Au cours d'une première réunion tenue dans la matinée, et dans le cadre de son cycle d'auditions sur la lutte contre l'évasion et la fraude fiscales internationales, la commission entend M. Daniel Lebègue, président de Transparency International France.
La réunion est ouverte à 9 h 00.
Mes chers collègues, dans le cadre de notre cycle d'auditions consacrées à l'affaire des « Panama Papers », nous avons déjà entendu les banques, les régulateurs, l'administration et la justice.
Nous poursuivons ce matin avec l'audition de Daniel Lebègue, président de Transparency International France après une longue carrière de haut fonctionnaire et de banquier.
Cette triple expérience lui permettra peut-être de nous éclairer sur un paradoxe : à entendre les responsables des banques, dont certains se sont exprimés ici même, l'évasion fiscale relève de l'histoire ancienne et n'est, pour ainsi dire, « plus possible ». Tout irait-il pour le mieux dans le meilleur des mondes ?
Un récent rapport du Boston Consulting Group donne un premier élément de réponse : la richesse accumulée dans les pays offrant à la fois une fiscalité avantageuse et une gestion discrète aurait encore progressé de 3 % l'année dernière, pour atteindre près de 10 000 milliards de dollars, la Suisse restant la destination privilégiée.
Monsieur Lebègue, peut-être pourriez-vous partir de ce constat pour nous dire ce qui, selon vous, a été fait et, surtout, ce qui reste à faire.
Peut-être pourriez-vous aussi nous éclairer sur ce que doit être, à vos yeux, le rôle d'une ONG comme Transparency International dans ce combat ?
Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, merci de me donner l'occasion de m'exprimer devant vous.
Comme vous l'avez rappelé, Madame la présidente, je suis ces questions de finance offshore et de délinquance financière depuis trente ans. Les méandres de ma vie professionnelle et de ma vie associative m'ont fait aborder ces questions dans toutes les positions occupées : régulateur à la direction du Trésor, acteur à BNP Paribas puis à la Caisse des dépôts et consignations et, enfin, responsable d'une association dont l'objet même est de lutter contre l'opacité et les flux financiers illicites.
Malgré ces trente années d'expérience, j'ai beaucoup appris du dossier des « Panama Papers ». La finance offshore est un sujet dont on sait très peu pour et qui n'a quasiment pas été étudié par les économistes, à l'exception de James Henry aux États-Unis et de Gabriel Zucman en France.
Les statisticiens n'ont pratiquement pas ouvert le dossier : ni l'INSEE ni Eurostat n'ont, à ma connaissance, publié ou mené d'études qualitatives sur la finance offshore. Tel n'est pas le cas aux États-Unis, où la commission du budget du Congrès a fait des études très approfondies, régulièrement mises à jour.
Pour l'instant, ni la BCE ni la Banque des règlements internationaux n'ont véritablement analysé cette partie importante, croissante, de notre système financier et rendu publics des travaux sur le sujet.
Nous ne disposons donc que de très peu d'éléments. J'en profite pour donner un coup de chapeau au travail de votre Haute Assemblée, à travers le rapport d'Éric Bocquet, fait au nom de la commission d'enquête sur l'évasion des capitaux et des actifs hors de France et ses incidences fiscales, présidée par Philippe Dominati. Ce rapport de référence, fruit d'un travail de recherche et de nombreuses d'auditions est très intéressant, même s'il mériterait d'être enrichi et mis à jour.
Nous avons beaucoup à apprendre des « Panama Papers ». J'ai beaucoup appris sur les clients, les montages juridiques et financiers, les circuits et les intermédiaires... En l'espèce, si l'on trouve des financiers, les intermédiaires principaux sont des avocats : c'est en effet un cabinet d'avocats qui est au centre du dossier.
La masse d'informations réunie grâce à un lanceur d'alerte dont j'ignore l'identité, au travail formidable du consortium des journalistes d'investigation - une année de travail ! - et au relais assuré par des ONG investies sur ces questions depuis quelques années déjà - j'en citerai trois, mais il en est d'autres : Tax Justice Network, Oxfam et, bien évidemment Transparency International - nous a permis de progresser de manière formidable en termes de collecte et d'analyse de l'information.
Le problème est aujourd'hui d'exploiter cette mine, cette masse énorme d'informations. Éliane Houlette, que vous avez entendue, explique que le parquet national financier qu'elle dirige a besoin de super-ordinateurs pour exploiter l'ensemble des informations à sa disposition.
Éliane Houlette nous l'a expliqué lors de notre visite sur place avec le rapporteur général et le rapporteur spécial de la mission « Justice ». Nous avons pu constater quels étaient ses besoins.
Le même problème touche l'administration fiscale : la matière est d'une richesse incroyable, mais nos administrations ont un peu de mal à faire face ces données, comme à beaucoup d'autres - les « Panama Papers » arrivent après un premier dossier sur le système du Liechtenstein, un autre sur les banques suisses - le « SwissLeaks » - et un troisième sur les pratiques luxembourgeoises - le « LuxLeaks ». La matière s'est considérablement enrichie en termes d'informations et de détection des pratiques des acteurs et des circuits.
Selon moi, le dossier « Panama Papers » est une contribution tout à fait déterminante à l'action menée au niveau international, en Europe et en France, pour combattre l'opacité d'une partie de la finance mondiale et les mauvaises pratiques qui s'y développent.
Dans ces centres financiers offshore que l'on appelle parfois, en simplifiant les choses, des « paradis fiscaux », se croisent des flux financiers qu'il est très difficile de départager. Les uns sont clairement des flux illicites, issus de l'argent du crime - terrorisme, trafic de drogue, trafic d'armes, trafic d'êtres humains et corruption - ou de la volonté d'échapper à l'impôt.
Mais il peut aussi y avoir - sans doute assez rarement au Panama - des transactions financières tout à fait licites : des sociétés ou des investisseurs, en particulier latino-américains, placent de l'argent dans ce pays pour protéger des risques de change ou des risques de confiscation. Songez à la situation au Venezuela : on peut comprendre le souci des épargnants ou des industriels face aux risques gravissimes liés à l'instabilité du cadre juridique, de la fiscalité, de l'évolution du taux de change... Toujours est-il qu'il ne s'agit, comme le révèle ce dossier, que d'une toute petite partie des flux financiers en question. Le reste, c'est soit de la finance très noire, la pire de toutes, la finance du crime, soit de la finance grise, celle de la fraude et de l'évasion fiscales.
Où en est l'action publique internationale en Europe et en France ? Les avancées enregistrées datent surtout de la crise financière et du sommet du G20 de Londres de 2009. Les travaux de l'OCDE, de l'Union européenne et de beaucoup de gouvernements, dont le nôtre, vont très clairement dans la bonne direction.
La lutte contre la délinquance financière dans les trente années qui ont précédé n'était pas une priorité des politiques publiques - ni des politiques financières, ni des politiques pénales... Dans certains pays, les priorités étaient même inversées : le fait que des personnes fortunées ou des entreprises échappent à l'impôt pouvait être considéré comme une sorte d'optimum d'un point de vue économique. Je reprends en cela les propos publics de hautes autorités du Royaume-Uni ou des États-Unis, par exemple.
Le communiqué du sommet du G20 de Londres, au printemps 2009, marque le point de départ d'une prise de conscience et d'une réelle mobilisation de tous les grands pays - tout du moins de ceux du G20, pays dits riches, pays émergents et grands pays en développement. À Londres, le débat principal a opposé les pays de l'OCDE à la Chine, qui avait alors beaucoup de réticences à s'engager dans la voie d'une coopération internationale renforcée pour lutter contre la corruption, la fraude fiscale et le blanchiment.
Or la Chine est aujourd'hui partie prenante de cette mobilisation internationale. De même que tous les autres grands pays du G20. Il s'agit d'un changement de l'état d'esprit collectif et de la réalité de la coopération internationale.
J'en profite pour rendre un hommage très appuyé au travail formidable de l'OCDE sur tous ces sujets. C'est un Français - Pascal Saint-Amans - qui dirige le Centre de politique et d'administration fiscales de l'OCDE, ce dont nous pouvons être fiers.
Il bénéficie d'un soutien sans faille du secrétaire général de l'OCDE, Angel Gurria, qui n'a jamais fléchi sur ces sujets, même quand il a dû affronter de grands pays membres, comme le Royaume-Uni.
L'OCDE fait du bon travail dans un domaine où la coopération internationale est le facteur clé de la réussite. L'idée que l'on puisse lutter contre la délinquance financière en général, la fraude et l'évasion fiscales en particulier, dans un seul pays, en comptant sur nos seules forces, ne résiste à l'analyse.
Cela ne veut pas dire que la France ne doit pas être en pointe dans les instances européennes, au sein du G20, de l'OCDE ou de la banque mondiale, c'est-à-dire partout où elle doit faire entendre sa voix et son autorité en la matière. Mais l'idée que l'on va apporter des réponses dans notre coin ne tient pas la route : la clé de tout, c'est la coopération internationale.
Nous devons être très vigilants. Certaines menaces de retour en arrière ou de désinvestissement pèsent en permanence sur notre action commune. Pensez à l'enjeu de l'élection présidentielle américaine : une partie très influente de responsables politiques américains pense que les États-Unis se porteraient mieux s'ils retrouvaient une entière autonomie d'action et s'ils pouvaient, au nom de la liberté d'entreprendre - objectif que nous partageons tous - relâcher quelque peu l'attention sur les exigences de solidarité, par exemple en matière de fiscalité.
Autre risque, celui d'une éventuelle sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne. Nous avons réussi, par étapes, à emmener les autorités britanniques sans doute un peu plus loin qu'elles ne l'auraient fait sans nous. Nous devons rester très attentifs face à ces risques permanents.
Pour avoir travaillé et vécu sur les cinq continents, je sais que nous avons la chance d'avoir l'une des meilleures administrations fiscales du monde : la plus compétente, la plus intègre, la plus efficace. Les résultats obtenus dans la lutte contre la fraude, sous toutes ses formes, sont impressionnants : 19 milliards en base, plus de 10 milliards en flux annuel ; 45 000 cas traités par la cellule de régularisation de Bercy en trois ans. Nous ne pouvons que saluer ce beau travail professionnel, rigoureux, réalisé dans un esprit de service public et d'intégrité.
Prenons garde de ne pas affaiblir notre administration fiscale. Pour dire les choses sans détour, j'aimerais que l'on accorde un peu moins d'importance à ce stupide débat sur le « verrou de Bercy » !
Penser que l'on combattra mieux la fraude fiscale en transférant à la justice les dizaines de milliers de dossiers traités chaque année par notre administration fiscale est plus que contre-productif. C'est une idée extrêmement dangereuse, parce que la justice est tout simplement incapable de faire face à ce travail !
Cherchons plutôt à soutenir au mieux notre belle illustration fiscale, qui n'a pas besoin de recruter des centaines de personnes, mais plutôt de se doter des moyens informatiques indispensables à ses missions.
Il en va de même de la justice. Vous êtes sans doute nombreux, dans cette salle, à penser que la France se porterait mieux si elle pouvait doubler, voire quadrupler le budget de la justice. Je le pense aussi mais, malgré les voeux pieux et les incantations, je pense que ni cette majorité ni la suivante ne le feront.
Tâchons de regarder quels sont les enjeux importants pour la justice - Éliane Houlette a dû vous le dire, ainsi que la directrice du SCPC, le service central de prévention de la corruption, future agence anticorruption. Notre justice a besoin d'experts, de moyens techniques et informatiques et de coopération internationale.
La question majeure est celle de l'identification des bénéficiaires effectifs de ces sociétés et autres structures opaques du type trust, fiducie, fondation... Tant que nous n'aurons pas les moyens d'identifier les investisseurs, parfois des entreprises, qui se dissimulent au travers de ces structures, nous n'aurons fait que la moitié du chemin. C'est la priorité de l'heure.
Merci, Monsieur le président, de nous avoir présenté votre activité.
Nous partageons vos adresses au travail de l'OCDE et à Pascal Saint-Amans, que nous recevons très régulièrement.
Nous avons entendu trois grandes banques. Toutes nous ont dit que l'évasion fiscale n'était aujourd'hui plus possible grâce à leurs programmes de « rectitude fiscale » visant à vérifier la conformité de leurs clients, et à la mise en oeuvre prochaine de l'échange automatique d'informations. Partagez-vous cette vision ?
Pensez-vous que la loi FATCA, ou Foreign Account Tax Compliance Act, le dispositif unilatéral mis en place par les États-Unis, soit plus efficace que les accords OCDE ?
Monsieur le président, je partage votre avis s'agissant du « verrou de Bercy ».
Lorsque nous nous sommes rendus, voilà quelques jours, au parquet national financier avec Madame la présidente et le rapporteur spécial, Antoine Lefebvre, Éliane Houlette, que nous auditionnons régulièrement, a souligné que les textes existants permettaient au parquet de se saisir des grandes affaires, notamment en matière de recel de fraude fiscale.
Je ne peux m'empêcher de faire un parallèle avec les délits boursiers et l'entorse à la règle du non bis in idem. Quand on voit la différence de délai de traitement des dossiers entre l'Autorité des marchés financiers, l'AMF, et la justice, on se rend compte que cette dernière ne dispose pas des moyens suffisants pour assurer les fonctions essentielles que lui confèrent les textes. Lui confier la matière fiscale revient à courir un risque d'enlisement évident.
Il s'agit donc d'un faux débat, tout à fait dangereux. La procédure de redressement fiscal est sans doute beaucoup plus efficace que les poursuites pénales, qui peuvent durer plusieurs années et aboutir, au final, à des condamnations relativement faibles.
Monsieur le président, vous avez exercé des fonctions importantes dans certaines des banques que nous avons entendues, à savoir BNP Paribas et le Crédit Agricole.
Saviez-vous, à l'époque, que ces banques possédaient autant de filiales au Panama, par exemple ? S'agissait-il d'une information confidentielle ou cela paraissait-il normal au président de Transparency International que vous êtes aujourd'hui ?
Vous avez dit que les motivations des bénéficiaires de ces structures étaient essentiellement fiscales. Dès lors, le fait d'accompagner des clients pour de l'optimisation, voire de l'évasion fiscale, vous semblait-il normal dans le cadre de vos fonctions ?
Peut-être ces bénéficiaires avaient-ils des motivations tout à fait licites ? On nous a dit qu'il était parfois plus simple d'acheter des avions à travers des structures offshore. Recourir à de telles sociétés peut aussi s'avérer légitime pour des questions de succession ou des problèmes de droit civil.
Certaines ONG ont-elles même recours à des sociétés-écrans. À cet égard, pourriez-vous nous éclairer sur la situation du directeur de la branche chilienne de Transparency International qui serait relié à au moins cinq sociétés offshore enregistrées dans les îles Vierges britanniques ?
L'article 45 quater de la loi Sapin oblige à créer un registre public des personnes morales, ce qui revient à anticiper sur la transposition de la quatrième directive anti-blanchiment. Cela vous paraît-il suffisant ? Quelle sera la portée concrète de cette disposition que la France est seule à prendre ? Cette obligation permettra-t-elle d'identifier les bénéficiaires effectifs, alors qu'elle concerne les seules structures dont l'administrateur est résident en France ?
Je pense que les grandes banques françaises ont aujourd'hui tourné une page.
Elles considèrent que les risques juridiques et l'atteinte à leur réputation sont trop importants pour offrir des services à de grands clients, souvent non-résidents, dans des centres offshore comme le Panama.
Je pense qu'elles sont toutes déterminées à tourner cette page. On peut en trouver un indice dans le dossier des « Panama Papers » : en 2012, la Société Générale entretenait encore environ un millier de structures opaques, notamment des trusts, qu'elle avait créées, qu'elle gérait et administrait au Panama. Nous n'avons pas le chiffre actuel, Frédéric Oudéa vous l'a peut-être donné...
Frédéric Oudéa a indiqué qu'à la date du 30 mars 2016, le nombre de sociétés patrimoniales offshore encore en activité et immatriculées par Mossack Fonseca pour le compte des clients de la Société Générale était de soixante-six, au Panama et dans les autres pays.
La Société Générale a donc réduit cette activité des neuf dixièmes. Il s'agit d'un changement de comportement très clair. Je pense que les grandes banques françaises vont aller au bout du processus.
Je vais faire appel à mes souvenirs de banquier. La Société Générale, BNP Paribas, le Crédit Agricole ont, dans de grands centres financiers étrangers, de grands clients. BNP Paribas, par exemple, est l'une des plus grandes banques de Hong Kong, Singapour et Shanghai. Elle comptait parmi ses clients de l'époque tous les grands entrepreneurs chinois, dans tous les secteurs - armement, construction...
Ces grands clients considéraient, et considèrent sans doute toujours, leur banque comme un partenaire global. Ils en attendent une aide pour financer leurs investissements et leurs exportations, différentes formules de gestion des moyens de paiement, et aussi une offre en matière de placements financiers, en particulier pour le dirigeant chinois, singapourien, indonésien ou brésilien qui veut éviter de payer trop d'impôts. Si sa banque ne peut lui offrir le placement offshore qu'il désire, le leader mondial de l'armement naval, par exemple, se tournera alors vers HSBC ou Barclays, à Hong Kong ou Singapour, qui lui proposent ce service. Voilà comment les choses se passent et se sont passées.
Je pense que les banques françaises ont maintenant pris la mesure des risques encourus sur le plan juridique et financier et sur celui de la réputation. Elles sont aujourd'hui décidées à ne plus offrir de tels services, même s'il s'agit d'un sacrifice important.
La loi FATCA est un outil extraordinaire. Les États-Unis ont convaincu - ou leur ont imposé - tous leurs partenaires et tous les établissements financiers dans le monde de déclarer les avoirs détenus chez eux par des résidents américains et les transactions effectuées chaque année sur ces comptes, et cela de manière automatique. Ce système est indéniablement le plus robuste de tous.
On peut trouver son équivalent en Europe avec la directive instaurant la règle d'échange automatique d'informations entre tous les pays membres de l'Union. Nous avons finalement pu imposer ce dispositif au Luxembourg et à l'Autriche qui résistaient depuis quinze ans. Nous avons aussi réussi à l'imposer aux grands partenaires de l'Union européenne que sont la Suisse, Monaco, Malte, Gibraltar, Andorre, Liechtenstein et Jersey et Guernesey.
Que reste-t-il encore à améliorer ? Comme nous nous y sommes engagés, nous fournissons aux autorités américaines toute l'information dont nous disposons sur les avoirs, les transactions financières de tout résident américain en Europe.
Si nous ne faisons pas, les sanctions tomberaient rapidement, non seulement sur les États, mais aussi sur les banques concernées. La banque étrangère ne respectant pas les règles FATCA aurait une chance sur deux de perdre sa licence bancaire aux États-Unis, sans discussion, négociation ou transaction. Aucune banque n'est prête à prendre ce risque aujourd'hui.
Même les petites et moyennes banques suisses, qui n'avaient pas d'activité sur le territoire américain, ont plié devant les autorités américaines qui leur ont rappelé qu'elles pouvaient leur retirer le droit de travailler en dollars. Toutes les banques suisses se sont donc rangées, plus de force que de gré, à cette obligation de transparence et de déclaration.
Nous pouvons encore améliorer deux points. Nous fournissons aux autorités américaines toute l'information demandée, mais la réciproque n'est pas toujours vraie. Je ne dis pas non plus que l'administration américaine n'informe pas les administrations européennes. Disons plutôt qu'il ne s'agit pas toujours d'une information rapide ou complète... Nous devons nous montrer très exigeants sur ce point.
Reste la question des free riders, c'est-à-dire ceux qui, dans le système mondial, sont tentés de jouer le jeu du cavalier solitaire, de se tenir à l'écart des règles édictées par le G20 et l'OCDE. Ils pensent pouvoir attirer les investisseurs du monde entier en leur offrant l'abri du secret bancaire.
La liste s'en est singulièrement réduite : le Panama, ancien numéro un, vient de rendre les armes. Il n'avait plus le choix. Il en reste encore quelques-uns sur les listes de l'OCDE de l'Union européenne et de la France : les Îles Vierges britanniques, par exemple, qui n'ont pas voulu participer au sommet de Londres en mai dernier et qui refusent l'échange automatique d'informations.
En plus de l'inscription sur les listes noires ou grises, il faut maintenant passer à l'étape suivante et recourir à la panoplie des sanctions établies par l'OCDE, en conformité avec le droit international et les accords de l'OMC. Il ne s'agit pas seulement de pénalités fiscales et financières : on peut interdire toute transaction financière avec un État figurant sur la liste noire ou grise de l'OCDE, du G20, de l'Union européenne ou de la France.
Il reste aussi Bahreïn : on n'a toujours pas réussi à identifier les actifs de la famille Ben Ali à Bahreïn, ce qui est inacceptable. Il faut mettre cet État en demeure de respecter la nouvelle norme internationale.
Si l'Union européenne, les États-Unis, les grands pays du G20 s'accordent, nous avons tout à fait les moyens de réduire les cavaliers solitaires.
Monsieur le rapporteur général, je ne reviens pas sur ce que vous avez dit du redressement fiscal qui est souvent plus efficace que la justice pénale. J'en conviens.
Vous m'avez posé une question personnelle. Dans mes fonctions de dirigeant de la BNP - à la Caisse des dépôts et consignations, la question des paradis fiscaux se pose rarement -, j'étais bien évidemment informé de l'existence de filiales, succursales et bureaux dans des centres offshore.
En soi, cela n'a rien d'illégal, d'illicite, ni même de critiquable. Il est normal que BNP Paribas, qui est l'une des trois grandes banques mondiales dans le financement du shipping - bateaux et aéronautique - ait une filiale en Irlande. Ce n'est pas une question de fiscalité, mais de système de droit : tout le monde sait qu'il est beaucoup plus simple, pour vendre un Airbus, par exemple, ou un bateau, de disposer d'une société de financement en Irlande.
L'Europe a mis en place un marché unique et instauré la libre circulation des capitaux. Tout cela n'est en rien critiquable dès lors que les choses se font en toute transparence et qu'il ne s'agit pas de contourner la règle fiscale.
Permettez-moi d'ouvrir une parenthèse. L'ancien directeur général de BNP Paribas que je suis a vécu comme une humiliation pour la banque, pour notre pays, pour notre justice, la condamnation, par la justice américaine, de BNP Paribas à verser une amende de 9 milliards de dollars qui est allée directement dans les caisses du Trésor des États-Unis.
En outre, BNP Paribas a dû mettre en place, à New York, une équipe de cinquante personnes, qu'elle rémunère, pour centraliser toutes les transactions en dollars qu'elle réalise dans le monde, directement placée sous le contrôle du procureur des États-Unis.
À quel point en sommes-nous rendus ! Que BNP Paribas ait enfreint un embargo, c'est, hélas, incontestable. Mais que le dossier soit traité de cette manière, par d'autres magistrats d'un pays tiers, c'est inacceptable !
D'où l'insistance de Transparency International pour doter la justice française des mêmes moyens d'action que ceux dont disposent les justices étrangères. Je ne parle pas seulement des États-Unis, mais aussi de l'Allemagne, du Royaume-Uni, de l'Italie, des Pays-Bas, de la Suisse, de l'Espagne... Je pense notamment à la transaction pénale, qui est l'outil idoine pour le magistrat dans ce type de dossier.
Permettez-moi enfin de dire, Monsieur le rapporteur général, que ni vous ni moi n'accordions à l'époque autant d'attention et autant importance à tous ces sujets. Je bats volontiers ma coulpe, mais il aura fallu attendre que cette question devienne une priorité des politiques publiques en France et dans le monde.
J'ai présidé le comité d'audit et des risques du Crédit Agricole, qui emploie plus de 1 000 personnes pour l'audit et le contrôle interne. Nous demandions chaque année à la direction de l'audit et de la conformité de nous expliquer quelles étaient nos activités sur telle ou telle place offshore, pour rassurer le conseil d'administration sur le caractère légal et licite de ces opérations.
S'agissant du président de la branche chilienne de Transparency International, ce dernier été débarqué de son poste en deux heures. Quand les « Panama Papers » ont été rendus publics, notre conseil international lui a demandé de remettre tous ses mandats dans l'après-midi.
Je n'étais pas très allant, et je ne le suis toujours pas, pour que la France se distingue de ses partenaires européens sur le dossier du reporting pays par pays, pour deux raisons. D'une part, si la France est seule à agir en matière de reporting pays par pays, l'intérêt et la portée de la mesure sont considérablement réduits ; d'autre part, je ne pense pas pertinent de faire peser sur nos entreprises des contraintes qui n'existent pas pour leurs concurrentes.
Ne vous y trompez pas, nous sommes pour le reporting pays par pays, pour le reporting public. Toutefois, nous voulons faire avancer le dossier à l'échelle de l'Union européenne. Contrairement au Medef, je ne dis pas qu'il faut attendre que tous les pays du monde fassent de même. Agissons en Europe comme nous l'avons fait pour les banques ou les industries extractives.
Par contre, je pense que l'action de la France est justifiée sur le dossier du registre des bénéficiaires effectifs, et ce pour deux raisons.
Premièrement, les pays du G20 se sont engagés à mettre en place des procédures - principalement des créations de registres - permettant d'identifier les bénéficiaires effectifs. Tous les pays membres ont pris cet engagement. Les choses vont donc se faire, certes à un rythme différent selon les pays, en vertu d'un accord international.
Deuxièmement, le Parlement a donné à l'administration les moyens d'agir. Certes, le système doit encore être amélioré, notamment sur la question des sociétés commerciales. Il est paradoxal de voir qu'une procédure a été mise en place pour les trusts, mais pas pour les sociétés commerciales. Il s'agit cependant d'une simple mesure d'application de la directive européenne anti-blanchiment que le ministre s'est engagé à prendre.
S'agissant du trust, le dispositif français est bien fait. Il faut déclarer à l'administration fiscale tout trust dans lequel un résident français est partie ou tout trust détenant un actif financier ou immobilier français. Si l'on ne peut évidemment garantir que le gestionnaire d'un trust à Bahreïn va se précipiter à Bercy pour effectuer une telle déclaration, ce dispositif permet au moins de viser les résidents et les non-résidents, les trusts situés en France ou à l'étranger et, surtout, de donner à l'administration les moyens d'agir : si la déclaration n'a pas été faite, la charge de la preuve incombe à l'investisseur ou au gestionnaire du trust. C'est une bonne mesure.
Monsieur le président, vous avez dit que la coopération internationale était la clé de tout. Nous sommes d'accord avec vous.
J'ai rédigé un rapport, dans le cadre de la commission des affaires européennes, sur Europol et Eurojust. La lutte contre la corruption, l'évasion fiscale ou le détournement fiscal ne fait pas partie des missions de ces deux agences européennes qui se consacrent en grande partie à la criminalité transfrontière et transnationale. Faudrait-il mettre en place une agence européenne spécifique ?
Vous avez fait référence au parquet national financier, sans doute en pensant à la perquisition d'envergure menée contre le siège de Google, à Paris. Il me semble insensé de devoir monter une opération totalement hors ligne pour la seule raison que l'on est face à une société internationale qui est un quasi État, qui dispose de capacités de surveillance, notamment de la police et de la justice, à travers ses compétences technologiques et dont les moyens juridiques et financiers sont extrêmement importants.
N'avez-vous pas le sentiment d'une sorte de désarmement à la fois technologique et juridique des États ? Certains grands groupes internationaux ont parfois pu mettre en difficulté le Conseil d'État, ce qui est tout de même inquiétant. Faudrait-il envisager la création d'une véritable agence européenne ou d'une structure spécifique capable non seulement de collecter, mais aussi d'analyser l'information, dotée des moyens semblant faire défaut à nos États ?
Votre association est à l'avant-garde de la défense des lanceurs d'alerte depuis bien longtemps. Pourriez-vous nous indiquer quelles sont les principales pistes à suivre pour les protéger et, peut-être, nous faire part de votre sentiment sur le texte que vient d'adopter l'Assemblée nationale ? Doit-on encore le renforcer et comment ?
Vous avez également beaucoup développé les chartes de bonnes pratiques avec les entreprises. Avec quelques années de recul, quel regard portez-vous sur ce travail ? Avez-vous l'impression d'avoir été payé en retour par les entreprises ou pensez-vous qu'il faudrait légiférer sur cette question ?
Vous avez cité de manière assez directe le Royaume-Uni, qui vient d'organiser une grande conférence sur la corruption. Comment jugez-vous cette initiative ?
Je souhaitais vous poser la même question sur les lanceurs d'alerte. Êtes-vous satisfait de la rédaction actuelle de l'article 7 du projet de loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique ?
On ne m'empêchera pas de penser que les sociétés offshore sont en soi une mauvaise chose. Elles n'apportent rien à l'économie. Elles servent, pour la plus grande partie d'entre elles, d'outil de dissimulation et de fraude fiscale.
Les quelques cas que l'on nous a longuement exposés - les bateaux, les avions... - où elles ont une utilité témoignent simplement d'une lacune de nos législations en ces domaines. Ce n'est jamais une bonne chose d'aller mettre ses biens à l'étranger.
Bien sûr, le monde est ce qu'il est, et l'on ne peut grand-chose en l'absence d'une législation mondiale. Je pense toutefois que nous devons lancer un débat international sur la suppression des statuts offshore.
J'ai noté que vous souhaitiez une législation au moins européenne sur les questions de reporting pays par pays. Que pensez-vous du seuil des 750 millions d'euros pour les multinationales ? Faudrait-il rapidement aller plus loin ?
On nous a expliqué, dans les auditions précédentes, que certaines fonctions de gestion administrative, de back office, sont effectuées par des établissements bancaires sans participer aux décisions. Ne faut-il pas un minimum de règles en termes de transparence des décisions ? Dans certains cas, les établissements bancaires français doivent-ils se retirer s'ils ne disposent pas de l'ensemble des informations nécessaires ?
Vous avez fait un aparté sur la BNP, mais il ne s'agit pas d'un sujet isolé. Le problème est de progresser dans la transparence sans s'affaiblir au niveau national ni sacrifier nos intérêts nationaux. Or on constate un réel déséquilibre entre l'Europe et les États-Unis. La défaillance ou l'insuffisance d'organisation européenne nous ont mis dans cette position de faiblesse. Comment y remédier ? Tous les pays européens sont-ils conscients des déséquilibres de la situation ?
J'ai beaucoup de sympathie pour ceux qui défendent des réformes très ambitieuses. Thomas Piketty dit qu'il faut un impôt mondial sur le capital ; Gabriel Zucman dit qu'il faut un cadastre financier international. Je voudrais rappeler que, voilà vingt-cinq ans, Jacques Delors avait proposé d'instituer en Europe une retenue à la source sur les revenus financiers pour tous les pays, à taux unique, modeste, de 15 %. Ce projet n'a pas abouti et n'a jamais été repris depuis.
J'ai de la sympathie pour ces idées, mais je ne serai plus là dans cinquante ans ! J'essaye donc de voir comment avancer dans les mois et les années à venir.
Un projet de parquet européen est toujours sur la table, mais nous sommes très loin d'un accord.
J'ai assisté hier aux rencontres internationales des autorités anti-corruption organisées par l'OCDE. Les échanges furent très concrets, très denses. Nous devons rapidement progresser en matière de coopération, à tous les niveaux - administrations, magistrats...
L'Assemblée nationale a fait un remarquable travail. Le dispositif qu'elle a adopté est probablement le plus solide d'Europe. Un seul article - examiné à deux heures du matin... - nous pose problème. Je pense donc mesdames, messieurs les sénateurs, que vous aurez la possibilité d'apporter la touche finale à ce projet.
L'article en question porte sur la définition du lanceur d'alerte. La définition adoptée prévoit seulement deux cas où le lanceur d'alerte peut être reconnu comme tel : d'une part, s'il s'agit de crimes, de délits ou de manquements graves à la loi ou au règlement ; d'autre part, si les faits en question présentent des risques graves pour l'environnement, la santé ou la sécurité publique. Or, si nous en restions là, Antoine Deltour, le lanceur d'alerte de l'affaire « LuxLeaks », ne serait pas protégé.
Nous sommes tout à fait d'accord sur le critère de la bonne foi. Les personnes qui veulent régler des comptes avec leurs collègues ou leurs voisins, nous n'en voulons pas ! De même, les lanceurs d'alerte doivent agir de manière désintéressée et servir l'intérêt général. Nous souhaitons conserver ces critères qui nous distinguent du système américain.
En revanche, nous souhaitons, en accord avec toutes les ONG concernées, ajouter à cette définition la notion de « préjudice grave à l'intérêt général » afin de couvrir des cas similaires à celui d'Antoine Deltour ou de la jeune femme ayant signalé les pratiques de la banque UBS en France.
S'agissant des codes et des chartes de bonnes pratiques, nous progressons de manière très forte, très rapide. Il nous est parfois reproché, par des esprits purs, de travailler avec une trentaine de grandes entreprises, y compris des banques et des compagnies d'assurances. Nous les conseillons, nous les accompagnons, nous essayons de leur apporter des outils, des moyens d'action. La plupart de nos grandes entreprises privées et publiques disposent aujourd'hui d'un programme de conformité. Je crois même que toutes les sociétés du SBF 120 se sont dotées d'un programme d'entreprise.
La nouvelle agence anti-corruption peut faire des recommandations, donner des lignes directrices en matière de programmes de conformité à destination des entreprises. Il ne s'agit pas d'une obligation, rien n'est imposé. Il s'agit d'une démarche similaire à celle du code de gouvernance. Nous attendons toutefois des entreprises qu'elles se saisissent de ces recommandations.
Mesdames, messieurs les sénateurs, nous soutenons sans réserve le dispositif de convention judiciaire d'intérêt public. Nous aimerions toutefois introduire, ce qui n'a pas été fait à l'Assemblée nationale, l'idée que le juge puisse prendre en compte les efforts préventifs de l'entreprise pour décider des sanctions, à l'instar du Bribery Act anglais.
Qui peut se dire à l'abri de la corruption ? Si l'entreprise démontre sa bonne volonté à travers les mesures qu'elle a adoptées, permettons au juge d'en tenir compte. De notre point de vue, il s'agirait d'un ajout très utile.
Monsieur Raynal, il me semble que David Cameron a changé de pied depuis deux ans. Ce sujet est devenu un enjeu majeur dans le débat public. L'opinion publique, au Royaume-Uni comme aux États-Unis, ne supporte plus certaines dérives du monde de la finance.
S'il y a eu beaucoup de réactions en France, vous en êtes les témoins et les interprètes, la violence des réactions au Royaume-Uni et aux États-Unis est très supérieure à ce que nous connaissons. David Cameron a compris que les choses ne pouvaient continuer ainsi, d'où son initiative du mois de mai dernier.
Le problème du gouvernement britannique, c'est que certains territoires d'outre-mer ont été utilisés comme auxiliaires pendant des années - Jersey, Guernesey, les Îles Vierges, l'île de Man et quelques autres... - et qu'on leur demande aujourd'hui non pas de supprimer tous les trusts présents sur leur territoire, mais de jouer la carte de la transparence sur les structures et les bénéficiaires. Il est normal qu'ils renâclent.
En un an, David Cameron a invité les dirigeants politiques des départements d'outre-mer britanniques à Londres à trois reprises pour les faire plier. Les Îles Vierges s'y refusent et le bras de fer est engagé.
Les autorités britanniques font aujourd'hui preuve d'une vraie détermination, d'une vraie conviction. Il en va de même du président des États-Unis. Barack Obama a toujours mené la bataille contre l'évasion fiscale internationale, depuis son premier mandat de sénateur. C'est lui qui a signé le premier texte, le Stop Tax Haven Abuse Act, aux États-Unis. Lui et son équipe ont donc une vraie conviction. Je n'en dirai malheureusement pas autant de la majorité républicaine du Congrès. C'est un grand facteur d'inquiétude.
Monsieur Yung, nous vivons dans un monde de libre circulation des idées, des biens, des services et des capitaux ; c'est la mondialisation, la globalisation.
Ce serait vraiment une régression, une défaite, pour l'esprit international, pour la coopération internationale, que de rétablir des contrôles des changes, des interdictions... J'espère que nous pourrons préserver la liberté que nous nous sommes donnée en Europe.
Qui dit liberté dit évidemment possibilité, pour un résident français, de placer, d'investir des actifs à l'étranger, pas seulement en Europe.
C'est aussi la liberté de créer des structures juridiques pour répondre à des besoins spécifiques qui ne sont pas forcément la fraude et l'évasion fiscale. La fiducie, la fondation, le trust sont très utiles pour gérer des patrimoines familiaux. Ne les rayons pas d'un trait. Si nous le faisions, je pense qu'aucun de nos partenaires n'accepterait de nous suivre.
Laissons vivre ces outils, mais donnons-nous les moyens de les rendre transparents. Je ne condamne pas l'offshore par principe. Il faut tenir compte de la réalité du monde. Il faut certainement davantage de transparence, de règles du jeu, de régulation... Mais il s'agit d'un autre débat.
Le fait que 40 % de la finance mondiale ne soit toujours pas, ou mal, régulé dix ans après la crise financière est gravissime. Ni en Europe, ni de l'autre côté de l'Atlantique, nous n'avons réussi à mettre les hedge funds sous contrôle. Nous avons tous échoué. Je suis terrifié à l'idée que ces hedge funds gèrent 3 000 milliards de dollars sans aucun cadre réglementaire sérieux !
S'agissant du seuil de 750 millions d'euros, jouons le jeu européen. Commençons par là et nous verrons, d'ici cinq à dix ans, s'il faut l'abaisser. Ce seuil permet déjà d'imposer ce devoir de redevabilité à plusieurs centaines de moyennes et grandes entreprises. Pour ma part - je sais bien que l'Assemblée nationale en a décidé autrement hier -, j'en serais resté à 750 millions d'euros.
Nous poursuivons notre cycle d'auditions sur la lutte contre l'évasion et la fraude fiscales internationales en accueillant Bruno Dalles, directeur de Tracfin, cellule de renseignement financier relevant directement du ministre de l'économie et des finances.
À la suite des révélations des « Panama Papers », nous avons jugé important de vous entendre, compte tenu des attributions de Tracfin en matière de lutte contre les circuits financiers clandestins, le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme.
Pour mener à bien ses missions, Tracfin est notamment destinataire des déclarations de soupçon transmises par les professionnels assujettis aux obligations de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme, au premier rang desquels figurent les banques.
En 2015, Tracfin a ainsi reçu 43 231 déclarations de soupçon, qui ont notamment débouché sur l'envoi de 448 notes à l'autorité judiciaire et de 410 notes d'information fiscale à la Direction générale des finances publiques (DGFiP).
S'agissant de l'utilisation de sociétés offshore, il est particulièrement important que vous nous indiquiez si la qualité et la quantité des déclarations de soupçon reçues par Tracfin sont adéquates.
Pour que son action soit efficace, Tracfin doit par ailleurs coopérer avec ses homologues étrangers. Il sera sans doute utile que vous reveniez sur les modalités et les éventuelles limites de cette coopération.
Merci de me donner l'occasion de vous apporter quelques éléments d'information sur le rôle de Tracfin en matière de lutte contre les fraudes aux finances publiques, et en particulier contre la fraude fiscale internationale.
Tracfin est un service de renseignement spécialisé et non un service de police. Contrairement à d'autres services de renseignement, nous n'avons pas à aller chercher le renseignement, ni à le rémunérer. Le renseignement vient à nous par le biais du dispositif anti-blanchiment et par le moyen des déclarations de soupçon, de la communication systématique d'informations et des informations qui nous viennent spontanément de nos homologues étrangers.
Tracfin a vingt-cinq ans. À l'origine, sa mission était exclusivement de lutter contre le blanchiment de la criminalité organisée. Après le 11 Septembre, Tracfin a aussi été chargé de la lutte contre le financement du terrorisme.
C'est seulement depuis la transposition de la troisième directive anti-blanchiment - en 2010 - que la lutte contre la fraude fiscale a intégré le dispositif anti-blanchiment. En effet, souvenez-vous que, pour faire accepter l'idée même d'une déclaration de soupçon à l'ensemble des professionnels, notamment au secteur financier, le message politique qui a suivi le sommet du G7 de l'Arche, en 1987, consistait à dire qu'une muraille de Chine serait érigée entre la lutte contre le blanchiment et la lutte contre la fraude fiscale. En clair, on disait : messieurs les banquiers, vous n'avez pas à dénoncer la fraude fiscale, qui n'entre pas dans le champ du dispositif anti-blanchiment !
Depuis 2010, cette muraille de Chine est devenue un mur de Berlin et l'infraction de fraude fiscale est aujourd'hui un sous-jacent du délit de blanchiment que les professionnels assujettis se doivent de signaler à Tracfin.
En matière fiscale, les choses sont toujours plus simples qu'ailleurs : le législateur et le pouvoir réglementaire ont donc défini un cadre spécifique précisant ce qui relève de la fraude fiscale grave et justifie à ce titre un examen en vue d'une déclaration de soupçon.
Le pouvoir réglementaire, par un décret du 16 juillet 2009, pris en application du code monétaire et financier, a défini seize critères alternatifs. L'idée est de repérer tout ce qui relève du offshore, tout ce qui relève de transactions financières avec certains pays à risque. Cela fait partie du corpus réglementaire de ce qui doit être regardé et observé au titre de la lutte contre le blanchiment.
Il ne s'agissait pas seulement d'approvisionner Tracfin en déclarations de soupçon à coloration fiscale, mais de lui permettre de partager et de transmettre cette information aux autorités qui exploitent le renseignement financier. C'est le cas de l'autorité judiciaire, bien évidemment, mais aussi de l'administration fiscale.
C'est donc uniquement depuis 2010 que Tracfin est autorisé à transmettre des informations à l'administration fiscale et, depuis 2012, aux administrations sociales. C'est la raison pour laquelle Tracfin est devenu un acteur clé de la lutte contre les fraudes aux finances publiques.
Vous m'avez interrogé sur les déclarations de soupçon. Elles ont augmenté de 55 % depuis 2013 et ont été multipliées par quatre depuis 2010. Les effectifs de Tracfin, eux, ont été multipliés par deux. On flirte aujourd'hui avec les 45 000 déclarations. Depuis le début de l'année, leur nombre a encore augmenté de 50 %.
Nous constatons donc un mouvement de fond sur toutes les têtes de chapitre : lutte contre le blanchiment, lutte contre la fraude fiscale, lutte contre le financement du terrorisme...
La structure de cette augmentation des déclarations de soupçon demeure classique : 85 % des déclarations proviennent du secteur financier - banques, assurances, etc. -, le reste des autres professionnels assujettis. Parmi ces derniers, la participation des administrateurs judiciaires, par exemple, s'est nettement améliorée. Ce n'est pas le cas de tous les professionnels...
Tracfin est armé pour être efficace en matière de détection. Toutefois, il ne suffit pas d'avoir de l'information, encore faut-il être capable de la traiter, de l'analyser. Il faut savoir analyser les chiffres : les lignes de comptes ne parlent pas toutes seules, même aux experts comptables. Faire parler les chiffres, c'est notre métier.
Il est très important pour nous de disposer d'outils efficaces. Le fait que 25 % des agents de Tracfin soient des inspecteurs des finances publiques recrutés dans les meilleures divisions d'enquête explique que nous soyons capables d'analyser les mécanismes fiscaux et financiers au sein même du service et de comprendre si telle ou telle déclaration correspond véritablement à une fraude.
Nous avons également accès à l'ensemble des fichiers fiscaux, ce qui est très important. Tous les agents de Tracfin ont des clés d'accès sécurisées à l'ensemble des bases fiscales. Cela nous permet par exemple de vérifier si telle ou telle personne a fait l'objet d'une mesure dite de « dégrisement ». Si le flux concerné ne fait pas l'objet d'une mesure de régularisation, nous pouvons alors transmettre l'information à l'administration fiscale sur la base de cet indice de fraude.
Enfin, Tracfin continue de s'adapter en permanence pour assurer cette mission de lutte contre la fraude fiscale : à compter du 1er septembre 2016, je disposerai enfin d'un officier de liaison au sein de la DGFiP pour assurer un meilleur suivi des dossiers transmis.
Un tiers de la forte augmentation des déclarations de soupçon que j'ai évoquée - 18 % l'année dernière, 56 % en 2013, 300 % depuis 2010 - a une coloration, une saveur fiscale.
Nous sommes amenés à enrichir, compléter, analyser des données de plus en plus importantes, diversifiées et précises.
Que deviennent ces informations ? À partir de ces 45 000 déclarations de soupçon, nous avons la capacité de mener une investigation approfondie sur 10 000 dossiers. Toutefois, sur un même dossier, il arrive que nous utilisions 10, 20, 30 ou même 50 déclarations de soupçon. Le ratio n'est donc pas de 10 000 sur 45 000.
Par ailleurs, nous externalisons environ 1 500 dossiers par an : 500 pour la justice, 500 pour l'administration fiscale et les administrations sociales et encore 500 pour les services de renseignement au titre de notre activité de lutte contre le financement du terrorisme.
S'agissant de la lutte contre la fraude fiscale grave, nous avons transmis, en 2015, 410 notes à l'administration fiscale, c'est-à-dire à l'administration centrale de la DGFiP et à la Direction nationale des enquêtes fiscales. Ce chiffre est en augmentation de 12 % par rapport à l'année précédente.
S'agissant de la lutte contre la fraude sociale, nous avons transmis une centaine de dossiers aux organismes concernés.
Nous avons dressé un bilan, fin 2015, du devenir de l'ensemble des 1 355 notes transmises depuis 2010. LA DGFiP nous a indiqué que 1 286 notes avaient fait l'objet d'une vérification fiscale, soit 90 % d'entre elles. Cela montre le caractère pertinent de nos détections aux yeux de l'administration fiscale.
Fin 2015, 700 contrôles fiscaux étaient clôturés et 260 étaient encore en cours. Le montant des droits rappelés par l'administration fiscale sur la base des notes transmises est de 580 millions d'euros, auquel s'ajoutent un peu plus de 200 millions d'euros de pénalités.
Nous travaillons donc sur la détection de fraudes graves. Si nous calculons le ratio - il ne s'agit que d'une moyenne - cela représente un peu plus d'un million d'euros par dossier. Pour lutter contre la petite fraude de quartier, il faudrait multiplier nos effectifs par dix ou vingt... Nous travaillons à la détection de la fraude fiscale organisée.
Comment amener le secteur financier à détecter ce qu'il convient et à prendre en compte les sociétés offshore, ainsi que l'opacité des structures internationales ? Là encore, nous sommes dans une logique partenariale.
Le terme « assujetti » est un terme juridique que je me dois d'utiliser, notamment pour ceux qui ne jouent pas le jeu. Mais nous avons noué une relation partenariale avec ceux qui nous alimentent, à savoir le secteur financier à 85 %.
Cette logique partenariale est la même avec les pouvoirs publics. Nous devons travailler en équipe pour lutter contre la fraude fiscale grave. Nous le faisons avec la Banque de France et avec l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (l'ACPR).
À titre d'exemple, nous avons rédigé et diffusé des lignes directrices communes avec l'ACPR le 20 novembre 2015. Ces lignes directrices, qui n'avaient pas été actualisées depuis cinq ans, comportent beaucoup d'éléments. S'agissant de la lutte contre la fraude fiscale, je vous invite à consulter tout particulièrement les pages 11, 14 et 31 de ce document, que vous trouverez sur le site de Tracfin ou de l'ACPR.
Retenez simplement qu'un paragraphe entier est consacré aux mesures de vigilance en cas de rapatriement de fonds provenant de l'étranger dans le cadre de la régularisation fiscale. Certains contribuables ont une mémoire sélective quand il est question de comptes détenus à l'étranger... Ils oublient même que la coopération fonctionne bien avec certains pays et que personne n'est à l'abri, y compris au plus haut niveau. Encore faut-il pouvoir détecter les contournements de ces régulations.
Ce dispositif fonctionne. Les établissements financiers doivent demander à leurs clients de justifier des opérations de régularisation fiscale et vérifier que les opérations financières correspondent à ces régularisations.
Sans trahir aucun secret, je peux vous dire qu'une part non négligeable des 410 notes transmises à l'administration fiscale correspond à des détections de régularisations incomplètes.
L'examen renforcé, c'est-à-dire les mesures de vigilance renforcées, prévues par le code monétaire et financier, fait aussi l'objet de dispositions très précises dans ces lignes directrices communes : il appartient aux organismes financiers d'analyser et de comprendre les montages juridiques et financiers des opérations qui leur sont confiées, en particulier quand il s'agit de montages particulièrement complexes. Lorsque de tels montages paraissent dénués de toute rationalité économique ou lorsque leur complexité ne paraît pas être intrinsèquement nécessaire à l'opération, mais plutôt relever de la recherche de moyens pour éviter ou opacifier la traçabilité des fonds, ils sont tenus de les signaler.
En clair, les établissements financiers doivent se demander quel est le bénéficiaire effectif de l'opération et pourquoi telle société a été insérée dans le processus de transferts de fonds. Pourquoi, sur telle opération économique, accepter de payer des frais de gestion supplémentaires et recourir à des structures juridiques de tel ou tel pays, par exemple le Panama ? Si les justificatifs ne sont pas apportés, la déclaration de soupçon s'impose. L'augmentation du nombre de déclarations que j'ai évoquée tient beaucoup à ces nouvelles dispositions.
Enfin, au paragraphe 2.4.2 des lignes directrices communes, nous décrivons et analysons les seize critères relatifs au soupçon de fraude fiscale.
On critique souvent l'absence de coordination, mais on ignore comment les choses fonctionnent concrètement au-delà des pétitions de principe concernant l'articulation entre ce qui relève de la lutte contre la fraude fiscale et la lutte contre le blanchiment.
Nous demandons très clairement aux établissements financiers de faire preuve d'une vigilance renforcée sur les opérations financières concernant des pays ou des territoires n'ayant pas conclu avec la France une convention fiscale permettant l'accès aux informations bancaires. Je précise que les conventions citées aujourd'hui ne produiront d'effet opérationnel qu'en 2018.
Nous faisons également référence - page 31 des lignes directrices - au rapport annuel du Gouvernement, que vous attendez avec impatience, portant sur le réseau conventionnel de la France en matière d'échange de renseignements et qui est annexé au projet de loi de finances.
Les choses sont donc très cadrées, très bordées. Il ne peut en être autrement en matière de fiscalité.
En conclusion, je peux dire que Tracfin est en capacité, malgré ses multiples missions, de participer à la lutte contre la fraude fiscale internationale et à la lutte contre la fraude fiscale grave. Les données que je vous ai transmises en témoignent.
Nous parcourons ce chemin à grande vitesse. L'ensemble des acteurs, pour des raisons différentes - techniques, juridiques, politiques, de sensibilité au climat international... - a la possibilité de nous adresser toujours davantage d'informations. De notre côté, toujours avec un léger effet de retard, nous nous efforçons de nous doter des moyens de les analyser, de les traiter, de les croiser, de les enrichir, notamment grâce à la coopération internationale - qui s'est améliorée - entre cellules de renseignement financier.
Les déclarations de soupçon peuvent-elles concerner les filiales étrangères de banques françaises, par exemple lorsque la cellule de renseignement financier du pays considéré n'est pas compétente en matière de blanchiment ou de fraude fiscale ?
Les opérations ont vocation à être détectées sur le territoire du pays dans lequel elles sont réalisées. C'est la règle.
Toutefois, si l'organe central du groupe a l'information et décide de nous la transmettre, on ne la rejettera pas. Cela peut être un moyen aussi pour nous de récupérer ce type d'information. D'ailleurs, il ne vous a pas échappé, puisque vous avez fait allusion aux « Panama Papers », que, lorsque les informations parues dans la presse ont révélé l'identité d'un certain nombre de personnes, la plupart avaient déjà fait l'objet de vérifications fiscales et, pour certaines, d'analyse de Tracfin et même de transmission de notes à la justice. On avait donc eu accès à l'information.
Avec la présidente, nous avions visité Tracfin, où nous avions passé une après-midi tout à fait intéressante.
Première question : dans un monde ouvert - Daniel Lebègue le rappelait -, les cellules de renseignement financier des autres pays remplissent-elles aussi bien leurs obligations ? Coopèrent-elles avec vous ? On parlait des filiales de banques étrangères : y a-t-il des pays où, très concrètement, les cellules refusent de travailler avec vous ?
Deuxième question : vous disiez que les banques, en général, travaillent bien, 85 % des déclarations de soupçon provenant du secteur financier. Quid des autres professions, des notaires, des avocats, où il y a des marges de progrès, avez-vous dit, importantes ? Pourriez-vous être plus précis sur les professions qui coopèrent et celles ne coopèrent pas encore ?
Ma troisième question porte justement sur l'examen du projet de loi relatif à la transparence, la lutte contre la corruption et la modernisation de la vie économique, dit « Sapin 2 », qui va nous occuper au mois de juillet, avec notamment un sujet que nous avons déjà examiné dans le cadre de la loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement : Tracfin peut signaler aux établissements bancaires un risque élevé de blanchiment ou de financement du terrorisme, et notre crainte, qui a été exprimée par les banques aussi, c'était évidemment que la banque soit tentée, dans ce cas-là, de fermer le compte bancaire de l'individu signalé, pour des questions de réputation ou de risque de mise en jeu de sa responsabilité.
Très concrètement, nous avions proposé, d'une part, une possibilité pour Tracfin d'interdire la fermeture du compte à l'initiative de la banque pour éviter que la personne ne se sache surveillée et, d'autre part, la création en parallèle d'un régime d'irresponsabilité de la banque, inspiré de celui prévu lorsque la Banque de France fait obligation à un établissement d'ouvrir un compte. Évidemment, si une personne sait qu'elle est surveillée parce que la banque lui impose la fermeture de son compte, c'est contre-productif. Avec environ 500 cas sur le terrorisme, les flux financiers sont absolument essentiels à surveiller.
Quelle est la solution, alors que le Gouvernement a déposé à l'Assemblée nationale un amendement reprenant une partie de notre dispositif ? Nous sommes en discussion avec la commission des lois, pour trouver une solution acceptable et efficace.
La coopération internationale est un facteur clé de notre efficacité. Ce qui fait la particularité des cellules de renseignement financier, c'est qu'elles sont liées dans le cadre d'un groupe, le groupe Egmont, qui a été créé, à l'initiative notamment de la France, en 1995. Aujourd'hui, il existe 151 Tracfin, 151 cellules de renseignement financier qui échangent en temps réel de l'information.
Pour être très clair, certaines cellules de renseignement financier ont des capacités - moyens, accès aux données, organisation administrative - qui sont sans commune mesure avec d'autres.
Il se trouve que la coopération avec la Belgique, le Luxembourg et la Suisse, est excellente. J'ai entendu que certains se plaignaient de la coopération avec la Suisse. Je dois vous dire que la coopération avec la cellule de renseignement financier suisse, le MROS, ou Money Laundering Reporting Office-Switzerland, est particulièrement efficace. D'ailleurs, des dossiers très significatifs sont issus d'informations initialement transmises par cette cellule de renseignement financier. C'est une vraie différence avec ce qui vous a été dit sur la coopération judiciaire.
Il y a des pays avec lesquels la coopération est plus compliquée, comme le Royaume-Uni. Ce n'est pas une question de volonté politique, c'est une question d'organisation, de positionnement et de moyens de la cellule de renseignement financier qui est très policière et très intégrée au dispositif anti-criminalité anglais et qui donc ne nous aide pas beaucoup sur les autres têtes de chapitre.
Mais il existe d'autres difficultés, plus techniques. C'est la raison pour laquelle nous avons proposé, et Michel Sapin l'a obtenu, que la Commission européenne propose un plan dit de lutte contre le financement du terrorisme.
Nous attendons beaucoup de ces mesures, comme de celles qui étaient évoquées dans la quatrième directive anti-blanchiment à la rubrique « restriction des entraves aux échanges entre les cellules de renseignement financier ». Par exemple, ces mesures permettront de réduire les restrictions à l'externalisation. À titre d'illustration, la Suisse fait une distinction très stricte entre les données que nous pouvons utiliser uniquement à des fins pénales et les autres. Qu'à cela ne tienne, nous pourrons les transmettre au parquet qui, lui, n'est pas tenu par cette restriction.
Permettez-moi de citer des exemples positifs de coopération : avec Jersey et Guernesey, nous avons signé un accord au mois de juin dernier et nous obtenons aujourd'hui des informations spontanées - 130 dossiers sont en cours de traitement sur cette base.
Et nous pouvons remonter sur plusieurs années. Avis à ceux qui ont des trusts à Jersey ou à Guernesey ! Il fallait les fermer avant !
Ce n'est pas le cas avec la cellule du Royaume-Uni mais avec Jersey et Guernesey, nous avons une bonne coopération, de même qu'avec les États-Unis.
Il ne vous a pas échappé qu'avec certains pays, comme Singapour, le Maroc ou d'autres, nous avions aussi une coopération très efficace en matière de lutte contre le blanchiment.
Les cellules de renseignement financier nous ont transmis l'année dernière un volume d'informations en hausse de 30 %. Ces informations concernaient à peu près 6 500 personnes, et nous avons transmis 1 000 dossiers à nos homologues. Les délais de réponse sont assez rapides.
Quelles seraient les améliorations à apporter ? Il faudrait doter les autres pays d'outils d'accès à l'information tels que ceux dont nous avons la chance de disposer en France : un fichier recensant les comptes bancaires (Ficoba), qui a été complété par un fichier centralisé des contrats d'assurances-vie (Ficovie). Désormais, les comptes Nickel figurent dans le Ficoba. Peut-être qu'un jour d'autres données de comptes y seront intégrées. On aimerait que l'ensemble des autres pays disposent de ce type de fichiers, mais ce n'est le cas que dans huit pays environ au sein de l'Union européenne.
Un fichier centralisé, c'est la certitude d'obtenir l'information, et donc des éléments issus de ce compte.
Je vois une autre piste d'amélioration dans la levée d'une importante entrave à la coopération technique : certaines cellules de renseignement financier ne nous répondent que si elles ont déjà eu, au préalable, une déclaration de soupçon de leur propre secteur financier. Il faut absolument que cela cesse. Toute demande entrante d'une cellule de renseignement financier doit être traitée comme une déclaration de soupçon et permettre ainsi à la cellule de renseignement financier d'utiliser la plénitude de ses pouvoirs.
Monsieur le directeur, pouvez-vous nous dire quels autres éléments ne sont pas dans le Ficoba et devraient y figurer ?
Dans notre analyse de la typologie des fraudes, on voit que des sociétés sont utilisées pour des opérations qui n'ont rien à voir avec leur objet social. C'est presque de l'exercice illégal de la profession de banquier. Parfois, les comptes courants d'associés permettent, faute de contrôle, ce type d'opération. Or, ces comptes courants d'associés ne sont enregistrés nulle part... Il ne s'agit toutefois à ce stade que d'une réflexion interne à Tracfin.
Sur la coopération internationale, vous l'avez compris, le groupe Egmont permet de lever de nombreuses entraves mises par certains pays. Je vais peut-être vous faire sourire, mais, début 2016, une mission d'évaluation complémentaire a été faite sur Panama. Notre homologue de Panama, jusqu'à présent, ne nous répondait que sur une dizaine de dossiers par an. Or le Panama a modifié la législation et aujourd'hui, sa cellule de renseignement financier, dont les effectifs ont été multipliés par deux, peut nous répondre, même sans déclaration de soupçon, ce qui n'était pas le cas auparavant. Ainsi, même le Panama évolue et cela avant même la pression médiatique internationale liée aux « Panama Papers ».
Concernant la participation des professions, très clairement, les professionnels financiers se mobilisent. Des distinctions doivent toutefois être opérées.
Un groupe bancaire est composé de plusieurs secteurs d'activité. Avec la banque de détail, cela fonctionne plutôt bien ; avec la banque d'affaires, c'est un peu plus compliqué ; sur les crédits à la consommation, tout le monde a compris qu'il y avait encore des améliorations à apporter. Par ailleurs, les obligations de vigilance sont plus développées dans le secteur bancaire que dans celui du secteur de l'assurance.
Il y a là un vrai enjeu car des produits d'assurance-vie ou d'autres formules d'assurance peuvent être issus de blanchiment, y compris, bien évidemment, de fraude fiscale.
On note sur les professionnels du chiffre une évolution positive, bien que modeste.
Les experts comptables ont mis en place un gros programme de formation, ainsi que les commissaires aux comptes. Cela va produire des résultats. En tout cas, la volonté de faire est indéniable, et leurs déclarations de soupçon sont de bonne qualité.
En « pole position » de l'augmentation et de la mobilisation se trouvent les administrateurs judiciaires et les mandataires liquidateurs, qui ont multiplié par quatre les déclarations de soupçon, soit un peu plus de 500, ce qui est significatif. Pour vous donner un ordre de grandeur, même si cela reste très faible par rapport au secteur financier, en continuant à ce rythme, on va se rapprocher bientôt des seuls professionnels du droit qui jouent un peu le jeu, les notaires, qui font autour de 1 000 déclarations de soupçon par an.
En revanche, les huissiers ne font pas d'exploit dans la lutte contre le blanchiment, avec une trentaine de déclarations de soupçon ; et les avocats nous en ont adressé une, il y a deux ans, zéro l'année dernière... On est donc revenu à la normale, avec une baisse de 100 % et un dispositif qui est conçu pour ne pas fonctionner. Pour une fois, les objectifs sont atteints !
Cela dépend de leur statut.
Pour les sociétés de gestion de portefeuille, nous avons soixante déclarations de soupçon, soit une multiplication par trois en un an.
Pour les conseillers en investissement financier, qui sont sous la double tutelle de l'AMF et de l'ACPR, on a peu de déclarations, mais on en a quand même, et nous essayons de les remobiliser.
Pour les entreprises d'investissement, nous recevons une centaine de déclarations.
Pour les établissements de monnaie électronique, notre combat actuel, on a multiplié le nombre de déclarations par dix, mais on est passé de un à dix, et nous avons donc encore des progrès à faire.
S'agissant des changeurs manuels, qui sont très intéressants parce qu'à proximité des sujets de fraude, on constate une augmentation de 50 % ; il faut continuer.
J'ai un département de quarante personnes qui ne fait que de l'analyse des déclarations de soupçon. J'ai des référents thématiques, des référents par secteur, des référents par profession ; nous mettons en place des lignes directrices, un bilan déclaratif annuel, voire bisannuel, avec chacune de ces professions pour leur dire ce qui va et ce qui ne va pas, assurer un retour, leur dire ce qui est exploité, ce qui ne l'est pas et ce qui pourrait l'être.
Vous abordez ici la question de l'art, notion assez byzantine, et un marché qui est directement sous le contrôle des sociétés de ventes volontaires. Or ni les commissaires-priseurs ni les sociétés de ventes ne sont sensibilisés ou organisés pour être nos interlocuteurs, et leurs régulateurs n'ont pas de liens assez étroits avec nous pour mobiliser le secteur.
On a toutefois profité de la thématique « pillage Palmyre » pour obtenir des résolutions des Nations unies au titre de la protection des biens culturels et de la lutte contre le financement du terrorisme. En outre, et c'était une première historique, dans le cadre d'une résolution des Nations unies nous avons étendu le 15 décembre dernier les sanctions à l'encontre de Daech, y compris sur ce sujet du pillage des biens culturels. Enfin, le ministre des finances Michel Sapin a, sur notre recommandation, écrit aux syndicats d'antiquaires en leur rappelant leurs obligations, y compris au regard de la lutte contre le blanchiment.
Je viens de recruter quelqu'un qui va travailler spécifiquement sur le secteur de l'art pour mobiliser la profession et lui rappeler ses obligations, qui existent depuis longtemps, mais qui ne sont pas connues. On ne peut pas toujours le reprocher aux professions. C'est aussi à nous à être didactiques et d'élaborer des lignes directrices avec les régulateurs.
Il reste les agents sportifs, mais c'est vrai que le milieu du sport, du football en particulier, n'est pas trop touché par des problèmes de fraude ou de blanchiment. Pour ces acteurs, le score est de zéro, et j'espère que c'est le seul domaine où le score restera nul !
À l'occasion des récentes assises du sport, nous avons formulé des propositions pour mobiliser davantage les fédérations sportives plutôt que les agents, pour qui cela reviendrait à s'accuser eux-mêmes. Encore qu'ils pourraient le faire et bénéficier de l'effet juridique utile de la déclaration de soupçon, qui offre une immunité civile et pénale.
Il y a là un champ qui est en quelque sorte sous-alimenté, mais l'idée, c'est que l'on réfléchisse, dans le cadre de la transposition de la quatrième directive anti-blanchiment, à assujettir aux obligations de vigilance tout ce qui relève du contrôle budgétaire et du contrôle financier des fédérations, notamment les structures dédiées.
L'animation du réseau et la diversification des déclarations de soupçon, c'est un chantier à mener avec tous les acteurs. Même le secteur financier doit se perfectionner. Un tiers de l'effectif de Tracfin est mobilisé par ce travail sur les déclarations de soupçon.
Enfin, le dispositif d'appel à vigilance issue de la loi dite « Urvoas » a été principalement pensé pour la lutte contre le financement du terrorisme, mais sera très utile aussi pour la lutte contre le blanchiment. Dans la rédaction, issue d'ailleurs des propositions du Sénat, il est indiqué que Tracfin aura la possibilité - le décret d'application interviendra d'ici à la fin de l'année sans doute - de faire des appels à vigilance confidentiels concernant des personnes qui présentent des risques importants en matière de lutte contre le blanchiment et de financement du terrorisme.
Le principe, justement, c'est que ces signalements restent le plus confidentiel possible et ne suscitent pas un contentieux adossé. Tracfin ne doit pas être dans l'obligation d'imposer à la banque de maintenir une relation d'affaires car les règles générales sur la lutte contre le blanchiment prescrivent ce maintien - c'est pour cela d'ailleurs qu'une immunité pénale est prévue au bénéfice de la banque lorsqu'il y a déclaration de soupçon sans clôture de compte. On ne va pas risquer de susciter un contentieux administratif pour satisfaire à une demande de la Fédération bancaire française, qui au passage profite d'un effet d'aubaine.
Comme l'avait objecté le Conseil d'État, prendre un arrêté prescrivant le maintien de la relation d'affaires et du compte pour tel et tel motif, c'était sortir du secret, et donc du renseignement, une idée d'autant plus aberrante qu'en page 30 de nos lignes directrices nous consacrons une rubrique à la lutte contre le financement du terrorisme où nous précisons que, justement, l'un des indices de radicalisation, c'est la clôture du compte. C'est la clôture du compte qu'il faut nous signaler, ce qui nous aide à détecter les personnes qui ont envie de partir faire le djihad ou de placer leurs économies ailleurs qu'à la banque qui rapporte et qui n'est pas conforme aux principes de la finance islamiste radicalisée.
Nous avons essayé de trouver les arguments pour convaincre de l'inadéquation de ce dispositif. En revanche, nous avons inspiré l'amendement à la loi « Sapin 2 » - qui est d'ailleurs un cavalier législatif - que vous avez mentionné. Il devrait permettre de rassurer les établissements financiers puisque dans l'hypothèse où il y aura un appel à vigilance, la banque bénéficiera de la même immunité juridique que celle qui est prévue lorsqu'il y a eu déclaration de soupçon.
Mais nous avons gardé la porte ouverte pour travailler sur cette question du compte dans le cadre de la transposition de la quatrième directive, dont le calendrier est accéléré puisque le ministre veut aboutir avant la fin de l'année.
Certains d'entre nous ont eu l'occasion d'entendre PayPal à l'occasion d'un travail sur le paiement électronique. Il nous avait semblé qu'ils n'avaient aucune obligation de déclarer ce qu'il y avait sur les comptes PayPal. Imaginez l'achat d'un yacht et les sommes que cela implique... Avez-vous les moyens de demander à PayPal où partent ces sommes assez élevées ?
Premièrement, PayPal étant au Luxembourg, les obligations anti-blanchiment de PayPal sont liées à la législation du Luxembourg. PayPal fait des déclarations de soupçon à la cellule de renseignement financier luxembourgeoise avec qui la coopération est particulièrement performante.
Deuxièmement, cette cellule de renseignement financier nous envoie spontanément des informations relatives à des mouvements sur les comptes PayPal des résidents français. On a déjà une masse d'informations, qui va encore augmenter, mais qui est significative.
Dans l'hypothèse où nous-mêmes voulons vérifier, dans le cadre d'une enquête, si une personne a fait des opérations sur PayPal, nous interrogeons la cellule de renseignement financier, qui exerce son droit de communication et nous fournit les éléments de réponse quasiment en temps réel.
Troisièmement, dans le cadre de la transposition de la quatrième directive, il est prévu un dispositif dit cross-border d'envoi automatique de tous les flux qui concernent les frontaliers. Des structures comme PayPal seront amenées à envoyer les informations, par le canal de la cellule de renseignement financier mais sans filtre, de manière automatique, aux cellules de renseignement financier concernées par la localisation et la nationalité. Cela fait partie des choses qui, d'ici un an, seront opérationnelles.
Merci beaucoup, monsieur le directeur, pour toutes ces informations. Vos moyens humains, techniques et matériels vous permettent-ils d'assurer l'ensemble de vos missions ?
Concernant les partenaires, vous avez cité les notaires, les huissiers, les avocats. Je parlerai des experts comptables, dont la tâche n'est pas simple, mais qui sont par définition amenés à connaître la comptabilité de toutes les entreprises, petites et grandes, et à révéler le cas échéant certaines situations. Quels sont vos interlocuteurs pour cette profession ?
Dernière question : combien avez-vous pu faire récupérer à nos finances publiques ?
Monsieur le directeur, merci, tout d'abord, pour votre présentation extrêmement complète, précise et synthétique.
Si l'on met les 1 500 transmissions d'informations aux fins de poursuites en regard des 40 000 déclarations de soupçon annuelles, on obtient un ratio de l'ordre de 4 %. Comment interpréter un tel différentiel entre le nombre élevé de déclarations de soupçon et le petit nombre des poursuites à la sortie ?
Les législations anti-blanchiment ont diminué les possibilités de paiement en liquide. Le seuil de 1 000 euros, soit un niveau relativement bas malgré tout, est-il adéquat ?
Sur la performance du service entrées/sorties, le rapport 40 000/1 500, souvent repris par les journalistes ou les critiques, est faux : on ne compte pas la même chose. Les 40 000 sont représentatifs des flux d'entrées en déclaration de soupçon, tandis que les 1 500 sont des dossiers d'analyse qui ont peut-être exploité 10, 20, 30, voire même 100 déclarations de soupçon.
Ce calcul, aujourd'hui, mon système informatique ne me permet pas de le faire. En revanche, ce qui est important, c'est de comprendre que l'efficacité du système repose sur la richesse de la base de données. Quand on reçoit une déclaration de soupçon, on vérifie avant tout que l'on n'a pas reçu par le passé de déclarations de soupçon analogues que l'on a exploitées.
Notre base, alimentée depuis dix ans par nos déclarations de soupçon, contient des informations sur 200 000 personnes morales et 500 000 personnes physiques. Les données sont effacées au bout de dix ans, sauf lorsqu'elles sont transmises à l'autorité judiciaire, auquel cas on a la possibilité de les garder dix ans de plus.
Plutôt que de comparer des données qui ne sont pas comparables, il est préférable de raisonner en termes d'alimentation d'une base, ce small big data qui nous permet, à mesure des nouvelles entrées, d'être plus performants, plus efficaces, d'autant plus que, en exerçant notre droit de communication, qui est finalement la seule « arme fatale » des agents de Tracfin, nous pouvons enrichir la base ; nous pouvons obtenir des pièces complémentaires, les analyser, les lire, connaître la réglementation et croiser avec tous les fichiers auxquels nous avons accès - je n'ai pas dit que nous croisions les données - pour pouvoir analyser l'information.
Les politiques de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme sont liées et se renforcent mutuellement. Abaisser le seuil de paiement en liquide à 1 000 euros pour lutter contre le terrorisme, c'est aussi lutter contre l'économie souterraine. La mesure n'étant applicable que depuis le 1er septembre dernier, il est un peu tôt pour dresser un bilan, mais vous savez comme moi que, dans l'économie souterraine, la délinquance de proximité, le trafic de stupéfiants, on ne paie pas encore en carte bleue - quoiqu'en carte prépayée, cela sera peut-être un jour possible ! C'est pour cela que les cartes prépayées ne doivent pas être anonymes, sinon, cela cache le cash ! Du coup, la lutte contre la circulation de l'argent liquide est fondamentale. Le combat pour la suppression du billet de 500 euros participe de cette logique.
Mais le seuil de 1 000 euros n'est qu'une étape. Si l'on écoutait Tracfin, on l'abaisserait encore, mais il ne faut pas le faire tout de suite. Le problème tient à la différence marquée aujourd'hui entre les résidents et les non-résidents, ces derniers bénéficiant d'un seuil à 15 000 euros. L'abaisser à 10 000 euros, comme cela a été envisagé, c'est perturber l'activité économique de certains espaces, pas loin de la place Vendôme, et détourner certaines clientèles qui ont l'habitude de venir avec de l'argent liquide. On en reste donc à 15 000 euros, mais nous allons devoir mettre en place des obligations de vigilance renforcées entre 10 000 et 15 000 euros, puisque c'est notre obligation, y compris pour les non-résidents, au titre de la quatrième directive. Je ne suis pas sûr que ceux qui ont soutenu le maintien à 15 000 euros s'y retrouvent à la fin.
De la même manière, vous ne l'avez pas cité mais cela participe de la même idée, nous avons abaissé le seuil au-delà duquel on peut relever l'identité. Dans les bureaux de change, c'était réglementaire à 8 000 euros, en pratique c'était 5 000 euros. Là aussi, on a abaissé le seuil pour arriver à ce seuil unique de 1 000 euros.
Outre le fait que ce dispositif a une vraie efficacité en termes de prévention, 1 000 euros pour tout, c'est clair, c'est simple, et, comparé au pouvoir d'achat moyen du Français moyen et du salaire moyen, c'est déjà beaucoup.
Je rappelle que, sur le financement du terrorisme, toutes les analyses font apparaître de petits montants, souvent inférieurs à 1 000 euros.
Enfin, sur les moyens humains de Tracfin, au moment où je vous parle, nous avons 138 ETPT, ou équivalents temps plein annuel travaillé. L'augmentation est de quatorze sur l'année 2016, après une première hausse de dix effectifs au titre du plan Sapin présenté au mois de mars. Nous avons achevé les recrutements qui avaient été autorisés en 2015 et commencé à recruter ceux qui nous sont accordés en 2016.
Les divisions d'enquête comprennent cinquante personnes. Notre organisation est simple : cinq divisions d'enquête de dix personnes, une division spécialisée dans la lutte contre le financement du terrorisme, les autres sans spécialisation, si ce n'est sur les mouvements financiers complexes. Une cellule est consacrée à la prédation économique et un département est dédié à l'analyse, au renseignement et à l'information avec une division internationale composée de dix personnes et une division qui est spécialisée dans la lutte contre la fraude fiscale et sociale, avec neuf agents - ce sont eux qui produisent notamment les notes pour l'administration fiscale et les administrations sociales.
Cela ne m'empêchera pas de vous demander de nous aider à renforcer nos moyens, mais, très honnêtement, à Bercy, Tracfin a l'écoute des autorités et je n'ai pas véritablement de problème ni pour recruter, ni pour attirer des personnes motivées, ni pour former, ni pour établir des coopérations avec tous nos partenaires.
Nous nous réjouissons de cette bonne nouvelle. Il arrive que ce soit plus difficile.
Lorsqu'Éliane Houlette, procureur national financier, est venue devant nous, le 18 mai dernier, elle a fait état d'un problème ayant trait à la concurrence des parquets territoriaux. Quels sont les motifs qui justifient que le parquet national financier ne soit pas systématiquement mis en copie lorsque vous transmettez une note aux parquets ?
Le motif est juridique. Tracfin respecte la loi, et la loi prévoit que les notes de Tracfin sont adressées aux parquets territorialement compétents, à charge pour eux, dans le cadre des instructions générales du garde des Sceaux, de partager l'information. Ce n'est pas aux services de saisir les parquets, c'est aux parquets de saisir les services.
Pour bien connaître Éliane Houlette, j'ai été un peu surpris de ses propos, et j'ai vu qu'ils avaient été repris dans la presse et présentés de manière négative comme un choix de Tracfin. Eh bien, non ! Si, demain, il en était décidé ainsi par le législateur ou la justice, rien ne nous interdirait de transmettre la copie.
Je précise, pour la petite histoire, que les procureurs généraux demandent eux aussi les notes Tracfin. Finalement, tout le monde les veut, les notes Tracfin !
Jusqu'à présent, le processus a fait la preuve de son efficacité en termes de sécurité et de transmission. Tracfin a demandé à la justice, depuis un an et demi, un outil sécurisé de transmission - il ne fonctionne toujours pas, pour des raisons informatiques, qui ne sont pas dépendantes de Bercy - qui faciliterait la lecture sécurisée.
En tout cas, nous, nous n'y sommes pas opposés. Notre coopération avec le parquet national financier est excellente.
Ainsi, 20 % des dossiers du parquet national financier viennent de Tracfin. Les réquisitions qui sont adressées à Tracfin viennent principalement des substituts du parquet national financier. Nous détectons beaucoup d'escroqueries à la TVA, qui entrent dans le champ de compétence du parquet national financier. Sur la corruption d'agents publics étrangers, nous avons également transmis deux, trois dossiers.
Quand nous savons qu'un dossier fait l'objet d'une enquête au PNF, nous pouvons envoyer une note complémentaire. Et il y a de plus en plus de notes Tracfin complémentaires... La balle est plus dans le camp de la justice que dans le camp de Tracfin. En tout cas, de notre côté, nous ferons ce que l'on nous dira de faire, comme nous n'avons cessé de le faire.