Conformément au deuxième alinéa de l'article 45 de la Constitution et à la demande du Premier ministre, la commission mixte paritaire chargée d'élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à agir contre les violences au sein de la famille se réunit au Sénat le mercredi 27 novembre 2019.
Elle procède tout d'abord à la désignation de son bureau, constitué de M. Philippe Bas, sénateur, président, de Mme Yaël Braun-Pivet, députée, vice-présidente, de Mme Marie Mercier, sénateur, rapporteur pour le Sénat, et de M. Aurélien Pradié, député, rapporteur pour l'Assemblée nationale.
Nous délibérons aujourd'hui d'une proposition de loi d'une grande importance, adoptée à l'unanimité par l'Assemblée nationale - le Sénat a été moins heureux... ou chanceux -, mais nous nous réjouissons qu'un large accord se soit dessiné autour des principales dispositions.
Ce texte s'inscrit dans une démarche qui dépasse le travail parlementaire dans la mesure où le Gouvernement a organisé un Grenelle des violences conjugales, à la suite duquel le Premier ministre a annoncé des décisions importantes au début de cette semaine. Nous avons de bonnes raisons de vouloir continuer à travailler dans cet esprit de consensus et de mobilisation nationale pour faire reculer les violences faites essentiellement aux femmes, et notamment les plus graves appelées aujourd'hui « féminicides ».
Le Sénat a adopté en première lecture, le 7 novembre dernier, la proposition de loi visant à agir contre les violences au sein de la famille qui nous avait été transmise par l'Assemblée nationale.
La discussion de ce texte en séance publique a été moins consensuelle au Sénat qu'elle n'avait pu l'être à l'Assemblée nationale, comme vient de le souligner le président Bas. Plusieurs de nos collègues auraient souhaité enrichir le texte, en y ajoutant notamment des dispositions évoquées dans le cadre du Grenelle contre les violences conjugales. Notre commission a adopté, sur certains points, une position plus prudente, considérant qu'elle n'avait pas eu le temps d'examiner de manière approfondie, dans le court délai qui lui a été imparti, tous ces sujets, qui sont, pour certains, forts complexes. Cette différence d'approche a pu entraîner des incompréhensions, qui ne nous empêcheront pas, je l'espère, d'aboutir ce soir à un large accord sur ce texte attendu par nos concitoyens.
Cette position de prudence ne nous a pas empêchés d'adopter vingt-trois amendements dans le cadre de nos travaux en commission, puis treize amendements supplémentaires au cours du débat en séance publique.
Permettez-moi de revenir brièvement sur les principaux apports du Sénat.
Sur l'initiative de nos collègues du groupe socialiste et républicain, nous avons tout d'abord adopté un amendement, devenu l'article 1er A, prévoyant que la question de la lutte contre les violences conjugales sera abordée au cours de la journée Défense et citoyenneté (JDC).
Toujours à l'initiative du groupe socialiste et républicain, deux amendements ont ensuite été adoptés, malgré l'avis défavorable de la commission et du Gouvernement : le premier, à l'article 1er B, aurait pour effet d'interdire à une victime de violences conjugales d'inscrire une main courante en lui imposant de déposer une plainte ; le second, à l'article 1er, vise à imposer le recours à la voie administrative pour l'assignation du défendeur dans le cadre d'une ordonnance de protection ; l'assignation par huissier ou par lettre recommandée avec accusé de réception ne serait donc plus possible. Nous aurons l'occasion de revenir sur ces deux sujets dans la suite de notre discussion.
Le Sénat a voté conforme l'article 2, relatif à l'ordonnance de protection, de manière à préserver l'équilibre trouvé à l'Assemblée nationale. Compte tenu des interrogations qui se sont exprimées au cours des auditions, il nous a cependant paru opportun de donner un caractère expérimental, pour une durée de trois ans, à la mesure permettant au juge aux affaires familiales (JAF) d'ordonner l'utilisation du bracelet anti-rapprochement (BAR). Tel est l'objet de l'article 2 quater sur lequel nous aurons également l'occasion de revenir.
Adopté sur proposition du Gouvernement, l'article 2 ter prévoit que les personnes soumises à une interdiction de détenir ou de porter une arme, en application d'une ordonnance de protection, seront inscrites au Fichier national des personnes interdites d'acquisition et de détention d'armes (Finiada), ce qui nous a paru parfaitement cohérent.
À l'article 2 quinquies, nous avons adopté, sur la proposition de notre collègue Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes, une demande de rapport sur la question du retrait de l'autorité parentale en cas de condamnation pour violences conjugales. Nous avons souhaité ainsi marquer notre intérêt pour cette question importante sur laquelle nous voulions poursuivre la réflexion.
Les articles 2 sexies, septies et octies ont été adoptés sur la proposition de plusieurs de nos collègues du groupe socialiste et républicain. Les deux premiers articles visent à exclure de la succession le conjoint condamné pour des faits de violence envers le défunt. Le troisième vise à exclure, en cas de divorce, l'ex-conjoint survivant du bénéfice de la pension de réversion. Il nous a semblé que ces trois mesures enverraient un signal fort : la solidarité qui existe normalement entre conjoints ou ex-conjoints n'a plus lieu d'être en cas de violences conjugales.
Concernant le volet pénal, le Sénat a surtout adopté, à l'initiative de notre collègue Jean-Pierre Grand, des dispositions visant à préciser la manière dont la personne qui dépose plainte est informée de la possibilité de bénéficier d'un bracelet anti-rapprochement. Le Sénat a adopté sans modification l'article relatif au téléphone grave danger (TGD).
Concernant le volet logement, nous avons approuvé les expérimentations proposées, qui sont destinées à faciliter le relogement des victimes. Nous n'avons pas jugé utile de prévoir dans la loi la création d'un comité de pilotage de ces expérimentations, mais il s'agit là d'une question assez secondaire sur laquelle nous pouvons évoluer. Le Sénat a également supprimé l'article 7 ter, qui nous a paru satisfait par le droit en vigueur et ne relève pas du domaine législatif.
Le Sénat a enfin supprimé aux articles 10 A et 10 B des demandes de rapport, qui ne nous ont pas semblé indispensables, et il a procédé à des ajustements à l'article sur l'application outre-mer.
Je vous remercie de cet exposé très détaillé et pédagogique, inspiré par les valeurs d'humanisme dont vous êtes porteuse sur tous les sujets que vous traitez.
Je souligne d'ailleurs que nous sommes réunis dans cette salle, sous une reproduction de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, qui ne peut qu'inspirer de sages décisions...
Je remercie tout d'abord le président Bas de nous accueillir au Sénat.
Permettez-moi d'évoquer les deux contextes dans lesquels s'inscrit le texte dont nous discutons ce soir.
Je rappellerai en premier lieu le contexte national. Lorsque j'ai présenté cette proposition de loi le 15 octobre devant l'Assemblée nationale, j'avais décompté le nombre de femmes tombées sous les coups de leur compagnon, non par mise en scène, mais pour que chacun mesure la responsabilité qui était la sienne. Aujourd'hui, je devrais compter 138 femmes, contre 117 il y a seulement quelques semaines.
La responsabilité qui nous incombe est singulière. Toutes les commissions mixtes paritaires sont importantes en ce qu'elles sont l'aboutissement du travail législatif, mais celle-ci l'est tout particulièrement. Aussi, dans les discussions qui vont suivre, chacune et chacun d'entre nous ne doit-il jamais perdre de vue la question de fond : tout faire pour faire avancer la cause des victimes de violences, et le plus tôt sera le mieux. Une seule bataille mérite d'être menée, celle de la protection des femmes ; toutes les autres sont secondaires et négligeables - gardons cela à l'esprit.
Le second contexte est législatif. Le groupe Les Républicains à l'Assemblée nationale a souhaité consacrer, dès l'été dernier, sa journée d'ordre du jour réservée à l'examen de deux textes relatifs à la défense des femmes victimes de violences, de leurs enfants et de leur famille. D'ailleurs, le titre de cette proposition de loi a évolué : il s'agit désormais d'« agir contre les violences au sein de la famille. » Nous l'avons fait à un moment où le Gouvernement avait pris l'initiative d'organiser un Grenelle des violences conjugales. Personne n'a cherché à concurrencer l'autre ; l'essentiel était que nous avancions. Les deux calendriers se sont non pas télescopés, mais parfaitement complétés.
Une seule lecture a eu lieu dans chacune des assemblées parce que le Premier ministre a souhaité la procédure accélérée sur ce texte. Ne l'oublions pas dans notre exigence de rédaction et dans celle de faire en sorte que la commission mixte paritaire soit conclusive ! Je n'imagine pas, je le dis très clairement, que nous ne parvenions pas à un accord. Nous y passerons le temps qu'il faudra ; chacun devra sûrement faire des concessions nouvelles, mais il faudra réussir parce que la responsabilité qui est la nôtre l'exige.
Par ailleurs, l'entrée en vigueur des mesures adoptées est attendue avant la fin de l'année. Plusieurs d'entre elles sont de nature à changer véritablement la donne ; je pense au bracelet anti-rapprochement, un dispositif qui doit être mis en place au début de l'année prochaine, ainsi qu'à la réduction du délai de délivrance de l'ordonnance de protection à six jours, le Sénat ayant adopté l'article 2 en des termes identiques à ceux de l'Assemblée nationale. Il y a là une attente considérable.
Le temps d'examen de ce texte a été court et long à la fois : entre la première lecture à l'Assemblée nationale et aujourd'hui, je l'ai dit, ce sont non plus 117 femmes qui ont été victimes des violences de leur compagnon, mais 138. Des prises de conscience ont eu lieu, y compris celle de la garde des sceaux - je salue le travail qu'elle a mené tant avec les députés qu'avec les sénateurs -, déclarant publiquement dans la presse qu'elle avait pleinement conscience des failles, pour certaines abyssales, dans l'organisation de la protection des femmes. Elle a également rappelé que, désormais, seul le temps de l'action devait nous importer. Depuis lors, de nouvelles propositions relatives à cette question ont vu le jour, autant au Sénat qu'à l'Assemblée nationale. Observons toutes ces propositions avec attention !
Il n'est pas question de marcher sur les plates-bandes des uns ou des autres ; il n'y a pas de sujet réservé. L'essentiel est, je le répète, que nous trouvions un accord de nature à enrichir encore ce texte avant un temps d'action politique nouveau, avec une nouvelle proposition de loi de la majorité annoncée en janvier prochain. J'ai eu une discussion avec quasiment chacune et chacun d'entre vous de manière très franche et libre : il faut que chacun se retrouve dans cette loi, tant les parlementaires que le Gouvernement.
Je ne suis pas le député le plus consensuel de l'Assemblée nationale. Je parle ici devant des femmes et des hommes dont l'engagement est, pour beaucoup d'entre vous, très ancien, et j'ai beaucoup de respect pour vous. J'ai toujours été transparent avec les uns et les autres, ne faisant jamais de « coups tordus » à qui que ce soit, mais je n'ai rien cédé quand le fond du sujet l'exigeait. Toutes les informations que vous avez sont celles que je détiens aujourd'hui. J'ai notamment fait des propositions pour que chacun puisse s'y retrouver ; je les défendrai fermement pour que la Représentation nationale puisse être aussi digne qu'elle l'a été depuis le début de l'examen de ce texte.
Je constate que nos rapporteurs sont l'un et l'autre dans de très bonnes dispositions d'esprit et situent parfaitement les enjeux. Nous ne pouvons que partager leur souhait de voir nos travaux aboutir.
Le temps parlementaire et le temps gouvernemental se sont coordonnés, mais nous y avons travaillé en proposant des dispositions de nature à accroître la sécurité des femmes - puisqu'il s'agit essentiellement de femmes - victimes de la violence de leur conjoint. Tout cela n'a pas été une évidence jusqu'au moment où cela l'est devenu : la réalité est tellement insupportable que ce texte a été examiné en procédure accélérée ; il a fait l'objet d'un consensus. À cet égard, le travail réalisé à l'Assemblée nationale a été couronné de succès, avec un vote à l'unanimité. Je retiens la volonté des uns et des autres de faire en sorte que cette commission mixte paritaire aboutisse. Toutefois, j'apporterai un bémol.
Dans cette recherche de consensus, nous avons travaillé longuement sur de nombreux sujets. Mon collègue Aurélien Pradié veut que nous prenions le temps nécessaire pour parvenir à un consensus ; j'en prends acte, mais il y a du travail, car les propositions de rédaction que je lis traitent de nouveaux sujets - j'estime que c'est là un peu une mauvaise façon d'agir -, et je m'interroge sur la recevabilité de certaines d'entre elles. Nous allons voir ce qu'il en est.
Je constate que certaines propositions de rédaction peuvent poser problème, mais nous sommes réunis pour en discuter. Je mettrai tout en oeuvre pour que nos travaux aboutissent.
Je salue l'auteur de la proposition de loi : c'est avec enthousiasme que le Sénat a accueilli ce texte, qui apporte des réponses concrètes à une problématique soulevée depuis de nombreuses années, y compris par les lanceurs d'alerte, dont la délégation aux droits des femmes. En mars dernier, j'avais posé une question d'actualité à ce propos, puisque le nombre de féminicides avait doublé par rapport à celui de l'année précédente à la même période. Les sénateurs se sont rapidement engagés sur ce sujet même si, il faut le dire, ce n'était pas forcément dans la culture de la Haute Assemblée : une tribune a été cosignée par plus de 150 sénateurs, qui a été largement relayée dans la presse.
Je regrette que nous n'ayons pas eu la possibilité d'améliorer considérablement le texte issu des travaux de l'Assemblée nationale puisque certaines propositions n'ont pu aboutir. Il serait donc légitime, comme l'a suggéré le rapporteur Marie Mercier, que nous avancions sur ces sujets essentiels, tels que l'autorité parentale et l'indignité successorale, avec des propositions formulées par des sénateurs et des sénatrices très engagés au sein de la délégation notamment.
Nous avons une obligation vis-à-vis de toutes ces femmes d'aboutir à une commission mixte paritaire conclusive. Je n'imagine pas que l'on sorte de cette salle sans accord eu égard à la gravité du sujet, même si cela doit perturber le calendrier de certains.
Merci, ma chère collègue, d'avoir rappelé les enjeux. Je salue le travail réalisé par la délégation sénatoriale aux droits des femmes, qui s'est saisie de ces questions depuis plusieurs années déjà.
Je tiens à prendre la parole maintenant, car je vais devoir rejoindre ma circonscription ; ma collègue Alexandra Louis me suppléera.
Nous partageons tous le même constat et nous poursuivons les mêmes objectifs : aboutir à une commission mixte paritaire conclusive. J'espère que nous aurons le même allant pour traiter les sujets qui demeurent sur la table et qui devront être examinés dans les mois qui viennent en vue de mieux protéger et accompagner les victimes, qu'il s'agisse des adultes ou des enfants, mieux reconnaître les violences, qu'elles soient physiques, psychologiques, économiques, administratives ou numériques, et mieux sanctionner leurs auteurs.
Cela étant, nous devons rester vigilants et oeuvrer dans le respect du débat parlementaire. Je suis quelque peu désarçonné de devoir me positionner sur certaines mesures adoptées par le Sénat, mais qui n'ont absolument pas été discutées à l'Assemblée nationale.
Je le dis, car cette remarque nous est parfois opposée lorsque des dispositions n'ont pas été débattues par le Sénat...
Nous pouvons échanger sur l'indignité successorale et sur les pensions de réversion, mais je tenais à préciser que nous n'avons pas examiné ces questions avec nos collègues députés.
Sur le sujet de l'autorité parentale, je découvre ce soir une rédaction que nous n'avons pas expertisée à l'Assemblée nationale, même si notre rapporteur Aurélien Pradié nous a sensibilisés sur le sujet ce matin, et je l'en remercie. Or, nous menons d'autres réflexions sur cette thématique, nous procédons à des auditions. Il me semble donc « cavalier » de découvrir un tel sujet en commission mixte paritaire.
Ce débat est attendu, des engagements particulièrement forts ont été pris, nous aboutirons. Mais nous avons besoin de temps pour mener des discussions et bien mesurer les tenants et les aboutissants d'une telle mesure. À ce stade, j'émets donc quelques réserves.
Permettez-moi de vous rappeler que, à chaque fois que le Gouvernement demande la réunion d'une commission mixte paritaire après une seule lecture dans chaque chambre, la première assemblée saisie découvre des dispositions qui ont été adoptées par la seconde. Le seul moyen d'éviter ce désagrément est de laisser se poursuivre la navette parlementaire, afin que la délégation de la première chambre saisie puisse, en commission mixte paritaire, s'adosser au vote de sa propre assemblée sur les dispositions adoptées par la deuxième assemblée saisie : c'est le fonctionnement normal de la procédure législative. Mais nous sommes tellement habitués à la procédure accélérée qu'elle nous semble être désormais de droit commun. Vous avez relevé ses inconvénients à juste titre.
Les propositions de rédaction des rapporteurs ont fait l'objet de négociations et elles nous parviennent donc tardivement. Moi-même, je n'ai pas encore pu élaborer d'appréciation personnelle approfondie et j'attends de notre débat qu'il me permette de prendre position.
J'espère simplement que nos rapporteurs ne s'écartent pas des annonces rendues publiques par le Gouvernement à l'issue du Grenelle.
Nous sommes devant un objet parlementaire inédit et je tiens à saluer la force de conviction du rapporteur de l'Assemblée nationale ainsi que l'ouverture d'esprit de l'ensemble des parlementaires. Nous avons travaillé au Sénat dans de mauvaises conditions, en séance comme en commission, en raison du calendrier imposé par le Gouvernement. Depuis l'examen de ce texte au Sénat, le 6 novembre dernier, neuf femmes sont mortes. L'objectif de notre groupe est que ce phénomène soit combattu efficacement.
La question de l'autorité parentale a été longuement débattue dans l'hémicycle du Sénat, notamment lors de l'examen de l'amendement de notre collègue Françoise Cartron. Nous travaillons sur ce sujet depuis déjà fort longtemps. Le Premier ministre a fait des annonces le 3 septembre et il les a réitérées le 25 novembre dernier - et pourtant la garde des sceaux n'a pas donné d'avis favorable à l'amendement, c'était baroque !
Le groupe socialiste et républicain du Sénat est un groupe minoritaire, mais qui travaille sérieusement et fait des propositions, sans se préoccuper de la paternité des textes. Notre objectif est de faire avancer les sujets et d'aboutir à des mesures expertisées et travaillées. Notre seul guide : que ces dispositifs soient efficaces ! Cela sera notre fierté de parlementaires.
Nous partageons la même exigence de respect du droit. La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen que vous avez citée et qui trône dans cette pièce n'a pas été rédigée par quelques personnes, dans une pièce, à la faveur d'une nuit d'échanges peut-être agités, mais ...
Permettez-moi de vous interrompre, pour le seul plaisir historique. Entre le mois de juillet et la fin du mois d'août 1789, plusieurs ébauches de cette déclaration ont été rédigées ; toutes avaient un auteur, et toutes ont été successivement rejetées. C'est finalement un bureau - on dirait aujourd'hui une commission - de l'assemblée constituante qui a élaboré le texte définitif, qui ne peut donc être attribué à aucun auteur en particulier. J'aimerais qu'aujourd'hui encore il soit impossible d'attribuer un texte à un auteur, car il aura été discuté collectivement par les représentants de la Nation. C'est la quintessence de la belle ouvrage parlementaire.
Comme vous le dites si bien, la Déclaration a fait l'objet de versions successives et donné lieu à de longs débats, ce qui n'est pas le cas du texte que nous allons probablement adopter ce soir. Je partage l'avis de ceux qui considèrent que nous ne pouvons pas conclure cette commission mixte paritaire sur un désaccord. Mais invoquer la cause des femmes à tout bout de champ est un peu démagogique !
Pour sortir grandis de ce débat, sachons rester sérieux et faire du droit jusqu'au bout ! Une commission mixte paritaire n'a pas pour objet d'enrichir un texte, mais de trouver un consensus sur des dispositions adoptées par nos deux assemblées, de faire la synthèse des deux rédactions pour qu'elles n'en fassent plus qu'une.
Lorsque j'ai reçu les propositions de rédaction des deux rapporteurs, j'ai eu deux surprises. D'abord, c'est la première fois, en 25 ou 26 commissions mixtes paritaires depuis le début de la législature, que je reçois le tableau comparatif aussi tardivement - à 16 heures. C'est anormal et je tenais à protester.
Il s'agit de mon rôle institutionnel de présidente de la commission des lois de l'Assemblée nationale. Si nous devons aboutir, notre texte doit être viable, nous devons donc être précautionneux et examiner chacune des virgules, chacun des mots.
Mon deuxième motif de surprise tient à la présence, au sein de ces propositions, d'une disposition entièrement nouvelle relative à l'autorité parentale. Ce sujet n'a pas été débattu à l'Assemblée nationale, car il figurait dans une autre proposition de loi du groupe Les Républicains qui n'a d'ailleurs pas été examinée en séance publique. Cette disposition n'a été ni discutée ni votée au Sénat.
Soit, mais elle n'a pas été votée. Dans le texte adopté par le Sénat, la seule disposition relative à l'autorité parentale est une demande de rapport adressée au Gouvernement. Nous sommes ici pour faire du droit. Or, le Conseil constitutionnel, de jurisprudence constante, censure toute disposition ajoutée après la première lecture qui ne présente pas de lien direct avec une disposition restant en discussion, et il considère que la demande d'un rapport ne permet pas d'établir ce lien. La question de l'autorité parentale ne peut donc pas être traitée dans ce texte, sous peine d'inconstitutionnalité. Je suis favorable à un consensus, mais pas à n'importe quel prix.
Je m'associe à vos propos concernant le calendrier de mise à disposition des propositions communes de rédaction des rapporteurs. J'ai été logé à la même enseigne et n'ai pas disposé de davantage de temps que Mme Braun-Pivet pour en apprécier le contenu.
Nous devrons trancher, le moment venu, la question de recevabilité que vous soulevez à juste titre. Nous devrons alors décider en droit et non en opportunité : nous sommes sur une ligne de crête.
En tant qu'auteur de l'amendement sur l'autorité parentale qui a été rejeté au Sénat, je m'interroge comme vous sur la recevabilité de la disposition qui nous est proposée.
Pourquoi sommes-nous ici avec une chance d'aboutir ? Parce que le Gouvernement a décidé d'engager la procédure accélérée au vu de l'urgence de la situation. Mais le sujet de l'autorité parentale n'est pas soumis au même impératif de célérité que le bracelet anti-rapprochement par exemple. Tout ne doit pas être mis sur le même plan. En dépit de tout le respect que j'ai pour les sénateurs, l'apparition de cette disposition au motif de l'urgence me semble légèrement tirée par les cheveux.
Votre respect nous touche, mais les positions des sénateurs et des députés ne me semblent pas antagoniques sur ce point. Nous aurons un double débat - sur les questions juridiques et les questions de fond - qui promet d'être intéressant.
Pour avoir beaucoup travaillé sur ce sujet au sein de la délégation aux droits des femmes du Sénat, mais aussi à l'occasion de l'examen du projet de loi de Mme Marlène Schiappa, je sais que le retrait de l'exercice de l'autorité parentale est un outil majeur pour lutter contre les violences conjugales. Le Premier ministre l'a reconnu lorsqu'il a évoqué le phénomène de l'emprise.
Article 1er A
L'article 1er A est adopté dans la rédaction du Sénat.
Article 1er B
Il s'agit d'une disposition introduite par un amendement du groupe socialiste et républicain. Il serait dommage que nous ne la conservions pas, car elle est plus protectrice des droits des femmes.
Comment les choses se passent-elles lorsqu'une femme se présente au poste de police ou de gendarmerie ? Le plus souvent, il lui est proposé de déposer une simple main courante. La seule utilité de cette procédure est de dater les faits. La main courante est un objet juridique indéterminé qui n'entraîne ni enquête ni saisine du parquet. C'est pourquoi notre amendement imposait le dépôt de plainte. On nous objecte que la femme pourrait ne pas y être psychologiquement prête, mais je pense que la question réside essentiellement dans la qualité de l'accueil qui lui est réservé. Seul ce dépôt de plainte permet ensuite de mettre en place une protection.
Je comprends votre souhait de protéger les femmes, mais cette disposition reviendrait à institutionnaliser une dérive procédurale. La main courante n'a, à ce jour, aucune existence juridique ; historiquement, ce n'est que l'agenda du poste de police. En la faisant entrer dans le code de procédure pénale, nous risquons d'affaiblir l'article 15-3 de ce code, qui fait obligation aux officiers et agents de police judiciaire de recevoir toutes les plaintes déposées par les victimes d'infractions à la loi pénale, car ils ne sont pas juges de leur recevabilité.
L'article 1er B est supprimé.
Article 1er
Nos rapporteurs nous proposent d'adopter cet article dans la rédaction du Sénat, sous réserve de la suppression du cinquième alinéa.
Je regrette que nous nous apprêtions à supprimer un des apports de mon groupe qui avait convaincu le Sénat. La novation la plus exigeante de cette procédure de protection est le délai de six jours. Aucune juridiction ne respecte ce délai, les meilleures d'entre elles affichent un délai de dix jours. L'audience devant le juge aux affaires familiales doit respecter un minimum de contradictoire : plus il y aura de contradictoire, plus le juge se sentira autorisé à ordonner des mesures contraignantes.
Comment faire en sorte que le délai de six jours garantisse le respect du contradictoire ? Comment le défendeur peut-il savoir qu'il doit se présenter devant le juge ? Le code civil prévoit trois modalités de convocation : la lettre recommandée avec accusé de réception, qui impose un délai de quinze jours ; l'assignation par huissier, mais il n'est pas toujours facile de trouver un huissier pour rédiger un acte d'assignation et cela coûte 150 euros, toutes les femmes n'en ont pas les moyens ; et, enfin, la voie administrative, dans laquelle l'officier de police se déplace et remet la convocation. On objecte que cela surcharge les forces de l'ordre, mais il ne s'agit que de quelques centaines de cas par an. Je ne vois pas d'autres moyens de convocation permettant de tenir le délai de six jours ! C'est pourquoi j'ai proposé d'inscrire explicitement dans la loi cette voie administrative, mais les rapporteurs ne semblent pas convaincus.
Cette procédure est déjà prévue par l'article 1136-3 du code de procédure civile selon lequel : « La convocation des parties, à l'exception du ministère public, est faite par lettre recommandée avec demande d'avis de réception ou par la voie administrative, en cas de danger grave et imminent. » Elle s'applique bien aux cas visés par les articles 515-9 et 515-13 du code civil. C'est pourquoi je juge pertinent de supprimer l'alinéa, car il semblait redondant par rapport au droit en vigueur.
L'article 1er est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Article 1er bis
L'article 1er bis est adopté dans la rédaction du Sénat.
Article 2 ter
L'article 2 ter est adopté dans la rédaction du Sénat, sous réserve d'une modification rédactionnelle.
Article 2 quater
La rédaction du Sénat ne prévoyait qu'une expérimentation du bracelet anti-rapprochement en matière civile jusqu'au 31 décembre 2022, au risque de voir le dispositif disparaître à cette date. C'est risqué, deux expérimentations plus anciennes n'ayant jamais abouti. Ne commettons pas la même erreur ! Le déploiement du bracelet supposera l'acquisition d'équipements assez lourds de suivi, de pilotage des dispositifs, de logiciels, etc. Il sera donc difficile de revenir en arrière une fois le dispositif lancé. Nous proposons donc une solution intermédiaire, avec une clause de revoyure au 31 décembre 2022, et nous abolissons la date limite de validité de la loi.
Il s'agit d'un dispositif innovant en matière civile. Lors de l'examen au Sénat, nous avions voulu rester prudents, car les juges aux affaires familiales n'ont pas l'habitude de prescrire des mesures restrictives de liberté. Vous conservez le principe d'une évaluation dans trois ans, qui permettra le cas échéant d'améliorer le dispositif. Dans un souci de compromis, nous nous rallions à votre proposition de rédaction.
Le dispositif, en effet, nécessite de lourds investissements. Le terme de trois ans semble trop rapproché. Mieux vaut donc modifier la loi de manière pérenne !
La proposition de rédaction n° 1 est adoptée.
L'article 2 quater est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Article 2 quinquies
Puisque nous en venons au sujet de l'autorité parentale, c'est l'occasion pour moi de répondre aux éléments évoqués au cours de la discussion générale.
Toutes les dispositions que Mme Marie Mercier et moi présentons étaient connues, madame la présidente, notamment après l'échange que nous avons eu hier soir de manière totalement transparente. Il en va de celles qui sont relatives à l'autorité parentale comme de toutes les autres... Je n'ai jamais été dans la posture depuis le début de l'examen du texte. De même, j'ai transmis à M. Guillaume Vuilletet, avec qui j'ai travaillé depuis le début de la procédure législative, toutes les informations dont je disposais. Le 20 novembre, également, j'ai rencontré la garde des sceaux pour lui faire part de manière détaillée des dispositions qui seraient débattues ce soir. Rien ne m'y obligeait. J'ai agi en toute transparence.
Ce texte est particulier. C'est la première commission mixte paritaire à laquelle vous participez, madame la présidente, qui concerne un texte issu de l'opposition, non de la majorité ou du Gouvernement, et dont les rapporteurs sont des parlementaires de l'opposition ; il convient d'accepter que l'examen soit, peut-être, moins fluide qu'à l'accoutumée.
Le débat sur l'autorité parentale est connu et éculé. Les experts ont traité le sujet dans le détail. Les mesures avancées dans la proposition de rédaction n° 2 ont fait l'objet de blancs-seings nombreux de l'exécutif, de manière très précise et à de nombreuses reprises. Le texte ne comporte donc ni surprise ni aventure...
Quant à la recevabilité, nous avons, comme vous, le souci du droit. J'observe cependant qu'il est peu probable que le Conseil constitutionnel soit saisi de ce texte dans le cadre de son pouvoir de contrôle a priori. Dans sa décision n° 2010-4 QPC du 18 juin 2010, il a jugé en outre que la procédure parlementaire ne relevait pas du champ des questions prioritaires de constitutionnalité. La sécurité juridique, que vous évoquez, est donc garantie.
La proposition de rédaction n° 2 contient deux dispositions. La première est le retrait de principe de l'autorité parentale en cas de crime contre la personne du conjoint. Le juge pénal peut déjà prononcer cette peine. Nous proposons que le retrait devienne la règle, tandis que le juge pourra toujours déroger par une décision motivée. En somme, l'exception devient la règle, et la règle l'exception. Cette mesure a déjà été discutée en commission des lois à l'Assemblée nationale, lors de l'examen de la proposition de loi de Mme Valérie Boyer, et en séance publique au Sénat, lors de l'examen de certains amendements. Sur le plan politique, le consensus est total. La seule difficulté pourrait tenir au calendrier.
La seconde mesure est la suspension de l'exercice de l'autorité parentale en cas de mise en examen pour crime ou tentative de crime contre le conjoint. Cette mesure est issue du travail parlementaire.
Mes arguments sont identiques. L'autorité parentale constitue un symbole fort. Lorsque je faisais mes études de médecine, le pédiatre qui me formait avait répondu à un jeune père, qui lui demandait ce qu'il devait faire pour ses enfants, qu'il devait d'abord aimer leur mère. On ne saurait mieux dire que l'autorité parentale se construit à deux. Un homme violent ne peut pas être un bon père. Lorsque nous avions débattu de ce sujet en séance publique, le Grenelle des violences conjugales n'était pas achevé et il nous avait paru prématuré d'adopter des dispositions. Il est temps désormais d'avancer. Je suis sûre du bien-fondé de notre proposition.
Soit, mais la commission mixte paritaire doit se prononcer en droit, non en opportunité. Avant de nous prononcer éventuellement sur le fond, nous devons d'abord examiner la recevabilité de la proposition. Vous envisagez de transformer l'article 2 quinquies, qui contient une demande de rapport sur une éventuelle suspension de l'autorité parentale, en une mesure de fond sur le même sujet. Cette substitution est-elle recevable ? En tout cas, ce n'est pas parce que le Conseil constitutionnel n'aura pas à se prononcer sur la procédure que nous ne devons pas légiférer dans le respect des règles qui encadrent la procédure parlementaire. Je rappelle que nous sommes, avant le Conseil constitutionnel, les gardiens du droit et de la procédure. La question est de savoir si la proposition peut être rattachée à l'article 2 quinquies. Le Conseil constitutionnel censure les dispositions nouvelles. Nous avons souvent vu des dispositions de fond transformées en demandes de rapport, mais je n'ai pas le souvenir de l'inverse... D'un autre côté, si le chemin est possible dans un sens, il doit être possible dans l'autre sens.
L'engagement de la procédure accélérée de manière quasi systématique ne peut qu'aboutir à ce genre de situations... On se prive des bénéfices de la navette parlementaire.
Il existe des arguments juridiques en faveur des deux thèses. L'article 45 de la Constitution, dont je déplore l'interprétation auto-mutilante actuelle à l'Assemblée nationale comme au Sénat, fait état d'un lien indirect entre l'amendement et le texte. L'argument du président Bas me semble de bon sens, on doit pouvoir parcourir le chemin dans les deux sens, au nom du parallélisme des formes. Les arguments de M. Pradié sont des arguments de fait, mais le fond est lié à la forme. Ces mesures ont déjà été abordées lors du débat, au moins au Sénat. Je voterai donc en faveur de la recevabilité.
Je ne partage pas votre analyse selon laquelle, comme le Conseil constitutionnel a peu de chances d'être saisi, nous pourrions nous abstenir de respecter la procédure parlementaire. Comme l'a dit le président Bas, notre commission est garante du respect de la procédure parlementaire. Je rappelle aussi qu'en commission mixte paritaire, conformément à la règle de l'entonnoir, on apprécie le lien direct, et non indirect, avec les dispositions restant en discussion.
Quant à la question de savoir si la proposition n° 2 entretient un lien direct avec le texte, le Conseil constitutionnel a déjà estimé, dans sa décision n° 2015-723 DC du 17 décembre 2015, relative au projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2016, que le lien entre une demande d'informations et des dispositions substantielles ne pouvait être qu'indirect. On ne peut pas tirer d'une demande de rapport une disposition de droit substantiel, et inversement. La jurisprudence est très claire. Attention à ne pas créer de précédent !
On ne respecte pas les règles par crainte de la sanction, mais parce qu'elles ont un sens, qu'elles font partie du socle constitutionnel de notre démocratie et que, parlementaires, nous devons montrer l'exemple. Le texte voté par le Sénat demande un rapport. Ce que vous proposez touche en substance à l'autorité parentale, ce qui aurait des incidences pour nombre de nos concitoyens, dans la vie des enfants comme dans celle des parents : suspendre l'exercice de l'autorité parentale, c'est quasiment toucher au lien de filiation. Pour moi, il n'y a pas de lien entre une demande de rapport et la modification de dispositions du code civil. Et, faute d'un recul suffisant, je suis mal à l'aise avec cette proposition qui énonce notamment : « La mise en examen d'un des parents pour crime sur la personne de l'autre parent entraîne la suspension de l'exercice de l'autorité parentale du mis en examen jusqu'à la date de l'ordonnance de non-lieu, de l'arrêt de la juridiction de jugement ou d'une décision statuant sur l'autorité parentale. »
Faisons preuve de responsabilité en nous donnant les moyens d'avoir un débat dans l'hémicycle, au sein de nos assemblées démocratiquement constituées ! Nous ne sommes pas en train d'enterrer le sujet, car nous sommes tous conscients que l'autorité parentale est l'un des points cardinaux de la lutte contre les violences conjugales. D'autres textes de loi aborderont le sujet de front, et avec le recul nécessaire.
Il semble problématique qu'une assemblée, saisie en première lecture dans le cadre d'une procédure accélérée, n'ait pu examiner les articles votés par l'autre chambre avant la tenue d'une commission mixte paritaire.
En l'absence d'examen préalable, les parlementaires désignés pour siéger à la commission mixte paritaire ne peuvent savoir quel mandat politique leur est donné.
Ce sont vos propres mots, monsieur le président, lors d'une précédente commission mixte paritaire! Le Sénat a rejeté cette disposition, sur laquelle l'Assemblée nationale ne s'est pas exprimée. Je me vois mal, comme député, m'exprimer à la place de mes collègues, surtout après le vote négatif du Sénat.
Lien direct ? Ce qui a été voté par le Sénat, c'est le principe d'une réflexion sur ce sujet avant toute décision. Passer directement aux conclusions me semble terriblement dangereux.
Sur cette disposition, l'urgence n'est pas la même que pour le bracelet anti-rapprochement. Nous avons encore le temps de débattre dans les deux assemblées et d'auditionner les acteurs concernés, pour que chacune et chacun puisse s'exprimer sur les dispositions envisagées. Je serais terriblement déçu si cet élément, en faisant échouer la commission mixte paritaire, nous empêchait de protéger les femmes alors que c'est urgent.
Comme M. Sueur, je pense que la procédure accélérée systématique dénature le travail parlementaire. Je comprends l'urgence qui s'attache au bracelet anti-rapprochement, mais, pour l'autorité parentale, le prochain texte en cours de préparation sera un vecteur convenable. Certes, l'article 45 de la Constitution n'est pas facile à manier. En l'espèce, les amendements n'ont pas été retenus par le Sénat. Et les deux rapporteurs nous demandent de voter une disposition qui n'a été retenue dans aucune des deux assemblées. N'est-ce pas un cheval de Troie ? Désormais, il suffirait de voter un rapport pour que cela serve d'accroche à des dispositions de droit substantiel en commission mixte paritaire... sauf si la demande de rapport a été votée conforme ! Soyons prudents !
Puisque la jurisprudence existe dans les deux sens, nous pouvons aller plus loin. J'ai bien entendu, le 3 septembre, le Premier ministre, entouré d'une dizaine de ministres, annoncer le retrait de l'autorité parentale - et, de nouveau, le 25 novembre. Je soutiens cette proposition commune de rédaction.
Le Conseil constitutionnel censure dans les deux sens : cela signifie qu'il n'y a pas de lien direct entre un rapport et une disposition substantielle, et inversement.
Les arguments de l'auteur de la proposition de loi m'ont totalement convaincue, tout comme ceux du président de la commission mixte paritaire. En mon âme et conscience, je voterai cette proposition commune de rédaction, pour les femmes et pour le droit !
La question de fond fait l'unanimité : nous souhaitons tous parvenir à un retrait de l'autorité parentale, comme l'a annoncé le Premier ministre, et comme le commande la raison. L'article rédigé par le Sénat m'a semblé refléter une erreur, puisqu'il demande un rapport dans les six mois sur les effets du maintien de l'autorité parentale. Pourquoi dans les six mois ? Nous pourrions demander ce rapport pour demain, puisque le conjoint violent condamné a toujours, actuellement, son autorité parentale. La proposition commune de rédaction revient à ne changer qu'un mot au texte du Sénat, en remplaçant les mots « le maintien » par les mots « la suppression ». Le lien, à mon sens, est bien établi avec le texte du Sénat.
Nous confondons deux terrains de discussion : le fond de la proposition et la recevabilité de la démarche. On peut voter pour la recevabilité et contre le fond... Y a-t-il un lien, direct ou indirect ? La rédaction de l'article 2 quinquies est assez détaillée et mentionne la possibilité d'envisager la suspension de l'autorité parentale, voire son retrait, en cas de condamnation pour violences intrafamiliales, a fortiori lorsque l'auteur a été condamné pour le meurtre ou l'assassinat de l'autre parent. Je pense donc que le périmètre législatif a été fixé, et que le lien existe. Le président de notre commission mixte paritaire est très scrupuleux sur le respect de la Constitution. Certes, il ne peut y avoir de question prioritaire de constitutionnalité sur la procédure parlementaire, et l'on peut espérer qu'il n'y aura pas soixante députés ou soixante sénateurs pour saisir le Conseil constitutionnel - ces considérations factuelles ne sont pas illégitimes, je le sais pour être avocat.
Mme Louis l'a dit : nous devons faire respecter la Constitution, ne serait-ce que parce que nous sommes la commission des lois !
Je suis d'accord. Mais je vois un lien entre la rédaction très précise adoptée au Sénat et les dispositions proposées.
Ce n'est pas uniquement la Constitution, c'est aussi la jurisprudence du Conseil constitutionnel, qui est, par nature, évolutive, et régulièrement enrichie. Il est clair que l'usage systématique de la procédure accélérée crée une pratique constitutionnelle nouvelle, qui est certes autorisée par la Constitution, mais n'est pas conforme à son esprit : si la Constitution avait entendu faire de la procédure accélérée la procédure systématique, et quasiment de droit commun, elle ne prévoirait pas la navette telle qu'elle existe. Ce qui était une exception dans l'esprit du rédacteur de la Constitution devient la pratique de droit commun. Cela crée des méthodes parlementaires nouvelles. Le président Bas a donc raison d'insister sur l'importance du moment que nous vivons, même s'il est moins historique que nous le croyons, car le lien est clair entre la rédaction adoptée par le Sénat et la proposition commune de rédaction. Il est évident qu'au Sénat nous avons voulu examiner les questions d'autorité parentale dans la lutte contre les violences conjugales. Nous ne sommes donc pas en train de faire une révolution de la pratique constitutionnelle, et pouvons sereinement accepter la recevabilité de cette proposition de rédaction.
Ce qui a été adopté au Sénat est clair : l'amendement de Mme Cartron a été discuté, et rejeté. N'a été adoptée qu'une demande de rapport. Or nous ne discutons plus d'un rapport, mais d'une inscription directe dans le droit. Nous créons un précédent dangereux, dès lors que le débat n'a pas eu lieu à l'Assemblée nationale, et que la disposition a été rejetée au Sénat.
Je crois que personne parmi nous n'est plus, ou moins, sérieux que les autres. Personne n'est ni plus, ou moins, exemplaire, et j'apprécie peu qu'on tente ici de délivrer des leçons d'exemplarité : personne n'en donnera à personne. Nous sommes tout aussi démocratiquement constitués que nos deux assemblées en séance publique : notre commission mixte paritaire obéit à des règles parlementaires strictes, que nous n'avons aucunement outrepassées. Nous ne sommes pas en train d'agir en brigands sur la procédure parlementaire.
Je n'ai pas considéré qu'on puisse négliger le sujet dans la mesure où la procédure parlementaire ne pouvait être attaquée par question prioritaire de constitutionnalité. J'ai simplement dit qu'on pouvait évacuer ce nuage, tout comme celui constitué par l'hypothèse d'un point de désaccord sur le fond, puisque nous sommes, sur la question de l'autorité parentale, en large accord : il n'y aurait pas de passage en force.
Il est faux de dire qu'il n'y aurait pas urgence à statuer sur l'autorité parentale. Ce serait méconnaître la réalité des situations. Cet après-midi, Marie Mercier et moi avons visité un commissariat à Mantes-la-Jolie, où nous avons entendu deux pères de famille. La fille de l'un a été assassinée à coups de poing et à coups de pied. La fille de l'autre, Laura, s'est sauvée à temps. Les deux préoccupations qui ont retenu la mère particulièrement aux premières heures de l'alerte étaient le logement et l'autorité parentale. En effet, lorsqu'elle a tiré la sonnette d'alarme, qu'elle a obtenu un logement et qu'elle a été protégée, sa première mise en danger a été lorsque son compagnon violent l'a retrouvée. Comment ?
Oui ! Faute de suspension de l'autorité parentale, le père était en droit de savoir où était scolarisée sa fille, et donc le quartier dans lequel vivait la mère, ce qui a mis la vie de celle-ci en danger. La suspension de l'autorité parentale n'est donc pas moins urgente que la mise en place du bracelet anti-rapprochement.
Si la commission mixte paritaire admet la recevabilité de cette proposition de rédaction, nous nous pencherons sur le fond. L'admet-elle ? Votons.
La commission mixte paritaire admet la recevabilité de la proposition commune de rédaction par sept voix contre six, et une abstention.
Je vous propose de suspendre notre réunion afin d'avoir un échange sur le fond de cette disposition avec les rapporteurs et la présidente Braun-Pivet.
(La réunion est suspendue).
Nos rapporteurs sont parvenus à une nouvelle proposition de rédaction sur la question de l'autorité parentale.
Notre nouvelle proposition de rédaction permet de suspendre l'exercice de l'autorité parentale en cas de poursuite ou de condamnation. Je précise que si cet exercice est retiré, la contribution à l'entretien et à l'éducation des enfants demeure en revanche.
La suspension de séance nous a permis de trouver une issue favorable. Cette disposition apporte un élément de souplesse au juge qui pourra moduler sa décision au cas d'espèce. La proposition de rédaction me satisfait.
Je demande à mon tour une très brève suspension de séance pour pouvoir étudier ce nouveau dispositif.
(La réunion est suspendue).
Cette nouvelle rédaction a été écrite rapidement, nous avions besoin de temps pour l'étudier avec tout le soin nécessaire.
La proposition de rédaction initiale prévoyait le retrait de principe de l'exercice de l'autorité parentale en cas de crime ou de coups et blessures ayant entraîné une incapacité totale de travail (ITT) de plus de huit jours. Ce dispositif présentait deux avantages : il retirait l'exercice de l'autorité parentale aux pères coupables de féminicides et, dans les phases post-séparation, il permettait de supprimer le facteur de violence que représente l'exercice de l'autorité parentale. En outre, il limitait l'automaticité de ce retrait par une décision spécialement motivée du juge.
Dans la nouvelle rédaction, vous avez remplacé la notion générique de crime par une liste d'infractions qui exclurait notamment le viol et la mutilation et vous avez par là même supprimé toute la dimension préventive du dispositif qui concernait les situations post-séparation. On a totalement perdu l'outil préventif et la référence au viol ! La rédaction précédente était pertinente, la nouvelle ne l'est pas.
La nouvelle rédaction énumère des crimes, mais, si les violences n'entrainent pas la mort de la victime, l'autorité parentale de l'auteur n'est effectivement pas suspendue. Mieux vaudrait remplacer l'énumération « chef de meurtre, d'assassinat, d'empoisonnement, ou de violences ayant entrainé la mort » par la notion de « crime commis sur la personne de l'autre parent », ce qui permet de viser aussi le viol ou les mutilations !
Cette modification me convient et elle est acceptée par mes collègues de la majorité, que j'interroge du regard.
Il faut aussi, par cohérence, modifier la rédaction du 5°, pour remplacer « de plein droit ni lorsque l'autorité parentale est retirée, ni » par « de plein droit ni lorsque l'autorité parentale ou son exercice est retiré, ni ».
Que deviennent les coups et blessures avec incapacité totale de travail de huit jours ? On renonce à intervenir pour prévenir les violences post-séparation et on se contente de suspendre l'exercice de l'autorité parentale après la commission du crime. Si le père a tué, violé ou mutilé la mère, ce qui n'est pas le plus courant, l'exercice de l'autorité parentale sera suspendu. Dans les autres cas de violences post-séparation, le père continuera d'exercer l'autorité parentale et de harceler la mère par ce biais. Il y a donc eu un recul entre la proposition initiale et la nouvelle proposition.
Vous posez la question de l'automaticité du retrait de l'autorité parentale. Celle-ci peut être prononcée par le juge pénal. Vous souhaiteriez qu'elle soit automatique. Pourtant, lorsque le Président Nicolas Sarkozy avait défendu les peines planchers en matière de délinquance, vous n'y étiez pas très favorable...
Une remarque, la référence à l'article 377 du code civil ne me paraît plus très opérante si la mère n'est pas morte.
La nouvelle rédaction est le fruit d'une négociation. L'enjeu, madame Rossignol, est de parvenir à un compromis. Vous avez raison, la question de la prévention des violences post-séparation reste ouverte. Il faut que la majorité prenne l'engagement de la traiter dans le cadre de la proposition de loi à venir en début d'année prochaine.
La première rédaction permettait d'agir en amont et de faire de la prévention. L'objectif de la proposition de loi est quand même d'assurer la protection des femmes et de prévenir les féminicides.
Nous devons parvenir à un consensus. Nous sommes inscrits dans une démarche de coconstruction de la loi, dans la perspective des textes à venir. C'est pourquoi nous souhaitons que l'on en reste à cette rédaction.
Nous devons avoir en tête l'intérêt supérieur de l'enfant. La suspension de l'exercice de l'autorité parentale est aussi une mesure de protection. Avec ce compromis, on fait un pas en avant. La discussion se poursuivra au Parlement à l'avenir sur les autres infractions et sur la question de la complicité.
Ce texte a quand même vocation à être dissuasif, à éviter que de nouvelles femmes ne meurent sous les coups de leurs conjoints. On est en train de légiférer pour les situations où la femme meurt... Rien n'est prévu pour protéger les femmes victimes de violences. La suspension de l'autorité parentale y contribuait. On intervient en aval, non en amont, ce n'est pas logique !
Le propre du travail en commission mixte paritaire est de trouver un compromis. Il n'est pas parfait, mais a le mérite d'exister.
Soyons francs, il s'agit surtout d'en rester à un texte de transition, en attendant le texte de la majorité !
L'objet de la proposition de loi n'était pas de sanctionner les pères criminels, mais de réduire le nombre de femmes tuées ou victimes de violences conjugales graves. Tel devrait être l'objectif, non de trouver un compromis ! Pour cela, des mesures de prévention des violences post-séparation sont indispensables. Elles étaient au coeur du Grenelle des violences conjugales. Chacun sait que c'est grâce au maintien de l'autorité parentale que les pères continuent à frapper leurs femmes. Je ne sais pas comment on expliquera à l'opinion que l'on a reculé sur ce sujet parce qu'il fallait trouver un compromis !
Je rappelle qu'il n'existe aucune disposition sur le régime applicable à l'exercice de l'autorité parentale de l'auteur de violences conjugales dans le texte dont nous discutons ce soir. Et, il y a une heure, nous ne savions même pas si nous admettrions la recevabilité d'une proposition commune de rédaction qui inscrirait dans le droit dur une disposition sur l'autorité parentale. Jusqu'à l'ouverture de cette commission mixte paritaire, aucune assemblée n'avait adopté la moindre disposition sur ce point. Nous avons réussi à proposer une disposition de droit sur l'autorité parentale qui n'existait pas : ne dites pas que nous renonçons aux ambitions préventives de la proposition de loi ! Prenez cette disposition, ou non, mais il faut décider !
Si vous n'adoptez pas la proposition commune de rédaction, nous devrons choisir entre ne rien inscrire dans le texte sur l'autorité parentale, ou adopter le texte du Sénat, qui prévoit un rapport. Je préférerais, pour ma part, faire un pas en avant important sur la régulation de l'exercice de l'autorité parentale, plutôt que d'adresser au Gouvernement l'injonction sans portée juridique de nous préparer un rapport, assez puérile de surcroît puisqu'il vient de prendre nettement position sur ce sujet à l'issue du Grenelle.
Par coordination, au 6°, il faut écrire : « ou condamné pour crime. »
C'est, en quelque sorte, un pas dans notre direction.
La proposition commune de rédaction n° 2 rectifiée est adoptée à l'unanimité.
L'article 2 quinquies est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission mixte paritaire.
Je suis saisi d'une proposition des rapporteurs tendant à supprimer les deux articles relatifs à l'indignité successorale, ainsi que cette division et son intitulé.
Article 2 sexies
L'article 2 sexies est supprimé.
Article 2 septies
L'article 2 septies est supprimé.
La division et son intitulé sont supprimés.
Article 2 octies
La proposition commune de rédaction n° 3 reprend ce que le Sénat a prévu sur le non-versement de la pension de réversion, en élargissant le périmètre, pour qu'il ne se limite pas aux salariés du secteur privé. Cela renforce le dispositif.
La proposition commune de rédaction n° 3 est adoptée.
L'article 2 octies est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission mixte paritaire.
Article 3
L'article 3 est adopté dans la rédaction du Sénat.
Article 4
L'article 4 est adopté dans la rédaction du Sénat.
Article 4 bis
L'article 4 bis est adopté dans la rédaction du Sénat.
Article 5
L'article 5 est adopté dans la rédaction du Sénat.
Article 7
Ma proposition de rédaction n° 4 rétablit le comité de pilotage avec deux députés et deux sénateurs : les parlementaires doivent veiller à la mise en oeuvre des expérimentations.
La proposition de rédaction n° 4 est adoptée.
L'article 7 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission mixte paritaire.
Article 7 bis
L'article 7 bis est adopté dans la rédaction du Sénat.
Article 7 ter (Supprimé)
L'article 7 ter demeure supprimé.
Article 10 A (Supprimé)
Ma proposition de rédaction n° 5 rétablit la demande, adoptée par l'Assemblée nationale, de remise d'un rapport concernant la création d'une application téléchargeable complémentaire du téléphone grave danger. Nous avons légèrement modifié la rédaction pour nous assurer qu'il ne s'agit pas d'une application déjà existante.
La proposition de rédaction n° 4 est adoptée.
L'article 10 A est rétabli dans la rédaction issue des travaux de la commission mixte paritaire.
Article 10 B (Supprimé)
L'article 10 B demeure supprimé.
Article 12
La proposition commune de rédaction n° 6, de coordination, est adoptée.
L'article 12 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission mixte paritaire.
La commission mixte paritaire adopte, ainsi rédigées, l'ensemble des dispositions restant en discussion du projet de loi.
La réunion est close à 22 h 15.