Mesdames et Messieurs, je vous accueille avec beaucoup de plaisir et vous remercie d'être présents à cette troisième table-ronde organisée dans le cadre de notre mission d'information. Le thème d'aujourd'hui est la règlementation, le commerce et le contrôle des pesticides.
Je rappelle que cette mission, constituée en février 2012, s'intéresse à l'impact des pesticides sur la santé et l'environnement. Nous avons débuté nos travaux en mars 2012 et devrions les achever au cours du mois d'octobre, avec la remise de notre rapport. Cette mission a été créée à l'instigation de Mme Nicole Bonnefoy, sénateur, élue de Charente, qui a été alertée par plusieurs agriculteurs victimes de pesticides dans son département, notamment M. Paul François, président de l'association Phyto-Victimes.
La mission a orienté ses travaux en direction des personnes en contact proche avec les produits phytosanitaires : fabricants, utilisateurs, riverains de l'industrie ou de l'agriculture, habitants des collectivités territoriales et leurs familles. Cette mission a la particularité d'être composée de vingt-spet sénateurs membres de chacune des commissions permanentes du Sénat et tous les groupes politiques y sont représentés. Elle doit s'immerger dans un sujet technique et vaste, afin de formuler une analyse et des préconisations susceptibles d'être concrétisées ultérieurement.
La table-ronde d'aujourd'hui suit près de quatre-vingts auditions organisées au Sénat et en province à l'occasion de quatre déplacements - en Charente, dans le Lot-et-Garonne, en Bretagne et dans le Rhône - incluant des visites et des auditions. Les comptes rendus de l'ensemble de ces auditions figureront dans le second tome du rapport.
La mission va entendre aujourd'hui même Mme Marisol Touraine, ministre de la santé. Nous avons également entendu des administrations, des agences de recherche, des chercheurs et les représentants des principales parties prenantes du secteur, notamment l'industrie chimique, l'industrie phytosanitaire, l'industrie du jardin, les coopératives, le négoce, et la grande distribution.
J'espère que cette table-ronde permettra d'approfondir nos connaissances et de recueillir un supplément de sagesse et de clairvoyance.
Au cours de nos auditions, nous avons été alertés à de nombreuses reprises sur les fraudes et sur l'existence de circuits de commercialisation parallèles de produits phytosanitaires, dont des produits parfois interdits en France. Il nous a donc semblé utile de vous réunir aujourd'hui pour mieux appréhender la nature du trafic, son ampleur, ses mécanismes et recueillir vos recommandations.
Au nom de la mission d'information, je vous remercie de votre présence.
Il existe deux pôles de santé publique en France : le pôle de santé publique de Paris, constitué d'un parquet et de quatre cabinets d'instruction ; le pôle de santé publique de Marseille constitué d'un parquet et d'un cabinet d'instruction. Nous nous partageons le territoire français, à savoir deux tiers pour le pôle de Paris et un tiers - la Corse, la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, le Languedoc-Roussillon et Rhône-Alpes - pour le pôle de Marseille. Ces pôles ont vocation à traiter les dossiers de sinistres avec des préjudices sériels, c'est-à-dire des victimes multiples, en France ou à l'étranger. J'instruis actuellement trois dossiers de trafic de produits phytopharmaceutiques : les deux premiers présentent des points communs très importants ; le troisième est sans lien avec les autres.
L'office central des atteintes à l'environnement et à la santé publique a une compétence nationale. Il comprend deux divisions. Celle consacrée à l'investigation réunit un groupe spécialisé sur les produits phytopharmaceutiques. Je développerai ultérieurement ses missions.
Je suis venue avec M. Dominique Julien et M. Maurice Boureau, enquêteurs de la brigade nationale d'enquêtes vétérinaires et phytosanitaires. Nous travaillons dans une structure relativement légère, directement placée auprès du directeur général de l'alimentation. La structure a été créée en 1992 avec une compétence nationale pour lutter contre l'utilisation des anabolisants chez les animaux. En 2002, sa compétence a été étendue aux produits phytosanitaires.
Plus particulièrement chargés de combattre la délinquance organisée, nous assurons le lien entre l'inspection classique et les autorités de justice. En effet, nous conduisons un travail de recherche d'infractions sur le terrain, pour comprendre les mécanismes de la délinquance économique. Nous apportons les dossiers aux acteurs de la police judiciaire, notamment l'OCLAESP et les pôles santé publique des tribunaux. Nous assurons d'autres missions, telles que la lutte contre le trafic de chiens, mais, dans nos effectifs, trois équivalents temps pleins sur dix sont consacrés à la lutte contre le trafic de produits phytosanitaires au sein de notre structure.
direction générale de l'alimentation du ministère de l'agriculture, chef du bureau des biotechnologies, de la biovigilance et de la qualité des végétaux. - Le bureau que je dirige est en charge de l'organisation, du pilotage et du suivi des contrôles de la distribution et de l'utilisation des produits. Ces contrôles sont réalisés par les services régionaux de l'alimentation, situés au sein des directions régionales de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt. Nous réalisons un peu plus de 6 000 contrôles annuels pour nous assurer que les produits sont utilisés conformément à leur autorisation, dans des conditions conformes aux impératifs règlementaires.
Venu avec mon confrère, Me Jean-François Funke, je suis à la tête d'un cabinet qui est spécifiquement orienté vers l'assistance aux personnes publiques, voire aux corps intermédiaires. Cette spécificité l'a conduit à intervenir depuis plus de quinze ans dans la plupart des grands dossiers de santé publique et d'environnement. Nous avons également acquis une expérience unique sur le territoire national en droit administratif et pénal des produits phytopharmaceutiques.
Tous les membres du cabinet ont été auditeurs de l'Institut National des Hautes Études de la Sécurité nationale et de la Justice (INHESJ), placé sous l'autorité du Premier ministre. Me Jean-François Funke et moi-même avons participé à des groupes de travail qui ont rendu des rapports sur ces questions. Personnellement, j'ai été rapporteur sur la sécurité sanitaire et alimentaire. A cette occasion, je me suis intéressé au rôle de l'Agence européenne de sécurité alimentaire (EFSA) et au rôle des agences nationales. Me Jean-François Funke a participé au groupe de travail sur le principe de précaution. Mme Catherine Troendle, sénateur, élue du Haut-Rhin, a présidé le groupe de travail sur le diagnostic de sécurité. Nous avons donc une expertise ancienne et complète sur ces questions. Tous les membres de mon cabinet sont également des universitaires.
adjointe au bureau chargé du contrôle des marchés des produits végétaux et d'origine végétale, des boissons et des vins, DGCCRF. - La DGCCRF intervient pour contrôler deux éléments, en commençant par les taux de résidus de pesticides dans et sur les produits d'origine végétale. Tous les ans, nous réalisons environ 5 000 contrôles conformément aux obligations communautaires. Nos prélèvements portent essentiellement sur des fruits et des légumes frais, des céréales et certains produits transformés d'origine végétale. Par ailleurs, nous contrôlons les produits phytopharmaceutiques mis en vente : nous vérifions principalement l'étiquetage et la conformité à l'autorisation de mise sur le marché.
Le bureau E2 est chargé des règlementations atypiques et dérogatoires au principe de libre circulation des marchandises. Il s'agit, par exemple, du matériel de guerre, des organismes génétiquement modifiés, des produits sanitaires ou phytosanitaires. Pour ce qui est des pesticides, la douane doit uniquement veiller à ce que les produits importés des pays tiers ou exportés vers eux soient bien accompagnés de l'autorisation de mise sur le marché. Le code des douanes nous permet de rechercher des infractions à l'importation et à l'exportation, ainsi que de les sanctionner. Je suis venu avec deux collègues qui vous présenteront leur activité dans le domaine des pesticides : Mme Jacqueline Plantier, chargée de la politique de contrôles et Mme Laurence Larhant, du service national des douanes judiciaires.
Nos premières questions portent sur le trafic de produits phytosanitaires, sa nature et son ampleur. Qui sont les trafiquants ? S'agit-il s'un trafic organisé ? Pourriez-vous brosser un tableau des infractions ?
Sans trahir le secret de l'instruction des affaires instruites au sein de mon cabinet - je pense notamment à deux énormes dossiers qui concernent les mêmes protagonistes - je peux mentionner qu'il existe actuellement des trafics organisés à l'échelle internationale, dans toute l'Union européenne, avec des ramifications à l'étranger, jusqu'en Afrique du Sud ; le même personnage se trouve à la tête de deux réseaux. Or, il continue de trafiquer en toute impunité, car les autorités judiciaires nationales qui pourraient travailler sur ce type de trafics ne voient pas l'intérêt de travailler avec les autorités françaises, notamment parce que l'un de leurs ressortissants se trouve à la tête du réseau. Des considérations économiques donc priment sur la sécurité sanitaire.
Nous observons dans ces deux dossiers un dévoiement total de la réglementation sur les importations parallèles, qui consiste à accorder à une personne l'autorisation d'importer puis de réexporter un produit qui a son équivalent dans le pays d'origine et dans le pays destinataire. Lorsqu'une autorisation est délivrée, le contrôle à l'entrée se limite nécessairement à un contrôle documentaire. Il est interdit, dans ces situations, de procéder à des analyses. La traçabilité des produits n'est pas vérifiée au nom du principe intangible de la libre circulation des marchandises et de la libre concurrence. Cependant, certains trafiquants utilisent cette règlementation pour faire entrer sur le territoire des produits dont on ignore l'origine et faussement étiquetés comme des produits autorisés. Il s'agit parfois de produits retirés du marché puis remis en vente avec un faux étiquetage et une fausse appellation pour éviter les frais de destruction, très élevés.
Nous connaissons parfois l'origine de ces produits parce que nous avons découvert l'identité de leur formulateur, qui était installé en France. Il fabriquait des produits censés provenir d'autres pays. Cependant, il existe également des produits dont nous ne connaissons absolument pas l'origine. Nous avons réussi à endiguer la fraude sur le territoire français pour ces deux dossiers mais sans parvenir à couper la tête du réseau protégée par les dysfonctionnements de la coopération judiciaire internationale. En effet, l'intéressé prend garde à ne pas commettre d'acte délictueux dans son pays, l'Allemagne, où l'on ne voit donc pas l'intérêt de prendre des mesures à son encontre.
Comment les fabricants de produits phytosanitaires en Allemagne réagissent-ils au vu de cette situation ?
Les entreprises connaissent cette réalité, puisqu'elles sont parties civiles dans le dossier. Néanmoins, elles participent fort peu à la procédure pénale et sont réticentes lorsque nous les contactons pour obtenir des informations complémentaires, craignant sans doute de communiquer des éléments sensibles.
Lorsque j'ai pris la direction de la brigade en 2005, la direction générale de l'alimentation (DGAL) s'intéressait à l'importation parallèle. A Un collègue dénonçait un système de blanchiment de produits appartenant à des firmes. La cellule phytosanitaire fut créée deux ans plus tard. L'ampleur du phénomène était telle que nous avions besoin de trois ou quatre personnes à temps plein sur ce sujet. Pour comprendre la logique du marché nous avons rencontré trente à quarante distributeurs par an. Nous avons donc pu faire le tour du dossier, recouper les éléments et les transmettre au pôle de santé publique de Marseille. Ces enquêtes ont permis de comprendre un certain nombre de mécanismes : quatre ou cinq réseaux coexistent en Europe, imbriqués les uns dans les autres. Ces délinquants ont été chassés de l'hexagone mais l'importation parallèle se poursuit ailleurs en Europe.
Les personnes impliquées ont été mises en examen et contrôlées. Cependant, elles continuent leurs activités de blanchiment ailleurs.
Le climat français a refroidi les trafiquants. S'agissant des firmes, nous nous heurtons au secret de fabrication. Nous avons averti les groupes des risques qu'ils encouraient s'ils venaient à être confondus. Les actions menées en 2007 ont suffi à les dissuader de revendre leurs restes de produits.
Les entreprises avaient parfois recours à l'importation parallèle pour écouler leurs fins de stocks. Elles ont mis un terme à ces pratiques.
Non. Les entreprises commercialisaient leurs propres produits, mais en vrac. Nous avons donc estimé que le produit qui faisait l'objet d'une importation parallèle devait être mis sur le marché français avec un double étiquetage et dans son emballage d'origine.
Oui, mais ils étaient vendus en vrac. Les industries phytopharmaceutiques fabriquent du volume conditionné et étiqueté pour le marché final dans tel ou tel pays. En France, il était initialement impossible de mettre sur le marché un produit qui n'était pas conditionné dans son emballage d'origine. Les produits étaient ré-étiquetés en France. Les contrôles ont poussé les entreprises à vendre les produits dans leur emballage. Les personnes qui font de l'importation parallèle et qui trichent n'achètent pas leurs produits conditionnés chez les firmes. Elles fabriquent les produits et imitent les emballages. C'est de la contrefaçon.
Vous avez employé le terme de « blanchiment ». Qu'entendez-vous par là ?
L'importation parallèle consiste, par exemple, à vendre en France un produit Bayer allemand sous le nom de Bayer. Il s'agit du même produit, qui bénéficie d'une autorisation de mise sur le marché (AMM) en Allemagne et d'une autre en France. Au titre de la libre circulation, ce produit est ré-étiqueté en France pour que l'étiquette soit lisible. Les trafiquants utilisent ce mécanisme commercial autorisé pour faire de la contrefaçon. Ils prétendent ainsi vendre un produit Bayer.
Une contrefaçon bien faite ne nécessite-t-elle pas une véritable industrie ?
Dans l'un des dossiers que j'instruis, le formulateur qui travaille pour ces trafiquants est également celui des grandes firmes comme Bayer. Il s'agit du meilleur et du seul formulateur en France. Nous avons procédé à des analyses toxicologiques de ses produits. Nous avons trouvé quelques impuretés, mais rien de significatif. Cependant, les produits sont des contrefaçons dès lors qu'ils ne sont pas fabriqués par la firme, ni à sa demande.
Lorsque nous évoquons des contrefaçons, nous faisons allusion à des copies. Les entreprises phytopharmaceutiques sont venues, à notre demande, nous expliquer leurs secrets d'étiquetage. Cela nous a permis d'identifier les fraudes. Venir à la brigade d'enquêtes phytosanitaires leur est plus facile que rencontrer les représentants du pôle de santé publique.
Les firmes ne veulent pas dévoiler ce type de secrets dans le cadre de l'enquête judiciaire, car les informations données sont consignées dans des dossiers portés à la connaissance des personnes appréhendées. Ces dernières pourraient alors utiliser ces informations à l'occasion de fraudes ultérieures. C'est pourquoi les entreprises sont réticentes à nous communiquer certaines informations.
Nous nous sommes rendus à la direction générale santé et consommateurs (DG SANCO) pour exposer les difficultés que nous rencontrons dans l'exercice de nos fonctions. Nous y avons été chaleureusement accueillis. De nouveau, nous avons évoqué la nécessité de disposer de laboratoires d'analyses à l'échelle communautaire, sachant que ces derniers doivent être performants et coûtent cher. Par ailleurs, un représentant de la DG SANCO a suggéré qu'il était inutile de mobiliser des moyens pour lutter contre des copies bien faites... Or, nous ne pouvons jamais être certains que les copies soient de qualité. En outre, les sociétés phytopharmaceutiques, qui ont une image à défendre, dédommagent d'éventuelles victimes, alors que les réseaux qui effectuent des copies n'assument aucune responsabilité.
Dans le dossier que j'évoquais, nous avons eu affaire à une erreur. L'étiquetage correspondait à un produit fongicide, alors que l'emballage contenait le principe actif d'un insecticide. Les précautions d'usage rapportées sur l'étiquette ne correspondaient donc pas à la substance vendue. Ces produits sont fabriqués dans des laboratoires clandestins dont nous ignorons parfois les pratiques.
Si je comprends bien, il existerait des trafics de « vrais produits » étiquetés par d'autres acteurs que celle d'origine, et des trafics de « faux produits » ?
Certains produits contiennent des résidus plus importants que la quantité autorisée, et sont par conséquent plus toxiques.
Le formulateur dont vous avez parlé est-il conscient de participer à de la contrefaçon ?
Oui, mais il n'en dit rien. Il est reconnu au niveau national et international.
Nous observons le même fonctionnement dans des firmes chinoises ou indiennes. Leur formulateur fabrique des médicaments tant pour la vente réglementée que pour la contrefaçon.
Je travaille dans un service douanier de police judiciaire spécialisé dans certains domaines économiques et financiers. Son champ de compétences recoupe la thématique environnement et santé publique. Nous avons traité plusieurs affaires qui nous avaient été transmises par les pôles de santé publique, mais également par d'autres tribunaux de grande instance. Nous avons été saisis en matière de pesticides, toujours à la suite de constats administratifs réalisés par la BNEVP.
Je tiens à souligner la complexité de la règlementation, qui exige que des spécialistes puissent faire des constats administratifs, constituant le socle d'une opération judiciaire.
Je souhaite formuler quelques observations tirées de l'expérience du service douanier de police judiciaire. La technicité et la complexité de la règlementation sont réelles, mais les personnes physiques ou morales mises en cause n'invoquent jamais la méconnaissance du droit applicable. Vous avez posé une question sur les quantités concernées. Les dossiers de pesticides que nous avons traités couvraient deux thématiques : l'étiquetage ou la contrefaçon de marque. Les quantités sont très variables. Dans les dossiers d'AMM et de double étiquetage, elles varient entre quelques kilogrammes et plusieurs tonnes Dans l'affaire de contrefaçon issue du tribunal de grande instance de Bordeaux, nous étions confrontés à 1 million de litres de produits en provenance d'Afrique du Sud et d'Allemagne.
La question de la qualité des produits va de pair avec celle des analyses et leur prix. Je me souviens d'un dossier dans le cadre duquel, suite à l'enquête préliminaire, les enquêteurs judiciaires soupçonnaient des infractions qui méritaient d'être confirmées par des analyses. Il me semble que le parquet a renoncé à y procéder pour des raisons de coût.
Les analyses coûtent environ 3 000 euros et peuvent constituer des machines à perdre. Dans un dossier d'AMM, seules les impuretés au-delà d'1 % sont prises en compte dans l'évaluation de la toxicité. Les firmes savent que certains produits ne sont pas issus de leurs usines, car elles procèdent à un important travail de purification. Mais les choses sont en train d'évoluer, puisque les firmes inscrivent désormais des marqueurs précis dans les dossiers d'AMM.
Les produits vraiment autorisés sur le marché ont-ils un étiquetage sécurisé et des marqueurs spécifiques ?
C'est le système vers lequel nous tendons.
Le dossier déposé auprès de l'ANSES doit préciser que le marqueur correspond au produit.
Si vous deviez formuler des recommandations, préconiseriez-vous la création d'un laboratoire d'analyse communautaire ?
Je suggèrerais également que les firmes prévoient des marqueurs déclarés auprès des agences d'évaluation, soumises au secret professionnel.
Il faudrait mettre en place un enregistrement qui permettrait de faire foi, comme cela se fait en matière de brevets ou de marques. Nous pourrions alors avoir accès à l'enregistrement et vérifier si les produits litigieux sont conformes à l'enregistrement.
Pourquoi les firmes ne s'inquiètent-elles pas outre mesure de la contrefaçon ?
Les firmes sont réticentes vis-à-vis de la procédure judiciaire car elles ne veulent pas livrer certaines informations.
Nous avions envisagé de solliciter les secrets d'étiquetage des firmes dans le cadre d'une réunion de l'UIPP, mais nous nous sommes heurtés à une fin de non-recevoir. Les secrétaires des firmes nous ont indiqué que les firmes n'accepteraient que des rendez-vous en tête à tête.
Je souhaite revenir sur les difficultés de la coopération judiciaire internationale. Elle est longue, difficile et hasardeuse mais le SNDJ a eu une expérience heureuse en la matière à l'occasion d'une commission rogatoire internationale délivrée aux autorités belges. Des enquêteurs se sont déplacés. Nous avons probablement bénéficié de la conjonction d'éléments intéressants : la détermination du juge d'instruction et les efforts de la douane judiciaire pour envoyer des enquêteurs sur place. Ces éléments ont permis d'établir l'implication de plusieurs personnes physiques en France et ailleurs en Europe.
J'insiste également sur la détermination des enquêteurs de l'office, qui se sont déplacés à chaque fois, notamment aux Pays-Bas, en République tchèque - où ils ont été très mal accueillis -, en Suisse, à Monaco, et au Luxembourg. Certains pays ne coopèrent pas, notamment pour des questions de procédure.
Nous travaillons très bien avec les Slovaques pour combattre les trafics de chiens. La coopération avec les Hollandais est plus délicate.
Lorsque ces produits sont en France, qui les achète, comment, par quels circuits de distribution ?
A l'occasion de contrôles réalisés chez les utilisateurs, nous avons appris que les agriculteurs habitant près des frontières les franchissent pour aller s'approvisionner hors de France. Par ailleurs, des opérateurs effectuent des commandes groupées depuis la France et distribuent ensuite les produits chez les agriculteurs.
Ces opérateurs sont des groupements d'agriculteurs. Ils peuvent être des groupements d'intérêt économique mais également des groupes informels. Les achats sont réalisés directement par les utilisateurs.
S'agissant de la distribution à proprement parler, il convient de distinguer plusieurs catégories de distributeurs sur le territoire. Ces derniers recherchent des prix qui leur permettent d'avoir un avantage concurrentiel. Ils s'approvisionnent donc auprès des sociétés qui proposent des produits d'importation parallèle mais lorsque les produits ne sont pas les bons, ces acheteurs se font rouler. Ces acheteurs, coopératives ou négociants ayant pignon sur rue, recherchent un avantage concurrentiel à tout prix.
En cas d'importation parallèle, n'existe-t-il aucune obligation d'analyse ?
Non, nous n'avons pas le droit de procéder à des analyses.
Les textes recommandent d'éviter les analyses.
A des sociétés d'import-export spécialisées dans l'importation parallèle. Elles se situent en Allemagne, en Angleterre, parfois en France.
Si une infraction est constatée, les distributeurs n'ont-ils aucune responsabilité à assumer?
Peu de jugements ont été prononcés pour l'instant. Nous verrons comment se dérouleront les audiences de l'année prochaine. Nous pouvons supposer que les distributeurs se verront attribuer certaine responsabilité, mais il y a fort à parier qu'elle restera modeste.
Ces trafics sont attractifs, car de minimes prises de risques procurent des gains immenses. . Les trafiquants encourent au maximum 75 000 euros d'amende alors que le trafic leur permet de gagner des centaines de milliers d'euros.
Je résume vos propos : il existe des sociétés d'import-export connues et spécialisées dans le commerce parallèle. Des distributeurs et des négociants connaissent ces sociétés et leur achètent des produits parce qu'ils sont moins chers. Peu leur importe en outre d'être appréhendés par la justice, les amendes étant dérisoires au regard des gains espérés.
L'importation parallèle est légale. Dans ce cas, seul le contrôle documentaire est possible lors de l'introduction des produits. Nous n'analysons rien et ne vérifions pas l'identité du fabricant. Mais les distributeurs nous disent : pourquoi voulez-vous que nous vérifiions ces produits si l'administration elle-même s'en abstient ?
Pour un douanier, le terme d'importation peut être assez impropre. En 2011, 185 000 tonnes de pesticides ont été introduites sur le territoire national. La libre circulation des produits interdit à la douane de contrôler les introductions, c'est-à-dire les produits provenant d'un Etat de l'Union européenne. Quant aux importations représentent 32 000 tonnes de produits, soit 15 % des volumes entrés sur le territoire national.
Les introductions proviennent des Etats de l'Union européenne, tandis que les importations proviennent des pays tiers. De même, la règlementation distingue les expéditions et les exportations.
Que fait la douane à l'importation, c'est-à-dire pour 15 % des flux ? L'importation nécessite une déclaration en douane de la part d'un déclarant. Le déclarant effectue cette déclaration via un code produit, initialement créé pour simplifier la taxation à l'importation. Dans ce cadre, le déclarant peut signaler qu'il est, ou non, soumis à la règlementation phytopharmaceutique. Les douanes peuvent alors vérifier l'AMM et la conformité de l'étiquetage par un contrôle physique et documentaire.
Lorsque nous réalisons des analyses, celles-ci ont vocation à vérifier que le produit est bien taxé. Par ailleurs, il convient de noter qu'un produit ne peut pas entrer sur le territoire national tant que l'analyse n'est pas terminée. Le coût de stockage s'ajoute donc au prix de l'analyse.
Pour autant, nous avons effectué 354 contrôles à l'importation (documentaires ou physiques) en 2011. En outre, nous avons procédé à 82 analyses et relevé 29 non conformités douanières. Jusqu'à présent, aucune non-conformité liée à la règlementation des produits phytopharmaceutiques n'a été constatée.
Les produits importés sont-ils donc susceptibles d'être analysés, contrairement aux produits introduits ?
Tout-à-fait. Dans ce cas, c'est la DGCCRF qui intervient.
Aujourd'hui, la quasi-totalité des matières actives importées provient d'Inde ou en Chine. Les 15 % de produits évoqués sont à notre avis des produits stables. Les copies sont fabriquées à partir de la matière active importée via l'Allemagne ou la Hollande sous forme de produits chimiques, non de pesticides. Les produits ne sont donc pas contrôlés comme pesticides. Cette matière active ne sert à rien tant qu'elle n'est pas formulée.
Les copieurs formulent en Allemagne, en Angleterre et en Belgique ; ils reproduisent les produits Bayer BASF à partir de la matière active qui est légalement entrée sur le territoire européen. Nous ne pouvons pas demander aux douaniers de contrôler des produits qui ne peuvent pas l'être.
Les copieurs, qui avaient l'habitude de formuler et d'étiqueter au même endroit, ont trouvé une nouvelle technique. Ils se fournissent en matière active, par exemple, à Rotterdam, la font formuler en Belgique, conditionner en France, puis, éventuellement, étiqueter en Angleterre pour obtenir un produit d'importation parallèle destiné à la Lituanie. Ainsi, nous n'avons pas toujours les moyens d'agir sur le réseau.
Je suis surprise parce que vous n'avez pas du tout évoqué le cas de l'Espagne, un pays dont les personnes auditionnées nous ont beaucoup parlé.
La règlementation est en train d'évoluer ; je crois que les agriculteurs ont anticipé ce changement. Ils peuvent désormais aller acheter leurs produits à titre personnel en Espagne. Cette possibilité nécessite des conditions bien précises : le produit doit être issu d'une importation parallèle et la matière active et les usages doivent être autorisés en France.
Cette possibilité fait beaucoup de bruit parce que l'Espagne est liée au Sud de la France. Certains produits vendus en Espagne n'ont pas d'AMM en France. Certaines matières actives sont interdites en France, mais autorisées en Espagne. D'autres sont interdites au niveau communautaire. La différence de prix explique le trafic. Cette différence est notamment liée à la redevance sur la pollution diffuse (RPD), calculée au prorata de la dangerosité du produit et qui peut représenter près de 40 % de différence pour les produits classés « T+ ». Enfin, on franchit aisément la frontière.
La situation décrite ne correspond pas à un trafic. Dans le cas de l'Espagne, les agriculteurs vont eux-mêmes chercher des produits. Il n'y a pas d'organisation délinquante susceptible de préoccuper le pôle de santé publique.
Vous avez raison. Cependant, les petits ruisseaux font les grandes rivières. Au final, les volumes sont conséquents.
Le trafic entre l'Espagne et la France a été le premier à l'origine d'un contentieux judiciaire. Instruit au tribunal de grande instance de Saint-Gaudens, puis à la cour d'appel de Toulouse, il n'impliquait pas seulement des individus agriculteurs. En effet, l'instruction a mis en évidence deux structures organisées qui avaient leur siège sur le territoire national, s'approvisionnaient en gros en Espagne et distribuaient les produits sur le territoire français. Les profits étaient importants pour les raisons évoquées.
L'une était une société commerciale, l'autre était un groupement associatif d'agriculteurs. Les deux brassaient des volumes très importants. Le trafic avec l'Espagne est consistant, car la frontière avec ce pays est l'une des plus faciles à franchir. Par ailleurs, le marché phytopharmaceutique dans le Lot-et-Garonne et la région toulousaine est potentiellement considérable. L'intervention musclée des juges d'instruction a permis d'éradiquer provisoirement ce trafic.
Cependant, le résultat judiciaire, qui peut constituer un signal à destination des délinquants, a été désolant : les sanctions prononcées n'ont été que de petites peines d'amendes, les plus élevées avoisinant 2 000 €. Une seule peine d'emprisonnement avec sursis a été prononcée à l'encontre de l'un des délinquants, qui avait refusé de comparaître. Le signal judiciaire est dérisoire et l'exemplarité médiocre au regard de l'importance des atteintes à l'environnement ou à la santé.
Les visites effectuées dans le Lot-et-Garonne nous ont rassurés car nous avons rencontré des professionnels compétents. Ayant eu à connaître des affaires d'importation en tant qu'avocat, je me souviens de la grande incertitude qui planait sur l'origine des produits.
Les grandes entreprises de produits chimiques ne souhaitent probablement pas mettre en place des marqueurs, parce qu'elles trouvent un intérêt à vendre leurs produits dans différents pays, sous des marques différentes et à des prix très différents. De la sorte, nous ne savions jamais d'où venaient les produits vendus en Espagne, s'ils provenaient du Brésil ou d'Allemagne.
Je pense que le signal judiciaire que j'évoquais plus tôt est important à plusieurs titres, et tout d'abord d'un point de vue social. En effet, il est important que les autorités judiciaires montrent que ce type d'infractions est grave. Le législateur a d'ailleurs classé ces infractions parmi les plus graves et institué des peines d'emprisonnement importantes et des amendes lourdes.
Un signal faible est néfaste pour le fonctionnement de l'administration, car les fonctionnaires en charge de la constatation des faits sur le terrain et ceux chargés de l'instruction des dossiers administratifs préalables à la saisine des parquets sont désolés de voir qu'un travail souvent considérable aboutit à un résultat inconsistant. Il en va de même pour les quelques magistrats instructeurs qui ont connu ces dossiers. Il y a là un défaut de conscience des parquets concernant la gravité de ces infractions, leurs conséquences sur la santé humaine ou animale et sur la protection de l'environnement.
La problématique des sanctions recoupe celle de la responsabilité.
Clarifions d'abord le type d'infraction dont nous parlons. En matière de pesticides, de nombreux codes peuvent être appliqués : le code rural, ceux de l'environnement, de la consommation, de la propriété intellectuelle et celui des douanes pour les infractions de contrebande mais aussi pour les contrefaçons. Ainsi, une multiplicité d'ensembles juridiques peut apparaître dans une même affaire. Les sanctions encourues sont variables et peuvent aller de quelques mois de prison ou de faibles amendes pour des infractions au code rural, à dix ans d'emprisonnement pour une infraction de contrebande commise en bande organisée.
Les responsabilités doivent également être distinguées : un individu est-il responsable de détenir, de vendre, d'avoir acheté, d'avoir importé des produits illicites ?
Tous les tribunaux de grande instance peuvent être confrontés à des affaires de produits phytosanitaires. Cependant, tous ne veulent pas traiter ces affaires ou n'en seront pas capables. Dans certaines régions rurales, les tribunaux craignent les conséquences d'une affaire susceptible de nuire à l'activité agricole locale. Dépayser les affaires en les transférant à des pôles de santé publique permet d'avoir les coudées plus franches.
En outre, il faut trouver un lien de cause à effet entre les formulations et les pathologies, prouver que tel produit a bien causé la maladie de tel agriculteur. L'exercice est souvent difficile, car nous sommes fréquemment confrontés à des cocktails de produits. Il devient alors impossible d'incriminer un produit précis. L'agriculteur, victime, ne saura vers qui se tourner, d'autant plus s'il n'a pas utilisé d'équipement de protection !
La BNEVP travaille actuellement sur le carbofuran, un produit interdit depuis 2008 mais encore utilisé. Il est responsable de l'empoisonnement de plusieurs animaux. Trois vautours sont morts en Ariège.
Il convient de distinguer l'empoisonnement du trafic de produits phytosanitaires, qui se retrouvent dans l'assiette du consommateur.
Nous sommes peu nombreux à être spécialisés en santé publique. Nous nous formons souvent sur le tas, faute de formation continue pointue sur le sujet.
Nous sommes une quinzaine de magistrats à travailler sur ces dossiers. Le dossier que j'évoquais tout à l'heure compte treize tomes et n'est pas terminé. Il renvoie également à une règlementation complexe. La seule juridiction de jugement spécialisée se trouve à Paris. Les affaires de Marseille sont traitées par la chambre financière.
Au cours des années à venir, le législateur devra unifier les normes pénales relatives à la santé publique et à l'environnement.
S'agissant des produits phytopharmaceutiques, le législateur a établi dans l'article L. 253-17 du code rural, à l'instigation de la directive européenne d'origine (directive 91/414), une déclinaison exhaustive de toutes les hypothèses de méconnaissance du droit des AMM, de la circulation, de la commercialisation et de l'utilisation des produits phytopharmaceutiques. Les peines vont jusqu'à plusieurs années d'emprisonnement. D'autre part, le droit pénal est également applicable aussi aux personnes morales. Selon ces textes, nul besoin d'établir un lien de causalité entre un dommage et une faute. La faute commise suffit à motiver la sanction pénale.
Cependant, il faut être conscient du problème de lisibilité touchant ces normes de sanctions ; on peut comprendre le désarroi du magistrat face à un corpus de règles immense et peu familier. Il se raccroche donc en définitive aux infractions du droit pénal qu'il connaît. Les conséquences sont dommageables pour le système judiciaire, soit parce que l'infraction ne peut pas être poursuivie, soit parce que le dossier aurait nécessité une expertise qui aurait ruiné le tribunal.
La complexité de la législation pénale est difficile à appréhender pour des non spécialistes. L'ensemble ne contribue pas à l'efficacité du système.
Tout d'abord, il faudrait réunir au sein d'un corpus unique des règles lisibles et accessibles à tous les professionnels. Ce corpus pourrait constituer un supplément au code pénal.
Les gardes des Sceaux précédents ont créé la spécialisation des juridictions et les pôles de santé publique de Paris et Marseille. Cette spécialisation des pôles doit être renforcée. Je ne suis pas certain de la nécessité de multiplier les pôles, la dilution entraînant la déspécialisation.
Enfin, je préconise d'introduire dans les enseignements dispensés aux magistrats un cours pratique du droit de la santé publique et de l'environnement. Les magistrats auront ainsi le réflexe de poursuivre, de rechercher et de trouver les instruments du droit qui leur sont utiles. En bout de chaîne, ils pourront sanctionner.
La sanction est essentielle. Lorsque le jugement est rendu avec une sanction banale, les magistrats qui ont instruit le dossier repartent désolés en pensant à ce résultat modeste. La question est celle de l'adéquation de la sanction à la gravité de la faute, au regard du référentiel de peines prévu par le législateur.
Le risque économique pris par le trafiquant entre-t-il également en jeu ?
Alors que nous pensions avoir rencontré toutes les situations possibles au cours des quinze dernières années, nous venons de faire face à un cas inouï.
Vous savez que le droit pénal de l'environnement et de la santé publique est, par excellence, le domaine permettant la mise en cause pénale des personnes morales. Or, une société vient de dissoudre l'une de ses filiales cinq jours après l'ordonnance de renvoi du juge d'instruction afin de mettre un terme à l'action publique. Le parquet a réagi avec vigueur en demandant au tribunal correctionnel de surseoir à statuer le temps que le procureur de la République demande au tribunal de commerce d'annuler la dissolution de la société. Cette situation met en évidence un vide législatif : il n'existe actuellement pas de moyen juridique de parer à la disparition volontaire du prévenu. Il s'agit-là d'un cas unique. La jurisprudence de la Cour de cassation assimile la disparition d'une société à la mort du prévenu, ce qui met un terme à l'action publique.
Pas après la fin de l'instruction pénale. Dans un souci d'apaisement, le juge d'instruction n'avait pas souhaité mettre en cause la personne physique du dirigeant. Les magistrats du parquet de Paris en charge du dossier sont très remontés. Ils ont décidé qu'il n'y aurait plus de mise en cause d'une personne morale sans mise en cause d'une personne physique.
Les contrôles de la DGCCRF dans le domaine phytopharmaceutique n'appréhendent pas la fraude telle qu'évoquée aujourd'hui, dans le cadre de circuits organisés. La DGCCRF doit vérifier la fidélité de l'étiquetage des produits à l'AMM délivrée pour leur usage. Dans certains cas, cette fidélité n'est pas respectée. Un produit peut, par exemple, être présenté, d'après son étiquetage, comme un engrais ou comme un stimulateur de croissance, alors qu'il est phytopharmaceutique. Ainsi, le produit n'est pas présenté comme dangereux, ni pour les plantes, ni pour l'utilisateur.
Absolument. Les étiquettes ne sont pas toujours extrêmement explicites, mais elles suggèrent que le produit dispose de certaines propriétés.
Les mentions de l'étiquetage peuvent être considérées comme de la publicité induisant le consommateur en erreur. Si nous prouvons que l'induction en erreur est intentionnelle, nous pouvons considérer que la firme est coupable de tromperie. Nous pouvons retenir trois possibilités graduées d'infraction.
Quant à l'étiquetage des produits phytopharmaceutiques, la DGCCRF contrôle également le respect de la règlementation relative aux substances dangereuses et la présence de pictogrammes de danger. Si la firme n'a pas apposé les pictogrammes correspondant au danger, les consommateurs n'ont pas conscience de la dangerosité des produits. Or, les jardiniers du dimanche sont de plus en plus nombreux.
Effectuez-vous des contrôles sur le stockage de ces produits ? Constatez-vous de nombreuses infractions ? En outre, il est nécessaire de compter du personnel formé dans les magasins qui vendent ces produits. Cette règle est-elle toujours respectée ?
Nous vérifions que le distributeur dispose bien d'un agrément et qu'il tient à jour le registre des ventes des produits phytopharmaceutiques et les conditions de stockage de ces produits. Nous constatons fréquemment, pour la vente au détail, que la rotation de certains produits n'est pas rapide. De ce fait, certains produits mis en vente sont trop anciens et ne sont donc plus conformes aux AMM.
Disposez-vous des moyens nécessaires pour réaliser les contrôles qui s'imposent ?
Nous réalisons des contrôles au niveau des directions départementales de la prévention et de la protection (DPP) ou des directions départementales de la cohésion sociale et de la protection des populations (DCSPP). Je pense que nous réussissons à nous faire une idée des produits offerts à la vente de détail et que nous appréhendons la plupart des grandes enseignes qui vendent ce type de produits. Lorsqu'un magasin d'une grande enseigne est épinglé, les autres font davantage attention.
direction générale de l'alimentation du ministère en charge de l'agriculture, chef du bureau des biotechnologies, de la biovigilance et de la qualité des végétaux. - Il faut mentionner le dispositif d'agrément des distributeurs, que nous avons longuement évoqué. Ce dispositif, qui existe depuis 1992, ne concernait jusqu'alors que les distributeurs de produits classés T, T+ et CMR. Or, il vient d'être rénové et concerne désormais tous les distributeurs de produits et les conseillers à l'utilisation des produits.
Les conditions d'obtention de l'agrément ont également changé. Il fallait jusqu'alors qu'une personne sur dix soit certifiée dans l'entreprise, mais aussi que l'entreprise détienne une assurance responsabilité civile. Désormais, l'entreprise doit également être certifiée par un organisme tiers. Pour obtenir cette certification, 100 % du personnel doit disposer d'un certificat individuel, obtenu après une formation ou un test.
En tant que magistrat, je constate les dégâts induits par la libre circulation des produits. Si un minimum de contrôles était réalisé en amont, il serait plus difficile pour les trafiquants d'introduire des produits frauduleux sur le territoire français. Il serait souhaitable d'obtenir au minimum une traçabilité du produit d'importation parallèle, qui doit être fabriqué par la firme d'origine, une société sous licence ou une société contractante.
L'idée de sensibiliser les importateurs et les distributeurs à ce type de fraudes mérite également d'être développée. Il convient de leur rappeler les dangers encourus par les utilisateurs finaux et les problèmes de santé publique en jeu. . Il faut faire de l'information et de la pédagogie auprès des distributeurs, pour qui ces produits à bas prix constituent une aubaine.
J'évoquerai brièvement la fraude par Internet, où certains proposent des produits plus ou moins légaux. Il existe également des forums, sur lesquels les agriculteurs doivent trier les informations. Le pire, ici, côtoie souvent le meilleur. Nous avons mis en place un service de cyber veille et de cyber lutte contre ces dérives.
Enfin, nous avons évoqué la possibilité de consolider le corpus juridique. En matière de médicament, nous avons créé le Médiguide. Résultat d'un travail interministériel, ce guide comporte tout ce qu'il faut savoir sur la prévention et la répression des trafics de médicaments. Nous pourrions réaliser le même type de guide pour les produits phytosanitaires.
La traçabilité est importante. Nous préconisons également la connaissance des lieux de fabrication et de formulation des produits. Il convient de mettre en place des sanctions et de sensibiliser les juges. Il faut mettre en place un réseau de deux ou trois laboratoires communautaires, quitte à créer une redevance pour financer les analyses post homologation et les analyses de fraudes.
Les firmes pharmaceutiques que nous avons consultées sur le sujet sont plutôt d'accord. Enfin, il existe un réseau d'alerte qui fonctionne bien dans le domaine alimentaire ou dans le domaine du médicament. Un tel système pourrait être mis en place dans le domaine des pesticides.
La modification de la législation doit être le moteur d'une action renforcée des pouvoirs publics. Les dossiers que nous avons évoqués n'existent déjà plus. Nous sommes sous l'empire du règlement de 2009 qui établit la libre circulation totale des produits phytopharmaceutiques dès lors qu'ils sont autorisés dans l'un des État de l'une des trois zones définies par le règlement. La France se situe dans la zone sud, avec la Bulgarie, la Grèce, Chypre, l'Espagne, le Portugal et l'Italie. Par ailleurs, l'article 49 du règlement prévoit la libre circulation des semences traitées sans notion de zone. Leur circulation pourra donc s'effectuer sans contraintes. Corrélativement à la libéralisation de la circulation des marchandises, les pouvoirs publics doivent être renforcés pour veiller à ce qu'une certaine régulation s'établisse malgré tout sur le territoire.
Nous essayons de voir comment nous pourrions faire travailler l'ANSES et le service commun des laboratoires (SCL) pour réaliser des analyses sur les produits tels qu'ils sont déposés. L'idée est que nos laboratoires puissent mieux appréhender ces formules et réaliser des analyses plus fréquentes et plus précises.
La douane à l'importation agit également sur les pesticides dans la cadre de la règlementation sur les produits chimiques avec l'interdiction absolue d'importer certains produits sur le marché communautaire. Par ailleurs, le code des douanes ne permet pas de sanctionner ni de rechercher des infractions dans les zones intracommunautaires.
A mon tour, j'insiste sur les implications de la libre circulation des produits phytosanitaires dans l'espace communautaire. J'ignore s'il est nécessaire de constituer un corpus juridique unique, mais je crois beaucoup aux guides thématiques, à la constitution d'un vadémécum. Par ailleurs, je me demande si l'information juridique est suffisante.
La traçabilité est très importante, car elle permet de s'assurer que les produits présentés en douane correspondent bien à un produit bénéficiant d'une AMM. La douane oblige les fraudeurs à imaginer des dispositifs qui passent par d'autres États de l'Union européenne. Couplée à un contrôle en laboratoire, la traçabilité est à la base d'un bon fonctionnement du dispositif.
Je retire de nos échanges que la libre circulation ne devrait pas exclure le contrôle.
direction générale de l'alimentation du ministère en charge de l'agriculture, chef du bureau des biotechnologies, de la biovigilance et de la qualité des végétaux. - J'insiste sur l'importance du démantèlement des réseaux le plus en amont possible.
Cependant, il ne faut pas oublier l'importance des contrôles effectués chez les agriculteurs ou les utilisateurs de produits, même si le taux de ces contrôles est faible (1 % à 2 %). Les sanctions doivent être lisibles et fortes.
Enfin, il demeure compliqué d'identifier les producteurs, notamment dans l'arboriculture, les cultures légumières, la viticulture et la culture fruitière. Il est donc difficile, pour le contrôleur, d'agir de façon efficace et ciblée.
Merci de votre participation. Les sénateurs présents ont beaucoup appris. La table ronde a mis en lumière la nécessité d'une harmonisation des AMM dans l'Union européenne.
Madame la Ministre, soyez la bienvenue dans cette mission d'information et merci d'avoir répondu à notre invitation. Il nous a semblé important d'entendre l'avis du ministre de la santé sur les pesticides. Ayant entendu environ 170 personnes depuis le début du mois de mars et réalisé quatre déplacements en région, nous commençons à avoir une vue assez précise du sujet et serions heureux d'entendre votre avis, notamment sur les autorisations de mise sur le marché (AMM), qui suscitent encore quelques questionnements.
Merci. Je suis heureuse de pouvoir participer à vos travaux. Le Gouvernement est à la disposition du Parlement et des sénateurs pour contribuer à la réflexion générale et partager les pistes d'orientation. Mon ministère est disposé à poursuivre cet échange au-delà de cette audition.
Votre mission est passionnante et très utile, car nous évoquons depuis quelques années la nécessité de mieux établir le lien entre les enjeux de développement, de l'environnement et de santé. Des problématiques plus précises ont été abordées au cours des dernières années, notamment celle des perturbateurs endocriniens à travers le bisphénol A. Cette première étape a mis en avant des questions précises.
Je veux saluer votre travail, car nous avons besoin d'aller au-delà des positions générales, d'avancer pour identifier des risques spécifiques ou en écarter certains. Je le dis aussi : nous ne pouvons pas entrer dans une démarche où tout serait facteur de risque pour la santé. En l'absence d'éléments précis, d'études ou de débats politiques, il existe une tentation de faire de chaque facteur environnemental un facteur de risque pour la santé, appelant à des mesures de précautions.
Vous avez choisi de travailler sur les pesticides. Premier pays agricole de l'Union européenne, en surfaces agricoles et en production, la France est directement concernée. Elle est l'un des premiers utilisateurs de pesticides, avec 80 000 à 100 000 tonnes de pesticides consommées chaque année. Environ 90 % de ces produits sont utilisés dans le domaine agricole, ce qui ne veut pas dire qu'il faille se désintéresser des 10 % restants. Je sais que l'utilisation des pesticides est un enjeu. Je sais aussi que les agriculteurs ont réalisé, au cours des dernières années, des progrès significatifs dans le respect des contraintes environnementales.
Les risques liés à l'exposition aux pesticides comportent plusieurs dimensions : ils ont un impact sur l'environnement et peuvent affecter la santé de nos concitoyens de façon directe ou indirecte.
Pour le ministère dont j'ai la responsabilité, le premier enjeu est la réduction de l'exposition aux pesticides. A l'échelle communautaire, la France doit être à l'initiative d'une plus large mobilisation et doit réfléchir à la révision des AMM, qui semblent aujourd'hui insuffisamment précises et protectrices. Je pense également à l'instauration d'un cadre commun communautaire permettant une utilisation des pesticides compatible avec le développement durable. Ces enjeux, à l'échelle communautaire, sont également portés et traités par le ministère de l'écologie, du développement durable et de l'énergie. Ils ont un impact sur les travailleurs qui manipulent ces produits et sur les personnes exposées. Avec Mme Delphine Batho, ministre de l'écologie, nous avons exprimé l'intention d'avoir une action mieux concertée sur ces questions.
La réduction de l'exposition aux pesticides se joue largement au niveau communautaire mais également à l'échelon national, dans plusieurs plans d'actions centrés sur la santé. Pour l'ensemble des plans, j'identifie un point de vigilance : la mise en oeuvre effective des volets sanitaires nécessite une coordination et une implication plus marquée des politiques de santé. Il existe une série de plans où les pesticides n'apparaissent que ponctuellement. L'idée est donc de renouer les fils et de conférer une cohérence d'ensemble à ces éléments disparates. Je serai attentive à ce que l'exposition aux pesticides soit abordée dans le troisième plan cancer, dont le lancement a été promis par le Président de la République.
Le deuxième enjeu pour le ministère de la santé est de préciser les liens entre l'exposition aux pesticides et l'apparition de certaines pathologies professionnelles. A cette fin, la direction générale de la santé (DGS) a saisi l'INSERM en novembre 2009 afin de réaliser une expertise collective portant sur l'impact des pesticides sur la santé. Parmi les axes de travail de cette expertise, j'accorde une attention particulière aux femmes enceintes et aux enfants. Les conclusions de cette expertise doivent permettre d'identifier les lacunes de la règlementation. Depuis le 6 mai 2012, un décret reconnaît officiellement le lien entre les pesticides et la maladie de Parkinson. Cette pathologie a été inscrite dans le tableau des maladies professionnelles pour les agriculteurs. Je me félicite de cette avancée. Les résultats de l'expertise collective aideront à mieux caractériser les maladies professionnelles liées aux pesticides dans la filière agricole.
Le troisième enjeu, pour le ministère de la santé consiste à mieux caractériser l'exposition de la population aux pesticides et ses effets sanitaires. J'attache une attention particulière aux travaux portant sur les perturbateurs endocriniens. L'exposition aux pesticides a des impacts directs en milieu professionnel, mais aussi des conséquences environnementales et, par ricochet, sanitaires pour toute la population. Nous devons prendre en compte la présence des pesticides dans l'eau et dans l'air, leur utilisation domestique avec le regain d'intérêt pour le jardinage.
Je terminerai en évoquant trois sujets auxquels j'attache une importance particulière. Les perturbateurs endocriniens doivent être examinés au niveau européen. L'ANSES a été chargée en 2012 de produire une évaluation globale des expositions et des risques induits par ces substances complétant les travaux de l'INSERM. Je souhaite également replacer la santé au coeur de la gouvernance des plans et expertises qui traitent des risques liés aux pesticides. Enfin, je souhaite établir une plus grande cohérence entre les différents plans et programmes mis en place (le plan national santé, le plan national santé-environnement, le plan national travail, le plan Ecophyto 2018) car leurs objectifs sont parfois redondants. Une remise à plat permettrait sans doute de mieux visualiser les résultats obtenus et de dégager des orientations communes pour préserver la santé de nos concitoyens.
Nous devons donc repenser l'utilisation des pesticides, encourager l'évolution des pratiques agricoles et préserver les usagers, sans les affoler. La connaissance dont nous disposerons devra permettre de mieux faire connaître les risques et de mieux les prévenir. Je ne doute pas que les résultats de votre mission permettront d'avancer dans cette direction. Je serai très attentive à vos préconisations.
Les autorisations de mise sur le marché (AMM) nous préoccupent beaucoup. Avez-vous des idées sur les actions à mener ou sur le financement de certaines recherches ?
Aujourd'hui, les AMM sont délivrées par le ministère de l'agriculture, le vôtre est seulement associé à la procédure. Quelles sont vos pistes sur ce sujet ?
Vous avez raison : la situation n'est pas satisfaisante. L'arrêté relatif à la mise en oeuvre de la consultation des ministres de l'agriculture, de la santé et du travail doit être réactualisé pour que le ministère de la santé soit mieux associé à la prise de décision, plus particulièrement pour ce qui concerne la population non professionnelle.
Le ministère de la santé a une double exigence : il veut être associé à l'évaluation du risque du produit et il entend être consulté pour la population non professionnelle, prioritairement pour les femmes enceintes et les enfants Le délai de quinze jours laissé à la concertation interministérielle doit être allongé afin de nous donner le temps de rédiger des avis circonstanciés. Nous devons travailler davantage de façon interministérielle sur les pesticides de substitution, ce qui permettrait de restreindre les autorisations d'emploi de certaines molécules. Il faut également finaliser un protocole de gestion interministérielle.
En la matière, le droit communautaire repose sur une confiance très forte envers les fabricants. Pour progresser, nous devrons définir des moments clés avec des vérifications strictes en amont de ce qui fondera ensuite les AMM. Enfin, les contrôles a posteriori doivent être suffisants. C'est à ces deux conditions que la santé de nos concitoyens pourra être protégée. Aujourd'hui, les études réalisées dans le cadre des procédures d'AMM sont financées par les pétitionnaires, ce qui peut constituer un point de fragilité. Des garanties sont apportées et les études sont basées sur des protocoles expérimentaux précis validés par les instances européennes et internationales. Les expertises doivent répondre à des critères de qualité et sont approfondies par les autres États membres mais le fait que le demandeur des études soit leur financeur pose question. Nous devons donc travailler à l'échelle interministérielle et communautaire pour sécuriser au maximum l'autorisation de mise sur le marché.
Des procédures de reconnaissance de maladies professionnelles sont en cours. Cependant, les dispositifs sont compliqués, les procédures longues et difficiles. Nous observons en outre une sous-déclaration importante. La MSA est d'ailleurs critiquée par les agriculteurs qu'elle est censée protéger. Pensez-vous simplifier les procédures, donner plus d'informations aux agriculteurs pour faciliter le traitement des dossiers ?
Ce problème important comporte plusieurs dimensions. Je me suis réjouie tout à l'heure de l'inscription de la maladie de Parkinson dans le tableau des maladies professionnelles, qui reste pourtant très limité. Le groupe de travail sur les hémopathies poursuit sa réflexion. .
L'expertise collective de l'INSERM, dont nous attendons les résultats pour septembre 2012, devrait permettre de clarifier le lien entre l'exposition aux pesticides et d'autres pathologies. Elle facilitera l'inscription des pathologies dans le tableau des maladies professionnelles.
Le problème de la sous-déclaration est commun à tous les secteurs professionnels. La MSA précise que quarante-sept cas de maladies professionnelles liées aux produits phytosanitaires ont été reconnus entre 2002 et 2010, la plupart étant consécutifs à des intoxications aigües. Ce chiffre est ridiculement faible. Nous devons donc porter une attention renforcée à ce sujet. Enfin, j'insiste sur le rôle des médecins traitants, eux-mêmes mal informés des conséquences sanitaires de l'exposition aux pesticides alors qu'ils constituent la porte d'entrée dans le système. Nous devons mieux développer les formations de médecins sur les pathologies liées au travail et à l'environnement. Il existe des programmes ministériels concernant le développement des formations au niveau des régions.
Votre ministère envisage-t-il de créer un registre des cancers dans chaque département ?
Voilà qui mérite réflexion. Le plan cancer prévoit d'améliorer le dispositif de surveillance par le recueil de données complémentaires dans les registres existants, la mise en place d'un système d'information national. Doit-il s'agir d'une compilation des registres départementaux ou d'une extrapolation des registres existants ? Nous pourrions élaborer une analyse nationale à partir des analyses régionales, importantes pour développer des politiques de prévention et de prise en charge. Ma réflexion sur ce point n'est pas aboutie. Nous devons la poursuivre dans la perspective du prochain plan cancer.
L'une des difficultés à laquelle se heurtent médecins et chercheurs est l'absence de registres, mais également d'études épidémiologiques concernant le cancer. Vu la faible proportion des agriculteurs dans la population, il est très difficile de mettre en avant les liens de causalité entre expositions et pathologies. Peut-on envisager une amélioration significative du recueil des informations portant sur des pathologies autres que le cancer ?
Nous pouvons réfléchir à la question. Nous nous orientons de plus en plus vers des dispositifs de surveillance sanitaire renforcée. Le suivi médical de la population active relève du ministère du travail. Pour ce qui nous concerne, l'amélioration de la surveillance épidémiologique passera par le renforcement d'outils au niveau de l'InVS. Cet institut coordonne déjà la politique de toxico-vigilance sur les produits phytopharmaceutiques et un programme de bio-surveillance humaine sur certaines substances chimiques, dont les pesticides. J'ai déjà mentionné l'expertise collective sur les pesticides conduite par l'INSERM.
Ainsi, l'idée d'une surveillance épidémiologique renforcée doit être exploitée. La question est : comment multiplier les tests de vigilance sans créer des lourdeurs excessives ? J'ajoute que le ministère a mis en place, en coordination avec d'autres administrations, un site Internet qui met en avant des éléments de prévention par certains produits pesticides.
Suite à cette étude de l'INSERM, envisagez-vous de réaliser une cartographie des maladies liées à l'exposition ? Je comprends la nécessité de ne pas multiplier les dispositifs afin d'éviter les effets contre-productifs mais, dans le cadre des missions de santé, le recours aux agences régionales de santé (ARS) ne serait-il pas utile ? Enfin, il me semble important de renforcer les contrôles a posteriori.
Lorsque je dis que nous devons veiller à ne pas mettre en place un système trop lourd, je ne veux pas dire que nous ne devions rien faire, car la situation est loin d'être satisfaisante. Nous avons eu tendance, au cours des années précédentes, à répondre à des questions sanitaires plus ou moins précises par l'élaboration de plans. Dans ces plans, nous trouvons des réflexions éparses sur les risques liés à l'exposition aux pesticides.
L'expertise collective de L'INSERM poursuit trois objectifs : compléter l'état des lieux épidémiologique fourni par l'InVS pour identifier les risques liés à l'exposition aux pesticides ; cibler les recherches sur les femmes enceintes et les enfants ; présenter une argumentation scientifique en faveur d'une meilleure intégration de l'exposition aux pesticides comme facteur de maladie professionnelle.
Les ARS doivent être des acteurs régionaux de premier plan. Les plans régionaux de santé élaborés, ou en cours d'élaboration, permettent de décliner au niveau local les objectifs nationaux de santé publique en fonction des spécificités locales. Nous allons aussi réfléchir à la mise en place d'un « portail des vigilances », qui se déclinerait au niveau des ARS afin de recueillir des informations et constituer un outil de communication en direction des populations.
La volonté affichée du plan Ecophyto était de réduire l'utilisation des pesticides de 50 % avant 2018. Nous en sommes encore loin. Quel jugement portez-vous sur le Certiphyto, notamment en matière de prévention ? Pensez-vous que la santé soit suffisamment mise en valeur dans le Certiphyto ?
Je ne suis pas certaine que nous soyons capables, aujourd'hui, de porter un jugement définitif sur un dispositif qui a démarré en janvier. Le dispositif de certificat individuel a été généralisé auprès de tous les professionnels. Environ 800 000 personnes sont concernées. Une première expérimentation a déjà permis à 140 000 personnes de bénéficier d'une formation adaptée et d'obtenir le certificat. L'idée est de se donner un an et de produire une évaluation en 2013. Dans ce cadre, nous demanderons une évaluation spécifique du volet santé. Nous verrons alors si nous devons faire évoluer le dispositif.
Lors de notre déplacement en Bretagne, nous avons saisi votre ministère concernant le comportement d'une coopérative face à la santé de ses salariés. Nous n'avons toujours pas reçu de réponse à ce sujet.
Je ne suis pas certaine que la question relève de mon ministère. Nous vous adresserons une réponse indiquant formellement que le sujet relève du ministère de l'agriculture. Les questions d'environnement impliquent systématiquement trois, voire quatre ou cinq ministères (santé, écologie, travail, agriculture ou industrie). Avec la ministre de l'écologie, nous souhaitons adopter une démarche commune pour faire en sorte que ces questions soient mieux portées politiquement.
Nous pensons d'ailleurs que le ministère de la santé a un rôle majeur à jouer concernant les AMM.
Par ailleurs, j'aurais voulu connaître votre réflexion sur les équipements de protection industrielle (EPI) et sur leur capacité réelle à protéger les professionnels.
Des travaux en cours visent à définir une norme d'application. L'ANSES s'est autosaisie du sujet et conduit des travaux pour identifier les meilleurs équipements de protection. Les pouvoirs publics ayant tardé à se saisir de cet enjeu sanitaire, nous ne disposons pas d'éléments permettant d'apprécier la qualité des différents produits disponibles à ce jour.
Lorsque nous constatons la façon dont les salariés de l'industrie chimique sont protégés, nous sommes en droit de nous demander comment ne pas adopter une approche du risque plus sérieuse pour les produits mis sur le marché.
Il existe de nombreuses dissonances et incongruités en la matière. Par exemple, les salariés qui travaillent dans les pressings ne sont pas protégés alors que les personnes qui habitent aux alentours sont considérées comme vivant dans une zone à risque. Nous sommes dans un champ en construction.
Ce n'est qu'au niveau européen que nous obtiendrons des résultats sérieux. Nous avons vu, en début d'après-midi, que la libre circulation des produits phytosanitaires devait s'accompagner de l'harmonisation des règles entre États membres, sous peine d'observer des incohérences. Par ailleurs, les normes sont sévères lorsque les produits sont utilisés par les agriculteurs, mais ne le sont plus lorsqu'ils sont utilisés par les ménages. Je pense notamment aux produits vétérinaires autorisés sur les animaux domestiques, mais interdits pour les agriculteurs. Ainsi, les enfants sont exposés aux colliers antipuces des chiens et des chats. Il me semble donc que le ministère des affaires européennes est également concerné par ces sujets.
J'ai évoqué tout à l'heure l'étude conduite par l'ANSES sur les usages domestiques. En effet, nous finissons par considérer comme banale l'utilisation domestique de produits considérés comme dangereux pour les professionnels. Les enfants sont exposés, alors que les agriculteurs ont appris à se protéger.
Pensez-vous que l'ANSES ait les moyens nécessaires et l'organisation adéquate pour répondre à tous les enjeux ?
L'ANSES a beaucoup de travail. Il me paraît nécessaire de renforcer les moyens de vigilance et de définir des priorités. De ce point de vue, l'étude sur les pesticides constitue une priorité pour nous.
De nombreuses critiques ont été émises à l'égard de l'ANSES. Que faut-il en penser ?
Nous les analyserons mais je rends hommage à ceux qui travaillent et qui ont permis de donner l'alerte sur un certain nombre de sujets. Nous devons améliorer le système sans « jeter le bébé avec l'eau du bain ». Un audit interne de l'ANSES a été engagé par l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS), mais nous ne pensons pas que tout soit mauvais.
Merci d'avoir eu la gentillesse de répondre à nos questions. Je tiens à préciser que la lettre que nous vous avons adressée visait seulement à vous informer de l'alerte lancée par la mission d'information.
Merci à vous, je reste à votre disposition.
Merci d'avoir accepté cette audition dans le cadre de notre mission d'information qui a débuté ses travaux en mars, à l'instigation de ma collègue Mme Nicole Bonnefoy, sensibilisée à l'impact des pesticides sur la santé par l'affaire Paul François, qui a créé l'association Phyto-Victimes. Après avoir entendu environ 170 personnes nous arrivons bientôt au terme de ces auditions.
Merci de votre invitation et de votre accueil. Une partie des travaux de recherche de l'ANR s'oriente vers les alternatives aux pesticides ; l'autre s'intéresse aux aspects sanitaires. Le concept d'agriculture écologiquement intensive (A.E.I.) est né pendant le Grenelle de l'environnement, dans le bureau du ministre, M. Jean-Louis Borloo, qui, ayant entendu évoquer une agriculture à la fois vertueuse et productive, cherchait un nom pour la désigner. Suite à une séance de brainstorming, nous avons retenu « haute valeur environnementale » et « agriculture écologiquement intensive ». L'oxymore a remporté un grand succès. A un moment où le mot « intensif » est devenu détestable pour de nombreuses personnes, l'agriculture écologiquement intensive repose sur l'utilisation des fonctionnalités naturelles, comme le cycle d'accumulation de la matière organique dans les sols.
La photosynthèse fabrique de la biomasse, qui se décompose et s'humidifie, donnant de la matière organique, qui se décompose à son tour sous l'effet de la faune du sol. Cette décomposition produit des minéraux ensuite réassimilés par la plante. Nous pouvons intensifier, c'est-à-dire amplifier, ce grand cycle. La gestion de l'eau est un autre exemple de fonctionnement naturel. Platon avait déjà observé que les pentes sur lesquelles on ne trouvait plus d'arbres ne filtraient plus l'eau. L'écologie intensive vise à repenser les hydro-systèmes pour que les paysages absorbent l'eau. Enfin, il existe un équilibre naturel qui provient de la chaîne trophique et des interactions écologiques, qui constituent des systèmes. Certes instable, l'équilibre évite que certaines espèces ne pullulent. Dans le cadre d'une monoculture intensive, l'arrivée de n'importe quel envahisseur devient catastrophique et les traitements chimiques s'imposent comme unique solution.
Nous misons sur l'amplification des phénomènes naturels, sur leur intégration et leur complexification. Par exemple, certains agriculteurs reconstituent par exemple des chaînes trophiques pour ne pas utiliser de pesticides. Leurs initiatives procèdent de la bio-inspiration, car l'imitation de phénomènes naturels par la science et la technique est porteuse de grandes promesses. Nous savons que toutes les plantes ont des capacités de résistance à des insectes ou à des parasites. Dans le cas contraire, elles n'existeraient plus, non plus que leurs parasites. Ces mécanismes sont cependant si ténus qu'ils sont inefficaces dans de grands champs de monocultures. Nous essayons donc de localiser ces mécanismes dans le génome des plantes, afin de les transférer sur des plantes voisines. Cela s'appelle de la transgénèse, de la fabrication d'OGM. Mais il s'agit ici d'offrir un mécanisme naturel déjà existant. Ainsi, nous intégrons certains OGM dans le concept d'écologie intensive.
Ce terme rencontre un grand succès dans l'Ouest de la France, particulièrement en Bretagne, où l'on me demande une conférence pratiquement chaque semaine. L'approche plait, car elle ne constitue pas un cahier des charges. Les agriculteurs apprécient une démarche de progrès qui leur accorde une grande confiance. Ils sont également séduits par la transition vers une situation plus vertueuse du point de vue de l'environnement et plus économe en intrants (engrais ou produits phytosanitaires). De nombreux agriculteurs commencent à craindre les pesticides et sont bouleversés à l'idée d'avoir empoisonné leurs enfants.
Dans ce contexte, le plan Ecophyto 2018 tend à réconcilier la productivité et l'écologie. En Bretagne, certains agriculteurs se disent qu'ils peuvent devenir de véritables défenseurs de l'écologie. La transition permettrait d'évoluer vers une situation apaisée entre le monde de l'écologie militante et le monde agricole. L'association internationale pour une agriculture écologiquement intensive a été créée à la demande d'un certain nombre de coopératives. Son conseil d'administration réunit des personnes comme Mme Christiane Lambert de la FNSEA, Mme Marie-Hélène Aubert, qui travaille maintenant pour le Président de la République, ou encore des représentants de France Nature Environnement (FNE). C'est le prototype de ce que le Grenelle de l'environnement avait de meilleur pour proposer des solutions techniques innovantes.
L'agriculture écologiquement intensive n'est pas l'équivalent de l'agriculture raisonnée, bien qu'elle lui emprunte certaines pratiques : l'agriculture raisonnée constitue un premier pas qui reste insuffisant. En effet, plus les doses de pesticides diminuent, plus le risque s'accroît. Or, ce risque pèse sur le revenu des agriculteurs. Ainsi, les pesticides apparaissent comme des assurances pour les revenus agricoles. Si un progrès scientifique permet de réduire l'utilisation de pesticides tout en maintenant la productivité, la connaissance fonctionne comme un deuxième mécanisme d'assurance.
L'agriculture biologique se fixe pour contrainte de ne pas utiliser de produits issus de la chimie de synthèse. Cependant, les travaux et expertises donnent aux scientifiques des idées intéressantes pour l'avenir. L'agriculture biologique a permis de développer l'idée selon laquelle les agriculteurs peuvent être innovants. Elle crée néanmoins une plus grande incertitude sur les volumes de production, car l'environnement reste instable. Ainsi, les récents épisodes climatiques ont provoqué le développement d'épidémies fulgurantes de mildiou dans toute la région du Nord. Il n'y aura donc pas cette année de tomates issues de l'agriculture biologique. Le changement climatique induisant une grande variabilité des milieux, l'agriculture biologique aura plus de difficultés à s'adapter que l'agriculture conventionnelle, au demeurant obligée par le plan Ecophyto 2018 de renoncer à l'utilisation de certains pesticides. Pour des raisons de croyances ou pour des motifs règlementaires, ou en raison d'angoisses suscitées par un certain nombre de maladies, un mouvement de transition est à l'oeuvre. Je compatis à la difficulté intellectuelle de cette transition. Le monde agricole a besoin d'être rassuré, ce qui peut offrir un nouveau rôle à la recherche.
Existe-t-il des alternatives aux pesticides ? Les herbicides constituent une assurance extraordinaire pour le rendement. N'oublions pas que le labour, vieux de mille ans, permet de tuer les mauvaises herbes. Toutefois, l'utilisation des tracteurs deviendra hors de prix avec l'accroissement des tarifs de l'énergie. D'où l'idée de renoncer au labour. Beaucoup disent que les herbicides constituent une solution pour développer la biologie des sols. D'autres souhaitent une solution alternative. L'agriculture biologique a souvent recours au labour mais, ce faisant, elle détruit l'écologie du sol et émet des gaz à effet de serre. Elle n'est donc pas si exemplaire...
Une troisième option consiste à utiliser des paillages issus de plantes, étalés en des couches épaisses, puis détruites et métabolisées par les microorganismes présents dans le sol. Lorsque l'expérience est répétée, le sol s'enrichit en matière organique.
Les plantes de couverture constituent une autre solution. Celles-ci permettent de favoriser le ruissellement, alimentent le sol lorsqu'elles meurent et empêchent les mauvaises herbes de pousser, puisqu'elles monopolisent le rayonnement solaire.
Il est également possible de faire de faux semis, c'est-à-dire de semer des plantes et de les arracher en même temps que les mauvaises herbes.
On peut aussi faire un labour très superficiel et, dans certains cas, faire brouter les animaux. La production de riz de Camargue est réalisée grâce à des canards dressés qui apprennent, génération après génération, à manger les mauvaises herbes.
Enfin, nous pouvons signaler la technique de l'allélopathie. Certaines plantes produisant une toxine spécifique éliminent d'autres plantes situées à leur proximité. On peut imiter ce mécanisme naturel. L'Inde est très en avance. Si nous parvenons à imiter le fonctionnement de ces plantes par des processus industriels ou chimiques, nous serons en possession d'une autre solution d'herbicide. Cela ne signifie pas que le processus ne sera pas dangereux pour l'environnement, car ce qui est naturel peut être très dangereux. En dernier recours, les herbicides à petite dose peuvent être dilués dans l'environnement.
A signaler également qu'il est possible de faire varier les largeurs d'occupation du sol dans un peuplement, car la densité conserve une humidité qui peut favoriser le développement de champignons. Il est aussi envisageable de surveiller l'arrivée de maladies en cultivant des plantes plus sensibles. En outre, nous pouvons renforcer l'immunité des plantes aux champignons à l'aide d'éliciteurs. Nous ne manquons pas de solutions alternatives aux solutions chimiques. Parmi ces voies de haute technologie, certaines sont d'application immédiate, d'autres seront développées dans le futur, notamment la synthèse de molécules imitant les structures naturelles. L'important est d'éviter d'adopter une technique unique, qui trouverait toujours son antagoniste dans la nature. C'est une des grandes lois de l'écologie.
A l'ANR, nous essayons de stimuler fortement nos comités de pilotage, mais il est difficile d'être incitatif intellectuellement. Nous avons du mal à persuader les chercheurs de répondre à la demande sociale.
Je ne connais pas l'état des pratiques de lutte biologique. L'ANR ne voit que ce qu'elle finance. Je suggère de poser cette question à l'INRA, qui dispose d'une vision synoptique de la lutte biologique. Cependant, nous enseignons la lutte biologique depuis quarante ans et le sujet n'a jamais constitué une grande priorité pour la recherche. La forte demande sociale n'émerge qu'aujourd'hui.
Nous avons évoqué la dangerosité de produits naturels. Le poison dépend de la dose. Des pesticides actuels pourraient être acceptables s'ils étaient très dilués dans l'environnement et si leur usage était occasionnel. Toutefois, nous renoncerions à la démocratie si nous devions contrôler les faits et gestes des agriculteurs. Nous sommes dans une société de défiance vis-à-vis des agriculteurs. La coordination de tous les agriculteurs d'une région pour une utilisation concertée des produits dangereux paraît illusoire.
Quelque vingt à vingt-cinq projets visant à limiter l'emploi des pesticides ont été reçus par l'ANR entre 2005 et 2011. Leur coût moyen s'établit à 500 000 euros pour l'ANR, mais il est difficile de procéder à des calculs exacts. Environ 30 millions d'euros ont dû être dépensés au total. En accord avec le ministère de l'agriculture, le plan Ecophyto 2018 a été embarqué par l'ANR dans le programme agro-biosphère. Dans les nouvelles versions nous orienterons les recherches vers les éliciteurs et les alternatives. La recherche financée par le ministère de l'agriculture est tout aussi importante, mais beaucoup plus appliquée.
A la demande de certains fonctionnaires de Bruxelles, nous nous interrogeons sur la possibilité de financer l'innovation chez les agriculteurs qui prennent des risques. Je ne comprends pas pourquoi nous avons des difficultés à attirer des chercheurs sur ces sujets alors que des agriculteurs prennent des risques parfois considérables pour leur exploitation et leur famille afin de produire du bien public. Ces personnes mériteraient au moins une rétribution en cas de catastrophe, sous forme contractuelle avec la PAC.
Que deviennent les 70 000 tonnes de pesticides utilisées chaque année en France ? Le programme ANR ne regroupe pas toutes les études financées par l'ANR sur les pesticides et contaminants, même si l'essentiel se retrouve dans le projet CESA (contaminants, écosystèmes, santé et adaptabilité). Le projet, créé en 2005, s'appelait initialement le SEST (santé environnement santé travail). Il est devenu le CES (contagions, écosystèmes, santé), puis CESA pour souligner l'importance de s'adapter aux contaminants.
Le programme, qui avait été suspendu, a été rétabli cette année. Déjà 104 dossiers ont été reçus, sachant que quatre ou cinq équipes travaillent sur chacun. Le programme vise à caractériser et à quantifier les contaminants, mais il s'intéresse également à leur devenir, dans les écosystèmes et chez l'homme, qui consomme des animaux et des végétaux contaminés. Les mécanismes d'action et les pathologies humaines seront étudiés en priorité. Ce programme transversal permet d'avoir une idée globale de l'action des contaminants à tous les niveaux. Je centrerai aujourd'hui mon propos sur les pesticides.
Nous nous concentrons, dans cette partie de la mission, sur l'impact de l'exposition aux pesticides sur la santé de ceux qui les utilisent.
Deux catégories de population peuvent être distinguées : les applicateurs, qui sont les plus exposés, et ceux qui fabriquent les pesticides dans les usines. L'usage domestique peut également avoir des effets sur la santé.
S'agissant des expositions professionnelles, les pesticides ont été mis en cause dans des hémopathies malignes. Une expertise de l'INSERM a été mise en place en 2008 pour étudier les principaux cancers associés aux contaminants de l'environnement. La population agricole a été prise en considération dans ces études. Il semblerait que les pesticides soient impliqués dans les tumeurs cérébrales et les cancers hormono-dépendants des agriculteurs ou de leur conjoint. Parmi les cancers hormono-dépendants, on trouve principalement les cancers de la prostate, du sein, des testicules et de l'ovaire. S'agissant des usages domestiques, une étude en partie financée par l'ANR a montré que l'utilisation d'insecticides par la femme enceinte est un facteur aggravant pour la survenue de leucémie chez l'enfant, avec un facteur 2.
Il n'est pas très facile d'établir les liens entre l'exposition aux pesticides et la survenue de pathologies. Tout d'abord, la population agricole n'est pas homogène et n'emploie pas les mêmes pesticides. Ensuite, les pathologies font suite à des expositions au long cours, simultanément ou successivement à plusieurs pesticides.
La première cohorte a été mise en place aux États-Unis d'Amérique (Iowa et Caroline du Nord) dans les années 1990 : 50 000 agriculteurs - dont 5000 applicateurs professionnels - et 30 000 conjoints ont fait l'objet d'une étude. Certains cancers sont plus fréquents chez les agriculteurs, notamment les hémopathies, leucémies, cancers du système nerveux central et cancers hormono-dépendants. Cependant, les taux ne sont pas très élevés. Par ailleurs, alors que certaines études mettent en évidence de fortes corrélations entre un produit et une pathologie, d'autres soulignent que cette corrélation est faible. Pour un pesticide donné, les études peuvent donc être contradictoires. Les doses et les mélanges doivent également être pris en compte. Un individu n'est jamais exposé à un seul pesticide à la fois, ce qui cause des interactions comme avec les médicaments. Enfin, il convient de prendre en compte les facteurs génétiques et la capacité des individus à neutraliser les polluants.
Prenons l'exemple de la chlordécone utilisée, de 1973 à 1993, pour tuer les charançons qui attaquaient les bananiers. Nous nous sommes aperçus que la chlordécone était toxique. L'ANR a financé quatre études sur le sujet. Nous avons mis au jour une corrélation entre la concentration plasmatique de chlordécone et la survenue du cancer de la prostate, mais nous nous sommes aperçus que le facteur génétique était très significatif. En effet, certains individus métabolisent la chlordécone moins bien que les autres. Que s'est-il passé lors des grossesses ? Une étude démarrera bientôt sur 1 000 enfants. Il convient de multiplier les études pour clarifier les effets.
Les études peuvent aller dans le même sens ou se contredire. Pour autant, la dangerosité des produits est toujours là ! Et il reste très difficile d'interdire certains pesticides.
Absolument. Certains pesticides ont une persistance importante, parfois de cinq cents ans. En outre, des produits non autorisés dans l'Union européenne sont utilisés en Inde ou au Brésil et polluent l'atmosphère. Vous voyez pourquoi il est difficile d'établir des liens de cause à effet entre un pesticide particulier et une pathologie donnée. Néanmoins, il est néanmoins démontré que certains pesticides sont des perturbateurs endocriniens. J'ai comptabilisé au total trente-six projets de recherche sur les effets des pesticides, sur une base de 400 000 € par projet. Ces études couvrent tous les domaines : il existe des études épidémiologiques, des études sur les mécanismes d'action, des études de caractérisation, des études sur le développement de nouveaux tests pour mesurer les lésions de l'ADN (génotoxicité) et des cellules (cytotoxicité). En utilisant des embryons de poissons zèbres qui ont la particularité d'être transparents, il a été démontré que tous les perturbateurs endocriniens ont des effets sur les cellules du cerveau.
La diminution de l'utilisation des pesticides ne suit-elle pas le plan Ecophyto 2018 ?
Il ne faut toutefois pas remplacer les pesticides par des produits aux effets également délétères.
La Coordination rurale s'est créée lors du blocage de la PAC.
Elle regroupe uniquement des agriculteurs et récolte 20 % des voix lors des scrutins professionnels agricoles. Nous sommes le premier groupement d'agriculteurs en France métropolitaine, le second sur l'ensemble du territoire national. En Meurthe-et-Moselle, nous obtenons 30 % des voix. Pourtant, nous ne sommes pas représentés dans les groupements interprofessionnels où la FNSEA siège seule alors qu'elle représente 50 % des agriculteurs.
Nous sommes déçus face à ce pourcentage car nous essayons d'être constructifs, notre seul souci étant le bien-être des agriculteurs. Nous ne sommes associés à aucune coopérative, à aucun groupe de pression, à aucun laboratoire. Nous défendons non les filières mais les agriculteurs. Cependant, nous avons été quelque peu marginalisés, notamment par les propriétaires et les grands exploitants.
Je suis sénateur, élue de Charente. J'ai demandé la création de cette mission d'information à la suite de l'affaire Paul François et de l'émoi qu'elle a suscité. Le Sénat a accepté de créer cette mission, dont suis rapporteur. La présidente vous prie de l'excuser mais elle a dû nous quitter du fait d'un engagement antérieur. Nous avons volontairement centré nos investigations sur la filière professionnelle, de la fabrication à l'utilisation par les agriculteurs, par les collectivités et les jardiniers du dimanche, en passant par les mises sur le marché. Le rapport comportera un point sur le plan Ecophyto. Au-delà de l'état des lieux qu'il permettra d'établir, il sera force de propositions : ses recommandations influeront sur des règlementations, voire la législation dans les domaines de l'agriculture et de la santé. Nous avons réalisé plus de quatre-vingts heures d'audition. Nous avons entendu le monde agricole, les scientifiques, les médecins, les chercheurs et des acteurs de l'industrie chimique. Nous souhaitions donc vous entendre sur cette problématique.
Nous nous sommes vu imposer une utilisation des pesticides que nous ne recherchions pas. Je donnerai l'exemple d'une ferme normale du nord est, dans laquelle on trouvait 20 % de jachère, 20 % de luzerne et 40% de céréales. Ce type de ferme cultive désormais uniquement des céréales. Nous avons commencé à supprimer la luzerne, qui n'était pas rentable. Or, sa culture évite tout intrant pendant quatre ans. Ainsi, les agriculteurs ont été obligés de suivre les coopératives.
La technique du baby boeuf (boeuf de dix-huit mois) a été imposée aux agriculteurs, qui attendaient auparavant quatre ans avant d'abattre leurs animaux ; un délai qui ne permettait pas de faire vivre toutes les filières et toutes les coopératives. Avec l'argent ainsi gagné, les agriculteurs ont acheté du maïs, l'ont planté et l'ont traité. Auparavant, les boeufs broutaient dans les prés. Les politiques ont encouragé la consommation de pesticides. Les techniciens préconisaient de semer le blé à raison de 200 kilogrammes par hectare. Or, une telle densité est davantage propice aux infections fongiques. Aujourd'hui, nous semons plutôt 140 kilogrammes par hectare. Les risques d'infections fongiques seraient encore moindres si les agriculteurs semaient trois graines différentes. Cependant, cette solution n'intéresse personne, car les coopératives qui vendent les graines commercialisent aussi les pesticides.
J'imagine que les techniciens dont vous parlez sont ceux des coopératives. Continuent-ils à préconiser de semer pareilles quantités ?
Oui. La coopérative agricole d'Ardèche ne ramasse pas les cerises qui n'ont pas été traitées la veille. Si le paysan ne traite pas ses cerises, la coopérative ne les lui achète pas. Il y a là conflit d'intérêt.
Les coopératives comptent pourtant des agriculteurs, qui pourraient essayer de modifier cette politique néfaste.
Les coopératives avaient initialement vocation à économiser les produits ; les pesticides avaient vocation à empêcher les maladies. Cependant, le système est comme un puits sans fond. Nous sommes obligés de traiter les limaces, sous peine d'avoir une production nulle. Aujourd'hui, nous sommes pris dans un engrenage. Les agriculteurs n'en sont ni plus riches ni plus heureux, mais ils ne peuvent plus se passer de certains pesticides.
Pensez-vous qu'une prise de conscience ait eu lieu parmi les agriculteurs ? Est-ce qu'ils changent leurs pratiques ?
Les agriculteurs ne sont pas sourds, ils ont pris conscience du problème. Ils essaient d'utiliser le moins de produits possible et n'utilisent que les doses qu'ils jugent nécessaires.
Certains suivent des cours pour utiliser moins de pesticides : ils mélangent les fongicides au cola ou à du produit pour la vaisselle. Cependant, personne ne nous conseille vraiment dans ce sens. Aucune coopérative n'est félicitée pour avoir vendu deux fois moins de pesticides d'une année sur l'autre.
Les coopératives sont normalement dirigées par des agriculteurs. Cependant, les gestionnaires oublient parfois leurs origines.
Les personnes qui gèrent les coopératives ont perdu de vue le monde agricole.
Quels liens les coopératives entretiennent-elles avec les industries chimiques ?
Les coopératives s'occupent à la fois de collecte et d'approvisionnement. Or, l'approvisionnement concerne les produits phytosanitaires. Les dirigeants concluent donc des contrats avec les grandes firmes chimiques.
Est-ce que les commerciaux sont récompensés en fonction des volumes vendus ?
Ayant un ami qui travaille chez Bayer, je sais que la firme récompense les bons commerciaux. Le même système était à l'oeuvre pour la vente d'antibiotiques.
Que vous inspire le plan Ecophyto, qui prévoit une diminution de 50 % de l'utilisation des pesticides pour 2018 ? Que pensez-vous du Certiphyto ?
Ces initiatives partent d'un bon sentiment, mais il faudra bientôt être pharmacien pour commander des produits.
Nous sommes favorables à la diminution des doses. Si l'on nous propose un produit plus écologique, moins cher et plus efficace, nous l'utiliserons. L'agriculteur n'est pas toujours conscient de la dangerosité des produits, mais il est conscient du montant de la facture.
Initialement, les coopératives ont été créées pour maîtriser les coûts. Aujourd'hui, les agriculteurs ne contrôlent plus rien.
Pensez-vous que les chambres d'agriculture sensibilisent les agriculteurs aux questions de santé, qu'elles les encouragent à utiliser des méthodes alternatives ?
Les chambres d'agriculture réalisent un travail de sensibilisation, notamment sur la protection des professionnels.
Elles prodiguent également des conseils pour appliquer les produits au bon moment, en utilisant le moins de doses possible.
A Nancy, la représentante des coopératives est là, de même que la chambre d'agriculture, le centre de gestion, ou un représentant de la FNSEA ou de Groupama. Ainsi, les chambres proposent finalement de nouveaux produits plus chers, dont on ne sait pas s'ils sont moins toxiques.
Je connais un apiculteur dont la femme a la maladie de Parkinson. Il établit une relation entre la pathologie et l'environnement agricole.
Cette pathologie a été la première maladie professionnelle officiellement imputée à l'utilisation de pesticides
La FNSEA n'a-t-elle pas voté contre sa reconnaissance comme maladie professionnelle ?
On dénombre actuellement 80 000 cas de maladies de Parkinson à la MSA. L'année dernière, quatorze cas ont été transmis aux commissions régionales, qui en ont reconnu la moitié. Les commissions régionales ont traité 474 dossiers. L'incidence de la maladie de Parkinson est 1,8 fois plus élevée dans le monde agricole que dans le reste de la population. Très peu de cas sont officiellement reconnus comme maladies professionnelles agricoles.
S'agissant des hémopathies, sept cents cas ont été déclarés alors que les commissions n'en ont étudié que quatorze.
N'y a-t-il pas une importante sous-déclaration des maladies professionnelles ?
En effet. Il convient en outre de souligner que les maladies des salariés sont mieux reconnues que celles des non-salariés. Par ailleurs, nous ignorons tout des critères de refus. Pour la maladie de Parkinson, dix ans d'exposition ont été demandés. Cependant, des pressions ont été exercées pour que la maladie ne puisse plus être reconnue comme une maladie professionnelle plus d'un an après la fin de l'exercice professionnel.
Pourtant, le Dr Pierre Le Bailly a présenté un excellent exposé sur les cohortes d'agriculteurs à la commission pesticides du 24 avril. Ses résultats recoupent ceux des études américaines déjà réalisées. Quelques heures après avoir appliqué un produit pesticide, le génome est attaqué sur les chromosomes 14 et 18, sur les fréquences 32 et 21. Le pesticide est donc responsable du myélome. Cependant, le facteur explicatif reste partiel. Les corrélations avec l'activité professionnelle restent donc difficiles à établir. D'autres facteurs doivent être pris en compte. Par ailleurs, les pesticides semblent impliqués dans le cancer de la peau, une pathologie plus fréquente parmi les agriculteurs que chez les maçons. Les études sont bien faites et vont à peu près dans le même sens.
De nombreuses études sont réalisées. Pourtant, la sensibilisation sur la dangerosité des produits ne progresse pas très rapidement.
La Cosmap a traité le cas des maladies liées au goudron de houille et à ses produits dérivés, même si ces produits ne représentent qu'un cas ou deux par an dans le monde agricole.
En revanche, la commission des pesticides n'envisage pas de traiter le cancer de la peau. Je ne sais pas quoi faire.
Il faudrait que les commissions se réunissent plus souvent et que des experts puissent rédiger des rapports sur différents sujets. Un très bon rapport a été rédigé sur le lymphome. Enfin, il n'est pas toujours aisé de lier la pathologie au produit. Dans le cas de la maladie de Parkinson, nous avons réussi à recréer la maladie à partir du produit.
Ceux qui fabriquent les pesticides prennent beaucoup de précautions. Les EPI des ouvriers sont sophistiqués, les sites de production sont classés dangereux. Or, la règlementation relative aux protections est moins sévère lorsque les mêmes produits sont mis sur le marché. Pourtant, les agriculteurs manipulent ces produits et sont au contact des résidus suite à l'épandage. Comment expliquer la différence entre les précautions prises dans l'industrie chimique et dans le monde agricole?
Les analyses sanguines et génétiques ont mis en évidence que la protection jouait un rôle essentiel. Avec de bonnes protections, les résultats des analyses étaient presque classiques. A la limite, un promeneur qui passerait près du champ le lendemain de l'épandage serait plus exposé que l'agriculteur qui applique le produit avec sa combinaison. A 95 %, les intoxications aux pesticides se font par inhalation.
Oui, la plupart des agriculteurs sont bien équipés. Une prise de conscience a réellement eu lieu. Les analyses montrent l'importance des équipements pour la protection.
Étudier davantage les maladies dont nous savons qu'elles sont liées à l'exposition aux pesticides La Cosmap n'a pas voulu interférer avec votre commission.
L'autorité européenne de sécurité des aliments a formulé des recommandations sur les études préalables à l'AMM. Les apiculteurs soutiennent ces recommandations et demandent qu'elles soient appliquées. D'importantes lacunes sont observées dans les AMM. Les essais sont effectués sur une poignée d'abeilles, alors qu'ils devraient porter sur des colonies et dans la durée.
Êtes-vous satisfaits de l'interdiction du colza imposée par le ministre ?
Oui, mais nous n'avions pas observé d'hécatombes d'abeilles. Les doses utilisées se rapprochant de plus en plus des doses toxiques, nous avons de plus en plus de craintes. Cependant, tous les produits ne sont pas aussi toxiques que ceux dont nous parlons. Le colza est nectarifère et il est présent sur l'ensemble du territoire. Si un problème devait affecter cette plante, cela causerait un désastre majeur. Le problème ne se pose pas pour le maïs, qui n'est pas nectarifère.
Est-ce que votre syndicat informe ses membres des dangers des pesticides ? Les sensibilise-t-il ? Les accompagne-il vers des démarches alternatives plus respectueuses de la santé et de l'environnement ?
Oui, nous avons développé des guides et avons organisé des réunions pour dispenser des conseils, par exemple utiliser moins de pesticides ou faire des mélanges de trois graines pour avoir des maturités décalées. Nos moyens financiers sont cependant limités.
Les agriculteurs sont sensibilisés. Certains se forment ou suivent des formations pour diminuer les doses. Les personnes échangent ensuite entre elles. Un groupe d'agriculteurs de la Meuse est très compétitif s'agissant des micro-doses. Nous publions une revue tous les mois, mais nous n'avons pas de moyens pour réaliser une communication nationale.
Les maladies et les problèmes sont de plus en plus nombreux. Les cultures de souches sensibles ont été encouragées pour toutes les espèces. Or, ces cultures nécessitent d'être traitées. Dans la vallée, les céréales sont de plus en plus souvent traitées.
Il ne faudrait pas imputer aux pesticides tous les problèmes de mortalité des abeilles qui est multifactorielle. D'après les enquêtes de l'Institut de l'abeille, la mortalité est identique, voire supérieure dans les régions moins exposées aux produits. Les abeilles se heurtent aussi à de « grands stresseurs » dont l'homme fait partie.
Tous les produits ont des effets bénéfiques et d'autres délétères. Il convient de tout examiner.