir à un meilleur fonctionnement du service. La dématérialisation des actes et des pièces de procédure doit faire gagner du temps aux magistrats et aux auxiliaires de justice, qui, libérés d'une part du travail matériel, pourront se consacrer davantage à leur labeur intellectuel. Le budget consacré au programme Cassiopée s'élevait, au 1er novembre 2010, à 40,25 millions. Pour 2011, 3 millions de dépenses supplémentaires sont prévus, ainsi que 1,5 million pour la maintenance courte. Au 15 novembre 2010, 142 TGI avaient reçu l'application. Les TGI de province seront tous équipés avant mai 2011. Restent Aix-en-Provence, Nîmes, Strasbourg, Grenoble, Sens, Auxerre et Chartres. L'outre-mer sera équipé au plus tard en 2012. En région parisienne, la Seine-et-Marne sera équipée début 2011, Evry, fin 2011, Versailles, Créteil, Pontoise et Nanterre, au deuxième semestre 2011, Bobigny et Paris courant 2012. Certes, la mise en place crée une surcharge de travail les premiers mois, mais une régulation intervient ensuite, d'autant que les échanges inter-applicatifs avec les services de police et de gendarmerie sont en ordre de marche.
Oui, monsieur Sueur, la loi sur la garde à vue doit être rapidement votée. Le Conseil constitutionnel a donné jusqu'au 1er juillet 2011 pour la réformer. Pour tenir compte du mois d'examen nécessaire à la haute juridiction, il faudra donc avoir terminé fin mai. Sur un tel texte, le gouvernement n'envisage pas la procédure accélérée.
Le texte devrait donc être examiné à l'Assemblée nationale tout de suite après le vote du budget, mi-décembre.
Je n'ai jamais douté de vos capacités de travail, de jour comme de nuit. Je serai à vos côtés, pour une vingtaine de textes à venir...
Il est probable que la garde à vue coûtera, après la réforme, un peu plus cher. Cela n'est pas prévu au budget 2011. La mise en oeuvre de la réforme devrait avoir lieu au second semestre. La lettre plafond sur les dépenses triennales prévoit un abondement de l'aide juridictionnelle à hauteur de 50 millions. Mais vous serez sensibles au fait que le gouvernement s'est interdit de préempter votre décision sur une loi que vous n'avez pas encore votée...
Votre suggestion, monsieur Détraigne, de prévoir une consultation préalable d'avocat pour réduire le nombre de procédures, outre qu'elle coûterait 72 millions, me semble une voie incertaine : rien ne garantit qu'une telle consultation évite la procédure.
Le contrôle de la garde à vue est assuré, dans le projet du gouvernement, par le Parquet. Au Parlement de débattre. C'est avec humilité que le gouvernement viendra devant les représentants de la nation présenter un texte touchant aux libertés fondamentales... L'audition libre devrait réduire les gardes à vue de 300 000.
La réforme de l'instruction requiert un important travail de concertation... D'autant que dans la réforme du code de procédure pénale -j'observe que l'on n'a pas fêté, il y a deux ans, le centenaire du code d'instruction criminelle-, plusieurs chapitres sont ouverts.
En ce qui concerne les communications électroniques en matière civile, la Chancellerie travaille avec le Conseil national du barreau à accélérer l'équipement et les formations. La communication obligatoire en appel doit être opératoire, aux termes de la loi, en avril 2011. Un large de plan de développement électronique de la mise en état des affaires est également engagé dans les TGI.
Le nouveau calcul des frais de justice, monsieur Sueur repose sur la mise en place de services centralisateurs, dans les juridictions, et permettra de payer plus vite les auxiliaires de justice. Il restera des marges de progrès...
Vous vous inquiétez, monsieur Anziani, du nombre des magistrats. Mais il a augmenté, depuis 2007, de 380 et ce sont 1166 postes qui ont été créés depuis 2002.
Le même nombre qu'au XIXème siècle. Les choses n'ont donc guère changé depuis Le rouge et le noir de Stendhal...
Ils travaillaient beaucoup moins. Je ne crois pas être le seul à avoir dans mes cartons quelques une de ces eaux-fortes nées du talent de quelque ancêtre conseiller en cour d'appel, et qui ont le mérite de nous donner une idée sereine de la justice de l'époque...
En 2010, 8619 magistrats étaient en exercice, soit 1300 de plus qu'en 2002, date à laquelle ils étaient 7 343.
Ce n'était pas la question de M. Anziani. Lors de l'examen du projet de loi organique relatif à la limite d'âge des magistrats, votre prédécesseur nous a communiqué un tableau qui confrontait flux d'entrée des nouvelles promotions de l'ENM, en forte décroissance, et flux de sortie des futurs retraités : le décalage, impressionnant, laisse augurer, outre un problème de formation, des dysfonctionnements potentiels...
Nous avons augmenté de 17,8 % le nombre de magistrats. Toutes les organisations de magistrats exigeaient un effort de recrutement de fonctionnaires. Je vous répondrai plus précisément par écrit sur les chiffres.
Certains tribunaux sont en mauvais état financier - et souvent également en mauvais état matériel ! Le ministère s'est engagé à rechercher des ressources supplémentaires à destination des juridictions : dégel intégral de la réserve de précaution de 5 % appliquée à tous les crédits de fonctionnement, décret d'avance de 30 millions pour couvrir les dépenses de frais de justice. La direction des services judiciaires va mettre à la disposition des budgets opérationnels de programme des cours d'appel 21 millions en autorisations d'engagement et 27 millions en crédits de paiement - 4 millions pour les dépenses de fonctionnement; 23 millions pour les frais de justice - portant à 462 millions le montant des crédits alloués à ces dépenses, en hausse de 6% par rapport à 2009. Je regarderai les cas de Cahors, Bordeaux et Béziers avec attention, et vous répondrai par écrit.
Monsieur Mézard, le coût immobilier de la réforme de la carte judiciaire était estimé à 900 millions d'euros avant que la réforme ne soit arrêtée ; il est aujourd'hui évalué à 375 millions. En 2011, 40,5 millions seront destinés à financer sa mise en oeuvre.
La réforme de la justice pénale des mineurs est un grand chantier. Des réunions techniques vont avoir lieu ; les groupes de travail seront pluralistes. Les temps ont changé, l'ordonnance de 1945 n'est plus d'actualité.
Il s'agit de la refonder entièrement. On en parlait déjà lors de la réforme du code pénal !
Quelle est votre philosophie au sujet des propos de certains membres du gouvernement, jugeant que le juge des libertés avait « mal agi » ? Et comment réagissez-vous aux annonces présidentielles d'hier soir ? Y avez-vous été associé ?
Vous avez été membre du gouvernement, monsieur Sueur, vous savez comment les choses se passent ! Il n'y a pas lieu d'épiloguer : cela découragerait les légitimes ambitions. (Sourires)
J'ai accepté cette charge avec fierté et humilité, mais sans renoncer à mes convictions. Je fais pleinement confiance aux magistrats : si l'on n'est pas content d'une décision de justice, il y a des recours. Tout le reste n'est que fariboles. Chacun a vingt-quatre heures, dit-on, pour maudire son juge ! Il faut s'en tenir aux faits, à la Constitution. Rien ne sert de vouloir influer sur le cours des choses : je fais confiance aux magistrats.
Le Président de la République n'a pas dit qu'il fallait systématiquement un jury populaire dans les tribunaux correctionnels, mais pour les délits les plus graves. Je respecte les magistrats, mais les jugements sont rendus « au nom du peuple français », et se concluent par « la République mande et ordonne ». Il ne doit pas y avoir de décalage entre la justice et les citoyens. Les cours d'assises ont bien des jurys populaires !
Il faudra s'attaquer au reclassement des crimes et délits. Pourquoi pas des systèmes d'échevinage pour certains types d'infractions ? Ce sera au Parlement de trancher. Mais on ne peut en rester avec des peines correctionnelles prononcées plus fortes que des peines criminelles ! (M. le président approuve).
Les tribunaux correctionnels siègent en permanence, de 13 à 23 heures : il ne peut être question d'avoir en permanence un jury populaire, mais pour les délits les plus graves, la présence des citoyens aux cotés des juges ne me paraît pas choquante. Là encore, nous travaillerons de façon ouverte, en associant le Parlement.
Je redoute une déconnexion entre les dispositions financières et les exigences de la loi pénitentiaire. Comment créer des emplois dans les services d'insertion et de formation sans prendre sur le personnel de surveillance ?
Est-il encore nécessaire de porter le nombre de places de prison de 63 000 à 68 000, comme le gouvernement s'y est engagé, alors que le nombre de personnes incarcérées n'augmente pas, et que la loi pénitentiaire doit limiter les incarcérations ? Créer 5 000 places supplémentaires signifie donner la priorité à la surveillance, au détriment de l'insertion et de la formation...
Je compte sur le ministre pour appuyer de tout son poids la publication rapide des décrets d'application de la loi pénitentiaire.
L'administration pénitentiaire s'inquiète du comptage du ministère de l'Intérieur pour les escortes et gardes statiques qui lui sont affectés. Le ministre de l'Intérieur se félicitait devant nous de récupérer 1 200 postes.
S'agissant du programme de fermeture des anciens établissements pénitentiaires, ce sont 13 500 places qui doivent être reconstruites. Si la question ne se pose pas pour Loos-lès-Lille, par exemple, en dépit des travaux récents, en revanche, la qualité des locaux à Aurillac ou Châlons-en-Champagne justifie que l'on étudie les résultats de ces petits établissements en termes de récidive, de risque suicidaire, de réinsertion. Leur fermeture est-elle réellement pertinente ? Sans doute cette question explique-t-elle en partie le malaise des personnels...
Les six établissements pénitentiaires pour mineurs (EPM) sont en place depuis quelques années. Hormis à Marseille, ils sont toujours aussi peu remplis. Il faudra bien en évaluer le coût au regard du service rendu, de la réalité de la réinsertion et de la récidive. La débauche de moyens est choquante. Envisagez-vous de faire le point sur cette initiative, dont la gestion est parfois discutable ? Un séjour de huit ou quinze jours en EPM n'a aucun sens. Les critères géographiques ne sont pas non plus les plus satisfaisants.
Les moyens prévus ne seront pas suffisants pour mettre en oeuvre la loi pénitentiaire, qui est pourtant un minimum... Le mouvement social des surveillants de prison est mû par leur grande souffrance. À quand une étude comparative entre nouveaux établissements pénitentiaires, souvent grands et gérés en partenariat public-privé, et établissements plus petits ? Les personnels préfèrent les petites prisons aux nouveaux mastodontes - les détenus préfèrent parfois les anciennes prisons !
Le budget du service pénitentiaire d'insertion et de probation n'est pas à la hauteur ; il est pourtant indispensable pour mettre en oeuvre la loi pénitentiaire !
Le ministère met toute son ardeur à ce que la loi pénitentiaire soit mise en oeuvre au plus vite. Les décrets sont en cours de rédaction. Ceux sur l'aménagement des peines et le placement sous surveillance électronique ont été publiés au début du mois ; deux autres, sur la déontologie du personnel, les droits des détenus et la procédure disciplinaire, sont actuellement devant le Conseil d'État.
Les statistiques prévoient qu'il y aurait 80 000 personnes écrouées dans les années 2020. (Mme Borvo Cohen-Seat s'exclame). Cela correspond à 68 000 places et 12 000 aménagements de peine. Les 5 000 places supplémentaires sont donc nécessaires. Or il y a des bâtiments inadaptés, où les travaux sont impossibles : pour ceux-là, il n'y a d'autre solution que la fermeture, sauf à renoncer à appliquer la loi ! Je suis prêt à étudier avec vous les résultats des petits établissements, mais on se heurte aux limites des bâtiments...
Nous aurons une réunion spéciale sur Aurillac. Peut-être la communauté d'agglomération voudra-t-elle financer une prison moderne et modèle, où la loi pourrait être complètement appliquée ?
Nous ne disposons d'aucune statistique fiable sur les transferts de charges avec le ministère de l'Intérieur. Le directeur de l'administration pénitentiaire va se pencher sur le sujet. Nous mènerons une expérience dans deux régions, sur trois ans. Nous avons demandé un sur-arbitrage au Premier Ministre. Il faut mieux utiliser les technologies modernes, réduire les déplacements, bref, changer de méthodes. Nous avons obtenu le transfert de 884 équivalents temps plein ; il en faudrait cent de plus. Mais, comme pour les frais de justice, l'indépendance du magistrat commande !
Le recrutement de conseillers d'insertion et de probation a été massif : nous sommes passés de 1781 en 2002 à 3941 en 2010.
Je le mesure ! L'un de mes objectifs, qui peut paraître modeste, est d'appliquer les lois. Ce serait déjà pas mal ! (M. le président de la commission approuve) La loi pénitentiaire emporte beaucoup de conséquences.
Le malaise des surveillants est constant, plus ou moins larvé. Ils ont besoin de reconnaissance sociale. Dans mon village, mes anciens camarades de classe devenus gardiens de prison n'osaient pas dire leur métier... Depuis, il y a eu la réforme statutaire de 2006, et la loi pénitentiaire qualifie le personnel pénitentiaire de « troisième force de sécurité ». À moi désormais de rassurer ces personnels, et de leur dire combien ils sont utiles à la société !
Six EPM ont été mis en place dans le cadre de la loi de 2002 ; 33% des mineurs incarcérés le sont dans ces établissements, dont le taux d'occupation est de 77%. La création de ces établissements a permis de fermer 380 places dans les quartiers pour mineurs des prisons : c'est un progrès. L'encadrement est assuré par 75 fonctionnaires de l'administration pénitentiaire et 75 de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ). Éducateur et surveillant fonctionnent en binôme. Le taux de scolarisation est de 100%. Mais tout cela a un coût : 325 euros par jour.
Je crains que ce chiffre ne soit sous-évalué. Il y a dix jours, on m'annonçait un prix de journée de 1 100 euros, contre 1 500 il y a deux ans. (M. de Legge renchérit). Cela tient compte de l'ensemble du personnel.
Je maintiens le chiffre que je vous ai donné.
La Cour des comptes et l'Inspection générale des finances réfléchissent sur les critères à mettre en oeuvre pour faciliter les partenariats public-privé. Le budget augmente de 4% pour permettre l'application de la loi.
Je vous donne les vrais : ceux que le Parlement a votés.
Je me réjouis d'entendre notre nouveau Garde des sceaux.
Les crédits de la PJJ ont baissé de 5% depuis trois ans, et près de 300 postes ont été supprimés. Malgré les efforts financiers consacrés aux CEF et aux EPM, les acteurs de la justice pénale des mineurs sont inquiets pour l'avenir. Il semble difficile de réduire encore les crédits, notamment en milieu ouvert. Ne redoutez-vous pas que soient délaissées les missions confiées au milieu associatif ?
Les départements seront seuls chargés de l'enfance en danger à compter de 2011 ; seule l'investigation relèvera toujours de l'État. Cette évolution ne paraît pas adaptée à certains mineurs délinquants, comme les jeunes filles que j'ai rencontrées au centre éducatif fermé de Doudeville, qui ont commis des actes graves. Plutôt que de les lâcher dans la nature une fois majeures, il faudrait pouvoir continuer, dans un cadre civil, en assistance éducative, un suivi commencé au pénal, afin d'éviter une nouvelle rupture dans leur parcours.
De grandes disparités persistent sur le territoire s'agissant des délais d'exécution des décisions de justice. À Paris ou à Lyon, ces délais peuvent atteindre six mois à un an.
Il peut du coup y avoir réitération avant la première sanction. Quelles mesures la PJJ entend-elle adopter pour améliorer ces délais ?
Enfin, l'État a été mis en demeure par le Conseil d'État au sujet du fonds de compensation qui doit, désormais être abondé de 30 millions d'euros. On connaît les difficultés des conseils généraux. Le président du conseil général du Rhône que vous êtes est-il satisfait des relations entre la Chancellerie et les collectivités territoriales ?
Il fallait clarifier les compétences dans la prise en charge de l'enfance : aux collectivités territoriales les problèmes sociaux, à l'État la délinquance. La PJJ est recentrée sur le pénal. Les fonctions support ont été réorganisées et mutualisées, mais le nombre d'éducateurs n'a pas baissé.
S'agissant des relations entre l'État et les départements, nous avons mis fin au système de double habilitation, qui aboutissait à une véritable course à l'échalote : tout était mélangé, sans aucune rationalisation... Il était difficile de calculer précisément le budget des établissements, car les jeunes y sont affectés sur décision du juge. On constate donc une vraie amélioration.
En 2011, les crédits consacrés aux mineurs délinquants augmentent de 2% par rapport à 2010. Entre 2009 et 2010, les délais de prise en charge sont passés de 17 à 12,6 jours en moyenne dans le secteur public, de 19,5 à 16,6 jours pour le secteur associatif habilité. Il est vrai que les délais sont inégaux selon le lieu.
S'agissant des jeunes filles que vous évoquez, le code de l'action sociale et des familles prévoit une mesure administrative de protection de la jeunesse majeure : une décision de justice n'est pas nécessaire. Je connais des départements où l'on aide des jeunes au-delà de 18 ans.
Il faut une sortie en sifflet, avec un maintien du dialogue entre le jeune et ses éducateurs. Ce n'est pas parce qu'on atteint 18 ans que l'on est pour autant autonome et indépendant...
Plus le séjour en CEF est long, moins il y a de récidive à la sortie. Il faut un moyen de poursuivre le suivi après le dix-huitième anniversaire.
Ce moyen existe : il faut mieux le faire connaître.