La délégation procède à l'examen du rapport d'information de M. François-Noël Buffet et Mme Dominique Voynet, co-rapporteurs, sur le cumul des mandats.
Quatre remarques liminaires essentielles doivent d'abord être faites sur le cumul des mandats. Rappelons tout d'abord que la question du cumul des mandats et des fonctions est une sorte de marronnier de la vie politique française ; elle se pose à chaque échéance électorale et des sondages mettent régulièrement en évidence l'opposition de la population à la pratique du cumul. Force est de constater, toutefois, que ces appréciations ne se traduisent pas dans les urnes : le citoyen et l'électeur peuvent avoir des avis parfois différents.
Deuxième remarque, contrairement à la thèse souvent avancée en France, selon laquelle la faiblesse du cumul des mandats dans les démocraties étrangères s'expliquerait par la culture politique, il apparaît que la restriction du cumul des mandats est réglementée dans la majorité des grandes démocraties. En effet, à l'exception de la Grande-Bretagne, la plupart des grandes démocraties disposent de normes qui interdisent ou limitent très fortement la pratique du cumul des mandats.
Troisièmement, nous constatons que quinze propositions de loi ou de loi organique visant à restreindre la pratique du cumul ont été déposées depuis 2002, ce qui montre l'existence d'une réelle volonté politique de limiter le cumul des mandats. La dernière en date, est une proposition de loi organique visant à interdire le cumul du mandat de parlementaire avec l'exercice d'une fonction exécutive locale, déposée au Sénat par M. Jean-Pierre Bel, les membres du groupe socialiste et apparentés, le 8 septembre 2010. Cette proposition de loi a été renvoyée en commission lors de son examen en séance du 28 octobre dernier, ce qui doit permettre à notre délégation de proposer des pistes et des recommandations, avant que ce texte ne revienne en séance publique.
Nous avons évidemment, à cet instant, le désir de revenir sur l'interprétation de la volonté politique de la limitation du cumul des mandats ; quinze propositions de loi, déposées avec d'autant plus d'enthousiasme, que leurs auteurs, quel que soit le groupe politique dont ils sont issus, savent qu'elles ne seront pas forcément adoptées. Plusieurs anciens Premiers ministres se sont penchés sur cette délicate question du cumul des mandats, dans le cadre plus large d'une réflexion sur la réforme constitutionnelle. Cela a notamment été le cas de la commission Mauroy en 2000 et de la commission Balladur en 2007. Bien que les conclusions de ces commissions aient souvent été adoptées à l'unanimité, y compris sur des sujets aussi sensibles que la limitation du cumul des mandats, il faut remarquer, qu'à l'instar des quinze propositions de loi déposées sur le bureau de nos assemblées, les mesures très concrètes proposées en matière de restriction du cumul des mandats n'ont pas connu de traduction législative.
Enfin, rappelons que les questions relatives au statut de l'élu et au cumul des mandats sont étroitement liées, comme l'a démontré la table ronde sur le statut de l'élu local, organisée par notre délégation le 1er juin dernier. C'est la raison pour laquelle les problématiques évoquées dans ce rapport sont indissociables des questions soulevées par nos collègues Philippe Dallier et Jean-Claude Peyronnet dans leur rapport consacré au statut social de l'élu.
Avant de vous présenter les principales recommandations de notre rapport, nous souhaitons rappeler, brièvement, la législation actuelle sur le cumul ainsi que les chiffres de la pratique du cumul en France.
Avant 1985, aucune règle ne limitait la pratique du cumul des mandats et des fonctions. Les grandes lois de décentralisation ayant largement accentué les pouvoirs des élus locaux, une législation plus contraignante a été adoptée en matière de cumul des mandats. Tout d'abord, deux lois du 30 décembre 1985, l'une consacrée aux parlementaires et la seconde aux élus locaux, ont restreint la pratique du cumul.
Cette législation a ensuite été renforcée par deux lois du 5 avril 2000 : la loi n° 2000-294 relative aux incompatibilités entre mandats électoraux, consacrée à la situation des parlementaires nationaux, et la loi n° 2000-295 relative à la limitation du cumul des mandats électoraux et des fonctions électives et à leurs conditions d'exercice, qui précise les incompatibilités applicables aux élus locaux, aux représentants au Parlement européen ainsi que les incompatibilités entre les fonctions exécutives locales.
S'agissant des restrictions à l'exercice du mandat parlementaire, le cumul des mandats de député et de sénateur est interdit au nom du bicamérisme. De même, il existe une incompatibilité absolue entre le mandat parlementaire et celui de représentant au Parlement européen. Par ailleurs, le mandat de parlementaire est incompatible avec l'exercice de plus d'un mandat local parmi les suivants : conseiller régional, conseiller à l'assemblée de Corse, conseiller général, conseiller de Paris, conseiller municipal d'une commune d'au moins 3 500 habitants.
Précisons, néanmoins, qu'un parlementaire peut toujours exercer une fonction exécutive locale parmi les fonctions de président de conseil régional, de président de conseil exécutif de Corse, de président de conseil général, de maire et de maire d'arrondissement.
Enfin, s'agissant des restrictions propres aux mandats locaux, le cumul horizontal est interdit pour chacun des mandats. Par ailleurs, nul ne peut cumuler plus des deux mandats électoraux suivants : conseiller régional, conseiller à l'assemblée de Corse ou membre du conseil exécutif de Corse, conseil général, conseiller de Paris et conseiller municipal.
Malgré l'adoption de cette législation déjà contraignante, le cumul des mandats est un phénomène d'une ampleur importante en France. Tout d'abord, le cumul des mandats demeure la règle pour une grande majorité de parlementaires : 84 % des députés et 72 % des sénateurs exercent au moins un autre mandat électif. A noter que le phénomène s'est accentué depuis plusieurs décennies. En effet, en 1973, 30 % des députés n'avaient pas d'autre mandat, alors qu'aujourd'hui cette proportion s'est réduite de moitié.
Comme nous l'avons rappelé précédemment, les fonctions de président d'établissement public de coopération intercommunale (EPCI) ne sont pas comprises dans le champ des interdictions relatives au cumul prévues par les lois du 5 avril 2000. Or, 86 % des présidents d'EPCI exercent au moins un autre mandat électif que celui de conseiller municipal.
Il est également intéressant d'observer que, malgré l'étendue des compétences des communautés urbaines et des communautés d'agglomération, et donc de la charge de travail qui incombe à leurs présidents, ces derniers sont très souvent en situation de cumul.
En effet, 10 des 16 présidents de communautés urbaines cumulent leurs fonctions avec au moins deux autres mandats et 48 des 60 présidents de communautés d'agglomération de plus de 100 000 habitants cumulent leurs fonctions avec au moins deux autres mandats. Il apparaît ainsi que les responsables des intercommunalités les plus importantes sont également ceux qui cumulent le plus de mandats.
Enfin, je voudrais faire une remarque sur la situation particulière des ministres. Comme vous le savez, l'article 23 de la Constitution traite de l'incompatibilité des fonctions ministérielles avec un mandat parlementaire ou avec toute autre activité professionnelle. Cet article a été modifié par la loi du 23 juillet 2008, qui prévoit le retour au Parlement d'un ministre ayant cessé ses fonctions ministérielles. En revanche, la loi ne prévoit aucun dispositif particulier de limitation des mandats locaux, alors que la commission Balladur prévoyait l'interdiction du cumul entre une fonction ministérielle et un mandat local.
Avant tout, je voudrais rappeler que nous avons préparé ce rapport dans la perspective d'élargir le champ du débat et d'ouvrir plusieurs pistes de réflexion.
L'importance de la pratique du cumul des mandats et des fonctions électives en France nous a conduits à formuler quelques recommandations.
Certaines recommandations nous semblent pouvoir faire l'objet d'un réel consensus. Ainsi, s'agissant de la liste des fonctions entraînant l'inéligibilité des candidats aux différents mandats locaux, plusieurs éléments ont appelé notre attention.
Tout d'abord, sur un plan formel, nous estimons que certaines fonctions énumérées sont complètement désuètes et nécessiteraient d'être actualisées. A titre d'exemple, citons celles des inspecteurs des instruments de mesure et celles des inspecteurs des manufactures de tabac. Par conséquent, nous recommandons de réactualiser la liste existante des fonctions entraînant l'inéligibilité des candidats aux mandats locaux.
A contrario, il est regrettable que certaines fonctions ne soient pas citées dans cette liste. Ainsi, nous estimons que les fonctions d'inspection dans les domaines de la santé ou des nouvelles technologies pourraient être ajoutées. Il faudrait donc lister de nouvelles fonctions territoriales entraînant l'inéligibilité des candidats aux mandats locaux ; il s'agirait, par exemple, des fonctions de directeur général de l'Agence régionale de santé, de responsable de l'antenne départementale de l'ARS ou encore de directeur d'hôpital.
En outre, nous constatons que seuls certains représentants des autorités administratives indépendantes (AAI), dont le Médiateur de la République, le Défenseur des enfants ou le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, sont inéligibles aux mandats de conseillers généraux et régionaux. Nous nous interrogeons sur une éventuelle extension de cette inéligibilité à des représentants d'autres AAI.
Enfin, nous serions favorables à ce que les directeurs de cabinet du président d'un EPCI soient inéligibles aux mandats locaux, à l'instar de ce que le code électoral prévoit pour les membres de cabinet du président d'un conseil général ou d'un conseil régional. Cela devrait d'ailleurs être proposé dans le cadre du texte réécrivant l'ensemble des dispositions à valeur organique du code électoral qui sera très prochainement soumis au Parlement.
Par ailleurs, nous observons que le cumul des fonctions exécutives locales avec un mandat parlementaire semble de plus en plus mal accepté par un nombre croissant de citoyens, voire d'élus, et les situations de conflits d'intérêts qui peuvent en résulter se sont multipliées à mesure que l'organisation territoriale de notre pays s'est décentralisée.
Ainsi, nous avons identifié plusieurs types de propositions permettant de restreindre les situations de cumul des mandats et des fonctions. Dès lors, plusieurs possibilités s'ouvrent à la délégation, celle-ci pouvant approuver des propositions plus ou moins restrictives. D'ailleurs, je rappelle que c'est l'esprit dans lequel nous avons travaillé avec Dominique Voynet.
Tout d'abord, nous souhaitons prendre le risque de présenter une proposition assez forte à la délégation. Il semble temps d'ouvrir le débat sur un sujet majeur et nous proposons l'interdiction de tout cumul entre un mandat national et une fonction exécutive locale, entendue au sens strict, sans établir de critère démographique ; l'ensemble des fonctions exécutives locales seraient ainsi visées par l'interdiction du cumul. A défaut, il serait possible de moduler cette proposition en soumettant l'interdiction de tout cumul entre un mandat national et une fonction exécutive locale à l'instauration d'un seuil démographique, au-dessus duquel le cumul serait interdit.
Ensuite, au regard du développement attendu des intercommunalités, nous estimons nécessaire de renforcer la législation existante concernant le cumul entre un mandat national et des fonctions exécutives locales au sein d'un EPCI. Il s'agirait de proposer, a minima, que les fonctions de président d'EPCI à fiscalité propre soient intégrées dans la législation relative au cumul des mandats applicables aux parlementaires. La mise en oeuvre d'une telle proposition permettrait, d'une part, de revaloriser le rôle des présidents des EPCI concernés, en leur offrant plus de temps et de liberté pour remplir leurs missions, et, d'autre part, d'augmenter la disponibilité des parlementaires concernés par ce type de cumul. L'étendue de cette proposition peut être modulée par l'introduction d'un seuil démographique, au-dessus duquel il serait interdit de cumuler un mandat national avec la présidence d'un EPCI à fiscalité propre.
Au niveau local, le cumul des mandats et des fonctions peut également constituer un frein au bon fonctionnement de la démocratie. En effet, nous avons observé un renforcement des responsabilités et charges pesant sur les présidents d'intercommunalité. Dans le même temps, nous avons constaté l'importance du phénomène de cumul entre les fonctions de président d'EPCI et d'autres mandats locaux. Par conséquent, nous préconisons d'ajouter à la liste des mandats dont le cumul est interdit pour les élus locaux, les fonctions de président d'EPCI à fiscalité propre.
Enfin, si aucune des propositions visant à restreindre les situations de cumul n'était adoptée par la délégation, nous nous demandons s'il ne faudrait pas s'interroger tout de même sur la limitation des mandats dans le temps (il s'agit cependant d'une position de repli). Ainsi, à l'instar du président de la République, les élus ne pourraient briguer successivement plus de deux mandats locaux identiques. En revanche, si les propositions précédentes visant à limiter le cumul étaient adoptées, les possibilités de cumuler un même mandat dans le temps pourraient être plus grandes ou faire l'objet d'un examen ultérieur. Ainsi, Dominique Voynet et moi-même nous demandons si un même mandat local devrait être exercé plus de trois fois par la même personne. Cette question est ouverte et la réponse n'est évidemment pas définie par avance.
C'est pourquoi nous vous faisons aujourd'hui neuf recommandations qui ne sont pas cumulatives et que je vais vous présenter rapidement.
La première recommandation a pour objectif la création d'une commission ad hoc chargée d'examiner globalement les régimes d'inéligibilité et d'incompatibilité, afin de garantir l'objectivité des critères existants et, le cas échéant, d'améliorer le régime juridique concerné.
La deuxième vise à réactualiser la liste des fonctions entraînant l'inéligibilité des candidats aux mandats locaux.
La troisième consiste à inclure, dans la liste des fonctions entraînant l'inéligibilité des candidats aux mandats locaux, de nouvelles fonctions « territoriales », afin de tenir compte des modifications de certaines fonctions induites par les différents textes portant réforme de la décentralisation.
La quatrième recommandation consiste à rendre inéligibles aux mandats de conseillers généraux et régionaux, les membres de certaines autorités administratives indépendantes (AAI).
La cinquième recommandation vise à rendre inéligibles aux mandats de conseillers municipaux, généraux et régionaux les membres de cabinet des présidents d'EPCI.
S'agissant du cumul des mandats d'élus, nous proposons deux recommandations majeures. La sixième recommandation consiste à proposer l'interdiction de tout cumul entre un mandat national et une fonction exécutive locale, entendue au sens strict, sans établir de critère démographique ; l'ensemble des fonctions exécutives locales étant ainsi visées par l'interdiction de cumul. La septième recommandation est un peu plus ouverte dans la mesure où elle vise à proposer l'interdiction de tout cumul entre un mandat national et une fonction exécutive locale, en établissant un seuil démographique, au-dessus duquel le cumul entre un mandat parlementaire et une fonction exécutive locale est interdit.
La huitième recommandation vise à proposer l'intégration des fonctions de président d'EPCI à fiscalité propre à la législation relative au cumul des mandats applicable aux parlementaires.
Enfin, la neuvième recommandation consiste à proposer l'intégration des fonctions de président d'EPCI à fiscalité propre à la législation relative au cumul des mandats applicable aux élus locaux.
Je rappelle que ces neuf recommandations ne sont pas cumulatives : elles constituent uniquement des pistes qui doivent faire avancer le débat.
Il est essentiel de bien cerner notre problème. Je connais des élus qui n'ont qu'un seul mandat mais qui, parallèlement, sont à la tête d'une grande entreprise ou consacrent beaucoup de temps à l'exercice d'une profession libérale. Or, quand on évoque la limitation du cumul, on ne se tourne généralement que vers le cercle restreint de ceux qui détiennent des mandats locaux. Si on considère que l'on doit être parlementaire à temps plein, cela signifie que l'on ne fait rien d'autre, ni dans le public, ni dans le privé.
L'idée que nous défendons est de soumettre l'interdiction de cumul à la fixation d'un seuil démographique. Il est évident qu'on ne peut empêcher un maire d'une commune de 300 ou 400 habitants qui, par ailleurs, est président d'une communauté de communes, d'être parlementaire. On sait bien qu'il a le temps, la possibilité de faire des choses. En revanche, la question se pose pour le maire d'une commune ou le président d'un grand EPCI, d'une communauté urbaine de 200 000 ou 300 000 habitants, voire au-delà, et qui est aussi parlementaire : est-ce qu'il peut, en même temps, assumer toutes ces fonctions, dans toutes leurs dimensions, de façon efficace ?
Comment avons-nous raisonné, en sachant que nous cumulons tous deux des mandats, comme une grande majorité de parlementaires ? Nous avons repris à notre compte la phrase de Guy Carcassonne, professeur des universités : « Mettre fin à cette absurde exception française est une nécessité. Mais le faire unilatéralement serait suicidaire ». Nous avons repris, l'un après l'autre, les arguments : est-ce que serait inhérente à la culture française une pratique qui serait différente dans d'autres pays ? Dans d'autres pays, s'il n'y a pas de cumul, c'est généralement parce que la règle mise en place le limite strictement ou l'interdit ; seule la Grande-Bretagne, qui n'a pas une tradition d'écriture de son droit, ne le fait pas.
Est-ce que c'est une question de disponibilité ? Si c'est vrai, alors mettons en place des garde-fous. Est-ce que c'est une question de compatibilité ? On a le droit de penser que l'Assemblée nationale ou le Sénat ne sont pas simplement la somme des préoccupations des territoires, qu'on n'est pas seulement à Paris pour la proximité présumée que cela apporte avec les ministres et le gouvernement, ni pour la possibilité de faire valoir des points de vue locaux ou de revenir vers son territoire avec des avantages particuliers. Il nous a semblé, et c'est un point qu'il faudrait peut-être approfondir, que l'intérêt général n'étant pas la somme des intérêts particuliers, il était sans doute raisonnable d'imaginer, plutôt qu'une cote mal taillée, qu'un arbitrage moyen entre les préoccupations de chacun, des lieux de dialogue, voire de négociation, via des instances représentatives, et avec des intérêts territoriaux, comme il en existe avec les syndicats ou avec le monde associatif par exemple. On peut en discuter de façon plus approfondie. Ce qui est certain, c'est qu'on a bien vu l'ambiguïté : d'un côté, les partis, qui déposent les propositions de loi quand ils sont sûrs qu'elles ne seront pas adoptées ; de l'autre, des propositions assez radicales formulées par des commissions, - celle de M. Mauroy, celle de M. Balladur - dont on a repris bien des propositions intéressantes, à l'exception des recommandations visant l'interdiction du cumul des parlementaires avec un mandat exécutif local. Ce que nous avons cherché à faire, c'est inventer des seuils démographiques pour rendre acceptable cette interdiction des cumuls, par étape.
La table ronde que nous avons organisée avec les associations d'élus n'a pas permis d'avancer. Toutes ont envoyé des représentants élus, en situation de cumul de mandats, qui ont expliqué que leur association était dans une situation compliquée sur ces questions. Les arguments tournaient autour de deux éléments essentiels : le premier concernait la précarité du statut et les problèmes de rémunération, à l'issue d'un mandat, ou lors de l'interruption du cumul, ce qui nous amène à souligner la nécessaire cohérence entre notre rapport et celui de Jean-Claude Peyronnet et Philippe Dallier sur le statut de l'élu local. Le deuxième type de préoccupation portait sur la crainte d'avoir des élus à « deux vitesses » : d'un côté, des praticiens qui seraient en phase avec la réalité du terrain et soumis aux inconvénients et aux pressions des intérêts locaux ; et de l'autre, des « apparatchiks », comme le disait Jacques Chirac, liés à leur parti plus qu'aux territoires mais coupés de la réalité. Comment avancer ?
On a vu aussi, lors de cette table ronde, que les associations d'élus ont conscience du fait que les citoyens rejettent massivement l'idée même du cumul des mandats. Ces citoyens sont en fait ambivalents, puisqu'ils votent pour des « cumulards ». Par ailleurs, on constate l'existence d'une dimension populiste désagréable dans le rejet du cumul, qui va avec les accusations de vénalité, de rupture avec le monde réel, etc., usuellement adressées aux élus.
Dans le même temps, la comparaison avec les autres pays européens montre que nos voisins ont réglé ce problème. C'est très douloureux pour les élus en situation de cumul, que nous sommes en grande majorité, de se demander si une évolution similaire va être organisée ou subie, sous forme d'un discrédit des politiques en général et d'un détournement des citoyens des urnes. Mais c'est une question qu'il faut poser.
Je voudrais simplement communiquer une information à la délégation : demain, en commission des lois, aura lieu la présentation du rapport d'une mission d'information sur la législation applicable aux campagnes électorales. C'est une mission qui a été mise en place dans la perspective de la modification prochaine du code électoral. Dans ce cadre, le groupe de travail, dont je fais partie, présentera des propositions relatives aux problèmes d'inéligibilité et d'incompatibilité.
Autant je suis ouvert aux propositions relatives à la réduction du cumul des mandats, autant je suis réservé sur l'idée de limiter le cumul des mandats dans le temps.
Ne faudrait-il pas commencer par identifier ce qui, dans la situation actuelle, nous semble indéfendable puis avancer progressivement pour voir jusqu'où nous pouvons aller dans nos propositions ?
Je voudrais revenir sur la méthode proposée. Certains parlementaires remplissent parfaitement leur rôle, au plan national et cumulent avec des mandats locaux, de façon très satisfaisante. Il me semble que le cumul des mandats n'est possible que si ces élus sont très bien assistés, sauf à voir en eux des « surhommes » capables d'assumer des charges de travail dépassant l'entendement. On légifère non pour des « surhommes », mais pour des gens « normaux ». La démocratie doit permettre que les fonctions électives soient accessibles aux gens « normaux ». Le cumul de fonctions est interdit, notamment aux fonctionnaires. Pourquoi leur interdit-on de cumuler des fonctions à plein temps alors que l'on n'interdit pas aux élus de cumuler des « mandats à plein temps » ?
Qu'est-ce qui est indéfendable ? Nous connaissons tous des maires, qui, pour se conformer à la législation relative aux cumuls, deviennent officiellement adjoints, mais gardent leur bureau et ont une délégation de pouvoir générale.
Mais il y a une autre dimension au cumul, c'est celle des dysfonctionnements du Parlement. La session unique avait été l'occasion de prendre des engagements sur l'organisation du temps de travail du Parlement, qui n'ont pas été tenus.
Mais est-ce qu'être parlementaire doit consister à exercer un métier à plein temps à Paris ? Pour moi, la réponse est non : même s'il ne détient pas un mandat local, le parlementaire doit avoir un contact avec les citoyens.
On voit le cumul comme une grosse contrainte. La question qu'on est en droit de se poser consiste à se demander si le fait d'être parlementaire et d'avoir un mandat local est pertinent. Je suis jeune parlementaire et plus vieil élu local. Je considère que ma mission de parlementaire se nourrit de ce travail, de cette expérience, au quotidien. C'est-à-dire que dans l'application d'une réflexion autour de thèmes législatifs que nous abordons, au sein de la commission des lois notamment, je me rends compte que ce n'est pas le fait d'avoir eu l'expérience d'être maire qui compte, c'est le fait de l'être. Je me demande comment on pourrait représenter le peuple français, tout en étant « déconnecté » du terrain, même si le terme est un peu fort.
L'interdiction totale de cumul me gêne d'autant plus que le sénateur, par essence, doit représenter les collectivités territoriales. Je ne souhaite pas rentrer dans le débat qui autoriserait les sénateurs à cumuler mandat national et mandat local, alors que les députés seraient contraints d'y renoncer. Je constate en tous cas que, dans la période récente, la législation restreignant le cumul des mandats a progressé.
S'agissant des EPCI, il me semble qu'un consensus, ou du moins une large majorité, pourrait être trouvé pour soutenir les propositions de nos rapporteurs. Il y a des situations très différentes à prendre en compte, selon que les EPCI ont reçu ou non d'importants transferts de compétences. La fixation d'un seuil démographique est une solution intéressante.
Par ailleurs, je ne suis pas favorable à la limitation des mandats locaux successifs. Enfin, je formule une dernière remarque : est-on sûr que la limitation du cumul des mandats assurera un meilleur fonctionnement du Parlement ? Il me semble qu'au Sénat les parlementaires qui sont en situation de cumul sont parmi les plus présents.
S'agissant de la restriction du cumul des mandats, je suis d'accord avec les propositions sept, huit et neuf.
Par ailleurs, dans ce débat récurrent sur le cumul des mandats, certains éléments m'apparaissent discutables. Ainsi, nous sommes tous confrontés à ce problème dans nos groupes : ce ne sont pas les sénateurs qui cumulent le plus qui travaillent le moins, le raisonnement inverse étant valable. En outre, je trouve que l'avis de la population sur le cumul est paradoxal. Partout en France, les électeurs estiment que ce n'est pas leur sénateur-maire qui cumule trop, mais les autres élus.
Par ailleurs, comme j'ai pu le constater lors de différents déplacements réalisés en ma qualité de commissaire aux lois, l'interdiction du cumul en Europe est une question difficile. De facto, il y a peu de cumul dans les démocraties européennes, mais l'interdiction, proprement dit, n'existe pas.
Je tenais à préciser mon désaccord sur l'interdiction du cumul des mandats dans le temps. Enfin, je souhaitais avoir des précisions sur les incompatibilités frappant les membres de cabinet des élus locaux.
Je constate que les élus français ont tendance à culpabiliser sur la question du cumul des mandats et qu'ils estiment trop souvent qu'une exception française existe en la matière, selon laquelle, les élus français cumuleraient davantage que leurs voisins européens. Cependant, existe-t-il une véritable étude de droit comparé sur cette question ? J'observe que sur ce sujet, différents éléments, souvent contradictoires, sont avancés, et plus particulièrement sur la question du statut de l'élu en Europe.
J'ajoute que le cumul des mandats est un sujet récurrent. D'ailleurs, la commission des lois, à laquelle j'appartiens, a examiné, en octobre dernier, une proposition de loi déposée par le groupe socialiste, visant à interdire le cumul entre un mandat de parlementaire et une fonction exécutive locale. L'ensemble des membres de la commission ont reconnu l'importance de cette question, mais ils ont estimé qu'il était encore trop tôt pour modifier la législation existante relative au cumul. Ainsi, je m'interroge : disposons-nous réellement de tous les éléments de comparaison nécessaires pour légiférer sur ce sujet ?
Je rappelle que les membres de cabinet du président du conseil général et du président du conseil régional, les directeurs généraux, les directeurs, les directeurs adjoints, les chefs de service et les chefs de bureau de conseil général et de conseil régional dans la circonscription où ils exercent ou ont exercé leurs fonctions depuis moins de six mois ne peuvent être candidats au mandat de conseiller général. En revanche, les directeurs de cabinet d'EPCI ne sont pas visés par cette inéligibilité.
S'agissant du droit comparé, je ne suis pas certain que les comparaisons européennes dans le domaine du cumul des mandats soient réellement utilisables.
Par ailleurs, je reconnais que la présence des sénateurs dans l'hémicycle n'est pas toujours très importante, ce qui peut nuire à l'image des parlementaires. Le problème de l'absentéisme parlementaire est réel. Cependant, il est difficile pour chacun des sénateurs de travailler sur l'ensemble des textes qui sont présentés en séance. Ainsi, nous pourrions sensibiliser les citoyens à cette question en leur expliquant que les sénateurs se spécialisent dans des domaines précis et, par conséquent, ne peuvent assister à l'ensemble des séances publiques.
Malgré tout, j'estime nécessaire de renforcer la législation actuelle sur le cumul des mandats. Certes, je ne suis pas favorable à une interdiction totale du cumul, car un ancrage territorial et une expérience de terrain sont essentiels pour les parlementaires. En revanche, le minimum serait de moduler les interdictions de cumul des mandats et des fonctions, selon la taille des collectivités territoriales et de leurs groupements.
Il ne faut pas tout mélanger. Une modification de la législation relative au cumul des mandats ne règlera pas les problèmes de fonctionnement des assemblées, qui tiennent plus au règlement intérieur qu'au cumul.
Je ne crois pas que les parlementaires nationaux puissent rester des généralistes, capables de suivre tous les sujets. La spécialisation est utile, mais elle ne doit pas conduire au désintérêt des parlementaires qui ne sont pas les spécialistes du domaine examiné en commission ou en séance publique.
S'agissant de la question des conflits d'intérêt que peuvent poser les cumuls de mandats, je tiens à rappeler que des règles éthiques et déontologiques existent. La profession d'avocat répond ainsi à des règles déontologiques très précises et strictes. La réponse aux problèmes rencontrés n'est pas toujours législative, et c'est dans cette perspective que nous vous proposons la création d'une commission de déontologie chargée d'examiner ces questions de conflits d'intérêt.
Par ailleurs, je crois à la nécessité d'un lien entre le mandat national et le mandat local, mais la question de la taille des collectivités territoriales ou des intercommunalités concernées se pose. Il faut définir des seuils démographiques au-delà desquels le cumul entre la fonction exécutive locale et le mandat de parlementaire n'est pas autorisé. La charge de travail que représente la présidence des plus grandes intercommunalités de France me paraît difficilement compatible avec l'exercice plein et entier du mandat de parlementaire.
Je souhaite rappeler que le cumul de plusieurs mandats électifs n'est pas la seule configuration qui pose de réelles questions. Cumuler un mandat local avec certains métiers me semble relever de la gageure.
C'est pour tenter de répondre à ce type de situation que nous vous soumettons notre première recommandation, relative à la commission de déontologie. Je rappelle que nos recommandations ne vous sont pas soumises dans un esprit polémique mais tentent de répondre au malaise des citoyens et des partis. Il me semble que dans cette perspective notre proposition d'interdire le cumul d'un mandat parlementaire avec une fonction exécutive locale au-delà d'un certain seuil démographique va dans le bon sens.
En ce qui concerne les comparaisons européennes, la prudence est de mise. Toutefois, je souhaite souligner que dans les pays où le cumul n'existe quasiment pas, la loi ne semble pas si éloignée du terrain, ni déconnectée des attentes des citoyens. J'entends l'argument consistant à dire que l'expérience locale permet de savoir de quoi parle un texte législatif. Mais ce n'est vrai que dans certains cas. Dans de nombreux autres cas, nous légiférons sur des domaines que nous n'avons pas eu à connaître localement, et cela ne pose pas de difficulté. Nous nous spécialisons sur des domaines de compétence, au Parlement, qui peuvent n'avoir aucun lien avec nos territoires.
Enfin, je suis très étonnée qu'aucune voie de recours ne soit prévue actuellement pour contester les décisions prises en matière d'inéligibilité ou d'incompatibilité.
J'ai reçu il y a quelques jours des parlementaires néerlandais et portugais. Dans leur pays, ils ont de grosses communes ; la question du cumul ne se pose pas chez eux de la même manière qu'en France, où il y a plus de communes que dans tout le reste de l'Europe et où gérer une commune ne représente pas donc la même charge que dans les autres pays. Par ailleurs, je constate que dans certains pays, comme en Espagne, des élus ont des responsabilités à divers titres. Par conséquent, est-ce qu'il est justifié d'affirmer, en nous culpabilisant, que le cumul ne se pratique pas ailleurs ? Je n'en suis pas du tout sûr, ce qui rend d'autant plus nécessaire d'intégrer dans notre réflexion la dimension de droit comparé.
Par ailleurs, notre démarche doit-elle se limiter aux mandats électifs ? Serait-il cohérent d'interdire à un parlementaire d'être maire d'une commune de 300 habitants tout en permettant à un autre de présider, par exemple, la chambre de commerce et d'industrie de Paris ? Si on raisonne en termes de temps que l'on doit consacrer à son mandat, il faut aller très loin et s'interroger sur l'exercice d'autres fonctions, certes non électives mais très prenantes.
Enfin, ne perdons pas de vue l'essence de l'engagement public : lorsqu'on s'engage dans les affaires publiques, on ne compte pas son temps et on accepte bien des sacrifices. Je me souviens des initiatives prises par le Gouvernement au début des années 1990 pour espérer endiguer le cumul des mandats par un écrêtement des indemnités : cela n'a pas eu d'effets car les élus ne cumulaient pas les mandats pour cumuler les indemnités ; beaucoup de parlementaires exercent donc des mandats locaux gratuitement, car cela correspond à leur engagement public.
Certes, mais cet engagement gratuit est-il toujours tout à fait démocratique ? Beaucoup de citoyens ne peuvent pas se permettre de travailler gratuitement. On est aussi très loin d'atteindre enfin la parité et la représentation de la diversité de la population française au sein des élus locaux.
Je rappelle que si tout cumul était interdit, les dépenses publiques connaîtraient une très forte augmentation. Si l'interdiction du cumul des mandats touche la fonction de président d'EPCI, il est évident que les présidents demanderont plus de moyens financiers et humains.
Il faut aussi garder présent à l'esprit une autre réalité : une carrière politique est généralement courte. Les calculs ont été faits lorsque l'on a discuté des retraites des parlementaires et l'on a constaté que la durée moyenne d'exercice du mandat de député était de sept ans et demi. Certes, certains ont des durées beaucoup plus longues, mais il ne faut pas se focaliser sur l'exception.
Je suis, en revanche, convaincu qu'il y a des choses à améliorer et je pense que nous devrions procéder par petits pas : il y aura des points sur lesquels 90 % de nos collègues seront d'accord et nous devons les identifier.
Peut-on, d'ores et déjà, dire que la délégation est d'accord pour que les présidents d'EPCI soient inclus aux listes limitant le cumul de mandats, avec un mandat parlementaire, et avec les autres mandats locaux ?
Il me semble que nous pouvons être d'accord sur les propositions relatives aux présidents d'EPCI, même avec la recommandation numéro neuf qui va loin. Il est vrai qu'aucun seuil démographique n'est prévu.
Il faut faire attention aux effets de seuil, certaines intercommunalités ont une population très réduite.
On pourrait alors reprendre les mêmes seuils qui prévoient des dérogations pour les maires des petites communes.
Si je reprends les recommandations de nos rapporteurs, je constate que plusieurs ne posent pas de problème : la première, consistant à mettre en place un organe de réflexion indépendant des assemblées, est une recommandation éthique et il me semble que tout le monde peut adhérer à cette démarche. Cela permettrait sans doute de résoudre certaines anomalies liées aux divergences d'appréciation entre les assemblées, comme lorsque l'on voit que l'Assemblée nationale trouve normal qu'un parlementaire enseigne à Sciences-po et que le Sénat juge l'inverse.
De même, je crois que la deuxième recommandation, demandant une réactualisation de la liste des fonctions entraînant l'inéligibilité, correspond à une impérieuse nécessité.
D'autres recommandations doivent peut-être être retravaillées : la troisième, demandant à inclure certaines fonctions entraînant l'inéligibilité pour tenir compte des conséquences de la récente réforme des collectivités territoriales, me semble un peu trop ciblée.
En ce qui concerne la quatrième recommandation, sur l'inéligibilité des membres de certaines autorités administratives indépendantes, il faudrait préciser ce que l'on vise.
Certains représentants des AAI, comme cela existe pour le Médiateur de la République, le Défenseur des enfants ou encore le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, pourraient être inéligibles aux mandats de conseiller général et de conseiller régional. La liste des AAI vous est distribuée. Les présidents de certaines AAI pourraient devenir inéligibles.
Quant à la recommandation qui vise à rendre inéligibles à des mandats locaux les membres de cabinet des présidents d'EPCI, pourquoi se limite-t-elle à ceux-là ?
Je rappelle que notre rapport présente deux mesures fortes : intégrer les présidents d'EPCI à la règle commune de restriction du cumul et poser la question de l'incompatibilité d'une fonction exécutive locale avec un mandat parlementaire. Pour le reste, nous avançons sur un chemin très chaotique, tant il est vrai qu'au niveau local, chacun connaît des situations qui ne sont pas satisfaisantes, en termes de conflits d'intérêt et de mélange des genres.
Le raisonnement sur les autorités administratives indépendantes est intéressant. En revanche, faut-il exclure des mandats locaux, l'Agence française de lutte contre le dopage ou le Médiateur du cinéma ? Cela mérite réflexion.
Je vous propose d'approfondir notre réflexion et de nous revoir assez vite, au début de l'année, pour trancher en sachant que sur la plupart de vos recommandations on peut avoir un large accord, avec des propositions cohérentes, sans perdre de vue ce qu'est un engagement local.
Peut-on considérer que, hormis la sixième proposition, nos recommandations soient acceptables ?
J'aurais également souhaité acter dès à présent les propositions que la délégation considère comme acceptables, même si certaines d'entre elles nécessitent d'être reformulées. Si je comprends bien les termes du débat, le rapport ne sera pas adopté aujourd'hui. Or, la délégation s'était, dès le départ, fixé une méthode de fonctionnement, celle d'un travail en binôme. Dans le cas du rapport sur le cumul, nous avons essayé d'avancer des propositions consensuelles, c'est pourquoi il faudrait au moins adopter partiellement ce rapport.
La délégation peut aussi nous demander de retravailler et d'approfondir certaines propositions, hormis la sixième.
Il vaut mieux procéder par étapes pour faire avancer les choses. Je vous propose donc d'approfondir les sujets sur lesquels il semble qu'il y aura un large accord, c'est-à-dire sur l'essentiel de vos recommandations. Mon objectif est de faire bouger les lignes, pas de constater des désaccords idéologiques.
La délégation procède ensuite à l'examen du rapport d'information de MM. Philippe Dallier et Jean-Claude Peyronnet, co-rapporteurs, sur le statut de l'élu.
Le bureau de la délégation nous a chargés d'une réflexion sur le statut « social » des élus, réflexion qui vient compléter fort logiquement les travaux de nos collègues François-Noël Buffet et Dominique Voynet sur le cumul des mandats, dont nous venons de débattre à l'instant.
La question du statut de l'élu local s'est posée de manière nouvelle dès l'acte I de la décentralisation. En effet, il faut se souvenir que les éléments dispersés et disparates qui tenaient lieu de statut de l'élu avant 1982 ne répondaient pas aux exigences nouvelles posées par les transferts de compétences organisés par le législateur.
Dès janvier 1982, le rapport de notre ancien collègue Marcel Debarge avait défini les fondements d'un statut « moderne » de l'élu local ; l'ambition affichée était de donner aux élus locaux les moyens de relever le défi de la décentralisation et d'introduire de nouveaux comportements conformes aux exigences de la démocratie.
Bien que la pertinence de l'analyse réalisée par Marcel Debarge n'ait été remise en cause par aucun observateur, il a fallu attendre près de dix ans pour que ses préconisations trouvent une traduction juridique avec la loi du 3 février 1992 relative aux conditions d'exercice des mandats locaux. La loi du 12 juillet 1999 relative au renforcement et à la simplification de la coopération intercommunale et la loi du 27 février 2002 relative à la démocratie de proximité ont renforcé le dispositif initial, permettant aux élus d'exercer leurs mandats dans un contexte plus favorable.
L'intention du législateur était double : d'une part, accorder aux élus locaux le temps nécessaire pour exercer des fonctions de plus en plus lourdes et complexes, et, d'autre part, étendre le bénéfice de ce corpus de règles à un nombre plus grand d'élus locaux, plutôt que de développer un statut particulier pour les présidents d'exécutifs locaux.
Cet édifice législatif suffit-il à bâtir un statut de l'élu local ? La réponse semble négative. Tel est le sentiment exprimé par les élus locaux, mais aussi les parlementaires qui saisissent régulièrement le Gouvernement de la question de l'élaboration, ou de l'achèvement, d'un véritable statut de l'élu.
En décidant de se saisir de cette question, notre délégation a souhaité donner un coup de projecteur sur un statut de l'élu constitué de nombreuses dispositions disparates et sur l'insatisfaction qu'il génère.
L'inventaire et l'analyse que nous avons élaborés dressent un état des lieux mitigé. S'il est incontestable que tous les sujets mis en exergue par le rapport de notre ancien collègue Marcel Debarge (indemnités, protection sociale, droits d'absence) ont reçu des réponses, et qu'aucune catégorie d'élu local n'a été laissée à l'écart par ces évolutions législatives, comment expliquer la persistance d'un sentiment d'insatisfaction ?
Peut-être la logique du statut ébauchée depuis 1992 est-elle arrivée à son terme ? Des aménagements sont, certes, encore possibles et nous allons d'ailleurs vous soumettre des propositions en ce sens ; mais il ne s'agira pas d'une réforme majeure, ni d'un changement de référentiel dans la manière d'aborder la problématique du statut de l'élu.
Alors que les attentes des élus locaux sont de plus en plus importantes, tout comme les charges pesant sur eux, l'heure n'est-elle pas venue d'imaginer un nouveau cadre pour leur permettre d'exercer dans les meilleures conditions leurs mandats ?
Pour essayer d'y parvenir, tout en respectant les contraintes financières qui s'imposent aux collectivités territoriales, nous avons choisi de concentrer notre attention sur trois sujets principaux : premièrement, l'amélioration immédiate du statut des maires ; deuxièmement, l'ajustement des mesures existantes ; troisièmement, une réflexion sur l'opportunité de maintenir le principe de gratuité des mandats.
La situation des maires nous a, en effet, semblé le sujet le plus préoccupant. Une crise des vocations est palpable, nous l'avons constaté à l'occasion des dernières élections municipales. Il faut dire que les charges pesant sur les maires sont de plus en plus lourdes, du fait des transferts de compétences et de la complexité toujours plus grande des politiques publiques ; sans compter les attentes de nos concitoyens, qui sont de plus en plus importantes à l'égard de leurs élus locaux, et de leur maire en particulier.
Il nous a donc semblé indispensable d'apporter une réponse spécifique à la situation des maires et, plutôt que de continuer à saupoudrer en quelque sorte les améliorations du statut de l'élu local, de différencier la situation des maires par rapport aux autres élus locaux.
Notre objectif prioritaire est de permettre aux maires qui le souhaitent de cesser leur activité professionnelle pour exercer leur mandat à temps plein. Bien sûr, cette possibilité leur est déjà ouverte. Pour autant, les modalités de cette cessation d'activité ne sont pas totalement satisfaisantes, notamment en termes de rémunération. Le maire est souvent moins bien payé que certains de ses collaborateurs, et cette rémunération est peu élevée au regard des responsabilités qui lui sont confiées. Nous proposons donc une majoration de 50 % de l'indemnité des maires soumise à l'approbation du conseil municipal, qui serait réservée à ceux qui cesseront complètement leur activité professionnelle. Une majoration de 25 % pourrait être accordée à ceux qui choisiront de maintenir une activité professionnelle à temps partiel. Cette mesure doit venir en compensation des charges assumées par les maires, mais doit également les inciter à exercer ce mandat à temps complet, sans que cela ne se traduise par une dégradation matérielle de leur situation.
Cette mesure est applicable à droit constant en matière de cumul des mandats ; elle n'est pas parfaite, nous en avons pleinement conscience, mais son objet est bien de favoriser les maires et eux-seuls.
Une autre de nos propositions vise la rémunération des maires au titre des activités effectuées pour le compte de l'Etat. Il s'agirait d'une rémunération complémentaire, car il nous semble normal que l'Etat contribue à la rémunération des maires à ce titre.
Enfin, il nous semble nécessaire de relever le seuil démographique à partir duquel un maire bénéficie de l'indemnité de fonction fixée au taux maximal par la loi (passer de 1 000 à 3 500 habitants), sauf avis contraire du conseil municipal.
Ces trois mesures, d'inégale importance, nous semblent de nature à renforcer le statut des maires, dont le rôle dans notre système local est irremplaçable et dont l'action est saluée par nos concitoyens.
Nous vous proposons, dans un deuxième temps, d'ajuster la législation actuelle, afin d'améliorer ponctuellement la situation des élus locaux. Cette partie de notre réflexion rassemble les trois quarts de nos propositions. Si ces dernières sont moins innovantes que celles que Jean-Claude Peyronnet vient de vous présenter, elles n'en sont pas moins utiles et nécessaires.
Ces propositions peuvent être regroupées autour de trois grandes catégories composant l'actuel statut de l'élu local : les droits d'absence, les retraites et le statut juridique de leur indemnité.
Vous savez que la plupart des élus locaux bénéficient de plusieurs dispositifs dits de droits d'absence : autorisations d'absence, crédits d'heures, congé formation, congé pour se présenter aux élections locales et, bien entendu, possibilité de cesser son activité professionnelle. L'objectif de ces dispositifs est de leur permettre de concilier activité professionnelle et exercice d'un mandat local. Ces dispositifs peuvent apparaître insuffisants ou incomplets, il n'en demeure pas moins que le législateur a cherché à définir un équilibre fragile entre l'intérêt de l'employeur de l'élu local et les contraintes liées à l'exercice du mandat.
Dans ce domaine, nos propositions se concentrent sur des ajustements du droit en vigueur afin d'en étendre le bénéfice à de nouvelles catégories d'élus.
Nous vous proposons tout d'abord d'accorder le bénéfice du crédit d'heures aux conseillers municipaux élus dans les communes de moins de 3 500 habitants qui sont, à ce jour, les seuls élus exclus de ce dispositif. Celui-ci, rappelons-le, permet à l'élu de disposer du temps nécessaire à l'administration de la commune, c'est-à-dire à la préparation des réunions des instances dans lesquelles il siège. Cette proposition poursuit les évolutions de la législation sur ce sujet, qui a abord réservé ce droit aux seuls conseillers municipaux des communes de plus de 100 000 habitants en 1992, avant de l'étendre, en 2002, à ceux des communes de plus de 3 500 habitants.
Toujours dans le domaine des droits d'absence, nous proposons également d'élargir les catégories d'élus susceptibles d'être autorisés à suspendre leur contrat de travail pour se consacrer à leur mandat.
Dans un premier temps, nous estimons nécessaire d'ouvrir ce droit aux adjoints des communes et vice-présidents d'EPCI à fiscalité propre de plus de 10 000 habitants. La logique de cette démarche est simple : il s'agit d'abaisser les seuils démographiques actuellement fixés par la loi afin de permettre à des élus de s'investir le plus possible dans la gestion de leur collectivité ou groupement. Alors que le Parlement vient de définir les modalités d'achèvement de la carte intercommunale, cette mesure nous semble particulièrement nécessaire.
Dans un deuxième temps, nous esquissons une proposition qui sera sans doute moins consensuelle, puisqu'elle concerne les conseillers territoriaux. La création de cette nouvelle catégorie d'élus ayant été validée par le Conseil constitutionnel, la question de leur statut devrait être examinée prochainement par le Parlement. Il nous semble donc qu'à cette occasion, nous pourrions nous interroger sur l'opportunité de permettre aux conseillers territoriaux de suspendre leur contrat de travail pour exercer leur mandat à temps plein. Compte tenu de la charge de travail qu'exigera ce mandat hybride, cette évolution de législation nous semble être pertinente.
Hormis les droits d'absence, nous souhaitons également vous soumettre des ajustements législatifs dans le domaine de l'acquisition des droits à pension. Ce sujet est ô combien sensible parmi les élus locaux, qui considèrent que leurs retraites ne sont pas décentes. L'amélioration de cette situation est difficile puisque les pensions des élus locaux sont souvent calculées selon les règles du droit commun. Pour autant, deux évolutions sont envisageables. Il s'agirait, d'une part, de rendre obligatoire, pour les élus qui n'ont pas cessé leur activité professionnelle, l'adhésion au régime de retraite par rente. Cette adhésion est aujourd'hui facultative et un certain nombre d'élus locaux y renoncent pour éviter de faire peser un poids supplémentaire sur les finances communales. Nous proposons de rendre cette adhésion obligatoire afin de majorer un tant soit peu les pensions perçues par les élus locaux. D'autre part, dans le même esprit, nous estimons nécessaire que les élus cessant leur activité professionnelle pour se consacrer à leur mandat puissent également souscrire à cette retraite par rente qui, je le rappelle, constitue une dépense obligatoire pour les collectivités territoriales. Cette dernière proposition représente une rupture avec le droit actuel selon lequel la retraite des élus locaux est formée de deux niveaux seulement (régime général et Ircantec ou Ircantec et retraite par rente).
Nous souhaitons ainsi, dans le prolongement de nos propositions précédentes, favoriser les élus qui cessent leur activité pour se consacrer à leur mandat local, afin que ce choix ne se traduise pas par une dégradation de leur situation matérielle.
Dans un troisième temps, il nous semble nécessaire que les pouvoirs publics se penchent sur le statut juridique des indemnités versées aux élus locaux qui, vous le savez, ne présente ni le caractère d'un salaire, ni celui d'un traitement, ni celui d'une rémunération quelconque. Pourquoi préciser ce statut juridique alors que la question de la fiscalité de l'indemnité ou du prélèvement des cotisations sociales a été réglée ? Notre collègue Jacqueline Gourault a eu l'occasion de le souligner devant nous avec force, lors de la table ronde organisée par notre délégation le 1er juin 2010. Il s'agit de lever certaines incertitudes auxquelles sont confrontés les élus locaux. C'est le cas notamment du statut de la fraction représentative des frais d'emploi. Cette fraction non imposable, versée à tous les élus locaux qui perçoivent une indemnité, pose des problèmes concrets aux élus, notamment en cas de cumul d'indemnités avec des allocations ou des prestations versées sous condition de ressources. C'est pourquoi plusieurs de nos collègues ont adressé au Gouvernement de nombreuses questions écrites sur la situation des élus locaux qui se voyaient privés du bénéfice de l'allocation adulte handicapé (AAH), du fait d'une mauvaise interprétation de la prise en compte de la fraction représentative des frais d'emploi dans le calcul de la rémunération des élus. Il s'agit là de clarifier le droit en vigueur afin de sécuriser la situation des élus locaux.
Pour conclure cette présentation, je voudrais aborder un sujet particulièrement complexe et polémique : la question de la gratuité du mandat. Nous estimons nécessaire d'aller de l'avant sur la question du statut de l'élu afin de tenir compte des contraintes de plus en plus lourdes qui pèsent sur les élus locaux.
Aussi, nous nous interrogeons sur l'opportunité de maintenir le principe de gratuité des mandats locaux qui a, jusqu'à présent, constitué un frein à l'adoption d'un statut plus protecteur des élus. La suppression de ce principe est souvent perçue comme synonyme de professionnalisation des fonctions électives. Or, ce terme de professionnalisation - utilisé comme repoussoir dans de nombreux débats sur le statut de l'élu - est impropre. Ce que nous voulons éviter, ce n'est pas la professionnalisation des élus locaux, qui est nécessaire, mais bien la création d'un statut comparable, par exemple, à celui de la fonction publique, qui offrirait aux élus une carrière avec des revalorisations régulières de salaires, voire des promotions.
Le refus de la professionnalisation a conduit le Parlement à rejeter la proposition de loi de notre collègue Pierre Mauroy de création d'un statut d'agent civique territorial salarié de la collectivité (pour les maires, les présidents de conseils généraux et régionaux).
Nous pensons que la suppression du principe de gratuité ne conduit pas automatiquement à l'instauration d'une « carrière ». Aussi souhaitons-nous inviter les membres de notre délégation, nos collègues sénateurs et l'ensemble des acteurs à une réflexion rénovée sur ce thème et sur les moyens de mettre en oeuvre un statut de l'élu protecteur, susceptible de répondre aux attentes des élus locaux et aux défis qu'ils relèvent quotidiennement.
La question du retour à la vie professionnelle des élus ayant suspendu leur contrat de travail se pose également au regard de celle du cumul des mandats dans le temps. La proposition de majoration indemnitaire de 50 % pour les maires se consacrant uniquement à leur mandat, formulée par nos collègues, rend plus complexe ce retour à la vie professionnelle.
Aujourd'hui, un élu bénéficie de la suspension de son contrat de travail, pour la durée d'un mandat. La question se pose différemment à l'issue de deux mandats : peut-on demander aux entreprises de réintégrer leurs salariés après douze années d'interruption ? ...
C'est une vraie question. La principale iniquité existante est la différence de traitement entre un élu fonctionnaire et un élu du secteur privé, qui ne bénéficient pas des mêmes droits de retour à l'emploi. Nous ne pouvons pas arriver à un système comparable pour ces deux catégories d'élus, mais il est nécessaire d'améliorer le régime des élus salariés du secteur privé. Là encore, il existe une différence entre ceux provenant d'une grande entreprise et les salariés d'une PME, pour lesquels le retour à leur entreprise d'origine est plus difficile. Peut-être pourrions-nous envisager un régime calqué sur celui dont bénéficient les députés, fondé sur l'équivalent d'une allocation chômage versée pendant une certaine durée, qui serait plus avantageuse que l'actuelle allocation de fin de mandat dont les élus peuvent bénéficier pendant six mois sous certaines conditions.
Il faut dire les choses telles qu'elles sont : si une personne choisit de travailler à temps plein pour sa mairie en échange d'une rémunération, on doit bien admettre qu'elle perçoit un salaire. Mais il faut aussi voir que, dans les faits, nombreux sont les maires ruraux qui ne perçoivent pas leur indemnité ou qui la reversent au bureau d'aide sociale : il faut laisser aux gens la liberté de choisir leur statut. Il faudra cependant qu'ils en discutent avec le conseil municipal et que l'on évite d'avoir des situations dans lesquelles on élirait le candidat qui se montrerait le moins exigeant pour son indemnité.
En milieu rural, beaucoup de maires sont retraités et bénéficient à ce titre d'une pension. Pour améliorer la situation des générations nouvelles et favoriser leur accession aux fonctions exécutives, il faut améliorer leur rémunération en s'interrogeant sur l'opportunité de transformer leur indemnité en salaire. On pourrait également mettre en place des cotisations visant à assurer une protection sociale plus efficiente ouvrant droit à une retraite dans des conditions moins précaires. Ce système s'appliquerait aux élus acceptant de suspendre leur activité professionnelle pour se consacrer à leur mandat d'élu local.
La création d'un contrat d'agent civique territorial avait été approuvée par tous les participants de la commission « Refonder l'action publique locale », présidée par M. Pierre Mauroy en 2000, quels que soient les sensibilités politiques et le niveau de collectivités représentées. Ne faudrait-il pas la reprendre ? Le principe de gratuité prolonge la notion de bénévolat, un peu comme les pompiers bénévoles qui sont plus volontaires que bénévoles !
Nous pourrions distinguer, au sein de l'indemnité perçue par un maire, les missions réalisées pour le compte de l'Etat (état civil, police, sécurité) des autres missions. Cette décomposition permettrait aux élus ruraux de bénéficier d'une indemnité revalorisée sans que cela génère un poids supplémentaire sur les finances locales.
Le bénéfice de l'indemnité ne doit pas faire l'objet de marchandages et de contre-propositions au sein des conseils municipaux. Il existe actuellement des tableaux de référence liant montant de l'indemnité et seuils démographiques. Un maire ou un adjoint, quelle que soit la population de la commune, doit bénéficier de ces indemnités à leur montant maximum. Le statut d'un élu correspond à une fonction et mérite de ce fait le versement d'une indemnité fixée par la loi. Ce n'est pas une option facultative.
L'Association des maires de France (AMF) a-t-elle engagé une réflexion sur la situation précaire de certains élus liée, par exemple, à la disparition de leur entreprise ou à leur handicap physique ? Il pourrait être intéressant de demander à l'AMF de mettre en place un groupe de travail sur ce sujet.
L'AMF a engagé un travail sur cette question. Mme Jacqueline Gourault l'a, à plusieurs reprises, évoqué lors de notre table ronde du 1er juin 2010.
Je pense que nous ne pouvons pas adopter de conclusions aujourd'hui. Le mieux serait de soumettre vos pistes aux associations, notamment à l'AMF, puis de revenir devant la délégation. Il pourrait également être intéressant de dresser le bilan de la législation sur le sujet depuis trente ans.
Nous pourrions évaluer l'impact de notre proposition visant à augmenter sensiblement l'indemnité des maires, lorsqu'ils se consacrent à temps plein à leur mandat. Cette mesure peut en effet entraîner un certain nombre de polémiques. Les autres propositions relèvent plus de l'ajustement.
Il y a des cas de figure qu'il faut prendre en considération, par exemple celui du retraité qui se consacre à temps plein à son mandat.
La loi autorise les élus à cumuler une indemnité et une pension de retraite.
Effectivement, notre proposition vise seulement les actifs qui suspendent leur activité salariée pour se consacrer uniquement à leur mandat local.
Personne n'a-t-il été choqué d'apprendre que les ministres en exercice percevaient également leur retraite ? Le bénéfice d'une activité indemnisée devrait entraîner la suspension d'une pension de retraite.
Cela va beaucoup plus loin : le président de conseil général qui est en même temps ministre perçoit l'indemnité de président de conseil général dans son intégralité ; si ce président de conseil général est en même temps parlementaire, il sera soumis aux règles de plafonnement du régime indemnitaire.
Je souhaiterais revenir sur la proposition qui vise à permettre aux élus cessant leur activité professionnelle d'adhérer au régime de retraite par rente, en sus du régime général et du régime complémentaire. Elle permet aux élus d'acquérir des droits à pension décents. Je rappelle qu'un élu qui cesse son activité salariée n'a aucune garantie de retour dans son emploi, puisque l'entreprise conserve le poste pendant une durée de deux ans alors qu'un mandat local dure six ans ! Etant dans cette situation, j'avais contacté le service juridique de l'AMF qui m'avait indiqué qu'en cas de non-réélection, je relèverai directement de la couverture maladie universelle (CMU). Cette situation, qui ne concerne qu'une minorité d'élus locaux en France, apparaît injuste car les élus concernés souhaitent cotiser et ne peuvent le faire. En 2007, plusieurs de nos collègues avaient déposé une proposition de loi visant à améliorer le régime de retraite des élus locaux ayant cessé leur activité professionnelle pour se consacrer exclusivement à leur mandat, mais elle n'a pas été adoptée. Or, il me paraît indispensable de se saisir de cette question.
Il existe un aspect dissuasif qu'il n'est pas possible de mesurer quantitativement : il s'agit du cas d'un cadre du secteur privé dont l'activité salariée est incompatible avec son mandat local, si bien qu'il préfère abandonner celui-ci.
Cette situation, très contestable, s'explique par le fait que la commune cotise déjà au régime général et la cotisation de l'élu à ce fonds correspondrait à une double cotisation pour la collectivité.
Un de mes prédécesseurs, professeur d'université, a continué à enseigner, à mi-temps. Par conséquent, il a pu continuer à cotiser pour son régime de base mais également pour le régime complémentaire, tout en ne travaillant pas à temps plein.
Il ne faut pas dissuader les salariés du secteur privé d'être élu local.
Le montant des indemnités d'un maire d'une commune de plus de 30 000 habitants permet à un salarié du secteur privé de se consacrer à plein temps à son mandat de maire, en comparaison de son activité salariée. Pour un salarié plus âgé, le choix est plus difficile à faire et peut pousser au cumul des mandats.
L'indemnisation du maire est une vraie question, principalement dans les plus petites communes. Mais la proposition visant à augmenter de 50 % le montant de l'indemnisation d'un maire, lorsque celui-ci abandonne son activité privée, va coûter cher à un certain nombre de communes. Le budget qui sera consacré à l'indemnité du maire pourrait, dans certains cas, ne plus permettre le financement d'autres politiques. Dans mon département, qui comporte plus de 600 communes, 48 % d'entre elles ont moins de 200 habitants, avec souvent des budgets très symboliques.
Il s'agit, par ailleurs, d'élus bénévoles qui assurent un certain nombre de fonctions gratuitement.
Peut-être faudrait-il lier cette question à celle de la généralisation de l'intercommunalité. On pourrait imaginer qu'à terme, l'intercommunalité aura de plus en plus de compétences à assumer et, in fine, la fonction de maire d'une petite commune sera différente.
Si on reprend vos propositions, beaucoup sont tout à fait acceptables : « regrouper dans un chapitre spécifique du code général des collectivités territoriales les dispositions constitutives du statut de l'élu », ça ne mange pas de pain ; « accorder le bénéfice du crédit d'heures aux conseillers municipaux des communes de moins de 3 500 habitants » va dans le bon sens ; j'hésite un peu sur la proposition « ouvrir le bénéfice du droit à la cessation d'activité aux adjoints des communes et présidents d'EPCI de plus de 10 000 habitants ».
En fait, il faut lire « suspension du contrat de travail » plutôt que « cessation d'activité ».
Je préfère cette formule, en effet. Je pense que cela devrait concerner tous les mandats électifs.
Il faudrait quand même un seuil. En dessous de 10 000 habitants, cela risque d'être lourd pour la commune.
Soit... vous nous proposerez donc un seuil. Votre proposition suivante est-elle nécessaire ? Pourquoi « rendre obligatoire l'adhésion au régime de retraite par rente pour les élus qui n'ont pas cessé leur activité professionnelle » ? Pourquoi prévoir une obligation si l'élu ne juge pas nécessaire cette adhésion ?
Le problème c'est que, malgré les conséquences que cela peut avoir pour eux, des élus n'osent pas adhérer à un régime de retraite par rente car cela coûte aussi à la collectivité : chaque euro versé par l'élu donne lieu au versement d'un euro par la collectivité. Dans les petites communes, cela peut poser problème. C'est l'AMF qui a attiré notre attention là-dessus.
« Préciser la nature juridique de l'indemnité », c'est une proposition qui touche à la philosophie. Il ne faut pas être ambigu : si l'élu travaille à temps plein pour sa collectivité et est payé en conséquence, sa rémunération est un salaire.
C'est toute la question de la gratuité ou non des fonctions électives. C'est sans doute pourquoi, à la réflexion, cette question devrait être posée au tout début ; on ne pourra pas vraiment décliner nos autres propositions tant qu'on n'aura pas tranché cette question : en finit-on ou pas avec la gratuité ?
Si on propose d'en finir avec la gratuité, cela pose en effet d'autres questions auxquelles il faut répondre. Le régime fiscal d'un salaire, par exemple, n'est pas le même que celui d'une indemnité.
Vous avez soulevé beaucoup de sujets intéressants et de nature à mettre fin à certaines anomalies. Il faudrait aller cependant au-delà de la recherche d'anomalies. J'aimerais que nous arrivions à dire quelle est la nature du mandat d'élu et que nous laissions le choix aux gens. N'oublions pas que les électeurs ont aussi leur mot à dire.
Nous en restons donc là aujourd'hui : c'est une première étape et le travail des rapporteurs mérite d'être le point de départ de bien des solutions intéressantes.