Nous devons procéder à la désignation d'un vice-président, en remplacement de M. Alain Richard, démissionnaire.
M. Thani Mohamed Soilihi est désigné vice-président.
La commission désigne M. Stéphane Le Rudulier rapporteur sur la proposition de loi n° 46 (2022 2023) sur le déroulement des élections sénatoriales, présentée par M. François-Noël Buffet.
La commission désigne Mme Muriel Jourda rapporteur sur la proposition n° 870 rect. (2021 2022) tendant à la création de délégations parlementaires aux droits de l'enfant, présentée par M. Xavier Iacovelli et plusieurs de ses collègues.
La commission désigne M. Didier Marie rapporteur pour avis sur le projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne dans les domaines de l'économie, de la santé, du travail, des transports et de l'agriculture, (sous réserve de son dépôt).
Nous examinons le rapport de Mme Catherine Di Folco sur la proposition de loi visant à permettre aux différentes associations d'élus de se constituer partie civile pour soutenir pleinement, au pénal, un édile victime d'agression.
La proposition de loi visant à permettre aux différentes associations d'élus de se constituer partie civile pour soutenir pleinement, au pénal, un édile victime d'agression, dont la présidente Nathalie Delattre est première signataire, a été inscrite par le groupe du RDSE dans sa niche parlementaire. Elle est cosignée par nos collègues issus de plusieurs groupes et bénéficie d'un large soutien ; nous aurons l'occasion de l'examiner en séance publique la semaine prochaine.
Elle tend à permettre à trois associations nationales représentant les trois niveaux de collectivités territoriales, l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité (AMF), l'Assemblée des départements de France (ADF) et Régions de France, de se porter civile en cas d'agression d'un élu. Elle élargit également le champ des infractions pour lesquelles il sera possible à ces associations de se porter partie civile notamment celles qui sont subies par la famille d'un élu du fait de son mandat.
Cette proposition de loi s'inscrit dans la continuité des travaux menés par le Sénat depuis déjà de nombreuses années. Je rappelle à cet égard les travaux réalisés par la commission des lois qui avaient conduit aux préconisations de son plan d'action pour une plus grande sécurité des maires en octobre 2019. Le texte qui nous est soumis répond également à une demande de l'AMF et rejoint les engagements pris par le Gouvernement en matière de protection des élus, notamment lors de la première version de la loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur (Lopmi).
Permettez-moi de vous rappeler la portée exacte du dispositif qui nous est soumis avant d'envisager les compléments que nous sommes susceptibles de lui apporter. J'indique en préambule que, s'agissant d'une proposition de loi inscrite dans un ordre du jour réservé, nous ne pouvons lui apporter en commission que les modifications acceptées par son auteur. Je vous informe également que nous sommes dans l'attente d'une proposition d'amendement du Gouvernement qui devrait arriver d'ici à la séance publique et dont le périmètre exact n'est pas encore très clair.
Il est important de rappeler brièvement l'objet de l'article 2-19 du code de procédure pénale que la proposition de loi entend modifier. Il s'agit à l'origine d'une initiative sénatoriale portée par nos anciens collègues Dinah Derycke et Michel Charasse en 1999. Son objet était de permettre aux associations départementales de maires de se porter partie civile en cas d'agression d'un élu. La plupart de ces associations interviennent en effet en appui financier des maires, que ce soit pour payer les frais d'avocat ou les frais de justice, notamment la consignation au moment de la constitution de partie civile. Il était donc cohérent que ces associations puissent obtenir compensation en justice.
Il me semble important de relever que la rédaction de l'article 2-19 vise « les instances introduites » par les élus. Seules sont concernées les affaires qui arrivent devant une juridiction. La constitution de partie civile dans le cadre de l'article précité ne peut forcer à l'engagement de poursuites ou à l'instruction.
L'AMF a, depuis vingt ans et tout particulièrement ces dernières années, développé son soutien aux élus victimes. Elle se substitue aux associations départementales lorsque cela est nécessaire et a mis en place deux dispositifs au cours des dernières années au travers de son Observatoire des agressions envers les élus. Le premier concerne l'accompagnement des élus dès la survenance des faits, confié à un officier mis à disposition par la gendarmerie nationale. Le second a trait à la signature d'une convention avec l'association France Victimes afin de proposer une écoute et éventuellement un soutien psychologique aux élus, mais aussi à leur famille. L'inclusion de l'AMF apparaît donc cohérente avec la possibilité déjà ouverte pour les associations départementales de maires qui lui sont affiliées. À notre connaissance, aucune autre association n'a mis en place un tel dispositif, à la fois adapté et discret.
La volonté de la présidente Delattre d'inclure, avec leur accord, l'ADF et Régions de France dans ce dispositif découle plus du souhait d'offrir un soutien aux élus départementaux et régionaux et ainsi d'étendre à l'ensemble des élus locaux la faculté qui existe pour les maires.
Dans le prolongement de cette logique, je vous proposerai un amendement de précision visant les élus des collectivités à statut particulier, Saint-Barthélemy, Saint-Martin, la Guyane et la Martinique, ainsi que l'Assemblée de Corse. Ces collectivités sont membres ou associées de Régions de France.
La présidente Delattre m'a fait part de son accord d'inclure la possibilité pour les assemblées parlementaires, s'agissant des sénateurs et députés, et pour les collectivités territoriales dont un membre a été agressé de se porter partie civile, ainsi que le prévoit l'amendement de Stéphane Le Rudulier et plusieurs collègues. Elle ne souhaite cependant pas élargir à toutes les associations d'élus la faculté qui serait ouverte à l'AMF, à l'ADF et à Régions de France.
Par ailleurs, si l'amendement du Gouvernement est déposé, la rédaction proposée pour l'article 2-19 pourrait évoluer, ce qui nous conduira à en débattre de nouveau, notamment pour procéder à des harmonisations rédactionnelles.
Malgré quelques débats, ce texte, dont la portée est circonscrite, fait l'objet d'un large soutien, et je suis sûre que nous pourrons parvenir à un consensus, y compris avec le Gouvernement, qui semble disposé à l'inscrire à l'ordre du jour des travaux de l'Assemblée nationale.
Je tiens à rappeler que nous avons été contraints de refuser voilà une quinzaine de jours, pour des raisons liées au périmètre de l'article 45, un amendement présenté par Nathalie Delattre en ce sens. Nous avions alors indiqué en séance que nous soutenions sa démarche. C'est pourquoi il convient de bien circonscrire cette proposition de loi et de veiller à la sécuriser sur le plan juridique. Je déplore que le Gouvernement ne nous permette pas de débattre dans de bonnes conditions alors que ce sujet est en discussion depuis déjà plusieurs semaines ; nous devrons reprendre nos discussions si l'amendement est déposé.
Cette proposition de loi est intéressante. Il faut rappeler que, historiquement, l'AMF demandait l'élargissement de son champ de compétences. Il est possible d'accompagner cette démarche, ce combat juste pour la défense des élus agressés, en y associant l'ADF et Régions de France. Néanmoins, il ne faudrait pas aboutir à une loi bavarde et superfétatoire. Je ne sais pas si ce texte va prospérer. Faisons notre travail au mieux, mais, surtout, ne créons pas de conflits entre l'AMF et d'autres associations d'élus.
Nous avons déposé un amendement visant à étendre la portée de ce texte, j'espère que celui-ci n'aura pas pour effet d'entraîner une surenchère de la part des différentes associations d'élus. J'espère que nous n'ouvrons pas la boîte de Pandore. Sur le fond, nous voterons ce texte.
Nous remercions Nathalie Delattre d'avoir déposé cette proposition de loi, qui nous permettra d'affirmer notre soutien aux élus, aux maires notamment victimes d'agressions verbales, physiques et psychologiques. Avec l'adoption de cette proposition de loi, nous permettrons aux différentes associations nationales d'élus de se constituer partie civile pour accompagner nos élus au pénal. De plus, nous élargirons la liste des infractions en y incluant les dégradations de biens pour les élus et l'infraction d'exposition délibérée à un risque grave par révélation d'informations privées. Un maire de mon département a vu récemment son véhicule incendié. Nous enverrons donc un message fort envers les maires de France.
Je salue également les propositions de notre rapporteur visant à appliquer cette proposition de loi aux élus territoriaux de Corse et d'outre-mer. Je tiens également à saluer l'amendement proposé par notre collègue Françoise Gatel lors de l'examen de la Lopmi, puis aujourd'hui par Stéphane Le Rudulier et plusieurs membres de notre groupe : il offre la possibilité à une collectivité territoriale ou une assemblée de se porter partie civile lorsque l'un de ses membres investit un mandat électif public. Notre groupe votera donc en faveur de cette proposition de loi, à quelques exceptions près.
Cette proposition de loi répond à une réelle attente, néanmoins celle-ci doit s'en tenir à son objet concret, à savoir apporter un soutien juridique et moral aux élus qui en ont besoin. Quid du périmètre de l'article 45 ?
Il s'agit bien de soutenir un élu. Mais qui qualifions-nous pour apporter cet appui ? Soit nous désignons dans le code de procédure pénale, ce qui n'est pas ordinaire, une association de droit privé dénommée, en l'occurrence l'AMF, soit nous inscrivons une caractérisation de la vocation, voire de l'objet social, de l'association qui serait habilitée. Je serai plutôt favorable à la première proposition. Certes, celle-ci a l'inconvénient de créer une sorte de monopole, mais cela correspond à une situation de fait et l'AMF a des moyens humains et des capacités juridiques importants. En revanche, il est gênant que certains amendements donnent la possibilité à des institutions publiques de se porter partie civile. Nous courons le risque de créer une dissymétrie au sein du procès civil.
La question de la représentativité des associations se pose : la représentativité de certaines associations qui se multiplient dans les départements peut être soumise à caution. Par ailleurs, je rappelle que nous avons légiféré pour faciliter la mise en oeuvre de la protection fonctionnelle des élus ; il faut veiller à ce que cette proposition de loi n'entraîne pas une cacophonie entre les textes, qui serait finalement contreproductive.
Malgré tout le respect que j'ai pour l'AMF, cette association ne peut pas prétendre à une forme d'exclusivité dans la constitution de partie civile. En effet, des élus départementaux ou régionaux peuvent être agressés sans être élus à l'échelle de la municipalité. C'est pourquoi je suis favorable à l'ouverture de cette mesure à toutes les associations d'élus, par parallélisme des formes. De même que pour une agression à caractère antisémite, plusieurs associations peuvent se constituer partie civile.
Enfin, pour se constituer partie civile en France, il est nécessaire de réunir trois critères cumulatifs : l'association doit avoir une ancienneté d'au moins cinq ans ; les statuts de l'association doivent l'avoir prévu expressément ; la victime à titre principal doit avoir donné son accord, condition la plus importante selon moi. Par conséquent, dans le cas où une association souhaiterait se porter partie civile par opportunisme, elle serait, en raison du troisième critère, écartée.
Je souhaite féliciter le rapporteur pour son travail et poser une question. L'AMF pourrait-elle se constituer partie civile pour un élu qui ne ferait pas partie de ses adhérents ?
Les amendements que nous allons présenter seront de nature à répondre à certaines de vos questions. Je souligne avoir bien pris attache de l'auteur de la proposition de loi pour connaître son périmètre d'intention, et je n'y dérogerai pas. Le périmètre de l'article 45 permet également de borner le sujet.
Je rappelle notre gentleman's agreement : au stade de l'élaboration de son texte, la commission ne modifie la proposition de loi que si son auteur en est d'accord
Monsieur Daubresse, il faut savoir que nous avons demandé plusieurs fois au Gouvernement son intention, hier encore, en vain.
En application du vade-mecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution, adopté par la Conférence des présidents, il nous appartient d'arrêter le périmètre indicatif du projet de loi.
Je vous propose de considérer que ce périmètre concerne les garanties procédurales offertes aux élus victimes d'une agression.
Il en est ainsi décidé.
EXAMEN DE L'ARTICLE UNIQUE
Article unique
L'amendement COM-2 rectifié tend à inclure parmi les infractions susceptibles de permettre à une association de se porter partie civile l'atteinte volontaire à la vie d'un élu du fait de son mandat ou de ses fonctions. En cas de décès il prévoit que les ayants droit pourront donner l'autorisation à l'association de se porter partie civile.
Cet ajout paraît légitime notamment parce que l'atteinte volontaire à la vie fait l'objet de mentions spécifiques dans le code et ne se confond pas avec les violences ayant entrainé la mort. L'amendement a été modifié pour tenir compte d'une remarque rédactionnelle. Avis favorable.
L'amendement COM-2 rectifié est adopté.
L'amendement COM-3 vise l'inclusion dans le champ des infractions des actes d'intimidation, harcèlement et violation de domicile. L'élargissement du champ de l'article 2-19 à ces trois infractions semble approprié. J'émets un avis favorable, mais nous devrons peut-être revoir la rédaction, comme je l'ai précisé.
L'amendement COM-3 est adopté.
L'amendement COM-4 vise à élargir à toutes les associations d'élus constituées depuis cinq ans la possibilité de se porter partie civile.
Je ne suis pas favorable à cet amendement, qui n'a au surplus pas reçu l'agrément de l'auteur de la proposition de loi. Mais je souhaite néanmoins souligner deux points.
Premièrement, la rédaction qui nous est proposée ferait disparaître l'AMF et les associations départementales, qui ne seraient plus nommément citées. Deuxièmement, cet amendement exclurait l'ADF et Régions de France, qui ne représentent pas les élus, mais les collectivités.
J'ai bien entendu les réserves, voire l'opposition de Mme le rapporteur. Je tiens toutefois à faire observer que toutes les communes ne sont pas adhérentes à l'AMF. Certaines adhèrent à d'autres associations en fonction de leur contexte urbanistique ; je pense notamment à l'association des maires Ville & Banlieue de France. Qui peut le plus peut le moins. Ce point montre les limites de cette proposition de loi, que nous soutiendrons pourtant.
J'illustrerai les propos de Patrick Kanner. Dans le département de l'Hérault, qui compte 342 communes, toutes sont adhérentes à l'AMF, sauf une : la ville de Béziers. Si un élu de Béziers était agressé, cela signifierait qu'aucune association ne pourrait se constituer partie civile pour le défendre : cela prouve les limites de l'exercice. Dans d'autres départements, des petites communes ne sont pas membres de l'AMF, car elles n'ont pas les moyens d'adhérer à des associations.
Par ailleurs, il me semble qu'il n'appartient pas au législateur d'inscrire dans la loi les associations ayant le droit de se constituer partie civile. Le code pénal ne les mentionne pas. Je vous mets en garde, si nous choisissons de désigner une association, nous créerons un précédent.
Il faut à tout le moins un minimum de pluralisme de manière à ne pas obliger un représentant de l'Association des maires ruraux de France (AMRF) par exemple, à être défendu contre son gré par l'AMF. Il me semble indispensable d'ajouter que cela se fasse avec l'accord du maire.
L'article 2-19 du code de procédure pénale le prévoit déjà : « Toutefois, l'association ne sera recevable dans son action que si elle justifie avoir reçu l'accord de l'élu. »
Par ailleurs, ce n'est pas parce que la ville de Béziers n'est pas adhérente à l'AMF que cette dernière ne pourrait pas la défendre - le texte n'est pas restrictif.
Monsieur Bourgi, nous ne créerons pas de précédent. L'article précité mentionne « toute association départementale des maires [...], affiliée à l'Association des maires de France ».
Doit-on comprendre que l'AMF pourra défendre un maire qui ne compterait pas parmi ses membres ?
Il s'agit d'une faculté et non d'une obligation.
L'amendement COM-4 n'est pas adopté.
L'amendement COM-8 prend en compte le changement de nom de l'Association des Régions de France, qui est désormais dénommée « Régions de France » et ajoute la mention des élus territoriaux et de l'Assemblée de Corse et des collectivités d'outre-mer.
L'amendement COM-8 est adopté.
Après l'article unique
L'amendement COM-1 rectifié ouvre la possibilité pour les assemblées parlementaires, le Parlement européen et les collectivités territoriales de se porter partie civile en cas d'agression d'un de leurs membres ou de ses proches. Cet amendement reprend le projet d'article 9 de la première version de la Lopmi. Notre collègue Françoise Gatel avait également formulé cette proposition.
Il règle une difficulté posée par la jurisprudence. Le préjudice moral des assemblées a en effet été reconnu par la Cour de cassation, qui leur permet de se porter partie civile, mais pas celui des collectivités territoriales, ce qui peut sembler étrange d'autant que les communes ont désormais l'obligation de s'assurer pour la protection des élus.
La présidente Delattre étant favorable à cet élargissement, nous pouvons inclure cette disposition. Je m'interroge cependant sur l'inclusion du Parlement européen, qui paraît incongrue s'agissant d'une organisation internationale. Je vous propose de donner un avis favorable à l'adoption de cet amendement, à condition d'exclure cette mention.
L'amendement COM-1 rectifié, ainsi modifié, est adopté et devient article additionnel.
L'amendement COM-5 prévoit la comparution immédiate de l'auteur en cas de flagrant délit sur une personne dépositaire de l'autorité publique.
J'estime que l'appréciation du procureur doit être conservée ; l'adoption de cet amendement pourrait nuire à la qualité de la réponse pénale. Ainsi, la réponse au besoin de rapidité d'action trouve une meilleure application dans la circulaire du garde des sceaux du 7 septembre 2020, qui demande au procureur d'agir systématiquement et rapidement. Avis défavorable.
L'avis du rapporteur souligne le caractère imprudent du périmètre l'article 45 défini précédemment. En effet, l'objet de cette proposition de loi est bien de permettre à une association d'élus de se porter partie civile et non de viser l'ensemble de la procédure pénale.
L'amendement COM-5 n'est pas adopté.
L'amendement COM-6 ouvre la possibilité de mandat de dépôt pour les peines de moins d'un an en cas d'agression d'un élu. Cet amendement pose plusieurs questions, mais il paraît satisfait dans l'esprit par l'article 397-4 du code de procédure pénale. Par ailleurs, il revient sur le principe de l'aménagement des peines de moins d'un an, ce qui ne paraît pas souhaitable. Avis défavorable.
L'amendement COM-6 n'est pas adopté.
L'amendement COM-7 porte sur la suppression des délais prévus pour la constitution de partie civile dans les cas d'agression d'une personne dépositaire de l'autorité publique. Il prévoit que les agressions contre les élus pourront permettre la constitution immédiate de partie civile.
Je rappelle que, pour toutes les victimes, cette constitution n'est possible qu'en cas de refus d'engager des poursuites ou après trois mois. Des exceptions sont déjà prévues, notamment pour les crimes et pour les infractions commises lors des élections. Il ne paraît pas nécessaire d'aller au-delà, au risque de faire des élus des victimes à part. Avis défavorable.
L'amendement COM-7 n'est pas adopté.
L'amendement du rapporteur COM-9 tend à actualiser l'article 804 du code de procédure pénale relatif à l'application du code dans les outre-mer.
L'amendement COM-9 est adopté et devient article additionnel.
La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :
Nous examinons maintenant le rapport de Mme Maryse Carrère sur la proposition de loi visant à compléter les dispositions relatives aux modalités d'incarcération ou de libération à la suite d'une décision de cour d'assises.
Il me revient de vous présenter la deuxième proposition de loi inscrite, la semaine prochaine, dans la « niche » du groupe du RDSE. Son objet est assez technique puisqu'elle porte sur les règles d'incarcération d'un accusé condamné par la cour d'assises tant que l'arrêt n'est pas définitif, dans l'attente d'un appel ou d'un pourvoi en cassation.
Cette proposition de loi vise en réalité à corriger une malfaçon législative figurant à l'article 367 du code de procédure pénale, dans un souci de sécurité juridique.
L'article 367 du code précité envisage d'abord l'hypothèse où l'accusé est acquitté, condamné à une peine autre qu'une peine privative de liberté ou condamné à une peine privative de liberté couverte par la durée de la détention provisoire. Dans ce cas, l'accusé doit naturellement être remis en liberté.
En-dehors de ces hypothèses, l'article 367 prévoit que l'arrêt de la cour d'assises vaut titre de détention. L'accusé sera donc incarcéré à l'issue de l'audience, sans que la cour ait besoin de décerner mandat de dépôt. Je rappelle qu'un mandat de dépôt est un ordre donné par le juge à l'administration pénitentiaire de recevoir et de détenir une personne. Il reste nécessaire si la personne renvoyée devant la cour d'assises est condamnée, non pas pour un crime, mais pour un délit connexe.
La loi du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l'institution judiciaire a cependant apporté une nuance au principe selon lequel l'arrêt de la cour d'assises vaut titre de détention, dans le but de rapprocher les règles applicables devant la cour d'assises de celles qui sont applicables devant le tribunal correctionnel. Lorsqu'un tribunal correctionnel prononce une peine d'emprisonnement, la condamnation n'entraîne pas automatiquement l'incarcération du prévenu ; le tribunal apprécie, au cas par cas, si les circonstances justifient ou non un mandat de dépôt.
Or il arrive régulièrement que les cours d'assises prononcent des peines d'emprisonnement de nature correctionnelle, c'est-à-dire d'une durée inférieure à dix ans, comme le ferait un tribunal correctionnel.
Le projet de loi pour la confiance dans l'institution judiciaire distinguait deux hypothèses.
Première hypothèse, si la personne condamnée à une peine d'emprisonnement était déjà détenue avant l'audience, le principe selon lequel l'arrêt vaut titre de détention est maintenu. Cette solution est logique : si la personne comparaît détenue, c'est parce qu'un juge d'instruction a estimé que des considérations de sécurité imposaient de la placer en détention provisoire. Il serait absurde de la libérer le jour où elle est condamnée à une peine d'emprisonnement ferme.
Deuxième hypothèse, l'accusé n'était pas détenu au moment de l'audience. Dans cette hypothèse, il revient à la cour d'assises de décerner mandat de dépôt si les circonstances de l'espèce justifient une mesure particulière de sûreté.
Le dispositif retenu par le projet de loi était donc cohérent et il n'avait donné lieu qu'à peu de débats, que ce soit à l'Assemblée nationale ou au Sénat. Il est vrai que ce projet de loi comportait des dizaines d'articles, dont certains procédaient à des réformes plus substantielles qui avaient davantage retenu notre attention. C'est lors de l'examen du texte par l'Assemblée nationale que le problème est survenu : la commission des lois a adopté un amendement, présenté comme rédactionnel, prévoyant que l'arrêt vaut titre de détention seulement si l'accusé est condamné à une peine de réclusion criminelle. En conséquence, l'arrêt ne vaut pas titre de détention quand l'accusé est condamné à une peine d'emprisonnement. Le texte prévoit que la cour peut décerner mandat de dépôt si l'accusé comparaît libre, mais plus rien n'est prévu si l'accusé comparaît détenu.
Une lecture littérale de l'article 367 pourrait donc conduire à libérer la personne condamnée à une peine d'emprisonnement, alors qu'elle était détenue avant l'audience. Telle n'était évidemment pas l'intention du législateur.
La Chancellerie a été alertée sur cette difficulté après l'adoption définitive de la loi. Pour tenter d'y remédier, le Gouvernement a pris, le 25 février dernier, un décret, qui indique expressément que l'arrêt de la cour d'assises vaut titre de détention lorsque l'accusé comparaît détenu et qu'il est condamné à une peine d'emprisonnement ferme.
Cependant, la procédure pénale relevant du domaine de la loi, cette précision règlementaire paraît fragile. À ce jour, d'après les personnes que nous avons auditionnées, aucune contestation n'a été relevée et aucune libération inopportune n'a été recensée. Il est cependant souhaitable de sécuriser juridiquement les règles applicables, afin d'éviter tout problème à l'avenir.
C'est la raison pour laquelle je vous invite à adopter cette proposition de loi, en espérant qu'elle sera inscrite rapidement à l'ordre du jour des travaux de l'Assemblée nationale.
Je vous présenterai deux amendements, dont l'un prévoit une nouvelle rédaction de l'article unique de la proposition de loi. Il me semble en effet qu'une rédaction plus concise serait préférable. Les auteurs de la proposition de loi se sont inspirés de la rédaction du décret, qui énumère de manière très pédagogique toutes les hypothèses pouvant être rencontrées. En l'état, elle serait donc quelque peu redondante avec le décret. De plus, nous ne voulons pas donner l'impression de procéder à une réécriture complète de l'article 367 du code de procédure pénale, alors que l'objectif est de procéder à une clarification ponctuelle.
Comme c'est l'usage, je me suis entretenue avec l'auteur de la proposition de loi, notre collègue M. Jean-Claude Requier, qui m'a donné son accord pour cette nouvelle rédaction.
En application du vade-mecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution, adopté par la Conférence des présidents, il nous appartient d'arrêter le périmètre indicatif du projet de loi.
Je vous propose de considérer que ce périmètre comprend les dispositions relatives aux modalités d'incarcération, de placement en détention ou de libération des personnes poursuivies devant les juridictions pénales.
Il en est ainsi décidé.
EXAMEN DES ARTICLES
Article unique
Comme je vous l'indiquais il y a un instant, l'amendement COM-1 propose une rédaction plus concise.
L'amendement COM-1 est adopté.
L'article est ainsi rédigé.
Après l'article unique
L'amendement COM-2 vise à actualiser le « compteur » qui figure à l'article 804 du code de procédure pénale, relatif à l'application du code en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et à Wallis-et-Futuna.
L'amendement COM-2 rectifié est adopté et devient article additionnel.
La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :
Nous examinons les crédits de la mission « Immigration, asile et intégration ». Je suis corapporteur de ces crédits avec Philippe Bonnecarrère qui ne peut être présent avec nous aujourd'hui mais qui a été pleinement associé aux travaux.
Je voudrais débuter mon propos en vous donnant quelques ordres de grandeur. La mission « Immigration, asile et intégration » représente un volume total de crédits d'environ 2 milliards d'euros et est composée de deux programmes : les programmes 104 « Intégration et accès à la nationalité française » et 303 « Immigration et asile ». Ces intitulés résument finalement bien les trois composantes de cette politique publique : l'asile, qui représente près de 66 % des crédits ; l'intégration, qui pèse pour environ 25 % du montant ; la lutte contre l'immigration irrégulière qui, avec 170 millions d'euros seulement ne constitue même pas le dixième de l'ensemble, 8,5 % pour être précise.
Pour le projet de loi de finances pour 2023, le montant des crédits demandés s'élève à 2,7 milliards d'euros en autorisations d'engagement et à 2 milliards d'euros en crédits de paiement, soit des augmentations respectives de 34 % et de 6 % par rapport à 2022. Les moyens des deux opérateurs rattachés à la mission sont également renforcés : pour le volet asile, l'OFPRA bénéficie de 8 équivalents temps plein (ETP) supplémentaires et voit son budget progresser de 11 % pour dépasser pour la première fois les 100 millions d'euros - 103 exactement -, tandis que l'OFII gagne 9 ETP et voit sa dotation grimper de 6 points à hauteur de 281 millions d'euros.
Ces hausses peuvent paraître importantes de prime abord, mais elles doivent en réalité être relativisées, en raison notamment de la reprise des flux migratoires après la période de covid-19.
Après cette brève introduction, il est temps de rentrer dans le détail de chacun des trois volets de la mission.
Le premier de ces volets est la lutte contre l'immigration irrégulière. Il est d'autant plus important cette année qu'il est désormais confirmé que les flux d'immigration clandestine ont retrouvé leur niveau pré-pandémique. Vous le savez, il n'existe pas d'indicateur direct global pour illustrer ce phénomène, mais toutes les données indirectes recueillies vont dans le sens d'un rattrapage après le bref répit survenu avec la covid-19. La pression aux frontières est d'abord redevenue forte, avec 125 000 mesures de non-admissions, en hausse de 59 % par rapport à 2020. Pour ce qui est des personnes déjà présentes irrégulièrement sur le territoire, le nombre de bénéficiaires de l'aide médicale d'Etat dépassait les 375 000 au 30 septembre 2021, soit une progression de 2 %, tandis que plus de 120 000 personnes dans cette situation ont été interpellées l'an dernier. Le ministre de l'intérieur, Gérald Darmanin, a également évoqué au cours de son audition un nombre de 600 000 à 900 000 clandestins.
Dans ce contexte, le budget alloué à la lutte contre l'immigration irrégulière est, une nouvelle fois, sous-dimensionné.
La capacité d'accueil des 26 centres de rétention administrative (CRA) continue à croître. Elle devrait se porter à 1 859 places fin 2022 et 1 961 fin 2023. On note néanmoins que le rythme effectif de cette augmentation est inférieur aux ambitions affichées l'an passé, puisque le précédent objectif était de 2 099 places fin 2023. Cela s'explique notamment par le report d'une année de la livraison du CRA de Bordeaux. In fine, le constat de l'an passé subsiste : il s'agit d'un « ajustement minimum » de la capacité de rétention, qui reste très en-deçà des besoins.
Les conclusions ne sont pas différentes en matière de retours forcés, puisqu'aucune avancée notable ne peut être relevée dans l'exécution des mesures d'éloignement depuis l'an dernier. Le bilan n'est pas excellent. En volume, le total des éloignements contraints exécutés se porte à 10 091 en 2021 contre 9 111 l'année précédente. En pourcentage, le taux d'exécution des obligations de quitter le territoire français (OQTF) est toujours aussi faible : 6,8 % au premier semestre 2022 avec 65 000 OQTF émises pour 4 500 exécutées.
Le ministre de l'intérieur a remis en cause la pertinence de cet indicateur au cours de son audition. Je peux le rejoindre sur le fait qu'il doive être relativisé en raison d'un décalage temporel entre l'émission des OQTF et leur exécution ou de la possibilité que certaines OQTF soient exécutées spontanément sans que les services de l'État en soient avisés. Mais cela ne change rien au constat général d'une politique foncièrement en échec. Pour rappel, le taux d'exécution en 2012 était encore de 22 %... On pourrait donc avoir une meilleure exécution qu'actuellement. Quant aux retours spontanés, le ministère de l'intérieur lui-même en comptabilisait 1 260 en 2020. Il serait bien naïf de croire que le nombre de ceux qui échappent à sa vigilance puisse être beaucoup plus important...
La situation est d'autant plus préoccupante que les difficultés conjoncturelles liées à la covid-19 tendent à s'estomper avec le reflux de l'épidémie, et ce sans retrouver des résultats comparables à ceux de 2019, pourtant déjà très insuffisants.
Il est vrai que des obstacles structurels à l'éloignement persistent. Le président François-Noël Buffet a en a recensé quatre dans son dernier rapport d'information sur le sujet : les difficultés à identifier les personnes en situation irrégulière interpellées ; l'obtention des laissez-passer consulaires dans des délais utiles, à peine plus d`un sur deux en ayant été obtenu dans les délais en 2021 ; la judiciarisation accrue du processus d'éloignement ; la saturation du parc de rétention.
Car les solutions existent. À titre d'exemple, la restriction des visas vis-à-vis des pays du Maghreb, visas délivrés en échange de retours dans ces pays, a produit des résultats. Les volumes restent très faibles mais la dynamique est là : le nombre de retours forcés vers l'Algérie a été multiplié par 16 en un moins d'un an (34 en 2021 contre 557 au 13 octobre 2022). Nous pouvons nous satisfaire de cette politique diplomatique intense préconisée depuis plusieurs années par le Sénat.
J'en viens à la deuxième partie de mon intervention, qui a trait à la politique de l'asile. Le constat est moins univoque de ce côté et on constate même de vrais progrès sur certains aspects.
C'est le cas pour les délais d'examen de l'OFPRA qui évoluent dans le bon sens. Si la demande d'asile retrouve progressivement son niveau d'avant covid, avec 120 000 demandes attendues pour 2022, cette évolution est contrebalancée par l'augmentation sensible de l'activité de l'office. L'effet du renforcement des moyens de l'office décidé en 2020 est désormais évident. L'attribution de 200 ETPT supplémentaires lui a permis de rendre un nombre inédit de 140 000 décisions en 2021 et de diviser par plus de deux le stock de dossiers depuis le pic de 2020, égal à environ 40 000 aujourd'hui, ce qui est notable. Surtout, le délai de traitement moyen est à son plus bas niveau depuis 10 ans : il était de 148 jours en septembre, contre 261 jours fin 2021.
Ces progrès doivent être appréciés à leur juste valeur ; ils sont néanmoins encore fragiles et commencent à plafonner. La dynamique est moins nette depuis l'automne, avec même un léger recul de huit jours du délai de traitement en septembre. L'OFPRA reste en effet affecté par un taux de rotation important de ses agents, environ 14 %, et la covid-19 a encore un impact non négligeable. Dans ce contexte, je resterai très prudente sur la possibilité d'atteindre en 2023 l'objectif d'un délai de 60 jours, contrairement au ministre de l'intérieur, qui est très optimiste.
En outre, cette amélioration soumet paradoxalement l'OFPRA à des difficultés dans son activité d'état civil. L'augmentation mécanique du volume de personnes protégées s'est traduite par une augmentation sensible des délais de délivrance des documents, qui sont actuellement de huit mois. 8 ETP supplémentaires sont fléchés sur cette activité en 2023. Cela est une bonne nouvelle, mais nous devrons rester vigilants.
Le bilan est plus nuancé s'agissant de la CNDA et je suis dubitative sur sa capacité à atteindre à moyen terme ses objectifs en termes de délais de traitement. Ils sont, je le rappelle, de 5 mois en procédure normale et de 5 semaines en procédure accélérée. Il est vrai que la CNDA parvient depuis 2021 à rendre annuellement autant de décisions qu'elle enregistre de recours, 68 000, ce qui stabilise mécaniquement le stock de dossiers, qui était de 32 196 en juin 2022.
Pour autant, ces résultats sont encore largement perfectibles. Avec 188 jours, le délai moyen de jugement est encore très supérieur à la cible. De plus, ces indicateurs sont extrêmement fluctuants du fait de la récurrence de mouvements de grève des avocats à la Cour. Le dernier s'est étalé entre octobre 2021 et mai 2022, et a entraîné le report du jugement de 10 000 recours. Aussi préoccupante qu'elle soit, cette situation ne peut toutefois obérer le fait que la Cour a bénéficié de fortes augmentations de moyens depuis 2018. Il est de sa responsabilité de les traduire en résultats.
J'en viens aux conditions matérielles d'accueil. La dotation inscrite au projet de loi au titre de l'allocation pour demandeurs d'asile (ADA) connaît d'abord une diminution de plus d'un tiers, ce qui me paraît excessivement optimiste. Le ministre de l'intérieur le justifie par le fait que cela exclut les montants alloués aux réfugiés ukrainiens ainsi que par l'amélioration des délais de traitement des demandes d'asile. On peut s'interroger sur la pertinence du choix d'exclure les dépenses liées au conflit en Ukraine de la budgétisation tandis que, comme je vous le disais, les progrès de l'OFPRA sont encore à confirmer. Cela me semble donc être un pari très audacieux.
S'agissant de l'hébergement des demandeurs d'asile, 2022 aura été une « année blanche » puisque les crédits prévus pour financer 4 900 places supplémentaires ont finalement été mobilisés pour l'accueil des déplacés d'Ukraine. Nous les retrouvons donc en 2023. Elles devraient permettre de porter la capacité du parc à environ 114 000 places en fin d'année. Cela reste insuffisant. La part des demandeurs d'asile hébergés progresse mais reste modeste, avec 58 % en 2021, et le Gouvernement a même revu ses objectifs à la baisse : d'une ambition initiale de 90 %, nous en sommes désormais à 70 % pour la fin 2023.
Je précise par ailleurs que 2 200 places d'hébergement jusqu'à maintenant financées sur le plan de relance seront rattachées à la mission « Immigration, asile et intégration » en 2023. Cela participe à la hausse des crédits, mais avec un nombre de places constant.
Le troisième volet de la mission est la gestion de l'immigration régulière et de l'intégration. Les crédits augmentent de 24 %, essentiellement du fait du renouvellement des marchés de formations civique et linguistique du contrat d'intégration républicaine (CIR), du déploiement du programme d'accompagnement global et individualisé pour l'intégration des réfugiés (AGIR) et de la création de 1 000 places supplémentaires en centre provisoire d'hébergement.
C'est bien le minimum compte tenu du dynamisme des flux d'immigration régulière. Sur l'année 2021, les préfectures ont procédé à 270 000 primo-délivrances de titres, soit un volume analogue au pic observé en 2019. Le stock de titres valides franchit cette année encore un palier et dépasse les 3,5 millions. Cette dynamique est portée par l'admission exceptionnelle au séjour, qui représente 11,5 % des primo-délivrances. De ce point de vue, je ne peux que rappeler la position constante de la commission des lois en faveur d'un durcissement sévère des critères de l'admission au séjour tels qu'ils sont définis par la circulaire Valls.
Vous le savez, cette demande exponentielle met en tension les services des étrangers en préfecture. Le délai de traitement des primo-demandes de titre s'est encore dégradé du fait de l'accueil des réfugiés ukrainiens. Il est de 117 jours contre 99 jours l'an dernier, loin de l'objectif des 90 jours que s'est fixé le ministère de l'intérieur. Et cela sans mentionner les délais pour obtenir un rendez-vous, qui sont à l'origine d'un nouveau contentieux ubuesque d'accès au guichet. Je ne m'étends pas plus sur le sujet, qui a été traité en profondeur par le rapport de François-Noël Buffet, si ce n'est pour dire que je m'associe pleinement à ses recommandations.
Le dispositif d'intégration enfin me paraît devoir être encore consolidé. Le nombre de CIR signés plafonne à un niveau proche de celui de 2019, si bien qu'il est délicat d'établir un bilan de ses dernières évolutions.
L'année 2022 a également vu la mise en place du programme AGIR, qui vise à la création d'un guichet unique pour l'accompagnement vers l'emploi et le logement des bénéficiaires de la protection internationale. Là encore, il est trop tôt pour en dresser un bilan.
Dans ce contexte, l'augmentation de 6 % des moyens budgétaires alloués à l'OFII va dans le bon sens, d'autant que son périmètre d'intervention continue inexorablement à s'étendre, comme en atteste la généralisation progressive du rendez-vous santé aux réfugiés et aux signataires du CIR.
En conclusion, si des éléments de satisfaction doivent être relevés s'agissant de l'asile, les autres composantes de la politique migratoire sont toujours en échec. En particulier, la politique de lutte contre l'immigration irrégulière est dans l'impasse. Elle donne l'impression d'une politique du « fait accompli », avec des flux d'entrées irrégulières qui ont retrouvé leur niveau pré-pandémique et un volume d'éloignements forcés exécutés minime. Nous constatons depuis plusieurs années cet accompagnement des faits, avec un temps de retard, plutôt qu'une volonté de s'imposer à eux.
Dans ces circonstances, le PLF pour 2023 est une nouvelle fois sous-dimensionné. Les hausses de crédits sont en réalité dictées par les évolutions des flux migratoires et du contexte économique plutôt que par un véritable choix politique.
Philippe Bonnecarrère et moi-même vous proposons donc de donner un avis défavorable à l'adoption des crédits de la mission « Immigration, asile et intégration ».
Habituellement un budget est révélateur d'une volonté politique. En l'espèce, je n'en suis pas persuadée en raison de l'inadéquation entre les déclarations des ministres et le budget qui nous est présenté. Ce budget doit être à la hauteur afin de régler cette question de l'immigration irrégulière, qui est un vrai sujet pour notre pays. J'aimerais connaître l'analyse des rapporteurs.
Je remercie la rapporteure pour son analyse froide et rigoureuse des crédits qui nous sont présentés. Je la rejoins sur l'absence de prise en compte, pour la dotation au titre de l'allocation pour demandeurs d'asile (ADA), de la question ukrainienne au prétexte de l'incertitude dans l'évolution des flux. Je m'interroge donc sur la sincérité du budget. Les crédits pour 2023 au titre de l'ADA sont en forte diminution, - 36 %, alors que les protégés temporaires bénéficient de cette allocation et que les demandes d'asile seront probablement en hausse en 2023. La diminution des délais de traitement se répercute sur le montant de l'allocation mais ne compensera pas la baisse de crédits. Nous constatons une sous-budgétisation de l'ADA depuis 2017 qui entraîne inévitablement des problèmes d'exécution budgétaire.
Je relève une autre contradiction. Le ministre communique beaucoup sur les crédits alloués à l'intégration et la nécessité pour les étrangers de maîtriser la langue française avec l'obtention d'une certification. Mais l'augmentation de seulement 3,6 millions d'euros des crédits n'est pas à la hauteur de cette ambition.
Pour ces raisons, nous rejoignons beaucoup d'éléments soulignés par les rapporteurs.
Je partage la position des rapporteurs de rejeter les crédits de la mission « Immigration, asile et intégration ». Ce sujet de l'immigration est un irritant pour la population. Cela fait partie des sujets difficiles et le débat récent sur l'exécution des OQTF ainsi que les déclarations du ministre ne font qu'ajouter confusion et irritation.
Je m'interroge sur l'application de gestion des dossiers des ressortissants étrangers en France (AGDREF). Les rapporteurs ont-ils évalué ce fichier et notamment son évolution au regard du code de la sécurité sociale ? Il était prévu une consultation d'AGDREF par les organismes de sécurité sociale avant ouverture de droits à prestations. Cette disposition avait été votée avec difficulté en 2019. Des fonds sont-ils réservés à l'amélioration du fichier ?
La commission des lois du Sénat a effectué en 2021 un déplacement à Mayotte auquel j'ai participé. Le nombre d'immigrés en situation irrégulière y est estimé entre 55 000 et 70 000. Avez-vous des éléments de comparaison entre l'immigration irrégulière dans les départements et territoires d'outre mer et celle en métropole ?
Notre groupe est également défavorable à l'adoption des crédits de la mission « Immigration, asile et intégration » mais pour des raisons différentes. Nous examinons ce budget dans un agenda politique compliqué, avec un projet de loi relatif à l'immigration qui nous est annoncé pour début 2023. Je m'interroge sur la détention d'enfants dans les CRA sous prétexte de ne pas séparer les familles. N'existe t-il pas d'autres solutions ?
En ce qui concerne l'asile, si l'OFPRA a diminué ses délais d'instruction, je ne vois pas comment il pourrait réduire ses stocks avec un renfort de seulement 8 ETP. Il faudrait beaucoup plus de moyens plutôt que de recourir à des cabinets privés pour gérer ces stocks.
La commission émet un avis défavorable à l'adoption des crédits de la mission « Immigration, asile et intégration ».
Après avoir assisté à plusieurs auditions, j'ai acquis la conviction qu'il fallait s'opposer aux crédits de cette mission, mais pour des raisons différentes de celles du rapporteur. Nos positions se rejoignent sur certains points. Je m'interroge sur l'absence de mention du budget de l'accueil des demandeurs d'asile. Je salue la qualité de l'accueil réservé aux Ukrainiens. Nous avons su débloquer des crédits pour eux, mais que faisons-nous pour tous les autres qui dorment sous les ponts et traînent dans la rue, alimentant l'irritation de la population ?
Par ailleurs, se pose le problème de la gestion des CRA qui fourmillent de repris de justice clandestins. Une fois qu'un étranger est resté 90 jours dans un CRA et qu'il n'a pas obtenu de laissez-passer consulaire, que fait-on ? Faut-il augmenter la capacité des CRA à recevoir des immigrés clandestins ? Le fait est qu'aujourd'hui, il n'y a plus de places disponibles. Comme la loi limite à 90 jours le séjour en CRA, ces personnes sont libérées et se retrouvent à nouveau à la rue.
Le ministre de l'intérieur et des outre-mer propose une demi-solution: fournir des papiers aux personnes qui travaillent dans des métiers en tension. Mais le chemin est encore long car le projet de loi contenant cette disposition n'a pas encore été déposé sur le bureau de l'une des deux chambres.
Ce problème est lié à celui de la difficulté d'obtenir l'ADA. Que font les demandeurs d'asile qui attendent des mois avant d'obtenir un rendez-vous et qui, souvent, ne maîtrisent pas le Français ? Ils appellent l'administration en continu, dans le vide. Certains s'adressent à nous mais ce n'est évidemment pas la solution. Il me semble que l'amélioration de l'accueil, et notamment la réduction du délai de traitement des dossiers de demande d'asile, est l'un des éléments clés pour améliorer l'intégration des étrangers.
En tant que rapporteur pour avis sur les crédits de la mission dont relève la justice administrative, je sais que le contentieux des étrangers représente la moitié de l'activité des tribunaux administratifs, voire bien plus dans certains tribunaux de la région parisienne. Le contentieux géré par la CNDA est par ailleurs en constante augmentation.
En parallèle, comme vous l'avez rappelé, le taux d'exécution des OQTF est d'environ 7 % et continue de diminuer d'année en année.
À ces problématiques s'ajoutent la suroccupation des CRA mais aussi les inepties liées à la gestion de la police aux frontières. À Montgenèvre, par exemple, la mobilisation de 150 agents chargés d'empêcher les migrants en provenance d'Italie de passer la frontière est une aberration totale tant leur action est inefficace. Les zones d'attente, comme celle de Marignane, sont tout aussi absurdes, de même que la situation des CRA. J'ai d'ailleurs eu l'occasion de visiter celui de Marseille : on y revoit toujours les mêmes personnes qui sont de petits délinquants.
Il est devenu urgent de s'interroger sur la manière dont nous pouvons faire évoluer notre politique migratoire devenue totalement kafkaïenne. Je partage donc le même avis que le rapporteur sur les crédits de cette mission, mais pour d'autres raisons.
Je partage l'avis défavorable du rapporteur à l'adoption de ce budget. C'est un budget d'accompagnement d'une politique dont les contours échappent à leurs auteurs. Les crédits prévus sont largement insuffisants, l'ADA n'est pas calibrée, le coût de la prise en charge des migrants Ukrainiens n'est pas pris en compte, la création de 8 ETPT à l'OFPRA ne permettra évidemment pas de combler le retard dans le traitement des dossiers... Nous devons nous prononcer sur des moyens dont on sait d'ores et déjà qu'ils sont insuffisants pour financer une stratégie qui, de toute façon, n'est pas encore définie. Il y a fort à parier que nous aurons à examiner un projet de loi de finances rectificative. Il est donc malaisé de travailler dans ces conditions.
Je ne vois pas comment le Gouvernement pourra proposer un projet de loi sur l'immigration dans la mesure où le nouveau pacte européen sur la migration et l'asile n'avance pas. Celui-ci se décompose en plusieurs propositions mais seuls deux règlements ont pu avancer dernièrement. Ils sont actuellement négociés entre les États membres et le Parlement européen. Toutes les autres propositions restent enlisées. C'est pourtant bien à l'échelle de l'espace Schengen que nous arriverons à lutter contre l'immigration clandestine.
Dans ces conditions, nous continuerons à donner un avis défavorable à l'adoption des crédits de cette mission pendant longtemps.
Mme Eustache-Brinio, les budgets sont nécessairement la traduction d'une politique. Ici, il s'agit d'une politique du fait accompli. Les moyens mobilisés sont trop faibles. Les tentatives de reconduite à la frontière se heurtent à des difficultés trop importantes, comme l'a démontré le rapport du président François-Noël Buffet sur les services de l'État et l'immigration. Face à ce constat d'échec de la politique de retour, il semblerait logique d'empêcher les immigrés clandestins d'entrer sur le territoire, mais cette politique se heurte à d'autres obstacles. En conséquence, les reconduites à la frontière se font au fil de l'eau et ne correspondent pas aux flux d'entrée.
Mme Harribey, je regrette, tout comme vous, l'absence de prise en compte dans le projet de loi de finances de l'accompagnement des réfugiés Ukrainiens qui bénéficient de la protection temporaire, notamment le montant de l'ADA, qui peut conduire à s'interroger sur la sincérité du budget. J'ai noté que, lors de son audition, le ministre de l'intérieur et des outre-mer a indiqué que les prévisions budgétaires dans domaine étaient, par définition, hasardeuses puisqu'il est impossible de prévoir l'évolution géopolitique du conflit en Ukraine. Ses services se sont toutefois risqués à faire des prévisions budgétaires qui ne figurent pas dans le projet de loi de finances : pour l'année 2023, 706 millions d'euros devraient être consacrés à l'accueil des réfugiés ukrainiens, principalement au titre de l'ADA et de l'hébergement. Je rappelle qu'en 2022, ce montant était de l'ordre de 579 millions d'euros. Cette politique est totalement passée sous silence dans le budget alors qu'elle n'est pas des moins onéreuses et qu'elle est en plein coeur de l'exercice du droit d'asile. Les crédits consacrés à cette politique seront sans doute examinés en cours d'année, mais il aurait été intéressant de voir figurer ces chiffres dans le projet de loi de finances pour 2023.
Concernant l'intégration par la pratique de la langue, les crédits sont en augmentation mais des inquiétudes demeurent et je partage les observations qui ont été faites sur ce point.
Madame Goulet, l'AGDREF a vocation à être remplacée par une autre application informatique. Cette opération a déjà été budgétisée. La numérisation est un poste de dépenses majeur de l'ordre de 28 millions d'euros, avec une augmentation de 400 % sur l'action correspondante par rapport à 2022. Des moyens budgétaires importants ont donc été alloués pour mettre en oeuvre cette évolution.
Monsieur Marc, j'ai bien noté votre interrogation sur les chiffres de l'immigration illégale en métropole et en outre-mer. Des éléments ont été transmis à ce sujet par le ministère de l'intérieur, qui pourraient éventuellement être mis à disposition de la commission.
Madame Assassi, vous déplorez la transformation progressive des CRA en lieux de détention pour mineurs. Je voudrais préciser que, sur l'année 2021, 82 mineurs ont été enfermés dans des CRA en métropole mais 3 109 en outre-mer, en grande partie à Mayotte.
Quant à l'asile, les délais de traitement des dossiers sont bien sûr trop importants. Je crains que l'amélioration que nous connaissons actuellement ne soit que temporaire. C'est bien le problème de ce budget qui tente constamment de rattraper des flux migratoires en augmentation.
Les crédits du programme 303 « Immigration et asile » s'élèvent à 1,9 milliards d'euros soit deux-tiers du budget de la mission. L'accueil des demandeurs d'asile en constitue la majeure partie et représente donc, budgétairement, le sujet le plus important, Madame Benbassa, même s'il est encore possible de trouver que les crédits qui lui sont alloués sont insuffisants.
Les étrangers sortent des CRA en situation irrégulière à l'expiration du délai de 90 jours, c'est un fait. Chacun estimera la façon dont il faut les prendre en charge.
Monsieur Benarroche, la politique migratoire est effectivement une politique kafkaïenne. Nous ne pouvons que constater que celle du Gouvernement ne donne pas de bons résultats aujourd'hui.
Monsieur Reichardt, je partage tout à fait votre position : il faut définir la stratégie avant de fixer les ressources qui lui sont allouées. Mais force est de constater que la politique des moyens est devenue monnaie courante aujourd'hui, comme nous l'avons vu avec les États généraux de la justice. Le Gouvernement tente d'accompagner un mouvement de société plutôt que d'essayer de lui imprimer une direction.
J'en terminerai en rappelant que la politique européenne demeure incontournable sur ce sujet, même si la présidence française de l'Union européenne n'a pas apporté de grandes avancées en matière d'immigration.
Je souhaite apporter une précision sur le nombre de personnes placées en rétention en CRA et qui, à l'expiration du délai de 90 jours, sont éloignées : en 2021, cela représentait 462 personnes.
La commission émet un avis défavorable à l'adoption des crédits de la mission « Immigration, asile et intégration ».
Nous écoutons à présent l'avis de Catherine Di Folco sur le programme « Fonction publique » de la mission « Transformation et fonction publiques » du projet de loi de finances (PLF) pour 2023.
Monsieur le président, chers collègues, je me permets de vous rappeler que l'avis budgétaire sur le programme 148 « Fonction publique » porte prioritairement sur la fonction publique de l'État et plus précisément sur les actions interministérielles en matière de ressources humaines. Mon propos sera structuré en trois points : je rappellerai d'abord les données relatives aux effectifs, au temps de travail et à la masse salariale ; j'aborderai ensuite le programme 148 en lui-même ; enfin, je ferai un focus sur l'attractivité dans la fonction publique.
Sur les 5,7 millions d'agents publics que compte la fonction publique, 45 % sont employés par la fonction publique de l'État (FPE), 34 % par la fonction publique territoriale (FPT) et 21 % par la fonction publique hospitalière (FPH). S'agissant des effectifs de l'État, il y a eu un changement de paradigme : l'objectif officiel de stabilité de postes a succédé à celui de suppression de postes qui était affiché lors du précédent quinquennat.
Le projet de loi de finances pour 2023 prévoit même de créer 10 764 équivalents temps plein travaillé (ETP) dans la fonction publique de l'État. Les créations de postes les plus importantes interviendront dans les ministères régaliens (+ 3 069 ETP pour le ministère de l'intérieur et l'outre-mer ; + 2 253 ETP pour le ministère de la justice ; + 1 547 ETP pour le ministère des armées) ainsi que dans le ministère de l'éducation nationale et de la jeunesse (+ 2 000 ETP).
S'agissant de la durée annuelle du temps de travail, je vous rappelle que la loi n° 2019-828 du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique a aligné le temps de travail dans la fonction publique territoriale sur la durée annuelle légale de 1607 heures en abrogeant les régimes légaux dérogatoires de travail antérieurs à la loi n°2001-2 du 3 janvier 2001. L'enjeu budgétaire n'est pas négligeable. La Cour des comptes a estimé en 2016 que cet alignement constituerait un gain net pour la collectivité et pourrait permettre à terme une réduction des effectifs d'environ 3 %. Cela constitue un levier important à la disposition des collectivités pour mieux maîtriser l'évolution de leur masse salariale.
La masse salariale de l'État, hors pensions, augmente de 5,35 % en 2023 par rapport à 2022. Cette augmentation est portée à titre principal par la revalorisation du point d'indice de 3,5 % entrée en vigueur le 1er juillet 2022. Cette mesure générale a un coût estimé en année pleine à 7,473 milliards d'euros pour les trois versants de la fonction publique, dont 3,213 milliards d'euros pour la fonction publique de l'État. Par ailleurs, le solde du glissement vieillesse-technicité (GVT) correspondra en 2023 à une augmentation de 453 millions d'euros tandis que le coût des créations de postes s'élèvera à 341 millions d'euros.
Des mesures complémentaires ont été annoncées : la reconduction de la mesure de garantie individuelle du pouvoir d'achat (GIPA) ; la revalorisation des débuts de carrière des agents de catégorie B pour les trois versants de la fonction publique ; la revalorisation et l'extension de la participation de l'État employeur aux frais de restauration ; l'extension du forfait mobilités durables.
En outre, la réforme des rémunérations de la haute fonction publique fera l'objet de discussions prochainement. Une grille indiciaire unique pour le nouveau corps interministériel des administrateurs de l'État - qui intègre les membres des grands corps de l'État mis en extinction - devra voir le jour.
Concernant le programme 148 « Fonction publique » lui-même, il finance les actions interministérielles en matière de formation (38 % du programme), d'action sociale (51 %) et de gestion des ressources humaines (11 %). Il est piloté par la direction générale de l'administration et de la fonction publique (DGAFP) et il est mobilisé en complément des initiatives de chaque ministère.
À noter qu'en 2023, le fonds d'accompagnement interministériel aux ressources humaines (FAIRH), qui avait été créé en 2019 et dont les crédits avaient été intégrés au programme 148 en 2022 pour 20 millions d'euros, est supprimé car son efficacité n'a pas été démontrée et que très peu de budget a été mobilisé. Cette suppression explique la diminution apparente des crédits du programme 148 qui s'établissent à 295 520 062 euros en autorisations d'engagement (AE) et 300 973 842 euros en crédits de paiement (CP). En réalité, à périmètre constant, le montant du programme 148 connaît une augmentation de 4,4 % en autorisations d'engagement.
Les montants des prestations d'action sociale individuelle (chèque-vacances ; chèque emploi service universel pour la garde des jeunes enfants de moins de six ans) et des prestations d'action sociale collective (réservations de logements sociaux), augmentent en 2023, notamment du fait de l'accroissement du nombre de bénéficiaires.
La DGAFP bénéficie aussi d'une enveloppe d'un million d'euros pour la réservation d'environ 135 places supplémentaires en crèche l'an prochain ; pour rappel, on compte aujourd'hui 4 700 places. En outre, le dispositif d'aide à l'installation des personnels de l'État sera ouvert à compter de 2023 aux agents contractuels disposant d'un contrat d'une durée égale à un an au moins.
Un bémol toutefois : je regrette que les deux indicateurs financiers relatifs à l'action sociale interministérielle du programme annuel de performance (PAP) présents dans le PLF 2021 n'aient pas été réintroduits en 2023. En effet, ils permettaient une évaluation précise de l'efficacité et de l'efficience des dispositifs en matière d'aide aux familles, d'aide au logement, de restauration ou encore d'aide au maintien à domicile.
L'indicateur retenu depuis le PLF pour 2022, le « taux de satisfaction des bénéficiaires de certaines prestations d'action sociale », ne permet pas en particulier de connaître les coûts de gestion des prestations d'action sociale, dont la maîtrise demeure un enjeu important : ils s'élevaient à environ 5% l'an dernier. Je vous proposerai donc d'adopter, si vous en êtes d'accord, un amendement qui vise à réintroduire les deux indicateurs de performance préexistants.
En ce qui concerne l'action en faveur de l'égalité professionnelle dans les trois versants de la fonction publique, la loi de transformation de la fonction publique a imposé aux employeurs publics de remettre, au plus tard pour le 1er mars 2021, leurs plans d'action en faveur de l'égalité professionnelle. Le taux d'élaboration de ces plans est encore perfectible dans les fonctions publiques territoriale et hospitalière. En revanche, il atteint 100 % dans la fonction publique de l'État en 2022. Dans ce contexte, je me demande s'il est pertinent de maintenir cet indicateur.
Il est à noter également que le fonds en faveur de l'égalité professionnelle (FEP), initialement créé pour la seule fonction publique d'État, a été étendu aux deux autres versants fin 2021. Il bénéficie d'un financement de près d'un million d'euros sur le programme 148, et permet le cofinancement de projets qui visent à promouvoir l'égalité professionnelle entre les hommes et les femmes. En 2023, il est envisagé le dépôt de 250 à 300 projets pour les trois versants de la fonction publique.
Concernant la formation, outre les fonds dédiés au financement des cinq instituts régionaux d'administration (IRA) pour 42 millions d'euros, de l'institut national du service public (INSP) pour 39,1 millions d'euros et aux actions de formations interministérielles (2,7 millions d'euros), je ferai un focus sur les classes « Prépas Talents » qui ont remplacé les classes préparatoires intégrées (CPI).
Ces classes « Prépas Talents » sont destinées aux étudiants les plus méritants de l'enseignement supérieur pour préparer les concours externes - voire les troisièmes concours - de catégorie A et B qui donnent accès à certaines écoles de service public.
À la rentrée 2022, 1 953 places étaient offertes (contre 1 700 à la rentrée 2021), au sein de 100 classes préparatoires. Le ministre de la transformation et de la fonction publiques a annoncé l'ouverture de 2 000 places supplémentaires en 2023, sur l'ensemble du territoire national. Ces classes préparatoires sont intégrées à des écoles de service public, à des universités, à des instituts d'études politiques, à des centres ou des instituts de préparation à l'administration générale.
Chaque étudiant, sélectionné sous conditions de ressources et de mérite, bénéficie d'un tutorat renforcé par des fonctionnaires en poste ou par des fonctionnaires stagiaires des écoles de service public. Il reçoit une bourse d'un montant de 4 000 euros, soit le double de ce qui était versé précédemment dans le cadre des CPI.
Le financement des « Prépas Talents » et des bourses « Talents » est assuré par la DGAFP au titre du programme 148, au moyen d'une subvention de 6 500 euros par place offerte et effectivement pourvue.
Je vous propose d'émettre un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 148 « Fonction publique » inscrits au projet de loi de finances pour 2023, sous réserve de l'amendement que je vous proposerai ultérieurement.
Je souhaiterais enfin faire un focus sur l'attractivité de la fonction publique, qui apparaît comme un sujet d'actualité prégnant.
Les trois versants de la fonction publique sont confrontés à de fortes difficultés de recrutement, tant par la voie du concours que par celle du contrat. 39 % des employeurs territoriaux ont éprouvé des difficultés à recruter en 2021 ; dans la fonction publique hospitalière, ce chiffre s'élève même à 99 %, et dans la fonction publique de l'État, le nombre d'inscriptions aux recrutements externes a baissé de 11 % en 2020 par rapport à 2019. On note aussi une forte baisse du nombre de candidats aux concours dans les trois versants.
La baisse de l'attractivité de la fonction publique n'est pas seulement conjoncturelle, mais s'explique également par des facteurs structurels bien identifiés. La méconnaissance des métiers est réelle, les niveaux de rémunérations sont souvent inférieurs à ceux du secteur privé, et les conditions de travail sont parfois dégradées. Il y aussi le « fonctionnaire bashing », c'est-à-dire le dénigrement de la fonction publique, et le manque de reconnaissance éprouvé par les agents.
On note également un changement de paradigme : les jeunes n'ont plus d'attrait pour « l'emploi à vie » ni pour le statut de fonctionnaire. En revanche, ils attachent une importance croissante à la qualité du management ainsi qu'à la conciliation entre la vie professionnelle et la vie privée.
À cette situation commune aux trois versants de la fonction publique, s'ajoutent des difficultés propres à chaque fonction publique.
Au sein de la fonction publique territoriale, certains métiers n'attirent plus (tels les métiers de secrétaire de mairie et de policier municipal, ainsi que les métiers de la petite enfance, de l'animation, de la filière médico-sociale et de la filière technique), tandis que d'autres métiers souffrent d'une concurrence avec le secteur privé, où les rémunérations sont généralement plus élevées (métiers d'ingénieurs, de techniciens et d'informaticiens).
De plus, il y a aussi une forte concurrence entre les collectivités territoriales, de nature financière (compte tenu des différences de régime indemnitaire), géographique (l'Ouest est plus attractif que l'Est) ou encore selon la taille de la collectivité (les grandes collectivités urbaines sont plus attractives que les petites collectivités rurales). Par ailleurs, les métiers dans la fonction publique territoriale exposent davantage les agents, et notamment ceux de catégorie C, aux risques professionnels. Enfin, les modalités de recrutement propres à la fonction publique territoriale, selon lesquelles les lauréats d'un concours ne sont pas automatiquement affectés à un poste, mais inscrits sur une liste d'aptitude, peuvent apparaître complexes et aléatoires à certains candidats.
La fonction publique hospitalière est quant à elle confrontée à une pénurie de soignants formés : 5,6 % des postes d'infirmiers (soit environ 15 000 postes) et 2,5 % des postes d'aides-soignants (soit environ 5 000 postes) sont ainsi vacants dans les hôpitaux publics en 2021. Les accords du Ségur de la santé ont permis une accélération de la progression indiciaire qui peut favoriser la fidélisation à long terme des agents ; en revanche, le nombre d'inscriptions dans les écoles de soignants est loin d'être suffisant. Le Ségur n'a pas réglé la question des conditions de travail, pourtant nécessaire pour pallier le déficit d'attractivité de la fonction publique hospitalière.
Dans ces conditions, comment attirer des talents vers la fonction publique ? Si le « noyau de l'attractivité reste la rémunération » selon le rapport sur l'attractivité de la fonction publique territoriale remis en janvier 2022 par Philippe Laurent, la crise des vocations que traverse le secteur public nécessite une approche ambitieuse et globale, qui porte à la fois sur la visibilité de l'emploi public, ses modalités d'accès, les conditions de travail, les perspectives d'évolution offertes aux agents, ainsi que la reconnaissance par la société de l'engagement public.
Je souhaite suggérer quelques pistes de réflexion et d'action.
Par exemple, il serait possible de réformer les carrières et les rémunérations. Le système actuel montre ses limites. Une réforme en profondeur est à imaginer pour mieux valoriser les métiers et les filières professionnelles. La politique de rémunération indiciaire ne peut pas tout résoudre ; afin d'assurer l'attractivité de certains métiers, accorder une part importante au régime indemnitaire est nécessaire. Les associations d'élus ont souligné l'importance de donner davantage de marge de manoeuvre aux employeurs territoriaux dans la rémunération des agents. Ils sont souvent corsetés par une grille indiciaire. Il faut promouvoir une politique de rémunération qui permette de valoriser les talents au-delà des dispositifs indiciaires et de mieux récompenser l'engagement individuel et collectif.
Autre piste : l'amélioration de la qualité de vie au travail, qui doit être au coeur des préoccupations des employeurs publics. De la qualité de vie au travail dépend la qualité du travail, qui assure la performance des services publics ; la santé au travail est également étroitement liée à cet enjeu. Par ailleurs, l'amélioration de la visibilité de l'emploi public auprès des candidats est indispensable. Au sein même de Pôle emploi, le panel des métiers de la fonction publique n'est pas connu ! Le développement de la marque employeur du service public et la publication prochaine du référentiel des métiers de la fonction publique pourraient contribuer à améliorer cette connaissance, et devraient également favoriser les projets de mobilité des agents entre les versants grâce à une meilleure identification des métiers transversaux.
Je vous dirai à présent quelques mots sur l'apprentissage, qui constitue une voie d'insertion dans l'emploi public à renforcer.
En 2021, 19 800 nouveaux contrats d'apprentissage ont été signés dans l'ensemble de la fonction publique, dont 58 % dans la fonction publique territoriale. L'apprentissage constitue en effet une composante à part entière de la politique des ressources humaines des collectivités territoriales, notamment pour les métiers spécifiques et/ou en tension (petite enfance, restauration et entretien des bâtiments).
Les deux dernières années ont également été marquées par l'augmentation du nombre d'apprentis dans la fonction publique d'État. L'objectif ambitieux de recruter 14 940 apprentis en 2021-2022 a été atteint ; en 2022-2023, il a été porté à 17 000 apprentis.
Il y a un moyen d'améliorer significativement l'accès des apprentis à la fonction publique à l'issue de leur apprentissage. Cela consisterait à assimiler l'expérience acquise au cours du contrat d'apprentissage dans la fonction publique à une durée de service public effectif. Un apprentissage de deux ans, ce n'est pas rien ! Cela leur permettrait plus facilement de passer les concours par la voie interne. Le Gouvernement s'y était engagé lors du précédent quinquennat mais il n'a rien entrepris en ce sens. J'espère que le Gouvernement actuel favorisera une telle évolution.
Je vous rappelle que le centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT) finance la totalité des frais de formation des apprentis dans la fonction publique depuis la loi de transformation de la fonction publique, en contrepartie de l'instauration d'une cotisation de 0,1 % sur la masse salariale des collectivités territoriales.
France compétences verse au CNFPT une contribution d'un montant annuel maximal de 15 millions d'euros, tandis que l'État s'est engagé à verser lui aussi 15 millions d'euros dans le cadre de la convention annuelle d'objectifs et de moyens en 2022. Dans le PLF pour 2023, cet engagement a été renouvelé.
En revanche, le Gouvernement a déposé un amendement pour supprimer le caractère annuel de la convention d'objectifs et de moyens signée entre l'État et le CNFPT, ce qui fragilise, à mon sens, l'équilibre du dispositif pour les années à venir. En effet, s'il y a désengagement de l'État et de France compétences, le financement de l'apprentissage incombera aux collectivités territoriales. J'envisage de déposer un éventuel amendement en ce sens sur les crédits non rattachés.
Il s'agit aussi de poursuivre la réflexion engagée sur les concours. Il n'est pas question de revenir sur le principe du concours, qui garantit l'égalité des candidats devant le recrutement et l'objectivité des procédures, ni d'amoindrir la sélectivité des recrutements.
Toutefois, il parait nécessaire de revoir la nature, le contenu et le rythme des épreuves afin de mettre un terme aux décalages qui peuvent persister entre certaines épreuves et la nature des missions que le candidat sera amené à exercer ainsi que les compétences dont il devra faire preuve. De plus, il faut adapter les épreuves aux besoins des employeurs publics, notamment dans les collectivités territoriales. La DGAFP a indiqué que la réflexion sur le sujet était en cours, en particulier s'agissant des concours de la haute fonction publique.
Il me semble qu'il faut aussi renforcer la formation continue des agents pour favoriser leur évolution professionnelle. Dans le cadre du schéma directeur de la formation professionnelle tout au long de la vie des agents de l'État, une plateforme interministérielle de formation en ligne, qui s'appelle « Mentor », a été lancée et offre à ce jour 80 formations.
Il faut favoriser les mobilités entre les versants de la fonction publique. En dépit des dispositifs qui ont été introduits par la loi de transformation de la fonction publique afin de lever les freins à la mobilité, très peu d'agents changent de versant ; ils n'ont été que 24 100 entre fin 2019 et fin 2020. Le développement de la mobilité entre les versants apparaît pourtant à la fois comme un facteur de la fidélisation des agents et comme un outil de mise en oeuvre d'une stratégie territoriale des ressources humaines équilibrée.
Il y a sans doute bien d'autres pistes de réflexion à mener pour renforcer l'attractivité de la fonction publique et fidéliser davantage les agents - certaines collectivités font d'ailleurs preuve de beaucoup créativité en la matière. Il y va de la pérennité de la fonction publique, et avec elle, de la qualité du service public apporté aux concitoyens.
Je vous remercie de votre attention.
Au final, quel est votre avis sur l'adoption des crédits de ce programme, Madame le rapporteur ?
Je vous propose d'émettre un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 148, sous réserve de l'amendement que je vais vous présenter sur les indicateurs de performance.
Je tiens à remercier notre collègue Catherine Di Folco pour son excellente connaissance du sujet et pour toutes les suggestions et les observations qu'elle a faites.
Effectivement, il a lieu de s'inquiéter au sujet de l'avenir de la fonction publique, notamment dans son versant territorial. Il y a un vrai problème d'attractivité ; plusieurs facteurs ont été avancés à juste titre, dont le rapport au travail des nouvelles générations - qui s'observe également dans le secteur privé.
Auparavant, les agents qui entraient dans les collectivités y faisaient toute leur carrière. Aujourd'hui, il y a un taux de renouvellement extrêmement important, en raison des envies de mobilité professionnelle mais aussi d'évolution. Je pense que cela soulève des questions s'agissant du statut, que je ne remets pas en cause. Mais il constitue parfois une rigidité qui mériterait qu'on réfléchisse à des adaptations.
La valorisation des métiers est extrêmement importante. On a aujourd'hui dans nos collectivités des métiers remarquables, par exemple dans le champ de la cybersécurité, et qu'on ne fait pas suffisamment connaître. Alors que le ministre Stanislas Guerini lance une réflexion sur la fonction publique, je lui ai dit qu'il fallait qu'on communique à propos de ces métiers.
L'apprentissage est une voie d'insertion intéressante, non seulement pour les métiers classiques mais aussi pour les métiers de secrétaire de mairie ou de directeur général des services (DGS). J'en profite pour vous annoncer que la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation s'emparera bientôt du sujet de l'attractivité dans la fonction publique, grâce à nos collègues Catherine Di Folco, Jérôme Durain et Cédric Vial.
Comme l'a rappelé le rapporteur, les grandes collectivités ont moins de mal à recruter parce que leurs métiers sont moins au contact direct du public, qu'ils sont un peu plus protégés et plus valorisés, et qu'ils comprennent souvent des avantages salariaux qui n'ont rien à voir avec ceux des petites collectivités. C'est pourquoi il est nécessaire que nous recherchions des solutions pour pallier le déficit d'attractivité des petites collectivités. Celles-ci peuvent par exemple offrir un poste de secrétaire de mairie - dont chacun connaît l'extrême polyvalence - pour une journée ou d'une journée et demie de travail par semaine. Lorsque le poste en question se trouve à 50 kilomètres de son habitation, comment peut-on imaginer que l'on ait envie de répondre à cette offre d'emploi ? C'est pourquoi il a fallu développer des solutions à l'aide, notamment, du portage du contrat de travail par les intercommunalités et des mises à disposition auprès d'autres communes. La question s'est également posée pour les policiers municipaux.
Je voudrais dire un mot sur la fonction publique hospitalière et le secteur médico-social. Le rapporteur a évoqué le Ségur de la santé. Celui-ci a permis une revalorisation des métiers du sanitaire, mais pas du secteur médico-social. Or, dans les établissements de prise en charge du handicap, de l'enfance ou de la dépendance, les deux types d'activités peuvent coexister. Dans un même établissement, il peut donc y avoir deux secrétaires, une qui relève du secteur sanitaire et a bénéficié de la revalorisation mensuelle de 183 euros et l'autre qui est dans le secteur médico-social et n'en a pas bénéficié.
Je salue le travail du rapporteur et notamment les développements qu'elle a consacrés à l'enjeu de l'attractivité des métiers des trois versants de la fonction publique.
Au-delà des débats que nous pouvons avoir sur le fait de savoir s'il y a trop ou pas assez de fonctionnaires dans notre pays, une chose est certaine : pour mener à bien des politiques publiques, y compris celles qui garantissent les valeurs républicaines dont l'égalité, nous avons besoin d'agents de la fonction publique de l'État, de la fonction publique hospitalière et bien évidement de la fonction publique territoriale. Je souhaiterais revenir rapidement sur cette dernière.
Comme cela a été dit, face au défi de l'attractivité il y a plusieurs leviers à mobiliser : la question des salaires, et, au-delà, la problématique de l'évolution des carrières, de même que la prise en compte réelle des fonctions qui sont exercées et de la pénibilité de certains métiers. Soit on continue d'avoir des services publics qui sont ouverts tout au long de la semaine sauf quand les usagers en ont besoin, soit on décide de revoir certaines règles, pour mieux valoriser les métiers de la fonction publique...
Il y a très certainement et bien plus fortement que cela n'est fait aujourd'hui à prendre en compte cette aspiration nouvelle. Comme cela l'a indiqué Françoise Gatel, nous devons également prendre en compte les nouvelles aspirations des jeunes générations. Les enfants grandissent désormais avec l'idée qu'ils n'auront pas un mais plusieurs métiers, et que la mobilité et l'évolution professionnelles sont nécessaires. Aujourd'hui, même si les jeunes veulent bien rejoindre la fonction publique, ils ont un autre regard et d'autres exigences que précédemment.
Par ailleurs, le développement du télétravail et l'utilisation des journées de réduction du temps de travail (RTT) vont renforcer les concurrences entre collectivités. Je vais prendre un exemple. Une des collectivités territoriales les plus attractives, hors l'Île-de-France, demeure la région Auvergne Rhône-Alpes. Par le volume de ses effectifs, par son budget, elle a un système indiciaire intéressant. Lorsqu'on fait un ou deux jours de télétravail par semaine et que l'on a des journées capitalisables de réduction du temps de travail, alors la question d'aller travailler à Lyon, quand on habite à 70, 80 voire 100 kilomètres de là, ne se pose pas dans les mêmes termes que lorsqu'on est contraint d'y aller du lundi au vendredi, voire davantage selon les missions et les obligations de service. Je crois que ceci doit être pris en compte.
Un certain nombre de collectivités - je pense notamment aux départements mais également aux régions - sont confrontées à des difficultés de recrutement du fait de différences de coût de la vie au sein d'un même territoire. Ainsi, recruter un agent de catégorie C pour travailler dans un lycée, notamment en zone frontalière avec le pays de Gex, devient de plus en plus compliqué car le salaire versé ne permet pas de vivre sur place. Ce n'est qu'un exemple parmi d'autres. Donc il faut agir sur les salaires et donner les moyens aux collectivités de pouvoir le faire.
Comme cela a été dit, il faut aussi travailler à renvoyer une image de modernité des métiers de la fonction publique - et pas simplement à l'aide de quelques spots à la télévision ou sur Internet - pour donner aux jeunes envie de postuler. Enfin, il faut redonner du sens à ces métiers, car nous en avons profondément besoin.
Tout ceci étant dit, le groupe CRCE estime que le budget n'est pas à la hauteur. Nous ne voterons donc pas l'adoption des crédits du programme 148, mais nous voterons pour la publication du rapport.
À titre d'exemple d'initiative pour mieux faire connaître la fonction publique, je voudrais souligner l'initiative innovante du centre de gestion de la fonction publique territoriale du Rhône et de la Métropole de Lyon, qui organise demain, à l'initiative de son président, un job dating, en partenariat avec le Fonds pour l'insertion des personnes handicapées dans la fonction publique (FIPHP), pour travailler à l'insertion des personnes à mobilité réduite.
Je remercie mes collègues pour leurs interventions. Je partage entièrement leurs avis. Je propose, si vous en êtes d'accord, un amendement qui vise à remplacer l'indicateur du taux de satisfaction par les deux indicateurs qui existaient dans le PLF pour 2021, à savoir : le coût de gestion des prestataires extérieurs chargés de certaines prestations d'action sociale, et le coût moyen annuel de réservation d'une place en crèche. Ces deux indicateurs me semblent plus pertinents pour évaluer la performance des actions mises en place.
Il s'agit, pour être précis, d'un amendement à l'article 30, état G, alinéa 1398.
L'amendement est adopté.
La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits du programme « Fonction publique » de la mission « Transformation et fonction publiques », sous réserve de l'adoption de son amendement.
La mission « Pouvoirs publics » comporte les crédits de la présidence de la République, du Conseil constitutionnel, de la Cour de justice de la République, de l'Assemblée nationale, du Sénat et de la chaîne parlementaire. Le budget total de la mission s'élève à 1 076,5 millions d'euros, soit une hausse de 2,76 % par rapport à l'année dernière. Je vous précise mes chers collègues que, comme les deux années précédentes, le rapport que je vous présente ne portera ni sur l'Assemblée nationale, ni sur le Sénat, ni sur la chaîne parlementaire, puisque, en tant que Questeur, je ne voudrais pas être en conflit d'intérêts. Je vous renvoie donc au rapport tout à fait précis, clair et remarquable de nos collègues de la commission des finances pour ce qui est du Parlement.
Pour ce qui est de la présidence de la République, je précise que je n'ai pas eu l'honneur, comme les trois années précédentes, d'être reçu par le directeur de cabinet du président de la République. En effet, celui-ci ne donne pas suite à mes demandes, pour des raisons que j'ignore. Nous nous contentons donc de correspondances avec son adjoint. Je préciserai cela en séance publique, sans faire de plus amples commentaires, car cela ne me paraît pas nécessaire.
La dotation demandée pour la présidence de la République est en hausse de 4,90 %, soit 110,46 millions d'euros en 2023 contre 105,3 millions d'euros en 2022.
Une augmentation sensible des dépenses de fonctionnement est à relever : 12,61 % de plus, ce qui est assez important. Pour justifier cette évolution, plusieurs explications sont avancées, en particulier l'augmentation du point d'indice de la fonction publique et l'inflation. Toutefois, même en additionnant l'une à l'autre, il est difficile de justifier une telle hausse. À cela s'ajoute un certain nombre de travaux de sécurité, que nous nous devons de soutenir. Je souhaite néanmoins souligner que les explications données apparaissent un peu absconses. En effet, dans l'annexe au projet de loi de finances pour 2023, la présidence de la République indique qu'il faut procéder à « un recalibrage réaliste devenu indispensable permettant de faire face aux coûts de gestion courante ». Cette phrase se passe de tout commentaire. Si ce sont des « coûts de gestion courante », on ne comprend pas tellement la notion de « recalibrage indispensable ». Il me sera toutefois difficile d'évoquer cela en séance publique car je ne disposerai que de trois minutes, comme vous tous et toutes, mes chers collègues, ce qui est tout à fait dommageable pour discuter d'un tel budget.
Les dépenses d'investissement comprennent plusieurs opérations qui sont parfaitement réalistes et qui doivent être soutenues. Je pense particulièrement à tout ce qui concerne la sécurité du président de la République et la sécurité informatique de l'Élysée. Dans le monde où nous vivons, je ne peux que soutenir ces investissements qui requièrent des moyens suffisants.
Cependant, je tiens à préciser que la justification de certaines opérations d'investissement manque de précisions. Des travaux de mise aux normes et de mise en sécurité vont sans doute intervenir dans les années à venir. Outre la mise en conformité des installations électriques, il y aura des opérations de sécurisation des sites, conformément aux conclusions du diagnostic technique réalisé en 2021. Si les services de la présidence indiquent que le chiffrage de ces opérations est encore en cours, la Cour des comptes relève quant à elle un coût estimé à 12 millions d'euros sur cinq ans. Ensuite, la réalisation de l'audit énergétique des emprises parisiennes doit permettre la définition d'une stratégie pluriannuelle de travaux mais des incertitudes demeurent quant aux besoins de financement afférents. Enfin, je précise que l'élaboration d'un nouveau schéma directeur immobilier à compter de 2025 pourrait être l'occasion d'établir une convention avec l'opérateur du patrimoine et des projets immobiliers de la culture (OPPIC) visant à clarifier les rôles et à établir les responsabilités de chacun. Toutefois, la rédaction d'une nouvelle convention avec l'OPPIC se traduirait certainement par la prise en charge par la présidence de la République de travaux financés jusqu'à présent par l'OPPIC.
En résumé, il y a des marges d'incertitudes quant à l'avenir. Je précise en outre que le budget donne lieu à un prélèvement sur les disponibilités de la présidence de la République. Nous avons réussi à établir que les disponibilités étaient de 22,8 millions en 2017, 17 millions en 2018, 20,5 millions en 2019, 20,4 millions en 2020 et le même montant en 2021. Pour 2023, le prélèvement prévisionnel sur les disponibilités s'élève à 2,37 millions d'euros.
Pour conclure sur un point positif, j'ajoute que les dépenses d'investissement comprennent des travaux visant à chauffer l'Élysée, au moins pour partie, par la géothermie, ce qui va tout à fait dans le sens des énergies du futur.
J'en viens au Conseil constitutionnel. Nous avons été reçus très chaleureusement et longuement par le président Laurent Fabius et le secrétaire général, Jean Maïa. Les crédits du Conseil constitutionnel pour 2023 sont en baisse, compte tenu de l'enveloppe exceptionnelle qui a été allouée en 2022 pour le contrôle de l'élection présidentielle et des élections législatives. Ces crédits n'ont logiquement pas été reconduits cette année puisqu'il n'y aura probablement que les élections sénatoriales.
Le budget n'appelle pas de remarque particulière. Nous devons toutefois souligner le travail très important réalisé en matière de QPC. L'année 2022 a ainsi été marquée par le jugement d'une millième QPC. Ce mécanisme constitue une novation très importante. Il y a également le portail internet qui permettra de recenser l'ensemble des QPC d'ici le début de l'année 2023. Cette initiative est extrêmement positive. Le Conseil constitutionnel poursuit par ailleurs sa politique visant à faire connaître son activité, notamment par des déplacements, par des liens internationaux et par plusieurs audiences décentralisées.
Par ailleurs, je me suis permis d'évoquer, lors de mon entretien avec le président Laurent Fabius, le vote du Sénat, qui a adopté le 4 novembre 2021, par une majorité de 322 voix contre 22, une proposition de loi constitutionnelle reprenant les termes de la Constitution dans sa rédaction issue de la révision constitutionnelle de 2008, selon laquelle « la ratification des ordonnances par le Parlement doit être expresse ». J'ai ainsi souhaité rappeler l'opposition d'une large majorité au sein de notre assemblée à la jurisprudence du Conseil constitutionnel qui conduirait à octroyer aux ordonnances non ratifiées une valeur législative.
J'en viens aux crédits de la Cour de justice de la République. Son président, qui nous a reçus fort courtoisement, a mentionné des travaux de sécurisation des locaux, qui débuteront cette année et se poursuivront l'année prochaine.
Il y a en outre le projet, qui serait économique, de déplacer la Cour de justice de la République dans les locaux de l'île de la Cité. Toutefois, ce déménagement ne pourra intervenir avant l'achèvement des procès en cours, en particulier ceux qui concernent l'attentat de Nice.
S'agissant de l'activité de la Cour de justice de la République, il est à relever qu'un procès a eu lieu au cours des dernières semaines. Je me dois également d'appeler votre attention sur le nombre de recours déposés devant la commission des requêtes de la Cour de justice de la République, qui exerce un filtrage des plaintes avant leur éventuelle transmission à la commission d'instruction. En 2021, le nombre de recours déposés devant cette commission s'est élevé à 20 119. Parmi ces recours, la quasi-totalité a été présentée par le même avocat, qui proposait un modèle prédéfini de plainte facilement accessible sur internet. Il y a là un vrai problème et je m'interroge sur le bien-fondé d'une telle méthode, d'autant plus que cet avocat a récemment dû comparaître devant le Conseil de l'Ordre et a été sanctionné d'une interdiction d'exercer pendant six mois avec sursis.
Enfin, chacun connaît les débats sur la Cour de justice de la République et les projets qui proposent sa pure et simple suppression, assortie d'un dispositif de filtre pour éviter le harcèlement judiciaire des ministres.
Voilà, mes chers collègues, les quelques remarques que je voulais vous présenter, au terme desquelles je vous propose de donner un avis favorable à l'adoption de ces crédits.
Je formule le voeu que l'augmentation des frais de fonctionnement de 12,61 % pour la présidence de la République inspire celles et ceux qui allouent les budgets de fonctionnement pour les collectivités locales. Je rappelle que les collectivités territoriales subissent les mêmes contraintes avec l'augmentation du point d'indice et l'inflation. Il est dès lors particulièrement gênant d'expliquer aux collectivités territoriales qu'elles doivent faire des économies lorsque la présidence de la République ne donne pas l'exemple.
Je pense que vous pourrez argumenter en ce sens en séance publique, si toutefois il vous est dévolu le nombre de minutes nécessaires. Comme vous le savez, je proteste énergiquement contre les règlements qui ont été adoptés qui réduisent à la portion congrue ces débats budgétaires en séance publique.
Après l'exposé à la fois précis et subtil de Jean-Pierre Sueur, je me demande pourquoi il propose d'approuver les crédits.
J'ai émis un certain nombre de réserves qui me paraissent nécessaires. Il y a en particulier des imprécisions qui concernent le budget de fonctionnement de la présidence de la République, à l'exception des dépenses indispensables à la sécurité, qui ne peuvent être critiquées. Néanmoins, ces remarques ne me conduisent pas à proposer un avis défavorable sur l'ensemble des crédits de la mission « Pouvoirs publics », qui comprennent le budget de l'Élysée, du Conseil constitutionnel et de la Cour de justice de la République.
La commission émet un avis favorable aux crédits de la mission « Pouvoirs publics ».
La réunion est close à 11h25.
Nous remercions le ministre de sa présence. Je rappelle que notre audition se tient dans le cadre de nos travaux sur le projet de loi de finances, plus spécifiquement sur la mission « Relations avec les collectivités territoriales », dont le rapporteur est Loïc Hervé. Nous évoquerons donc ensemble le budget des collectivités territoriales, leurs relations avec l'État et les difficultés des collectivités dans le contexte de crise que nous connaissons actuellement.
Je vous remercie Monsieur le Président. Mesdames et Messieurs les sénatrices et sénateurs, avant toute chose, je souhaiterais revenir sur la situation actuelle.
Les arbitrages sur le projet de loi de finances sont rendus durant l'été. À cette époque, le dernier élément d'information en date consistait en un rapport de la Cour des comptes, dont l'analyse reposait sur un état des lieux en début d'année 2022 et sur des estimations des comptes administratifs. Nous nous sommes basés sur cette photographie pour déterminer l'état de santé des collectivités territoriales, et elle traduisait globalement une amélioration sur cinq ans. Or la tendance actuelle diffère sensiblement. Ainsi, l'inflation déjà présente en 2021 a changé de nature et d'ampleur à partir du 24 février 2022, date de l'invasion de l'Ukraine par la Russie.
Afin d'en pallier les conséquences sur les finances des collectivités territoriales, le Sénat a ajouté un « filet de sécurité » dans la loi de finances rectificative, puis le Gouvernement a amendé sa copie. Des éléments restent à coconstruire dans le cadre de la discussion budgétaire et parlementaire, mais je tiens à présenter quelques éléments marquants :
- l'augmentation de l'enveloppe de DGF : elle progresse pour la première fois depuis 13 ans, à hauteur de 320 millions d'euros.
- la création d'un « fonds vert » : Ce fonds a vocation à soutenir le financement des projets des collectivités territoriales. Certes, les autorisations d'engagement liées au plan de relance et en lien avec le plan « Marseille en Grand » ne sont pas reconduites à cet égard, mais le solde reste très largement positif puisque le « fonds vert » sera abondé à hauteur de 2 milliards d'euros contre 1,5 milliard initialement. Ce fonds se veut extrêmement souple, et ne repose pas sur des appels à projets ou manifestations d'intérêt, qui le rendraient trop complexe pour apporter un appui financier réel et concret aux collectivités dès 2023 ;
- la stratégie face à la hausse des prix de l'énergie . Nous ajustons cette stratégie, dans un contexte où les prix évoluent et où une partie des discussions impliquent nos partenaires européens s'agissant de la réforme du marché de l'électricité. La façon d'agir la plus efficace et vertueuse en termes de finances publiques consiste à obtenir des baisses de prix avant d'étudier les solutions. Nous proposons deux dispositifs : un « amortisseur » et un nouveau « filet de sécurité ». Ce dernier peut sembler complexe dans la détermination de son montant, mais il présente l'intérêt de ne pas se limiter aux prix de l'électricité et permettra de répondre efficacement à une partie des surcoûts significatifs.
Monsieur le ministre, je souhaite avant toute chose revenir sur l'article 23 du projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027 et sur l'échange que vous avez eu avec Christine Lavarde dans l'hémicycle.
Les contrats dits « de Cahors » n'ont pas laissé un bon souvenir chez les présidents d'exécutifs des collectivités territoriales et de leurs groupements, ni chez les parlementaires ; ils ont constitué une source de tensions dans la relation entre l'État et les collectivités territoriales. Nous ne sommes pas soumis aux mêmes obligations en termes d'équilibre budgétaire, que nous soyons à votre place, monsieur le ministre, ou à la place des élus en charge de budgets de collectivités territoriales.
L'Assemblée, puis le Sénat, ont supprimé cette idée de « contrats de confiance », des contrats dont l'essentiel des clauses sont léonines. Devons-nous placer un tel licol autour du cou des collectivités territoriales pour satisfaire des exigences européennes ? Les collectivités locales sortent de la crise liée à l'épidémie de covid-19 et font aujourd'hui face à la hausse du coût de l'énergie. Elles me semblent capables de gérer leurs finances et ne méritent pas de tels dispositifs infantilisants. Tel est en tout cas ce qui ressort des auditions que j'ai conduites dans le cadre de l'examen de la mission « Relations avec les collectivités territoriales ». Je vous invite en conséquence à regarder comment faire évoluer ce dispositif.
Un deuxième sujet illustre la différence de positions du Sénat et du Gouvernement quant aux finances locales :la suppression de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE). Nous sommes en train de tuer l'un des derniers impôts locaux de France sans avoir réformé ni la fiscalité locale ni la fiscalité des entreprises. La CVAE est le dernier impôt qui trace un lien entre la richesse produite dans un territoire et les collectivités territoriales, qui aménagent et rendent des services publics aux entreprises et aux salariés. Quand le lien entre l'industrie et le territoire aura définitivement disparu, il sera difficile de réindustrialiser le pays. Si la France possède une appétence à l'impôt, c'est parce que nous savons comment il est employé.
Je sais que des propositions de suppression de l'article 5 s'exprimeront. D'autres suggéreront de différer cette réforme dans le temps. Pour le moment, vous envisagez de supprimer la CVAE sans réfléchir à la manière de financer les collectivités territoriales avec ceux qui créent la richesse sur leur territoire. Nous parlons ici des entreprises, mais nous n'avons pas non plus obtenu gain de cause s'agissant des ménages puisque la taxe d'habitation a été supprimée et remplacée par des compensations.
Enfin, vous avez évoqué le fonds vert, de 2 milliards d'euros. On semble rassuré que le préfet de département, et non le préfet de région, attribue ces dotations. On pointe aussi un début de verdissement de la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL). Comment envisagez-vous d'harmoniser ces deux dispositifs ? Avez-vous l'intention d'associer les élus locaux au processus d'attribution ? L'association des élus était intéressante pour la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR), mais pas du tout pour la DSIL. Chaque année, nous tentons de créer un dispositif pour associer les élus locaux, et nous n'y parvenons pas. Nous aurons peut-être de nouvelles propositions.
Lors de la séance de questions d'actualité au Gouvernement, Jean-Michel Arnaud a relayé les inquiétudes légitimes de nos collectivités face à une situation aussi inédite que douloureuse s'agissant des énergies. Je souhaite à mon tour vous livrer une inquiétude sur ce qui constitue une forme de poison mortel pour l'avenir de nos collectivités.
Lors de la création du « filet de sécurité », nous avions insisté sur l'importance de son caractère opérationnel. Nous devons aux maires des dispositifs opérationnels et une parole de l'État tenue. Je m'étonne donc de recevoir de la part du ministre Gabriel Attal des propositions de versement d'acomptes pour l'Ardèche, alors que vous avez indiqué lors de la séance de questions au Gouvernement que vous-même n'avez pas à ce jour l'état des programmations de ce « filet de sécurité » pour l'année 2022 à l'échelle nationale. Cela ne me rassure pas.
Nous pouvons comprendre que des critères soient nécessaires et que les 22 000 communes susceptibles d'être éligibles initialement ne le soient finalement pas toutes. Cependant, les chiffres actuels inquiètent. Mon département compte 335 communes, dont beaucoup de communes rurales dans des situations très compliquées, et seules 29 entreraient dans le dispositif évoqué. Ce « filet de sécurité » ne sera donc pas au rendez-vous. De plus, certaines communes pourraient être obligées de restituer l'avance en mars car les critères auraient été mal estimés. Ce n'est pas possible, et je le dis avec solennité : l'heure est grave, et nous devons agir ensemble car il en va de notre crédibilité collective. Nos maires doivent faire face à une angoisse quotidienne, et la moindre des choses serait de leur donner de la transparence et de la clarté.
Enfin, j'avais cru comprendre en 2017 que le Président de la République souhaitait nous voir réfléchir à des dispositifs de péréquation. Or nous n'avons pas avancé sur le sujet et nous n'avons pas non plus réfléchi à l'avenir du fonds national de péréquation des ressources intercommunales et communales (FPIC), qui pose question notamment sur les effets de la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, dite « NOTRe ».
La ministre Caroline Cayeux a achevé sa réponse à la question d'actualité qui lui a été posée en se référant au rapport de la Cour des comptes relatif aux scénarios de financement des collectivités territoriales. Or, la même Cour des comptes s'est également prononcée, dans le fascicule 2 de son rapport sur les finances locales pour 2022, en faveur de l'attribution de la dotation globale de fonctionnement (DGF) à l'échelle du bloc communal, avant sa répartition entre l'intercommunalité d'une part et ses communes membres d'autre part. Je souhaiterais connaître votre sentiment sur cette question.
Monsieur le ministre, je souhaiterais que vous nous indiquiez, avec des chiffres précis, l'évolution du pouvoir d'achat de la dotation globale de fonctionnement depuis dix ans. Nous avons connu des baisses de dotation sous le quinquennat de François Hollande, puis un gel sous le premier quinquennat d'Emmanuel Macron. Vous vous apprêtez aujourd'hui à faire un geste, mais il convient d'en mesurer la portée.
La baisse de capacité financière de la dotation globale de fonctionnement a un effet très fort dans une période où les dépenses ont augmenté sous l'effet des normes, des transferts de charges et de l'augmentation des traitements des fonctionnaires. À cet effet de ciseaux considérable s'est ajoutée la suppression d'impôts locaux, générant une situation qui justifie l'inquiétude exprimée par nos collègues.
Je ne mésestime pas les efforts que vous avez annoncés, certes limités mais qui présentent le mérite d'exister. Je souhaiterais toutefois que vous nous éclairiez sur le contexte du budget 2023, après dix ans d'érosion de la capacité financière des dotations globales de fonctionnement.
Enfin, je souhaite vous interroger sur un point plus anecdotique, relatif à une centaine de petites communes. La dotation particulière relative aux conditions d'exercice des mandats locaux (DPEL), qui finance notamment les indemnités des élus locaux, est fonction du potentiel financier, censé refléter la richesse du territoire. Or, quand un habitant fortuné s'installe dans sa commune, le potentiel financier peut en être affecté et le maire peut voir sa dotation supprimée sur ce seul critère, alors qu'il accomplit le même travail. L'État ne se ruinerait pas à intervenir dans ces cas, et je présenterai un amendement en ce sens. Je souhaiterais que vous lui apportiez un soutien public.
Je tiens tout d'abord à m'associer à la position et aux inquiétudes exprimées par Loïc Hervé et Mathieu Darnaud.
Ma première question part du constat d'un besoin réel d'investissement dans les mobilités du quotidien. Le développement des transports en commun varie sur l'ensemble du territoire, et les territoires ruraux s'inquiètent aujourd'hui de l'augmentation annoncée des péages de SNCF Réseau. Par ailleurs, le développement des transports en commun de certaines métropoles très urbanisées s'avère encore très éloigné de celui d'Île-de-France. Des amendements ont été présentés sur le versement mobilité entreprise au moment du projet de loi de finances rectificative, visant à porter leur taux maximal à celui ayant cours en région parisienne. Ces amendements ont été rejetés hier à l'Assemblée nationale avec un avis défavorable du Gouvernement. Je rappelle pourtant que les membres des groupes Les Républicains et Renaissance, élus des Bouches-du-Rhône, les avaient défendus localement. Avez-vous des propositions pour permettre aux collectivités de mettre en oeuvre les mobilités nécessaires à leur développement ?
Par ailleurs, vous connaissez sans doute le problème des péréquations liées aux attributions de compensations (AC) ou à la dotation de solidarité des communes d'Aix-Marseille-Provence. La publication du rapport de la Cour des comptes le 20 octobre 2022 fait état de 178 millions d'AC versées indûment. Cette métropole a désormais besoin de visibilité pour prendre des décisions avant le 31 décembre 2022. Seriez-vous disposé à intégrer dans le projet de loi de finances pour 2023 un mécanisme progressif pour corriger cet état de fait ?
Certaines publications spécialisées ont récemment fait paraître des esquisses de répartition du « fonds vert ». J'en saisis mal la pertinence, dans la mesure où cette répartition relève normalement des préfets de département, sur dossier. Pourriez-vous préciser que vous émettrez prochainement une circulaire ou un guide sur l'utilisation du « fonds vert », à destination des préfets et élus utilisateurs ? Pourriez-vous également vous assurer d'un délai suffisant pour que les communes présentent leurs dossiers ?
Par ailleurs, j'ai cru comprendre que le ministre de l'économie et le ministre des comptes publics disposaient d'une légère marge en sortie d'exécution 2022. Nous pourrions donc progresser encore sur le « filet de sécurité » pour surmonter l'effet de seuil que crée le critère d'éligibilité de diminution annuelle de l'épargne brute de 25 %. En effet, de nombreuses communes et intercommunalités risquent de manquer cette cible pour quelques milliers d'euros. Certaines optimisent du reste leurs comptes administratifs pour satisfaire ce critère. Je suggère dans ce contexte de créer un deuxième étage, entre 20 % et 25 % de baisse d'excédents, le cas échéant avec des remboursements moins élevés, pour lisser cet effet de seuil.
N'étant pas polytechnicien, je n'ai quasiment rien compris à la présentation de la Première ministre sur le système « d'amortisseur électricité ». Il me semblerait donc opportun que le Gouvernement fasse paraître un document d'explication.
Enfin, il apparaît positif que les collectivités de petite dimension - celles ayant moins de 2 millions d'euros de recettes et moins de 10 emplois - soient éligibles au tarif réglementé de vente (TRV), mais les collaborateurs de Gabriel Attal ont précisé que le critère des effectifs portait bien sur 10 emplois et non 10 équivalents temps plein (ETP). Or nombre de ces petites collectivités cumulent les emplois à temps partiel dans les services techniques et scolaires sans pour autant dépasser les 10 ETP, ce qui les empêche d'accéder au tarif réglementé. Je vous invite donc à considérer un petit effort pour régler ce problème.
L'action publique est conduite par l'État et les collectivités territoriales, ces dernières rendant des services essentiels à la population, y compris pour le compte de l'État. Comme le Président de la République l'a répété, vous souhaitez une relation de partenariat responsable et confiant entre l'État et les collectivités. Dans ce contexte, les contrats dits « de Cahors » n'ont pas rencontré le succès espéré. Je rappelle à cette occasion la ligne suivie constamment sur ce sujet par cette assemblée : qui décide paie ; et à l'inverse, qui assume le coût doit pouvoir décider.
Le Gouvernement propose la disparition de la CVAE. Cette contribution fait pourtant le lien entre les collectivités, qui agissent pour le développement économique de leur territoire, et les entreprises qui s'y installent. Nous faisons en outre face à la menace du « zéro artificialisation nette » (ZAN), qui nous incitera à terme à choisir, dans notre politique locale d'aménagement, entre l'habitat et le développement économique. Quand ce dernier soulève du mécontentement de la part des concitoyens, l'absence de recettes ne semble pas très incitative. Je vous invite donc à revenir sur la suppression de la CVAE.
Si vous tenez réellement à diminuer les impôts de production, il conviendrait alors de réfléchir à la suppression de la contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S) au sujet de laquelle j'ai proposé hier un amendement au projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS). Cette taxe rapporte 3,6 milliards d'euros à l'État, destinés au financement de l'assurance vieillesse. Elle coûterait beaucoup moins cher en compensation à l'État que la CVAE.
J'aurai ensuite une question sur le « filet de sécurité », que le sénateur de Mayotte, Thani Mohamed Soilihi, m'a demandé d'étendre à l'outre-mer. Je salue votre effort, et sa reconduction en 2023, mais ce « filet de sécurité » inventé par Bercy s'avère très complexe et verrouillé. Je doute qu'il soit utilisé, car nous ne connaîtrons l'état d'un des trois critères d'éligibilité qu'en mars ou avril 2023. De plus, beaucoup de communes ont été écartées. Serait-il possible de simplifier ce dispositif, en lien avec les réalités de terrain ?
La situation est grave. Les collectivités craignent aujourd'hui 2023 et 2024, et risquent de prévoir un budget d'investissement faible ou nul, bloquant un moteur économique dont les entreprises ont besoin.
Enfin, 110 communes n'ont eu aucun candidat aux élections municipales en 2020, contre 80 en 2014. Nous constatons par ailleurs des démissions. Le dispositif de la commune nouvelle permettrait d'y remédier, mais il est victime de ses conditions financières. Entendez-vous l'améliorer ?
L'heure est grave quand, dans un pays comme le nôtre, une collectivité fait le pari du réchauffement climatique pour passer l'hiver en économisant sur les fluides dans ses équipements publics. Nous nous trouvons dans une situation ubuesque, et les élus ne savent plus comment satisfaire des besoins des populations.
Au moment du confinement, nous avons su débloquer les moyens nécessaires pour maintenir le niveau social de notre pays et accompagner les entreprises. Ce qui se passe aujourd'hui dans les collectivités suscitera certainement dans les mois à venir un plan de licenciement silencieux mais massif. Si les communes ne peuvent plus investir, les entreprises, les très petites entreprises (TPE), les artisans et toutes les activités qui peuvent être délocalisées en seront les premières victimes. L'investissement a déjà commencé à diminuer, sous l'effet de la hausse des matériaux dès fin 2021. Même les collectivités qui avaient bénéficié de dotations ont renoncé à des projets ou les réduisent.
La réponse doit être à la hauteur de ces enjeux, mais le nombre de communes bénéficiaires du « filet de sécurité » nous interpelle. Ainsi, seules 13 communes le sont sur les 323 que compte le département de la Loire. Si nous rendions cette liste publique, nous mettrions le feu aux territoires, et tel n'est pas notre souhait.
Je vous invite à réécouter la réponse que vous avez apportée lors de la séance de questions d'actualité au Gouvernement. Même avec des connaissances poussées en finances locales, le dispositif apparaît très compliqué et générera beaucoup de difficultés. Pour 2023, il convient avant tout de débloquer des fonds suffisants et de trouver des solutions plus simples.
Je rappelle qu'en période d'inflation, les recettes de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) de l'État ne diminuent pas. La question de l'indexation, totale ou partielle, de la DGF sur l'inflation se pose, et ce d'autant plus compte tenu de la création du « fonds vert ». Si ce fonds fonctionne sur le même principe que tous les dispositifs de co-financement entre l'Etat et les collectivités territoriales, à savoir par une participation maximale de l'Etat plafonnée à 80 % du coût d'un projet, il ne constituera une bonne nouvelle que pour ceux qui disposent des 20 % restants ; il continuera donc de fracturer les collectivités entre elles.
Enfin, nous avons besoin de dispositifs pour aider, accompagner et sécuriser l'investissement, mais nos collectivités rencontrent également des difficultés de fonctionnement qui réduisent leurs capacités d'investissement. Le projet de loi de finances doit pouvoir y répondre, mais nous en sommes encore loin.
Certaines communes ont signé un contrat de redressement outre-mer (COROM). Bénéficieront-elles du « filet de sécurité » en 2023 ?
Dans mon département de plus de 500 communes, seules 21 seraient éligibles au « filet de sécurité ». Il ne s'agit du reste que de 1 000 euros, qu'elles ne sont même pas certaines de conserver. Dès le PLFR voté, j'ai largement relayé l'effort mené, mais je ne le referai pas. Je milite aujourd'hui pour un discours clair et je rejoins à cet égard mes collègues sur la complexité du dispositif. Nous avons besoin d'éléments lisibles, notamment sur « l'amortisseur » évoqué par la Première ministre, et d'une véritable prise en compte des besoins des collectivités, en particulier dans les sommes allouées.
Si nous nous trouvions dans le contexte de l'année dernière, nous aurions pu nous féliciter des décisions contenues dans ce budget. Le contexte a toutefois changé. Les collectivités sortent de la crise liée à l'épidémie de covid-19, et certaines en subissent encore quelques difficultés. Par ailleurs, à la suite du conflit en Ukraine, nous connaissons une flambée du coût de l'énergie et un pic de l'inflation, qui se répercutent massivement sur les budgets de nos collectivités. Les indicateurs de précarité augmentent également : 85 % des Français estiment qu'ils devront se serrer la ceinture ou ont commencé à le faire, ce qui se traduit par un afflux dans nos centres communaux d'action sociale (CCAS) et des demandes d'allocations de solidarité dans nos départements.
Parallèlement, des décisions prises par l'État s'imposent aux collectivités sans compensation totale : l'évolution du point d'indice dans la fonction publique territoriale, l'augmentation des rémunérations des accompagnants des élèves en situation de handicap (AESH), l'augmentation du revenu de solidarité active (RSA), l'avenant 43 pour l'aide sociale des départements, la modification des modalités de gestion de la taxe dite « GEMAPI ».
Dans ce contexte, la suppression de la CVAE apparaît malvenue. Elle constituait le dernier lien entre le territoire et le monde économique, mais aussi le dernier impôt puissant revenant aux collectivités. Vous souhaitez le remplacer par une part de TVA, mais il s'agit par définition d'un impôt volatile, susceptible de diminuer en fonction de la situation économique. La suppression de la CVAE produit également des conséquences sur les fonds de péréquation des départements. En conséquence, nous risquons une panne de l'investissement local.
La commission de régulation de l'énergie (CRE) a annoncé avant-hier que l'État percevrait 30,9 milliards d'euros de la part des producteurs d'énergies renouvelables, soit 20 milliards d'euros de plus que l'année dernière. Ne pourriez-vous pas en utiliser une partie pour indexer la DGF sur l'inflation, ce qui correspond à une demande forte de l'ensemble des collectivités territoriales, améliorer le « filet de sécurité » et répondre aux revendications des associations d'élus ?
Je vous remercie pour toutes ces questions, qui relèvent principalement de quatre sujets : les contrats « de Cahors », la CVAE, le « filet de sécurité » et le « fonds vert ». J'y reviendrai dans cet ordre, après avoir confirmé à M. Théophile que les communes relevant du COROM peuvent bénéficier du filet de sécurité.
C'est Bercy qui a souhaité imaginer des contrats « de Cahors bis », en se basant sur la capacité d'autofinancement. Se baser sur les dépenses de fonctionnement n'était pas aussi pertinent dans la période d'inflation actuelle. Le signal s'est toutefois révélé catastrophique : nous semblions dire que nous ne faisions pas confiance aux collectivités territoriales dans leur gestion et nous laissions penser que l'État était par nature vertueux et les collectivités territoriales par nature dépensières.
Nous souhaitons maintenant y mettre un terme, en évitant des contrats individuels et des dispositifs automatiques. Je m'y suis employé, en recevant toutes les associations d'élus avec Gabriel Attal début juillet, en ne cachant rien des différentes hypothèses envisagées et en aboutissant à un point d'équilibre. Nous n'aurons pas de contrats individuels et nous fonderons l'application de ce mécanisme sur un indicateur connu depuis longtemps : l'objectif d'évolution des dépenses des collectivités locales (ODEDEL). Si, à la mi-2024, les comptes administratifs 2023 montrent que des collectivités se sont éloignées de leur trajectoire, nous organiserons des rendez-vous spécifiques avec les préfets. Nous verrons alors si des éléments conjoncturels permettent de l'expliquer ou si des trajectoires de retour à l'équilibre doivent être établies.
L'examen du projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027 s'était engagé sur cette base, mais l'attitude de la majorité à l'Assemblée nationale a conduit à le dévitaliser et ce projet de loi n'a pas pu être adopté. Pour autant, le respect d'une trajectoire maastrichtienne dans l'évolution de nos dépenses publiques relève d'une obligation européenne, et elle entraîne des conséquences dans l'appréciation par les prêteurs de la solidité de notre situation financière et donc dans nos taux d'intérêt. Nous pouvons feindre de l'ignorer, au risque d'aggraver encore le problème dans les finances publiques nationales et locales à travers le rehaussement des taux d'intérêt. Nous devons donc rassurer les marchés quant à la soutenabilité de notre trajectoire de retour à l'équilibre, qui n'est pas la plus rapide de l'Union européenne, en envoyant des signaux sur la diminution du poids de nos dépenses publiques.
J'ai la conviction que nous devons revenir à l'esprit initial des contrats de confiance. L'absence d'accord sur le projet de LPFP nous a conduits à réintroduire le dispositif par voie d'amendement dans le projet de loi de finances, avec un mécanisme d'autant plus dur qu'il est provisoire -- comme le précise l'exposé des motifs de l'article 23 du projet de LPFP. Du reste, ce mécanisme ne pourra pas s'appliquer avant 2024 car il implique une comparaison entre les comptes administratifs 2023 et 2022 dans l'appréciation de la trajectoire.
Je pense que des compromis sont possibles. Nous sommes tous dans la même situation, et le contribuable ne perçoit que les conséquences de l'impôt, qu'il soit local ou national, sur son pouvoir d'achat. Nous disposons selon moi de marges dans ce domaine, et je ne souhaite pas recréer un climat de défiance. Au contraire, nous avons besoin de recréer la confiance. Dans le cadre de l'examen de la LPFP et du PLF, nous sommes ouverts à l'intelligence collective, en particulier sur le titre 4 de l'article 23 du projet de LPFP, relatif aux sanctions.
S'agissant de la CVAE, je suis en désaccord avec vous pour plusieurs raisons. La première est de nature politique et relève d'une conception peut-être un peu démodée : quand on prend un engagement devant les électeurs, on le tient. Le Président de la République a pris un engagement très clair, et ne pas le tenir alimenterait l'idée que les hommes politiques s'affranchissent de leurs promesses de campagne une fois élus.
Par ailleurs, la majorité sénatoriale a longtemps eu trois convictions fortes : que la gestion de deniers publics implique de rester attentifs à la dette ; que le poids des prélèvements obligatoires en France, sensiblement supérieur à la moyenne européenne, constitue un frein pour son attractivité ; qu'il faut préserver la responsabilité des élus.
L'argument selon lequel la suppression de la CVAE nous prive de recettes publiques me semble discutable : diminuer un impôt qui pèse sur les entreprises stimule-t-il au contraire l'activité en générant un surplus de recettes fiscales supérieur à cette perte ?
Je rappelle ensuite que les élus locaux ont perdu leur pouvoir de taux lors de la création de la CVAE, et ne disposent donc pas d'une autonomie fiscale dans ce domaine. Il s'agit d'un impôt national. Remplacer une part de CVAE par une part de TVA n'y change donc rien.
Cet impôt reflète l'attractivité économique d'un territoire, et nous ne devons pas désinciter les élus en le supprimant. Il ne s'agit pas là d'autonomie fiscale, mais de politique économique, en particulier dans un contexte où le ZAN pourrait créer une tension.
Objectivement, ce choix coûtera plus cher aux finances publiques que le dispositif initialement prévu. Nous avons déjà procédé à des prélèvements sur recettes par le passé, et l'État ne les a pas toujours respectés, en les rabotant au fil du temps. De plus, cette dynamique n'est pas acquise. Remplacer la CVAE par de la TVA diffère totalement. Certes, la TVA est un impôt volatile, mais la CVAE l'est également, et même beaucoup plus : ainsi, la TVA a diminué pour la dernière fois en 2009, et la CVAE il y a trois ans. Les variations de CVAE à l'échelle d'un territoire s'avèrent en outre beaucoup plus importantes. En moyenne depuis dix ans, la CVAE a progressé de 2,5 % par an, contre 3,5 % pour la TVA. En contexte d'inflation, la TVA mécaniquement indexée sur celle-ci produit un effet de compensation.
Nous entendons peu les régions dans le débat budgétaire. En effet, les recettes de TVA des régions atteignent 9 %, en lien avec cette progression. L'État ne limite pas la compensation pour les collectivités où la TVA a déjà remplacé d'autres fiscalités, et n'envisage pas non plus de le faire pour le remplacement de la CVAE. Le dispositif reflétera donc mieux les cycles économiques dans la qualité de compensation.
Nous devons en revanche mieux accompagner les territoires qui agissent pour accueillir des entreprises. Un mécanisme repose pour cela sur la progression des bases, calculée sur la cotisation foncière des entreprises (CFE), et sur la progression des effectifs. Le lien est ainsi maintenu.
J'ai entendu la proposition relative à la C3S, mais elle porte principalement sur des services (banques, assurances). La CVAE est deux fois plus intense pour les entreprises industrielles, qui paient 25 % de la CVAE alors qu'elles ne représentent que 10 % des emplois. Si nous souhaitons réindustrialiser le pays, il vaut mieux supprimer la CVAE.
Concernant le « filet de sécurité », je suis édifié par les chiffres que j'ai entendus et je vais solliciter les analyses menées par département. Ces chiffres renforcent ma conviction que le « filet de sécurité » doit s'améliorer en 2023. Seuls 10 % à 15 % des collectivités bénéficieraient du filet de sécurité, de 430 millions d'euros. Nous envisageons aujourd'hui de multiplier par plus de trois ce montant, en lien avec les besoins de couverture du delta de « l'amortisseur électricité ». Nous devons toutefois regarder si nous sommes bien au rendez-vous de notre promesse de soutien aux collectivités territoriales, et ce rapidement en vue du dispositif 2023. Selon moi, un critère fondé sur la diminution de la capacité d'épargne brute de 25 % reste trop restrictif. Il incite soit à creuser le déficit en 2022 soit à ne pas limiter certaines dépenses en 2023 pour justifier d'une baisse de la capacité d'autofinancement.
Les sénateurs comme les membres du Gouvernement ont indiqué que la crédibilité de la parole publique serait engagée si les sommes n'étaient pas au rendez-vous des dispositifs de soutien votés. Pour élargir le dispositif, nous pouvons intervenir sur l'entrée dans le dispositif - et notamment ce taux de 25% -, mais aussi sur le mécanisme de compensation - égal à 50 % de l'écart réel entre les dépenses d'énergie et 60 % de l'augmentation des recettes réelles de fonctionnement. Au passage, nous pouvons sans doute rendre plus lisible ce mécanisme en le réécrivant. Cependant, le verrou qu'il introduit sur les dépenses sera plus important que les conditions d'entrée. Le sujet réside donc moins dans la perte d'épargne brute que dans cet écart entre la progression des recettes et la progression des dépenses d'énergie. Nous ne devons pas créer une prime à la mauvaise gestion.
« L'amortisseur électricité » s'avère très complexe. Quand une collectivité consomme 100 MW, la moitié est couverte par le dispositif « accès régulé à l'électricité nucléaire historique » (ARENH) à un prix fixe. Pour la deuxième moitié, l'État prend en charge 50 % de l'écart entre 325 et 800 euros/MWh. Il convient toutefois de prendre en compte la moitié prise en charge par l'ARENH, ce qui porte le prix à 180 euros. Des collectivités payant 200 euros seront donc bien aidées par l'État.
J'attire votre attention sur l'intérêt de conditions de révision des contrats si le moment de signature correspond à un pic de prix et si les prix diminuent dans les mois à venir.
Enfin, vous avez évoqué le « fonds vert ». J'ai rencontré hier tous les préfets de France et esquissé la base d'une circulaire. Ces 2 milliards d'euros seront souples et faciles d'utilisation, mais nous souhaitons fixer quelques règles aux préfets. Nous avons à cette fin imaginé 14 portes d'entrée simples, selon lesquelles les mesures positives pour le climat ou la biodiversité rendent éligibles (par exemple, l'érosion du trait de côte, les communes de montagne confrontées au réchauffement climatique, la rénovation de bâtiments, le changement de l'éclairage public, la préservation de la biodiversité).
Les enveloppes ont été fournies à titre indicatif et leur répartition se fera par territoire, et non par thème. Nous allons les pré-notifier aux préfets de région, afin qu'ils les répartissent par département. Puis nous enverrons rapidement des conseils ou circulaires, afin que les contacts se nouent avec les associations d'élus et que les dépenses soient engagées.
Le verdissement suggéré de la DSIL ne constitue pas une orientation gouvernementale à l'heure actuelle. Nous souhaitons toutefois parvenir à des budgets verts en 2023, conçus non pas par Bercy mais par les associations d'élus. Nous avons demandé à l'Association des maires et présidents d'intercommunalités de France (AMF), l'Assemblée des départements de France (ADF) et Régions de France de nous suggérer un cadre de budget vert. Nous devrons par exemple nous entendre sur le caractère vert ou non de la construction de routes. Ce dialogue pourrait fournir l'occasion de voir comment améliorer notre efficacité climatique, voire de créer des liens entre contrats de relance et de transition écologique (CRTE) et DSIL, mais tel n'est pas le sujet pour le moment. Nous analyserons avant tout le retour d'expérience du « fonds vert ».
Comment associer les élus ? Les associations d'élus peuvent-elles en déterminer les critères ? Je vous avoue que je suis très partagé sur la question, d'autant qu'il s'agit de la première année. Nous devons nous montrer très transparents avec les élus sur l'utilisation des fonds, mais je ne suis pas certain de la nécessité d'une commission en amont sur ces 2 milliards d'euros. Nous n'y sommes pas hostiles, mais à condition que cela n'ajoute pas de complexité à ce dispositif, que les associations d'élus souhaitent simple et rapide.
J'en viens aux dispositifs de péréquation. Le budget présente de légères progressions, et le contexte des finances publiques ne milite pas pour un changement en profondeur des règles au regard des incertitudes actuelles.
J'ai lu le rapport de la Cour des comptes évoqué par Mathieu Darnaud, et je suis absolument hostile au transfert de la DGF au niveau des intercommunalités. Nous devons défendre l'intercommunalité, mais lui transférer la DGF en ferait une cible pour ceux qui critiquent déjà son poids. Le remède serait pire que le mal. Par ailleurs, l'obligation de projets de territoire me semble une fausse bonne idée, et risque d'aboutir à des projets sans volonté ni ambition réelles. Nous devons plutôt déterminer comment accompagner des intercommunalités, pour qu'elles évitent de devenir de simples guichets de répartition entre communes.
Philippe Bas a souligné l'évolution de la DGF sur dix ans. Elle est restée stable jusqu'à la dernière année du quinquennat Sarkozy, où elle a diminué de 200 millions d'euros, puis le quinquennat Hollande a été marqué par des baisses d'ampleur inédite (10,741 milliards d'euros sur la période). Les 320 millions d'euros envisagés ne restaurent pas les sommes prises aux élus durant ce quinquennat Hollande, mais dépassent les suppressions du quinquennat Sarkozy.
L'effort envisagé pour 2023 est sans précédent, mais dans un contexte d'inflation inédit. Nous optons pour des dispositifs de soutien ciblés, et non généralistes, car il existe des hétérogénéités considérables devant les prix de l'énergie selon les collectivités. Le mécanisme retenu est sans doute moins lisible, et l'AMF aurait souhaité l'ajout de 700 millions d'euros, mais nous y consacrons tout de même 2,5 milliards d'euros.
Vous avez évoqué l'impact que pourrait avoir l'arrivée d'un contribuable sur la dotation particulière relative aux conditions d'exercice des mandats locaux (DPEL) dans certaines communes. Je m'en remettrai à la sagesse de votre assemblée pour corriger d'éventuels effets de bord, en vous signalant au passage que nous devons ajouter 1 million d'euros pour couvrir les frais de garde d'enfants ou d'assistance dans les plus petites communes.
M. Benarroche m'a interrogé sur le versement mobilité de la métropole d'Aix-Marseille-Provence. Le taux national dépend du niveau de service. Un tramway ou un métro ouvre droit à 2 %, sauf Paris qui a droit à 2,95 %. Benoit Payan et Martine Vassal ont suggéré d'aligner la situation de Marseille sur celle de Paris, mais je m'attends à ce que Lyon puis Bordeaux me demandent ensuite la même chose. Je ne plaide pas pour un dispositif propre à un territoire. De surcroît, l'argument des 178 millions d'euros ne me semble pas bon. Le rapport de la chambre régionale des comptes du 31 août 2022 rappelle que l'État n'a pas imposé des transferts privant la métropole d'une capacité à assumer ses charges de centralité. Les conditions de création de la métropole et les accords locaux ont abouti à cette situation. Nous ne pouvons pas corriger un défaut de conception par un surplus de fiscalité.
Personnellement, je ne serais pas choqué que nous réfléchissions aux zones à faible émission. Nous pourrions imaginer que les territoires concernés bénéficient d'une surprime de ZFE, permettant de financer des mesures d'accessibilité sociale ou de généraliser les transports en commun. Les grandes agglomérations pourraient ainsi être accompagnées et certaines collectivités convaincues de l'intérêt d'une politique ambitieuse en matière de qualité de l'air.
Alain Richard a évoqué les critères du TRV, notamment celui des 10 salariés ou ETP. Je découvre ce problème et je m'enquerrai de la manière de l'accompagner.
Mme Gatel m'a interrogé sur le « filet de sécurité » dans les outre-mer, mais ceux-ci présentent la spécificité que les collectivités, entreprises et particuliers sont soumis au tarif réglementé. Ils y sont donc plus protégés qu'en métropole, avec une fiscalité réduite dans certains cas qui permet de compenser la cherté de la vie.
Une question a porté sur les communes nouvelles. L'épidémie de covid-19 a éclipsé la loi créant les communes-communautés, qui étaient l'oeuvre de Mme Gatel. L'inspection générale de l'administration préconise dans un rapport récent d'en refaire la publicité. Le texte considéré comme adopté par l'Assemblée au titre de l'alinéa 3 de l'article 49 de la Constitution reprend un amendement déposé par le groupe Libertés, indépendants, outre-mer et territoire (LIOT) visant à maintenir le niveau de DPEL en cas de création d'une commune nouvelle. Nous sanctuarisons donc cet avantage pour les communes nouvelles.
J'ai entendu les propos de Cécile Cukierman sur la nécessité de soutenir les investissements. Toute la difficulté consiste toutefois à soutenir des investissements qui évitent des puits sans fond en matière de fonctionnement. Nous avons dans ce cadre la volonté de modifier le code de la commande publique. L'État et les collectivités territoriales se trouvent aujourd'hui contraints par un article de ce code qui nous empêche de passer des contrats de performance rémunérés sur les économies. Si nous le modifions, nous pourrons libérer des masses d'investissement considérables, par exemple pour passer en LED les 10 millions de lampadaires de France dont seuls 15 % le sont aujourd'hui. Ces lampadaires représentent en moyenne 40 % des dépenses d'électricité des collectivités, et un passage en LED permet de réduire les frais de 40 % à 50 %. Nous devons trouver des leviers pour dégager ces marges, et ils ne relèvent pas uniquement de la dépense publique. L'Allemagne sait parfaitement débudgétiser, et nous pouvons nous en inspirer et nous montrer imaginatifs.
Enfin, Didier Marie m'a interpelé sur 30,9 milliards d'euros qui pourraient être récupérés, mais ces sommes sont déjà très largement engagées. Le bouclier tarifaire des collectivités représente ainsi 46 milliards d'euros de dépenses et 30,9 milliards d'euros de recettes. La rente des énergies renouvelables permet en réalité de financer les deux tiers du bouclier tarifaire pour les particuliers et structures de moins de 10 salariés. Sur cette somme, nous assumons un effort de près de 16 milliards d'euros. Nous le complétons avec les 12 milliards d'euros résultant de « l'amortisseur électricité », du guichet pour les très grandes entreprises et du « filet de sécurité » pour les collectivités territoriales. Cette somme est assurée par les 3 milliards d'euros du fonds « Ukraine » et les 7 milliards d'euros du dispositif de rente européenne applicable aux surprofits liés au gaz. L'écart est couvert par des crédits budgétaires déjà inscrits. Malheureusement donc, nous ne disposons d'aucun surplus.
J'espère que mes réponses vous auront pour la plupart satisfaits. J'aurai l'occasion de vous répondre de nouveau dans l'hémicycle.
Nous vous remercions pour ces explications.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.
Merci, monsieur le Procureur général, d'être ce soir devant la commission des lois du Sénat. Celle-ci a confié à Nadine Bellurot et à Jérôme Durain une mission sur l'organisation de la police judiciaire.
Un certain nombre d'inquiétudes ont été exprimées sur le fonctionnement futur de la police judiciaire dans le cadre de la réforme envisagée de la police nationale. Vous vous êtes exprimé publiquement sur le sujet, et nous souhaitons aujourd'hui recueillir votre point de vue.
Je tiens d'abord à remercier la commission d'avoir souhaité m'entendre. Je ferai quelques observations à double titre : d'une part en raison de mes fonctions actuelles et d'autre part en tant que magistrat du parquet durant quarante ans. Comme vous l'indiquiez, je me suis exprimé sur le sujet sur France Inter en août dernier, à la suite d'une question d'un auditeur.
Je rappellerai avant tout certains principes, en particulier celui fixé par l'article 12 du code de procédure pénale : la police judiciaire est exercée sous la direction des magistrats, sous l'autorité des parquetiers pour les enquêtes et sous l'autorité des juges d'instruction pour les investigations effectuées sous commission rogatoire.
Ce principe a valeur constitutionnelle depuis la décision rendue par le Conseil constitutionnelle sur la loi d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure le 10 mars 2011. Il résulte de l'article 66 de la Constitution que la police judiciaire doit être placée sous la direction et le contrôle de l'autorité judiciaire. À cette fin, les dispositions du code de procédure pénale assurent le contrôle direct et effectif de l'autorité judiciaire sur les officiers et agents de police judiciaire. Ce principe se fonde principalement sur le fait que, conformément à la Constitution, l'autorité judiciaire est la gardienne de la liberté individuelle. Il en découle notamment le libre choix du service enquêteur par le procureur de la République ou le juge d'instruction. Il s'agit aussi d'un moyen indispensable pour que le procureur de la République puisse mettre en oeuvre, au travers des enquêtes qu'il diligente, la politique pénale décidée par le Gouvernement.
Au nom de ces principes, le 26 octobre 2022, le Conseil supérieur de la magistrature, garant de l'indépendance de la justice, a souhaité faire part de sa préoccupation sur le contenu de la réforme de l'organisation de la police nationale.
Les propos publics que j'ai tenus à la radio sur la mise en oeuvre de la réforme datent de la fin du mois d'août. Depuis, face à l'unanimité des critiques, le ministre de l'intérieur et le directeur général de la police nationale ont précisé les contours du projet envisagé et qui reste encore aujourd'hui en construction. Cela complique d'ailleurs l'appréciation de la réforme et il reste délicat pour moi d'en apprécier les effets concrets. Le ministère de l'intérieur évoque désormais des garanties pour le respect du principe de direction de la police judiciaire par les procureurs. J'ai également entendu que l'échelon zonal serait préservé, et que les offices et antennes de police judiciaire ne connaîtraient pas de modification. Je n'en sais toutefois pas davantage. Je suppose donc que l'exercice que vous me demandez consiste à cibler les enjeux au regard de mon expérience.
Les différentes annonces répondent-elles déjà à certaines de vos inquiétudes ?
J'attends de voir le projet définitif pour me prononcer. Je déduis en tout cas de ces annonces que les critiques ont été entendues et que le ministère de l'intérieur travaille à des évolutions.
Cela paraît d'autant plus nécessaire que les résultats des expérimentations demeurent très mitigés selon les informations qui nous remontent du terrain. Une mission d'évaluation a été décidée sur le sujet, avec l'intervention des trois corps d'inspection des ministères de l'intérieur et de la justice.
Je ne prétends pas que la police ne doive pas être reformée. Une réforme est certainement nécessaire pour améliorer son organisation et son fonctionnement, ainsi que le traitement de la criminalité du quotidien.
La police ne se limite pas aux effectifs de police en tenue bleue sur la voie publique. Si les interpellations faites par les policiers ne sont pas suivies d'investigations de police complètes et impartiales, la justice ne peut être de qualité. La police judiciaire étant la police de la preuve, il est indispensable que les investigations soient exhaustives et impartiales, et que la procédure soit de bonne qualité. Or nous vivons actuellement une situation de crise, liée à plusieurs facteurs.
Nous observons tout d'abord une désaffection pour la police judiciaire et l'investigation, qui se traduit par un déficit de vocations et d'attractivité, donc par un sous-effectif. Un rapport fait ainsi état de 17 000 officiers de police judiciaire alors qu'il en faudrait 22 000. Pour autant, nous ne devons pas abaisser la qualité de leur formation.
Je ne reviendrai pas sur la complexification de la procédure pénale, car la commission des lois du Sénat en sait autant sinon plus que moi.
Je soulignerai en revanche que la réforme des corps et carrières de la police nationale, en 1995, a entraîné dans les services de sécurité publique un désengagement majeur du judiciaire, des commissaires et de l'encadrement supérieur. Les stocks de procédures en souffrance dans les commissariats s'aggravent constamment, les dernières estimations faisant état de 2 millions de procédures non traitées (soit près d'un tiers des 5,9 millions de procédures). La plupart seront vraisemblablement classées, conformément aux préconisations contenues dans la circulaire ministérielle de 2021, et des victimes ne recevront jamais de réponse.
Par ailleurs, les délais de traitement des enquêtes s'allongent et tous les magistrats constatent une dégradation continue de la qualité des procédures pénales, en particulier en sécurité publique. Elle tient autant au manque d'effectif qu'à l'insuffisante qualité procédurale des enquêteurs de la sécurité publique, qui assurent pourtant plus de 90 % des missions d'investigation. Tel n'est en revanche pas le cas dans la police judiciaire, qui a su préserver un bon niveau de qualité dans ses enquêtes en matière de grande criminalité organisée et financière.
Je tiens à souligner les bonnes relations de travail entre les procureurs de la République et les juges d'instruction et les chefs de service de police judiciaire. La situation diffère légèrement en sécurité publique, car les directeurs départementaux travaillent généralement davantage avec les préfets, eux-mêmes beaucoup plus impliqués dans les missions de sécurité depuis quelques années. Les procureurs entretiennent moins de rapport avec les responsables départementaux qu'avec leurs adjoints en charge des investigations judiciaires. Le Livre blanc de la sécurité intérieure de 2020 exprimait clairement l'objectif de renforcer l'autorité des préfets sur la police nationale.
J'en viens maintenant au projet de réforme de l'organisation de la police nationale. Son épure initiale consistait à rassembler, dans chaque département, tous les services de police sous l'autorité d'un responsable départemental unique, le directeur départemental de la police national (DDPN), lui-même placé sous l'autorité du préfet. Celui-ci deviendrait le chef de quatre filières : sécurité publique, renseignement, police aux frontières et investigations. Divers services de police judiciaire disparaîtraient en fusionnant au sein de la filière d'investigation, aux côtés des enquêteurs des sûretés départementales et de la sécurité publique, en charge d'un spectre de délinquance plus bas.
L'objectif de la réforme consistait à mettre un terme au fonctionnement en silos. Dans la police nationale en effet, chaque service ne rend compte qu'à sa direction centrale. Il s'agissait aussi de porter une attention particulière à la criminalité du quotidien. Cependant, il est rare de voir un projet susciter une telle unanimité dans ses critiques, de la part à la fois des policiers, des magistrats et des avocats.
Je pense tout d'abord que l'échelon départemental n'est pas adapté dans le traitement de la criminalité organisée. Les groupes criminels les plus structurés sont très mobiles, ils s'entraident et étendent leurs ramifications sur l'ensemble du territoire et à l'étranger. Le rapport annuel du SIRASCO constitue une source fiable dans ce domaine. J'ai moi-même travaillé sur ce sujet il y a trois ans, quand Nicole Belloubet, alors garde des sceaux, m'a chargé de rendre un rapport sur la criminalité organisée et financière. Nous avions à l'époque constaté que les dossiers de criminalité organisée ne cessaient de s'internationaliser et de se complexifier, avec des modes opératoires sophistiqués, suprarégionaux voire nationaux. Le haut du spectre de la criminalité n'était pas suffisamment bien traité, et nous nous situions alors à l'opposé d'un traitement départemental.
Par ailleurs, je ne pense pas que la version initiale du projet réponde aux enjeux de qualité des procédures et de nombre d'officiers de police judiciaire (OPJ). Il semble plutôt répondre à d'autres objectifs, à savoir la gestion de la pénurie des enquêteurs OPJ en sécurité publique par la déspécialisation et la déconcentration des effectifs ainsi que par la recherche de résultats plus visibles en matière de délinquance du quotidien et de maintien de l'ordre. Un tel projet présente sans doute des avantages en sécurité publique, mais il risque d'abîmer un outil, la police judiciaire, qui fonctionne plutôt bien dans des enquêtes complexes et longues touchant principalement à la criminalité organisée. Ce constat est encore plus vrai s'agissant de la délinquance financière.
En l'état, le projet comportait donc plusieurs risques : que la police judiciaire perde son indépendance et son niveau de technicité ; que la priorité soit donnée au traitement des cibles les plus visibles ou les plus faciles à traiter, au détriment des infractions les plus graves, complexes ou cachées, en somme la politique du chiffre ; que le principe de direction de l'enquête par les magistrats du parquet et les juges d'instruction se trouve affaibli. Sur le papier, rien ne change et l'article 12 du code de procédure pénale demeure, mais il apparaît un risque fort que le DDPN, sous l'autorité du préfet, devienne décisionnaire en matière de politique pénale. Enfin, renforcer l'autorité des préfets de département crée un risque d'interférence des préfets, des politiques et des élus dans les enquêtes.
Votre première question écrite portait sur la manière dont les magistrats répartissent les enquêtes, en particulier entre la police judiciaire et la sécurité publique.
Dans mon expérience, les enquêtes sont réparties selon la gravité des faits, la complexité des investigations, la compétence et la technicité des services d'enquête.
Généralement, les services de sécurité publique se chargent des affaires de petite et moyenne délinquance, des infractions de voie publique, des vols simples et aggravés, des atteintes aux personnes, des violences conjugales, des petits trafics ou usages de stupéfiants, des rixes et violences volontaires, des agressions et atteintes sexuelles, des petites escroqueries, des ventes à la sauvette, etc. Au sein de la sécurité publique, les sûretés départementales possèdent la meilleure expertise dans les affaires compliquées et se chargent plutôt des affaires de violences urbaines et des trafics de stupéfiants.
Les affaires criminelles (criminalité organisée et financière) sont dans les faits toujours confiées à des services spécialisés : sections de recherche en zones gendarmerie et services de police judiciaire en zone police (directions zonales de la police judiciaire, services territoriaux, antennes de police judiciaire). Nous disposons également de huit juridictions interrégionales spécialisées dans le pays (JIRS). Ces JIRS traitent le haut du spectre de la criminalité, et travaillent presque exclusivement avec des offices centraux, des directions zonales de police judiciaire ou des sections de recherche.
Nous entendons que cette réforme conduirait à se calquer sur l'organisation de la gendarmerie nationale et de la préfecture de police. Partagez-vous cette analyse ? Rencontrez-vous des difficultés à l'heure actuelle dans le traitement des affaires judiciaires suivies par la gendarmerie et la préfecture de police ? Si oui, pourquoi ? Sinon, pourquoi devrions-nous craindre cette évolution ?
La réforme ne vise pas à calquer l'organisation de la police nationale sur celle de la gendarmerie ou de la préfecture de police. Il existe certes des points communs, mais aussi de fortes différences.
L'un des points communs réside dans l'unité de commandement. Cependant, la gendarmerie comporte des sections de recherche chargées du traitement de la grande criminalité et de la délinquance organisée et financière, qui ne sont pas du tout sous l'autorité des commandements de groupements départementaux, mais sous l'autorité des commandements de région.
S'agissant de la préfecture de police, la comparaison aurait pu valoir il y a vingt ans, quand les commissariats parisiens étaient organisés en districts où tous les services exerçant des missions de police judiciaire étaient fusionnés. Ce modèle a été abandonné depuis, et désormais le préfet de police a la mainmise sur tous ces services. Il existe donc des paysages très différents, entre lesquels les magistrats peuvent choisir. Les services de sécurité publique comprennent des commissariats de sécurité publique dans chaque arrondissement pour traiter des affaires de petite et moyenne délinquance, et la direction régionale de la police judiciaire s'articule avec une organisation fondée sur des brigades centrales et des districts de police judiciaire pour traiter le haut du spectre de la délinquance parisienne et les affaires les plus graves.
L'unicité de commandement ne pose pas de problème particulier pour le judiciaire. Je comprends parfaitement la cohérence à placer des services sous un commandement unique, notamment sous l'angle de l'obligation de compte rendu. Néanmoins, il existe un choix dans la saisie (commissariats, sûreté territoriale, districts de police judiciaire, services locaux de gendarmerie, sections de recherche) qui doit perdurer.
Nous ne savons pas grand-chose de la réforme envisagée. Dans un récent article de presse, la personne chargée de la conduire donnait quelques éléments nouveaux, notamment l'existence de divisions spécialisées dans la criminalité organisée et de divisions territoriales, le changement de nom des sûretés, et la possibilité pour le procureur de noter les directeurs départementaux.
Vous avez évoqué la désaffection pour la fonction judiciaire, assortie d'une difficulté récurrente dans la qualité des procédures. La réponse peut-elle consister à puiser des compétences dans la police judiciaire pour les affecter en sécurité publique ? Ne risquons-nous pas d'affaiblir les spécialités métier ? La réponse ne résiderait-elle pas dans l'unité de commandement, pour une meilleure vision de l'organisation dans la police nationale ?
Je ne conteste pas l'unité de commandement, mais je trouverais préjudiciable de faire disparaître des services qui ont su préserver leur technicité et leur qualité. Certains responsables de la police judiciaire ont émis des contre-propositions, consistant à maintenir tous les échelons de police judiciaire en les plaçant sous l'autorité de DDPN ou de directeurs zonaux de la police nationale. Je ne comprends en tout cas pas en quoi l'unicité de commandement implique nécessairement la disparition de services. Ils perdraient leurs compétences en se fondant dans une sorte de magma en charge de traiter à la fois de la petite, moyenne et grande délinquance. Les collègues magistrats le redoutent, d'autant que nous ne disposons pas d'une vision exhaustive de la réforme envisagée. De plus, les résultats des expérimentations ne semblent pas avoir été parfaitement profitables, puisqu'elles n'ont pas permis de réduire le stock des procédures en souffrance dans les commissariats. L'évaluation des inspections permettra de faire la part des choses dans ce domaine.
Partout où je suis passé, j'ai toujours lutté contre les fonctionnements en silos. Je ne vous dirai pas le contraire aujourd'hui, mais il convient aussi de préserver la qualité des outils existants. Si un procureur ou juge d'instruction doit solliciter des investigations à l'extérieur de son département ou sa région, ou même à l'international, le chef de service doit pouvoir y consacrer les moyens.
Vous envisagez que le DDPN soit évalué par le procureur de la République, et je ne m'en plaindrai pas car la plupart ne l'étaient pas jusqu'à présent. Il leur suffisait en effet de ne pas demander leur habilitation OPJ pour l'éviter. Pour autant, cette mesure ne garantira pas le succès ou l'échec de la réforme.
On prête à l'ancien Premier ministre britannique Benjamin Disraeli la phrase : « réformer ce qu'il faut, préserver ce qui vaut ». Vous voulez manifestement préserver ce qui vaut.
Nous avons eu avec le ministre de l'intérieur, Gérald Darmanin, un débat lors de l'xamen du projet de LOPMI sur les tentatives précédentes de regroupement départemental des forces de police, de sécurité publique, de renseignement territorial et de police aux frontières. Selon moi, la police judiciaire n'était pas incluse dans cette démarche imaginée par Pierre Joxe et brisée par Charles Pasqua.
Pourquoi l'exécutif souhaite-t-il cette réforme aujourd'hui ? L'efficacité est toujours mise en avant, mais cette réforme ne reflète-t-elle pas la volonté d'un contrôle politique en lien avec les préfets et les DDPN ? Telle est l'interprétation de nombre d'entre nous, qui ne pensent pas que l'efficacité de la police judiciaire s'en trouverait améliorée. Vous avez vous-même connu des affaires extrêmement douloureuses. Auraient-elles été mieux traitées si la police judiciaire avait été départementalisée ?
J'ai trouvé clairs les propos que vous avez tenus sur France Inter, de même que les propos que vous tenez aujourd'hui. Placer la police judiciaire sous l'autorité du parquet apparaît incompatible avec l'existence d'un commandement unique pour l'ensemble de la police, sous l'autorité d'un responsable de la police. Cette incompatibilité n'empêche cependant pas les contacts et la coopération, et pendant toute votre carrière vous avez récusé le travail en silos. Vous avez raison, le compromis est parfois utile mais la logique exposée par le ministre de l'intérieur ne fonctionnerait pas selon moi.
Il me semble que la nécessité de refondre urgemment le code de procédure pénale est unanimement admise. Quelle méthode pensez-vous la plus adaptée pour y parvenir ? Une habilitation à droit constant ne me semble pas pouvoir fonctionner, d'une part car nous ne réunissons sans doute pas les conditions politiques pour que le Parlement y consente, et d'autre part car l'objectif ne consiste pas à réécrire le code à droit constant. Pour autant, il apparaît aventureux de se lancer dans un projet ab initio et d'élaborer un nouveau code, de plusieurs milliers d'articles. Une autre voie est-elle possible ?
Nous éprouvons quelques difficultés à comprendre le process et le calendrier de mise en oeuvre de cette réforme. Hier, nous avons auditionné le garde des sceaux. Il s'est montré d'une grande prudence quant à l'appréciation de la réforme sur le fond, mais a évoqué des évaluations de l'expérimentation, prévues ou en cours. Vous les avez vous aussi évoquées, mais avec flou. L'expérimentation a-t-elle été évaluée ? Quelles en sont les conclusions ? Comment peut-on en avoir connaissance et s'appuyer dessus ?
Pour répondre à Patrick Kanner, je ne pense pas que le département constitue le juste échelon, et j'identifie un vrai problème de cohérence. On demande à l'acteur judiciaire de se spécialiser de manière croissante, depuis les lois Perben de 2004, alors que l'autre acteur, la police, deviendrait plus généraliste. Par ailleurs, certaines enquêtes méritent parfois d'être dépaysées et l'utilité d'un service régional apparaît alors évidente.
Il ne me semble pas illégitime de vouloir réformer et mettre de l'ordre dans le commandement, au regard de la baisse du taux d'élucidation, en particulier en petite et moyenne délinquance. Nous devons toujours chercher à mieux faire. Cependant, si les parquets ne disposent pas de moyens pour les enquêtes qu'ils ordonnent, ils ne pourront pas mettre en oeuvre leur politique pénale. Les expérimentations ont d'ailleurs démontré que le directeur départemental de la police nationale ne saurait jouer le rôle d'arbitre dans les décisions du parquet. Si, par exemple, un procureur de Saône-et-Loire souhaite saisir la direction départementale de sécurité publique d'une enquête amenant à conduire des investigations en région lyonnaise et en Bourgogne, il est peu probable que le directeur départemental acceptera de distraire des effectifs requis par ailleurs au quotidien, pour les consacrer à des enquêtes au long cours dans d'autres départements. Une doctrine d'emploi ne suffira pas dans ce domaine, car elle peut changer au fil du temps.
Selon moi, nous devons maintenir un système préservant le libre choix du procureur, au travers de services zonaux de police judiciaire. Idéalement, les procureurs de la République auraient aussi voix au chapitre en matière d'affectation des moyens dans les enquêtes qu'ils ordonnent.
S'agissant de la réforme du code de procédure pénale, je n'ai pas compris qu'elle s'effectuerait à droit constant. Un tel toilettage ne réglerait d'ailleurs pas la crise de la filière d'investigation. Quand j'étais procureur de Paris, je me plaignais de l'insuffisance des effectifs dans la police judiciaire. Après les attentats, une vague de mutations a eu lieu, de la filière investigation vers le renseignement, à tel point que les créations de postes en police judiciaire ne recevaient parfois aucune candidature.
Les réformes de fond sur la procédure pénale se heurtent avant tout au statut du parquet, qui est bloquant et qui nécessite une réforme. Une autre solution consisterait à augmenter le nombre d'officiers de police judiciaire, bien formés et mieux encadrés. Or nous payons encore aujourd'hui les effets néfastes de la réforme de 1995. Je signale du reste qu'à cette même époque un projet de réforme de la départementalisation de la police nationale hors police judiciaire avait été abandonné au bout de 18 mois.
L'expérimentation actuelle ne me semble pas avoir produit d'effets particulièrement positifs. L'inspection confirmera ou infirmera les premières remontées, mais j'ai entendu que les procureurs se trouvaient marginalisés dans l'élaboration de la politique pénale, et que l'autorité judiciaire était uniquement perçue comme un gestionnaire de flux. Les priorités de politique pénale définies par le parquet ne seraient pas prises en compte. J'ai aussi entendu qu'en Guadeloupe, des magistrats du parquet ne sont plus libres de choisir le service d'enquête, leurs demandes étant filtrées par le DDPN. Enfin, si tout le monde semble d'accord pour améliorer l'information des élus sur l'évolution de la criminalité et ses modes de traitement, les élus n'ont pas nécessairement à être informés directement sur la conduite des investigations. Or certains se saisissent de cette ouverture, via les préfets et directeurs départementaux, notamment dans les outre-mer. Les inspections feront le point sur les avantages et inconvénients de l'expérimentation.
Je crois savoir que les retours des inspections sont attendus pour janvier 2023.
Nous avons nous-mêmes reçu quelques retours par des responsables de la police nationale. Nous avons d'ores et déjà l'impression que des évolutions sont possibles à droit et moyens constants, notamment en matière de co-saisine. En effet, les expérimentations ont permis de dégager des méthodes de travail nouvelles, qu'il conviendrait peut-être d'étudier.
Par ailleurs, vous avez évoqué un contrôle politique du fait de la tutelle préfectorale sur la nouvelle organisation. Dans les garanties apportées par le ministre de l'intérieur, la seule exception à la logique départementale concernerait les atteintes à la probité. Or la sensibilité d'une affaire ne saurait s'y résumer.
En effet, j'ai entendu que chaque directeur zonal de la police judiciaire conserverait deux entités de six enquêteurs pour le blanchiment, d'une part, la probité et la corruption, d'autre part. Cela ne me semble pas suffisant. Avec qui travailleront les juridictions interrégionales spécialisées ? L'enjeu me semble moins de préserver le traitement des atteintes à la probité que de préserver dans sa totalité l'outil de traitement de la grande criminalité organisée et financière. Du reste, les atteintes à la probité ne recouvrent pas tout le champ de la criminalité financière, dont le traitement se porte déjà mal. Le projet initial signait pour moi sa fin, car les DDPN ne s'engageront jamais dans ce domaine.
Il apparaît que la police judiciaire n'attire plus, principalement pour des raisons liées à la qualité de vie. Nous avons pourtant entendu hier que tel n'était pas le cas en gendarmerie. Comment améliorer cette situation dans la police nationale ?
Le problème me semble systémique. En police comme en gendarmerie, certains enquêteurs ne comptent pas leurs heures, et connaissent d'ailleurs des problèmes personnels car ils donnent beaucoup d'eux-mêmes. Il existe toutefois une crise des vocations, particulièrement depuis les attentats. Des personnes impliquées dans ce domaine depuis des années ont souhaité passer à autre chose. Cela fait partie de la nature humaine, mais c'est en lien avec des facteurs généraux. Il est démotivant de mener une enquête en sachant que l'affaire ne verra pas le jour avant des années (sept à huit ans pour des atteintes à la probité ou des affaires financières). Une réduction des délais améliorerait la motivation des enquêteurs. Il convient en outre de redynamiser la filière au travers d'avantages de carrière, mais aussi en permettant des récupérations. Enfin, un effort doit porter sur l'encadrement et la multiplication des OPJ, qui manquent.
Je pense que nous partageons tous votre appréciation sur l'implication, remarquable, de ces personnes. Hommage doit leur être rendu.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 18 h 50.