Mon intervention abordera trois sujets principaux : l'augmentation de l'immigration régulière, le dynamisme de la demande d'asile et enfin l'échec de la lutte contre l'immigration irrégulière.
Dans le projet de loi de finances (PLF) pour 2019, la mission « Immigration, asile et intégration » représente 1,86 milliard en autorisations d'engagement (AE) et 1,69 milliard en crédits de paiement (CP), en hausse de 38 % en AE et de 22 % en CP par rapport à la loi de finances pour 2018. À périmètre constant, une fois les transferts de crédits corrigés, ces crédits augmenteront de 12 %. Cette évolution est supérieure à celle de l'ensemble des dépenses publiques inscrites dans le PLF et s'écarte de plus de 200 millions d'euros de la trajectoire prévue par la loi de programmation des finances publiques.
Si le Gouvernement présente ce budget comme la mise en oeuvre du plan ambitieux adopté en conseil des ministres le 12 juillet dernier, je regrette de retrouver les mêmes incohérences que dans la loi « asile, immigration et intégration ».
Certes, il y a lieu de se féliciter des réels efforts consentis dans certains domaines sur lesquels notre commission avait depuis longtemps appelé le Gouvernement à agir.
Ainsi, en matière d'intégration, l'augmentation des crédits devrait bénéficier à l'accueil des étrangers primo-arrivants avec, comme nous le préconisions, le doublement des cours de langue. Il conviendra cependant de rester attentif à la manière dont seront mises en oeuvre les mesures arbitrées et de procéder rapidement à leur évaluation. Certains efforts sont également bienvenus concernant l'accompagnement des demandeurs d'asile et leurs conditions matérielles d'accueil. L'objectif du Gouvernement est d'atteindre plus de 97 000 places d'hébergement pour les demandeurs d'asile fin 2019, grâce à la création de 1 000 nouvelles places dans les centres d'accueil pour demandeurs d'asile (CADA), de 2 500 nouvelles places d'hébergement d'urgence pour demandeurs d'asile (HUDA) et de 2 000 nouvelles places dans les centres provisoires d'hébergement (CPH) pour les personnes vulnérables ayant obtenu le statut de réfugié. Toutefois, malgré ces hausses ponctuelles et significatives par rapport à la loi de finances pour 2018, les moyens programmés dans le présent budget sont généralement fondés sur des hypothèses peu plausibles et restent notoirement insuffisants au regard de la réalité des phénomènes migratoires auxquels la France est confrontée.
Le PLF pour 2019 prévoit une stabilisation de la demande d'asile en 2019 puis en 2020. Or, situation atypique en Europe, la France reste exposée à une demande d'asile sans précédent, en progression de près de 19 % début 2018, et à des flux secondaires qui ne se tarissent pas, notamment depuis l'Espagne. Le budget de la mission est donc élaboré sur le fondement d'hypothèses irréalistes, qui permettent au Gouvernement de minimiser les besoins de financement des politiques migratoires. Ces hypothèses ont été jugées peu crédibles par l'ensemble des acteurs que j'ai entendus, et faussent d'emblée la sincérité de la programmation budgétaire. Je regrette vivement le « pari » que le ministre de l'intérieur a reconnu faire en la matière : faute de financements suffisants, le Gouvernement ne se donne pas les moyens des objectifs qu'il affiche. Sans un soutien budgétaire satisfaisant aux opérateurs que sont l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra), l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) et la Cour nationale du droit d'asile (CNDA), ni les délais moyens cibles de traitement des demandes d'asile en six mois ni l'objectif de 86 % de demandeurs d'asile hébergés ne semblent tenables.
L'immigration régulière reste très dynamique, même si les admissions exceptionnelles au séjour ont arrêté de croître cette année. Il est regrettable que le Gouvernement persiste à refuser, si ce n'est d'abroger la « circulaire Valls », au minimum de mieux en encadrer les règles, quand on sait que cette circulaire a contribué à l'augmentation de plus de 30 % des régularisations d'étrangers en situation irrégulière en cinq ans.
Enfin, l'écart entre les annonces et les actes du Gouvernement se vérifie tout particulièrement dans le domaine de la lutte contre l'immigration irrégulière, parent pauvre de la politique migratoire. En la matière, les crédits ne représentent que 8 % du budget de l'ensemble de la mission. Si un effort important est consenti cette année pour la rétention, avec 450 places créées en centres de rétention administrative, l'effort est quasi nul depuis quatre ans sur les crédits consacrés à l'éloignement des étrangers en situation irrégulière.
Alors que le Gouvernement ne semble toujours pas en mesure de réaliser un quelconque suivi des déboutés du droit d'asile, il n'est guère étonnant que les politiques d'éloignement soient en échec. Le taux d'exécution des obligations de quitter le territoire français (OQTF) reste à un niveau très faible en 2017. Pire, il continue de baisser cette année : sur les six premiers mois de l'année 2018, 12,6 % des décisions d'éloignement seulement ont été exécutées.
Nous le disons depuis un moment, les accords de Dublin sont à bout de souffle. Ainsi, moins de 12 % des étrangers sous « statut Dublin » ont effectivement été transférés vers un autre État de l'Union européenne au cours des premiers mois de l'année 2018.
Au-delà de cette présentation générale, je souhaite vous communiquer quelques données plus précises. En matière d'immigration régulière, l'OFII voit ses moyens humains progresser avec une hausse de 95 équivalents temps plein travaillé (ETPT). Par ailleurs, le nombre de visas délivrés, après avoir fortement baissé en 2015 et 2016 en raison des attentats, augmente de nouveau. En 2017, 242 665 premiers titres de séjour ont été accordés, soit une hausse de 5,3 % par rapport à 2016.
L'immigration régulière demeure principalement familiale (avec 35,9 % du total des flux en 2016) et étudiante (pour 32,3 %) ; l'immigration de travail reste marginale comme l'immigration « humanitaire ». Au total, près de 3 millions d'étrangers disposent d'un titre de séjour français valide en métropole, 68 % d'entre eux bénéficiant d'une carte de résident valable dix ans et renouvelable de plein droit.
En matière d'intégration, les efforts sont bienvenus, même s'il faut veiller à ce que les objectifs soient réellement mis en oeuvre. L'augmentation des crédits servira au doublement du nombre d'heures de formation linguistique pour les parcours existants, mesure sur laquelle j'insiste depuis longtemps, et à la création d'un nouveau parcours de 600 heures. Elle servira également à l'orientation et l'insertion professionnelles.
Les crédits consacrés à l'asile représentent une part essentielle du budget de la mission, puisqu'ils s'élèvent à 1,21 milliard d'euros. Cependant, nous jugeons peu crédible l'hypothèse retenue par le Gouvernement d'une progression de la demande d'asile de 10 % en 2018 et de 0 % en 2019 puis en 2020. En effet, la France est aujourd'hui le troisième pays de l'Union européenne en nombre de demandes de protection internationale reçues. Par ailleurs, le nombre de demandes d'asile a augmenté de 17,5 % en 2017 et a déjà crû de 21 % au cours des neuf premiers mois de l'année 2018. Selon les spécialistes, nous pourrions atteindre 120 000 demandes d'ici la fin de l'année. Les hypothèses du Gouvernement ne résistent donc pas à l'épreuve des faits et ses annonces ne sont pas réalistes. De plus, les objectifs assignés à l'OFPRA et à la CNDA en matière de réduction des délais de traitement des demandes d'asile semblent, dans ces conditions, difficilement atteignables. Il faut tout de même mentionner l'effort des préfectures pour réduire les délais d'enregistrement des demandes et de prise de rendez-vous.
En matière de lutte contre l'immigration irrégulière, la hausse des crédits est destinée à financer la rénovation et la création de places dans les centres de rétention administrative (CRA). Nous n'avons cependant pas obtenu de réponse à nos interrogations sur la nature des travaux réalisés et le nombre de personnels mis à disposition, compte tenu notamment de l'augmentation de la durée maximale de rétention de 45 à 90 jours.
Le phénomène de l'immigration irrégulière est par nature difficile à évaluer. Trois indicateurs sont disponibles. Il y a d'abord l'aide médicale d'État (AME) dont bénéficiaient 315 835 personnes fin 2017, chiffre en hausse de 1,4 % par rapport à 2016 et, surtout, en progression de 50 % depuis 2011. On constate également une forte augmentation du nombre d'étrangers contrôlés en situation irrégulière : 119 635 personnes ont été interpellées en 2017, contre 97 143 en 2016. Enfin, l'ampleur de cette immigration peut être mesurée au travers des refus d'admission, qui se sont élevés à 87 000 en 2017, contre 64 000 en 2016.
Pour conclure, je regrette que l'effort porté sur les procédures d'éloignement soit quasi nul. Sur les 103 940 mesures d'éloignement prononcées en 2017, seules 17,5 % ont été exécutées. En particulier, alors que le nombre d'OQTF a augmenté, le taux effectif d'éloignement a baissé : sur les premiers mois de l'année 2018, ce taux d'exécution a atteint 12,6 %.
Par conséquent, je propose de donner un avis défavorable à l'adoption des crédits de la mission « Immigration, asile et intégration ».
Le taux d'exécution des OQTF est particulièrement faible. Il n'y a donc vraiment pas lieu de s'en féliciter. Le constat dressé par notre rapporteur appelle un sursaut de la puissance publique.
Je suis d'accord avec le rapporteur. Nous sommes récemment allés ensemble à Calais et avons constaté que la situation ne faisait que s'y dégrader : la pression s'accentue et les violences se multiplient, car les migrants sont décidés à rejoindre la Grande-Bretagne par tous les moyens. Tout cela risque de mal tourner.
Certes, nous saluons l'idée du Gouvernement d'un financement pluriannuel de certains centres d'hébergement d'urgence, ainsi que la forte croissance des crédits en faveur de l'hébergement et de l'accompagnement des réfugiés.
Mais le Gouvernement prévoit de créer 450 places dans les CRA et, contrairement à ses prévisions, il n'y aura pas de stabilisation de la demande d'asile en France, compte tenu de la hausse des demandes observée en 2017 et de celle qui est attendue en 2018. Le risque est donc réel d'une sous-budgétisation de certaines dépenses liées au traitement des demandes d'asile. Les moyens prévus par le Gouvernement sont insuffisants.
Nous constatons également une hausse des crédits alloués à la lutte contre l'immigration irrégulière. Nous aurions préféré que ces crédits fussent affectés à des fins plus nobles comme l'hébergement et l'accompagnement des migrants.
L'augmentation des crédits de la mission est en trompe-l'oeil : elle sert principalement à lutter contre l'immigration irrégulière, alors que les capacités du dispositif national d'accueil restent insuffisantes au regard des besoins.
Je reconnais la qualité du travail du rapporteur qui sait travailler sans sectarisme sur ces sujets.
Ce budget est en effet un pur effet d'optique : les crédits augmentent et, « en même temps », restent insuffisants. Les carences qui préexistaient à la loi « asile, immigration et intégration » légitimaient l'augmentation des moyens alloués aux procédures d'éloignement et aux mesures de rétention dans des conditions humaines. Néanmoins, le fait de porter la durée maximale de rétention à 90 jours accentue encore l'insuffisance de ces moyens.
Lors des auditions du rapporteur, le directeur central de la police aux frontières s'est inquiété du taux d'efficience des centres de rétention administrative. En d'autres termes, remplir ces centres est totalement inefficace, tout comme le fait de prononcer des OQTF, alors que tout le monde sait qu'elles sont peu exécutées. En définitive, ces mesures traduisent le souci du Gouvernement de faire du chiffre et une forme d'impuissance de la puissance publique.
Comme l'a souligné le rapporteur, les hypothèses du Gouvernement en matière d'asile sont totalement irréalistes. Il a également raison à propos du manque de places dans les centres d'hébergement pour réfugiés statutaires. On compte en effet 30 000 réfugiés pour 7 200 places. Il est dès lors regrettable que ma proposition d'accorder un crédit d'impôt de 5 euros par nuit à tout particulier qui hébergerait un réfugié statutaire ait été rejetée hier en séance publique. Je déplore d'autant plus cette position dogmatique que le directeur de l'OFII lui-même était très favorable à cette mesure.
Pour toutes ces raisons, notre groupe ne votera pas les crédits de la mission.
Ma préoccupation porte sur les chiffres de l'immigration irrégulière en outre-mer. Lors de l'examen de la loi « asile, immigration et intégration », le ministre de l'intérieur Gérard Collomb nous avait assuré que ces chiffres figureraient bien dans les statistiques nationales.
Ce point est très important, car l'immigration irrégulière en outre-mer, pour l'essentiel en Guyane et à Mayotte, représente plus de la moitié de l'immigration irrégulière de notre pays ; elle mobilise des moyens importants et a des conséquences sur l'équilibre de nos politiques publiques. Même si la situation s'est un peu améliorée dans mon département, le phénomène reste très préoccupant.
Pour le reste, malgré l'analyse très fouillée du rapporteur, je ne tirerai pas les mêmes conclusions que lui. Les crédits de cette mission sont en hausse : afin d'encourager cet effort, je préfère compter sur la vigilance atavique de notre commission pour contrôler la bonne exécution de ce budget plutôt que d'émettre a priori un avis défavorable.
Je tiens tout d'abord à souligner les efforts réalisés en matière d'intégration dans ce budget.
Je souhaite également évoquer la question des reconduites à la frontière. Le taux d'exécution des mesures d'éloignement est assez constant depuis dix ou quinze ans. Il faudrait mener une réflexion sur les raisons pour lesquelles ce taux reste à un niveau très faible. En la matière, on distingue traditionnellement les déboutés du droit d'asile des étrangers venus pour raisons économiques. Les choses ne sont pas toujours aussi simples. Peut-être faudrait-il avoir une vision plus sélective de l'immigration économique en France.
Enfin, je note une contradiction entre le voeu émis par le Premier ministre de faire passer le nombre d'étudiants étrangers de 320 000 à 500 000, ce qui est bon pour le rayonnement et le développement de la France, et l'augmentation des droits d'inscription pour lesdits étudiants. Cette question mérite d'être posée.
Pour répondre à M. Mohamed Soilihi, nous demandons toujours des statistiques intégrant les outre-mer, nous ne les obtenons pas toujours.
Mes chers collègues, on a beaucoup parlé des structures d'hébergement et des places créées. Il faut également évoquer le problème posé par la multitude des dispositifs existants : le Gouvernement ferait bien, comme nous l'y avions invité lors de l'examen de la loi « asile, immigration et intégration », de simplifier le système d'hébergement des étrangers pour le rendre à la fois plus lisible et plus compréhensible.
La commission émet un avis défavorable à l'adoption des crédits de la mission « Immigration, asile et intégration ».
Cette année encore, nous examinons pour avis les crédits du programme 165 « Conseil d'État et autres juridictions administratives » avec les crédits du programme 164 « Cour des comptes et autres juridictions financières », au sein de la mission « Conseil et contrôle de l'État », dont le Premier ministre est responsable.
Pour l'exercice 2019, les juridictions administratives bénéficient d'une hausse de leur budget de 3,4 % par rapport à l'exercice précédent et d'un plafond d'emplois en augmentation de 132 équivalents temps plein travaillé (ETPT).
Sur ces 132 nouveaux emplois, 122 sont en réalité destinés à la Cour nationale du droit d'asile (CNDA), confrontée à une croissance sans précédent de son activité, avec notamment une hausse de 34 % des saisines en 2017. Cette augmentation est directement liée à la hausse des décisions rendues par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA). La situation s'est encore dégradée en 2018 avec un nouvel accroissement de 20 % du nombre des saisines, ainsi qu'en raison de divers mouvements sociaux qui ont touché la Cour entre février et juillet 2018. Les délais de jugement imposés par la loi du 29 juillet 2015 relative à la réforme du droit d'asile, fixés à cinq mois pour les procédures ordinaires et à cinq semaines pour les procédures accélérées, n'ont pu être respectés.
Selon Mme Dominique Kimmerlin, nouvelle présidente de la CNDA que j'ai rencontrée lors de ma visite à la Cour à la fin du mois d'octobre, le renforcement des moyens alloués en 2019 devrait permettre, sauf imprévu, de faire face au flux de nouvelles affaires enregistrées. Les délais légaux imposés par la loi de 2015 pourraient être atteints au 31 décembre 2019 et les personnels contractuels, massivement recrutés ces dernières années, pour une durée de deux ans, pourraient ne pas être renouvelés.
Parallèlement, pour 2019, seuls 10 ETPT sont créés à destination des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel, qui font figure, selon les personnes que j'ai rencontrées, de grands « laissés pour compte » de ce budget.
Sans remettre en cause la nécessité de renforcer les effectifs de la CNDA, ces créations d'emplois à destination des autres juridictions administratives sont insuffisantes compte tenu de l'augmentation constante de leur activité. Ces dernières années, on a en effet observé une progression des contentieux de masse et la dévolution de nouvelles compétences par le législateur. Pour 2018, on observait déjà, au 30 octobre, une hausse d'activité de 6,3 % dans les tribunaux administratifs et de 8,6 % dans les cours administratives d'appel.
Parmi les réformes qui sont venues alourdir la charge des juridictions récemment, il faut évoquer la loi du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie. Cette loi a supprimé le caractère suspensif de certains recours devant la CNDA. Dans ces hypothèses, il appartient désormais au juge de l'éloignement, à l'occasion d'un litige sur la légalité de l'obligation de quitter le territoire français, de suspendre temporairement, jusqu'à l'expiration du délai de recours devant la CNDA ou jusqu'à ce que la CNDA se soit prononcée, l'exécution de cette mesure si les éléments produits par le requérant sont suffisamment sérieux pour que la Cour soit susceptible de prendre une décision de protection.
Selon les personnes entendues, ce nouveau dispositif brouille la frontière des compétences entre juge de l'éloignement et juge de l'asile. Le juge de l'éloignement doit se prononcer seul, très rapidement, alors même que les enjeux humains en cause sont très importants, sur des éléments relatifs à la demande d'asile, alors qu'il n'a pas la compétence technique de la CNDA pour le faire.
Les nouvelles hypothèses de recours non suspensif devant la CNDA concernent 20 000 demandeurs d'asile par an. En supposant que la moitié seulement fasse l'objet d'une obligation de quitter le territoire français, contestée devant le tribunal, les conclusions tendant au rétablissement du droit au maintien sur le territoire emploieront au minimum 6 ETPT de magistrats, qui ne sont pas pris en compte dans le projet de loi de finances pour 2019.
Il faut bien admettre que nous votons parfois des textes sans vérifier que leur mise en application pourra être assurée par les juridictions.
Pour faire face à cette pression contentieuse constante, des économies ont été recherchées avec le développement des téléprocédures, de la médiation ou le recours aux effectifs d'aide à la décision ; le projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice prévoit en outre la création d'un corps de juristes assistants.
Parallèlement, les juridictions administratives ont eu recours à différents outils visant à renforcer leur efficacité comme la multiplication des procédures à juge unique ou le décret du 2 novembre 2016 portant modification du code de justice administrative, appelé aussi décret « JADE », qui permet d'évacuer rapidement de nombreuses affaires.
Toutes les personnes que j'ai entendues se sont accordées pour dire qu'il n'était pas possible d'aller plus loin dans les réformes de procédure sous peine d'« abîmer » définitivement la justice administrative en portant atteinte aux principes mêmes qui la régissent.
Malgré la situation très tendue, au prix d'importants efforts des magistrats et des personnels, les juridictions administratives continuent à afficher de bonnes performances en termes de délais de jugement, de réduction du stock des affaires anciennes et de qualité des décisions rendues.
Les efforts demandés aux magistrats et aux personnels des juridictions ne sont cependant pas sans conséquences sociales et humaines. À cet égard, le premier baromètre social établi en 2017 par le Conseil d'État révélait que la charge de travail est ressentie comme excessive par 60 % des magistrats, et comme inconciliable avec la vie privée par 55 % d'entre eux. Par ailleurs, les jours d'arrêt maladie ont augmenté de 11 % chez les magistrats et de 18 % chez les agents de greffe entre 2016 et 2017.
Les juridictions financières, quant à elles, bénéficient d'une augmentation de 1 % de leurs crédits par rapport à l'année précédente, hausse qui sert à financer la création de 15 emplois supplémentaires pour atteindre à l'horizon 2022 le plafond d'emplois de 1 840 ETPT.
Hors titre 2, les crédits sont stables par rapport à 2018 et destinés principalement à des dépenses contraintes, liées aux activités du contrôle, sans permettre par exemple le développement de projets informatiques d'ampleur, qui constituent pourtant un enjeu crucial pour le fonctionnement de la Cour et des chambres régionales et territoriales des comptes.
Par ailleurs, je tiens à relayer ici une inquiétude exprimée lors de son audition par le Premier président de la Cour des comptes, M. Didier Migaud, concernant l'application de mesures de régulation budgétaire à la Cour, qui seraient envisagées par le Gouvernement.
Selon les principes internationaux, le bon fonctionnement des institutions supérieures de contrôle suppose que les contrôleurs des finances publiques disposent « de l'indépendance fonctionnelle et organisationnelle nécessaire à l'exécution de leur mandat ». En application de ces principes, il me semble nécessaire de mener une réflexion pour consacrer expressément dans les règles budgétaires la dispense de mise en réserve de précaution des crédits en début de gestion, ainsi que l'obligation de recueillir l'accord de la Cour avant toute mesure d'annulation des crédits ouverts en loi de finances initiale.
Quant aux juridictions financières, au cours des années récentes, elles ont vu leurs missions se multiplier alors même que leur plafond d'emplois, fixé à 1 840 ETPT, n'a pas évolué depuis 2010.
Pour n'évoquer que deux réformes parmi les plus récentes, la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe) a prévu un dispositif d'expérimentation de certification des comptes de collectivités territoriales. C'est très bien, mais avec quels moyens ? Un bilan intermédiaire sera réalisé fin 2018. Sans l'anticiper, à la suite des auditions et déplacements que j'ai réalisés, notamment à la chambre régionale des comptes Bourgogne-Franche-Comté, il me semble qu'envisager une généralisation de ce dispositif aurait un impact extrêmement lourd sur les juridictions financières.
La loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé, ensuite, a étendu les compétences de contrôle des juridictions financières à l'ensemble des établissements et services sociaux et médico-sociaux, y compris de droit privé à but lucratif. Cette réforme concerne potentiellement plusieurs dizaines de milliers d'établissements supplémentaires. Il sera impossible pour les juridictions financières de contrôler plus de quelques structures par an à moins d'une hausse substantielle du plafond d'emplois et des crédits du titre 2 du programme 164.
Comme l'a fait valoir M. Didier Migaud, lors de son audition, toutes les économies possibles et toutes les mutualisations ont désormais été réalisées, notamment à travers la restructuration de la carte des chambres régionales des comptes.
Il résulte de cette situation tendue une priorisation des travaux, qui se traduit par une concentration des contrôles sur les situations qui présentent le plus de risques, voire par un véritable effet d'éviction sur les missions traditionnelles des juridictions financières, en particulier sur le contrôle budgétaire. Parallèlement, les personnes entendues ont souligné un recul du rôle de l'État au niveau local et une baisse du contrôle de légalité sur le terrain, ce qui accroît le risque de dérapages pour les collectivités territoriales.
En conclusion, dans la mesure où les juridictions administratives et les juridictions financières continuent, tant bien que mal, à afficher des performances satisfaisantes, je vous propose d'émettre un avis favorable à l'adoption des crédits des programmes « Conseil d'État et autres juridictions administratives » et « Cour des comptes et autres juridictions financières » rattachés à la mission « Conseil et contrôle de l'État », inscrits au projet de loi de finances pour 2019. Pour autant, j'appelle votre attention sur le fait que la situation de ces juridictions est de plus en plus tendue et nécessitera un aménagement de leurs moyens dans l'avenir.
Merci, monsieur le rapporteur, d'avoir été attentif à la souffrance au travail des membres des juridictions administratives sous le poids des contentieux de masse.
Merci au rapporteur. J'ai longtemps été rapporteur du programme « Conseil d'État et autres juridictions administratives ». Je mesure combien c'était une époque paisible ; les budgets ne posaient pas de problème. On nous expliquait que c'était parce qu'il était rattaché au Premier ministre et non au ministère de la justice. Visiblement, les choses ont beaucoup évolué. À cette époque, j'ai eu la chance d'assister à la création d'un tribunal administratif à Nîmes, qui fonctionne très bien, comme celui de Montpellier. Il est envisagé de créer une cour administrative d'appel en Occitanie, puisqu'il n'y en a aucune entre Marseille et Bordeaux. Or je crains qu'elle ne soit située ni à Montpellier ni à Nîmes mais à Toulouse, plus près de Bordeaux, dans cette grande nouvelle région pour laquelle je n'ai pas voté et dont je ne vois de positif que le nom. Le rapporteur dispose-t-il d'informations sur cette future cour administrative d'appel ?
Je préfère être réservé sur l'appréciation de ces crédits mais je rappelle que nous avons refusé au Gouvernement une habilitation à légiférer par ordonnance à la fin de l'examen du projet de loi asile et immigration pour effectuer le nouveau partage de compétences entre les tribunaux administratifs et la Cour nationale du droit d'asile. Or des difficultés de cohérence génèrent un alourdissement des charges contentieuses.
Le rapporteur a soulevé la question de la capacité du pouvoir législatif à autoriser des régulations de crédits d'instances bénéficiant d'une indépendance juridique. Depuis des années, sans que cela ne gêne personne, nous votons bien le budget de la justice, qui est indépendante. Cela s'applique à la Cour des comptes. Selon M. Migaud, celle-ci serait tellement plus indépendante que les toutes autres juridictions que le législateur ne pourrait pas réguler ses crédits, contrairement à ceux des autres. Un tel raisonnement ne peut aller loin.
La cour administrative d'appel de Douai a dressé le même constat que le rapporteur, celui de l'augmentation du flux d'affaires enregistrées. Beaucoup de magistrats qui habitent loin effectuent du télétravail. Le temps peut être bien organisé.
Le président de la cour administrative d'appel de Douai a souligné le grand nombre d'appels abusifs de la part d'avocats qui savent pourtant qu'ils sont voués à l'échec.
Merci, monsieur le rapporteur. J'ai un point de satisfaction et beaucoup de points d'interrogation. La grande gagnante de ce budget est la CNDA, puisque 122 ETPT sont créés pour répondre à la hausse de son activité et à la baisse drastique des délais de jugement qui lui ont été imposés. Non encore effectifs, ils pourraient être atteints fin 2019.
Pour les autres juridictions administratives, on constate un hiatus entre la quasi-stabilité des moyens et la hausse sensible de l'activité, notamment en raison des effets de la loi du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée. Pas moins de 60 % des ETPT créés seront absorbés par ces seuls effets. On arrive au bout des recherches constantes d'économies. Il est à craindre que, faute de moyens nouveaux, ce hiatus dégrade la qualité du travail rendu.
Pour les juridictions financières, le constat est le même. Les moyens augmentent de 1 %, soit 15 ETPT, pour porter l'emploi à 1 840 ETPT en 2022. Cette quasi-stabilité des effectifs, face à l'ajout de nouvelles missions, crée des tensions. Trop peu de crédits sont disponibles pour des projets de fond tels que des investissements informatiques. On constate aussi le vieillissement des effectifs. À moyens constants, les mêmes causes produisant les mêmes effets, faute de nouvelles mutualisations possibles et après restructuration de la carte des juridictions, des difficultés quant à la production de ces juridictions sont à craindre. C'est un point de vigilance particulier pour nos collectivités territoriales en raison du rôle d'appui que les juridictions financières jouent auprès d'elles.
Le groupe socialiste et républicain suivra l'avis favorable du rapporteur.
Je voudrais compatir à la douleur du Premier président de la Cour des comptes. Il est plaisant que quelqu'un qui passe son temps à nous donner des leçons de réalisation d'économies veuille s'abstraire ainsi de cette ardente obligation. C'est d'autant plus surréaliste qu'il s'agit de l'un des créateurs de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF).
Si tous les membres de la Cour des comptes y étaient - puisque 30 % des effectifs sont vaporisés dans l'atmosphère - et effectuaient le travail pour lequel ils ont été recrutés, une partie des problèmes serait résolue ; de même s'ils s'occupaient uniquement de leurs missions. Ainsi, j'ai découvert que la Cour des comptes avait émis un avis négatif, dans un référé, sur l'idée que l'État puisse sauver une ingénierie territoriale. De quel droit s'en occupe-t-elle ?
Concernant le Conseil d'État, j'aimerais connaître la répartition des crédits et savoir qui rémunère les 30 % de membres qui viennent de l'extérieur. Sont-ils rétribués par leurs administrations d'origine ?
Monsieur Collombat, je ne peux pas répondre à cette question dans l'immédiat, mais je m'engage à le faire.
Il n'est pas question de remettre en cause le pouvoir du législateur. C'est bien nous qui votons les crédits. M. Migaud demande que les crédits votés par la représentation nationale soient respectés et que l'exécutif ne puisse pas les geler. Les juridictions financières doivent jouir d'une visibilité sur les moyens dont elles disposent pour mettre en oeuvre la compétence régalienne que la loi leur a donnée.
Il appartient au pouvoir exécutif de le décider. Il est vrai, et cela me paraît opportun, que nous pourrions modifier la loi pour sanctuariser les moyens de fonctionnement de la Cour des comptes.
Le Sénat a voté l'année dernière, dans la proposition de loi organique pour le redressement de la justice, le principe selon lequel il ne pourrait y avoir aucun gel de crédits de l'autorité judiciaire. On pourrait vouloir transposer ce principe aux juridictions administratives et financières.
Je voulais rappeler cette cohérence.
En effet, monsieur Durain, on arrive au bout de l'exercice. Les juridictions administratives et financières ne pourront pas assumer correctement leurs nouvelles compétences, si elles sont mises en oeuvre.
Mme Lherbier a évoqué l'existence d'appels abusifs. Les présidents de cour administrative d'appel et de formation de jugement ont la possibilité de rejeter par ordonnance les requêtes d'appel manifestement mal fondées et d'imposer des amendes pour recours abusifs.
Monsieur Sutour, la décision de créer une cour d'appel administrative dans votre territoire est confirmée. Elle serait localisée soit à Toulouse soit à Montpellier. C'est tout de même une bonne nouvelle globalement. Il ne m'appartient pas en revanche de donner de préférence.
La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits des programmes « Conseil d'État et autres juridictions administratives » et « Cour des comptes et autres juridictions financières » de la mission « Conseil et contrôle de l'État ».
Je suis chargé de vous présenter les crédits de trois des quatre programmes de la mission « Sécurités », prévus par le projet de loi de finances pour 2019 : le programme 152 « Gendarmerie nationale », le programme 176 « Police nationale » et le programme 207 « Sécurité et éducation routières ». Le programme 161 « Sécurité civile » fait quant à lui l'objet d'un avis distinct, présenté par notre collègue Catherine Troendlé.
Sur ces trois programmes, le constat, pour 2019, est identique à celui que nous avions dressé en 2018 : en dépit d'une augmentation des crédits alloués à la sécurité, la trajectoire financière du projet de loi de finances demeure très largement insuffisante au regard de la situation particulièrement dégradée des forces de sécurité intérieure. Le rapport de notre collègue François Grosdidier, fait au nom de la commission d'enquête sur l'état des forces de sécurité intérieure, sous la présidence de notre collègue Michel Boutant, relate cette situation et émet 32 propositions.
En 2019, le budget de la mission « Sécurités », hors crédits alloués à la sécurité civile, poursuit la hausse engagée depuis 2012 : ses crédits augmenteront de 3,63 % en autorisations d'engagement et de 1,84 % en crédits de paiement. La progression des crédits, plus significative pour la gendarmerie que pour la police, mérite d'être soulignée. Toutefois, elle apparaît, comme l'année dernière, insuffisante et très largement déséquilibrée. La hausse budgétaire est en effet quasi exclusivement absorbée par l'augmentation de la masse salariale. Conformément au plan quinquennal de création de 10 000 emplois au sein des forces de sécurité intérieure, 2 378 nouveaux postes seront créés en 2019, dont 1 735 dans la police et 643 dans la gendarmerie. Au total, depuis 2012, les effectifs des forces de sécurité intérieure auront été renforcés de 13 079 personnels supplémentaires. La plupart des effectifs supplémentaires devraient être affectés, pour la police, dans les services de sécurité publique et, pour la gendarmerie, dans les brigades territoriales, à l'appui de la mise en place de la nouvelle police de sécurité du quotidien. Il s'agit, dans l'esprit du Gouvernement, de renforcer la présence policière sur le terrain et de doter les nouveaux quartiers de reconquête républicaine d'effectifs supplémentaires. C'est un objectif louable. Je ne crois pas, toutefois, que ces créations d'emplois suffiront à « mettre du bleu dans les rues » et à améliorer la lutte contre la délinquance quotidienne, comme le souhaite le Gouvernement. La hausse des effectifs ne résoudra pas tout. L'insuffisante capacité opérationnelle des forces de sécurité intérieure résulte en effet davantage de difficultés structurelles que d'une insuffisance d'effectifs.
Premièrement, de nombreuses missions périphériques, communément appelées tâches indues, continuent d'accentuer l'indisponibilité d'une partie de nos forces de l'ordre. C'est une pollution qui s'accentue d'année en année.
Deuxièmement, les services de sécurité publique souffrent d'un déficit d'effectifs ainsi que d'un manque d'attractivité, pour les agents les plus expérimentés, des quartiers dits perdus de la République. Les services sont contraints de recruter des agents tout juste sortis d'école et qui ne disposent pas de l'expérience nécessaire pour se confronter à une délinquance difficile. Créer de nouveaux postes sans résoudre, en amont, ces difficultés risque de n'avoir que peu d'effets dans la pratique.
Troisièmement, le Gouvernement, dans ses perspectives d'emploi, oublie d'intégrer un paramètre pourtant majeur : l'application aux forces de sécurité intérieure, depuis 2016, de la directive européenne du 4 novembre 2003 sur le temps de travail qui a entraîné une réduction importante des capacités opérationnelles au sein de la police comme de la gendarmerie. La gendarmerie aurait perdu 4 000 ETP en temps de travail, qui n'ont pu être compensés que par l'instauration d'un système d'astreintes. Celui-ci réduit toutefois l'engagement opérationnel des agents sur le terrain.
Le constat est encore plus criant dans la police : en cas de généralisation du système dit de la « vacation forte » à l'ensemble des circonscriptions de sécurité publique, la baisse de la capacité opérationnelle s'élèverait à 4 160 équivalents temps plein, pour un coût financier de 205 millions d'euros.
Dans ces conditions, aucun effet de levier ne peut être attendu du plan de recrutement de 10 000 policiers et gendarmes supplémentaires.
Si la question des effectifs est essentielle, la principale limite du budget soumis à notre appréciation réside toutefois dans l'insuffisance des crédits d'équipement et de fonctionnement des forces de sécurité intérieure. La forte augmentation de la masse salariale dans le budget est en effet obtenue au détriment des crédits de fonctionnement et d'investissement, dont la part ne cesse de se réduire dans le budget global. Les chiffres sont éclairants : alors que les dépenses de personnel ont augmenté, depuis 2007, de 37,2 % pour la police, les dépenses de fonctionnement et d'investissement ont, quant à elles, stagné. Cette évolution est inquiétante : la capacité opérationnelle des forces de sécurité intérieure repose en effet non seulement sur le nombre de personnels, mais également sur l'aptitude de l'État à équiper et à entretenir ses forces. C'est la capacité d'intervention des policiers et gendarmes que nous risquons, à défaut, d'affaiblir.
En 2019, les crédits de fonctionnement seront, à périmètre constant, en augmentation de 9,3 % pour la police et de 3,15 % pour la gendarmerie. Cette augmentation des moyens de fonctionnement recouvre principalement la prise en compte du coût de sac à dos, c'est-à-dire des crédits nécessaires pour équiper a minima les nouveaux effectifs, ainsi que la hausse du prix du carburant.
Quant aux crédits d'investissement, ils constituent la véritable variable d'ajustement de ce budget : par rapport à 2018, ils chuteront, en crédits de paiement, de 18,56 % pour la police et de 13,37 % pour la gendarmerie. Je déplore d'ailleurs que l'Assemblée nationale ait adopté un amendement du Gouvernement qui réduit encore davantage les crédits de fonctionnement et d'investissement, de 1,9 million pour la police et de 8,6 millions pour la gendarmerie.
Ces évolutions sont loin d'être à la hauteur des difficultés que les forces de sécurité intérieure rencontrent actuellement. En voici trois exemples.
Le premier concerne la formation. En 2019, les crédits alloués à la formation baisseront de 15 % pour la police et seront en stagnation pour la gendarmerie. Alors même que le volume d'effectifs ne cesse d'augmenter, on peut légitimement s'interroger sur la capacité du ministère à former ses agents. Dans la police, le budget annuel moyen de formation par agent est passé de 170 euros en 2007 à moins de 130 euros en 2019, soit plus de 24 % de baisse.
Le deuxième concerne les équipements. Des améliorations significatives ont été réalisées au cours des dernières années sur les équipements de protection et l'armement, grâce à la mise en oeuvre de différents plans, le plan de lutte antiterroriste (PLAT), le plan de lutte contre l'immigration clandestine (PLIC) et le pacte de sécurité.
Les efforts conduits ont, en revanche, été insuffisants pour améliorer l'état des parcs automobiles de la police et de la gendarmerie. Sur les presque 20 000 véhicules légers de la police, plus de 8 000 sont maintenus en service alors qu'ils remplissent les critères pour être réformés. La gendarmerie mobile fonctionne encore avec des véhicules blindés à roues (VBRG) qui ont plus de 50 ans et sont totalement dépassés.
Enfin, le troisième exemple concerne le parc immobilier. M. Gérard Collomb avait promis une amélioration substantielle. Le projet de loi de finances est largement en deçà des besoins. Il alloue 150 millions d'euros à la police, alors que le coût de la mise à niveau du parc est évalué à plus d'1 milliard. Pour la gendarmerie, 105 millions d'euros sont prévus, alors que la rénovation et l'entretien du parc immobilier nécessiteraient 300 millions par an pendant plusieurs années.
Je souhaite évoquer rapidement la thématique à laquelle je me suis intéressé cette année : la police technique et scientifique. En améliorant l'administration de la preuve et la révélation de la vérité, elle joue un rôle décisif dans le processus judiciaire et améliore considérablement la lutte contre la délinquance et la criminalité. Nos laboratoires sont en pointe. J'ai visité, avec Brigitte Lherbier et Nathalie Delattre, l'Institut de recherche criminelle de la gendarmerie nationale à Pontoise, laboratoire particulièrement renommé en Europe, prisé par Scotland Yard et le FBI, qui s'y réfèrent. L'affaire Maëlys a été résolue uniquement grâce à son travail. Pourtant, l'investissement en faveur de la police technique et scientifique demeure encore très largement insuffisant au regard des besoins. Il n'est pas à la hauteur des défis technologiques qui se profilent. Des réformes organisationnelles sont en cours pour dégager des économies. Pour autant, celles-ci sont mises à profit par l'État pour réduire les budgets et non pour réinvestir dans des équipements et des technologies de pointe. Cet exemple illustre, une fois encore, le sous-investissement dont nos forces de sécurité intérieure pâtissent actuellement et qui pèse, sans aucun doute, sur leur efficacité.
Je rappelle que le rapport de la commission d'enquête sénatoriale sur l'état des forces de sécurité intérieure propose, à cet égard, des solutions en adéquation avec les demandes des personnes qui ont été entendues.
Au vu de l'insuffisance manifeste des dotations de fonctionnement et d'investissement allouées à la police et gendarmerie nationales, je vous propose d'émettre un avis défavorable à l'adoption des crédits de la mission « Sécurités », hors programme « Sécurité civile », inscrits au projet de loi de finances pour 2019. Si la sécurité a un coût, elle n'a pas de prix.
Merci de ce rapport qui va au fond des choses. Ces crédits bénéficient d'un effet d'optique favorable mais après un examen en profondeur, l'on constate qu'une partie de l'augmentation des crédits de ressources humaines correspond à des hausses salariales, que les conditions d'emploi déterminées par la directive européenne du 4 novembre 2003 vont absorber une partie de la hausse des effectifs et que rien n'est entrepris pour alléger les tâches indues. Si l'on dresse un parallèle avec les crédits d'équipement et de fonctionnement, l'on s'aperçoit qu'en réalité, les moyens d'action de la police et de la gendarmerie ne s'améliorent pas.
J'aborderai la capacité opérationnelle de la gendarmerie dans les milieux très ruraux. M. Alain Richard, lorsqu'il était ministre de la défense, avait prôné la mobilisation de vingt gendarmes en moins de vingt minutes en tout point du territoire national. Les comités de brigades avaient été créés et nous nous étions alors tous opposés à la fermeture de certaines gendarmeries locales. Aujourd'hui, le général Lizurey affirme qu'il maintiendra l'ensemble des brigades, fussent-elles de contact, pour assurer une telle capacité opérationnelle. Existe-t-il une définition de la capacité opérationnelle actuelle, en temps et en hommes, sur le territoire ?
Notre rapporteur a rendu un rapport extrêmement clair et précis. À juste titre, il se réjouit de l'augmentation des effectifs et regrette les carences d'équipement et d'investissement, qui portent atteinte aux capacités d'intervention des policiers et des gendarmes, mais aussi à leur moral. Nous souscrivons à ses constats et à sa conclusion.
Un sujet manque peut-être à ce rapport : la situation dans les banlieues. Elle est parfois très difficile et la police ne peut pas la maîtriser, la nuit, par manque de renforts face à une gangrène liée au trafic de stupéfiants. Les policiers les plus aguerris et attachés à leur mission se découragent parfois. Il serait intéressant de dresser un bilan de ce budget à cet égard. Nous demandons tous davantage de policiers. Mais il est incontestable qu'il faut concentrer les moyens à certains endroits plutôt qu'à d'autres.
Il est étonnant, voire dommage, que les députés aient adopté un amendement du Gouvernement qui réduit drastiquement les crédits de la gendarmerie et surtout de la police. Il est important que la majorité des députés soutienne le Gouvernement mais elle doit parfois ne pas le suivre.
Il est incroyable de constater une telle évolution des crédits alors que nos forces de sécurité sont hyper performantes. Avec Nathalie Delattre, nous avons été épatées par notre visite à l'Institut de recherche criminelle de la gendarmerie nationale. Les gendarmes sont très humbles et discrets, ce qui peut passer pour de la résignation. Or il faut absolument les soutenir. Ils ont une grande carence en équipement. La plupart des casernes sont extrêmement vétustes, voire insalubres. Près de Cambrai, les familles ont beaucoup de difficultés à supporter de vivre dans de telles conditions. Cela atteint le moral des gendarmes. La gendarmerie éprouve également des difficultés à payer ses loyers.
La recherche de la gendarmerie en matière de cybercriminalité est d'excellente qualité. Des gendarmes du monde entier se rendront à Lille en janvier pour un salon international organisé sur ce thème.
Le rapporteur a raison. Il est inadmissible de ne pas soutenir notre gendarmerie.
Je rejoins totalement les conclusions du rapporteur et je salue la qualité de son rapport. Nous ne pouvons pas adopter un budget mensonger qui présente une augmentation et affiche une résolution des problèmes alors que c'est exactement l'inverse. Le ministre nous ment et se ment à lui-même. La présentation, fallacieuse, ne correspond pas à la réalité.
Il y a une semaine, aux obsèques de Maggy Biskupski, la présidente des Policiers en colère, sa mère, en pleurs, m'a dit : « Ma fille demandait si peu. » Je lui ai répondu : « Ses demandes étaient si justes. » Les policiers demandent de la considération, un autre management et des conditions matérielles d'exercice correctes. Ils sont également en quête de sens sur leur mission, face à une réponse pénale qu'ils jugent insuffisante.
Quand le personnel est augmenté, c'est au détriment de l'investissement. La droite a diminué les effectifs. Mais le problème est que la donne est nouvelle, avec la vague migratoire, la vague terroriste, la nouvelle problématique du maintien de l'ordre. L'État doit 20 millions d'heures supplémentaires à la police qui ne sont pas récupérables en l'état et qu'il n'est pas question de payer. Quel autre employeur, quels autres salariés accepteraient une telle situation ?
L'état des logements n'est pas acceptable. Les véhicules de police et de gendarmerie passent des contrôles techniques de complaisance, qui seraient refusés dans le civil. M. Castaner annonce crânement 5 800 nouveaux véhicules. Sur un parc de 60 000 véhicules légers, cela signifie une moyenne d'âge de dix ans. Elle est déjà de huit ans dans la gendarmerie et de sept ans dans la police.
Ce budget est inadmissible. Il aurait fallu au minimum une loi de programmation pour offrir une perspective et une feuille de route. J'ajoute que l'an dernier, on avait voté les crédits pour l'achat de 3 000 véhicules dans la gendarmerie, mais 40 % de ces crédits ont été annulés en cours d'année.
Ce budget est un mensonge.
Le Sénat a adopté un amendement en faveur de l'oralisation de quelques actes de procédure. On ne pourra régler aucun problème tant que les deux tiers du temps des forces de sécurité sont consacrés à des tâches procédurales.
Monsieur Grosdidier, chacun se souvient de la qualité du rapport de la commission d'enquête que vous avez animée.
J'apprécie ce rapport. J'apporterai une petite touche d'exotisme puisque j'ai vécu quelques jours auprès de la gendarmerie en Guyane. Des investissements en baisse ne sont pas une bonne nouvelle. On prend peur en voyant l'état du matériel. Sur six hélicoptères, jamais plus de trois ne peuvent voler. Les véhicules, même s'ils sont bien entretenus, sont à bout de force. Pour acquérir du matériel correct, par exemple pour ouvrir une porte en toute sécurité, il faut attendre jusqu'à trois ans. Les pirogues utilisées pour lutter contre l'orpaillage clandestin sont essentiellement récupérées auprès des délinquants, après la procédure d'usage. C'est assez extraordinaire. Les gendarmes font leur travail sans protester mais, très franchement, on atteint les limites du ridicule. C'est dangereux.
La Guyane est presque au niveau de Mayotte en matière d'immigration. Le jour où les Brésiliens arriveront, nous ne serons pas sortis de l'auberge.
J'ai l'impression que l'on ne prend pas la mesure de la situation, qui n'est pas normale du tout.
Merci au rapporteur pour la qualité de son travail. Je partage ses propos. Ce budget en trompe-l'oeil répond aux demandes des élus locaux qui réclament la police de sécurité du quotidien car ils ont à faire face à des situations difficiles sur leurs territoires. Mais une fois cette demande satisfaite, aucune autre ne fait l'objet d'une allocation de crédits. Les 2 378 nouvelles recrues devront être équipées - la hausse du budget s'arrête à cela.
Il est très frustrant qu'aucune des 32 propositions de la commission d'enquête sur l'état des forces de sécurité intérieure, dont j'ai fait partie, ne soit reprise dans ce budget, alors qu'il y a notamment une forte attente quant au paiement des heures supplémentaires. On constate un artifice pour y répondre : un système de vacations qui nous emmène droit dans le mur. Les crédits de formation baissent. Comment les nouveaux policiers et gendarmes seront-ils formés ? Aucun effort n'est fait, non plus, sur l'attractivité de nos forces de sécurité.
La part des crédits de fonctionnement et d'investissement baisse. La police technique et scientifique, que nous avons rencontrée, est l'un de nos fleurons. Elle fournit un travail. formidable et parvient à des résultats incroyables sans aucun moyen, par des économies de bouts de chandelles.
Ce budget n'apporte aucune réponse au cri d'alarme que la commission d'enquête a poussé sur l'immobilier alors qu'il faudrait 300 millions d'euros par an.
Je proposerai au groupe RDSE de voter contre cette mission.
Toutes mes félicitations au rapporteur pour son excellent travail. Je partage les inquiétudes de mes collègues, notamment quant aux millions d'heures supplémentaires non payées et non récupérées. Le projet de budget évoque-t-il un début de perspective ?
Je tire la sonnette d'alarme sur les effectifs. À Aix-en-Provence, le centre pénitentiaire de Luynes a été doublé pour devenir le troisième de France sans effectifs de sécurité supplémentaires, malgré les gardes au tribunal. Le préfet avait pourtant évalué les nouveaux besoins à une trentaine d'hommes. Est-ce compatible avec ce budget ?
Je félicite Henri Leroy pour ce rapport qui pointe du doigt ce que nous dénonçons tous à juste titre. Il est bon de souligner que l'État fait de plus en plus appel aux collectivités territoriales sur l'immobilier de la police et de la gendarmerie. Cela en dit long.
On ne peut pas affirmer que la formation est le pilier central de l'opérationnalité de nos forces sans accorder de crédits. Le Gouvernement entretient un double discours en affichant une volonté et en offrant une réalité budgétaire inverse.
Comme M. Alain Marc, je constate que les regroupements de gendarmerie sont problématiques. En Ardèche, où la géographie est complexe, l'on constate une explosion des faits de délinquance, notamment du nombre de vols de gazole. Les gendarmes expriment des difficultés dues à leur éloignement. L'organisation pose problème.
Nous soutenons notre rapporteur dans sa volonté de dénoncer le double discours du Gouvernement et le manque criant de moyens.
Entrée en vigueur le 1er octobre, une circulaire de Gérard Collomb du 15 mai 2018 prévoit que tous les services d'ordre de gendarmerie et de police seront facturés aux organisateurs de festivals et de manifestations culturelles. Les organisateurs sont très inquiets car l'équilibre financier de ces évènements culturels est très fragile et repose en particulier sur le bénévolat. En facturant l'intervention des services de sécurité, on déséquilibre le modèle économique de ces festivals. Chez moi, à Carhaix, Les Vieilles Charrues sont très connues mais ne pourraient perdurer s'il fallait financer l'intervention de la gendarmerie, d'autant que depuis plusieurs années les départements facturent déjà l'intervention des pompiers. Les dépenses ne cessent donc de s'accroître alors qu'il n'est pas envisageable d'augmenter le prix des billets. Je souhaiterais que l'on revienne sur cette initiative extrêmement malheureuse.
Nous avons constaté les mêmes problèmes dans bien d'autres départements.
J'abonde dans le sens de mon collègue Fichet, et il ne s'agit pas d'une mafia bretonne !
Dans certains territoires ruraux, le tourisme est une ressource économique de première importance. Les Vieilles Charrues sont une initiative fabuleuse. Des dépenses supplémentaires en matière de sécurité fragiliseraient les équilibres financiers.
Des communes et des intercommunalités doivent pallier les insuffisances de l'État en matière de salubrité des logements des gendarmes. Dans ma commune de Châteaugiron, j'ai dû batailler pendant dix ans avec la Société nationale immobilière (SNI) pour que l'intercommunalité puisse construire des logements pour les gendarmes, moyennant un loyer. J'ai dû également me battre avec le contrôle de légalité pour adjoindre aux compétences de la communauté de communes la capacité d'intervenir pour construire des logements destinés à des personnes assumant un service public. Mais les communes doivent avancer les crédits pour offrir des logements décents aux gendarmes et à leurs familles. L'État devrait s'en souvenir...
Lorsque j'étais en activité, M. Alain Richard était ministre de la défense et il était très apprécié des gendarmes.
Pour répondre à Alain Marc, dans chaque département, il y a, au niveau du groupement, un Centre opérationnel de la gendarmerie (COG) et des brigades spécifiques sont mises en place pour respecter le cadre de la directive européenne. L'ensemble des moyens d'alerte est répertorié dans les départements et le COG désigne des brigades périphériques pour intervenir en cas de flagrants délits ou de crimes pour épauler les brigades locales. Mais comme ces brigades n'interviennent pas toujours immédiatement, cela implique un ralentissement des enquêtes.
Effectivement, monsieur Sueur, le manque de moyens est évident tant pour les formations que pour les conditions de vie, ce qui a un impact sur le moral des forces de sécurité. Dès que l'on porte un uniforme, on est une cible ; mal formé, mal équipé, le personnel a peur et les risques de bavures se multiplient.
En outre, dans certains territoires, les citoyens ont l'impression qu'ils sont abandonnés. La commission d'enquête a révélé que seuls les jeunes policiers, mal formés, mal équipés, y sont affectés. Le DGPN n'a pas de solutions à proposer car les agents plus expérimentés refusent d'aller dans ces territoires.
Comme l'ont dit Mmes Lherbier et Delattre, il n'y a que des ingénieurs, des scientifiques et des docteurs en physique-chimie à l'IRCGN de Pontoise : ils sont passionnés par la police scientifique. La police technique et scientifique facilite et accélère la résolution des enquêtes en permettant de gagner du temps et des moyens.
Il est vrai que le moral est au plus bas. Je souhaiterais attirer l'attention de mes collègues sur les membres du collectif autonome des policiers de l'Île-de-France, qui appellent à se constituer en gilets jaunes. J'attire l'attention sur le fait que les forces de sécurité se demandent si elles vont continuer à obéir aux ordres face aux gilets jaunes. Sur les réseaux sociaux, on voit que c'est déjà parfois le cas.
La commission d'enquête a entendu Maggy Biskupski pendant une heure et demie : poignante de désespoir, elle avait lancé des appels au secours avec Guillaume Lebeau, qui est l'auteur de Colère de flic. Elle disait que la police était en train de se coaguler contre la hiérarchie.
J'ai servi en Guyane : là-bas, pour la gendarmerie, c'est le système D. Les gendarmes sont à la fois médecins, car ils soignent les tribus, mais aussi conseillers juridiques...
Il y a quelques années, j'ai été en Guyane où j'ai pu constater les conditions de vie des gendarmes, et les dangers auxquels ils étaient exposés, notamment quand ils poursuivaient des orpailleurs armés comme des commandos. Il y a d'ailleurs régulièrement des victimes. Ils mériteraient d'être salués lors de notre débat.
Comme en a témoigné Mme Delattre, le centre de Pontoise mérite d'être visité et j'invite la commission à venir le découvrir. Scotland Yard et le FBI viennent régulièrement à Pontoise pour découvrir les dernières technologies : c'est une vraie fierté pour la France.
La résorption du stock d'heures supplémentaires, qui dépasse, selon les syndicats, 22 millions, semble dans l'impasse ; les syndicats sont de plus en plus vindicatifs à ce sujet et l'affrontement paraît inévitable, madame Joissains.
Comme je l'ai dit, le COG s'occupe dans chaque département de la répartition des effectifs en cas de problème, monsieur Darnaud.
Monsieur Fichet, il y a les textes, et il y a la pratique : si les organisateurs d'un festival alertent la gendarmerie ou la police sur un risque de trouble à l'ordre public, leur présence sera évidemment assurée. En revanche, si les organisateurs veulent assurer la quiétude publique, ils devront payer : la circulaire est très claire à ce sujet, le but étant d'éviter les tâches indues.
Il faut un an pour organiser ces festivals : difficile de dire aux forces de l'ordre des mois à l'avance qu'il y aura un risque de trouble à l'ordre public. En outre, je rappelle que ces festivals ont déjà un service de sécurité interne très coûteux.
Dès qu'un commandant de brigade a connaissance d'un évènement culturel, commercial ou sportif, il prévoit obligatoirement des forces de sécurité, qu'elles soient légères ou lourdes.
Enfin, la question des logements est très importante, comme l'a dit Mme Gatel. Les retards de loyers devraient, je dis bien devraient, être effacés d'ici fin 2019. En outre, des crédits devraient être ouverts pour entretenir les logements. Mais le problème est pendant depuis deux décennies.
La commission émet un avis défavorable à l'adoption des crédits de la mission « Sécurités », hors programme 161 « Sécurité civile ».
Mme Troendlé va nous présenter son rapport. Elle est très investie dans ce domaine.
Je suis vice-présidente de la Conférence nationale des services d'incendie et de secours et présidente du Conseil national des sapeurs-pompiers volontaires.
Et vous vous battez pour éviter que ne s'applique la décision de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) qui demande que la directive sur le temps de travail s'applique aux sapeurs-pompiers volontaires, ce qui mettrait en péril le volontariat.
Olivier Cigolotti et moi sommes à l'origine d'une motion cosignée par 254 sénateurs contre l'application de cette directive, ce qui m'a permis de rencontrer à plusieurs reprises Mme Marianne Thyssen, commissaire européen en charge de l'emploi.
Le budget alloué au programme « Sécurité civile » de la mission « Sécurités » en 2019 ne comporte aucune surprise, ni bonne ni mauvaise. Les crédits destinés à assurer le fonctionnement des moyens relevant la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises du ministère de l'intérieur sont satisfaisants dans leur globalité.
Le projet de loi de finances pour 2019 prévoyait initialement une légère augmentation, de 1,2 %, des crédits de paiement alloués au programme « Sécurité civile » : ils s'élevaient à 538,8 millions, contre 532,3 millions en 2018. Les autorisations d'engagement subissaient quant à elles un net recul de 46 % : leur montant était de 459,4 millions en 2019, contre 853,8 millions en 2018.
La forte diminution des autorisations d'engagement par rapport à 2018 s'explique par la passation, l'année dernière, d'un marché public d'envergure portant sur l'acquisition échelonnée de six appareils de type « Dash 8 » qui avait nécessité l'ouverture de crédits en conséquence. Il s'agit d'avions très polyvalents. Au sein du budget 2018, ce marché correspondait à 404,1 millions d'euros d'autorisations d'engagement et 61,4 millions d'euros de crédits de paiement.
En première lecture, l'Assemblée nationale a diminué ces montants de 1,7 million d'euros, tant en crédits de paiement qu'en autorisations d'engagement, lors d'une seconde délibération.
Les moyens dédiés au programme « Sécurité civile » sont mis au service de priorités identifiées les années précédentes : le renouvellement, la rénovation et le maintien en condition opérationnelle de la flotte aérienne, le renforcement des capacités de déminage et le développement de différents systèmes de communication nécessaires au bon fonctionnement de la sécurité civile.
Ce budget ouvre toutefois dangereusement la voie d'une sécurité civile à deux vitesses avec, d'un côté, des crédits importants alloués à juste titre aux moyens de la sécurité civile d'État et, de l'autre, une sécurité civile territoriale laissée complètement en marge.
Ce budget ne retrace évidemment pas les moyens à la disposition des services départementaux d'incendie et de secours (SDIS), qui sont financés par les collectivités territoriales, départements en tête.
Pour autant, la loi de finances devrait prévoir les adaptations fiscales et les concours ciblés nécessaires à leurs investissements, en baisse depuis plusieurs années. L'explication de cette baisse est simple : la contraction des moyens budgétaires des départements se conjugue avec une augmentation des dépenses de fonctionnement des SDIS, en lien direct avec l'augmentation de leur activité. Il en résulte une baisse des dépenses d'investissement des SDIS, malgré un léger rebond en 2017.
Les marges de manoeuvre dont nous disposons pour prévoir des concours ciblés sont faibles en raison des règles de recevabilité financière des amendements parlementaires, d'une part, de la grande rigidité du budget de la mission « Sécurités » et du caractère très sensible des quatre programmes qui la composent (Police nationale, Gendarmerie nationale, Sécurité et éducation routières et Sécurité civile), d'autre part.
Nous sommes donc souvent contraints de nous en remettre à l'initiative du Gouvernement. Or, force est de constater que ses efforts ne sont pas à la hauteur des attentes et des besoins des SDIS, à plusieurs titres. Ainsi, les économies réalisées par l'État lors de la réforme de la prestation de fidélisation et de reconnaissance versée aux sapeurs-pompiers volontaires et qu'il avait été décidé de sanctuariser pour financer des investissements des SDIS seront détournées cette année encore. Fixé à 25 millions dans la loi de finances pour 2017, le montant de la dotation de soutien aux investissements structurants des SDIS a été réduit à 10 millions dans la loi de finances pour 2018. Le schéma retenu pour 2019 reste le même puisque seulement 10 millions seront consacrés à cette dotation, alors que le coût de la nouvelle prestation de fidélisation et de reconnaissance versée aux sapeurs-pompiers volontaires est estimé à 4,6 millions, soit 27,4 millions de moins que ce que l'ancien système coûtait annuellement à l'État jusqu'en 2015. Il manque donc 17,4 millions qui auraient dû logiquement abonder la dotation de soutien aux investissements structurants des SDIS. C'est inadmissible !
En outre, la gratuité des péages autoroutiers pour les véhicules de secours en intervention, prévue par la loi de finances pour 2018, n'est toujours pas en vigueur, faute de décret d'application. Cette situation est difficilement compréhensible près d'un an après l'entrée en vigueur de la loi, alors que le Gouvernement se donne six mois pour prendre les mesures d'application des lois.
Pour soutenir les SDIS, j'ai déposé, à titre individuel, un amendement en première partie du projet de loi de finances pour 2019 tendant à prévoir qu'on leur rembourse une partie de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) qu'ils versent : il n'est pas normal que cet avantage qui bénéficie déjà à d'autres activités telles que les taxis ne bénéficie pas non plus aux SDIS. Je remercie les sénateurs d'avoir voté à l'unanimité cet amendement, alors que le Gouvernement y était opposé.
Les rapports entre la sécurité civile française et l'Union européenne témoignent de ce hiatus entre la place donnée aux moyens nationaux et le manque de considération pour les moyens locaux de la sécurité civile. Alors que les premiers contribuent pleinement au mécanisme européen de protection civile (MEPC), la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne remet dangereusement en cause les seconds, qui assurent pourtant au quotidien la protection de nos concitoyens. Du fait de l'application de la directive de 2003 sur le temps de travail aux sapeurs-pompiers volontaires par la CJUE, il est nécessaire de modifier ce texte. Dans la mesure où il s'agit d'un enjeu fondamental pour notre modèle de sécurité civile, je souhaite que la forte implication des forces françaises de sécurité civile au sein du mécanisme européen de protection civile soit présentée comme un argument clé dans les négociations et que toutes les conséquences soient tirées d'un éventuel échec. D'un côté, nos voisins se réjouissent de notre réactivité lorsque des catastrophes les frappent mais, de l'autre, l'Union nous demande de respecter la directive de 2003 ce qui mettrait à mal notre système de sécurité civile.
En conclusion, tout en reconnaissant les efforts fournis au service de la sécurité civile d'État, je vous propose de donner un avis défavorable à l'adoption des crédits du programme « Sécurité civile » inscrit au projet de loi de finances pour 2019, en raison du sort réservé à la sécurité civile de nos territoires.
Dans leur excellent rapport rendu il y a deux ans, Mme Troendlé et M. Collombat avaient démontré que les Agences régionales de santé (ARS) s'étaient parfaitement accommodées de la montée en puissance des SDIS dans leur mission de secours aux personnes. Il s'agit ni plus ni moins d'un transfert de charges qui dure depuis deux décennies et qui pénalise les sapeurs-pompiers dont les deux tiers des sorties sont consacrés aux secours à personnes. Or, le ministère de la santé ne prend pas entièrement en charge ces dépenses tandis que les départements et les intercommunalités financent les SDIS.
La situation est inquiétante à la fois pour les pompiers et pour les collectivités territoriales. Les ministères de la santé et de l'intérieur se défaussent sur ces dernières.
Tous les déplacements, qui compensent la carence ambulancière, sont coûteux en carburant ; or les SDIS ne sont pas exonérés de TICPE. En outre, le référentiel par déplacement est fixé à 121 euros alors que chaque sortie coûte de 400 à 500 euros. De plus, les hôpitaux mettaient jusqu'à un an et demi pour rembourser les SDIS. Depuis que nous l'avons dénoncée, la situation s'est améliorée.
Je suis favorable à cet avis défavorable. Le « bijou » qu'est la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) brouille une fois de plus les informations : l'essentiel de la sécurité civile est assurée par les SDIS, mais le système amené à remplacer le réseau Antarès relève de la mission « Administration générale et territoriale de l'État ». Rappelons qu'Antarès est un outil de communication qui ne fonctionne pas ou mal, puisqu'il ne permet pas, par exemple, de communiquer avec les hélicoptères.
Où en est-on de la concertation avec les ministères de l'intérieur et de la santé pour essayer de régler la question des secours à personnes ? La question de la gratuité des péages n'est également toujours pas réglée.
Quid de l'obligation de ne pas augmenter les dépenses de plus de 1,2 % dans les collectivités les plus importantes, ce qui est intenable alors que l'inflation repart ?
Quelles sont les nouvelles concernant la flotte d'hélicoptères ?
De tous les pays occidentaux, nous sommes celui qui est le plus fiscalisé : cela ne pourra pas durer éternellement. Or, les missions régaliennes que nous examinons nécessitent plus de crédits : va-t-on devoir encore augmenter la fiscalité ? Ne devrions-nous pas nous inspirer des exemples étrangers où la fiscalité est moindre et où les choses vont mieux ?
Je veux rendre hommage à notre rapporteur et remercier notre président et M. Collombat pour ce qu'ils ont dit sur la Guyane lors de l'examen des crédits consacrés aux autres programmes sur la mission « Sécurités ». Lorsque les élus d'outre-mer parlent de leur territoire, ils sont inaudibles. Il est essentiel que les collègues de la commission des lois relaient nos préoccupations.
Les forces du SDIS de Mayotte sont loin d'être suffisantes et, si un incendie violent se déclarait dans les bangas de l'île, ou s'il y avait des coulées de boues importantes, il nous faudrait compter sur La Réunion, qui est à deux heures de vol...
En outre, les pompiers sont régulièrement sollicités pour venir au secours des étrangers en situation irrégulière qui débarquent sur l'île.
Je renouvelle mon invitation à notre rapporteur afin qu'elle vienne à Mayotte constater de visu la situation. J'invite d'ailleurs toute la commission...
Les sapeurs-pompiers volontaires composent l'essentiel des effectifs dans les zones rurales. Dans mon département, il y a 600 professionnels pour 2 200 volontaires. Il s'agit d'hommes et de femmes qui, en dehors de leurs heures de travail, viennent au secours des personnes et acceptent de suivre des formations contraignantes.
Le schéma départemental d'analyse et de couverture des risques (Sdacr) impose diverses contraintes : ainsi, si les pompiers n'interviennent pas dans un délai minimum, les victimes peuvent porter plainte. Toutes ces missions ont un coût que je ne retrouve pas ici.
Le Sénat propose d'aider les employeurs qui recrutent des sapeurs-pompiers volontaires : 3 000 euros d'abattement de charges sociales par sapeur-pompier et jusqu'à 15 000 euros par entreprise. Il faut voter cette disposition : le volontariat risque sinon de disparaître à moyen terme, même si les médias leur rendent régulièrement hommage.
Je salue votre investissement personnel, madame Troendlé. En Gironde, les syndicats reconnaissent votre engagement et ils vous en sont reconnaissants. Ce budget n'est pas de nature à calmer leurs inquiétudes.
En outre, les pompiers sont de plus en plus souvent pris à partie dans les zones de non-droit, et nous ne parvenons pas à sécuriser leurs interventions.
Je regrette aussi le peu de cas qu'on leur témoigne quand des décrets d'application ne sont pas publiés...
Ce budget est en trompe l'oeil et masque mal les transferts de charges, technique que le Gouvernement utilise désormais systématiquement. C'est un mauvais signe que l'on envoie à nos « gilets rouges ».
Au nom des sapeurs-pompiers volontaires de mon département, je voudrais remercier le Sénat et particulièrement notre collègue Catherine Troendlé pour leur soutien.
Être sapeur-pompier volontaire, cela témoigne d'un engagement remarquable et exceptionnel. En outre, il s'agit d'un modèle économique pertinent, d'autant que les sapeurs-pompiers volontaires ont un excellent niveau.
L'augmentation des secours à personnes est sans doute liée à la désertification médicale et au maintien à domicile des personnes âgées. Quand Mme Buzyn nous présentera ses propositions sur l'organisation territoriale des services de santé, elle devra se rapprocher des départements pour ne pas tacitement leur déléguer une partie des compétences régaliennes de l'État.
Merci à Mme Troendlé d'être venue en Polynésie française et à la commission des lois de relayer les problèmes que nous rencontrons dans les outre-mer. Quand on entend la description des problèmes que vous rencontrez en métropole, imaginez ceux que nous affrontons chez nous !
En Polynésie française, tous les pompiers sont des agents communaux, hormis ceux de l'aéroport Fa'a'â, soumis à l'autorité d'un fonctionnaire parisien. Les formations des pompiers sont donc à la charge des communes, tout comme les dépenses d'équipement, alors qu'il s'agit d'une compétence de l'État. Comme ce dernier n'arrive plus à faire face à ses obligations, il transfère totalement cette compétence aux collectivités territoriales.
L'année dernière, je suis intervenue de façon assez offensive sur le budget du Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT) car chaque année les SDIS versaient des cotisations élevées pour la formation des sapeurs-pompiers. Le ministère a eu beaucoup de mal à savoir comment étaient utilisés ces crédits : j'y suis parvenue, et je me suis rendu compte que chaque année, un reliquat de 2 millions d'euros versé par les SDIS n'était pas utilisé. Nous avons obtenu que les SDIS ne versent pas de surcotisation pour la formation des officiers de sapeurs-pompiers professionnels en 2018. En 2019, les cotisations seront rétablies mais elles n'augmenteront pas.
Antarès a siphonné tous les fonds d'aide à l'investissement, monsieur Collombat. Quand j'ai commencé à m'intéresser à ce budget, 45 millions d'euros étaient destinés aux investissements locaux. Petit à petit, Antarès a tout utilisé ; son retard de mise en oeuvre est estimé à deux années et on nous parle déjà de son obsolescence... Aujourd'hui, notre flotte compte 35 hélicoptères, mais je ne peux vous en annoncer de nouveau, monsieur Collombat.
M. Fichet a raison de défendre le volontariat : au sein du CNSPV, j'ai mis en place un « Copil » qui se réunit une fois par mois et qui examine la mise en oeuvre des 37 mesures retenues par l'État en faveur du volontariat. J'ai souhaité que les représentants des employeurs soient intégrés au CNSPV : j'attends le décret qui le confirmera. Je vous tiendrai au courant de l'évolution de nos travaux.
Je partage les préoccupations de M. Détraigne sur les prélèvements obligatoires.
Enfin, je suis toute prête à répondre à l'invitation de M. Mohamed Soilihi.
J'adresse toutes mes félicitations à notre rapporteur pour l'excellence de ses travaux, pour sa vigilance et pour sa combativité, car il en faut. Le groupe UC suivra ses recommandations.
La question posée par M. Détraigne est métaphysiquement intéressante mais elle l'est moins sur le plan pratique. C'est aller vite en besogne que de dire que les pays étrangers sont meilleurs que nous : voyez l'Espagne et le Portugal confrontés aux incendies, l'Italie avec ses pluies diluviennes et les tremblements de terre, sans même évoquer les incendies catastrophiques en Californie. Les pays étrangers ne s'en sortent pas si bien et envient le système français.
En outre, le rôle des pompiers ne se limite pas à lutter contre les incendies : il y a le secours à personne, mais aussi une dimension sociale, alors que dans beaucoup de pays, le rôle des pompiers est bien plus délimité. Les SDIS coûtent cher, mais leurs missions sont larges, ne l'oublions pas ! En outre, qui paye ? L'impôt, certes, mais aussi les assurances et diverses taxes... Arrêtons avec les critiques sur les prélèvements obligatoires ! Quelle différence si l'on paye comme consommateur ou comme contribuable ? Il faudrait surtout savoir si notre système est plus égalitaire que dans d'autres pays.
La commission émet un avis défavorable à l'adoption des crédits du programme « Sécurité civile » de la mission « Sécurités ».
La réunion est close à 12 h 05.