Au cours d'une première séance tenue le matin, la commission procède tout d'abord à l'audition conjointe de Mme Mireille Chiroleu-Assouline, professeure à l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, MM. Vincent Mages, directeur initiatives changement climatique du groupe Lafarge, Antoine Magnant, sous-directeur de la fiscalité des transactions à la direction de la législation fiscale, Christian de Perthuis, président du comité pour la fiscalité écologique, directeur scientifique de la Chaire économie du climat, professeur d'économie associé à l'université Paris-Dauphine, et Denis Voisin, chargé de projet sur la fiscalité écologique à la fondation Nicolas Hulot pour la Nature et l'Homme.
Mes chers collègues, je vous propose que nous entamions cette séance, ouverte à la presse, qui va nous permettre d'entendre une série d'interlocuteurs sur le thème d'avenir qu'est la fiscalité écologique. C'est à la fois un sujet permanent et un sujet d'actualité. La fiscalité écologique est souvent présentée comme une fiscalité comportementale particulière, ayant pour vocation de se détruire elle-même - ce qui fait parfois peur aux « budgétaires » car ceux-ci ont besoin de ressources pour faire face à des dépenses récurrentes. Le précédent épisode a été celui de la taxe carbone, taxe si complexe qu'il a fallu, pour la rendre acceptable, imaginer des exceptions multiples. Mais le Conseil constitutionnel a dû constater que l'égalité devant l'impôt n'y trouvait pas son compte.
Nous abordons à présent une nouvelle phase où cette fiscalité écologique revient dans le débat, notamment pour contribuer au financement du crédit d'impôt « compétitivité emploi » (CICE). Cette fiscalité écologique devra rapporter de l'ordre de 3 à 4 milliards d'euros ; c'est l'ordre de grandeur à viser. C'est sans doute pourquoi la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie a installé, le 18 décembre 2012, un comité permanent pour la fiscalité écologique. Le Sénat y est représenté par deux de nos collègues, dont Fabienne Keller, membre de la commission des finances.
La commission des finances a tenté de se forger sa propre expertise des enjeux associés à la fiscalité écologique en créant, dès 2009, un groupe de travail sur la fiscalité environnementale, sur l'instauration d'une contribution « climat énergie » et sur le fonctionnement et la régulation des marchés de quotas de CO2. Fabienne Keller s'était particulièrement investie dans ce travail. Nous avions considéré à l'époque que ces marchés, balbutiants mais dont l'impact économique et financier peut être considérable, devaient gagner en transparence et être régulés. Les incidents et fraudes qu'ils ont connus en Europe ont montré que nos préoccupations étaient fondées. Au demeurant, l'un des sujets qui nous interpelle est l'échec de la bourse environnementale Bluenext, qui devait être en principe, pour Paris, un facteur de compétitivité.
Je me réjouis donc de poursuivre la réflexion dans le cadre de cette table ronde. Celle-ci nous amène aujourd'hui à débattre des conditions de relance d'une fiscalité écologique, dont on soit en mesure de définir les objectifs, les outils, les redevables, le rendement et les aménagements. Pour y réfléchir, nous recevons cinq intervenants. Je leur demande de bien vouloir respecter la règle d'une brève présentation introductive de cinq à dix minutes.
Nous allons commencer par le sous-directeur de la fiscalité des transactions à la direction de la législation fiscale. Antoine Magnant nous dressera le panorama des points forts et des points faibles de la fiscalité environnementale existante en France et abordera les comparaisons intra-européennes. Ensuite, le directeur des initiatives changement climatique du Groupe Lafarge, Vincent Mages, nous présentera sa vision d'industriel sur les enjeux de la fiscalité environnementale en France, du point de vue de la compétitivité. Puis, Denis Voisin, chargé de projet sur la fiscalité écologique à la Fondation Nicolas Hulot pour la Nature et l'Homme, nous exposera la vision de cette fondation sur le rôle de la fiscalité en matière de transition écologique, tant en termes climatiques, énergétiques qu'en termes de biodiversité. Mireille Chiroleu-Assouline, professeure d'économie à l'Université Paris I-Panthéon Sorbonne, spécialiste de l'économie de l'environnement et des ressources, sera ensuite amenée à nous donner son avis sur la théorie dite du « double-dividende » et, de façon plus générale, sur les conditions optimales d'une fiscalité écologique. Enfin, pour conclure le tour de table, Christian de Perthuis, président du tout récent comité pour la fiscalité écologique, et expert reconnu du marché du carbone. Il nous présentera la feuille de route du comité, le calendrier et l'organisation de ses travaux, ses thèmes de réflexions, ainsi que l'état d'esprit dans lequel il aborde sa fonction de président.
Monsieur Magnant, je vous prie de bien vouloir entamer la série des interventions.
Je vais tenter de dresser un état des lieux de la situation de la fiscalité écologique en France et de présenter quelques éléments de comparaison avec nos voisins communautaires.
Pour commencer, il existe une définition standardisée, à l'échelle européenne, de la fiscalité environnementale, établie par Eurostat, selon laquelle relève de la fiscalité écologique toute « taxe dont l'assiette est une unité physique d'un bien qui a un impact spécifique et négatif avéré sur l'environnement ». Cette définition a l'avantage de pouvoir faciliter les comparaisons, mais elle présente quelques inconvénients. Dès lors qu'elle est assise sur un bien qui a un impact négatif sur l'environnement, elle ne prend pas en compte les dépenses fiscales favorables à l'environnement. Je pense, à titre emblématique, au crédit d'impôt pour le développement durable en matière d'impôt sur le revenu, mais il y a aussi de nombreux autres éléments en matière de fiscalité agricole par exemple. De même, cette définition ne tient pas compte de l'affectation de cette ressource. Or, dans le système fiscal français, on trouve des impôts qui relèvent de cette définition qui sont affectés à l'Etat, aux collectivités territoriales et à certains établissements publics.
Sur la base de cette définition est réalisé par Eurostat un document de référence et de comparaison communautaire, qui est divisé en quatre grandes catégories : l'énergie, les transports, la pollution et enfin les ressources.
Là encore, cette définition fait l'objet de critiques, d'une part parce qu'elle est phagocytée par la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE), qui représente une part considérable de la fiscalité écologique, d'autres part parce que d'autres éléments tels que la taxe et la redevance d'enlèvement des ordures ménagères (TEOM et REOM), dont on pourrait considérer qu'elles ont une finalité écologique, ne sont pas retenues dans cette définition. Cela représente 7,5 milliards d'euros. S'il avait été possible d'additionner cette somme aux données retenues par Eurostat, la France aurait été moins mauvaise, en termes comparatifs.
En tout cas, on aurait pu inclure ces éléments existants. En France, en 2010, dernière année pour laquelle il est possible d'établir des comparaisons à l'échelle européenne, la fiscalité écologique s'élevait à 36 milliards d'euros. Parmi les quatre grandes catégories, la principale est celle de l'énergie avec 28,5 milliards d'euros. Sur ces 28,5 milliards d'euros, le carburant représente la plus grande partie, avec 24,7 milliards d'euros. Le reliquat est composé des taxes locales sur la consommation d'électricité et de la part de TICPE affectée directement à Electricité de France (EDF). Concernant la deuxième grande catégorie, les moyens de transport, ce sont des impôts essentiellement assis sur la possession et l'utilisation des véhicules (les cartes grises, la taxe sur les véhicules de société et des taxes spécifiques sur les assurances automobiles principalement), qui représentent un total de cinq milliards d'euros.
Oui. La troisième catégorie est celle des impôts assis sur les pollutions, dont le total s'élève à deux milliards d'euros. Elle se compose des redevances affectées aux agences de l'eau, pour 1,5 milliard d'euros, et de l'essentiel de la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP), pour un montant de l'ordre de 500 millions d'euros. Dans ce total, j'ai exclu une partie de la taxe assise sur l'utilisation d'un certain nombre de matériaux. Enfin, la catégorie des taxes sur les ressources naturelles, qui sont des redevances sur les prélèvements d'eau et quelques assiettes de TGAP, représente un total de 300 millions d'euros.
La France est avant-dernière parmi les vingt-sept Etats membres de l'Union européenne (UE) en terme de poids de la fiscalité environnementale rapportée à son produit intérieur brut (PIB), c'est-à-dire 1,8 % du PIB par rapport à une moyenne communautaire de 2,4 %. Si l'on rapporte le poids de la fiscalité environnementale au poids total des prélèvements obligatoires, la France est dernière des vingt-sept pays. Les deux premiers du classement sont le Danemark et les Pays-Bas, avec un total de fiscalité écologique rapportée au PIB de 4 %.
Il y a deux grands facteurs d'explication à cette situation : le premier est un souci de préservation du pouvoir d'achat et le second un souci de préservation de la compétitivité industrielle.
En ce qui concerne la fiscalité sur les carburants, la France a des tarifs de droits d'accises assez élevés : 61 euros par hectolitre pour le super carburant, pour une moyenne communautaire d'un peu moins de 53 euros par hectolitre et, en ce qui concerne le diesel, 44 euros par hectolitre, contre une moyenne communautaire de 41 euros. C'est une moyenne non pondérée par rapport au PIB, mais on peut constater que l'écart de taxation entre les deux carburants est supérieur en France à celui de la moyenne communautaire. Cet écart est de 17 euros par hectolitre en France, contre 11 euros par hectolitre pour la moyenne communautaire. Les tarifs de droits d'accises en France sont donc plutôt supérieurs à la moyenne communautaire mais, malgré tout, en termes de poids de l'impôt sur le carburant rapporté au PIB, la France se situe à un niveau inférieur à la moyenne européenne, en particulier par rapport à l'Allemagne, à l'Italie et au Royaume-Uni. Ce paradoxe apparent s'explique par le poids des dépenses fiscales en matière de TICPE, dont la plus importante en termes de coût budgétaire est le rabais pour les poids lourds. Cette dépense fiscale a néanmoins été classée à un bon niveau, du point de vue de l'efficacité économique, par le comité Guillaume dans son rapport d'évaluation des niches fiscales et des dépenses sociales de septembre 2011.
En dehors du carburant, la taxation sur l'énergie est plus faible en France que dans le reste de l'Europe. Sur le fuel domestique, le niveau d'accises est trois fois inférieur à la moyenne communautaire. En ce qui concerne le gaz, en France, les ménages sont exonérés, tandis que les industriels sont faiblement taxés, par rapport à la moyenne communautaire. Cette situation est pleinement conforme au droit communautaire. Il s'agit donc de choix délibérés de niveau de taxation inférieurs à la moyenne, pour les ménages, pour des raisons de pouvoir d'achat, et pour les industriels, de préservation de la compétitivité grâce à un faible coût de l'énergie. Il s'agit d'un axe traditionnel de la politique fiscale française. De plus, le fait qu'il n'y ait pas de taxe carbone en France, alors qu'elle existe dans un certain nombre de pays de l'Union européenne (UE), est un autre facteur expliquant cette situation.
Passons maintenant aux perspectives éclairant la situation française. Tout d'abord, vous le mentionniez, M. le Président, des mesures récentes vont dégager des ressources nouvelles. La taxe « poids lourds » doit entrer prochainement en vigueur avec un rendement en année pleine d'un milliard d'euros. C'est un dispositif à la fois très complexe à mettre en oeuvre et très innovant, puisqu'il s'agit de tarifer l'utilisation par les poids lourds du réseau des grandes routes. Le dispositif fonctionnera grâce à un partenariat public-privé, mis en place par la direction générale des douanes et des droits indirects (DGDDI), qui en assure la maîtrise d'ouvrage, avec des mécanismes de « compteurs à camion », qui vont mesurer le nombre de passages de camions sur des tronçons routiers. D'autre part, la loi de finances pour 2013 a fortement durci le malus automobile, ce qui doit dégager 200 millions d'euros de recettes, destinées à financer le bonus qui a été rendu plus attractif, ainsi qu'à mettre fin à la situation de déficit chronique du dispositif du bonus-malus, qui était censé s'équilibrer. Enfin, la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) a vu son assiette élargie à la dissémination, dans l'atmosphère, d'un certains nombre de produits polluants, dont le plus emblématique est l'arsenic.
Il s'agit des mesures les plus récentes mises en oeuvre. Par ailleurs, un travail de fond, qui en est à ses prémices, a été lancé. La conférence environnementale, qui s'est tenue à la fin de l'année 2012, a fixé, dans la feuille de route pour la transition écologique, des objectifs ambitieux en matière fiscale, afin de faire converger la France vers la moyenne européenne concernant la fiscalité écologique, tout en maintenant la compétitivité des entreprises françaises. Christian de Perthuis vous en parlera mieux que mois.
Si l'on veut se rapprocher de la moyenne européenne, effectivement, des choix importants seront à faire, puisque cela signifie trouver plus de 5 milliards d'euros, par rapport à une rubrique qui représente actuellement 36,5 milliards d'euros. Du côté des industriels, nous allons entendre maintenant Vincent Mages, qui va nous dire quelle est la vision d'avenir chez Lafarge.
Bien évidemment, la voix d'un industriel sur le sujet de la fiscalité écologique va différer un peu de celle des autres intervenants. Je vais tenter de partager avec vous ce que le groupe Lafarge souhaiterait qu'une fiscalité écologique soit et ne soit pas. Nous souhaiterions, tout d'abord, une fiscalité qui soit un facteur de compétitivité. Ensuite, nous souhaiterions une fiscalité qui soit la plus ciblée et la plus précise possible dans ses objectifs. La fiscalité doit être au service d'une politique. De ce point de vue, nous sommes un peu gênés d'entendre que cette fiscalité écologique doit être une fiscalité de rendement.
Vous connaissez la situation des finances publiques du pays. Les ressources permanentes, c'est un vrai souci, que nul ne peut ignorer.
Alors, proposons de rendre cette fiscalité à la fois efficace en termes écologique et de rendement. Prenons un exemple : la TGAP portant sur l'enfouissement et l'incinération des déchets. Elle est au service d'une politique visant à limiter l'enfouissement de déchets dans des décharges et à encourager la valorisation des matières et de l'énergie des déchets municipaux et industriels. Nous, cimentiers, nous sommes placés sur cet axe politique, puisque notre processus de production nous permet de valoriser les matières et les énergies contenues dans ces déchets. Nous n'avons pas de déchets ultimes, donc nous considérons être totalement cohérents avec cette politique. Or, aujourd'hui, à chaque projet de loi de finances, la TGAP est révisée, quand il n'est pas proposé, dans certains amendements, de pénaliser notre industrie, alors même que nous sommes parmi les plus performants en termes de valorisation dans ce domaine. Nous croyons qu'il est possible d'avoir une fiscalité qui sert des objectifs écologiques et qui soit efficace en termes de rendement. Mais de notre point de vue, la priorité doit être donnée à la logique de cette politique environnementale.
Deuxième point très important sur ce que doit être une fiscalité environnementale : il faut qu'elle soit cohérente avec celle de nos voisins européens. Les frontières fiscales ne sont pas les frontières de marché. Les produits, biens et services circulent indépendamment des périmètres fiscaux. Toute fiscalité incohérente avec un territoire voisin va donc créer des effets de vases communicants. On a parlé dans le cas du CO2 de « fuites de carbone ».
Toute fiscalité écologique doit aussi se penser dans le cadre d'une fiscalité globale. M. Magnant a rappelé avec justesse les statistiques d'Eurostat sur le classement de la France en terme de poids de la fiscalité environnementale au regard du PIB. J'ai croisé ces statistiques avec le taux de prélèvement obligatoires des entreprises au sein de l'Europe. Certes, la France est avant-dernière dans le classement Eurostat en termes de poids de la fiscalité environnementale dans le PIB, mais elle est première en termes de prélèvements obligatoires sur les entreprises. Du point de vue de l'entreprise, une approche d'ensemble doit donc être privilégiée, plutôt qu'une approche fragmentée de la fiscalité. Notre entreprise est globale, notre compétitivité aussi. Si l'on souhaite combiner fiscalité écologique et compétitivité, il est impératif de faire le lien avec ce qui se passe chez nos voisins et sur les autres chapitres de la fiscalité.
De plus, n'oublions pas que, dans le cadre de la politique environnementale, il y a des règlements, des standards, des normes. Ceux-ci représentent des investissements afin de se mettre en conformité, voire pour aller plus loin que les seuils prescrits. C'est un coût qui rentre en ligne de compte pour l'entreprise, en plus de la fiscalité.
Dernier point, fiscalité doit rimer avec stabilité juridique. Il est très difficile de programmer des investissements sans cette stabilité. Je reviens sur l'exemple de la TGAP enfouissement des déchets. Il n'est pas possible de convertir ou d'adapter une cimenterie pour valoriser tel type de déchet et six mois après, être contraint d'opérer des changements car la fiscalité ne correspond plus. Stabilité juridique et stabilité des objectifs, qui peuvent rimer, M. le Président, avec votre souhait de stabilité des rendements, sont donc fondamentaux pour l'entreprise.
En résumé, la fiscalité écologique peut être un facteur de compétitivité, quand elle permet de développer un nouveau savoir-faire. Dans le cas de l'enfouissement des déchets, nous, cimentier français, avons développé un savoir-faire que d'autres pays n'ont pas. L'économie circulaire, la valorisation des déchets est certainement un thème d'avenir, sur lequel la France peut se positionner avec de vraies compétences et de vrais champions. Si la fiscalité veut être efficace, elle doit donc servir des objectifs précis et elle peut même être facteur de compétitivité. Tels sont les principaux messages que je souhaitais vous adresser.
Sur les questions relatives aux déchets et à cette filière, les sénateurs et élus locaux présents ne peuvent que vous écouter avec beaucoup d'attention. C'est une certitude, il y a une réelle valeur ajoutée, un savoir-faire dans les métiers de la filière déchets et ceux-ci peuvent être un facteur de compétitivité. Du côté de la Fondation Nicolas Hulot, quelle est votre approche quant aux progrès à faire dans les prochaines années ? Compte tenu des chiffres et des enjeux indiqués, quelle est votre feuille de route ?
Je m'efforcerai de répondre à vos interrogations, sans revenir, en effet, sur les chiffres qui ont déjà été avancés. Je souhaite rappeler que le président de la République s'est engagé à mener la France sur la voie de la transition écologique. Pour nous, la fiscalité écologique est avant tout l'un des principaux leviers de celle-ci. D'abord, elle permet d'intégrer les externalités environnementales, voire sanitaires. Elle favorise aussi l'incitation, à travers un signal-prix clair, à des comportements écologiquement responsables, et à réduire les pollutions. De même, elle permet de fiabiliser des investissements sur le long terme, par exemple en matière d'économies d'énergie. Enfin, la fiscalité écologique doit permettre de financer la transition écologique de façon intersectorielle. Il ne s'agit pas d'avoir une fiscalité uniquement de rendement, mais de financer le coût de cette transition écologique, estimé à 60 milliards d'euros. Bien sûr, il existe également d'autres outils et leviers, mais la fiscalité a un rôle à jouer de ce point de vue.
Notre objectif à la Fondation Nicolas Hulot est non seulement de développer rapidement une fiscalité écologique, mais aussi de revenir à une fiscalité plus logique. L'une de nos priorités est donc de supprimer les subventions néfastes à l'environnement. Leur existence est également l'une des raisons pour lesquelles la France est aussi mauvaise au niveau européen.
Il existe de nombreuses exonérations, en particulier dans le domaine énergétique : sur le gazole non routier, sur le kérosène en matière de transports aériens, sur les raffineries. L'assiette du diesel, qui est au coeur de l'actualité, est également une priorité pour nous. Il existe une différence de 7 milliards d'euros entre la TICPE sur l'essence et celle sur le pétrole, alors que les effets néfastes sont les mêmes, voire pires pour le diesel. Pour nous, en 2013, le diesel est un sujet prioritaire. Il s'agirait d'aligner d'ici trois à cinq ans, le prix du diesel sur celui de l'essence. A terme, il faudrait arriver à une taxe carbone, permettant d'intégrer les externalités négatives des émissions de CO2 sur l'environnement. Toutefois, réaligner le diesel sur l'essence n'est pas exactement, de notre point de vue, faire de la fiscalité écologique : il s'agit de revenir à un système de taxation plus logique, et ensuite de mettre en place une fiscalité écologique au travers d'une contribution « climat énergie ».
D'autres exonérations peuvent également être considérées comme nuisibles à l'environnement, par exemple celles qui concernent la TGAP en matière de déchets ou en matière de préservation du foncier. Vous pouvez retrouver l'ensemble de ces préoccupations sur le site Internet de la campagne intitulée « stop aux subventions à la pollution », que nous menons depuis un an.
Pourriez-vous être plus explicite s'agissant de la préservation du foncier ?
Il s'agit de dépenses fiscales qui contribuent à l'étalement urbain, par exemple le prêt à taux zéro (PTZ), orienté principalement vers les logements neufs, qui incite à la construction sans critère de localisation. Je ne suis pas expert en la matière, mais je pourrai vous donner des éléments plus précis en vous transmettant des documents sur le sujet.
L'une de nos autres priorités est de préparer le terrain pour une contribution « climat énergie », qui s'appliquerait dès 2015. Cela implique d'en finir avec le discours irresponsable sur le blocage des prix du carburant, au travers de la baisse de six centimes de TICPE. Enfin, pour préparer la contribution « climat-énergie », il faut régler le problème de la précarité énergétique, qui est liée à cette fiscalité écologique.
Parmi nos autres objectifs figure le financement de l'Agence de la biodiversité à travers des taxes qui contribueraient à favoriser le maintien de la biodiversité, par exemple des taxes assises sur l'urbanisme ou les friches commerciales, ou encore, en adaptant l'assiette des droits de mutation à titre onéreux (DMTO).
Globalement, la Fondation Nicolas Hulot a pour objectif d'aller vers un basculement des régulations, en allégeant, pourquoi pas, les taxes et les impôts qui pèsent sur la production, mais en renforçant ceux qui pèsent sur les ressources et la pollution.
Nous avons conscience qu'il ne faut pas « assommer » la croissance française avec vingt milliards d'euros de taxes supplémentaires - ce qui serait nécessaire pour rejoindre la moyenne européenne. Cela peut se faire en diminuant des taxes existantes, tout en sachant qu'il y a déjà trois milliards d'euros affectés au crédit d'impôt « compétitivité emploi ». Plusieurs milliards seront également nécessaires pour mettre en place des mesures redistributives destinées à compenser l'impact de la contribution « énergie climat » pour les ménages précaires. La fiscalité écologique doit également être un outil technique pour aller vers plus de justice sociale.
Enfin, je rejoindrai les propos de Vincent Mages, sur la progressivité, la lisibilité, et la simplicité, qui doivent être des aspects essentiels de la fiscalité écologique.
Madame Chiroleu-Assouline, peut-être pourriez vous rebondir sur la question de la place du parc diesel dans le parc automobile global, qui constitue une spécificité française. Je me souviens avoir plaidé pour un certain rééquilibrage dans les années 1990. A cette époque, mon collègue Louis Souvet, sénateur du Doubs, maire de Montbéliard, s'en était fortement ému, soulignant que l'avantage fiscal profitait à des entreprises telle que Peugeot, et que sa suppression aurait un impact fortement négatif sur l'emploi du secteur automobile. C'est toujours le cas aujourd'hui. Comment résoudre ces contradictions selon vous ?
Je vais répondre à votre question, mais je commencerai tout d'abord par présenter la notion de double dividende. La fiscalité écologique a pour finalité première - et normalement unique - de modifier les comportements. Quelques recettes fiscales peuvent en être obtenues, mais ce n'est pas là son objectif. Plus cette fiscalité écologique sera efficace sur le plan de l'environnement, plus elle réduira son assiette. Je préfère parler d'érosion de l'assiette plutôt que de disparition. En effet, les dépenses de carburant ne seront pas réduites à zéro avant plusieurs décennies. L'efficacité environnementale dépend de la réaction au signal-prix des comportements : plus ces derniers ont une élasticité forte au prix, plus les recettes sont appelées à diminuer.
La fiscalité écologique se traduit également par des effets économiques. Elle peut présenter un coût en pouvoir d'achat pour les ménages qui sont frappés, et en perte de compétitivité pour les entreprises impactées, bien que ces dernières puissent, en règle générale, répercuter une partie de ses coûts dans leur prix, donc sur le consommateur. Un impôt écologique non compensé aura forcément un coût en termes d'emplois et d'activité économique.
Il y a aussi des coûts sociaux potentiels. Je pense à cet égard à la fiscalité énergétique, notamment celle qui touche les carburants. Elle est régressive, dans la mesure où elle affecte davantage les ménages pauvres. En effet, la part de leur budget consacrée aux dépenses énergétiques et de carburant est plus importante que pour les ménages les plus riches. Elle porte sur des dépenses particulièrement contraintes, car ces foyers pauvres sont souvent installés en périphérie, ne disposent pas de transports publics, ont besoin d'utiliser leur voiture ou vivent dans des logements mal isolés. Ainsi, les effets sociaux d'une fiscalité écologique non compensée sont négatifs. De fait, et de façon paradoxale, lorsque la fiscalité écologique touche des dépenses contraintes, les ménages sont dans l'impossibilité de modifier leur comportement, ce qui rend alors cette fiscalité inefficace. Une fiscalité écologique est donc difficilement envisageable sans mesure d'accompagnement.
Chercher à réduire les coûts économiques et sociaux de la fiscalité écologique constitue le coeur de la théorie du double dividende. On peut à cet égard envisager de substituer la fiscalité environnementale à des prélèvements pesant dans d'autres domaines. La plupart des impôts se traduisent par des distorsions plus ou moins fortes, qui ont des effets négatifs pour l'économie. C'est le cas lorsque le gain pour l'Etat du prélèvement fiscal s'avère plus faible que la perte sèche, en termes de bien-être et de pouvoir d'achat, subie par les contribuables. De telles distorsions se rencontrent chaque fois que la fiscalité cherche à modifier les comportements. De ce point de vue, la fiscalité écologique provoque par définition des distorsions. En France et en Europe continentale, c'est la fiscalité pesant sur le travail qui exerce le plus de distorsions. Aux Etats-Unis, c'est la fiscalité sur le capital.
Il s'agit donc de remplacer des prélèvements obligatoires sur le travail très distordants par des prélèvements obligatoires assis sur une base environnementale. Au-delà, une discussion existe entre universitaires, qui distinguent le double dividende au sens faible (simple réduction du coût de la mesure à travers la substitution d'impôts) et le double dividende au sens fort (obtention d'un gain net, à travers une hausse de l'activité et de l'emploi). Mais un tel résultat positif n'est possible que si l'on affecte les recettes environnementales à une réduction des autres impôts.
Si je vous comprends bien, vous estimez que la fiscalité écologique a vocation à être mise en regard de coûts et de dépenses publiques, de sorte qu'elle sortirait du débat budgétaire, puisque sans influence sur le solde ?
Ce que je veux dire, c'est que l'on ne peut pas tout avoir simultanément : augmenter les recettes fiscales et à la fois compenser les pertes de pouvoir d'achat et de compétitivité. Du point de vue d'un économiste de l'environnement, l'objectif essentiel de la fiscalité écologique est de modifier les comportements, puis de chercher ensuite comment limiter les impacts négatifs potentiels d'une telle fiscalité, voire comment les transformer en gain économique. Il est difficile de rechercher tous les objectifs en mêmes temps. En augmentant la fiscalité écologique et en réduisant d'autres impôts, on se dote de deux instruments. On peut donc atteindre deux objectifs (amélioration de l'environnement et de la croissance/emploi), voire trois, en opérant cette substitution de façon habile. Par exemple, on peut corriger les effets économiques et sociaux d'une telle fiscalité, si l'on cible le recyclage des recettes fiscales au profit des ménages pauvres.
C'est pourquoi, je plaide pour l'insertion du débat sur la fiscalité écologique dans un débat plus large, dans le cadre d'une réforme de grande ampleur du système fiscal, qui permettrait d'améliorer sa progressivité. Par là-même, on pourrait récupérer d'autres marges de manoeuvre pour atténuer les impacts sociaux et économiques de la fiscalité écologique.
Monsieur de Perthuis, comment appréhendez-vous votre mission, qui peut paraître impossible, de par son ampleur ? Devons-nous considérer que la fiscalité écologique est susceptible de contribuer à l'amélioration du solde des finances publiques ou non ? S'agit-il d'un débat de redéploiement entre différents prélèvements, ce qui conduirait à s'interroger sur la programmation à venir des finances publiques ?
président du comité pour la fiscalité écologique, directeur scientifique de la Chaire économie du climat, professeur d'économie associé à l'université Paris-Dauphine. - Je voudrais tout d'abord saluer l'implication des sénateurs de la commission de finances dans ce débat, et ce depuis plusieurs années.
Le comité, sous la tutelle conjointe de Bercy et du ministère de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, est doté d'une double mission : formuler des avis sur les projets de modifications de la fiscalité émanant de leurs services, mais aussi émettre des propositions. Nous avons une totale liberté en la matière. De plus, je souligne qu'il ne s'agit pas d'un comité d'experts, mais de parties prenantes, puisqu'il rassemble des représentants des entreprises, des syndicats, des organisations non gouvernementales (ONG), des élus. Notre tâche est ambitieuse et constitue un vrai défi. Le mode de fonctionnement de ce comité dépendra en partie de ma capacité à créer rapidement les conditions d'un débat serein sur la fiscalité écologique, sur la base d'une documentation la plus complète et impartiale possible. Nous devrons aussi faire oeuvre de pédagogie. En effet, je crois qu'il existe actuellement, dans notre pays, une profonde incompréhension sur les enjeux réels du verdissement de notre fiscalité. De ce point de vue, nous nous efforcerons d'objectiver les débats et de tout mettre sur la table, sans tabou : par exemple, la question de l'alignement de la fiscalité du diesel sur celle de l'essence, vieux serpent de mer.
De surcroît, la question du rendement de la fiscalité environnementale et de l'érosion de son assiette se pose très différemment selon les cas. De ce point de vue, on ne peut pas comparer l'assiette carbone et la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) sur les lessives. S'agissant de cette dernière, on a triplé les taux sur les lessives phosphatées il y a deux ans. Il y avait 90 % de lessives phosphatées. Un an après, il n'en restait que 5 %. C'est l'exemple d'une écotaxe très incitative, qui change les comportements. En revanche, sur l'assiette carbone ou les carburants, ce n'est pas possible. Ainsi, d'après les simulations dont je dispose, il faudra attendre au moins 2040 pour que le produit fiscal d'une taxation du carbone commence à diminuer.
Notre réflexion s'articulera autour de trois groupes de travail. Le premier se penchera sur la protection des ressources, dès la semaine prochaine. Il traitera notamment de la fiscalité de l'énergie, à commencer par le différentiel essence-diesel, mais aussi, de façon plus innovante, de la protection des écosystèmes (étalement urbain, écosystèmes marins), pour laquelle notre système fiscal n'est pas du tout adapté. Le second examinera, fin février, les questions ayant trait au changement climatique. On ne pourra faire l'impasse, à cet égard, sur l'assiette carbone. Nous devrons tenir compte de nos erreurs en la matière et faire preuve d'innovation, et je compte sur votre commission ! Enfin, le troisième groupe de travail s'intéressera à la pollution et aux nuisances, coeur de la définition théorique de la fiscalité environnementale (instruments fiscaux ayant une assiette fiscale directement liée à la pollution : gestion de l'eau, pollution des sols et de l'air, congestion liée aux transports ...). Le comité tiendra deux séances plénières d'ici le 14 juin, date à laquelle nous devrons émettre des avis et des propositions en vue de nourrir le débat sur la loi de finances pour 2014.
S'agissant des comparaisons internationales, il faut être prudent. A titre anecdotique, l'un de mes collègues britanniques avait présidé il y a quelques années une « Green tax Commission ». Sa feuille de route comprenait un objectif de 20 % de fiscalité écologique dans les prélèvements obligatoires. Certes, la notion de moyenne européenne est utile, mais elle ne doit pas être sacralisée. Plusieurs partenaires européens sont parvenus, avec succès, à utiliser le levier fiscal environnemental (Suède, Irlande, Danemark). Les travaux du comité s'alimenteront à partir de l'examen et de la compréhension des expériences européennes.
l'Irlande ne constitue pas vraiment un exemple de vertu fiscale... Ce pays pourrait augmenter son taux d'impôt sur les sociétés...
Je remercie nos intervenants et je leur demanderai tout d'abord quelques éclaircissements. Sur l'état des lieux, si j'ai bien compris les propos de M. Voisin, nous aurions un déficit de recettes fiscales par rapport à la moyenne européenne, qui est de l'ordre de 60 milliards d'euros. Nous sommes donc très en retard. Les décisions non prises en temps voulu, telles que celles évoquées tout à l'heure par le Président Marini, seront d'autant plus difficiles à prendre aujourd'hui, en période de forte contrainte budgétaire. On sait bien qu'il y a une dimension régressive ou progressive de la fiscalité. Tant en matière de TVA que de fiscalité écologique, les ménages les plus modestes sont plus violemment impactés que ceux aux revenus plus élevés. Nous devons donc être vigilants.
Sur le financement du crédit d'impôt compétitivité emploi (CICE), je souhaiterais recueillir l'opinion de Mme Chiroleu-Assouline sur les trois milliards d'euros de recettes de compensation prévues, issues de la fiscalité environnementale. De même, pourriez-vous développer votre argumentation relative à la différence de comportements des acteurs économiques entre l'Europe et les Etats-Unis quant à la fiscalité écologique et le double dividende : comment le comportement des décideurs économiques est-il influencé significativement par les prélèvements sur le travail ou le capital ?
J'en viens désormais à des questions plus techniques. Quel sort devrait selon vous être réservé aux « niches grises », ces dispositifs d'allègement qui, en poursuivant généralement des objectifs de soutien à certains secteurs d'activité, ont pour conséquence négative de favoriser des pratiques dommageables à l'environnement ? Je pense notamment aux dépenses fiscales liées à la consommation d'énergies fossiles, qui, au-delà de leur impact environnemental, ont également un coût budgétaire conséquent, de l'ordre de 5 milliards d'euros. Ce chiffre peut-il être confirmé ? A cet égard, le comité pour la fiscalité écologique se saisira-t-il, notamment, de la question de ces subventions fiscales ? Je pense en particulier à la différence de taxation entre l'essence et le diesel, que vous avez évoquée, ainsi qu'à la défiscalisation des biocarburants.
Quant à l'éventualité d'une nouvelle taxe carbone, dans votre esprit, les entreprises soumises au système communautaire de quotas d'émission de gaz à effet de serre (SCEQE) auraient-elles toujours vocation à être exonérées, au vu de l'évolution des modalités d'octroi des quotas de CO2 depuis 2009 ?
Par ailleurs, les contraintes environnementales auxquelles nous sommes assujettis dans nos activités économiques et territoriales risquent d'entraîner de nouvelles dépenses - je pense au milieu marin, à la qualité de l'air, au bien-être animal. La recherche d'une fiscalité appropriée est-elle la réponse obligée à ces charges additionnelles engendrées par l'addition de règlementations supplémentaires, notamment d'origine communautaire ?
S'agissant de l'acceptabilité de la fiscalité écologique, on se demande ce qui peut être ressenti le moins douloureusement par nos contribuables. L'affectation d'une écotaxe à une dépense environnementale précise est-elle une bonne solution ? Le double dividende permet-il de trouver un équilibre, ou bien alors, faudrait-il au contraire s'en tenir strictement au principe budgétaire de non affectation, compte tenu des dérives que l'on a pu constater en matière de fiscalité affectée ? Doit-on évoluer vers une correction de ce principe général, si l'on veut évoluer vers une meilleure acceptabilité des écotaxes ?
Monsieur Mages, la société Lafarge a une expérience dans la mise en oeuvre de pratiques respectueuses. Que pensez-vous des projets et initiatives de la Commission européenne visant à soutenir un cours du quota aujourd'hui déprimé, en particulier le « gel » envisagé d'un nombre significatif de quotas ?
Enfin, je souhaiterais poser une dernière question sur l'Europe. On peut penser qu'il serait souhaitable d'oeuvrer au niveau européen pour la mise en place d'un mécanisme d'inclusion carbone (MIC) aux frontières de l'Europe. Cependant, un tel projet vous paraît-il réellement envisageable, notamment au vu de la crise diplomatique - toujours non résolue à ce jour - qu'a suscitée l'inclusion du secteur aérien au sein du SCEQE ?
S'agissant du CICE, d'une certaine façon, ce projet se place dans la recherche du double dividende, mais selon une perspective inversée. Dans ce cas, des dépenses ont été annoncées et la fiscalité écologique a été présentée comme un moyen de financement de ce dispositif. Il me semble à cet égard important que le comité pour la fiscalité écologique ne se limite pas à la seule recherche des 3 milliards d'euros mentionnés, mais que l'on remette tout à plat. Si l'on adopte cette perspective globale, on obtiendra d'ailleurs sans doute des recettes bien supérieures. Cela présenterait également un avantage du point de vue de l'acceptabilité de la fiscalité écologique. La pédagogie est très importante. En effet, au moment de la discussion sur la contribution climat énergie, il me semble que l'une des raisons pour laquelle le projet a échoué, en dehors de sa censure par le Conseil constitutionnel, est qu'elle a été mal acceptée, car mal expliquée. Il faut faire comprendre aux contribuables que la fiscalité écologique est indispensable et que l'on prélèvera donc de fortes recettes à ce titre.
Cet argument d'autorité, purement intellectuel, ne me paraît guère convaincant.
Si l'on explique aux Français que l'on recourt à la fiscalité écologique uniquement parce que l'on a besoin de recettes, ce sera forcément mal accepté, comme on a pu le voir pour d'autres prélèvements dans le passé. Il faut présenter l'objectif environnemental en premier, et prévoir des accompagnements et compensations pour les contribuables, à recettes inchangées.
Sur la différence entre l'Europe continentale et les Etats-Unis, elle tient essentiellement au poids des prélèvements existants de chaque côté de l'Atlantique : la fiscalité du travail pèse beaucoup plus en Europe qu'aux Etats-Unis. Inversement, la fiscalité du capital est plus forte en Amérique qu'en Europe. C'est donc en réduisant les prélèvements sur le travail qu'on pourrait atteindre un double dividende en France.
Je partage globalement la vision de Mireille Chiroleu-Assouline. S'agissant du comité pour la fiscalité écologique, il y a plusieurs manières d'aborder sa mission :
- soit trouver trois milliards d'euros pour participer au financement du crédit d'impôt compétitivité emploi (CICE), ce qu'il faudra bien faire mais qui serait réducteur ;
- soit développer une réflexion plus large, capable d'envisager le basculement de la fiscalité existante vers ce type d'imposition afin de retirer un « double dividende » - voire un « triple dividende » si nous parvenions, de plus, à atteindre un objectif d'équité. Tel sera bien le niveau d'ambition du comité, ce que les ministres du budget et de l'écologie, du développement durable et de l'énergie ont validé.
Pour ce qui concerne les « niches grises », c'est un vrai sujet car certaines encouragent objectivement la consommation d'énergie. Nous devrons aborder cette question avec clarté, lucidité et professionnalisme, en essayant d'imaginer d'autres types de soutien aux filières concernées car nous ne pourrons pas nous contenter de proposer de rayer d'un trait de plume des niches qui constituent de véritables bouffées d'oxygène pour certaines professions.
Par ailleurs, votre question sur l'éventualité d'exonérer de nouveau d'une future « taxe carbone » les entreprises participant au système communautaire d'échange de quotas d'émission (SCEQE) me permet de souligner la gravité de la situation dans laquelle se trouve ce marché. Au-delà du « bricolage » ponctuel que propose la Commission européenne, le problème de fond concerne la gouvernance du système ; en réalité il n'existe pas d'autorité publique de gestion des enchères de quotas.
En effet, il n'y a pas de portage politique du SCEQE. Or nous n'avons pas créé ce marché pour le plaisir mais afin d'en faire un instrument de politique publique. C'est donc du niveau politique que doit venir la réaction.
Pour en revenir à votre question, les termes du problème ne sont plus les mêmes qu'en 2009. Avant de nous prononcer, nous regarderons attentivement les choix d'autres pays en la matière, comme le Royaume-Uni ou l'Allemagne.
Le groupe Lafarge et l'industrie cimentière soutiennent le SCEQE, qui est bien préférable à l'instauration de vingt-sept « taxes carbone » non harmonisées au sein de l'Union européenne. En outre, ce système peut être « exporté » ou harmonisé avec d'autres marchés du même type développés ailleurs dans le monde.
Néanmoins, je souscris à l'expression de « bricolage » pour qualifier les actuelles propositions de gel de quotas par la Commission européenne. La « phase III » du SCEQE, qui a débuté le 1er janvier, a été calibrée en 2008 sur la base d'une croissance annuelle du PIB de 2 %, partout en Europe. Cela est à la fois excessif pour des pays de l'Ouest du continent et insuffisant pour certains pays de l'Est - d'où une forte incompréhension entre ces pays. Afin d'en sortir, il nous faut une véritable vision du SCEQE pour l'après-2020 et pas une décision précipitée.
S'agissant du MIC, j'observe que, selon les statistiques du Royaume-Uni, les émissions de ce pays ont diminué de 12 % entre 1993 et 2010 en chiffres bruts mais qu'en réalité, en tenant compte des émissions liées à ses importations, les émissions britanniques ont augmenté de 39 % sur cette période. C'est dire tout l'enjeu d'un mécanisme tel que le MIC, dont nous ne mésestimons cependant pas la complexité technique et politique.
Je souhaitais réagir sur la question des « niches grises ». En effet, la fondation Nicolas Hulot pour la Nature et l'Homme compte bien porter des mesures les concernant au sein du comité pour la fiscalité écologique. Celles-ci sont bien souvent des mesures de soutien sectoriel, comme l'agriculture ou les taxis, qu'il serait bon de revoir dans une optique équilibrée, par exemple en réduisant à due concurrence le coût du travail dans les secteurs concernés.
Nous aurons également des propositions sur la question des dépenses supplémentaires que permettrait de financer un renforcement de la fiscalité écologique, notamment au niveau local. Une légère augmentation de la taxe d'aménagement pourrait ainsi permettre de financer des dépenses en matière de biodiversité. Le versement transport pourrait également être majoré...
Nous proposons aussi de faire en sorte que les collectivités puissent mieux récupérer la plus-value quand elles investissent pour développer des services. Cela permettrait de mieux faire face à des dépenses nouvelles.
Je suis saisi par la complexité du sujet dont nous traitons aujourd'hui, alors même que la fiscalité est souvent d'autant plus efficace qu'elle est simple. Je crois qu'aujourd'hui, nos concitoyens ne supportent tout simplement plus les augmentations d'impôts, notamment environnementaux, qu'il s'agisse de la taxe ou de la redevance d'enlèvement des ordures ménagères (TEOM ou REOM) ou encore des taxes sur l'électricité. Cela se comprend d'autant mieux que les impositions en question frappent encore plus fort les personnes qui habitent loin de leur travail en ne l'ayant généralement pas choisi. Pour faire évoluer les choses, je crois beaucoup à l'action au niveau européen et je ne peux donc que regretter que l'harmonisation communautaire n'avance guère.
Dans l'immédiat, je limiterai mon propos aux questions et observations suivantes.
Sur les DMTO, M. Denis Voisin, vous nous proposez un système de bonus-malus à partir de critères liés à la protection de la biodiversité. Pourriez-vous préciser un peu votre pensée et le mécanisme que vous envisagez ?
Sur l'imposition du diesel, peut-être devrions-nous attendre les résultats des évolutions techniques en cours, qui devraient diminuer fortement la pollution engendrée par ce type de carburant - d'autant que, pour les véhicules lourds, l'essence ne saurait remplacer le diesel. Soyons donc modérés au lieu d'agir précipitamment.
Sur la protection des écosystèmes, je voudrais juste donner un exemple vécu : mon département du Lot a dû subir un surcoût de 1,5 million d'euros sur des petits travaux de déviation routière d'un coût total de 8 millions d'euros afin de protéger le crapaud sonneur à ventre jaune. Avons-nous encore les moyens d'une telle exigence, même si je reconnais volontiers la légitimité de l'objectif ? M. Voisin, face à ce constat, vous nous proposez de toucher à la taxe d'aménagement. Mais celle-ci est déjà très lourde pour les jeunes couples qui construisent leur maison avec des moyens limités.
Enfin, n'oublions pas le rôle des agriculteurs, qui souffrent beaucoup en régions, dans la protection et l'équilibre des milieux naturels, même s'ils consomment un peu de carburant. Ne les faisons donc pas disparaître.
Monsieur de Perthuis, vous allez donc avoir beaucoup de travail et nous comptons beaucoup sur les propositions que votre comité formulera !
Je souhaite d'abord me féliciter de l'organisation de cette table ronde qui éclairera utilement notre réflexion sur la fiscalité environnementale.
A la suite des propos de Mireille Chiroleu-Assouline, j'entends bien l'inquiétude sur le poids de certains impôts pour les personnes fragiles. Toutefois, il me semble que ce n'est qu'une facette d'un problème plus large, à savoir la dépendance d'une fraction de la population au prix total de l'énergie, que ce soit du fait des déplacements, de la mauvaise isolation du logement, etc. En somme, si, sur le long terme, nous sommes à peu près tous d'accord quant à l'objectif à atteindre, la gestion des dix ou vingt années de la transition pour y parvenir est redoutable. Or c'est dès à présent que nous devons traiter ce sujet, tant que les prix de l'énergie demeurent à peu près raisonnables.
S'agissant du diesel, souvenons-nous que l'étude AFECOM a montré un raccourcissement de l'espérance de vie dans les villes françaises lié aux particules rejetées par ce type de véhicules. Il y a donc là un vrai sujet d'intérêt général.
A propos de la taxe carbone, la censure du Conseil constitutionnel de fin 2009 a notamment été motivée par la gratuité de l'octroi initial des quotas d'émission aux industriels participant au SCEQE, que le législateur avait en outre exonérés de contribution carbone. Le passage à une nouvelle phase du SCEQE depuis le 1er janvier 2013, dans laquelle les quotas sont progressivement alloués au moyen d'enchères, change la donne et devrait permettre de revenir sur cette question. Bien entendu, je plaide également pour que les secteurs aériens et maritimes soient intégrés pleinement et le plus rapidement possible au sein du SCEQE, dont je regrette par ailleurs l'atonie à l'instar de plusieurs orateurs.
Enfin, même si je déroge peut-être à un principe souvent défendu par notre commission, je plaide pour une affectation de la fiscalité écologique vers des dépenses en faveur de l'environnement : il me semble que cela rendrait le dispositif plus compréhensible par nos concitoyens que si ces taxes devaient simplement alimenter le « tonneau des Danaïdes » qu'est devenu le budget général.
Pour ma part, je peux souscrire à une augmentation de la fiscalité écologique à une triple condition : ne pas inventer « d'usine à gaz » mais en rester à des schémas simples ; aller dans le sens d'une harmonisation européenne ; et compenser cette hausse en définissant précisément les impôts ou charges qu'il conviendrait de diminuer à due concurrence.
A partir de là, il nous faudra veiller à frapper les comportements les plus nuisibles à l'environnement. A cet égard, je ne suis pas sûr que la protection des écosystèmes doive constituer notre première priorité.
J'ai simplement deux questions à propos du « double dividende » dont a parlé Madame Chiroleu-Assouline :
- les avantages du double dividende pour la France dépendent-ils uniquement de nos choix, ou également des options fiscales que pourraient prendre nos voisins européens ?
- sachant qu'il existe en fait deux fiscalités du travail - celle qui frappe les entreprises et la fiscalité sur les revenus du travail - laquelle devrait être prioritairement concernée par une diminution en cas d'augmentation de la fiscalité écologique ?
Tout d'abord, je tiens à souligner les biais induits par les statistiques européennes : par exemple, le fait de ne pas tenir compte de la TEOM ou du versement transport fausse nécessairement la comparaison en minorant artificiellement le niveau des prélèvements « écologiques » français. De plus, n'oublions pas que, du fait du niveau global de nos prélèvements obligatoires, nous ne disposerions que de peu de marges d'augmentation quand bien même nous nous situerions dans le bas de la fourchette européenne en matière de fiscalité environnementale.
Il me semble qu'avant d'avancer, nous devons être au clair sur nos objectifs. Que demande-t-on à la fiscalité écologique ? De changer les comportements, de changer la société, de rapporter de l'argent ? La co-tutelle du comité de Christian de Perthuis, par le ministère du budget et par le ministère de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, est révélatrice des différences d'approches possibles.
D'autre part, nous devrons nous montrer très vigilants en examinant les textes à venir, le passé récent montrant bien que ce type de fiscalité se heurte souvent au principe constitutionnel d'égalité devant les charges publiques.
Enfin, comment atténuerons-nous la charge pour des travailleurs à faibles revenus ou pour des chômeurs qui ont besoin de se déplacer ?
Sur ces sujets très délicats, nous avons tous nos contradictions. Ainsi, nous voulons augmenter la fiscalité sur la consommation d'énergie mais nous plafonnons le prix du gaz... Il nous faudra absolument agir de manière juste au risque de susciter une révolte du peuple contre ce qui pourrait être perçu comme de la « bobologie ».
De fait, il arrive au comité communal d'action sociale (CCAS) de la ville de Compiègne de financer l'acquisition d'une vieille voiture à des personnes ayant besoin de se rendre à Roissy pour leur travail.
Je n'aurai qu'une question : l'un des intervenants dispose-t-il d'un bilan de l'écotaxe poids lourds en Allemagne en termes environnementaux ?
Simplement une remarque, qui transparaît dans plusieurs interventions : l'expression « fiscalité écologique » semble porter une contradiction interne, la fiscalité ayant pour but d'apporter des ressources pérennes aux personnes publiques alors que le but des impôts environnementaux devraient être de détruire à terme leur propre assiette et donc de ne plus engendrer de recettes...
Sur l'affectation des ressources, en tant que fiscaliste, je ne la vois pas d'un très bon oeil. Le Conseil des prélèvements obligatoires commence tout juste la préparation d'un rapport sur la fiscalité affectée, dont je m'attends à ce que les conclusions confirment qu'il ne s'agit pas d'un très bon principe de gestion des finances publiques.
S'agissant du versement transport, on peut effectivement considérer qu'il relève de la fiscalité écologique par son objectif, mais pas par son assiette (masse salariale). La définition d'Eurostat a pour avantage de permettre une comparaison sur la base commune qu'elle définit, mais elle retient une fiscalité assise sur des activités négatives pour l'environnement. C'est la preuve du caractère un peu sommaire de nos délimitations. La non-inclusion de la REOM dans cette définition me paraît plus gênante, car elle crée un biais en termes de montant et d'assiette. Quant à savoir si le versement transport est le mieux assis sur la masse salariale, cela relève d'un autre débat.
Eurostat est un organisme technique dont le but est de trouver une règle commune européenne et de faciliter ainsi les comparaisons. Ceux qui arbitrent ne disposent pas de la vision politique de l'indicateur et ne cherchent pas à savoir quelles seront ses conséquences - mais ce n'est pas leur métier. Nous avons là un autre type de contradiction, que l'on rencontre souvent avec Eurostat.
Sur les problématiques communautaires, une discussion est en cours sur la proposition de directive relative à la taxation de l'énergie. Le texte initial de la Commission était relativement ambitieux car il posait les prémices d'une taxe carbone au niveau communautaire. Mais il fait l'objet d'un rejet farouche de l'Allemagne, du Royaume-Uni et des pays de l'Est, sur la question de l'inclusion d'un élément carbone dans l'assiette de l'accise sur l'énergie. Cette proposition est donc en train de sombrer.
De même, est prévue une discussion sur le rehaussement des seuils de minima de perception de l'accise sur les carburants. Cette proposition risque de subir un sort identique : on assiste à l'échec de la discussion, face à la contrainte de l'unanimité et à l'opposition structurée de ses détracteurs, ce que la France regrette, comme la Belgique et les pays scandinaves. Je pense donc que les évolutions en matière de fiscalité énergétique ne viendront pas de l'échelon communautaire.
Sur le marché du carbone, nous avons adopté des mécanismes susceptibles de remédier une bonne fois pour toutes aux fraudes au carrousel en matière de TVA. On a empêché par là-même la possibilité d'exercer des opérations frauduleuses, voire criminelles, sur ce marché. Je pense que c'est aussi l'un des facteurs de l'atonie actuelle du prix du carbone.
Les conditions de la confiance ne sont pas créées sur ce marché, faute de régulation et de procédures. On ne peut pas se fonder sur des instruments non adéquats !
Sur les chiffres, s'agissant des « niches grises » en matière de carburants, j'atteins un total de l'ordre de 3 milliards d'euros plutôt que de 5 milliards. Le surcroît de recettes fiscales environnementales qu'il faudrait mobiliser pour parvenir à la moyenne européenne serait quant à lui inférieur à 30 milliards d'euros.
Sur ce qu'il faudrait faire des recettes fiscales issues de la fiscalité écologique, M. Caffet a noté qu'il y a deux fiscalités sur le travail. Suivant que l'on allège l'une ou l'autre, en réalité, on fait appel à des ressorts différents pour stimuler l'économie : si l'on veut alléger le coût du travail, on fait appel à des mécanismes d'offre et de préservation de la compétitivité. Si on veut alléger l'impôt sur le revenu, à travers un crédit d'impôt par exemple, on joue sur le ressort de la demande. Cette stratégie sera d'autant plus efficace que l'on ciblera les plus bas revenus, caractérisés par leur faible taux d'épargne et leur fort taux de consommation. Le choix de Fabienne Keller, qui souhaiterait affecter les recettes fiscales écologiques à des dépenses favorisant l'environnement, est différent. Encore une fois, on ne peut pas tout faire. Pour ma part, je pense qu'il faut disjoindre les problématiques : il faut assigner une finalité environnementale et comportementale à la fiscalité écologique, et redistribuer son rendement à l'ensemble de l'économie, sans lien entre la taxe écologique et l'objet de la redistribution.
A cet égard, on peut s'interroger sur l'efficacité écologique du versement transport. En effet, paradoxalement, en allégeant le coût des transports publics, on facilite l'étalement urbain. Le financement de la transition écologique est donc plus large, et va au-delà de la fiscalité écologique. Il pose des questions de logement de politique urbaine...
Monsieur Miquel, j'approuve votre discours sur la nécessaire simplification du système fiscal. Je suis convaincu que si l'on ne simplifie pas les normes fiscales avec l'environnement, on échouera. Cela dit, je remarque que, jusqu'ici, l'inclusion de la fiscalité écologique dans notre système fiscal a, précisément, plutôt été un facteur de complexité et d'instabilité. C'est donc une question que le comité regardera avec attention.
Il existe un différend entre Fabienne Keller et les économistes sur la question de l'affectation des recettes environnementales. Il faudra faire des compromis.
Monsieur Delahaye, je comprends et rejoins pleinement votre préoccupation relative à la nécessité de développer, dans le cadre du comité, des diagnostics impartiaux.
Monsieur Caffet, la différence entre coût et revenu du travail est très importante. Dans les expériences européennes, certains pays ont agi sur les deux niveaux - la Suède notamment.
Monsieur Germain, la « boboïsation » ne peut nous mener qu'à l'échec. Mais la composition de notre comité nous prémunit a priori de ce risque...
Enfin, Madame Des Esgaulx, dans le cadre de ma chaire, j'ai organisé un séminaire avec des collègues allemands, duquel il est ressorti que l'application de la taxe poids-lourds en Allemagne s'est traduite par un détournement du trafic outre-rhin vers la France. C'est l'indice de son efficacité, mais j'espère que notre écotaxe contribuera à équilibrer les flux de trafic routier des deux côtés du Rhin.
Je remercie l'ensemble de nos intervenants pour cette table ronde d'une grande richesse. Dans le cadre de notre commission, nous poursuivrons ce travail et approfondirons les débats évoqués aujourd'hui, qu'il s'agisse des aspects théoriques ou des questions plus pratiques.
Puis la commission procède à l'audition de M. Nicolas Dufourcq, candidat proposé par le Président de la République pour exercer les fonctions de directeur général de la Banque publique d'investissement, en application de la loi organique n° 2010-837, modifiée par la loi organique n° 2012-1557 du 31 décembre 2012, et de la loi n° 2010-838 du 23 juillet 2010, relatives à l'application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution.
La commission des finances vous entend, Monsieur le préfigurateur, dans le cadre de votre candidature au poste de directeur général de BPI-groupe, société créée par la loi du 31 décembre 2012. Notre rapporteur général a déposé la première proposition de loi organique tendant à prévoir que le principal dirigeant de la Banque publique d'investissement (BPI) est nommé après avis public des commissions des finances des deux assemblées. A l'issue de votre audition, nous serons amenés à voter. Je rappelle qu'il n'y a pas de délégation de vote pour ce scrutin. Selon l'article 13 de la Constitution, le Président de la République ne peut procéder à une nomination lorsque l'addition des votes négatifs dans chaque commission représente au moins trois-cinquièmes des suffrages exprimés au sein des commissions. Il s'agit donc d'un exercice de consolidation et, Monsieur le préfigurateur, vous allez devoir consolider...
Conformément à la loi du 23 juillet 2010, cette audition est publique et ouverte à la presse, retransmise en direct sur le site Internet du Sénat.
Vous allez nous dire en quelques mots qui vous êtes, rappeler votre parcours professionnel, puis vous nous présenterez votre projet stratégique : comment comptez-vous mettre sur de bons rail ce nouvel établissement ? Comment faire de plusieurs organismes, dont chacun a sa culture, un établissement intégré ? Comment allez-vous passer de la juxtaposition à l'union ?
Au cours du débat parlementaire, il a été rappelé que vous aviez exprimé une préférence technique pour un schéma dans lequel la société active en matière de crédit serait la société de tête. Quel est aujourd'hui votre analyse ? L'organisation que nous avons retenue vous parait-elle optimale, assure-t-elle à BPI les meilleures conditions d'emprunt ou des conditions égales à celles obtenues par OSEO ?
J'ai 49 ans et je suis, depuis vingt ans, chef d'entreprise. Je suis entré chez France Télécom en 1993 pour y créer la division multimédia qui regroupait les annuaires, le minitel, la télévision par câble et par satellite et l'Internet, que j'avais découvert aux Etats-Unis, et que nous avons lancé sous la marque Wanadoo. J'ai transformé ensuite cette division multimédia en une société qui s'est appelée Wanadoo, que j'ai cotée le 18 juillet 2000 à hauteur de 20 milliards d'euros et qui a ensuite connu une expansion internationale importante. J'étais alors numéro deux de France Télécom et PDG de Wanadoo. En 2003, j'ai quitté France Télécom pour rejoindre Cap Gemini et j'ai vécu une aventure entrepreneuriale formidable, puisque la société est passée de 50 000 salariés à l'époque à 135 000 aujourd'hui, pour une grande partie en Europe, aux Etats-Unis, en Inde et au Brésil. Durant toutes ces années, j'ai été numéro deux de Cap Gemini.
Le 17 octobre 2012, il m'a été proposé de participer à la préfiguration de la BPI, puis d'en prendre la direction générale, si le Parlement l'acceptait. Ce projet est exaltant, car il s'agit de construire une entreprise à partir de trois entités de grandes qualité : OSEO, le fonds stratégique d'investissement (FSI) et CDC Entreprises.
Le 17 octobre, nous ne disposions que d'un embryon de pacte d'actionnaires entre l'Etat et la Caisse des dépôts et d'un projet de loi relativement bref. Ces derniers mois ont été mis à profit pour passer de cet assemblage administratif à une pure structure d'entreprise qui respectera à la fois les méthodes du privé et les missions d'intérêt général - le meilleur du privé et le meilleur du public -, afin de garantir le succès de ce projet. La BPI sera gérée de la manière la plus contemporaine qui soit dans le monde de l'entreprise. Elle aura deux filiales : une filiale bancaire et une filiale fonds propres. Dans cette dernière, nous procéderons à la fusion de l'ensemble des entités éparses qui composent le périmètre d'aujourd'hui, c'est-à-dire CDC Entreprises, FSI et quelques autres sociétés de gestions apportées par la Caisse des dépôts, comme Innovation Capital. Nous disposerons ainsi, d'une seule société en fonds propres. Jusqu'à présent, ces équipes ont rarement travaillé ensemble et se sont le plus souvent opposées. A nous de les faire désormais travailler ensemble.
Du côté de la banque, la BPI disposera de 90 % du capital d'OSEO puisque ce dernier gardera ses actionnaires minoritaires que sont les banques mutualistes et privées ainsi que quelques petits actionnaires minoritaires comme l'Agence française du développement (AFD) ou le conseil régional de Bretagne.
J'en viens à la structure opérationnelle et managériale : la BPI sera dirigée par un directeur général et par un comité de direction, composé des patrons des six métiers de la banque, soit la garantie, le financement, l'innovation, les fonds de fonds, les fonds directs PME, les fonds directs grandes entreprises. Il faudra ajouter à cet organigramme un directeur financier, un directeur de la communication, un directeur de la stratégie et un inspecteur général pour le contrôle des risques. Nous sommes sur le point d'aboutir : si ma candidature est acceptée, nous pourrons accélérer la mise en place de la BPI. Cette banque ne sera définitivement opérationnelle et incorporée que lorsque l'opération de fusion-acquisition sera réalisée, ce qui sera pas fait avant mai car nous devons attendre la clôture des comptes de la Caisse des dépôts et d'OSEO. Parallèlement, nous dialoguons avec la Commission européenne pour obtenir son accord au titre des aides d'Etat. La Commission ne veut en effet pas que la création de la BPI soit l'occasion pour la puissance publique française de réinjecter des dispositifs d'aide d'Etat qui n'auraient pas été validés. Le dialogue a donc commencé et, à ce stade, la Commission européenne ne nous demande pas de notifier, ce qui est plutôt une bonne nouvelle, car la procédure de notification est lourde et chronophage. Normalement, nous devrions être « estampillés » par Bruxelles en mai. Nous devrions également avoir obtenu d'ici là l'accord de l'Autorité de la concurrence française. Enfin, nous devrons informer les représentants des personnels. Il reste donc beaucoup à faire pour que les statuts de la BPI soient définitivement actés. En revanche, la traduction opérationnelle de cette banque commence, puisque les trois entités actuelles se projettent déjà : OSEO a lancé le 3 janvier une facilité de trésorerie de 500 millions d'euros pour les PME. La dotation pour la financer s'élève à 50 millions d'euros. Ce produit sera proposé par BPI Financement et nous devrons veiller à ce que les chefs d'entreprises en connaissent l'existence. Même remarque pour le refinancement du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) : dès que l'instruction fiscale du ministère des finances sera publiée, OSEO pourra refinancer les CICE de nos clients des très petites entreprises (TPE). Les chaînes informatiques étant en place et le réseau régional d'OSEO formé, il n'y a plus qu'à obtenir cette instruction fiscale qui permettra de céder aisément des créances fiscales.
Il s'agit des dispositions qui permettent la cession de créances fiscales. Nous disposerons de cette instruction au plus tard début février.
Ce produit est très attendu et représentera pour BPI Financement environ 2 milliards d'euros de flux pour l'exercice 2013. Sur les 2 milliards d'euros, la moitié ira aux petites et moyennes entreprises (PME) et aux entreprises de taille intermédiaire (ETI) et l'autre moitié aux TPE auxquelles la prestation sera proposée sous la forme d'un fonds de garantie. Le total devrait se monter à 20 milliards d'euros, la moitié destinée aux PME et l'autre aux grandes entreprises.
Nous sommes nombreux à estimer que la création de la BPI est une excellente initiative. Vous avez pris à bras le corps ce dossier et vous semblez partager nos ambitions pour cette banque. De plus, vous voulez en accélérer la mise en place.
Cependant, ne craignez-vous pas des conflits d'intérêt entre l'unité prêteuse et l'unité investisseuse, qui pourraient s'opposer sur certains dossiers ? Ces deux unités sont-elles appelées à perdurer ? Quelle place réservez-vous aux responsables de ces entités qui n'ont pas démérité ? Je pense notamment au président du conseil d'administration d'OSEO que nous avons reçu à de nombreuses reprises.
Envisagez-vous d'accélérer la libération des capitaux propres qui ont été souscrits et qui doivent être versés à OSEO - 500 millions d'euros - et au FSI - 3,6 milliards d'euros ?
Y aura-t-il un modèle unique de fonctionnement de la BPI dans les régions ou bien prévoyez-vous des fonctionnements à la carte ? Les présidents de régions veulent exister grâce aux comités régionaux d'orientation. Comment allez-vous prendre en compte cette marge d'autonomie souhaitée par les présidents de régions ?
Pouvez-vous nous confirmer que deux modèles prudentiels vont coexister au sein de la BPI, le modèle de droit commun, celui de Bâle, pour la filiale de crédit, et le modèle Caisse des dépôts, sans doute plus contraignant, pour les interventions en fonds propres ?
La question sur le conflit d'intérêt est fondamentale. Dans les régions, les délégations régionales d'OSEO accordent des crédits, des avances innovation, des prêts à taux zéro, des avances remboursables. D'ailleurs, 90 % des décisions de crédit et d'innovation sont prises en région. De plus, nous voulons développer l'activité fonds propres en région : la structure actuelle compte trente-six chargés d'investissement et elle devrait progressivement passer à une centaine de personnes. Dans les directions régionales de la BPI, il y aura donc des professionnels du crédit et des professionnels des fonds propres. Ces derniers ne rendront pas compte structurellement au directeur général de la BPI, mais seulement fonctionnellement. Leur chaîne de commandement sera l'activité fonds propres de la BPI : ils seront rattachés aux six délégations interrégionales des fonds propres, elles-mêmes rattachées la structure fonds propres de la BPI qui s'appellera probablement BPI France Investissement. Ils seront tous salariés non pas de l'entité légale OSEO mais de l'entité légale société de gestion fonds propres BPI France Investissement. Cette société de gestion sera agréée par l'Autorité des marchés financiers (AMF) et elle gèrera des fonds de placements à risque. Dans chaque direction générale d'OSEO, on trouvera à la fois des banquiers salariés d'OSEO sous statut OSEO et des investisseurs salariés d'une société de gestion, à statut Caisse des dépôts. Je n'ai pas voulu procéder à la fusion des statuts, car ce n'était pas la priorité, d'autant qu'il y a d'un côté 2 000 salariés et de l'autre 200 seulement. Le directeur régional de la BPI aura une vision générale de ce qui se passe dans les fonds propres de sa région, mais il ne participera pas aux décisions d'investissement.
J'en viens à notre activité fonds de fonds : dans les cas particuliers des fonds privés dans lesquels nous injectons de l'argent - je rappelle que nous finançons 90 fonds régionaux - le principe est le même. S'il y a une place au conseil d'administration de ce fonds, le représentant de la BPI sera issu de la filiale chargée des investissements en fonds propres. S'il y a deux places, siègeront le représentant de cette filiale et le directeur général de la BPI, mais sans pouvoir de décision sur les investissements. C'est d'ailleurs dans ce domaine que les investissements directs de la BPI sont les plus nombreux : nous traitons aujourd'hui 90 dossiers en région par an et demain nous devrions parvenir à 150 ou 200 dossiers.
Les dossiers nationaux sont, quant à eux, peu nombreux : le FSI en traite une dizaine par an tandis que les fonds thématiques en montent une vingtaine, dans des domaines variés comme la biotechnologie, l'éco-transition, l'Internet, les fonds de capital et de co-investissement... Les décisions d'investissements sont prises par des comités d'investissement de la société de gestion CDC Entreprises, comités composés des équipes d'investissement et, éventuellement, des représentants des souscripteurs que sont l'Etat et la Caisse des dépôts. Dans ces cas, nous sommes totalement déconnectés de la gouvernance bancaire, ce qui laisse peu de place à des conflits d'intérêts majeurs. Nous pourrions être confrontés à un grand conflit d'intérêts si un dossier important passait à la fois devant un comité d'investissement du FSI et devant le comité d'engagement d'OSEO. Dans ces cas là, comme lorsque Altis a bénéficié à la fois d'un crédit OSEO et d'une injection en fonds propres du FSI, le directeur général ne pourrait pas participer aux réunions.
J'en viens aux capitaux non libérés qui se montent à 3,6 milliards d'euros pour le FSI et à 500 millions d'euros pour OSEO. Nous recommandons le versement de 1,6 milliard d'euros à la fin 2013 pour assurer la trésorerie du FSI en 2014. Les deux autres milliards sont juridiquement libérables avant le quatrième trimestre de 2014, soit cinq ans après la création du FSI. L'Etat et la Caisse des dépôts voudront-ils libérer ce capital avant cette échéance ou devrons-nous en reporter de quelques années la libération ? Nous en discuterons avec nos actionnaires, mais si nous obtenons 1,6 milliard d'euros, nous aurons de quoi fonctionner pendant les années 2014 et 2015. Avec ces crédits, nous pourrons en effet investir deux milliards d'euros par an en faveur des fonds propres des entreprises françaises, ce qui est considérable.
Pour OSEO, il est clair que nous ne disposerons pas des 500 millions d'euros prévus. Nous n'obtiendrons que 100 millions d'euros. Les autres 400 millions seront réinjectés dans le programme investissement d'avenir (PIA) : nous les retrouverons donc en BPI Investissement, et ils s'ajouteront donc aux ressources de capital non libéré du FSI. Le conseil général de l'industrie a l'intention de nous confier la gestion de 690 millions d'euros pour renforcer l'activité des fonds de fonds, allant vers des fonds privés qui sont eux-mêmes spécialisés sur des thèmes d'investissement sectoriels. Je précise que le fait de ne pas disposer des 500 millions d'euros prévus n'est pas problématique car OSEO aura les moyens, avec ses fonds propres, de faire face à ses obligations.
Ces 500 millions d'euros sont réaffectés en fonds filières. Ces sommes provenaient du programme d'investissement d'avenir et le Premier ministre a annoncé lundi dernier que ces sommes, laissées à la BPI, seraient déplacées, pour passer en fonds propres.
S'agissant de l'organisation territoriale, il y aura un modèle unique de BPI en région, mais les relations s'adapteront en fonction des souhaits des régions. D'ailleurs, les régions n'ont pas attendu la BPI pour créer des fonds communs de garantie ou d'innovation ou des cofinancements sur des initiatives de crédit, sans parler des fonds d'investissement déjà financés par la Caisse des dépôts. Nous allons dresser le diagnostic de ce qui existe sur le terrain et nous verrons comment faire plus et mieux. J'étais lundi avec le président du conseil régional de Lorraine et je lui ai proposé un prêt pour l'innovation : il suffirait de 500 000 euros pour permettre à la BPI de lancer des prêts pour l'innovation dans cette région. Il est possible d'en faire de même pour les prêts verts ou les prêts à l'export. Des programmes d'action vont être mis en place et une personne sera chargée de suivre à plein temps les vingt-deux plans régionaux, d'assurer le reporting de ces plans au profit des régions et de vérifier que les bonnes idées du Nord de la France sont appliquées au Sud et inversement.
En revanche, le modèle régional de la BPI sera standard : le directeur général disposera de trois délégués, à savoir un délégué fonds propres, un délégué financement et un délégué innovation. Le délégué fonds propres rendra compte en pointillé à son directeur général et en continu à la structure nationale de la BPI.
J'en arrive au modèle prudentiel. Effectivement, le modèle de la Caisse des dépôts s'appliquera aux fonds propres et les normes de « Bâle III » s'appliqueront à la partie bancaire, ce qui ne posera pas de problèmes à la BPI. Le modèle prudentiel de la Caisse des dépôts ne risque-t-il pas d'entraver la force de frappe bancaire de la BPI ? J'ai voulu savoir si, en respectant le modèle prudentiel de la Caisse des dépôts, nous pourrions mobiliser 10 milliards d'euros de crédits supplémentaires pour accroître la force de frappe d'OSEO, en plus des 30 milliards actuels. La réponse est positive : si les failles du marché bancaire imposaient d'intervenir dans ces proportions là, nous pourrions passer de 30 à 40 milliards d'euros, en respectant le ratio de la Caisse des dépôts qui est fixé à 65 %. La question est donc réglée. Si, dans les prochaines années, le fameux modèle prudentiel de la Caisse des dépôts commence à poser problème, les deux actionnaires pourront se réunir pour en discuter.
Je salue la volonté de dialogue que vous avez manifestée ces dernières semaines lors de rencontres sur le terrain. N'ayant pas de conception hégémonique du rôle de la région, je considère que la BPI doit occuper toute sa place à ses côtés. Le schéma de mise en réseau envisagé pour la région Bourgogne nous convient parfaitement de même que votre proposition de structure unique travaillant avec les régions. En tant que chef de file, nous dialoguons aussi avec les structures infra-territoriales prêtes à s'associer à cette démarche coopérative. Nous sommes enfin très honorés que la première réunion du conseil d'administration de la BPI se tienne à Dijon, le 21 février.
La BPI pourrait-elle s'inspirer du KfW (établissement de crédit pour la reconstruction) allemand ou du Green investment britannique qui accordent des prêts automatiques aux projets accompagnant la transition énergétique ? Il s'agit en effet d'un très important gisement d'emplois.
Comment allez-vous procéder pour le financement de l'isolation de 500 000 logements annoncé dans le programme présidentiel ? OSEO, ou même le FSI, va-t-il effectivement bénéficier des moyens qui devaient provenir du grand emprunt ? Comment comptez-vous concilier d'une part, le respect de l'identité d'OSEO, du FSI et de CDC Entreprises et, d'autre part, la recherche de synergies entre ces trois structures au sein de la BPI ?
Dans mon propos introductif, je vous avais aussi posé une question sur ce dernier point.
Si notre groupe a salué la création de la BPI, nous nous abstiendrons toutefois lors du vote sur votre nomination, comme nous le faisons par principe pour toutes les nominations dont nous sommes saisis : il n'y a rien de personnel !
Sur quels atouts respectifs de CDC Entreprises, d'OSEO et du FSI allez-vous vous appuyer ? Quels sont à vos yeux les objectifs prioritaires de la BPI pour les mois qui viennent ? De quels moyens humains disposez-vous ? Comment votre action s'articulera-t-elle avec celle des élus et quid des représentants du personnel des entreprises concernées ?
Les entreprises publiques locales, qui jouent un rôle essentiel pour le développement économique des territoires, n'ont accès qu'aux prêts de trésorerie à moyen et à long terme. Quelle sera la doctrine d'intervention de la BPI vis à vis de ces entreprises ? Certains prêts actuellement réservés aux PME - au sens communautaire du terme - pourraient-ils aussi être ouverts aux sociétés d'économie mixte (SEM) et aux sociétés publiques locales (SPL) ?
J'apprécie que vous ayez été chef d'entreprise avant d'être banquier. Quel pourrait être le lien entre la BPI et la Coface ?
Comment la BPI pourrait-elle contribuer à l'optimisation du crédit d'impôt recherche (CIR), dont le préfinancement est actuellement difficile pour les TPE, les PME et les ETI ? Son remboursement anticipé pourrait-il se rapprocher de celui de la TVA ?
Monsieur le préfigurateur, quelles règles encadreront les éventuels transferts d'actifs entre les filiales, par exemple du FSI vers OSEO dont certaines activités, comme le soutien à l'innovation ou les garanties, bénéficient actuellement de subventions d'Etat ? Il faut éviter que l'Etat-actionnaire permette, au travers de tels apports, à l'Etat-financeur de procéder à des débudgétisations.
Monsieur Patriat, OSEO est extrêmement actif en matière de transition énergétique. Près de 20 % de son intervention en faveur de l'innovation va au développement durable et à la transition écologique et 500 millions d'euros sont affectés chaque année à des prêts dans le domaine de la transition énergétique, soit 15 % du total de ses cofinancements en 2012. OSEO est ainsi devenu un acteur majeur de l'éolien et du photovoltaïque, même s'il est en revanche absent de l'éolien offshore. Son catalogue comprend déjà une gamme de produits allant dans ce sens - tel que le prêt vert ou le prêt éco-énergie - appelée à se développer.
Mme Keller, je ne saurais répondre à la question sur le financement de l'isolation de 500 000 logements. Mais je vous reviendrai.
Le PIA bénéficie à OSEO à double titre. D'une part, il lui apporte des fonds propres, comme décidé après que l'augmentation de capital initialement promise a été revue à la baisse, d'autre part, au même titre que le FUI (fonds interministériel unique), il confie à OSEO Innovation la gestion de volumes de subventions très importants. L'avance remboursable et le prêt à taux zéro représentent chaque année une dotation de 200 à 250 millions d'euros, auxquels s'ajoutent environ 300 millions d'euros de subventions, gérées par OSEO pour le compte du ministère de l'industrie et accordées selon une procédure d'appel d'offre thématique prise en charge par les équipes d'OSEO en région, du lancement de l'appel à propositions jusqu'au suivi de la réalisation des projets.
Il m'est apparu dès le début qu'une gouvernance ne reposant que sur un directeur général entouré de deux collaborateurs, l'un en charge de la banque et l'autre des fonds propres, n'aurait aucune chance de produire une entreprise. Je lui ai préféré un comité de direction constitué des patrons de chacun des six métiers de la BPI. Dans l'attente de la confirmation de ma candidature, j'ai d'ores et déjà organisé des séminaires qui ont permis à ces responsables de se découvrir. Ces échanges ont été extrêmement profitables pour une raison toute simple : ces personnels s'adressent aux mêmes clients. Les gens ont envie de travailler ensemble ; cet enthousiasme naturel est communicatif et il constitue un formidable gage de dynamisme pour la BPI. L'existence d'une direction de l'innovation va amplifier cette évolution.
Il est en revanche un domaine dans lequel la création de synergies appelle une réforme de l'organisation. Actuellement, OSEO Innovation et les fonds d'investissement dans les biotechnologies, de la transition énergétique ou de l'Internet travaillent chacun de leur côté, sans se parler. Afin d'améliorer les choses, j'ai proposé de réunir l'ensemble de ces entités au sein d'une direction de l'innovation unique.
Sur quels atouts pourrons-nous nous appuyer ? L'extrême professionnalisme des équipes et leur culture d'entreprise. La culture d'OSEO est celle d'une PME caractérisée par la rapidité d'action, la franchise dans l'expression et l'esprit entrepreneurial. C'est aussi une entreprise très jeune ; lors de ma visite aux équipes de Nancy, je n'ai rencontré que des jeunes de moins de 30 ans. Cette jeunesse caractérise aussi CDC Entreprises, dont le doublement depuis 2011 s'est accompagné du recrutement de nombreux jeunes, ainsi que le FSI. Contrairement à l'idée reçue d'une banque publique d'investissement qui, une fois installée, serait une structure lourde, il s'agit plutôt d'un chevau-léger, ou d'une très belle corvette extrêmement maniable.
L'urgence absolue, c'est l'action en faveur de la trésorerie des PME, notamment au travers de la facilité de trésorerie et du préfinancement du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE).
Deuxième urgence : l'augmentation de notre puissance de feu en région. A cette fin, je propose d'augmenter de 300 à 700 millions d'euros les fonds gérés par FSI Régions, et de doubler ses effectifs qui passeraient de 45 à 90.
Il est aussi fondamental de travailler sur la titrisation de prêts aux PME, de sorte que l'assurance-vie française puisse acheter des crédits de qualité, ou sur l'accès des PME au marché obligataire.
Autre urgence enfin : le soutien à l'export. Ayant connu pendant près de dix ans, chez Cap Gemini, une entreprise qui se développait à l'international, je découvre dans mes nouvelles fonctions le drame que représente notre déficit commercial de 80 milliards d'euros. Pour le combler, il faut un changement d'attitude envers les PME françaises. L'automobile ne remontera pas et l'énergie est ce qu'elle est.
Le plan export est donc un sujet absolument majeur et la BPI peut y contribuer de différentes façons. Dans la mesure où elle dispose, au travers d'OSEO, du réseau le plus efficace de distribution des aides publiques aux PME, je recommanderais que la BPI leur propose l'assurance prospection de la Coface. Nous avons d'ores et déjà décidé qu'Ubifrance logerait quarante de ses responsables dans les directions régionales d'OSEO de façon à bénéficier pleinement de son réseau de distribution. Loin d'être un guichet, il s'agit d'un réseau proactif dans lequel chaque chargé d'affaires prend sa voiture pour visiter une centaine d'entreprises par an, car l'ensemble de ces sujets se traitent dans les cuisines des PME. OSEO place aujourd'hui trop peu de produits d'aides à l'exportation. Nous ferons en sorte que cela change.
Le dialogue avec les élus est constant tant au niveau national - dans le cadre du comité national d'orientation - que régional, au travers des comités régionaux. Suivant une philosophie de « haute couture », nous prévoyons de faire vingt-deux plans régionaux différents et plus nous en ferons, plus nous serons contents. En matière d'export, d'innovation ou de crédits à moyen terme - dits crédits mezzanine - nous pouvons faire davantage. Aux régions qui veulent apporter leur contribution, je précise que ce n'est pas en matière de fonds propres mais pour l'octroi de crédits que les ressources manquent. C'est ainsi que le prêt pour l'innovation, formidable idée annoncée par le Président de la République d'un prêt sur sept ans sans prise de garantie sur le patrimoine de l'entrepreneur, ne peut pas être mis en oeuvre, faute de moyens.
La circulation du capital est absolument indispensable pour mettre OSEO en état d'accorder davantage de crédits. Pour ce faire, son capital devra être abondé par le dividende des fonds propres de la BPI, ce qui suppose une décision souveraine du conseil d'administration de cette dernière. De telles règles de gouvernance protègent la CDC qui pourrait s'opposer à une telle affectation. L'Etat ne pourra donc pas manquer à ses obligations.
Il en est de même en matière d'aides à l'innovation ou de garanties. En 2013, l'Etat versait 215 millions d'euros pour le soutien à l'innovation, 100 millions au titre des garanties, 50 millions d'euros pour les aides de trésorerie, ainsi que plusieurs millions d'euros destinés au financement des crédits mezzanine. Les risques de débudgétisation des financements de l'innovation sont très faibles car il s'agit d'une ligne budgétaire extrêmement stable pour la reconduction de laquelle OSEO n'a jamais eu à se battre.
Vous connaissez la programmation des finances publiques qui nous attend...
Pour les trois ans qui viennent, la programmation à moyen terme (PMT) affiche un maintien à 215 millions d'euros par an.
En revanche, un risque existe en matière de garantie. Pour fonctionner, les fonds de garantie doivent être abondés, ce qui avait été massivement le cas en 2009, grâce à un apport de 900 millions d'euros qui avait permis de tenir jusqu'à 2012. J'ai obtenu du Président de la République qu'ils soient abondés de 100 millions d'euros en 2013 grâce à un prélèvement exceptionnel sur le PIA, ce qui assure leur fonctionnement en 2014.
Qu'en sera t-il pour 2015 et 2016 ? Certes, ces garanties étant accordées à des crédits de bonne qualité, la sinistralité est plus faible que prévu. Cependant, il est légitime que la CDC s'inquiète pour la suite car, en l'absence d'un abondement de 100 millions d'euros en 2015, la solution pourrait consister à les prélever sur les dividendes des fonds propres de la BPI. Une telle décision devra là encore, être prise par le conseil d'administration de la BPI. Dans la mesure où la CDC représente à la fois 50 % du capital et 50 % de la gouvernance du nouvel ensemble, elle pourra, si elle le souhaite, s'opposer à cette opération. Pas d'inquiétude, tout a été mis en place pour que le nouvel ensemble fonctionne efficacement.
Je n'ai pas de réponse à la question sur les entreprises publiques locales et les SEM. Je reviendrai vers vous.
Le crédit d'impôt recherche ? Le directeur financier d'OSEO, que je proposerai comme directeur financier de la BPI, me fait savoir qu'on préfinance déjà et qu'on ouvrira une garantie en 2013.
Un des fonds de garantie d'OSEO va être ouvert pour assurer le préfinancement du CIR, une opération difficile pour les banques car elle n'est pas complètement sécurisée. D'une part, la nature de la créance fiscale n'est connue qu'une fois les dépenses effectivement réalisées et contrôlées et d'autre part, elle est éventuellement compensable avec d'autres créances ou recettes fiscales. C'est la raison pour laquelle OSEO va étendre la surface du fonds garantie innovation.
Le fait qu'OSEO ne soit plus société faîtière n'est pas dramatique. Si je pensais le contraire, je me serais battu jusqu'au bout sur ce point. En la matière, le mieux est sans doute l'ennemi du bien car une entreprise construite de façon tout à fait normale s'avère finalement plus rassurante pour un investisseur coréen ou japonais. Vendredi matin, nous avons eu une excellente réunion avec Moody's et un premier road show démarrera le 31 janvier. La prochaine émission constituera l'heure de vérité car elle nous permettra de voir quel est le spread d'OSEO. A titre personnel, je n'ai pas d'inquiétude.
La commission procède au vote sur la proposition de nomination du directeur général de la Banque publique d'investissement.
Enfin, la commission demande à se saisir pour avis du projet de loi n° 260 (2012-2013), portant diverses dispositions en matière d'infrastructures et de services de transports, et nomme Mme Marie-Hélène des Esgaulx rapporteure pour avis sur ce texte.