La commission entend une communication de M. Charles Guené sur les conséquences de la réforme de la taxe professionnelle sur l'autonomie financière et fiscale des collectivités territoriales.
Nous avons travaillé en étroite collaboration avec la mission animée par Bruno Durieux. S'agissant des entreprises, la réforme a atteint ses objectifs : la suppression de la taxe professionnelle a représenté un allègement de 8,7 milliards d'euros avant impôt sur les sociétés. C'était nécessaire pour soulager les entreprises exposées à la concurrence, notamment les petites et moyennes entreprises (PME).
Quant aux collectivités locales, le calendrier leur est favorable, puisque les ressources anciennement issues de la taxe professionnelle sont garanties au niveau antérieur à la crise, alors que celle-ci a affecté la valeur ajoutée. Le gain pour les collectivités par rapport à la situation qui aurait prévalu si la taxe professionnelle avait été maintenue et le coût équivalent pour l'Etat sont estimés à 1 milliard d'euros : nous en aurons la confirmation à la fin du mois. Toutes les collectivités voient leurs ressources garanties.
En revanche, la réforme n'a que très partiellement corrigé les inégalités de ressources : il faut donc améliorer la péréquation. Le potentiel fiscal par habitant varie du simple au double entre les régions, du simple au quadruple entre les départements, et de un à mille entre les communes ! Les corrections mises en place par la loi de finances pour 2010 pour les régions et les départements ne réduiraient que faiblement les inégalités de potentiel fiscal par habitant d'ici 2015. Mais une réforme de la péréquation ne suffira pas à résoudre les difficultés financières des départements : il faudra réfléchir au financement des dépenses sociales et du cinquième risque.
Nous avons voulu faire des propositions pratiques plutôt que d'en rester aux incantations. Il fallait définir un niveau optimal de péréquation, car l'écrêtement des ressources supplémentaires créées dans certains territoires ne doit pas décourager les collectivités les plus dynamiques. Nous étions tous attachés au principe de territorialisation, qui incite les collectivités à mener une politique économique active ; il ne nous a donc pas paru opportun de faire porter la péréquation sur plus de la moitié du produit de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE). Les critères que nous avons définis visent à récompenser les collectivités les plus vertueuses dans leur gestion : ils concernent notamment le niveau des charges de centralité et l'équité dans l'accès aux services publics.
Il en va de la vertu gestionnaire comme de la pénibilité du travail : tout le monde s'accorde à dire qu'il faut la prendre en compte, mais il est bien malaisé de la définir.
C'est pourquoi nous recommandons la mise en place d'un groupe de réflexion.
En redéfinissant le potentiel fiscal, il faudra prendre garde à ne pas inciter les collectivités bien dotées à augmenter leurs impôts. Il convient également d'éviter les effets contre-péréquateurs.
Nous avons retenu un mécanisme de péréquation unique. Comme le souligne le rapport Durieux, la péréquation portant sur 25 % du produit de la CVAE est inefficace. Il faudrait porter ce taux à 75 %, mais la mission Durieux a préféré ne pas aller au-delà de 50 %, pour préserver le lien entre les entreprises et les territoires. Pour notre part, nous proposons un prélèvement de 50 % de la croissance cumulée des ressources des régions et des départements dont le potentiel fiscal par habitant est supérieur à la moyenne ; l'argent sera redistribué aux collectivités dont le potentiel fiscal est inférieur à la moyenne, en tenant compte de certains critères. La péréquation sur le stock serait supprimée. Il faudrait redéfinir le potentiel fiscal en l'élargissant à la dotation de compensation de la réforme de la taxe professionnelle (DCRTP) et au fonds national de garantie individuelle des ressources (FNGIR) : on prendrait ainsi en compte la richesse globale, mais seul le produit de la CVAE serait partagé.
Les critères fondés sur la population ne permettent pas d'assurer une péréquation adéquate ; il faut les rapporter à la densité, par exemple en prenant en compte la longueur des routes par habitant. La garantie des ressources serait maintenue, puisque nous n'agirions pas sur le stock.
Ce système produirait des résultats appréciables : les inégalités entre régions seraient réduites de 20 % d'ici 2015, contre 2 % si les dispositions de la loi de finances étaient maintenues ; entre les départements, elles seraient réduites de 13 % au lieu de 6 %.
Lorsque nous avons présenté hier notre rapport au Comité des finances locales (CFL), on nous a reproché les hypothèses sur lesquelles nous nous sommes fondés, mais nous n'avons fait que reprendre celles du Gouvernement et de la mission Durieux. Si la croissance s'avère plus basse que prévu, il faudra revoir nos calculs.
Nous avons aussi cherché à repenser la péréquation entre les communes. Il fallait déterminer la nature et le niveau du prélèvement - sur le stock, le flux ou le flux cumulé -, son périmètre - national, territorial... -, les ressources à prélever et les critères de redistribution. La péréquation doit s'opérer au niveau des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) : la carte de l'intercommunalité sera achevée en 2014, ce qui facilitera les choses.
Qu'est-ce qui obligera les communautés de communes à redistribuer leurs ressources ?
Leur budget commun. Faut-il aller au-delà et ne verser les dotations de l'Etat qu'aux EPCI ?
Nous ne nous sommes penchés que sur la péréquation « horizontale » et non « verticale ». Il faut convenir qu'il est très difficile d'assurer une péréquation fine entre 36 000 communes !
Pour les communes, et contrairement aux départements et aux régions, la péréquation doit porter sur l'ensemble des ressources fiscales et non seulement sur les impôts acquittés par les entreprises. Nous préconisons la mise en place d'un fonds national et d'un fonds régional chargés de la répartition : il faut conserver en région parisienne la maille du fonds de solidarité de la région Île-de-France (FSRIF). A terme, nous n'excluons pas une fusion. Les communes dont le potentiel fiscal nouvellement défini excéderait 50 % de la moyenne au niveau national et 25 % au niveau régional reverseraient 50 % de la hausse de leurs ressources. Grâce à ce système à l'allemande, aucune ne devrait avoir un potentiel fiscal inférieur à 75 % de la moyenne. Les critères de redistribution comprendraient la qualité de la gestion et les charges de centralité, appréciables par strates ; j'ai proposé d'y ajouter l'équité dans l'accès au service public, comme nous l'ont suggéré les représentants de l'institut Thomas More, mais mes collègues ne m'ont pas suivi. La péréquation nationale pourrait être gérée par le CFL ; quant à la péréquation régionale, certains suggèrent d'en confier le soin aux départements, mais je préférerais que les élus du bloc communal, seuls concernés, s'en chargent eux-mêmes.
La mission recommande de préserver en 2011 les fonds départementaux de péréquation de la taxe professionnelle (FDPTP) : le nouveau mécanisme ne s'appliquerait qu'à partir de 2012. Mais il faudra aménager la transition au-delà de 2012, car des entreprises pourraient disparaître.
S'agissant de l'imposition forfaitaire sur les entreprises de réseaux (IFER) et plus particulièrement de la part assise sur la production d'électricité éolienne, nous avons convaincu la mission Durieux que la totalité de son produit devrait être versé au bloc communal, car les maires sont en première ligne. Il faudrait alors porter le prix du kWh à 6 euros, pour maintenir la rentabilité escomptée lors de l'achat des équipements. Sans doute conviendrait-il d'accorder une compensation ou une nouvelle ressource aux départements.
S'agissant des répartiteurs, il est nécessaire de diversifier l'assiette pour assurer les ressources des régions, sans pénaliser les petits opérateurs.
A l'avenir, il faudra resserrer le lien entre les entreprises et les territoires, en prenant en compte les grandes installations industrielles, notamment celles qui sont classées Seveso. Certaines régions industrielles sont désavantagées par le nouveau système.
La tâche confiée à cette mission n'était pas facile, car les intérêts en jeu sont conflictuels.
Certaines communes résidentielles, notamment sur le littoral, tirent d'immenses ressources de la taxe d'habitation : La Baule en est le meilleur exemple. Leur potentiel d'enrichissement est bien supérieur à celui des communes industrielles ! Les allègements prévus pourraient créer des distorsions.
C'est pourquoi nous avons réclamé que la dotation de compensation soit indexée, même si le rythme actuel d'indexation limite les effets d'une telle mesure.
Le développement industriel devrait se poursuivre dans les zones où sont actuellement implantés de nombreux sites de production. Par conséquent, même si les ressources qu'elles touchent sous forme de compensation augmenteront peu, elles bénéficieront d'une hausse rapide du produit de la CVAE.
Il est vrai que les communes résidentielles sont avantagées. Mais la prise en compte du potentiel fiscal par habitant devrait réduire les écarts.
Si j'ai bien compris, la mission propose de redéfinir le potentiel fiscal. Pour le bloc communal, la base de péréquation comprendrait l'ensemble des ressources, même exceptionnelles et y compris les impôts pesant sur les ménages ; si elles excédaient un certain seuil on prélèverait la moitié du flux. Pour les départements et les régions, la base serait constituée de la seule CVAE. Ce mécanisme serait plus aisé à mettre en place au niveau des EPCI. Les élus seraient rassurés, puisque le calcul serait fondé sur une base garantie. Mais faut-il prendre en compte pour le bloc communal les impôts des ménages, alors que les valeurs locatives n'ont pas été redéfinies depuis longtemps et sont devenues très disparates ?
C'est le produit des impôts que nous avons retenu, rapporté au nombre d'habitants. La garantie demeurerait, puisque la péréquation porterait sur le flux, à ceci près que les FDPTP devront un jour être réformés.
La mission envisage-t-elle de modifier la péréquation des dotations de l'Etat ?
Elle s'en est tenue à la péréquation horizontale, sans rien exclure à long terme.
La mission confiée à Charles Guéné et ses collègues était ardue. Il a lui-même reconnu que les communes industrielles étaient pénalisées par le nouveau système. C'est paradoxal : le Président de la République et le Gouvernement n'affichent-ils pas leur volonté de voir la France redevenir une nation industrielle ?
La loi de finances prévoyait une péréquation du produit de la CVAE, dans la limite de 25 %. La mission recommande de supprimer la péréquation sur le stock et de ne prendre en compte que le flux. Cela ne revient-il pas à geler les inégalités de richesse ?
Le taux de 25 % est sans doute inadéquat, mais les élus locaux ne souffriraient pas que nous touchions à la garantie de leurs ressources. C'est pour les implantations futures qu'il faut corriger le mode de calcul.
Dans le système que nous préconisons, la péréquation ne porterait que sur le flux, mais elle prendrait en compte le stock pour le mode de calcul des collectivités contributrices. Au bout de quelques années, ce serait plus redistributeur que la péréquation sur le stock votée en loi de finances. Peut-être notre hypothèse de croissance, qui est celle du Gouvernement, est-elle un peu élevée...
Je m'associe aux remarques du président Arthuis : dans mon département, le taux de la taxe d'habitation varie du simple au décuple entre les communes touristiques et les autres. Le système actuel renforce cette inégalité.
Qu'adviendra-t-il des entreprises qui étaient soumises à un écrêtement de taxe professionnelle au profit d'un FDPTP ?
Quant à l'IFER, je n'y comprends rien. Quels sont les réseaux concernés ? Les réseaux téléphoniques sans doute, puisqu'il est question des répartiteurs, et ceux de l'industrie éolienne, mais quels sont les autres ? Même Marie-Christine Lepetit, directrice de la législation fiscale, est incapable de répondre !
Enfin, j'ai fait confiance pendant toute ma carrière à l'administration fiscale pour établir l'assiette de la taxe professionnelle, mais j'ai découvert que l'on m'avait « roulé dans la farine » ! Beaucoup de grandes entreprises déclarent leurs activités non là où elles le devraient, mais là où leur siège est implanté ! La domiciliation devrait être mieux contrôlée, car des sommes considérables sont en jeu.
Si les communes résidentielles voient augmenter les ressources qu'elles tirent de la taxe d'habitation, elles en subiront l'écrêtement au bénéfice des autres. Certes, leurs ressources augmenteront plus rapidement, mais c'était le cas auparavant pour les communes industrielles.
Il sera versé aux communes dont les ressources sont moindres, par exemple aux communes industrielles désavantagées par la perte de la taxe professionnelle. Il est vrai que les ressources des communes augmenteront d'autant moins vite qu'elles sont constituées en grande partie par une compensation, car celle-ci restera figée alors que les autres ressources seront dynamiques. C'est pourquoi nous avons demandé l'indexation de la DCRTP, à l'instar des autres dotations de l'Etat : la règle du « zéro valeur » ne prévaudra pas toujours...
La péréquation des ressources tirées de la présence d'industries a été préservée dans une certaine mesure, grâce au maintien des FDPTP. Mais ces fonds sont figés, alors que des entreprises peuvent disparaître. Certains préféreraient verser l'argent au pot commun de la péréquation.
Certaines communes bénéficient depuis fort longtemps, parce qu'elles sont situées par exemple près d'une implantation nucléaire, d'un effet d'aubaine. Elles veulent conserver cet avantage ! Donnons-nous une année de réflexion pour régler cela. Quant à l'IFER sur l'éolien, je crois qu'il faut remettre en place un système qui minimise les distorsions entre les collectivités qui avaient déjà des éoliennes sur leur territoire et celles qui avaient engagé une procédure pour en installer, tout en veillant à ne pas porter préjudice au développement de la filière.
Personne ne sait ce qu'un champ électro-solaire rapportera dans l'avenir.
On le sait pour l'éolien, dans le système actuel comme dans le futur système. On peut tout aussi bien le calculer pour le solaire.
Enfin, s'agissant de la domiciliation des sièges sociaux, ce ne sera plus « là où on veut », mais là où sont les salariés - d'autres critères sont également pris en considération. Les contrôles ne sont pas si aisés, mais les critères sont clairs.
L'essentiel des ressources départementales est pré-affecté. Tous les départements ont la même nature de dépenses - sociales en particulier. Ne pourrait-on pas commencer par dire : les écarts de ressources des départements doivent être de 1 à 2 au lieu de 1 à 4 ? Ce n'est pas une décision technique mais politique.
C'est un peu l'équivalent de ce que nous avons proposé pour les communes. Il s'agit de revenir progressivement à une situation convenable. Pour les départements, nous avons éliminé des critères les dépenses au titre de l'APA. La péréquation peut passer par bien des mécanismes, parmi lesquels une mutualisation au niveau national. Mais est-ce dans notre culture ? Nous n'avons pas voulu imaginer un système révolutionnaire impossible à mettre en place.
La péréquation horizontale est-elle trop timorée ? En tout cas, celle que vous proposez n'est pas culturellement envisageable dans notre pays.
Il faut avoir une philosophie de la péréquation. Si nous sommes trop audacieux, si nous adoptons une démarche académique, nous en resterons au statu quo. En la matière, une attitude modeste s'impose, ainsi que la conception d'un temps long, géologique. Mettons-nous d'accord sur des choses très simples. Je ne comprends pas ce réflexe de nous référer à des experts de l'administration centrale : je les respecte, mais nous possédons une somme d'expériences que nous n'exploitons pas ! Cernons d'abord les notions de richesse, de charges, d'effort fiscal ; et tâchons d'éviter les décisions qui confortent les inégalités. Exemple historique d'égoïsme : le bénéfice des implantations de centrales nucléaires. Il est temps de rompre avec une telle manière de faire.
Nous ne sommes pas en crise et j'ai été surpris d'entendre l'orateur prononcer ce terme ; nous sommes dans une formidable mutation géographique qui aboutit à des inégalités exceptionnelles. La première partie du rapport Guené ne dit rien des conséquences de la réforme pour les collectivités. Certes, Christine Lagarde n'a pas caché que cette réforme était faite pour les entreprises, non pour les collectivités. Mais ces dernières sont des agents économiques de grand poids, nous avons besoin d'elles pour la relance. La base locale, intercommunale de la péréquation est fondamentale ! A Rennes, les ressources issues de la taxe professionnelle oscillaient selon les communes de 1 à 60 à l'origine : en quelques années nous avons réduit l'écart à 1 pour 4 et ce, de façon consensuelle.
Je vous renvoie au rapport Carrez : si l'on veut faire de la péréquation, on ne peut garantir un maintien de leurs ressources à toutes les communes. Les deux ne sont pas compatibles. Il faut avoir le courage, pour certaines communes riches, de figer la dotation de compensation.
Le mode de financement des missions sociales est complètement dépassé. Selon que l'on est au gouvernement ou à la tête d'un conseil général, on est contre ou pour le financement des départements par la CSG... Quoi qu'il en soit, il faut nous attacher à mettre progressivement et modestement en place une péréquation.
Nous voulons effectivement prendre le temps nécessaire. La réforme n'a pas été pensée pour les collectivités, néanmoins Marie-Christine Lepetit, qui a tenu avec une grande compétence la plume dans la première version du projet, avait développé une assez audacieuse philosophie sur le sujet qui nous occupe. Trop audacieuse, puisque sa rédaction n'a pas été conservée.
Sur la maille intercommunale, ou sur l'importance de la péréquation au niveau de l'intercommunalité, le président Arthuis comme moi partageons votre point de vue. Et je conviens qu'il y a un réel problème sur les départements, au moins pour l'APA et le cinquième risque.
L'attente de l'opinion publique est forte, or les propos de M. Guené me « laissent sur ma faim » car il semble bien qu'après cinq ans, l'effet péréquateur sera de 13 % au niveau départemental et de 20 % au niveau régional. C'est peu, au regard des difficultés dramatiques observées dans certaines zones... Je vois dans ce dispositif un élément de solution mais certainement pas toute la solution.
C'est une péréquation par les flux qui a été votée après la CMP ; des éléments de stock seront pris en compte, mais pas suffisamment. Comme le dit Jean-Pierre Fourcade, il ne faut pas casser ce qui marche bien ! Le président Arthuis a évoqué des conséquences extrêmes de la réforme. Je prendrai pour ma part un exemple modeste, banal. Un des effets est de favoriser les communes de résidence sur les communes qui ont consenti des efforts pour s'industrialiser et créer de la richesse. Il est dommage de casser de telles dynamiques.
Il est impossible d'organiser la péréquation au niveau de 36.000 communes. Le bon niveau est celui de l'intercommunalité. Mais pas uniquement à l'intérieur de leur périmètre ! La péréquation peut parfaitement s'organiser entre les 4.000 intercommunalités : cela ne me semble pas irréalisable...
La communication de Charles Guené n'engage pas le Sénat. Notre collègue a travaillé dans le cadre d'une mission confiée par le Premier Ministre : le Gouvernement va s'approprier son rapport et si ce dernier débouche sur un projet de loi, nous verrons alors quel sort nous voulons réserver à cette initiative.
Péréquation ou garantie : il y a un choix à faire mais nos collègues ne semblent pas vouloir se prononcer. Tous les élus ont tendance à préférer la garantie car ils savent ce qu'ils ont. Nous avons donc été amenés à travailler plutôt sur les flux.
Pourquoi stigmatiser les communes de résidence ? Entre 80 % et 90 % des communes sont écrêtées, ce qui signifie que la progression de leurs ressources est assurée. Elles sont libérées pour une ou deux décennies de tout souci quant à l'évolution de leurs moyens. Et si des communes se jugent mal payées de leurs efforts d'industrialisation, si elles estiment qu'il n'est plus intéressant d'accueillir des entreprises, ma commune est candidate pour prendre la relève !
Certaines intercommunalités sont petites mais on passera bientôt de la maille intercommunale au bassin de vie et ce sera un progrès pour la péréquation. Celle-ci est pratiquée d'inégale façon au sein des intercommunalités. Peut-être serait-il bon de fixer des obligations ? Pour ma part, je crois préférable de laisser les choses s'organiser localement.
Le meilleur levier, c'est la crise financière, qui placera chacun devant la nécessité des réformes. Nous avons vécu comme des riches mais ce n'est plus possible.
Au sein du CFL, tout le monde ne partageait pas la conviction qu'il faut aller plus loin dans la péréquation. Et j'ai le sentiment que l'on a renoncé à la péréquation verticale, tandis que la péréquation horizontale prévue n'a rien de violent... Quelles sont dès lors les perspectives de rapprochement entre les niveaux de ressources des diverses collectivités ? Combien de temps prendra la convergence ? Je ne crois pas qu'il faille « prendre son temps » quand les inégalités sont de 1 à 3, autrement dit quand chaque année une commune a trois fois moins de moyens que sa voisine. Il y a urgence au contraire. Quant à introduire des critères de gestion pour apprécier la capacité à mener à bien des politiques, sur quelle base le faire ? C'est aux électeurs d'apprécier.
Gerhard Schröder était-il un bon gestionnaire ? Il a mené des réformes, il n'a pas été réélu...
Nous créons la péréquation horizontale, car les fonds départementaux n'avaient pas un grand effet péréquateur et fonctionnaient plutôt comme des distributeurs de subventions. Dans certains pays il existe une vraie péréquation verticale, mais la période actuelle n'est pas la meilleure, à mon sens, pour la réformer. La question est dans les tuyaux, nous verrons cela dans trois ou quatre ans.
Les aspects pratiques du mécanisme horizontal ont été mentionnés dans le rapport ; mais puisque nous avons choisi un système de flux, sa rapidité à produire des effets significatifs dépendra notamment du rythme de croissance. Enfin, je ne suis pas adepte d'un critère de bonne gestion ; je ne suis pas un poète mais un fiscaliste.
L'intercommunalité sera achevée en 2014, on peut espérer avoir à cette date des territoires économiquement pertinents. En outre, 90 % des collectivités seront écrêtées et elles auront retrouvé une liberté fiscale. Ne devrait-on pas songer à globaliser la dotation globale de fonctionnement (DGF) sur les intercommunalités, afin de les laisser pratiquer la péréquation en leur sein ? C'est à mon avis le sens de l'Histoire. La commission ne devrait-elle pas se saisir dés maintenant de cette question, pour en étudier les avantages et les inconvénients ? Nous prendrions trois ou quatre ans d'avance !
Répartir la DGF sur 36 000 communes exige 1 000 critères. C'est une idée à creuser.
Des options existent en ce sens dans le projet de loi de réforme des collectivités territoriales, mais elles exigent l'unanimité des communes concernées.
Il y a tant de choses dans cette loi ! Mais cette idée est une clé de lecture, le fil rouge du financement des collectivités locales.
La commission entend, ensuite, une communication de M. Philippe Marini, rapporteur général, sur les projets de conventions élaborées dans le cadre de la mise en oeuvre de l'emprunt national.
Conformément à l'article 8 de la loi de finances rectificative du 9 mars 2010, le Premier Ministre nous a transmis une série - la deuxième - de conventions relatives aux actions financées par l'emprunt national. Ces neuf projets mobilisent 8 milliards d'euros, soit près de 23 % des fonds de l'emprunt national ; 59 % des sommes sont non consomptibles.
Je remarque d'abord que les observations antérieures de la commission des finances ont été partiellement prises en compte. Par lettre en date du 17 juin dernier, M. François Fillon a, en effet, répondu sur tous les points soulevés, sauf sur notre inquiétude quant à l'effet de levier exigé dans certains cas. S'agissant de la désignation des lauréats, le Premier ministre confirme que les décisions contraires aux conclusions des jurys d'experts seront motivées par écrit, les commissions des finances des assemblées pouvant alors exercer leurs pouvoirs de contrôle sur pièces et sur place. Notre commission avait exprimé son souci de garantir un processus compétitif afin de financer les projets aux plus fortes valeurs ajoutées. S'agissant du retour au budget de l'Etat des dotations non consomptibles, nos préoccupations ont été prises en compte mais non totalement satisfaites. Le retour au budget de l'Etat est la règle générale. Toutefois, deux exceptions sont prévues : certaines dotations pourront être allouées aux bénéficiaires pour une durée supérieure à dix ans compte tenu de la nature des projets financés : je songe à l'opération de rénovation immobilière Campus. Dans les Initiatives d'excellence, les sommes pourraient en revanche être transférées de manière définitive aux lauréats, à l'issue d'une période probatoire de trois ans, et n'auraient donc pas vocation à revenir au budget de l'Etat. Cela est plus contestable.
La nouvelle présentation n'opère plus, comme antérieurement, une distinction claire entre des projets périodiquement renouvelés et remis en concurrence, et des projets uniques. En ne remettant en cause le retour à l'Etat que pour les initiatives d'excellence, le Premier ministre restreint le champ de l'exception. Toutefois, cette situation reste insatisfaisante car la règle du jeu doit être claire et constante pour l'ensemble des dotations non consomptibles.
La rémunération des fonds non consomptibles - 45,4 % des fonds de l'emprunt - a été fixée à 3,143 %, par un arrêté du 15 juin dernier, soit le taux des OAT à dix ans constaté le jour de la publication de la loi de finances rectificative. Ce niveau est inférieur aux hypothèses de travail lors du débat sur la loi de finances rectificative, autour de 4 %. La part de l'opération Campus financée par l'emprunt national bénéficie d'un taux de rémunération supérieur, 4,032 %, moyenne des taux - pondérée par les montants - de la rémunération de la dotation issue de la vente des titres EDF et de la rémunération de la fraction de l'emprunt affectée à l'opération Campus. Selon le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche, le taux de 4,032 % s'applique également aux fonds EDF, ce qui semble contestable. En effet, l'arrêté du 15 juin ne concerne que les fonds de l'emprunt national et il semble discutable de verser sur le compte ouvert au Trésor au titre du programme d'investissement d'avenir, des fonds qui ne sont pas issus de l'emprunt. Or l'intention du ministère est de réunir les cinq milliards d'euros dédiés à l'opération Campus.
Les projets de conventions transmis sont mieux rédigés que ceux du premier volet ; ils restent toutefois imparfaits. Sans émettre un avis défavorable, j'exprime ici une forte réserve à l'encontre du projet Campus : les conditions de rémunération des porteurs de projet ne sont pas suffisamment clarifiées.
Il apparaît que le produit de la vente d'une partie des titres EDF, actuellement placé sur le compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'Etat », sera transféré à l'Agence nationale de recherche (ANR) hors cadre de l'emprunt national.
Le cabinet de Valérie Pécresse nous a indiqué que les produits des intérêts des deux dotations Campus feront l'objet d'une gestion mutualisée jusqu'au versement des dotations aux bénéficiaires finaux. L'utilisation des produits financiers des intérêts sera ainsi décidée par le Premier ministre sur proposition du ministère de la recherche et de l'enseignement supérieur en fonction de l'état d'avancement des projets. Saclay et Condorcet, les deux projets financés dans le cadre de l'emprunt national, pourraient ainsi bénéficier d'un montant de produits financiers non corrélé à la rémunération de leur dotation. Est-ce équitable ?
A compter de l'attribution des dotations non consomptibles aux bénéficiaires finaux, le montant des produits financiers alloué aux porteurs de projet sera défini au prorata de leur dotation. Le projet de convention relative à l'opération Campus n'est pas satisfaisant. Le texte concernant les seuls fonds issus de l'emprunt national, il donne peu d'indications sur la gestion d'ensemble de l'opération. Il n'est pas précisé que le compte ouvert au Trésor pour recevoir les 1,3 milliard d'euros au titre de l'emprunt national serait également destinataire du produit de la vente des titres d'EDF. On peut s'interroger sur la régularité de ce versement sur un compte réservé aux fonds de l'emprunt. En outre, le projet de convention reste flou quant aux conditions d'utilisation des produits financiers des intérêts, qui ne sauraient être identiques dans la période de gestion des fonds par l'ANR et après la conclusion des partenariats public-privé (PPP). Il faut clarifier cela. Afin de garantir la régularité du paiement des loyers des PPP, il est indispensable que les conditions de rémunération des dotations soient précisées : or cet aspect, pour Campus, n'est pas expressément mentionné dans les « Modalités de versement aux bénéficiaires finaux » du projet de convention. Enfin, ce projet de convention ne fait pas état des difficultés liées aux structures juridiques bénéficiaires des dotations non consomptibles, des fondations de coopération scientifique dépourvues de toute compétence immobilière. Le pouvoir adjudicateur des PPP devrait être l'Etat. Le paiement des loyers des PPP, assuré à partir de la rémunération du dépôt au Trésor des dotations non consomptibles, devrait être effectué par l'Etat ; or ce sont les fondations de coopération scientifique qui seront bénéficiaires des produits des intérêts. L'Etat pourrait donner mandat aux fondations - qui assureraient le financement des loyers du PPP pour le compte du pouvoir adjudicateur. Ce schéma reste à confirmer.
La procédure de sélection des bénéficiaires de l'emprunt a été améliorée, du moins celle qui fait intervenir un jury d'experts - dans trois cas sur neuf. Des aménagements sont souhaitables dans les procédures n'incluant pas de jury. Désormais il est prévu que le jury motive une liste des projets non recommandés ainsi qu'une liste des projets « finançables ». Le comité de pilotage ne pourra proposer au commissaire général à l'investissement que des projets « finançables » ; le président du jury sera invité à présenter les conclusions des travaux d'évaluation du jury devant le comité de pilotage ; et les recommandations des experts seront rendues publiques. Nous l'avions expressément demandé ! Ces trois éléments, associés à l'engagement écrit du Premier ministre de motiver par écrit les décisions qui s'écarteraient des conclusions des jurys, constituent un progrès. Mais trois projets de conventions reposent sur des dispositifs spécifiques de sélection, dirigés par le comité de pilotage ou d'évaluation.
Or les projets de convention ne font allusion ni à la publicité des décisions ni à la motivation des décisions. Si la publicité peut être délicate à mettre en place, la motivation est vraiment souhaitable, notamment dans le cadre de la procédure dérogatoire prévue pour l'action « économie circulaire », autrement dit le recyclage des déchets.
L'engagement du Premier ministre devrait ainsi être étendu à l'ensemble des conventions, et le principe de motivation des décisions davantage affirmé au sein des conventions. Je suggère que la commission émette un avis en ce sens.
Le projet de convention relatif à l'augmentation des fonds propres d'Oséo suscite chez moi une appréciation mitigée. Le projet de convention vient après trois conventions examinées le 25 mai dernier au titre des actions suivantes : « Financement des entreprises innovantes », pour 500 millions d'euros, « Aide à la réindustrialisation » pour 200 millions d'euros, et « Prêts aux petites et moyennes entreprises » pour un milliard d'euros. Sa particularité réside dans un financement mixte : une dotation budgétaire de 140 millions d'euros et une ressource fiscale affectée de 360 millions d'euros - ce montant n'étant pas complètement garanti. L'intérêt économique de l'opération est délicat à mesurer puisque les « éléments qualitatifs et quantitatifs » permettant d'apprécier le rôle d'Oséo comportent une large part de subjectivité. Mme Bricq, dans les observations qu'elle a bien voulu me transmettre, souligne qu'aucun des onze indicateurs de performance ne porte sur l'effet mobilisateur des cofinancements bancaires. Ces cofinancements sont d'ailleurs présentés, dans l'exposé des motifs, comme un objectif secondaire alors que leur faiblesse constitue un frein au développement des entreprises en France. Ce volet devrait être davantage développé dans la convention. L'augmentation des fonds propres d'Oséo demeurera en tout état de cause insuffisante pour assurer le maintien des ratios de solvabilité bancaire.
Merci au rapporteur général d'avoir mentionné mes réflexions sur Oséo. Je partage les remarques de M. Marini sur les universités, notamment sur la capacité des fondations de s'occuper de négociation immobilière. Cependant elles ne pourraient agir que sur mandat de l'Etat.
A présent que je sais ce que recouvre la notion d'économie circulaire, je doute de l'intérêt du jury d'experts : l'industrie du déchet en France est cartellisée, aucun opérateur étranger n'a jamais pu s'y faire une place. Pas besoin de jury, on connaît déjà les résultats !
Ce sont des groupes qui se portent bien. D'autres secteurs connaissent cette situation...
Le marché est certainement cartellisé entre quelques grands groupes opérateurs et gestionnaires des déchets, secteur dans lequel le contenu technologique peut être important. Cependant, il y a quelques surprises. Dans ma commune, ou encore à Beauvais, c'est un groupe danois, ISS, qui a été choisi ; sa prestation est 30 % moins chère et le service est meilleur. Ce n'est pas une habitude pour moi de le dire, mais l'Union européenne a aussi de bons côtés...
Les initiatives peuvent venir d'autres acteurs, par exemple telle coopérative d'agriculteurs qui se sert de méthane pour déshydrater la luzerne, ou encore pour la méthanisation : tout ne relève pas des grands groupes.
Je parlerai des six dossiers que j'ai examinés. Les instituts de recherche technologiques, d'abord, orientés vers l'entreprise, constituent la forme la plus avancée du pôle de compétitivité à vocation internationale : ce label peut se positionner dans l'espace européen de la recherche et de l'innovation, il faut le soutenir. Les instituts Carnot méritent également notre soutien car ils coopèrent directement avec des entreprises. Les instituts hospitalo-universitaires sont eux aussi très intéressants : cinq pôles seraient reconnus internationalement dans le domaine de la santé, nous pourrions les aider à se consolider. L'espace, quant à lui, fait l'objet d'un partenariat européen important, dont l'accord franco-allemand de février dernier pour le lanceur d'Ariane 6 est un nouvel exemple : c'est un secteur à soutenir. Enfin, la recherche aéronautique, avec ses quelque deux cent mille emplois, mérite notre attention, d'autant qu'elle concentre des métiers de haut niveau technologique.
En tenant compte des observations du rapporteur général, je vous propose d'adresser donc notre lettre au Premier ministre, pour faire état de nos satisfactions et de nos réserves, et en particulier de notre volonté de ne pas transiger sur le retour au budget de l'Etat, des fonds non consomptibles.
La commission adopte les observations de M. le rapporteur général qui seront adressées, sous forme de lettre signée par M. le Président, à M. le Premier ministre.
La commission procède à l'examen du rapport conjoint de M. Adrien Gouteyron sur les projets de loi :
- n° 540 (2009-2010), adopté par l'Assemblée nationale, autorisant l'approbation de l'accord sous forme d'échange de lettres entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de Jersey relatif à l'échange de renseignements en matière fiscale et à l'imposition des pensions ;
- n° 541 (2009-2010), adopté par l'Assemblée nationale, autorisant l'approbation de l'accord sous forme d'échange de lettres entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Commonwealth des Bahamas relatif à l'échange de renseignements en matière fiscale ;
- n° 542 (2009-2010), adopté par l'Assemblée nationale, autorisant l'approbation de l'accord sous forme d'échange de lettres entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement des Îles Turques et Caïques relatif à l'échange de renseignements en matière fiscale ;
- n° 543 (2009-2010), adopté par l'Assemblée nationale, autorisant l'approbation de l'accord sous forme d'échange de lettres entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement des Bermudes relatif à l'échange de renseignements en matière fiscale ;
- n° 544 (2009-2010), adopté par l'Assemblée nationale, autorisant l'approbation de l'accord sous forme d'échange de lettres entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement des Îles Caïmans relatif à l'échange de renseignements en matière fiscale ;
- n° 545 (2009-2010), adopté par l'Assemblée nationale, autorisant l'approbation de l'accord sous forme d'échange de lettres entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de Gibraltar relatif à l'échange de renseignements en matière fiscale ;
- n° 546 (2009-2010), adopté par l'Assemblée nationale, autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Saint-Marin relatif à l'échange de renseignements en matière fiscale ;
- n° 547 (2009-2010), adopté par l'Assemblée nationale, autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Liechtenstein relatif à l'échange de renseignements en matière fiscale ;
- n° 548 (2009-2010), adopté par l'Assemblée nationale, autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Principauté d'Andorre relatif à l'échange de renseignements en matière fiscale ;
- n° 549 (2009-2010), adopté par l'Assemblée nationale, autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de Guernesey relatif à l'échange de renseignements en matière fiscale ;
- n° 550 (2009-2010), adopté par l'Assemblée nationale, autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de l'Île de Man relatif à l'échange de renseignements en matière fiscale ;
- n° 551 (2009-2010), adopté par l'Assemblée nationale, autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement des Îles Vierges britanniques relatif à l'échange de renseignements en matière fiscale.
A titre liminaire, je souhaiterais souligner toute l'attention que la commission des finances porte à la politique conventionnelle bilatérale française en matière de lutte contre les paradis fiscaux, politique qui traduit les efforts du Gouvernement pour mettre fin à l'évasion fiscale. Je salue à ce titre le remarquable travail d'expertise de nos collaborateurs sur ce sujet complexe.
La France a proposé aux Etats et territoires qui figuraient sur les listes grise et noire de l'OCDE, et avec lesquels elle n'était pas encore liée conventionnellement, de signer un accord permettant l'échange de renseignements.
Cette démarche systématique a été couronnée de succès. L'an passé, la France a ainsi signé vingt-cinq accords en moins de neuf mois ; les douze projets que nous examinons en font partie. Tout en possédant l'un des plus vastes réseaux de conventions fiscales au monde, et en participant pleinement à la démarche multilatérale de l'OCDE, la France a souhaité aller plus loin. Elle a ainsi établi sa propre liste de « paradis fiscaux » dans le cadre de la loi de finances rectificative pour 2009, ce qui constitue une véritable novation. Ainsi, dix-huit Etats ou territoires coopératifs étaient encore, au 12 février 2010, considérés comme « non coopératifs » : Anguilla, Belize, Brunei, le Costa Rica, la Dominique, Grenade, le Guatemala, les Îles Cook, les Îles Marshall, le Liberia, Montserrat, Nauru, Niue, Panama, les Philippines, Saint Kitts et Nevis, Sainte-Lucie, Saint-Vincent et Grenadines.
En conséquence, le Gouvernement a souhaité ouvrir de nouveaux cycles de négociation avec la plupart de ces Etats ainsi qu'avec d'autres Etats ne figurant pas sur sa liste. A titre d'illustration, il a conclu cette année des accords sur la base du modèle OCDE avec : Antigua et Barbuda, le 26 mars; Grenade, le 31 mars; Saint Kitts et Nevis, le 1er avril; Saint-Vincent et Grenadines, le 13 avril.
Des négociations sont également en cours avec notamment le Libéria, Niue, le Costa Rica et Brunei.
Enfin, le collectif budgétaire pour 2009 a prévu de durcir le régime fiscal applicable aux transactions réalisées avec les Etats non coopératifs. Cet outil de sanction permet notamment de refuser certaines exonérations, de plus-values de cession par exemple, ou d'imposer des retenues à la source en faveur de la France, en matière de dividendes, notamment. Il a également pour objet d'accroître la transparence des transactions au sein des groupes internationaux.
La commission des finances a suivi tout cela de près puisque les douze projets de loi soumis à votre approbation étaient attendus au Parlement. C'est pourquoi nous avons procédé à l'audition, le 23 mars dernier, du chef de la division chargée de la coopération internationale à l'OCDE ainsi que de représentants du ministère du budget et du ministère des affaires étrangères et européennes. Ils nous ont présenté l'action bilatérale française et les initiatives multilatérales conduites dans l'enceinte de l'OCDE.
Nous avons ainsi appris qu'en 2000, l'Organisation a constitué en son sein un « Forum mondial sur la transparence et l'échange de renseignements en matière fiscale », cadre multilatéral de réflexions et de négociations. Un « accord cadre sur l'échange de renseignements en matière fiscale » a été rendu public en avril 2002. En 2008, une réunion à Paris a fixé comme priorité l'échange de renseignements. Enfin, le 2 avril 2009, le G20 a établi trois listes d'Etats, « noire », « grise » et « blanche », selon le degré de coopération.
L'accord de 2002 constitue une référence en termes d'échange effectif d'informations réduisant les risques d'évasion fiscale. Ses dispositions formalisent les standards internationaux qu'un Etat doit respecter pour échapper à la qualification de « juridiction non coopérative » en matière de renseignements fiscaux.
En effet, l'OCDE qualifie de « paradis fiscal » un Etat qui répond à quatre critères : les impôts directs y sont insignifiants ou inexistants ; le régime fiscal n'y est pas transparent ; les activités économiques substantielles y sont rares ; enfin, les administrations fiscales ne transmettent pas les renseignements aux autres pays. Un tel Etat figure alors dans la liste noire de l'OCDE. Il en est, cependant, retiré s'il signe douze accords. Ceux-ci ont pour objet d'imposer l'échange de renseignements « vraisemblablement pertinents » afin de permettre l'application de la législation fiscale interne. La nature des renseignements peut être bancaire ou fiduciaire et concerner la propriété de sociétés. Il convient de souligner que les restrictions à l'échange motivées par le secret bancaire sont prohibées.
La liste noire est désormais vide. Figurent, en revanche, sur la liste grise, les Etats qui, tout en ayant pris l'engagement de respecter la norme fiscale, n'ont pas signé le minimum de douze accords requis.
Afin de s'assurer que le dispositif est effectif, l'OCDE a instauré l'an dernier un mécanisme d'évaluation par le forum mondial, qui analyse la réglementation des Etats et la pertinence des accords d'échange d'informations fiscales. Le président du groupe d'évaluation des juridictions non coopératives est François d'Aubert.
Sur les 500 accords signés dans le monde depuis avril 2009, 50 l'ont été entre paradis fiscaux ; l'exemple de Monaco est souvent cité. J'anticipe votre réprobation, Monsieur le Président. Sachez que ces politiques conventionnelles accommodantes ne seront pas jugées pertinentes lors de leur examen par le forum mondial, lequel réfléchit par ailleurs à une évolution du critère des douze accords fiscaux, afin d'éviter toute « collusion » entre Etats « non vertueux ».
Bien que comptabilisés aujourd'hui, ils ne devraient pas être jugés comme pertinents par le groupe d'évaluation du forum mondial car ils ne favorisent pas la transparence.
S'agissant des douze accords que nous examinons aujourd'hui, leur négociation s'est déroulée dans une courte période. Ils ont été signés entre mars et décembre 2009, preuve du dynamisme de la politique conventionnelle française.
La France est parvenue à conclure les négociations qui étaient en cours, d'une part, avec Jersey, Guernesey et l'Île de Man dès la fin du mois de mars 2009, et d'autre part, avec les Îles Vierges britanniques en juin 2009.
S'agissant des Îles Caïmans, de la principauté d'Andorre, de Gibraltar, de Saint-Marin, du Liechtenstein, des Îles Turques et Caïques, des Bermudes, et des Bahamas, les négociations se sont déroulées entre avril et décembre 2009.
Ces accords se répartissent en deux groupes. Il y a ceux conclus dans le cadre du tout premier cycle de négociations, au début de l'année 2009, qui sont étroitement inspirés du modèle de l'OCDE : c'est le cas pour Jersey, Guernesey, l'Île de Man et les Îles Vierges britanniques. Les accords ultérieurs contiennent des améliorations techniques, en particulier dans la définition des impôts, qui ont été apportées à l'initiative de la France ; c'est le cas pour la Principauté d'Andorre, la République de Saint-Marin, le Liechtenstein, les Îles Caïmans, les Bermudes, Gibraltar, les Îles Turques et Caïques et les Bahamas.
L'échange de renseignements, qui est au coeur de ces accords, concerne la matière fiscale pénale et non pénale. La partie requise doit prendre toutes les mesures adéquates de collecte de renseignements nécessaires, que ces derniers soient détenus par des banques, des institutions financières ou dans le cadre de sociétés, de fiducies ou de fondations.
Les accords ne permettent cependant pas d'aller à « la pêche aux renseignements ». Les informations demandées doivent être « vraisemblablement pertinentes », c'est-à-dire que leur détention doit permettre de résoudre une question relative à la détermination, à l'établissement, au contrôle, à la perception, au recouvrement des impôts ou, d'une manière plus générale, doit faciliter le déroulement des enquêtes ou poursuites en matière fiscale.
La partie requise ne peut rejeter une telle demande que si la divulgation des renseignements est contraire à l'ordre public, discriminatoire ou si les renseignements sont couverts par le secret commercial ou professionnel, ce qui n'est pas négligeable. Enfin, cet échange doit respecter le droit des contribuables. Il s'agit de garantir un juste équilibre entre la protection de la vie privée et la nécessité pour les Etats de faire respecter leur législation fiscale.
Dans la perspective de la présidence française du Sommet du G 20, au second semestre 2011, il apparaît crucial d'autoriser la ratification de ces accords. La France est aux avant-postes de la lutte contre les paradis fiscaux, elle se doit de présenter un bilan positif en 2011.
En conclusion, je vous propose de demander au Sénat d'adopter les projets de loi à l'issue d'une procédure d'examen simplifié en séance publique.
Je souhaite, Monsieur le Président, que nous puissions faire un nouveau point, à l'automne, sur l'état d'avancement de la politique de lutte contre les paradis fiscaux, en organisant une autre séance de notre commission consacrée aux conventions fiscales, en présence, cette fois, de Christine Lagarde et de François Baroin, les deux principaux ministres responsables en ce domaine.
Nous nous réjouissons de l'accélération du rythme des signatures et des ratifications d'accords, mais sans céder à l'angélisme, car il n'est pas si difficile pour les paradis fiscaux de s'engager à communiquer des informations. Ce qui compte, c'est que la coopération soit effective, c'est pourquoi il faut évaluer l'ensemble du dispositif.
Je suggère qu'en septembre, nous auditionnions également François d'Aubert.
Ce débat est très important, car il est l'occasion de faire le point sur l'efficacité des listes établies par le G20 à Londres et à Pittsburgh. Je note par ailleurs que cette année, à Toronto, la question n'était pas à l'ordre du jour. Ces listes ne font pas l'unanimité puisque des pays comme le Brésil ou la France, ont établi leur propre liste. Nous devons également évaluer l'efficacité des dispositions que nous avons prises en France même, en particulier lors du collectif budgétaire de fin 2009. Le ministre du budget de l'époque était alors exposé médiatiquement, en raison de l'affaire franco-suisse, et en relisant nos débats, j'ai constaté que nous demandions alors avec insistance que le contrôle soit effectif et pratiqué à l'échelle européenne. Les sanctions prévues sont-elles applicables ? J'en doute, car elles sont assorties de conditions suspensives. Sont-elles appliquées ? Nous n'en savons rien, faute de bilan. C'est bien pourquoi nous avons besoin d'une évaluation régulière du dispositif.
Plus généralement, la question posée est celle du contrôle fiscal. De 2003 à 2008, le volume d'assistance administrative internationale est passé de 10,3 % à 8,8 % de l'ensemble des interventions fiscales, ce qui traduit un véritable laisser-aller de nos services fiscaux. Ont-ils aujourd'hui les moyens de contrôler les mouvements à l'international ? Ils ne disposent même pas d'une liste des trusts, alors que ces organisations, et c'est leur raison d'être, sont connues pour leur opacité.
Quelle est, même, l'efficacité des conventions d'échange de renseignements en matière fiscale ? Quand des voix autorisées conviennent, en privé, qu'il est plus efficace d'acheter des fichiers volés, on peut douter des conventions...
On comprend qu'au moment de prendre la tête du G20, le président de la République souhaite une France exemplaire, mais cela ne nous dit pas si nos outils sont efficaces. Quand examinerons-nous la convention franco-suisse ? J'ai apporté mon soutien au ministre du budget dans la lutte contre l'évasion fiscale, je suis donc en droit de savoir quelle est l'efficacité des mesures que nous avons prises. Le ministère des finances préparerait un document d'orientation stratégique sur la fraude fiscale : qu'en est-il ? Quel est le bilan de la cellule de régularisation, qui a fermé le 31 décembre dernier ? Les transactions fiscales ne sont-elles pas devenues le mode normal de gestion, au lieu des sanctions ?
Nous manquons d'informations sur tous ces points, c'est bien pourquoi je déplore le recours à la procédure simplifiée, qui est bien trop expéditive. Nous avons besoin d'un débat, dans une enceinte sage : notre propos n'est pas de dénoncer tel ou tel, mais de parvenir à lutter efficacement contre la fraude et l'évasion fiscales. Notre ordre du jour est certes chargé, mais des milliards sont ici en jeu !
Nous avons organisé, le 23 mars, une réunion pour comprendre et débattre de ces enjeux en commission, plutôt qu'en séance publique. Il nous semble préférable de poursuivre nos auditions en septembre, avec un questionnaire préalable adressé aux ministres compétents. La procédure simplifiée n'est pas un moyen d'expédier le débat. Nous sommes d'accord avec vous sur le fond, et c'est bien pourquoi nous travaillons avec assiduité et intensité sur ce sujet depuis un an. Quant à l'accord franco-suisse, il faut d'abord que l'Assemblée nationale l'examine.
Nous avons le même objectif, Madame Bricq, je crois aussi que nous devons aller bien plus loin, c'est l'objectif des auditions prévues dès septembre.
La commission adopte les douze projets de loi d'approbation d'accords d'échange de renseignements en matière fiscale.
La commission désigne M. Adrien Gouteyron comme rapporteur des projets de loi suivants, sous réserve de leur examen par l'Assemblée nationale et de leur transmission :
n° 2322 (AN - XIIIème législature) autorisant l'approbation de l'avenant à la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Singapour tendant à éviter les doubles impositions et à prévenir l'évasion fiscale en matière d'impôts sur les revenus ;
n° 2323 (AN - XIIIème législature) autorisant l'approbation de l'avenant à la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de Malaisie tendant à éviter les doubles impositions et à prévenir l'évasion fiscale en matière d'impôts sur le revenu ;
n° 2332 (AN - XIIIème législature) autorisant l'approbation de l'avenant à la convention entre la France et la Belgique tendant à éviter les doubles impositions et à établir des règles d'assistance administrative et juridique réciproque en matière d'impôts sur les revenus ;
n° 2335 (AN - XIIIème législature) autorisant l'approbation de l'avenant à la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume de Bahreïn en vue d'éviter les doubles impositions ;
n° 2336 (AN - XIIIème législature) autorisant l'approbation de l'avenant à la convention entre la France et le Grand-Duché de Luxembourg tendant à éviter les doubles impositions et à établir des règles d'assistance administrative et juridique réciproque en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune.
La commission demande à se saisir pour avis du projet de loi portant réforme des retraites, sous réserve de son adoption en conseil des ministres et de son dépôt, et nomme M. Jean-Jacques Jégou rapporteur pour avis de ce texte.
La commission demande, enfin, à se saisir pour avis du projet de loi organique relatif à la gestion de la dette sociale, sous réserve de son adoption en conseil des ministres et de son dépôt, et nomme M. Jean-Jacques Jégou rapporteur pour avis de ce texte.