La réunion est ouverte à 13 h 45.
Nous recevons MM. Roger Genet, directeur général de la recherche et de l'innovation (DGRI), François Jamet, chef du service des entreprises, du transfert de technologie et de l'action régionale et Mme Frédérique Sachwald, adjointe au chef du service de l'innovation, du transfert de technologie et de l'action régionale au ministère de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. Une commission d'enquête fait l'objet d'un encadrement juridique strict. Je vous informe qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13 à 434-15 du code pénal.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. Roger Genet, François Jamet et Mme Frédérique Sachwald prêtent serment.
Face à l'inflation de la dépense fiscale liée au crédit d'impôt recherche, notre commission d'enquête cherche à évaluer si ce dispositif atteint ses objectifs, ou s'il faut le revoir. Votre direction générale est en première ligne. Vous nous indiquerez si ce dispositif est utile. Vous nous préciserez comment est organisé le contrôle scientifique. Les contrôleurs de Bercy n'ont pas la compétence pour juger de l'intérêt scientifique des projets. Enfin, vous nous parlerez de l'effet du CIR sur les transferts des technologies entre les filiales d'un groupe.
Je suis honoré de vous présenter le dispositif du crédit impôt recherche. Scientifique de formation, je dirige la DGRI depuis trois ans. Je suis accompagné de M. Jamet, issu du monde de l'industrie, puisqu'il a longtemps dirigé la valorisation d'une grande société du numérique et de Mme Sachwald, économètre, impliquée dans l'évaluation et la conception même du CIR.
Je précise d'emblée que je suis convaincu que le CIR, renforcé depuis 2008, est utile et efficace. Cette incitation fiscale aux activités de recherche et développement (R&D) des entreprises est étroitement liée au développement de la recherche publique en France. Les scientifiques que nous formons dans nos laboratoires ont vocation, en effet, à irriguer tous les secteurs d'activité, publics comme privés, y compris la haute administration. Tel est l'esprit de la loi du 22 juillet 2013. Tel est l'objectif de l'action du Gouvernement, à travers les conventions industrielles de formation par la recherche (CIFRE) par exemple. En soutenant l'industrie, nous offrons des débouchés à nos chercheurs. Le soutien à l'industrie est un volet du financement des laboratoires publics. Si nous chercheurs ne trouvent pas leur place en entreprise nous aurons manqué notre mission.
Le premier objectif est d'accroître la recherche des entreprises. La recherche a des conséquences positives pour les entreprises, en favorisant l'innovation et les gains de productivité. Au niveau macroéconomique, elle a un impact positif sur la croissance et l'emploi. La recherche publique en bénéficie aussi, grâce aux postes de chercheurs en entreprises créés et aux contrats pour les laboratoires publics. Outre les gains directs qu'elle procure aux entreprises, la recherche privée est source de gains indirects, liés aux externalités. L'innovation se diffuse dans le tissu économique, grâce aux spin-off par exemple. Les analyses empiriques montrent que le rendement social des dépenses de recherche est supérieur au rendement privé pour les entreprises. Or, dans notre pays, les entreprises tendent à sous-investir dans la recherche et le développement. Le CIR, à la différence du crédit d'impôt innovation, les incite directement à investir en ce domaine.
Tous les pays performants en matière de recherche et développement conjuguent aide à la recherche publique et aide à la recherche des entreprises. Historiquement, en France, la majeure partie des aides a été constituée de subventions. Notre rapport Développement et impact du CIR entre 1983 et 2011, publié en avril 2014, montre qu'en 2014 l'ensemble de notre aide à la R&D, CIR et subventions confondus, représentait 0,37 % du PIB, soit un niveau comparable à celui des années 1990. Ainsi, après une baisse des aides dans les années 2000, due à leur réduction dans le secteur de la défense, le niveau de l'aide tend simplement à retrouver son niveau des années 1990. Il ne s'agit donc pas d'une explosion des crédits en faveur de la recherche, comme on le lit parfois dans la presse...Toutefois, il y a eu un basculement des aides directes vers les aides indirectes, et le CIR est devenu le principal instrument de cette politique.
Toutes les entreprises qui font de la recherche et développement, quelle que soit leur taille, sont éligibles au CIR. Le renforcement du CIR a été très attractif : plus de 20 000 entreprises déclarantes en 2012, contre 5 800 en 2003, dont 11 600 PME. Il bénéficie davantage aux PME que les autres aides aux objectifs très ciblés, telles que les aides en faveur des jeunes entreprises innovantes, du financement de la recherche collaborative, ou les crédits d'aide à l'innovation de la Banque publique d'investissement (BPI). Toutefois, le CIR peut s'ajouter à ces aides. Ainsi, les PME bénéficient d'un taux de financement public de leurs dépenses de R&D de 48 %, supérieur à celui des grandes entreprises, de 23 %, même si les volumes versés à ces dernières sont plus importants, car elles représentent plus de 60 % des dépenses totales, soit 29 milliards d'euros en 2012. Avec 843 millions d'euros perçus au titre du CIR, l'industrie électrique et électronique reste le premier secteur bénéficiaire, devant le conseil et l'assistance informatique (633 millions d'euros), puis la pharmacie et la parfumerie (plus de 500 millions d'euros), l'architecture et l'ingénierie (quelque 230 millions d'euros). Cette répartition est due à l'entrée de nombreuses PME du numérique et du secteur de l'ingénierie depuis 2008, qui travaillent d'ailleurs souvent pour les industries manufacturières.
Pour évaluer les effets du CIR, nous avons constitué des groupes de recherche et d'économètres qui se sont inspirés des bonnes pratiques en matière d'évaluation des politiques publiques. La commission nationale d'évaluation des politiques d'innovation (CNEPI), mise en place par le Gouvernement il y a quelques mois, sera aussi saisie. Elle est présidée par M. Pisani-Ferry et Mme Frédérique Sachwald y participe. Le but consistait, comme pour toute étude d'impact, à établir un point de comparaison. Le ministère a d'abord cherché à prendre en compte l'impact de la désindustrialisation sur les dépenses de recherche et développement, en mesurant l'intensité de la recherche et développement en fonction du PIB. Ensuite, il a demandé à des chercheurs d'isoler, par des analyses économétriques, l'effet du CIR des autres politiques publiques.
Ces travaux montrent l'effet incitatif du CIR : lorsqu'une entreprise perçoit un euro au titre du CIR, elle dépense un euro en plus pour le R&D. Il s'agit bien d'un effet additif, et non d'un effet d'aubaine. En outre, cet impact se serait renforcé depuis 2004. Depuis 2008, les entreprises ont intensifié leurs dépenses de recherche et développement dans de nombreux secteurs. Au niveau national, l'intensité en recherche et développement a augmenté, en dépit de la désindustrialisation, pour atteindre 1,44 % du PIB en 2012, soit le haut niveau historique. De surcroît, le CIR se conjugue avec les autres mécanismes en faveur de l'innovation : pôles de compétitivité, instituts Carnot, jeunes entreprises innovantes (JEI). En conséquence, le nombre de chercheurs employés en entreprise s'est accru, de 125 000 en 2007 à plus de 160 000 en 2012, selon une pente croissante. De même, le CIR s'accompagne d'un développement de la recherche partenariale. Le montant des contrats pour les laboratoires publics est passé de 220 millions d'euros en 2008 à 450 millions d'euros en 2012. L'évaluation du CIR sera au programme de la CNEPI en 2015. D'autres travaux sont en cours pour mesurer l'impact sur le recrutement de chercheurs en CDI ou pour comparer le CICE et le CIR. Bref, un ensemble d'études nous permet de mieux évaluer l'efficacité de ces quelque 5,3 milliards d'euros de dépense fiscale.
L'objectif de notre commission d'enquête est de parvenir à un diagnostic partagé. La France figure au premier plan pour ses aides publiques à la recherche privée. Il est logique de s'interroger sur leur efficacité. Leur multiplicité, d'ailleurs, n'est-elle pas une source de confusion et de segmentation ? Comment s'articulent les contrôles entre votre ministère et Bercy ? Quel est le profil des experts ? Comment sont-ils formés ? Il semble délicat de distinguer ce qui relève véritablement de la recherche et développement du reste. Le contrôle est-il une priorité ou s'inscrit-il dans un contrôle global ? 5,3 milliards d'euros dépensés au titre du CIR, pourtant, ce n'est pas rien... Les PME en bénéficient. Quelle est la politique des grands groupes fiscalement intégrés et de leurs filiales ? Le contrôle sur pièces est-il suffisant ? Ne faut-il pas privilégier les contrôles directs et les échanges physiques ? Un guide existe, mais la formation est-elle suffisante ? Que penser du rescrit qui suscite les craintes des entreprises ?
L'aide publique à la R&D privée a retrouvé son niveau des années 1990. Quelle était sa structure alors ? Je suis dubitative sur l'efficacité de la réforme de 2008. En asseyant les aides sur le volume des dépenses, et non sur leur augmentation d'une année sur l'autre, ne laisse-t-on pas le marché nous dicter ses choix en matière de recherche ? Selon vous l'industrie en bénéficie. Tant mieux ! Mais comment expliquer nos difficultés à relancer une politique industrielle ambitieuse ?
L'aide publique à la R&D constitue un élément de la stratégie industrielle de la France. Les études économétriques indiquent que si notre structure industrielle était identique à celle de l'Allemagne, nous obtiendrions un meilleur rendement que celui de notre voisin.
Nous notons des signes encourageants du côté des entreprises à risque. Un tissu de jeunes entreprises innovantes émerge. Favoriser les ruptures en termes d'innovation, de produits ou de marchés constitue une source d'attractivité et de compétitivité pour la France. Le CIR a cette vocation. En 1993, le CIR représentait 0,07 % du PIB et les aides directes à l'innovation 0,25%. En 2012, les aides directes représentaient 0,12 % et le CIR, réformé en 2003 et 2008, 0,25%. Notre système d'aide à la R&D et à l'innovation était faible dans les années 1990. La France a développé depuis toute une panoplie d'aides. A-t-on fait au mieux ? Fallait-il créer 72 pôles de compétitivité ou concentrer le dispositif sur une quinzaine de pôles ? Le statut des JEI est un succès. On a travaillé au rapprochement de la sphère publique et de la sphère privée, on a créé des laboratoires communs. On intervient sur toute la chaine de l'innovation, depuis le stade du concept en laboratoire jusqu'au transfert à l'industrie. C'est la fonction du programme des sociétés d'accélération des transferts de technologies, doté d'un milliard d'euros dans le cadre des investissements d'avenir. On a créé un arsenal d'aides directes ou indirectes aux entreprises. Elles ne sont pas redondantes, mais il faut sans doute améliorer leur articulation pour qu'elles fassent système. Nous avons cherché à combler les trous pour viser tous les types d'entreprises. Ainsi, avec le Commissariat à l'énergie atomique (CEA), nous avons mis sur pied des plateformes de transfert de technologie régionale, CEA Tech, pour mettre à disposition des entreprises privées le résultat de la recherche publique afin qu'elles s'en emparent, rôle que ne jouent pas les incubateurs.
Nous avons besoin d'éléments chiffrés. Il y a des divergences sur ce qu'il faut prendre en compte. Sur quels indicateurs vous appuyez-vous ? Vous avez mentionné des études empiriques, quelles études empiriques ?
La R§D a un sens, l'innovation a un sens. Innover, c'est lever des verrous technologiques et faire progresser l'art. Tel doit être l'objet du CIR. Vous nous avez décrit comment des innovations étaient transformées dans des entreprises. Il s'agit dès lors de production. On quitte le champ du CIR. Les équipes de contrôle manquent d'experts scientifiques. Les experts financiers sont compétents pour vérifier les comptes mais non pour apprécier la réalité des innovations technologiques. Avez-vous assez d'experts scientifiques pour compléter les binômes de contrôle ?
Les contrats entre des entreprises privées et des laboratoires publics existaient-ils en 1990 ? Ils sont passés entre 2008 et 2012 de 200 millions à 450 millions d'euros, avez-vous dit. Quel a été le développement de ces entreprises innovantes ? Sénateur de Grenoble, je suis très attentif au développement des jeunes pousses, issues du CEA en particulier. En outre, dans les laboratoires publics, on se préoccupe peu de l'apport des brevets. Or il faut penser le lien entre la recherche fondamentale, le dépôt des brevets et l'exploitation commerciale. Nous devons avoir une approche globale, liant recherche fondamentale et recherche appliquée.
Je souhaiterais obtenir des chiffres précis. Voilà trois ans que je les cherche en vain... Le CIR a été profondément modifié en 2008. Combien d'experts, au ministère de la recherche, étaient-ils chargés de l'évaluation du CIR en 2007, lorsque son enveloppe s'élevait à 1,7 milliard d'euros ? Combien sont-ils aujourd'hui, alors que son coût atteint 5,3 milliards ? Le montant de la ligne budgétaire allouée pour les financer a-t-il augmenté ?
Comme rapporteur spécial de la commission des finances, j'ai pris connaissance de la liste des 25 plus grands bénéficiaires du CIR en 2009. Parmi eux figurait un groupe du secteur banque et assurance, alors que celui-ci ne bénéficie que de 1,7 % de l'enveloppe totale du CIR. A ce groupe étaient rattachées trois sociétés en nom collectif, distinctes d'un point de vue fiscal en dépit de liens très étroits...Le montant de CIR était presque identique au montant de la dépense de R&D ! J'ai d'abord cru à une erreur, mais il n'y en avait pas... Est-ce un cas fréquent ?
Vous avez indiqué qu'un euro versé au titre du CIR suscitait 1,08 euros de dépense de recherche supplémentaire. Or l'observatoire du CIR, organisme privé, avance le chiffre de 1,5 euros. Comment expliquer cette différence ?
Pourquoi ne pas réserver le CIR aux seuls grands groupes qui ont signé des conventions d'intégration fiscale garantissant le retour du CIR aux filiales ? Certains le font, d'autres pas.
Enfin, les plus-values de cessions de brevets sont taxées au taux réduit de 15 %, au lieu du taux de droit commun de 33,33 %. La dépense fiscale correspondante s'élève à environ 500 millions d'euros. Or peu d'entreprises en bénéficient et 90 % du montant de l'enveloppe est versé à une seule entreprise...
J'entends l'écho d'amendements précédemment présentés en commission des finances et que nous n'avons pas adoptés...
11 600 PME touchent des crédits au titre du CIR. Mais quels sont leurs effets sur la production en France ? On contribue à faire émerger des start-up qui se font acheter par des fonds étrangers. La production comme le développement s'en vont, sans retour en investissements en France.
Pourrez-vous nous transmettre vos documents ? J'appelle votre attention sur le questionnaire que nous vous avons adressé et vous pose une dernière question : l'inspection générale des finances a fait état de conflits d'intérêts. Subsistent-ils ? Ont-ils été réglés ?
C'est une question qu'il faudra poser aux représentants du ministère des finances.
Je vous transmettrai nos trois notes sur la présentation du CIR, l'évaluation et le pilotage par le ministère de la recherche, et le rôle du ministère dans la gestion de la recherche.
L'innovation va de la recherche fondamentale jusqu'à la conception de nouveaux produits. Il n'est pas aisé d'en donner une définition restrictive. C'est pourquoi les ministères de la recherche et de l'industrie l'ont tous deux dans leur intitulé. Il n'y a là nulle redondance. Le CIR vise la partie R&D, de même que le CICE vise l'innovation en entreprise. Le CIR favorise les innovations de rupture, essentielles à l'émergence de start-up innovantes et en croissance, embryons des grands groupes de demain, à l'image de cette start-up qui vient de lever 100 millions en bourse.
En 2005, les dépenses externalisées des entreprises à des laboratoires publics s'élevaient à 100 millions d'euros, contre 450 millions d'euros aujourd'hui. On avait déjà recours à des financements externes en 1990, mais le système a pris une autre envergure, mêlant désormais crédits publics, européens, et industriels. Le CIR a favorisé la recherche partenariale.
Environ 30 % des crédits alloués au titre du CIR vont à des entreprises de plus de 5 000 salariés, un tiers au entreprises ayant entre 250 et 5000 salariés, et un petit tiers au entreprises de un à 249 salariés. Les PME en bénéficient pleinement. Les sommes qu'elles reçoivent en moyenne sont moins élevées car l'intensité de la recherche est moindre.
Il est très difficile d'isoler l'impact du CIR sur la valeur, l'emploi, les marchés, parmi les autres mécanismes des politiques publiques, de même qu'il sera compliqué de déterminer l'effet du programme d'investissements d'avenir. C'est pourquoi nous avons recours à des chercheurs spécialisés en matière d'évaluation des politiques publiques. Nous avons créé deux commissions : le CNEPI, présidée par le président de France-Stratégie et un comité, que je co-préside avec le directeur général des entreprises, qui réunit toutes les administrations pour coordonner les politiques d'innovation. Notre idée est de lancer un appel d'offres pour que des équipes de recherche se structurent et travaillent de façon plus concertée sur l'évaluation des politiques publiques, dont le CIR.
Enfin, le ministère a renforcé sa politique et ses moyens de contrôle. Tout contrôle s'accompagne d'un contact direct avec les entreprises. Toute entreprise qui dépose un recours est reçue. Nous renforçons notre réseau d'experts. Les rôles sont clairement séparés entre Bercy et nous. Ainsi, je n'ai accès à aucune donnée fiscale traitée par les inspecteurs du ministère des finances car elles sont couvertes par le secret fiscal. Les experts qui contrôlent ne sont pas les mêmes de ceux qui interviennent pour le soutien et l'accompagnement des entreprises. Les experts sont indemnisés pour chaque contrôle. Ils sont diligentés soit par la DGRI soit par les délégations régionales à la recherche et à la technologie (DRRT). Nous mobilisons 680 experts et quatre experts référents au niveau national. Ils étaient moins de 300 en 2007. Ils rendent entre 1500 et 2500 avis par an, dont moins d'un dixième sont totalement négatifs. Nous organisons des sessions de formation en région, conjointes avec les représentants des services fiscaux, pour tous les experts que nous mobilisons. Tous nos délégués régionaux à la recherche et à la technologie ont également été formés. Nous faisons appel à des scientifiques, non à des technocrates, comme certains l'ont prétendu lors d'un colloque ici même.
Nous avons aussi signé un protocole avec la direction générale des finances publiques (DGFiP) en 2014, pour diffuser les bonnes pratiques de coopération en matière de contrôle, préciser le partage du travail entre nos deux ministères, et obtenir des dossiers techniques plus complets des entreprises. Les difficultés, d'ailleurs, sont souvent dues aux dossiers techniques incomplets, non pas tant dans les secteurs intensifs en R&D, que dans ceux où la recherche est une notion plus vague à cerner car moins répandue : un boulanger qui développe des pains spéciaux est-il fondé à réclamer le concours du CIR ? La question n'est pas théorique ! Il n'est pas toujours simple de déterminer si telle ou telle activité relève ou non de la recherche, ni de donner la définition précise, bornée, d'une « activité caractérisée de recherche ». Enfin, un groupe de travail a été lancé à la demande des entreprises du numérique pour améliorer le caractère pédagogique du dossier déclaratif.
chef du service des entreprises, du transfert de technologie et de l'action régionale au ministère de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. - Nous recourons à 680 experts, leur nombre a fortement augmenté depuis quelques années. Nous les gérons de manière nationale afin de déterminer les experts les plus compétents en fonction des missions et pour prévenir les conflits d'intérêts. Nous veillons à ne pas choisir un expert issu d'un organisme de recherche qui aurait la moindre relation avec l'entreprise contrôlée. En cas de doute, nous n'hésitons pas à déclencher une deuxième expertise. Avant chaque mission, les experts doivent aussi signer un document dans lequel ils s'engagent à ne pas être en situation de conflits d'intérêts avec l'entreprise qu'ils contrôlent.
Le CIR joue un rôle important pour favoriser les transferts de technologie aux côtés d'autres dispositifs comme les instituts Carnot ou les plateformes technologiques du CEA (Commissariat à l'énergie atomique). Une entreprise bénéficiera d'un taux de CIR doublé si elle contracte avec l'institut Carnot par exemple. J'ai travaillé au CEA de Grenoble. J'ai constaté l'efficacité du CIR qui fournit un levier important. Grâce à lui, des opérations se font qui n'auraient pas vu le jour sinon.
Des sanctions ont-elles été prononcées après qu'ont été constatés des conflits d'intérêts ?
chef du département des politiques d'incitation à la recherche et développement des entreprises, au ministère de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. - Vous faites référence au rapport de l'IGF de 2010. Certains experts mélangeaient leurs fonctions d'experts et de chercheurs, pour placer un étudiant en stage par exemple. Nous avons depuis renforcé la formation des experts et la prévention, pour éviter que de telles situations se reproduisent.
Les entreprises connaissent le nom de l'expert. Il leur est facile d'aller sur Internet pour se renseigner sur son passé et de demander un changement. En cas de doute, nous diligentons une deuxième expertise. En trois ans toutefois, je n'ai jamais vu d'entreprise se plaindre a posteriori d'un conflit d'intérêts. Nos experts effectuent des vacations. Ils sont indépendants. Si l'un d'entre eux se trouvait confronté à un conflit d'intérêts, sa responsabilité personnelle serait engagée au pénal. La seule sanction aux mains du ministère serait de le rayer de sa liste.
Je vous remercie. Au moment où nous examinons la loi de transition énergétique en séance publique, j'espère que la recherche trouvera une solution de stockage de l'électricité ! Ce serait une avancée majeure, qui convaincrait peut-être notre rapporteure de l'utilité du CIR...
Je vous remercie. À notre avis, il s'agit d'un mécanisme important. Nous n'avons pas constaté de détournement du CIR.
Nous vous entendons. Notre commission réunit des représentants de tous les groupes politiques et s'efforcera de mener un travail objectif.
La réunion est suspendue à 14 h 55.
La réunion est reprise à 16 h 15.
Nous accueillons aujourd'hui M. Bruno Mauchauffée, sous-directeur de la fiscalité directe des entreprises à la direction de la législation fiscale, accompagné de M. Sylvain Bergamini, chef de section au bureau B2, c'est-à-dire le bureau chargé des exonérations de la fiscalité directe des entreprises.
Messieurs, je vous rappelle, que, conformément aux termes de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, votre audition doit se tenir sous serment et que tout faux témoignage est passible des peines prévues aux articles 434-13 à 434-15 du code pénal.
En conséquence, je vais vous demander de prêter serment, de dire toute la vérité, rien que la vérité.
Levez la main droite et dites : « Je le jure. »
(M. Bruno Mauchauffée et M. Sylvain Bergamini prêtent successivement serment.)
Votre position administrative me laisse penser que vous êtes certainement au fait des enjeux liés au crédit d'impôt recherche (CIR). Cette commission d'enquête vise précisément à essayer de comprendre si les moyens mobilisés par le crédit d'impôt recherche ont des résultats concrets et mesurables. Mme Brigitte Gonthier-Maurin, la rapporteure, rédige le rapport et anime, par ses questions, nos auditions. La composition de la commission reflète la diversité des groupes politiques du Sénat, ce qui devrait nous permettre - du moins, nous l'espérons - de produire un rapport d'une certaine objectivité.
Notre but commun est de faire en sorte que l'argent public soit utilisé au mieux. Quelques problèmes ont été identifiés par la commission. Mais avant de les aborder, je vous propose de nous expliquer le rôle exact joué par vos services dans la mise en oeuvre du CIR.
Nous sommes capables, sur la base des constatations faites soit par les services de la DGFIP lors des contrôles, soit par ceux du ministère de la recherche, de détecter d'éventuelles malfaçons dans le dispositif juridique, c'est-à-dire d'identifier les difficultés dans le texte en vigueur. En revanche, ce ne sont pas nos services qui sont chargés des contrôles.
Je vous prie de nous expliquer, librement, quelles sont les difficultés qui vous semblent exister dans le dispositif du CIR sous sa forme actuelle et de nous faire part d'éventuelles améliorations à lui apporter. Les sénateurs de la commission vous poseront ensuite quelques questions.
Il faut d'abord commencer par rappeler les objectifs de la réforme menée en 2007 et de laquelle résulte le dispositif tel qu'il existe aujourd'hui.
Cette réforme a été motivée par un double constat. Ce sont d'abord des considérations d'efficacité économique qui ont conduit à constater l'opportunité d'une évolution du dispositif. En effet, le CIR reposait alors sur l'accroissement des dépenses de recherche des entreprises. Cette assiette peut sembler logique, mais provoque des effets inefficaces : elle crée une incitation pour les entreprises à des fluctuations dans l'effort de recherche et développement. Des études de la direction générale du trésor permettent d'affirmer qu'il est plus efficace de faire reposer le crédit d'impôt sur la totalité de la dépense : c'est bien le volume entier des dépenses qui bénéficie à l'économie, et non seulement l'accroissement annuel de cet effort. Ces constatations étaient également reprises par les travaux de l'OCDE, qui constatait le retard de la France en matière de recherche, en particulier du point de vue des dépenses engagées par les entreprises, ne nous permettant ainsi pas d'atteindre la cible de 3 % du PIB (qui du reste n'est pas encore atteinte aujourd'hui).
Le deuxième constat, davantage porté par les services fiscaux, était celui de la complexité du dispositif : la prise en compte de l'accroissement des dépenses impliquait, en théorie, de calculer des crédits d'impôt négatifs lorsque les dépenses de recherche des entreprises baissaient.
Nous avons donc supprimé la part en accroissement, au profit d'un recentrage de l'ensemble du dispositif sur le volume des dépenses, avec au passage un renforcement assez substantiel du taux qui est passé à 30 %. La définition de ce qui constitue des dépenses de recherche et développement, en d'autres termes la délimitation de l'assiette, n'a pas évolué. Cette définition correspond aux définitions reconnues au niveau de l'OCDE dans le manuel dit « de Frascati ». L'essentiel de la réforme de 2007, qui a constitué une grande simplification, a donc résidé dans la suppression de la part en accroissement et dans l'augmentation du taux.
Veuillez m'excuser de vous interrompre, mais une première question me vient à l'esprit : quand vous dites « nous », à qui faites-vous référence exactement ? Quels ont été les acteurs impliqués dans la réforme et quelles demandes respectives ont-ils formulé ? Qui a pris l'initiative de la réforme ?
Il s'agit de plusieurs directions de Bercy, à savoir la direction générale du trésor d'une part, sur la base de ses analyses économiques, et la direction de la législation fiscale d'autre part, à partir notamment d'un rapport de la Cour des comptes - qui était à l'époque un pré-rapport, si mes souvenirs sont bons - qui constatait que le dispositif n'était pas satisfaisant en l'état. Nous avions alors proposé au cabinet de la ministre, Mme Christine Lagarde, différents schémas de réforme du dispositif. Une impulsion était également venue du Président de la République, qui avait annoncé une réforme du CIR sans en préciser tous les paramètres.
Le bilan de cette réforme se trouve essentiellement dans les documents d'évaluation qui sont produits chaque année par le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche.
Ces documents permettent de constate que le nombre de bénéficiaires a, depuis la réforme, plus que doublé : 20 000 entreprises sont concernées avec un nombre de nouveaux entrants extrêmement élevé, en particulier pour les petites et moyennes entreprises (PME), qui représentent - en nombre d'entreprises - plus de 80 % des bénéficiaires du CIR.
Les documents produits par le ministère de la recherche, qui se fondent sur les déclarations de CIR des entreprises, donnent également des indications sur le nombre d'emplois de chercheurs qui ont été créés depuis la réforme et sur les embauches des jeunes docteurs, ainsi que sur la répartition sectorielle des bénéficiaires.
Est-il possible de disposer d'éléments précis sur l'évolution de l'emploi des chercheurs ?
Oui. Les dernières données fiables, qui datent de 2012, font état de 247 000 chercheurs en 2012 contre 216 000 chercheurs en 2007. Par ailleurs, l'OCDE, dans son rapport sur l'innovation, considère que le crédit d'impôt recherche a probablement contribué au maintien, dans un contexte de crise assez important, d'un effort de recherche important de la part des entreprises, et a évité la disparition d'un certain nombre d'entreprises intensives en recherche et développement.
Le CIR a été remanié de façon significative en dernier lieu en 2011, pour des motifs essentiellement budgétaires. Le taux majoré, s'appliquant jusqu'alors aux entreprises entrant pour la première fois dans le dispositif et qui s'élevait à 50 %, a été supprimé. La prise en charge des frais de personnel, calculée sous forme de forfait, a été ramenée de 75 % à 50 %, avec, ce qui se lit très nettement dans les débats parlementaires relatifs au projet de loi de finances, l'objectif de rééquilibrer le dispositif en faveur de l'industrie par rapport au secteur des services : en effet, l'intensité en main-d'oeuvre de la recherche et développement est moindre dans l'industrie que dans le secteur tertiaire, et la part de l'amortissement des investissements est plus importante. Enfin, un dispositif anti-abus a été mis en place : les dépenses engagées pour acheter des prestations de conseil extérieures en vue de l'obtention du CIR ont été exclues de l'assiette du crédit d'impôt et doivent en être déduites, puisqu'on considérait qu'il y avait une forme de captation du crédit d'impôt par des officines de conseil.
Les priorités aujourd'hui, du point de vue de nos services, s'inscrivent d'abord dans un cadre général, dessiné par le Président de la République, qui est celui de la stabilité du CIR. Il s'agit de d'inciter au développement d'investissements de recherche, ce qui nécessite que les entreprises bénéficient d'un minimum de visibilité et que le CIR s'inscrive dans la durée. C'est encore plus vrai lorsqu'il s'agit d'attirer en France des investissements qui viennent de l'étranger. L'action de la direction de la législation fiscale a donc d'abord pour but aujourd'hui d'accroître la sécurité juridique du dispositif pour les entreprises.
Un pas important dans cette direction a été fait en 2012, avec la publication d'une instruction fiscale sur le périmètre des dépenses de recherche et développement, à partir du manuel de Frascati, décliné comme un mode d'emploi. Cette instruction a été écrite en collaboration avec le ministère de la recherche et des représentants du monde de l'entreprise. Le même travail est en cours actuellement au ministère de la recherche pour davantage cerner la définition des dépenses de personnel : une fois le principe énoncé, la mise en oeuvre concrète s'avère parfois complexe pour les entreprises. Enfin, un troisième axe de travail, mais qui ne concerne pas au premier chef la direction de la législation fiscale, concerne le développement du système des rescrits, qui fonctionne assez mal aujourd'hui. Afin de sécuriser le dispositif pour les entreprises, la direction générale des finances publiques cherche en effet à développer un rescrit qui porterait sur les montants de CIR pouvant être alloués, et non seulement sur l'éligibilité des dépenses engagées par l'entreprise.
Merci, M. le Président. Il existe un principe de lisibilité de la législation fiscale. Des orientations moins formelles, et néanmoins importantes, insistent sur son applicabilité équitable et sa vérifiabilité par le contrôle fiscal. Estimez-vous que le CIR respecte réellement tous ces principes ? Quel est le taux d'accidentologie du dispositif en termes de contentieux et d'écart entre les bénéficiaires potentiels et effectifs notamment ?
Pouvez-vous nous apporter quelques précisions sur les risques encourus par le CIR au regard des règles européennes sur les aides d'État et sur les pratiques de concurrence fiscale dommageable ?
Pouvez-vous nous apporter des précisions sur les règles applicables lorsque le contribuable qui prétend au bénéfice du CIR fait valoir des dépenses effectuées par des tiers, en distinguant selon les situations de ceux-ci par rapport à ce contribuable ?
Avez-vous été sollicité pour explorer des réformes du CIR dans le contexte d'ajustement budgétaire extrêmement exigeant mis en oeuvre ou le dispositif a-t-il été d'emblée sanctuarisé ? Je crois comprendre que l'orientation actuelle est celle de la « sanctuarisation » du CIR, vous nous éclairerez sur ce point.
Considérez-vous que l'absence de neutralité du CIR sur l'organisation de la recherche dans les grands groupes est conforme à l'esprit de la loi, ou qu'elle devrait, au contraire, être vue dans ses effets pratiques comme une fraude à la loi ?
Pensez-vous qu'il serait possible de mieux réguler l'intervention des intermédiaires qui offrent des services de gestion du CIR - par exemple en prévoyant l'engagement de leur responsabilité auprès de leurs clients ?
N'y a-t-il pas un risque de confusion entre les rescrits CIR et le rescrit fiscal général ?
Avez-vous déjà réalisé des calculs sur le niveau de salaire des chercheurs demeurant à la charge des entreprises une fois toutes les exonérations et le CIR défalqués du salaire brut ?
Estimez-vous qu'une initiative visant à encadrer la concurrence fiscale européenne, voire mondiale, pour attirer des centres de recherche devrait être prise ? Le ministère des finances en a-t-il préparé une ? Existe-t-il des cas où des conventions fiscales bilatérales offrent des solutions remarquables au regard des problèmes de cohérence entre législations fiscales des investissements en recherche et développement, et au regard de la fiscalité des redevances ou royalties ?
Je vous prie de bien vouloir répondre, M. Mauchauffée, à cette première série de questions.
Questions couvrant un champ très vaste, à n'en pas douter.
Concernant la lisibilité du dispositif, la réforme de 2007 a créé un crédit d'impôt très simple. La difficulté du dispositif réside essentiellement dans la définition du périmètre des dépenses retenues comme base de calcul du crédit d'impôt recherche, c'est-à-dire de ce qui est défini comme étant des dépenses de recherche et développement. La définition per se ne relève pas de l'administration mais du manuel de Frascati élaboré dans le cadre de l'OCDE. Sa mise en oeuvre effective demande cependant d'être en mesure d'assurer a priori les entreprises sur la nature des dépenses qu'elles engagent, afin d'éviter d'aller ensuite au contentieux. Pour cette raison, les dispositifs de rescrit ont été développés depuis 2007 ; au-delà du ministère de la recherche, les entreprises ont aussi la possibilité de saisir la Banque publique d'investissement (BPI) et l'Agence nationale de recherche (ANR). Par ailleurs, est en cours un projet relatif à la création de commissions, au niveau départemental, pour mieux impliquer les différents services auprès des entreprises, afin les rassurer sur la nature des dépenses qu'elles engagent.
Il est difficile d'en faire plus pour les entreprises, car la légitimité de cette dépense fiscale au coût important repose sur le fait qu'elle finance des dépenses de recherche et développement. Dès lors, nous avons l'obligation de vérifier que les dépenses engagées par les entreprises correspondent bien à des activités de recherche. D'où la rigueur de la définition et la nécessité d'opérer des contrôles.
Au regard de la législation européenne, le CIR est considéré comme une mesure générale, qui ne s'adresse pas à un secteur en particulier ou à une taille d'entreprise bien définie. Dans la mesure où le dispositif ne présente aucun caractère de sélectivité, il ne s'agit pas d'une aide d'État. Cependant, si l'on voulait introduire des modulations en fonction des secteurs, on rentrerait dans le domaine des aides d'État et il faudrait alors notifier le dispositif à la Commission européenne. L'hypothèse d'un taux majoré pour les PME, un temps envisagée, n'a pas été retenue pour ces raisons - et au regard des effets de seuil qu'engendrerait un tel taux.
Concernant les réformes, une modification importante a été introduite il y a deux ans : un crédit d'impôt nouveau a été adjoint au CIR, le crédit d'impôt innovation (CII), qui comme son nom l'indique ne porte plus sur des dépenses de recherche mais d'innovation. Les critères de définition ne relèvent pas du manuel de Frascati mais du manuel d'Oslo. L'innovation recouvre un stade plus proche du marché, moins en amont, ce qui justifie - c'est en tous cas ce qu'a plaidé la direction de la législation fiscale quand le dispositif a été élaboré - un taux nettement moindre. Par ailleurs, le CII est réservé aux PME, avec des montants plafonnés à 400 000 euros par entreprise. Quant au CIR lui-même, l'objectif est plutôt de le stabiliser pour l'inscrire dans la durée.
Sur la question des groupes et de leur organisation, il faut tout d'abord noter que vingt-trois groupes de sociétés bénéficient aujourd'hui du CIR, soit la plupart des grands groupes industriels français. On a constaté que ces groupes sont organisés essentiellement en « filiales métiers ». On n'a pas constaté, depuis 2007, de modification dans la structure de ces groupes dont on aurait pu déduire qu'elle était liée à la volonté de maximiser le taux du crédit d'impôt recherche, en évitant de dépasser le plafond de 100 millions d'euros. Au contraire, certaines de ces filiales dépassent très largement le plafond de 100 millions d'euros et se voient donc appliquer, au-delà de ce seuil, le taux de 5 % au lieu de 30 %. On pourrait tout à fait imaginer, d'un point de vue purement technique, que le plafond de 100 millions d'euros soit apprécié au niveau des groupes. Cela emporterait deux conséquences. La première, c'est que seraient sorties de la base du CIR plusieurs centaines de millions d'euros de dépenses de recherche. Ce serait, pour les groupes industriels concernés, une déstabilisation assez considérable. La deuxième conséquence serait de placer nos groupes dans une situation défavorable par rapport aux grands groupes étrangers, qui par définition ne sont pas intégrés fiscalement en France et continueraient donc de bénéficier du même taux que celui dont ils jouissent aujourd'hui. Sur cette question du groupe, tels sont les éléments que je suis en mesure d'apporter.
Concernant les intermédiaires, il me semble que, pour l'essentiel, cette question a été traitée en 2011 : les dépenses de conseil ne sont plus du tout prises en compte dans l'assiette du CIR.
Les montants facturés par les cabinets de conseil doivent même être déduits de l'assiette du CIR, dès lors qu'ils sont forfaitaires - ce qui incite les entreprises à ne pas sélectionner des cabinets de conseil dont la rémunération est forfaitaire. Le montant déduit quand les conseils sont facturés au montant réel est la plus élevée des deux sommes suivantes : 15 000 euros hors taxe ou bien 5 % des dépenses de recherche et développement engagées au titre de l'année considérée par l'entreprise.
Selon vous, quelle est exactement la nature du risque engendré par le calcul de l'assiette du CIR au niveau du groupe ?
Le risque concerne les entreprises et non l'État : une part importante des dépenses de recherche et développement des grands groupes sont actuellement prises en charge à 30 % par l'État. Si cette subvention est supprimée, on peut s'interroger sur la pérennité des projets de recherche conduits sur la base d'un taux de subvention de 30 %.
Pour l'État, il y aurait, c'est certain, un gain budgétaire.
Concernant le contentieux, disposez-vous d'un chiffre sur le nombre de réclamations relatives au CIR, et sur leur évolution ?
Comme je l'expliquais en introduction à mon propos, la direction de la législation fiscale n'est pas chargée du contrôle fiscal et des questions de contentieux. Aussi, il me sera difficile de répondre à cette question.
Merci, M. Mauchauffée, pour vos réponses à cette première série de questions. Mes chers collègues, vous avez la parole.
Tout d'abord, je voudrais préciser qu'Oséo et l'ANR interviennent au niveau régional, et non au niveau départemental.
Par ailleurs, les questions relatives au contentieux me semblent cruciales. Combien y a-t-il réellement de contentieux ? Le CIR génère-t-il autant de contrôles fiscaux qu'on nous le dit ? La peur d'un contrôle fiscal dissuade-t-elle des entreprises dont les dossiers seraient pourtant éligibles ?
Bien sûr, le CIR a un effet bénéfique sur l'installation de laboratoires sur le sol français : il s'agit certainement, nous le constatons sur nos territoires, d'un facteur d'attractivité de la France. Toutefois, quel est le retour pour la Nation de cet investissement de l'État, sachant que des quantités non négligeables de jeunes équipes innovantes, de start-ups, sont rachetées par des groupes étrangers : leur production se fera dans d'autres pays, et non en France ?
Il me semble comprendre qu'une partie de votre travail consiste à conseiller et à expertiser les différentes évolutions envisageables pour un même dispositif.
Concernant le CIR, on constate que beaucoup de start-ups qui ont bénéficié de ce crédit d'impôt, qui ont également bénéficié de la recherche publique, quand elles veulent se développer, ne parviennent pas à lever des fonds pour leur développement : elles partent alors aux États-Unis. Là-bas, dès lors qu'un marché rentable est identifié, des fonds leur seront apportés et leur permettront de croître. La production bascule donc dans un autre pays. Cela signifie qu'en France, on a fait l'investissement du crédit impôt recherche, de la pépinière d'entreprise, les entreprises ont été portées à maturation puis partent. Pourrait-on imaginer des préconisations afin que le système fiscal permette de maintenir en France la production de ces entreprises ? D'autant plus que la recherche reste souvent basée en France. Une réflexion est-elle en cours, sur ces différents points, au sein de votre service ?
Je souhaiterais intervenir sur les sociétés de recherche privées, agréées par la BPI, et qui travaillent en tant que sous-traitantes pour des entreprises bénéficiant du CIR. L'instruction fiscale du 4 avril 2014 avait pour objectif, louable, qu'une même dépense de recherche ne puisse pas bénéficier deux fois du CIR : une fois pour le donneur d'ordre, une autre pour le sous-traitant. Le principe est évidemment bon.
Cependant, dans sa mise en oeuvre, cette nouvelle instruction conduit à ce que le sous-traitant déduise de l'assiette du CIR le montant de la dépense de recherche effectuée en tant que sous-traitant, que le donneur d'ordre déclare ou non sa dépense au CIR. En effet, les dépenses déclarées par les donneurs d'ordre sont soumises à un plafond : en d'autres termes, il peut arriver que les montants facturés par un sous-traitant ne donnent lieu à aucun CIR pour l'entreprise donneuse d'ordre, dès lors que cette dernière a déjà atteint, par ailleurs, le plafond de dépenses sous-traitées pouvant ouvrir droit au CIR. Si une société de recherche privée effectue de nombreuses missions pour d'autres entreprises, il peut alors arriver que ses revenus issus de la sous-traitance surpassent les dépenses de recherche en son nom propre : dans ce cas, le sous-traitant n'a droit à aucun CIR.
Vous avez dit avoir pour objectif de sécuriser le dispositif pour les entreprises. Y a-t-il un réel problème, constaté par l'administration ?
On m'a fait état d'entreprises qui renonceraient à l'agrément afin de pouvoir, de nouveau, bénéficier du CIR, y compris pour les dépenses exposées pour une autre entreprise. Une autre difficulté se fait alors jour : le donneur d'ordre impose une réduction importante du prix des prestations de recherche réalisées, considérant que le sous-traitant bénéficiera du CIR pour environ 30 % du montant de la dépense.
Il est plus simple d'aller faire de la recherche à l'étranger, où ces contraintes administratives et juridiques s'estompent...
M. Mauchauffée, je vous invite à répondre à ces questions, qui en inspireront peut-être d'autres dans la suite de l'audition.
Concernant les chiffres relatifs au contentieux, comme je l'ai expliqué, la direction de la législation fiscale n'est pas chargée du contrôle fiscal et des questions de contentieux. Comme vous, je lis dans certains medias que la demande de CIR par une entreprise enclenche aussitôt un contrôle fiscal. Je crois que le service du contrôle fiscal sera en mesure de vous montrer, chiffres à l'appui, que ce n'est pas vrai.
La question du départ des start-ups du fait des difficultés rencontrées pour lever des fonds me semble faire écho à des enjeux de politique économique beaucoup plus larges - attractivité de l'économie, développement du marché... - auxquels le CIR ne saurait prétendre, à lui seul, répondre.
Le CIR favorise pourtant l'implantation de laboratoires étrangers. Ne pourrait-on pas envisager que les montants perçus au titre du CIR soient remboursés quand il y a évaporation des résultats de la recherche vers des unités de production situées dans d'autres pays ?
Les questions de financement des PME ne sont pas d'abord des questions fiscales. Je suis convaincu que la direction générale du trésor serait en mesure de vous apporter des éléments sur ce point. Un dispositif de récupération de l'aide suppose d'élaborer des règles très complexes, difficiles à mettre en oeuvre et dissuasives.
La vraie question est, me semble-t-il, relative au tandem mis en place dans le contrôle du CIR, entre un expert du ministère de la recherche et un fiscaliste. Cette association fonctionne-t-elle réellement, et permet-elle d'apprécier la nature des dépenses engagées ?
Je n'ai pas d'éléments concrets à apporter sur ce type de questions.
Une audition de la direction générale des finances publiques (DGFIP) à ce sujet paraît souhaitable.
Concernant les effets macro-économiques du CIR, nos services s'en remettent soit aux missions d'inspection, soit aux travaux de la Cour des comptes, soit aux études du ministère de la recherche. Le bilan a été dressé une première fois en 2011 : le CIR a obtenu la note maximale dans le cadre du rapport dit « Guillaume » relatif à l'évaluation des dépenses fiscales. La Cour des comptes a rendu un rapport l'année dernière qui validait globalement le dispositif, et ne proposait que des réformes budgétaires de faible ampleur. De même, les travaux menés par le ministère de la recherche tendent aux mêmes résultats.
Quant à la sous-traitance, l'instruction fiscale a été modifiée suite à une alerte des services du contrôle fiscal. On constatait que l'interprétation de la loi par les entreprises était, en quelque sorte, que le donneur d'ordre et le sous-traitant se partageaient les dépenses de recherche au-dessus du plafond. L'administration a considéré que telle n'était pas la loi. La loi a instauré un plafond qui ne peut être dépassé, ni par le donneur d'ordre, ni par le sous-traitant. Les entreprises ont fait connaître leur mécontentement auprès du ministère de l'économie, qui a confirmé sa position à l'occasion d'une question écrite. Si on mettait en place un système dans lequel le sous-traitant intégrerait dans l'assiette du CIR les dépenses non prises en compte pour le calcul du CIR du donneur d'ordre, le surcoût serait, d'après les évaluations du ministère de la recherche, de l'ordre de 300 millions d'euros. C'est la principale donnée du débat.
Je tiens à préciser que je ne suis absolument pas favorable à ce qu'une même dépense de recherche soit prise en compte pour deux bénéficiaires différents. Il me semble que l'instruction fiscale d'avril 2014 constitue une mauvaise réponse à une bonne question. Il suffirait que les sous-traitants sachent ce qui est, ou non, déclaré, par les entreprises donneuses d'ordre, afin de défalquer de leur assiette uniquement ces dépenses-là.
Ne pourrait-on pas imaginer de mettre en place des conventions dont l'application dépendrait du succès de l'entreprise bénéficiant du CIR ? Un grand raout des start-ups s'est tenu aux États-Unis il y a deux mois, et la France comptait de nombreuses start-ups représentées à cet événement. Plusieurs dizaines ont eu des contacts pour aller à l'export, vendre les résultats de leur recherche, les brevets quand ils existaient... Ne serait-il pas possible de suivre les entreprises bénéficiaires du CIR afin de prendre en compte une éventuelle exportation des résultats obtenus, en partie grâce à l'argent public ?
Que pensez-vous du système des avances remboursables, dont, par exemple, l'aéronautique a bénéficié ? Une prise de participation par l'État dans les entreprises concernées serait-elle envisageable ?
Le système des avances remboursables serait beaucoup plus coûteux : l'État fait une avance à l'entreprise, qui ne la rembourse que si elle obtient le marché. En cas d'insuccès, l'État a perdu les fonds investis.
Le CIR n'est pas lié à un produit particulier : le but du dispositif est d'inciter les entreprises à engager des dépenses de recherche, très en amont de la mise sur le marché. Assurer une telle traçabilité me semble contraire à l'esprit même du dispositif.
Aujourd'hui, y a-t-il un mouvement d'abandon de l'agrément par certaines sociétés privées, du fait des contraintes qui lui sont liées ? Nous avons reçu dernièrement Syntec, qui plaidait pour la suppression de l'agrément. D'autres affirment que l'administration, malgré la qualité du travail de la BPI, n'est plus en capacité d'assurer une véritable expertise pour savoir si la société doit ou non avoir l'agrément. Quelle est votre position sur ce débat ?
Quels sont les liens entre vos services et les services dépositaires du contentieux ? Quelle est la nécessité, selon vous, d'encadrer la concurrence fiscale européenne voire mondiale, par exemple par le biais de conventions fiscales bilatérales, de manière à organiser au mieux l'attractivité fiscale de notre territoire ? Enfin, je reviens également sur ma question concernant le coût réel du personnel de recherche, une fois tous les dispositifs fiscaux et incitatifs pris en compte ?
Être en mesure de répondre à votre dernière question supposerait de construire des données analytiques dont nous ne disposons pas aujourd'hui.
Nous entretenons bien sûr des relations avec le service chargé du contrôle fiscal, qui nous signale les problèmes détectés afin qu'y soit apportée une solution réglementaire ou législative. Quand les problèmes existent, mais n'exigent pas une modification de la loi, les services de la législation fiscale ne sont pas les plus directement concernés.
La fraude existe et elle est sanctionnée. Mais il ne s'agit pas nécessairement d'un problème de rédaction de la loi.
La question de la fraude nous renvoie à des interrogations relatives au tandem mis en place dans le contrôle du CIR, entre un expert du ministère de la recherche et un fiscaliste. Nous étions inquiets et avions l'impression que, peut-être, l'efficacité de ce duo pourrait être améliorée, notamment du côté scientifique. La DGRI nous a expliqué ce matin qu'ils disposaient de 600 experts, ce qui est plutôt rassurant.
Les questions centrales sont en effet celles de la détermination de l'assiette du CIR et du contrôle mené par l'administration sur la réalité et l'éligibilité des dépenses engagées.
Concernant l'harmonisation fiscale européenne qu'évoquait à l'instant Mme la rapporteure, le chantier est en cours. Mais en matière fiscale, l'unanimité est de rigueur : ces travaux avancent lentement. A ce stade, l'objectif est de construire une assiette commune à d'impôt sur les sociétés. Quant aux conventions fiscales bilatérales, elles permettent d'éviter des doubles impositions.
Les comparaisons internationales apparaissent difficiles : des rapports sont publiés qui visent à comparer les dépenses de recherche engagées en France et en Allemagne, mais les critères retenus ne sont pas du tout les mêmes...
La comparaison constitue en effet un exercice complexe. Le CIR est par exemple considéré comme un des dispositifs les plus généreux de ce genre, mais il intervient dans un contexte où le taux d'imposition est l'un des plus importants de l'OCDE. Un CIR de 30 % en Allemagne n'aurait pas du tout la même signification qu'un CIR de 30 % en France.
D'autant que l'Allemagne bénéficie largement des bas salaires dans les pays qui lui sont voisins à l'Est...
Notre collègue Michel Berson va conclure, avec une dernière question, cette audition.
Le manuel d'Oslo, homologue du manuel de Frascati qui concerne les dépenses de recherche permet de définir les dépenses d'innovation. La distinction entre les dépenses de recherche et d'innovation apparaît difficile. Or, le crédit d'impôt innovation connaît un taux plus faible que celui de crédit d'impôt recherche. Est-il vrai que lors des contrôles, les dépenses de recherche sont volontiers requalifiées en dépenses d'innovation dans un souci de maîtrise budgétaire ?
Par ailleurs, la dépense intérieure de recherche et développement des entreprises atteint environ 29 milliards d'euros. Pourtant, la dépense éligible au CIR avoisine 20 milliards d'euros. Quelle est l'explication de cet écart ? Le plafonnement des dépenses sous-traitées suffit-il à l'expliquer ?
La différence entre les dépenses d'innovation et de recherche est en effet une question importante : pour la plupart des entreprises, cette différence recouvre tout l'écart qu'il y a entre un crédit d'impôt recherche à 30 % ou rien, et pour certaines PME, entre un crédit d'impôt recherche à 30 % et un crédit d'impôt innovation à 20 %. Nous nous efforçons de clarifier le départ entre ces deux types de dépenses par l'élaboration de vade-mecum, par le ministère de la recherche, à destination des entreprises, avec des exemples concrets. En cas de contrôle, si un doute existe, les services fiscaux se tournent vers le ministère de la recherche. Nous menons également un travail, avec Syntec, afin de décliner dans l'économie numérique ce qui constitue des dépenses de recherche et développement.
Quant à l'écart constaté, j'en suis comme vous conscient, mais n'ai pas d'explication à apporter.
Il faut rappeler que toutes les dépenses fiscales connaissent un écart entre les prévisions théoriques et leur réalisation. C'est par exemple également le cas pour le crédit d'impôt compétitivité et emploi (CICE).
La peur du contrôle fiscal pourrait peut-être expliquer une part des non-déclarations...
Si vous vouliez bien nous fournir les réponses au questionnaire écrit dans un délai raisonnable, cela aiderait grandement nos travaux.
N'hésitez pas nous transmettre tout document qui vous paraîtrait utile.
Ce sera le cas.
La réunion est levée à 17 h 20.