La réunion

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La réunion est ouverte à 16 heures.

Debut de section - PermalienPhoto de Francis Delattre

La commission d'enquête a pour objectif de faire le point sur un dispositif fiscal qui, aujourd'hui, représente plus de cinq milliards d'euros de dépense fiscale. Le Parlement entend déterminer si le crédit d'impôt recherche (CIR) obéit à un bon ciblage et si des sommes aussi importantes sont utilisées le plus efficacement possible. Sur des sujets plus sensibles, je vous aurais demandé, dans le cadre d'une commission d'enquête, de prêter serment. Je suis toutefois persuadé que vous nous direz tous votre vérité. Je vous rappelle, en revanche, que ce qui est dit ici doit rester confidentiel.

Au départ, les initiatives concourant à mettre en place un CIR dont la création remonte à trente ans et le changement de dimension à 2008 faisaient jusqu'à maintenant, au sein des groupes politiques, plutôt consensus.

Debut de section - Permalien
Patrick Monfort, secrétaire général du Syndicat national des chercheurs scientifiques (SNCS - FSU)

En tant que syndicat des chercheurs des organismes de recherche, nous sommes attachés au développement de la recherche publique mais aussi de la recherche privée. Nous sommes donc bien concernés par le débat sur le CIR. Le développement de la recherche vers le système industriel peut effectivement bénéficier de fonds publics. Le problème, pour nous, réside dans l'absence d'un système transparent qui fasse l'objet d'une évaluation pour déterminer les objectifs de ce soutien public et le type de recherche soutenue. Hélas, l'ampleur prise par le CIR ne débouche pas sur un développement de l'emploi scientifique hors académique, en particulier en matière d'embauche de jeunes docteurs.

Debut de section - Permalien
Henri-Édouard Audier, membre du bureau national du SNCS - FSU

Le CIR n'a pas toujours rencontré l'unanimité dont vous faites état monsieur le Président. De longue date, les scientifiques, les syndicats de chercheurs, les instances scientifiques comme le comité national de la recherche scientifique (CoNRS) du Centre national de la recherche scientifique (CNRS), de même que des commissions parlementaires - je pense au rapport de Christian Gaudin au Sénat qui a vertement critiqué certains aspects du CIR -, tout comme l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et la Commission européenne ont formulé des critiques à l'encontre du CIR, sans parler des rapports successifs de la Cour des comptes et du Comité des prélèvements obligatoires. Une constante, néanmoins : un certain nombre d'officines para-patronales vivent du CIR et l'encensent. Je prends pour exemple l'ACIES Consulting Group qui a mis en place le dénommé « Observatoire du CIR ».

Je lis ce que dit ACIES, et ses chiffres sont exacts : les dépenses de recherche des entreprises sont évaluées à 24,75 milliards d'euros pour 2007 et 30,07 milliards d'euros pour 2012, soit une progression notable de l'ordre de six milliards d'euros. Pour les mêmes années, on recense une dépense de CIR respectivement de 1,8 milliard d'euros puis de 5,33 milliards d'euros sur une période de forte montée en puissance de ce crédit d'impôt. Évidemment, ACIES Consulting Group conclut à un effet fantastique du CIR sur l'accroissement l'effort de recherche, voire à un effet de levier, c'est-à-dire que pour un euro dépensé par l'État, 1,5 euro serait investi par les entreprises. D'autres choses très intéressantes, même surprenantes tirées de cette étude : 28 000 emplois créés en quelques années dans le secteur privé de l'industrie, et la conclusion selon laquelle l'intensité de R&D de l'industrie française est supérieure à celle de l'Allemagne et figure parmi les plus élevées d'Europe.

On retrouve dans cette opération de lobbying la rhétorique récurrente et totalement trompeuse de la défense du CIR par des sociétés qui en vivent. Pourquoi ? Parce que ces chiffres sont exprimés en euros courants ! Quand on transforme ces euros courants en euros constants, vous reconnaîtrez quand même que 10 % d'inflation sur six ans jouent beaucoup plus sur 30 milliards d'euros que sur trois milliards d'euros. Je vous relis exactement la même phrase, mais en euros constants : la dépense intérieure de R&D des entreprises (DIRDE) est évaluée à 27 milliards en euros « 2012 » pour 2007 et 30,07 milliards d'euros pour 2012. L'augmentation n'est finalement que d'un peu plus de trois milliards d'euros. En ce qui concerne la dépense de CIR, l'augmentation ramenée en euros constants est de 3,3 milliards d'euros. Quelle que soit la période examinée, aucun effet de levier n'est constaté. D'une manière générale, le CIR s'est substitué à l'investissement des entreprises. Il n'a pas créé quoi que ce soit de nouveau.

On nous dit que c'est fantastique, que grâce à ce dispositif la France se redresse... C'est faux. L'effort de la France en matière de DIRDE se situe à 1,44 % du produit intérieur brut (PIB), ce qui la place au 15e rang mondial. D'autres pays enregistrent des performances bien supérieures : Israël avec 3,49 %, la Corée du Sud avec 3,26 %, le Japon avec 2,65 %, la Finlande et la Suède avec 2,28 % et l'Allemagne avec 2 %.

Certes, nous avions un passif. Est-ce que le CIR depuis 2007 a servi à remonter la position française ? Dans le dernier fascicule de l'OCDE de la série « Principaux indicateurs de la recherche et de la technologie », le tableau n° 25 présente la DIRDE exprimée en euros constants et en monnaie comparable. Sur cette période de très fort accroissement du CIR pour la France, on relève que pour quelques pays, l'effort demeure inchangé mais était déjà très élevé (Finlande, Japon...), et que la France, avec 14,6 % d'augmentation en euros constants, fait un peu mieux que certains pays et un peu plus mal que d'autres. Par exemple, l'Allemagne, qui ne dispose d'aucun crédit d'impôt en faveur de la recherche, a augmenté son effort de 20 %. Dans le même temps, Taipei affiche une progression de son effort de recherche de 64 %, la Corée du Sud de 71 %, ce qui explique peut-être pourquoi c'est désormais ce dernier pays qui exporte des centrales nucléaires et non plus la France.

En ce qui concerne l'affirmation selon laquelle nos performances seraient meilleures que l'Allemagne, le tableau précité montre que l'effort de nos amis outre-Rhin en matière de DIRDE est exactement le double de celui de la France, en euros constants, alors qu'ils n'ont pas de CIR. Le problème n'est pas que français. L'Europe ne représente plus que 20 % de la recherche des entreprises alors que le reste se partage se partage de manière à peu près équilibrée entre l'Asie et les États-Unis.

S'agissant de la croissance du nombre de chercheurs dans les entreprises, on est dans une situation totalement ridicule. Le ministère de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche indique qu'en dix ans, le nombre de chercheurs dans l'industrie a connu une augmentation de 72 % et 10 % seulement dans le public. Or, quand vous prenez le ratio des dépenses salariales du public sur les dépenses des entreprises, vous constatez une constante absolument parfaite. En d'autres termes, pour répondre à l'observation selon laquelle le nombre de chercheurs progresserait de 70 % sans augmentation de la masse salariale, le ministère a répondu par une note reconnaissant un problème mais expliquant les anomalies relevées par le fait que le coût de l'accroissement du nombre de chercheurs (+ 70 %) dans le secteur privé a été absorbé par la diminution des crédits affectés à chacun , autrement dit par une baisse du coût unitaire du chercheur privé. N'importe quel responsable d'équipe que ceci est complétement ridicule. Le problème est qu'on a indexé un paramètre absolument fondamental pour la vie du pays, le développement de la recherche industrielle et de ses effectifs de chercheurs, sur une niche fiscale qui en détermine seule les évolutions en dehors de toute orientation stratégique.

Imaginez que vous créiez un crédit d'impôt sur la consommation d'essence, à hauteur de 20 % sur la consommation annuelle. À la fin de l'année, vous constaterez que la somme des consommations individuelles correspond à environ cinq fois la consommation nationale. On parle d'un système qui pousse à la triche sur une somme de six milliards d'euros qui ne sert absolument à rien et qui serait beaucoup plus utilement mobilisée sous d'autres formes pour soutenir la recherche industrielle. Je n'ai pas critiqué le crédit d'impôt innovation parce qu'il contient des éléments intéressants pour la prise en charge des intérêts d'investissement. Là au moins, on est sûr que l'entreprise investit, l'État rembourse une partie des intérêts d'investissement ou avance des aides remboursables en cas de succès. Nous pensons que les engagements que prend l'État avec le CIR équivalent à un gaspillage. Le CIR peut être utile pour les petites et moyennes entreprises (PME) - nous ne le contestons pas -, mais il est à supprimer pour les grands groupes.

Debut de section - PermalienPhoto de Francis Delattre

Il est paradoxal de dire que nous ne dépensons pas assez pour la recherche et de plaider pour la suppression du CIR, c'est en tout cas comme cela que je l'ai compris...

Debut de section - Permalien
Henri-Édouard Audier, membre du bureau national du SNCS - FSU

Non, je n'ai rien contre le fait qu'il soit utilisé autrement.

Debut de section - PermalienPhoto de Francis Delattre

Quand vous dites que les performances françaises en matière de DIRDE sont insuffisantes par rapport à celles enregistrées en Allemagne, l'écart n'est tout de même pas extravagant. Ensuite, quand vous avancez le moindre recours de l'Allemagne à l'argent public, il suffit de regarder les résultats : l'industrie de l'automobile génère 11 milliards d'euros de bénéfices, et le syndicat allemand de l'automobile indique que la moitié sera consacrée à la recherche, ce qui fait exactement 5,5 milliards d'euros. Avez une économie industrielle comme celle de l'Allemagne, vous disposez de marges de manoeuvre plus confortables. Est-ce une raison pour condamner le petit système français du CIR ?

Une chose que je partage dans votre discours : l'effort des PME, des petits laboratoires qui tentent et ont besoin d'un coup de main. Je me suis rendu à congrès de Los Angeles sur les start-ups, j'étais fier de voir que nous étions les premiers et la plupart se sont montées grâce au CIR.

Je suis totalement contre, et je ne suis pas le seul parmi mes collègues, contre le fait de considérer que nous sommes face à une niche fiscale. Le CIR en est une parce qu'il s'agit formellement d'un crédit d'impôt, mais, dans l'état d'esprit de sa conception, il n'en est pas une. Ce n'est pas un problème de positionnement politique car il a été mis en place par un gouvernement socialiste et c'est le gouvernement de François Fillon qui en a changé l'assiette. Certes, tous les objectifs ne sont pas atteints, certaines entreprises identifient le CIR comme une niche fiscale, et c'est détestable. Mais je constate également des résultats : l'implantation des centres de recherche étrangers progresse, selon les chiffres produits par le ministère des affaires étrangères et du développement international, et le CIR ne semble pas totalement en dehors des préoccupations des investisseurs étrangers.

Sur des sujets aussi sensibles pour l'avenir du pays, nous sommes tous d'accord sur la nécessité de mieux cibler et d'aller vers un dispositif plus adapté aux besoins de notre industrie. Vous avez parlé du crédit d'impôt innovation, réservé aux investissements : c'est facile de cadrer des investissements en innovation. C'est moins le cas pour les investissements intellectuels. Le problème que nous avons est de déterminer le périmètre des recherches éligibles, comme le montre la dualité dans le contrôle fiscal entre le contrôleur des impôts classique et l'expert nommé par le ministère pour identifier ce qui relève véritablement du progrès de la recherche.

Vous nous parlez de triche, je ne le crois pas du tout. Ce que nous attendons de vous dans le cadre de cette commission d'enquête, ce sont des pistes d'action pour répondre à des problèmes identifiés. Comme le ministre Emmanuel Macron qui a récemment fait l'éloge du dispositif dans notre hémicycle, quand je crois à une idée, je la défends. Du reste, le Président de la République s'est engagé à le sanctuariser.

Debut de section - Permalien
Laurent Diez, secrétaire général du Syndicat national du personnel technique de l'enseignement supérieur et de la recherche (SNPTES)

Nous n'avons pas d'opposition fondamentale. Sur ce dossier, nous avons plus de questions que de certitudes. Notre pays souffre de beaucoup de choses, notamment du problème de l'évaluation. Comment peut-on évaluer un système qui est un peu complexe ? Un contrôle est indispensable, mais ce contrôle doit être simple pour les entreprises, notamment pour les PME et les très petites entreprises (TPE) qui démarrent et qui ont besoin de cet argent parfois pour assurer leur pérennité. Nous devons également nous poser la question de l'efficacité de ce crédit d'impôt pour l'emploi scientifique.

Ne nous leurrons pas, on nous envie notre CIR un peu partout dans le monde. Mais cela reste une source d'optimisation fiscale, ce qui n'est pas forcément un « gros mot » quand elle a des conséquences bénéfiques pour l'emploi ; cela peut le devenir, en revanche, lorsque de l'argent public est détourné de son objet initial.

Au moment de l'examen du projet de loi relatif à l'enseignement supérieur et à la recherche en 2013, nous avions déploré l'absence de loi de programmation. Si nous avions une loi de programmation, intégrant le CIR, qui nous permettait de voir à plus long terme, les acteurs pourraient déterminer la manière dont ils comptent utiliser l'argent public. Les contributions figurant sur le site de votre commission d'enquête font apparaître, du côté des entrepreneurs, des inquiétudes sur la pérennité du système. Les rapports à la fois de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) et des Assises de l'enseignement supérieur et de la recherche avaient évalué à un milliard d'euros par an sur cinq ans, voire sur dix ans, les besoins de financement supplémentaire de l'enseignement supérieur et de la recherche pour véritablement s'imposer comme moteurs de croissance et permettre à notre pays de se sortir de la crise par le haut.

Le CIR, ce n'est pas de l'argent directement captable par l'État pour le redistribuer à un secteur. Cela reste de l'argent que l'État ne reçoit pas. Le fait de réduire le nombre de ses bénéficiaires ne suffirait pas à garantir que l'économie correspondante puisse être immédiatement mobilisable pour l'enseignement supérieur et la recherche.

Debut de section - Permalien
Christophe Bonnet, secrétaire fédéral du Syndicat Général de l'Éducation Nationale (SGEN - CFDT)

En tant que syndicat de l'éducation nationale, nous ne nous estimons pas forcément compétents sur les questions fiscales. L'activité de R&D ne recouvre pas forcément l'activité de recherche du secteur de l'enseignement supérieur et de la recherche.

Nous identifions deux mesures, au sein du dispositif du CIR, qui influent directement et immédiatement sur l'enseignement supérieur et la recherche : le recrutement des docteurs, d'une part, et la sous-traitance des opérations de recherche aux organismes publics de recherche et aux universités. Ce sont deux mesures qui ont en commun d'avoir été ajoutées à peu près en même temps au dispositif vers 1999. Elles ont eu le droit à un coup de pouce, en 2004 et 2006, par le doublement des dépenses correspondantes pour leur prise en compte au titre du CIR, soit un effort qui peut paraître considérable, car ce n'est pas tout le temps que l'administration fiscale propose au contribuable de compter pour le double de sa valeur une dépense déductible, mais qui est peut-être également à l'inverse le signe du peu d'effet que ces mesures produisaient initialement.

S'agissant de l'embauche des docteurs, le bonus de 200 % des rémunérations vaut pour les deux années suivant le premier recrutement. Cela peut sembler séduisant, d'autant que dans le choix de recruter un ingénieur ou un docteur, on entend généralement circuler l'idée selon laquelle un ingénieur serait plus immédiatement productif qu'un docteur, ce qui prête à débat. En tout cas, du point de vue des recruteurs, ce bonus offert par le CIR devrait compenser ce décalage. La Cour des comptes signale d'ailleurs que, compte tenu de la prise en compte du cumul des coûts de fonctionnement avec le coût salarial, avec un taux de CIR de 30 %, on peut constater des cas dans lesquels les dépenses de personnel sont couvertes à 120 % par le crédit d'impôt, ce qui paraît plus qu'intéressant pour l'entreprise qui recrute. L'avantage est encore plus sensible en outre-mer avec un taux supplémentaire d'avantage de 50 % depuis la nouvelle loi de finances.

Pour autant, l'impact de la mesure est faible. Dans sa lettre de mission à Patrick Fridenson sur l'emploi des docteurs, l'ancienne secrétaire d'État à l'enseignement supérieur et à la recherche le confirme. Peut-être parce que les PME restent relativement frileuses sur ce type de recrutement et que, pour les plus grands groupes, on est sur des taux marginaux beaucoup plus faibles, puisqu'au-delà de 100 millions d'euros on entre dans une tranche à 5 % de CIR et non plus à 30 %. Sous réserve des études en cours, il semble que l'impact du CIR sur le recrutement des docteurs soit assez faible, plus faible en tout cas que les bourses des conventions industrielles de formation par la recherche (CIFRE) ou d'autres types de mesures intervenant en amont.

Depuis 2008, la sous-traitance d'opérations de R&D à des entités publiques a été étendue aux universités. S'agissait-il, dans l'esprit du législateur, de compenser, pour les universités, un relatif gel de leur financement par l'État dans le cadre du passage aux responsabilités et compétences élargies (RCE), ce qui pourrait expliquer que le CIR ait quelque peu mauvaise presse dans notre milieu ? Le rapport de la Cour des comptes fait état, en 2012, d'environ 900 millions d'euros de dépenses sous-traitées à des organismes publics de recherche. Cependant, quand on consulte nos militants dans les organismes de recherche et dans les laboratoires, ils sont plutôt dubitatifs quant à l'existence de tels flux financiers. Cela peut-être dû à un phénomène d'optique, car les financements concernés transitent par des agences de financement, par l'Agence nationale de la recherche (ANR) ou encore par des sociétés d'accélération du transfert de technologies (SATT). Mais cela pourrait également s'expliquer par le fait que cet argent n'arrive pas forcément dans les équipes qui nous remontent ces informations. Il est à noter que le SGEN-CFDT ne syndique pas les personnels des établissements publics à caractère industriel et commercial (EPIC) de la recherche et il se peut que ce soit ce type d'établissements qui bénéficie le plus de ces contrats, je ne saurais vous le dire. En revanche, je pense souhaitable qu'il y ait de vraies études quantitatives et qualitatives sur la manière dont percole ce financement vers la recherche publique.

Il me semble que ce dispositif ne peut être efficace que dans les cas où l'activité imputable au CIR (missions de développement, d'expertise, de recherche confiées par une entreprise à un organisme de recherche public) coïncide pleinement avec les objectifs de recherche de l'équipe sollicitée. Dans le cas contraire, le fait que des chercheurs travaillent sur une mission de R&D pour le compte d'une entreprise constituerait plus un coût qu'un revenu pour l'organisme puisque le temps de travail de son chercheur ne serait pas occupé à la recherche à laquelle il était destiné. De plus, il y aurait un coût social si une telle mesure devait encourager l'emploi précaire dans l'enseignement supérieur et la recherche.

Dès lors qu'il a été conçu pour soutenir la recherche, il serait souhaitable que le CIR aide à faire de la recherche et non pas à faire semblant de faire de la recherche. Ce qui pose problème est l'apparente déconnexion qu'on a relevée déjà entre l'augmentation du coût du CIR et la faible augmentation, voire la stagnation des budgets de R&D dans les entreprises. Peut-être cela est-il dû à un certain nombre de détournements caractérisés, ou aussi à des comportements d'optimisation fiscale. Mais, en dehors de la triche pure et simple et de l'optimisation fiscale, il existe un autre type de comportement : l'adaptation d'une partie de l'appareil économique non pas aux besoins de recherche qu'ont les entreprises, mais aux critères du CIR. On peut rencontrer des situations où des petites adaptations de chaque acteur, qui essaie d'optimiser ci et là en affectant opportunément une partie du personnel à de la recherche, peuvent aboutir à des changements structurels de la manière dont le secteur de l'ingénierie et des services s'emploient à obtenir du CIR. C'est une hypothèse qui mériterait d'être examinée, sachant que chaque ajout au dispositif est à même de créer des adaptations de la part des acteurs. Je me demandais si on ne pourrait pas trouver une corrélation entre l'augmentation du coût du CIR et l'augmentation du nombre de caractères dans l'article 244 quater B du code général des impôts depuis sa création en 1983...

En tout cas, il convient d'évaluer, c'est la clé. Pas seulement au niveau des contrôles fiscaux (tout en gardant à l'esprit qu'en multipliant les justificatifs nécessaires, on ne fera qu'alimenter le travail des officines auxquelles s'adressent les petites entreprises qui ne disposent pas en interne de leurs propres services de conseil fiscal), mais aussi par une évaluation continue et efficace des effets réels de chaque changement intervenu dans l'architecture du CIR sur la réalité des pratiques de R&D. Il existe un comité de suivi des aides publiques aux entreprises et des engagements (COSAPEE), ancien comité de suivi du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE), qui devrait pouvoir s'intéresser de manière précise au CIR compte tenu de son ampleur. Nous insistons pour que cette mission puisse être remplie avec tous les moyens nécessaires et que l'évaluation qui en résultera ait des conséquences réglementaires et législatives.

Debut de section - PermalienPhoto de Brigitte Gonthier-Maurin

Êtes-vous associés aux travaux de la commission nationale d'évaluation des politiques publiques d'innovation qui dans l'orbite de France Stratégie est présidée par Jean Pisani-Ferry ?

Debut de section - Permalien
Christophe Bonnet, secrétaire fédéral du Syndicat Général de l'Éducation Nationale (SGEN - CFDT)

La CFDT est associée aux travaux de la COSAPEE dont les missions se sont étendues et dont le CIR devrait constituer, à mon avis, une priorité.

Debut de section - Permalien
Daniel Steinmetz, secrétaire général du Syndicat des travailleurs de la recherche scientifique (SNTRS - CGT)

La CGT est associée aux travaux de la COSAPEE. J'ai débattu avec le camarade ou le collègue, appelez-le comme vous voulez, qui y siège, et qui m'a dit de manière explicite que cet organe, qui fait suite au comité de suivi du CICE comme l'a dit mon collègue, n'a pas pour prérogative d'effectuer le suivi du crédit d'impôt recherche. Ce dernier est exclu des travaux mené par cet organe.

Debut de section - PermalienPhoto de Brigitte Gonthier-Maurin

Je vous questionnais en fait sur les travaux de la commission nationale d'évaluation des politiques d'innovation (CNEPI) sous la direction de Jean Pisani-Ferry, qui devraient notamment concerner le crédit d'impôt recherche ? Nous l'avions rencontré il y a quelques semaines et il se mettait au travail.

Debut de section - Permalien
Daniel Steinmetz, secrétaire général du Syndicat des travailleurs de la recherche scientifique (SNTRS - CGT)

Non.

Debut de section - Permalien
Hervé Christofol, secrétaire général du Syndicat national de l'enseignement supérieur (SNESUP - FSU)

Il ne s'agit pas pour nous de critiquer, de façon systématique, le financement public de l'effort de recherche privé, mais de montrer que ce financement s'effectue malheureusement au détriment des fonds alloués à la recherche publique. La dépense intérieure de recherche des administrations (DIRDA) stagne depuis des années. Au sein du périmètre qui nous concerne, celui de l'enseignement supérieur et de la recherche, on constate un désengagement depuis maintenant plusieurs années et le CIR, que vous avez qualifié, Monsieur le Président, de « petit dispositif français », pèse aujourd'hui près de deux fois le budget des organismes de recherche et la moitié du financement complet de l'enseignement supérieur et de la recherche, qui s'élève à 12 milliards d'euros environ. Les sommes en jeu sont donc considérables : une évaluation rigoureuse est nécessaire.

Je vais laisser la parole à Heidi Charvin pour la présentation de l'évolution de la structure de l'emploi au cours des dix dernières années.

Debut de section - Permalien
Heidi Charvin, membre du Secrétariat National du Syndicat national de l'enseignement supérieur (SNESUP - FSU)

Il faut s'interroger sur l'incidence du CIR sur la situation de l'emploi, pas seulement dans l'enseignement supérieur et la recherche mais aussi de façon plus générale. Lorsqu'une étude est réalisée sur la composition des secteurs d'activité sur une cinquantaine d'années, l'on observe une diminution continue de l'emploi dans le secteur industriel avec une augmentation parallèle dans les secteurs tertiaires marchand et non marchand. Il ne s'agit pas d'un effet de conjoncture : la diminution de plus en plus marquée de l'industrie dans le PIB accompagne cette tendance au niveau de l'emploi. L'industrie manufacturière dans le monde, si elle chute au niveau des États-Unis et de l'Europe, augmente dans les pays dits « émergents » tels que la Chine ou le Brésil.

Une question peut donc se poser par rapport au choix gouvernemental de favoriser, à travers le CIR, la recherche industrielle. Le rapport du sénateur Michel Berson indique que le CIR n'abreuve pas essentiellement l'industrie, mais les données ministérielles de 2012 montrent que l'éligibilité au CIR concerne 64,2 % de l'industrie manufacturière en mai 2011 et ce pourcentage n'a pas chuté durant ces dernières années. Ce choix est conséquent relativement aux crédits alloués à l'enseignement supérieur et la recherche. Outre le CIR, un certain nombre d'aides financières publiques via Oseo, l'ADEME, l'ANR, sont dirigées vers les entreprises et plus particulièrement vers le secteur industriel. Ces éléments sont, pour nous, préoccupants.

Dans l'enseignement supérieur et la recherche, principalement dans les EPST, nous avons une diversité disciplinaire de recherche publique qui n'est pas totalement équivalente à celle des entreprises privées. S'il existe une relative adéquation entre la recherche menée dans les grands organismes de recherche et les travaux éligibles au CIR, nous percevons cependant des conséquences néfastes du CIR sur l'ensemble du territoire français et sur l'ensemble des activités de recherche, quel que soit le secteur d'activité considéré.

Je voudrais également dire que le secteur tertiaire, marchand et non marchand, auquel on associe parfois le secteur quaternaire - celui des hautes technologies -n'est pas seulement le secteur des services, ce qui pourrait laisser penser à une position subalterne, mais aussi celui des savoir-faire : c'est un atout français. Nous pensons que nos politiques, pour créer de l'emploi, ne doivent pas centrer seulement sur l'industrie les efforts en matière de recherche.

Debut de section - Permalien
Hervé Christofol, secrétaire général du Syndicat national de l'enseignement supérieur (SNESUP - FSU)

Aujourd'hui, nous avons besoin en France pour développer l'emploi de hautes compétences dans d'autres domaines que l'industrie, comme le tourisme. Il y a aussi des recherches à soutenir dans ces champs, qui sont particulièrement importantes pour la compétitivité de notre pays.

La stratégie de Lisbonne, présentée par le président de la Commission européenne en 2000, avait fixé pour les États membres une part de la recherche dans le PIB, à l'horizon 2010, à hauteur de 3 % : 2 % pour les entreprises et 1 % pour les administrations publiques. À l'époque, la DIRDE s'élevait à 1,3 % et la DIRDA à 0,7 %. L'État peut développer la DIRDA de façon assez directe, puisqu'il est le principal décideur pour les administrations publiques. En revanche, augmenter la DIRDE suppose la mise en place de dispositifs incitatifs. L'État, pensant que la recherche privée est un facteur important du développement du pays, a mis en place plusieurs dispositifs fiscaux, dont le CIR. Les dirigeants des grandes entreprises ne sont pas nécessairement animés dans leur gestion par le souci du développement à long terme, mais davantage par la rentabilité à court terme, et les PME manquent parfois de ressources pour mener à bien leurs projets de recherche.

Un changement brutal s'est fait jour en 2007, avec un accroissement de 137 % du CIR. Jusque-là, si la DIRDA était en légère baisse, la DIRDE baissait également (en euros constants). Le dispositif CIR a permis d'inverser cette tendance, au prix d'un effet d'aubaine énorme : on constate que l'effort de redressement de la DIRDE est essentiellement dû au CIR. Si l'on retranche le CIR de la DIRDE, celle-ci est relativement stable. Il n'y a donc eu ni effet de levier, ni même effet additif. La DIRDE s'est substituée à la DIRDA. Depuis quelques années, on constate que la DIRDE progresse un peu plus vite que le CIR, ce qui montrerait un léger effort. Mais on est très loin d'avoir compensé l'effet d'aubaine de 2007.

Pendant ce temps-là, la DIRDA est laissée à l'abandon. Le programme 150 et le programme « Vie étudiante » progressent légèrement, mais les autres programmes, orientés vers la recherche, décroissent en euros constants. En isolant les évolutions intervenues sur le CAS pensions - puisque désormais les établissements gèrent eux-mêmes leur masse salariale complète, on a une baisse aussi bien en volume en pourcentage qu'on peut estimer aux alentours de -0,5 % au cours des dernières années. Et ce alors même que les fusions coûtent énormément aux établissements et que le nombre d'étudiants progresse, de façon durable, d'autant plus que l'ambition affichée est d'emmener 50 % d'une classe d'âge au niveau licence. Pour atteindre une DIRDA de 1 % du PIB, il faudrait faire progresser la DIRDA de façon conséquente sur les dix prochaines années, ce qui correspondrait à un transfert d'environ 4,5 milliards d'euros sur dix ans, soit environ 5 000 emplois par an pendant 10 ans et 300 000 euros de progression annuelle du budget du programme 150. Aujourd'hui, la baisse des crédits du programme 150 et dommageable à la fois pour les étudiants et pour le personnel, puisqu'elle se traduit par des mesures d'austérité, des groupes plus importants, des réductions de formation... L'augmentation de la productivité des personnels est nécessaire puisque l'activité croît et que les effectifs sont stables.

Debut de section - Permalien
Daniel Steinmetz, secrétaire général du Syndicat des travailleurs de la recherche scientifique (SNTRS - CGT)

La démocratie impliquant aussi des moments de polémique, vous me permettrez de dire en préalable que je ne partage pas du tout votre enthousiasme, Monsieur le Président, sur le crédit impôt recherche, et que je suis de ceux qui regrettent que le Président Hollande ait abandonné ses engagements d'une autre vision du CIR en le sacralisant quelques mois après son élection. Le CIR est examiné par les assemblées parlementaires au moment de l'examen du projet de loi de finances et il est intégré au budget de la MIRES. Il est légitime d'associer l'effort financier fait au titre du CIR aux difficultés que connaissent les établissements de recherche et les universités. Ces difficultés, vous ne l'ignorez pas, sont cruciales dans la période actuelle : nous perdons des emplois de manière significative (le CNRS a perdu 3000 emplois dans les dernières années, tant en postes de titulaires qu'en postes de contractuels d'État), des gels conséquents de postes sont effectués dans les universités... Les perspectives de carrière pour les étudiants et les 11 000 ou 12 000 doctorants qui passent leur thèse chaque année se ferment petit à petit. Notre situation est donc critique, et rend légitime un examen comparatif de l'efficacité financière d'une aide fiscale de l'État et d'un investissement direct de l'État. L'efficacité du CIR doit être appréciée dans un cadre global, qui tienne compte de la recherche publique - qu'elle soit fondamentale ou appliquée - et de la recherche privée.

Je ne suis pas naïf, je ne pense pas que la France puisse maintenir son rang sans une industrie de haut niveau et je sais, comme l'ont d'ailleurs montré plusieurs rapports, que la nécessaire remontée en gamme de l'industrie française nécessite un investissement fort, à la fois matériel et immatériel, dans la recherche et dans la qualification de la main-d'oeuvre. Notre pays a fait des choix contestables en privilégiant les exonérations fiscales et sociales pour les bas salaires. Dans le cadre du CICE, les salaires jusqu'à 2,5 fois le SMIC seront allégés partiellement de cotisations sociales : cela pose un certain nombre de problèmes, qui ne sont pas de nature à tirer la qualification de la main-d'oeuvre vers le haut, et la remontée en gamme de notre industrie.

Un aparté : madame Pécresse incluait le CIR dans la présentation qu'elle faisait à l'époque du budget de son ministère : elle mettait bien au même plan les crédits pour les universités et les organismes publics de recherche d'une part, le CIR d'autre part. Il me semble donc tout à fait légitime que votre commission examine les deux problématiques en même temps.

La montée en force du CIR dans la fin des années 2000 traduit le choix d'une réorientation de l'aide publique à la recherche industrielle. Tous les pays ont une aide à la recherche industrielle, qui peut prendre la forme de commandes : pendant longtemps, c'était la base du soutien public à l'industrie de l'armement en France, comme dans nombre d'autres pays. Peu à peu, la commande publique a été remplacée par des dispositifs fiscaux, qui permettent à toutes les entreprises de postuler et qui n'assurent pas forcément des capacités d'évaluation, de contrôle et de vérification aussi élevées. Le rapport de 2012 du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche indiquait que la France est la championne du monde au titre des aides à la recherche industrielle, mais elle est loin d'être la championne du monde en termes d'efficacité de cette même recherche : cette distorsion doit être analysée. Elle n'est pas récente : depuis cinq ou six ans, le CIR représente 0,35 % du PIB, largement au-dessus du Canada avec un crédit d'impôt recherche à peine à 0,3 % du PIB.

Je pense qu'il y a eu de nombreux cas d'optimisation fiscale réelle. Le CNRS et un certain nombre de grandes entreprises avaient depuis longtemps de très fortes collaborations, dont l'une avec Thalès. Avec la mise en place du nouveau CIR, Thalès récupère, à travers l'investissement dans ce laboratoire, 800 000 euros de crédit d'impôt. Il s'agit d'un effet d'opportunité fiscale. L'irruption de toutes les sociétés de service informatique me semble aussi mériter d'être regardée de près.

Autre exemple : une société informatique à Toulouse, sous-traitante d'Airbus, mène une activité en termes de remplissage de fiches emploi-temps, qui correspond exactement à ce qui est décrit dans certains témoignages de l'espace participatif de la commission d'enquête. La politique d'Airbus est d'ailleurs, à certains égards, très surprenante : dans les organismes publics de recherche, qui induisent un doublement du taux de CIR, il y a un certain nombre d'institutions issues du « Grand emprunt » - les instituts de recherche technologique (IRT), par exemple. Airbus, en février 2014, a annoncé la baisse de 25 % de son effort de recherche interne pour les « avions du futur », considérant qu'il fallait absolument remonter son taux de marge et améliorer la productivité de l'entreprise. Cela a entraîné des dizaines de suppressions d'emplois dans les sociétés de service informatique du bassin d'emploi de Midi-Pyrénées, mais également dans la région nantaise et ailleurs : elles ont licencié 10 à 15 % de leur personnel actif qui travaillait sur des contrats avec Airbus. Dans le même temps, Airbus pilote l'IRT de Toulouse, centré sur l'aéronautique et l'espace, qui a déjà bénéficié de 290 millions d'euros d'aides publiques au titre du programme d'investissements d'avenir (PIA) et qui maintenant remonte des actions de recherche avec un discours très clair : les ingénieurs peuvent voir leurs salaires déduits jusqu'à 60 % puisque l'institution est dite « publique ». La logique du dispositif est donc de permettre d'alléger la recherche en interne et de la faire basculer en externe avec une maximisation de l'optimisation fiscale. Cerise sur le gâteau : Airbus annonce en le rachat de 10 % de ses actions pour faire remonter le niveau des dividendes.

Pour la CGT, qu'elle soit du secteur de la recherche ou des activités industrielles, ce ne sont pas les aides de l'État aux entreprises qui sont mises en cause, c'est la non-capacité de l'État d'avoir un contrôle réel de l'efficacité de ces aides.

Je pense qu'il aurait été largement préférable d'avoir une réflexion de l'appareil d'État, du Gouvernement et des institutions parlementaires sur ce qu'aurait pu être par exemple le développement des 29 actions de reconquête industrielle présentées un moment par M. Montebourg, désormais réduites en nombre. Des objectifs précis auraient pu être dégagés, avec des dotations en capital pour les partenaires impliqués.

Concernant les PME, je travaille dans un laboratoire plongé dans les relations avec de petites entreprises. J'ai des collègues, sortis du labo depuis quelques années, qui ont réussi à se sortir de difficultés financières grâce au CIR. Nous ne sommes pas là pour critiquer l'ensemble du dispositif, mais pour comprendre comment l'argent public peut être utilement utilisé pour améliorer la qualification de la main-d'oeuvre d'une part, l'efficacité de l'investissement d'autre part. Il y a un vrai distinguo à faire entre les 23 groupes qui touchent 1,5 milliard d'euros de CIR en 2012, sur les 5 milliards d'euros ventilés à l'époque, et les autres. Sur ce 1,5 milliard d'euros, 660 millions d'euros ont été obtenus au titre de la « première tranche » (taux maximal de 30 % jusqu'à 100 millions d'euros), et près de 800 au titre de la « deuxième tranche » (taux de 5 % après 100 millions d'euros de dépenses de recherche). Un certain nombre de débats, y compris au Sénat, ont posé le problème de l'utilité de cette deuxième tranche. Pourquoi conserver ce taux réduit ? 800 millions d'euros correspondent à la possibilité d'augmenter du tiers les effectifs du CNRS, qui compte 2 milliards de masse salariale pour 30 000 emplois. Les chercheurs recrutés pourraient travailler sur une large gamme de sujets, des sciences sociales à la physique appliquée, avec peut-être une efficacité supérieure à celle d'autres organisations. Les grandes entreprises ne me semblent pas connaître actuellement de grandes difficultés, eu égard aux dividendes importants distribués.

Pour conclure, les milliards consacrés au CIR et qui peuvent encore augmenter - on ne sait pas très bien si le dispositif atteindra 6 milliards d'euros ou plutôt 7 ou 8 - méritent un contrôle poussé de l'État. On peut se poser la question, en distinguant la nature des entreprises en fonction de leur taille, d'un bénéfice conditionné du CIR, en fonction de leurs solidité financière, de leur accès au crédit... Représentant d'une organisation syndicale de la recherche publique, je pense qu'il est important de prendre en compte les difficultés que nous vivons actuellement au sein de nos organismes de recherche publics, dans le cadre d'une austérité budgétaire profonde.

Debut de section - PermalienPhoto de Brigitte Gonthier-Maurin

Merci pour ces exposés.

Vous l'avez tous indiqué : personne n'est ici pour contester le fait qu'une aide soit dispensée en direction de la recherche privée. Mais, évidemment, cette aide ne peut pas se conjuguer avec un asséchement de la recherche public - cela n'aurait tout simplement pas de sens, du moins de mon point de vue. Nous aurons à nous pencher sur l'évaluation de ce dispositif au regard d'un ensemble plus vaste de dispositions qui sont mobilisées en direction de la recherche privée.

Quelle analyse faites-vous du décrochage de la France par rapport aux entreprises allemandes et, au fond, pensez-vous qu'il y aurait une aversion particulière des entreprises françaises à réaliser un effort d'investissement ? J'ai cru déceler cela dans vos propos, et c'est un élément de diagnostic qui, pour nous, est important.

Considérez-vous que les grandes entreprises françaises subissent des contraintes financières telles que l'État serait seul à même de lever ?

Il me semble que le taux de marge des grandes entreprises est très supérieur à la moyenne de 29 % qui écrase les particularités des grands groupes. Il y a d'ailleurs un rapport qui avait été confié, à l'époque, au Président Sarkozy, et qui évaluait ce taux de marge autour de 50%, le rapport de M Jean-Philippe Cotis. Est-ce à dire que les entreprises françaises, en réalité, disposent déjà de marges de financement très conséquentes ?

Le CNRS est pour nous un organisme particulièrement important dans le paysage de la recherche français : est-ce que vous disposez d'éléments sur l'ampleur du CIR touché au titre de la recherche partenariale avec le CNRS ? Quelles sont ou ont été les retombées de ces travaux pour le CNRS lui-même et pour la cohésion globale de la stratégie de recherche dans notre pays ?

Nous sommes en train de passer d'une recherche ouverte à une recherche sur projet. La question du doublement de la dépense dans l'assiette du CIR en cas de partenariat avec un organisme public nous paraît ambigüe : d'un côté, ce doublement cherche à corriger certains des effets négatifs du CIR. De l'autre, on peut s'interroger sur son impact dans les organismes de recherche publics.

Debut de section - Permalien
Laurent Diez, secrétaire général du Syndicat national du personnel technique de l'enseignement supérieur et de la recherche (SNPTES)

Concernant le décrochage franco-allemand, la question me tient d'autant plus à coeur que je vis à l'Est de la France et que j'ai de la famille en Allemagne. Je pense en effet qu'il y a une mentalité qui n'est pas forcément la même des deux côtés du Rhin : en Allemagne, quand vous sortez d'une université et que vous êtes docteur, vous pouvez être fier et vous avez de bonnes chances de trouver un emploi. En France, les docteurs sont pris pour des médecins, et non pour des titulaires de doctorat ! Le réseau et les liens qu'il peut y avoir entre la grande industrie, des PME et des PMI sont beaucoup plus forts en Allemagne qu'ici. Là-bas, on fait confiance aussi aux PME et PMI pour innover et pour la recherche. Peut-être qu'en France, ce n'est pas encore tout à fait le cas. Cela a tendance à venir et tant mieux, les choses changent. Sur les territoires, peut-être que la France a trop fait confiance aux grandes entreprises en essayant de faciliter leur implantation. Mais, quand les crises arrivent, la désindustrialisation est en marche. Il faut s'attacher, par le biais des PME et PMI, à reconstruire territorialement des bassins d'emploi. Les PME n'ont pas tendance à délocaliser comme peuvent le faire plus facilement les grandes entreprises. Cependant, toutes les grandes entreprises ne prennent pas le CIR comme une opportunité d'optimisation fiscale : certaines jouent le jeu. Il faut savoir être précis dans son évaluation.

Debut de section - Permalien
Daniel Steinmetz, secrétaire général du Syndicat des travailleurs de la recherche scientifique (SNTRS - CGT)

Nous avons posé, lors d'une rencontre très récente avec le Président du CNRS, une question précise : avez-vous été interviewé par la commission d'enquête du Sénat ? Il nous a expliqué avoir été destinataire de questions écrites, auxquelles il a répondu. Il n'a pas constaté de progression importante de son activité contractuelle liée au CIR. Pour avoir été au conseil d'administration pendant de nombreuses années jusqu'à l'an dernier, je n'ai pas vu de montée significative des contrats industriels proprement dits lors de la phase d'expansion du CIR. Je suis donc un peu étonné en lisant l'importance des déclarations de CIR liées à des opérations transférées dans des laboratoires du secteur public. Ce qui est nouveau, c'est que nous avons vu depuis l'apparition de l'ANR - et je ne suis pas spécialiste de la fiscalité des entreprises - une substitution aux relations directes que les entreprises pouvaient nouer avec les laboratoires de relations par le biais de l'ANR. Un certain nombre de projets partenariaux financés par l'ANR, entre le secteur public et des entreprises font peut-être l'objet d'une déduction fiscale pour les entreprises. Le budget du CNRS sur les dernières années montre une baisse significative des contrats industriels, de l'ordre de 50 à 60 millions d'euros, et une montée en force des subventions publiques de l'ANR, lesquelles englobent des projets partenariaux avec des laboratoires privés.

Pour les gens comme moi qui travaillent dans des domaines de l'énergétique et du génie des procédés, ce transfert du financement d'une collaboration directe à une médiation par le biais de l'ANR a distendu les liens que les laboratoires publics entretenaient avec les équipes de recherche dans l'industrie. À l'époque, des équipes de recherche industrielle étaient constituées, en capacité d'avoir une expertise forte et des relations étroites avec le secteur public. J'ai beaucoup travaillé avec le centre de recherche de Gaz de France, d'EDF... Petit à petit, ces gens-là ont été remplacés par des collègues plus jeunes, dont le discours est celui d'une utilisation des moyens publics pour financer des opérations de coopération. « Si l'on met un euro, nous voulons en récupérer trois ou quatre, à travers un projet ANR, éventuellement des aides de la région et de l'Europe ». Nous sommes dans une situation catastrophique, car quand l'ANR procède à l'évaluation des programmes, elle convoque les ingénieurs qui étaient en responsabilité du projet et très souvent l'ingénieur de l'industrie ne vient pas, pour la simple et bonne raison qu'il n'est plus responsable du projet. L'initiateur du projet n'est plus disponible et le jeune collègue remplaçant ne sait pas forcément qu'il pourrait venir.

Debut de section - Permalien
Heidi Charvin, membre du Secrétariat National du Syndicat national de l'enseignement supérieur (SNESUP - FSU)

Sur l'asséchement des fonds dédiés à la recherche publique, c'est un élément préoccupant dans les EPSCT : le fait que la recherche industrielle soit un élément central de financement, y compris par les appels à projet, entraîne une désertification de la recherche fondamentale et des secteurs non industriels. Or, si un certain nombre de rapports insistent sur l'importance de développer de hautes compétences dans les secteurs tertiaires et quaternaires, il faut pouvoir assurer une formation de haut niveau sur l'ensemble du territoire. L'industrie ne correspond qu'à 13% des emplois : l'ensemble des autres secteurs doivent continuer à évoluer pour se maintenir sur le plan mondial et, tel que les financements sont actuellement organisés, nous voyons des pans entiers de recherche en difficulté, avec des carences de recrutement. On peut penser que les répercussions à moyen et long termes seront non négligeables, tant sur l'emploi que sur la compétitivité.

Quant au décrochage de la France par rapport à l'Allemagne, les vidéos du colloque national sur le doctorat qui a eu lieu il y a quelques semaines sont relativement édifiantes. Les représentants de grandes entreprises semblent considérer que le doctorat n'est pas un diplôme de premier plan et ne comprennent pas que les ingénieurs ne soient pas plus reconnus au plan international, au contraire du doctorat, qui, dans le monde, est considéré sanctionner la plus haute compétence. Il est quand même surprenant que les chefs d'entreprise français ne se posent pas la question de savoir pourquoi le doctorat est une référence au plan international. Quand l'embauche de docteurs est finalement envisagée, c'est celle de doctorants allemands. L'explication donnée, c'est que les docteurs allemands ont été sélectionnés, contrairement aux docteurs français issus de la formation publique française plus ouverte. Il y a une réelle méconnaissance de la sélection qui existe à l'université. Pour donner un exemple de mon domaine, la psychologie, il y a en première année 800 étudiants. Seuls 80 étudiants rentrent chaque année en master et deux ou trois docteurs sont diplômés chaque année. S'il n'y avait pas de sélection, comment expliquer un tel resserrement ?

Je précise que je ne mets pas en concurrence docteurs et ingénieurs, chacun d'entre eux ont des compétences complémentaires. Mais la capacité des premiers en termes d'analyse critique, de réflexion ou de synthèse n'est pas reconnue par la plupart des chefs d'entreprise. Un des arguments donnés dans ce colloque était le suivant : nous disons à nos ingénieurs d'obtenir un doctorat car il importe qu'ils développent leurs aptitudes en matière d'expression écrite et orale. On peut comprendre, à partir de là, pourquoi un certain nombre d'entreprises françaises sont vieillissantes, et pourquoi elles souffrent d'un retard d'équipement et d'innovation par rapport à leurs concurrentes internationales. Tant qu'il y aura aussi peu d'embauches de docteurs dans les entreprises, il existera sans doute une carence au détriment de la R&D. Le CIR doit donc être orienté, en étant conditionné à l'embauche de docteurs.

Je précise que le monde économique est aujourd'hui très présent dans les universités. La loi du 22 juillet 2013 relative à l'enseignement supérieur et à la recherche (ESR) a ouvert la possibilité de faire une thèse par validation des acquis. En bénéficieront les ingénieurs qui feront valoir les acquis de leur expérience, et qui ainsi, au lieu de trois ans minimum, ne feront que deux ans de formation, sans aborder la recherche fondamentale s'ils sont en apprentissage. Or, c'est cette dernière qui est centrale dans le renouveau au sein des entreprises.

Debut de section - PermalienPhoto de Francis Delattre

Je vous rejoins quant au rapport entre doctorants et ingénieurs il y a dix ou quinze ans. Mais suis convaincu qu'aujourd'hui le CIR est le seul vecteur pour introduire davantage de docteurs dans des entreprises qui, à défaut, n'en auraient aucun. Cela vaut également dans les pôles universitaires. S'il est insuffisant, ce dispositif fiscal a tout de même permis à de nombreuses entreprises de surmonter leurs préventions en la matière. Cet effet positif s'est d'ailleurs renforcé depuis 2008.

Personne ne conteste, je pense, la nécessité de soutenir notre recherche fondamentale. Le CIR avait d'ailleurs été conçu pour tenter de la rendre plus opérationnelle. Les entreprises, dont les plus grandes n'avaient autrefois de relations qu'avec les grandes institutions, ont bien évolué de ce point de vue. Il faut continuer à tenter de rapprocher ces deux univers.

Vous n'avez pas répondu à Madame le rapporteure sur les marges des entreprises... En France, ce n'est même pas 29 %, même s'il y a des différences importantes entre celles du CAC 40 et les autres. En Allemagne, c'est 12 % de plus, ce qui leur donne davantage de marges pour investir, notamment dans la recherche. L'essentiel des investissements dans notre pays est réalisé sur des financements bancaires, ce qui pose un réel problème, car les banquiers sont très frileux à cet égard.

Pour toutes ces raisons, il faut être prudent avec le CIR, et veiller à en assurer la pérennité pour sécuriser les entrepreneurs dans leurs projets d'investissement en R&D.

Debut de section - Permalien
Christophe Bonnet, secrétaire fédéral du Syndicat Général de l'Éducation Nationale (SGEN - CFDT)

Nous sommes tous d'accord je pense pour ce qui est du manque de reconnaissance du diplôme de docteur ; il y a certes une évolution, mais bien trop lente. Cela nous ramène à une réalité historique : le fait que l'université française a raté le train de l'industrialisation dans l'entre-deux guerres. Il nous faut maintenant faire comprendre aux entrepreneurs qu'un docteur a déjà plusieurs années d'expérience professionnelle en matière de recherche derrière lui.

Une proposition d'amendement sénatorial avait visé, dans le dernier projet de loi de finances, à plafonner la prise en compte des charges de personnel en proportion de celles liées à des docteurs.

Dans les organismes publics de recherche, les retombées du CIR sont très difficiles à quantifier. Nous serions preneurs, au SNR, de données plus précises sur ce point.

Debut de section - Permalien
Daniel Steinmetz, secrétaire général du Syndicat des travailleurs de la recherche scientifique (SNTRS - CGT)

Il ne faut pas schématiser le débat : personne n'a demandé la suppression du CIR, du moins pour les PME. Le problème se pose en réalité pour les grands groupes : ce dispositif est-il le meilleur moyen d'aider l'industrie ? Le Gouvernement a fixé un certain nombre d'objectifs nationaux en ce domaine ; pourquoi ne pas prélever une partie du CIR pour les soutenir, et se focaliser ainsi sur un nombre plus restreint de projets opérationnels ? Ce serait à mon avis bien plus efficace en termes d'utilisation de l'argent public.

S'agissant des comparaisons avec l'Allemagne, il faut nuancer. Rapporté au PIB, l'effort de R&D est respectivement de 1,44 % et 2 % dans notre pays et outre-Rhin. Mais si l'on raisonne en monnaie constante, l'OCDE indique, dans ses dernières parutions, qu'il y est en fait le double de celui de la France.

En ce qui concerne les docteurs, nous sommes confrontés à un problème lié aux écoles dans notre pays. Tous les grands dirigeants industriels qui les ont fréquentées mais ne sont pas eux-mêmes docteurs, n'en recrutent pas dans leurs effectifs et ne les intègrent pas dans leur stratégie.

Quant aux effets du CIR sur l'embauche de docteurs, ils sont limités. D'un côté, il a favorisé les déclarations d'embauche de docteurs fictives afin d'en bénéficier. De l'autre, le mécanisme prévoyant le doublement de son taux dans un tel cas a été très peu utilisé par les entreprises, de l'ordre de 1 300 sur les 20 000 touchant le CIR.

Enfin, sur les coopérations, je pense que celles associant le public au privé se passent globalement bien. Mais du fait du secret industriel, l'industrie ne sous-traite pas les activités de recherche réellement importantes. Autant je suis donc favorable à encourager les partenariats public-privé, autant je juge de façon négative la façon dont c'est favorisé.

Debut de section - PermalienPhoto de Francis Delattre

Pendant les Trente glorieuses, l'existence d'un Plan permettait de sélectionner les entreprises et axes de recherche privilégiés pour le mettre en oeuvre. Mais ce système n'existe plus, et l'industrie a beaucoup changé. Il existe cependant cinq ou six grands axes prioritaires (aéronautique, nucléaire, transports à grande vitesse ...) que nous devons toujours être capables de suivre, en tant que grande puissance industrielle. Le CNRS reste bien sûr une institution très utile pour y parvenir. Mais nous avons rendu visite au CEA Tech, à Grenoble, et nous voyons apparaître une sorte de grande bourse de brevets, qui peut avoir son utilité également.

Debut de section - Permalien
Patrick Monfort, secrétaire général du Syndicat national des chercheurs scientifiques (SNCS - FSU)

Nous avons tout de même un problème de fond, même si personne ne nie l'utilité du CIR pour financer la recherche des entreprises lorsqu'elle est probante. S'agissant des doctorants, il faut savoir que nous en perdons chaque année dans notre pays, mais compensons par l'accueil de doctorants étrangers. La reconnaissance du doctorat est un problème majeur à cet égard, aussi bien dans la recherche privée que publique ; elle réduit l'attractivité de nos universités. Il existe un contraste saisissant entre l'importance des montants consacrés au CIR et l'absence de progrès du recrutement scientifique, dans le secteur académique comme non académique. Nous n'avons pas assez de cadres formés au plus haut niveau, aptes à renforcer notre compétitivité, du fait de l'absence d'un système incitatif approprié. Le CIR ne représente de ce point de vue qu'une partie du problème.

Nous sommes tous au courant des pratiques d'entreprises détournant le CIR, c'est une réalité. Nous réclamons donc un vrai contrôle de ce dispositif, une réelle évaluation scientifique, à la fois collégiale, contradictoire et transparente. Peut-être s'apercevra-t-on qu'on y consacre trop d'argent, et qu'il faudrait le cibler.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Berson

Il faut relativiser : j'estime que le CIR a fait l'objet de nombreuses évaluations depuis une dizaine d'années. L'Assemblée nationale a publié un rapport sur le sujet récemment, et notre assemblée mène donc un travail du même type en ce moment. Peut-être faudrait-il en revanche faire « l'évaluation de ces évaluations », de façon scientifique, en recourant à des expertises économétriques.

S'agissant de la comparaison des efforts respectifs de recherche de la France et de l'Allemagne, il faut garder à l'esprit qu'ils sont les plus importants dans le secteur industriel. Or, nous avons connu deux vagues de désindustrialisation au cours des vingt dernières années, ce qui explique que le volume de R&D soit globalement moins élevé dans notre pays. L'effort y est cependant resté constant, voire a légèrement augmenté si l'on se réfère à son intensité relative au PIB, qui est passée de 1,34 % en 1997 à 1,44 % en 2012, alors que la croissance est demeurée faible.

L'emploi scientifique - je parle surtout de l'emploi des chercheurs - dans le secteur privé a quasiment doublé entre 1998 et 2012. Je ne dis pas pour autant qu'il n'y aura pas de problème en ce domaine aujourd'hui, et surtout dans les cinq ans à venir, du fait essentiellement de raisons démographiques. Le Gouvernement me paraît très sensible à cet aspect des choses.

Debut de section - PermalienPhoto de Brigitte Gonthier-Maurin

Nous avons très peu évoqué l'optimisation fiscale des aides à la R&D. Il aurait fallu également s'appesantir plus longuement sur l'intensification de la R&D comme preuve de l'efficacité du CIR, dans un contexte d'offre productive totalement bouleversé.

Debut de section - Permalien
Hervé Christofol, secrétaire général du Syndicat national de l'enseignement supérieur (SNESUP - FSU)

Pour encourager l'embauche de docteurs, l'aspect fiscal est certes important, mais il ne faut pas négliger la reconnaissance des compétences. Dans la loi ESR, cet aspect était pris en compte. Cette reconnaissance doit être prévue dans les conventions collectives, mais cela tarde à aboutir. L'administration pourrait l'anticiper, dans la haute fonction publique, dans différentes disciplines.

Debut de section - PermalienPhoto de Francis Delattre

C'est une remarque très juste, que nous ne manquerons pas de faire valoir. La première partie de cette après-midi se termine à présent ; je remercie tous ses participants d'avoir contribué à la qualité des débats.

Debut de section - PermalienPhoto de Francis Delattre

Nous recevons M. Olivier Sivieude, chef du service du contrôle fiscal de la direction générale des finances publiques. Vous connaissez les commissions d'enquête ; la nôtre porte sur un sujet fiscal - comme le dit le rapporteur de la commission des finances, le crédit d'impôt recherche (CIR) déchaîne toujours un peu les passions. Nous faisons le tour des acteurs concernés : entreprises, chercheurs et leurs syndicats. Le CIR est souvent présenté comme une niche fiscale lorsqu'il est utilisé par les grands groupes. Si nous pouvions nous assurer que son périmètre est parfaitement évalué et indiscutable, nous renforcerions la légitimité du dispositif. Nous voulons savoir ce que les services en pensent réellement. Notre pays a besoin de recherche et développement, mais il a aussi des problèmes budgétaires, d'où le besoin de transparence.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Olivier Sivieude prête serment.

Debut de section - Permalien
Olivier Sivieude, chef du service du contrôle fiscal de la direction générale des finances publiques

Je me concentrerai sur le contrôle fiscal. De ce point de vue, le CIR n'est pas un dispositif compliqué. Il repose sur la définition de la recherche éligible ; pour l'apprécier, nous avons besoin d'experts extérieurs, cas unique à ma connaissance dans le contrôle fiscal. Nous effectuons environ - je ne dispose pas encore des chiffres précis pour 2014 - 1 300 rappels par an ; je ne connais pas le nombre de contrôles ne donnant pas lieu à un rappel. Ce chiffre me semble correct, rapporté au nombre d'entreprises qui bénéficient du dispositif : 21 000. Le rappel peut remonter jusqu'à trois ans, au-delà desquels il y a prescription.

Debut de section - Permalien
Olivier Sivieude, chef du service du contrôle fiscal de la direction générale des finances publiques

Il est supérieur à 200 millions d'euros depuis deux ans. S'appliquant à 7 % des entreprises bénéficiaires, ce montant a beaucoup augmenté depuis 2008. Les critiques nous reprochent soit de trop contrôler, soit de ne pas suffisamment le faire, ou encore un dialogue insuffisant. J'ai le sentiment que nos contrôles orientés sur les enjeux sont organisés de manière rationnelle. Sur la base du protocole que nous avons signé en janvier 2014 avec le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche (MESR), chaque région fait remonter les demandes d'expertises, parmi lesquelles nous privilégions soit les forts montants, soit les indices d'une éventuelle fraude.

Les critiques sur l'insuffisance de dialogue, en revanche, ne sont pas totalement infondées. L'administration fiscale est tenue à un dialogue oral et contradictoire, sous peine de vicier la procédure si les points d'étape ne sont pas respectés ; or l'expertise est souvent construite en chambre, sans un dialogue que la loi ne rend pas obligatoire. Le protocole de janvier 2014 le recommande et il est de plus en plus pratiqué ; il donne même lieu parfois à une contrexpertise, voire à une interlocution avec d'autres spécialistes.

Le CIR serait-il particulièrement fraudogène ? C'est un dispositif simple. La première question est : cela est-il de la recherche ? La seconde : le montant déclaré est-il le bon ? L'essentiel des rappels tient à une erreur de l'entreprise dans sa réponse à la première question. Les cas frauduleux, avec parfois de fausses factures et aboutissant à une procédure pénale, restent marginaux. Il arrive qu'une partie seulement des sommes déclarées soient éligibles. La question des moyens consacrés n'est pas toujours facile à apprécier. Le nombre de personnes affectées compte tenu du projet est le plus souvent évalué par l'expert. Il existe aussi des cas de double-emploi entre donneur d'ordre et sous-traitant.

Un cas de fraude tient aux prix de transfert pratiqués entre une filiale installée en France et sa maison mère à l'étranger, lorsque la recherche est facturée nette du CIR - 30 %, ce n'est pas rien - et des subventions éventuelles, alors que le principe est de pratiquer un prix réel, comme si le client ne faisait pas partie du même groupe. Dans ce cas, le bénéfice part à l'étranger. Nous sommes enfin vigilants sur la base : aux salaires sont parfois ajoutés les versements transport ou des dépenses de formation professionnelle continue, et des subventions ne sont pas défalquées. La jurisprudence bien établie et une circulaire de la direction de la législation fiscale a récemment reprécisé ces points.

Nos pistes d'amélioration concernent d'abord l'information des entreprises, et en particulier des PME. Nous avons mis en ligne sur le site impots.gouv.fr une notice pédagogique signalant tous les points nécessitant de la vigilance. Avec ce document original, nous encourageons particulièrement les entreprises à tenir une documentation précise sur les prix de transfert éventuels, sur l'état de l'art et sur les éléments du projet qui en font un projet de recherche. Cela limiterait les cas d'erreurs et les rappels. Il est enfin possible de demander un rescrit sur les prix de transfert ; nous incitons les entreprises à y avoir recours.

Le contrôle pourrait aussi être amélioré : être mieux orienté, car, faute de ressources illimitées, nous ne pouvons pas contrôler tous azimuts. Il s'agit de cibler les risques, et pas seulement le montant. Nous avons maintenant les outils pour le faire, avec des grilles d'analyse des risques.

Nous améliorerons enfin le dialogue : les ministres ont annoncé qu'ils proposeraient au Parlement la mise en place d'une commission nationale sur le CIR, dont le nom définitif n'est pas encore arrêté, et qui serait chargée de donner un avis de fond sur la question de l'éligibilité de la recherche déclarée. Il y a une commission comparable sur les impôts directs et les taxes sur les chiffres d'affaires - dans un format national et départemental - mais qui n'aurait pas été compétente, au contraire d'une commission ad hoc où siègeront des spécialistes de la recherche. Cette commission pourrait être saisie en cas de désaccord à l'issue d'un contrôle fiscal, et donnera un avis qui n'engagera pas l'administration fiscale, mais qui comptera.

Debut de section - PermalienPhoto de Brigitte Gonthier-Maurin

Quels sont les motifs de rappel ? La Direction des vérifications nationales et internationales (DVNI) mentionne 90 millions d'euros de rappels dans son champ de compétence, ce qui implique des rappels pour les entreprises de moindre dimension à hauteur de 110 millions d'euros. Compte tenu de leur nombre, les enjeux unitaires sont a priori faibles et macroéconomiquement limités mais ils peuvent être très significatifs pour chaque entreprise : il y aurait une forme d'asymétrie avec une dispersion dans les performances du contrôle fiscal déséquilibrées et penchant vers les petits dossiers. Comment ciblez-vous ? Quels sont les critères de votre grille de risque ? Comment contrôlez-vous les sous-traitants installés à l'étranger ? Quel est le taux de marge exigé par l'administration fiscale pour les prix de transfert pratiqués pour les activités de recherche? Pouvez-vous nous dire quelques mots sur les contentieux ? Quelles préconisations suggérez-vous ? La commission dont vous nous parlez et qui devrait avoir à traiter beaucoup de dossiers aura-t-elle des déclinaisons régionales ?

Debut de section - Permalien
Olivier Sivieude, chef du service du contrôle fiscal de la direction générale des finances publiques

Nous n'avons pas au niveau national de typologie précise des rappels.

Debut de section - Permalien
Olivier Sivieude, chef du service du contrôle fiscal de la direction générale des finances publiques

Nous ne comptabilisons pas les rappels par type. Mais je peux vous dire que la majeure partie tient à l'éligibilité de la recherche. Les premières vérifications portent sur l'existence d'une documentation ; en son absence, c'est dans la majorité des cas l'expert du MESR qui examine le projet...

Debut de section - Permalien
Olivier Sivieude, chef du service du contrôle fiscal de la direction générale des finances publiques

Oui. Avant le protocole de janvier 2014, le contrôle par l'expert du MESR et le contrôle fiscal n'étaient pas simultanés. Aujourd'hui, nous anticipons pour coordonner les deux. Puis le contrôle de la DGFIP porte sur les moyens déclarés.

Notre grille d'analyse porte sur les demandes de remboursement et sur le repérage. Bien des critères peuvent être croisés. La DVNI a des critères simples : un secteur sensible ; un montant exceptionnellement élevé une année ; l'arrivée d'officines spécialisées que nous connaissons bien ; la présence ou non de subventions publiques - en leur absence, il est peu probable qu'il s'agisse d'un projet de recherche éligible ; l'obtention de brevets. Les critères font l'objet d'une cotation, surtout pour les grandes entreprises.

Si nous avons un doute sur la facturation d'une recherche par un sous-traitant étranger, nous avons recours à l'assistance internationale, qui s'est considérablement améliorée, et qui nous renseigne sur l'activité réelle d'une entreprise. J'ai en tête un cas précis.

Debut de section - Permalien
Olivier Sivieude, chef du service du contrôle fiscal de la direction générale des finances publiques

Je n'en ai qu'un seul en tête, qui a fait l'objet d'une plainte pour fraude fiscale.

Il n'y a pas à ma connaissance beaucoup de contentieux sur l'éligibilité de la recherche, ce qui laisse penser que le dialogue n'est pas si mauvais que cela. Les décisions des tribunaux ont réglé les questions des versements transport et des cotisations, mais sur le fond, ils doivent eux-mêmes faire appel à des experts. Nous privilégions une commission nationale sans commissions départementales car nous faisons le pari que notre attention au dialogue pendant le contrôle fiscal réduira le nombre de saisines.

Debut de section - PermalienPhoto de Francis Delattre

À Grenoble, des contrôleurs nous ont dit être solidement encadrés par le niveau régional, qui semble connaître très bien les entreprises locales. C'était très intéressant. Toutes les régions fonctionnent-elles ainsi ?

Debut de section - PermalienPhoto de Brigitte Gonthier-Maurin

Ils nous ont aussi parlé de la faiblesse de leurs moyens : 0,7 équivalent temps-plein en charge du CIR à la DRRT pour la région Rhône-Alpes, pour 33 expertises seulement en Isère, qui est pourtant un département non négligeable du point de vue de la recherche en entreprise.

Debut de section - PermalienPhoto de Francis Delattre

Ils semblaient faire face sans problème grâce à leur connaissance du terrain...

Debut de section - Permalien
Olivier Sivieude, chef du service du contrôle fiscal de la direction générale des finances publiques

Nous avons des directions interrégionales de contrôle fiscal (DIRCOFI), dont chacune comporte un interlocuteur spécifique pour le CIR. Celui-ci interroge les différentes directions régionales du MESR sur leur capacité d'expertise et en informe toutes les directions de l'interrégion, qui font remonter les propositions de contrôle. Il les valide et attribue à chacune un nombre d'experts. Certaines interrégions considèrent que l'offre en experts est suffisante ; mais je ne garantis pas que certaines autres n'ont pas de besoins insatisfaits.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Berson

J'aimerais avoir votre opinion personnelle sur deux questions. L'optimisation dans les grands groupes par la filialisation, de manière à ce que leurs dépenses de recherche et développement ne dépassent pas 100 millions d'euros, est-elle fréquente ? Y a-t-il des branches qui y seraient plus enclines et cela a-t-il donné lieu à des redressements importants ?

Il semble difficile de contrôler les dépenses de recherche et développement sous-traitées, et notamment si elles respectent bien la territorialité et la transparence entre sous-traitant et donneur d'ordre pour que le CIR ne profite pas aux deux. Ne pourrait-on pas simplifier en supprimant les plafonds et les agréments ? Cela augmenterait certes la dépense fiscale, mais de manière supportable. D'autres questions se poseraient-elles ? Avez-vous évalué le coût d'une telle mesure ?

Debut de section - Permalien
Olivier Sivieude, chef du service du contrôle fiscal de la direction générale des finances publiques

Je crains de vous décevoir. J'ai bien entendu parler de filialisation au sein de grands groupes ; j'ai posé la question à la DVNI, qui a cherché s'il y avait dans plusieurs entreprises d'un groupe 100 millions d'euros de CIR, et n'a finalement pas observé ce phénomène. Sur la sous-traitance, je n'ai pas tous les éléments, et notamment pas le coût d'une telle mesure. Si nous partons du principe que c'est celui qui fait la recherche qui déduit, nous pouvons espérer qu'il y ait moins de doublons. Il ne faut cependant pas oublier un inconvénient : il devient plus difficile, avec une vision partielle, d'apprécier s'il s'agit de recherche qu'avec la cohérence qu'assure l'examen chez le donneur d'ordre.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Berson

Cela aurait des conséquences considérables sur les PME, qui forment l'essentiel des sous-traitants.

Debut de section - Permalien
Olivier Sivieude, chef du service du contrôle fiscal de la direction générale des finances publiques

Lorsque le sous-traitant n'est pas agréé, le CIR est apprécié à son niveau : suivre votre suggestion ne changerait rien pour lui. En revanche, le contrôle est tout de même plus facile lorsque nous examinons celui qui gère l'ensemble du projet.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Chiron

Imaginons une entreprise bénéficiant du CIR, qui dépose son brevet à l'étranger : nous aurons payé ce brevet. Cela arrive-t-il, est-ce une infraction, et comment le restreindre ?

Debut de section - PermalienPhoto de Francis Delattre

Ce problème nous a été signalé à plusieurs reprises.

Debut de section - PermalienPhoto de Brigitte Gonthier-Maurin

L'exploitation du brevet peut être confiée à une entité située hors de France.

Debut de section - Permalien
Olivier Sivieude, chef du service du contrôle fiscal de la direction générale des finances publiques

Je ne sais pas si la réglementation sur les brevets l'autorise mais celle qui régit le CIR ne l'interdit pas. Cela suppose toutefois une relation entre les deux sociétés.

Debut de section - Permalien
Olivier Sivieude, chef du service du contrôle fiscal de la direction générale des finances publiques

Cela suppose que celle-ci achète le brevet.

Debut de section - Permalien
Olivier Sivieude, chef du service du contrôle fiscal de la direction générale des finances publiques

Pour déposer un brevet, il faut être titulaire d'une recherche...

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Chiron

Dans le domaine médical, des sociétés américaines touchent des royalties pour une recherche effectuée en France parce que le brevet n'avait pas été déposé.

Debut de section - Permalien
Olivier Sivieude, chef du service du contrôle fiscal de la direction générale des finances publiques

Une marque peut être déposée dans un pays et exploitée dans un autre. Pour cela, la société ayant généré la marque doit être indemnisée. En matière de recherche, celui qui acquiert le brevet doit en verser le prix.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Chiron

Le brevet peut être déposé dans un autre pays.

Debut de section - PermalienPhoto de Brigitte Gonthier-Maurin

Pour dissiper une éventuelle confusion, il est clair qu'un brevet sanctionne une recherche et peut être enregistré comme moyen de consolider des droits partout où cela est utile. Mais il peut être exploité par des entités immatriculées dans plusieurs pays. Nous ne parlons pas nécessairement de cas où la société en perd la propriété intellectuelle mais, par exemple, de ceux où la redevance peut être payée à une entité située dans un paradis fiscal.

Debut de section - PermalienPhoto de Francis Delattre

Il arrive tous les jours que l'on vende des brevets produits avec le CIR.

Debut de section - Permalien
Olivier Sivieude, chef du service du contrôle fiscal de la direction générale des finances publiques

Pour autant, la redevance n'est pas déductible. L'article 238 A du code général des impôts prévoit que celle-ci peut être remise en cause si l'on ne justifie pas que le brevet a bien été établi dans le pays en question et surtout qu'il ne s'agit pas d'un montage à finalité exclusivement fiscale - en particulier lorsqu'il s'agit d'États ou de territoires non coopératifs.

Debut de section - PermalienPhoto de Francis Delattre

La commission des finances s'intéresse à ces sujets. Certainement, les biens intellectuels et le numérique sont les deux prochains foyers principaux d'évasion fiscale.

Debut de section - PermalienPhoto de Brigitte Gonthier-Maurin

Comment les prix de transferts sont-ils calculés et contrôlés ? Comment la marge bénéficiaire est-elle fixée ?

Debut de section - Permalien
Olivier Sivieude, chef du service du contrôle fiscal de la direction générale des finances publiques

L'article 57 du code général des impôts précise que le prix doit être celui qui serait pratiqué vis-à-vis d'un tiers.

Debut de section - Permalien
Olivier Sivieude, chef du service du contrôle fiscal de la direction générale des finances publiques

Il est rare qu'il n'y en ait pas de comparable. On procède alors à un calcul, prenant en compte les dépenses réalisées, plus une marge.

Debut de section - Permalien
Olivier Sivieude, chef du service du contrôle fiscal de la direction générale des finances publiques

Je l'ignore.

Debut de section - PermalienPhoto de Francis Delattre

Nous avons déposé des amendements à la loi de finances il y a deux ans afin de mieux encadrer les relations entre entreprises mères et filiales.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Chiron

Les PME craignent que demander un CIR ne leur vaille un contrôle fiscal. Sur les 1 300 rappels que vous avez évoqués, combien les concernent ? Elles déplorent aussi la complexité du dossier à remplir.

Debut de section - Permalien
Olivier Sivieude, chef du service du contrôle fiscal de la direction générale des finances publiques

Il y a davantage de contrôles que de rappels. J'ignore leur répartition, je suppose qu'elle est aussi de 80%-20%. La recommandation générale que nous avons donnée à nos services est de ne pas déclencher un contrôle avec pour seul motif le CIR - sauf cas de fraude manifeste, bien sûr.

Nous avions recommandé aux entreprises de monter systématiquement des dossiers sur les prix de transferts, pour éviter erreurs et incompréhension. Malgré leur réticence initiale, cela s'est révélé très pédagogique et leur évite bien des déboires. De même, établir la documentation requise sur le CIR ne peut qu'aider les entreprises. Notre site internet propose d'ailleurs une documentation unifiée.

Debut de section - PermalienPhoto de Francis Delattre

Nous recevons M. Jean-François Minster, directeur scientifique de Total. Notre commission d'enquête se penche sur le CIR, dont vous êtes l'un des bénéficiaires. Total a dépensé un milliard d'euros pour sa recherche scientifique en 2013...

Cette commission d'enquête ayant été créée à la demande du groupe CRC, la rapporteure appartient à ce groupe. Elle est composée à la proportionnelle des groupes du Sénat. Nous estimons, tous groupes confondus, que le CIR est une dépense importante, qui mérite examen. Cela ne signifie pas que la majorité de la commission remette en cause son principe - nous savons combien les entreprises ont besoin de lisibilité. Il s'agit plutôt d'améliorer le dispositif, en réponse aux critiques dont il fait l'objet. Votre entreprise est la plus grosse du CAC 40...

Debut de section - Permalien
Jean-François Minster

C'est la deuxième.

Debut de section - PermalienPhoto de Francis Delattre

Les quelques millions d'euros que vous apporte le CIR vous sont-ils utiles ? Que pensez-vous de ce dispositif ?

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Jean-François Minster prête serment.

Debut de section - Permalien
Jean-François Minster, directeur scientifique de Total

Total, qui emploie quelque cent mille personnes dans 130 pays et qui compte 903 filiales, a réalisé un chiffre d'affaires de 194 milliards d'euros en 2014. Sa dépense de recherche a dépassé un milliard d'euros pour la première fois cette même année, pour un effectif de 4 830 personnes, réparties entre 22 centres de recherche dans le monde.

Notre première thématique de recherche porte sur le coeur de métier : l'exploitation des hydrocarbures les plus difficilement accessibles, les autres étant généralement réservées aux compagnies nationales. Puis, comme Total est le premier raffineur européen, l'amélioration de la fiabilité et du rendement de cette activité, la réduction de son niveau d'émissions, afin de dégager une marge après trois exercices où ces activités de raffinage ont été déficitaires. Nous préparons aussi le futur énergétique : Sunpower, dont Total détient 60 % et qui est installé aux États-Unis, est le deuxième acteur mondial dans son domaine et consacre 7 % de son chiffre d'affaires à la recherche, et nous avons créé l'Institut photovoltaïque d'Ile-de-France, dont le siège est à Saclay. Les autres thématiques sont transversales : la plupart de nos projets industriels comportent une part de recherche environnementale destinée à limiter notre impact sur la qualité de l'eau, de l'air, des sols ou sur la biodiversité et à limiter nos émissions de gaz à effet de serre. Enfin, nous nous efforçons d'introduire les nouvelles technologies dans nos activités : nanotechnologies, biotechnologies, calcul à haute performance, nouvelles techniques analytiques, sciences des matériaux peuvent améliorer considérablement nos performances. Ainsi, nous allons multiplier la puissance de notre calculateur de Pau, ce qui en fera le dixième plus grand au monde.

Depuis mon arrivée chez Total en 2006, le budget de la recherche y a augmenté de 7 % par an. Il continuera à croître d'environ 3,5 % chaque année, parce que la recherche est une brique importante pour l'avenir, notamment pour adapter le groupe au nouveau mix énergétique requis par la défense de l'environnement. Cette activité dynamique est répartie entre 22 centres dans le monde, dont les principaux sont les sept situés en France, à Pau, Gonfreville-l'Orcher, Montargis, Saclay, Solaize, Compiègne - mais nous avons vendu ce centre en 2014 - et Lacq. Nos centres européens sont plus petits. Atotech, qui appartient entièrement à Total, développe à Berlin ses recherches sur la méthanisation en microélectronique. Les centres situés en Ecosse, en Belgique, ou encore aux États-Unis, en Asie et au Moyen-Orient n'emploient en général qu'une dizaine de personnes.

Notre recherche est gérée de manière décentralisée, puisque ses branches n'ont guère de rapport entre elles. La géophysique et la chimie de formulation n'ont rien à voir. La première développe, grâce à des partenariats et en mobilisant des compétences, des technologies qui sont ensuite utilisées par d'autres compagnies sur nos plateformes et nos sites. Pour la seconde, l'objectif est de créer des produits qui puissent atteindre le marché et dégager une marge : l'horizon de mise sur le marché de l'excellium est de quelques années, contre quinze ans environ pour une plateforme pétrolière.

Chaque branche est placée sous la responsabilité d'un directeur de recherches, qui gère le programme, les effectifs et les équipements, traite les questions de propriété intellectuelle et l'administration des sites. Pour maximiser la synergie entre les branches, ma direction conseille les membres du comité exécutif, coordonne les branches entre elles et met leurs résultats au service du groupe, initie des partenariats avec la recherche publique et lance des recherches sur les technologies les plus avancées.

Notre budget vient de dépasser le milliard d'euros ; 53 % sont dépensés en France. C'est là que sont nos centres, nos compétences, nos outils. C'est là aussi que nous réalisons nos pilotes ou nos tests. Nous avons une culture d'entreprise française : nos chercheurs sont majoritairement français et 60 % de nos partenariats sont conclus avec des institutions publiques françaises, dont les laboratoires sont d'excellent niveau.

Le CIR est généré par les sociétés qui mènent notre recherche. Chacune remplit une déclaration, et celles-ci sont consolidées par le groupe, et le CIR redistribué. En 2013, le groupe Total a touché 71 millions d'euros de CIR.

Debut de section - Permalien
Jean-François Minster, directeur scientifique de Total

Pour l'année 2013. Il nous importe beaucoup que les PME avec lesquelles nous travaillons soient innovantes, car le marché est mondial et les technologies évoluent rapidement. Aider ces structures à élaborer des produits pour atteindre le marché importe au gros client de PME que nous sommes.

L'objectif du CIR est aussi que la recherche s'effectue en France. Total fait de la recherche en fonction de ses besoins, là où nous disposons de compétences, d'outils et de partenaires. Le CIR n'entre en ligne de compte qu'ensuite dans la mesure où il fait baisser le coût par rapport à d'autres pays. Il n'est pas un élément suffisant pour déclencher un projet de recherche ou pour déterminer sa localisation. En revanche, nous ne pouvons pas travailler sans un écosystème d'équipementiers, de PME avancées, de start-up. Par conséquent, le soutien du CIR aux partenariats est déterminant : par construction, nous n'avons jamais les compétences nécessaires sur les technologies les plus avancées. Notre travail, qui consiste à les transformer en innovations industrielles, requiert de multiples partenariats avec la recherche académique. Le CIR doit les favoriser. Or les niveaux de seuils ne sont pas assez élevés. Je vous suggère de vous pencher sur ce problème.

Debut de section - PermalienPhoto de Brigitte Gonthier-Maurin

Quelle a été l'évolution de l'emploi dans vos centres de recherche ? Le CIR l'a-t-il influencée ? Quelle est la part des dépenses de personnel dans l'assiette du CIR ? Quel impact celui-ci a-t-il sur le taux d'imposition de votre société en France ? Comment vos dépenses de R et D ont-elles évolué par rapport à vos dividendes ? Quelle est la part de la R et D effectuée en France dans le chiffre d'affaire de Total ? Comment ses coûts sont-ils facturés à ses filiales étrangères ?

Debut de section - Permalien
Jean-François Minster, directeur scientifique de Total

Je ne suis pas spécialiste de fiscalité.

Les effectifs de recherche-développement sont passés de 4 000 en 2008 à 4 800. Cette augmentation, parallèle à celle du budget de notre recherche, s'est ressentie essentiellement dans la branche consacrée à l'exploration et à la production - à Pau, nous sommes passés de 2 500 à 2 800 personnes - et à travers la création du centre de recherche photovoltaïque, où Total emploie déjà une vingtaine de personnes et qui en comportera 150 grâce à des partenariats, dans une logique d'innovation ouverte.

Nous avons répondu au questionnaire que vous nous aviez adressé. Je rappellerai simplement que les salaires comptent pour 55 % des dépenses que nous déclarons en France comme éligibles au CIR. Au CNRS, la masse salariale représente plus de 75 % des dépenses, mais Total utilise de gros équipements très onéreux et réalise des pilotes. Le pilote de captage-stockage du gaz carbonique à Lacq a ainsi coûté 60 millions d'euros. Celui pour Beautiful à Dunkerque coûtera 180 millions d'euros, dont 45 millions pour nous.

Debut de section - PermalienPhoto de Brigitte Gonthier-Maurin

Je comprends que 47 % de vos dépenses de recherche sont effectuées hors de France. Est-ce dans des pays où les chercheurs coûtent plus cher ? Comment prenez-vous les décisions en la matière ?

Debut de section - Permalien
Jean-François Minster, directeur scientifique de Total

Le coût est pris en considération, bien sûr. Le CIR diminue d'environ 12 % le coût horaire de nos chercheurs en France, ce qui le ramène à peu près à la moyenne européenne. L'Association nationale de la recherche et de la technologie (ANRT) a fait le même constat. Cela dit, nous ne faisons pas de recherche à Singapour, alors que l'État y prendrait en charge la moitié des coûts.

Debut de section - PermalienPhoto de Francis Delattre

Le chercheur qui ne trouve pas n'a pas un sort heureux...

Debut de section - Permalien
Jean-François Minster, directeur scientifique de Total

Certes.

Debut de section - PermalienPhoto de Francis Delattre

Le CIR ne rend-il pas nos chercheurs moins chers qu'ailleurs ?

Debut de section - Permalien
Jean-François Minster, directeur scientifique de Total

Non, il nous met dans la moyenne : je le constate en Allemagne, en Écosse, en Norvège, en Belgique... Voyez le rapport de l'ANRT.

Debut de section - Permalien
Jean-François Minster, directeur scientifique de Total

En effet. Même entre branches, les salaires varient.

Debut de section - Permalien
Jean-François Minster, directeur scientifique de Total

Je l'ignore, car la plupart sont employés par les laboratoires avec lesquels nous travaillons. Il est vrai que nous avons aussi une cinquantaine de conventions industrielles de formation par la recherche (CIFRE)...

Debut de section - Permalien
Jean-François Minster, directeur scientifique de Total

Pour deux cent doctorants environ, nous avons une trentaine de CIFRE.

Debut de section - Permalien
Jean-François Minster, directeur scientifique de Total

Oui, c'est même le principal en nombre de projets. En tout, les dépenses éligibles de recherche effectuées à l'extérieur du groupe représentent 26 millions d'euros. Mais nous ne déclarons pas tout...

Debut de section - Permalien
Jean-François Minster, directeur scientifique de Total

J'estime que nous dépensons chaque année environ 100 millions d'euros en recherche partenariale, dont l'essentiel est réalisé avec le CNRS.

Debut de section - PermalienPhoto de Francis Delattre

J'en suis heureux. Vous connaissez l'opposition, dans notre pays, entre recherche en entreprise et recherche publique...

Debut de section - Permalien
Jean-François Minster, directeur scientifique de Total

Je viens de la recherche publique : j'ai dirigé l'Ifremer avant de devenir directeur scientifique général du CNRS. Assurément, nous avons besoin de partenaires publics. En France, la recherche publique est de très bonne qualité, en particulier sur certains sujets pointus essentiels pour nous. Je vous ai donné la liste des partenaires principaux de notre groupe.

Debut de section - PermalienPhoto de Brigitte Gonthier-Maurin

Comment les coûts de la recherche-développement effectuée en France sont-ils facturés aux filiales étrangères du groupe ?

Debut de section - Permalien
Jean-François Minster, directeur scientifique de Total

Celles-ci payent des redevances à Total SA, dont la recherche est considérée comme un service général. Nous n'avons pas de refacturation. Nos coûts de transfert sont publics et ils sont régulièrement contrôlés : ce sont ceux du marché.

Debut de section - Permalien
Jean-François Minster, directeur scientifique de Total

Depuis 1995, il nous a contrôlés tous les ans. À chaque fois, les coûts de transfert ont été vérifiés. Nous avons eu un contrôle consacré spécifiquement au CIR, avec une évaluation de notre recherche. En tout, nous n'avons jamais eu qu'un redressement de 1,5 % sur le CIR.

Debut de section - PermalienPhoto de Brigitte Gonthier-Maurin

Quel est le montant facturé à vos filiales étrangères pour les coûts de recherche ?

Debut de section - Permalien
Jean-François Minster, directeur scientifique de Total

Il est difficile pour un groupe de notre taille de fournir ces données en si peu de temps.

Debut de section - PermalienPhoto de Francis Delattre

La proportion de 53 % me rassure... Mais j'aurais aimé qu'elle soit plus liée à la qualité de la recherche de notre pays qu'à des raisons fiscales.

Debut de section - Permalien
Jean-François Minster, directeur scientifique de Total

C'est le cas ! Tous les pays cherchent à développer leur recherche. Au Brésil, par exemple, il est obligatoire de consacrer au moins 1 % de son chiffre d'affaires à de la recherche effectuée dans le pays.

Debut de section - PermalienPhoto de Brigitte Gonthier-Maurin

Quel est le montant des revenus tirés de l'exploitation des brevets ?

Debut de section - Permalien
Jean-François Minster, directeur scientifique de Total

Cela ne fait partie ni de notre modèle économique ni de notre culture. Nous avons un portefeuille d'environ 8 000 brevets, et nous en déposons à peu près 300 chaque année, mais pour nos propres besoins. Nous ne donnons donc pas de licence, sauf à l'occasion d'échanges avec des partenaires. Ceux-ci nous versent alors une redevance. Au total, nous touchons ainsi environ 1,8 million d'euros par an.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Vaspart

Quelle rôle le CIR a-t-il joué dans vos décisions d'implanter des centres de recherche en France ? S'il n'existait pas, vos effectifs auraient-ils augmenté de 20 % depuis 2008 ?

Debut de section - Permalien
Jean-François Minster, directeur scientifique de Total

La décision de lancer la recherche et le choix du site pour la mener sont d'abord déterminés par nos enjeux industriels et par la disponibilité de compétences et d'outils. Le CIR est un critère secondaire pour nous. Pour le partenariat, il est beaucoup plus important, car il est essentiel à de nombreuses PME. Le CIR est important pour nous de manière indirecte.

Debut de section - Permalien
Jean-François Minster, directeur scientifique de Total

Par exemple, pour élaborer des lubrifiants, nous avons besoin de travailler avec les constructeurs automobiles qui, symétriquement, ne peuvent développer de nouveaux moteurs sans travailler avec nous. L'essentiel de nos partenariats de recherche avec l'industrie automobile sont avec Peugeot et Renault.

Debut de section - PermalienPhoto de Francis Delattre

Quand donc fabriquerez-vous un revêtement drainant pour les routes qui soit abordable - et sans amiante ?

Debut de section - Permalien
Jean-François Minster, directeur scientifique de Total

La technique existe. Mais le choix du bitume n'est pas de notre ressort !

Debut de section - PermalienPhoto de Francis Delattre

Un groupe d'études existe ici sur la question. On a découvert de l'amiante dans certaines routes réalisées il y a une dizaine d'années.

Debut de section - Permalien
Jean-François Minster, directeur scientifique de Total

Je l'ignorais. Nous mettons dans le bitume des polymères, non de l'amiante.

Debut de section - PermalienPhoto de Francis Delattre

Chaque maire est confronté à ce problème, qui se traduit par un renchérissement de moitié des devis...

Debut de section - Permalien
Jean-François Minster, directeur scientifique de Total

La recherche industrielle cherche toujours à développer des produits en baissant les coûts. Savoir si la baisse des coûts est incluse dans la recherche constitue un indicateur très intéressant.

Debut de section - PermalienPhoto de Francis Delattre

Travaillez-vous sur les moteurs à basse consommation ?

Debut de section - Permalien
Jean-François Minster, directeur scientifique de Total

Oui. La 208 FE présentée il y a deux ans par Peugeot est le résultat d'un partenariat avec nous. Nous y avons apporté des matières pour améliorer l'aérologie, des lubrifiants pour la motorisation, des élastomères plus légers pour les joints, les sièges, et les structures, des dalles composites remplaçant la suspension. Contrairement à d'autres modèles, elle consomme vraiment deux litres aux cent kilomètres. Je veux répéter qu'un critère de bonne recherche industrielle doit être toujours présent à l'esprit, c'est de savoir si la recherche trouvera son marché.